1. Une approche écologique des mobilisations
Le quartier comme support de la lutte urbaine de l’Alma-Gare dans les années 1970
p. 35-58
Texte intégral
1Comment le quartier, la communauté locale de vie et d’expérience, peuvent-ils être constitués en ressources pour les mobilisations ? La coprésence et les interactions de face-à-face entre habitants et militants suffisent-elles à engendrer et entretenir l’engagement, tout particulièrement pour des acteurs issus de milieux populaires, peu pourvus en ressources scolaires et politiques propices à la participation ? Le « capital d’autochtonie », capital social populaire venant compenser le manque de capitaux économiques ou culturels1, peut jouer un rôle important dans les mobilisations. Pour le collectif Rosa Bonheur, « la dimension spatiale des ressources sociales est une des modalités contemporaines de résistance des classes populaires à la domination2 ». Le risque est grand, pourtant, de voir dans le quartier, la communauté locale ou l’ancrage territorial, l’assurance d’une mobilisation « réussie » des classes populaires. Faut-il rappeler que les luttes urbaines des années 1970, qui se sont particulièrement enracinées dans l’espace local3, sont pour la plupart demeurées inabouties4 ? À quelles conditions la coprésence physique et les interactions denses que favorisent certains espaces peuvent-elles alors être converties en ressources pour la mobilisation ?
2Nous souhaitons explorer ces questions à partir de l’étude d’une lutte urbaine victorieuse, au sens où les acteurs ont obtenu satisfaction – au moins à court terme – sur l’essentiel de leurs revendications. L’histoire de l’Atelier populaire d’urbanisme (APU) et du quartier de l’Alma5 à Roubaix est, à bien des égards, unique dans l’historiographie des luttes urbaines et constitue un cas limite permettant de comprendre le rôle joué par les ressources spatiales dans les processus de mobilisation. Nous nous intéresserons aux conditions écologiques de la mobilisation, c’est-à-dire à la façon dont les « caractéristiques spatiales d’un environnement physique, sa densité, sa distribution, sa composition, les relations sociales qui l’accompagnent ainsi que les activités spatiales routinières d’une population donnée6 » structurent un mouvement social.
Encadré 1. La lutte de l’Alma-Gare
La lutte de l’Alma prend forme par le regroupement d’habitants peu rompus à la mobilisation et d’un ensemble d’acteurs plus politisés. Militants de l’Association populaire des familles (APF), issus du catholicisme social, maoïstes et habitants s’assemblent pour défendre la réhabilitation d’une partie du quartier, en préservant la sociabilité populaire qui le caractérise. En 1973, ils fondent l’APU ayant pour finalité de penser collectivement leur cadre de vie. Dans les réunions ouvertes tenues chaque mercredi soir, des habitants exposent et discutent de leurs problèmes. À cet espace s’articulent des actions collectives, ponctuelles et souvent conflictuelles. En 1976, l’APU obtient de l’État une aide technique, l’ABAC (trois urbanistes, un sociologue) venant l’appuyer dans l’élaboration d’un plan alternatif à celui de la mairie : il est présenté en mars 1977. Se met alors en place un espace de concertation, le Groupe de travail, rassemblant APU, ABAC, élus, techniciens municipaux et de la SAEN (Société d’aménagement et d’équipement du nord) en charge des travaux. Fin 1977, le schéma-directeur de réhabilitation du quartier est adopté, sur les bases des propositions de l’APU. Par la suite, l’APU s’intéresse, dans un contexte de montée du chômage, à l’organisation de la gestion de la vie sociale du quartier.
3Nous nous inspirons ici de la perspective ouverte par Roger Gould dans son étude sur la Commune de Paris7. Plutôt que de chercher à comprendre si les causes réelles du conflit se situent dans l’évolution de la structure de classe (perspective adoptée par David Harvey en particulier) ou dans la signification attribuée à la ville (comme le défend notamment Manuel Castells), il s’intéresse à « l’identité des participants » dans la lutte et à la façon dont celle-ci est soutenue par des réseaux de sociabilité et construite par le travail politique et symbolique de certaines organisations. Il démontre qu’à la différence de 1848, la Commune n’est pas d’abord un conflit de classe, mais plutôt une lutte urbaine reposant sur la mobilisation d’identités locales de quartier et s’appuyant sur des liens sociaux locaux nés suite à l’hausmannisation. Gould invite dès lors à repérer à la fois les catégories mobilisées par les entrepreneurs de cause et comment celles-ci s’appuient sur les réseaux sociaux existants et viennent les travailler – et ce faisant, font sens pour les acteurs et résonnent avec leurs expériences.
4Nous partirons de la prise en compte du type de relations sociales façonné par l’urbanisme en courée, caractéristique du quartier de l’Alma. À rebours d’une lecture spatialiste, qui verrait dans la proximité physique et la coprésence permise par cette forme urbaine un ferment automatique à la mobilisation8 – et où la courée serait naturellement émeutière, pour reprendre une topique fréquente – nous montrerons comment le rapport au territoire est travaillé par les militants et constitué en ressource dans la lutte. Loin d’être un simple décor, l’espace local est l’enjeu même de la lutte qui oppose un collectif d’habitants et les pouvoirs publics. D’abord, la signification attribuée à ce quartier varie selon les acteurs : tandis que la municipalité y voit surtout un « ghetto » à raser pour attirer les classes moyennes, les militants disent vouloir y conserver les vestiges d’une sociabilité ouvrière en déclin. Mais l’appropriation de l’espace représente, de surcroît, un ressort essentiel de la mobilisation. La connaissance fine du territoire par les habitants permet de retourner le rapport de force avec la municipalité, ce savoir pratique devenant un réel pouvoir au moment de la réhabilitation du quartier. L’espace et le savoir qui lui est associé apparaissent ici comme une ressource décisive contribuant à expliquer la victoire, a priori « improbable9 », d’un collectif d’habitants dans une lutte initialement inégale.
5Si notre étude porte sur le dernier tiers du xxe siècle, il ne s’agit pas de prétendre que les actions collectives ancrées sur une base territoriale spécifique sont un phénomène appartenant au passé. Bien des travaux montrent que la nature territoriale des mobilisations est encore d’actualité. Cette enquête, qui porte sur une période de près de 20 ans (1968-1987), permet surtout d’offrir une vision sur le temps long de l’ancrage spatial d’une mobilisation. Outre l’analyse de la bibliographie scientifique et militante (plusieurs textes sont produits par des membres de l’APU ou de l’ABAC), nous avons opté pour une analyse microsociologique et avons donc mené une investigation empirique approfondie centrée sur les pratiques effectives des acteurs. Notre étude s’appuie sur un important travail de recueil de sources archivistiques ; sources dispersées mais abondantes, qu’il s’agisse des documents conservés du groupe mobilisé ou d’archives des institutions auxquelles il a eu affaire, du côté des pouvoirs publics et des aménageurs. S’y adjoignent une cinquantaine d’entretiens avec l’ensemble des acteurs (habitants, militants, urbanistes, élus), ou encore diverses sources iconographiques et audiovisuelles.
6Nous nous intéresserons d’abord à la question du rapport au quartier dans la genèse de la mobilisation. Nous montrerons ensuite comment l’ancrage territorial des militants constitue une arme essentielle dans la mobilisation de la population. Nous verrons, enfin, comment la connaissance du territoire constitue un instrument majeur dans la lutte, permettant le retournement du rapport de force entre le collectif des habitants et la municipalité.
Raser un quartier ou préserver une communauté ? Une mobilisation autour de la défense d’un territoire ouvrier
7La rénovation du quartier est envisagée dès 1962 par la municipalité, mais reste longtemps à l’état de projet. Après plusieurs années d’attente, pendant lesquelles les habitants des courées ont commencé à se mobiliser pour l’amélioration de leurs conditions de vie, le conseil municipal annonce en décembre 1966 que l’Alma va faire l’objet d’une opération de rénovation urbaine avec la création d’une ZAC (Zone d’aménagement concertée). Le lendemain, on lit dans la presse que les courées de l’Alma vont disparaître. C’est l’amorce du conflit ; même si le projet ne démarre réellement qu’en 1973. Si toutes les parties prenantes souhaitent la rénovation, les acteurs y attribuent des objectifs différents : transformer l’image et la population du quartier pour la municipalité, préserver la sociabilité ouvrière pour les habitants mobilisés. La signification et les représentations associées au territoire sont en jeu derrière ce conflit.
Justifier l’expulsion des ouvriers et des immigrés par l’insalubrité des courées
8Roubaix a connu au xixe siècle une très forte croissance économique liée au développement de l’industrie textile. Elle s’est accompagnée d’une rapide croissance démographique10. La ville attire une forte immigration de France et de Belgique11. De 1800 à 1896, elle voit sa population croître de 1380 %12. Pour loger ces nouveaux venus, des courées et forts sont construits – une courée est un ensemble de petites maisons accolées les unes aux autres, se faisant face sur un étroit passage. Pur produit de l’expansion industrielle, l’Alma est principalement composé de ce type de logements.
Illustration 1. Une courée de Roubaix13

9À la fin des années 1960, les courées sont régulièrement décrites comme insalubres. Qualification stigmatisante qui désigne autant la population ouvrière, et en grande partie étrangère14, que l’état du bâti. « L’énoncé d’une insalubrité des courées tend à “insalubriser” socialement la population15. » Une déclaration de 1975 du Secrétaire Général du Groupe Interministériel permanent pour la résorption de l’habitat insalubre est ainsi particulièrement explicite :
« L’habitat insalubre, comme la mauvaise herbe, a tendance à naître spontanément là où on l’attend le moins. Il suffit de quelques familles asociales, de quelques migrants non insérés dans le circuit socioprofessionnel, pour que naisse un bidonville ou que se “taudifie” un quartier16. »
10Les courées vont être construites en enjeu urgent de politique publique, en raison de leur danger moral. La résorption de cet habitat est présentée comme nécessaire pour éviter la mise en péril de l’ordre social.
« Cet énoncé trouve moins son sens dans la matérialité des courées que dans leur signification sociale : d’une part, la courée est émeutière et miséreuse, d’autre part, la suppression des courées symbolise la paix sociale et la justice17. »
11Cette assimilation des courées à des bidonvilles insalubres et dangereux permet non seulement de justifier la politique de résorption, mais se fait aussi dans un souci d’obtention de crédits de la part de l’État – notamment par extension de la loi de 1964 sur les bidonvilles.
12Il ne s’agit pas de dire que la population ne souhaitait pas un changement de ses conditions de vie, bien au contraire. Dans un numéro de 1969 du journal de l’APF – moteur initial de la lutte – on lit : « À Roubaix un quart de la population vit en courée, dans des conditions inacceptables, et pourtant ce sont des êtres humains. Roubaisiens, acceptez-vous cette situation ? » Une photo d’une manifestation accompagne le texte ; on y voit une banderole sur laquelle est inscrit : « Urbanisation ? D’accord, mais quand ? Pour qui ? En attendant les maisons s’écroulent. On attend l’eau et les réparations. » L’article déplore l’inaction des pouvoirs publics depuis leur déclaration d’intention de 196618.
13Dans le contexte de crise industrielle, un enjeu de l’opération pour les pouvoirs publics est la conversion économique du quartier, pour y favoriser le développement du tertiaire et l’installation de classes moyennes. Le projet de rénovation relève en partie d’une volonté de « nettoyage spatial19 » préalable à la conversion économique du quartier. Bien que « le discours officiel [soit] muet sur la dimension économique et sociale de la rénovation20 », l’idée s’impose dans l’esprit des militants et habitants que l’Alma va faire l’objet d’une rénovation ayant pour finalité d’en modifier la fonction et la composition sociale. C’est contre ces objectifs que la résistance s’organise.
Valoriser le quartier par son esthétisation et la mise en avant de son passé ouvrier
14Si les acteurs mobilisés reconnaissent les difficultés sociales qui touchent le quartier, ils vont effectuer un travail symbolique pour requalifier le « ghetto » que serait l’Alma en un « quartier », un « village » où il fait bon vivre, marqué par une solidarité ouvrière profondément ancrée21. Michel Wieviorka qualifie ce travail de « dimension communautaire » des luttes urbaines : « à travers la pression sur les élus locaux ou les relais de l’administration centrale se jouerait la défense de communautés, le refus, pluriclassiste et plus ou moins populiste, de laisser se détruire des relations “humaines” ou la volonté d’une communauté territoriale (un quartier, un ensemble) de prendre en charge sa propre destinée22 ». La lutte sur la signification attribuée au territoire est un élément essentiel. Pourquoi en effet préserver un espace, s’il n’est qu’insalubrité et inconfort ? En valorisant les relations humaines qui le caractérisent, on met en avant le danger que représente la substitution des courées par des « cages à lapin23 ». À l’Alma comme dans de nombreuses luttes urbaines à l’époque, cette expression est fréquemment employée pour requalifier les barres et les tours HLM, présentées par les aménageurs comme des symboles de modernité. L’exemple de l’opération de la rénovation du quartier Edouard Anseele de 1972 sert alors de contre-modèle pour les militants et habitants, qui soulignent qu’elle a abouti à chasser les habitants : « tous les habitants ont été “déportés” dans d’autres quartiers insalubres et notamment à l’Alma Gare24 ». « L’Alma ne sera jamais Édouard Anseele », lit-on dans L’Atelier, le journal de l’APU25.
15La construction d’une identité collective du quartier se fait aussi par le marquage symbolique de l’espace au cours de la lutte. Nombre d’actions collectives participent de ce qui est désigné dans plusieurs travaux récents comme un mouvement d’« esthétisation des espaces publics » dans les luttes collectives, souvent lié à une volonté de « médiatisation de l’action26 ». Les maisons et murs du quartier se font support de mots de protestation, de dessins, de banderoles : ils sont marqués des slogans de la lutte – à l’image de la photo ci-après.
16Ce marquage symbolique du territoire est destiné tant aux habitants qu’aux décideurs et aux médias au sens large, qui y trouvent des expressions facilement accessibles et visuellement séduisantes des revendications exprimées oralement en réunion. Nous l’avons montré ailleurs27, le recours aux relais médiatiques a joué un rôle important dans l’écho des habitants mobilisés, qui savent en jouer dans le rapport de force avec les pouvoirs publics. On a affaire à un espace urbain devenu « foyer public et visible de l’agir collectif28 ». On retrouve ici en partie la pensée spatiale développée par Henri Lefebvre, pour lequel l’« espace social » s’articulerait autour de trois dimensions : la représentation de l’espace (espace conçu), la pratique spatiale (espace perçu) et ce dont nous parlons plus spécifiquement ici, les espaces de représentation renvoyant à des pratiques de symbolisation – l’espace des habitants notamment29. Cette esthétisation vise plus largement à qualifier positivement la dimension ouvrière du quartier – en partie mythifiée, car la population ouvrière employée décline avec la désindustrialisation, la montée du chômage et le vieillissement de la population.
Illustration 2. Mots d’ordre de mobilisation sur les murs de l’Alma

©Marc Garanger, novembre 1975.
« Il faut que l’on apprenne à penser en groupe30 » : la construction d’une mobilisation collective autour d’un lieu
17« S’organiser. Se grouper. Constituer une force31. » C’est l’objectif des années 1960 et du début des années 1970 : fonder un collectif fort appuyé sur la structure déjà existante qu’est l’APF. À la base de la mobilisation, il y a un refus de l’individualisation des problèmes publics. « Il y a deux démarches, celle qui isole, celle qui regroupe. En faisant de chaque habitant un cas particulier qu’il faut assister, adapter, rééduquer, les “socio-éducatifs” prolongent un système fait pour diviser la classe ouvrière », lit-on dans L’Atelier. Les militants promeuvent une démarche inverse : « à partir du cas particulier, on regroupe tous ceux et toutes celles qui s’apparentent à ce cas et c’est ensemble qu’on dresse nos revendications et qu’on lutte pour résoudre non pas un problème, mais le problème32 ». Le mécontentement doit s’exprimer collectivement.
18L’APF – qui devient en 1976 la Confédération syndicale du cadre de vie (CSCV) – va jouer un rôle majeur dans la construction de la mobilisation. C’est en « s’appuyant sur l’expérience acquise dans les actions syndicales sur le logement », que les premières luttes vont être menées33.
« L’APF joue à l’origine le rôle de catalyseur des plaintes de la population. Un travail de réflexion en commun va permettre de dépasser le stade de la revendication individuelle pour atteindre la prise de conscience collective. Les manifestations de rue commencent et les actions aussi. Blocage des loyers, squat des maisons, débats avec la population sur les opérations de rénovation34. »
19Les APF sont implantées à Roubaix depuis longtemps – dès 1952. Elles sont liées à la Jeunesse Ouvrière Chrétienne (JOC) fondée en 192735, se développant à l’origine comme une de ses branches. Les APF sont attachées à l’idée d’une participation des habitants à la définition et à la gestion de leurs logements ; celle-ci est vue comme un « outil essentiel de la promotion sociale collective36 ». L’APF est soutenue informellement par les organisations religieuses catholiques. Du côté de la CFDT, s’il n’y a pas d’animosité apparente, le soutien ne se fait que très ponctuellement37. Politiquement, les appuis viennent essentiellement du PSU ; mais celui-ci n’apparaît pas pour autant comme un acteur direct dans la lutte38. « Au niveau politique, c’était le désert », résume Roger Leman. Mais cette absence de soutien franc d’un parti a finalement permis une participation potentiellement plus large de gens venant d’horizons divers et rassemblés par leur appartenance commune au quartier39.
20Un couple se détache au sein de l’APF, qui joue un rôle moteur dans l’histoire de l’Alma : Marie-Agnès et Roger Leman, qui s’installent en 1962 dans une maison de la rue du Fort Frasez, au cœur du quartier40. Originaires de la région, ils se sont connus au sein de la JOC. Les Leman reviennent de trois ans passés à Melun, où ils ont déjà organisé une section de l’APF. À leur arrivée à l’Alma, ils sont frappés par le caractère désolant des conditions de vie dans les courées. Marie-Agnès, âgée de 23 ans, va alors participer à la circulation de la machine à laver collective, une pratique bien rodée de l’APF41. Peu après, Roger devient responsable APF pour Roubaix. Une fuite d’eau dans leur maison aurait déclenché leur volonté de se lancer dans l’action pour l’amélioration des conditions de vie. « Tout est parti de là. Un jour, il pleut chez nous… Donc on se dit : qu’est-ce qu’on fait, on écrit au PACT42 ou on essaie de faire une réunion avec les gens ? On a mis en place un groupe de délégués dans la rue et on a demandé à être reçus au PACT pour avoir des travaux43. » Dans ces propos de Marie-Agnès, on voit bien s’opérer le passage d’un problème individuel à une mobilisation plus collective. Encore membres de l’Action Catholique Ouvrière (ACO), Roger explique qu’ils n’auraient sans doute pas réagi de la sorte sans leur formation chrétienne. Ils auraient pu aller vivre ailleurs ou ne s’occuper que de leur logement ; ils décident de demeurer à l’Alma et d’agir pour que les problèmes de tous soient traités collectivement. « “Avec” eux et non pas “pour” eux », précise Roger en parlant des autres habitants, reprenant les idées acquises à la JOC44.
21Les démonstrations revendicatives des Leman et de l’APF se multiplient dès les années 1960, visant en particulier le PACT, propriétaire ou gestionnaire de nombreux logements. Un point important dans cette construction d’une mobilisation est la place donnée rapidement à la presse : les habitants ont compris l’importance de la médiatisation de leurs actions. De façon générale, les médias jouent un rôle important « dans la production et l’entretien d’imaginaires socio-spatiaux et dans les reconfigurations spatiales qu’ils suggèrent ou impulsent45 ». Ces actions médiatisées se doublent d’un combat de plus long terme concernant le montant des loyers – il s’inscrit dans une campagne nationale des APF. Il s’agit de faire en sorte que les propriétaires respectent la loi de 194846, ce qui est loin d’être le cas de tous. Là encore, on n’a pas affaire à une action menée par les seuls Leman, pour ou à la place des habitants. Ainsi, Roger organise un stage pour former au calcul de la surface corrigée. Plusieurs procès ont lieu contre des propriétaires récalcitrants, qui donnent raison aux locataires.
22Entre 1968 et 1975, l’Alma perd le quart de sa population. Au fil des années, les logements se détériorent, entraînant des départs de plus en plus nombreux et la fermeture de commerces. Ces départs s’accompagnent d’une amplification de la dégradation des maisons vides par des pilleurs, aggravant le climat d’insécurité. « Les locataires fuient devant les “pillards” à la recherche de métaux précieux », lit-on dans Nord Éclair le 17 mai 1974. « Face à cette situation, l’APF se demande si, volontairement, on ne laisse pas pourrir la situation afin que les habitants du quartier fuient vers d’autres immeubles, dans d’autres quartiers : cette stratégie permettrait évidemment de construire pour d’autres, les habitants du quartier étant disparus », ajoute le journaliste. Les habitants mobilisés vont alors procéder eux-mêmes à des murages de maisons abandonnées, pour éviter l’accélération de leur dégradation par les pilleurs. Normalement, c’est l’ORSUCOMN47 qui est en charge de ces murages. Les habitants envoient donc un signal aux organismes dirigeants, leur reprochant leur inefficacité et les mettant face à leurs responsabilités48. La résolution directe des problèmes liés à la vie quotidienne est ainsi au cœur de la mobilisation de l’APF, ce qui peut expliquer une partie de son succès auprès de la population.
Un « cocktail idéologique49 » : l’Alma comme espace d’agrégation des courants catholiques et gauchistes post-68
23C’est une alliance qui va permettre à la lutte de s’épanouir et de transformer les protestations des habitants en un mouvement capable de peser sur le processus de concertation pour l’avenir du quartier. On trouve à l’Alma un groupe de militants maoïstes, issus notamment de l’ex-Gauche Prolétarienne (officiellement interdite en 1970 et dissoute en 1973), la plupart vivant collectivement dans un squat. S’ils sont d’abord perçus comme des intrus par l’APF, ils finiront par s’allier. Un premier rapprochement se fait à l’occasion du relogement d’une famille de quatorze enfants, dont la maison a été sinistrée par un incendie. Les militants APF décident de fracturer la porte d’une maison vide en bon état pour y installer la famille. Le geste plaît aux militants d’extrême gauche. Si l’alliance mettra du temps à se stabiliser, à partir de 1973, on peut dire que « la logique de l’ouverture » prévaut50. De façon générale, les actions menées par l’APF, en particulier les actions spectaculaires ou celles frôlant avec l’illégalité, attirent l’attention et la sympathie de groupes gauchistes.
24Le ralliement des anciens maoïstes à un mouvement réclamant la participation des habitants aux décisions concernant leur quartier n’est ni un hasard, ni une configuration propre à Roubaix. « Tout se passe comme si la cause des “quartiers” formait une transition entre les mobilisations directement issues de mai 1968 et marquées par le marxisme et de nouvelles formes de l’engagement51. » Cette rencontre entre maoïstes et catholiques de gauche a également été facilitée par certaines dispositions des premiers. Il s’agissait de maoïstes majoritairement d’origine ouvrière, au capital culturel moins important que les militants parisiens, et qui pour certains, avaient connu une socialisation catholique qui a pu favoriser le rapprochement avec les Leman52. L’alliance hétéroclite des militants APF et de l’extrême-gauche est en tout cas féconde. Des points communs sont soulignés par une autre maoïste ayant rejoint l’Alma, Denise Bouchez :
« On s’est retrouvés finalement sur le fait que les choses pouvaient être faites en commun puisque l’objectif était le même : c’était de bâtir un quartier où les gens avaient la parole. Et il faut le dire quand même, les APF étaient bien implantées à Roubaix avec la population, ils avaient des méthodes de travail qui se rapprochaient des nôtres, c’est-à-dire le porte-à-porte, le travail de terrain. »
L’ancrage territorial des militants comme support de la mobilisation
25Au regard de la trajectoire sociale et militante des leaders de l’APU, le risque était grand que les habitants du quartier soient « parlés53 » par des activistes chevronnés, mettant à mal la prétention du collectif à faire de la population locale le moteur de la lutte. À ce titre, l’ancrage territorial des militants – qui habitent sur place – s’avère un élément décisif dans la constitution de l’APU. Outre cette résidence locale, c’est surtout l’existence d’un dispositif de participation et de délibération autonome de la municipalité qui permet de souder le collectif et d’éviter les clivages entre des acteurs aux dispositions a priori éloignées.
La naissance de l’Atelier Populaire d’Urbanisme
26L’APU naît en mai 1974, suite au relogement dans une maison abandonnée encore en bon état de la « Grand-mère » – une personne âgée de 74 ans, vivant dans une maison insalubre. La presse prend fait et cause pour les habitants. Cette action symbolique fait ainsi la Une du quotidien Nord Éclair. L’article, intitulé « Notre conte du 1er mai », décrit la situation de cette personne âgée et son émotion quand le fils Leman lui remet un bouquet de muguet, puis évoque la revendication de l’APF qui demande la création d’un « atelier d’urbanisme ». Suite à cela, une réunion est organisée fin mai à l’Alma en présence de l’adjoint municipal à l’Urbanisme, Clérambeaux : elle marque la naissance de l’APU. À cette occasion, le « groupe des Maos » prépare une banderole, où au lieu d’inscrire « atelier d’urbanisme » comme prévu, est ajouté le terme « populaire ». Le choix du terme « atelier » n’est pas neutre non plus, renvoyant au lieu de travail du monde ouvrier. La naissance de l’APU incarne l’autonomisation de la lutte de l’Alma du cocon de l’APF où il est né. Comme le souligne Joël Campagne : « À partir du moment où les Leman ont accepté que toutes les décisions soient prises le mercredi [à l’APU] et pas à la réunion de l’APF, il n’y a pas eu de tension. »
27Fruit du cocktail idéologique entre catholiques sociaux et maoïstes, l’APU est interclassiste, rassemblant des militants d’origine ouvrière en ascension sociale (les Leman), des jeunes de classe moyenne (les ex- « soixante-huitards ») et la population ouvrière et sous-prolétarienne du quartier. Cela n’empêche pas le collectif d’adopter un discours de classe – qui s’estompe à partir des années 1980 – où l’habitant est pensé comme ouvrier. À ce titre, qualifier les luttes urbaines de combats de classes moyennes, ou aveugles aux rapports de classe, apparaît réducteur dans le cas de l’Alma.
28L’APU est d’abord un lieu d’échanges qui va permettre d’approfondir cette union de classes. Il est incarné par la réunion du mercredi, cœur de l’organisation où se prennent les décisions collectives, qui se tient chaque semaine pendant près de 10 ans, de 1974 à 1983. La valorisation de la délibération collective par l’APU s’incarne plus généralement par la multiplication des réunions et des lieux de débat. Il existe une multiplicité d’espaces de discussion, de commissions (réhabilitation, personnes âgées, immigrées, etc.), de réunions de rue, jusqu’aux conseils d’habitants une fois les travaux achevés au début des années 1980. À son âge d’or, l’Alma est qualifié de « meeting permanent » ou d’« assemblée générale permanente54 ».
29Suite à la réunion avec Clérambeaux, les participants demandent et obtiennent un local pour se réunir, base-arrière primordiale pour la mobilisation. Situé au cœur du quartier, impossible pour qui y habite d’ignorer le local de l’APU. Ancienne boutique, sa vitrine permet de voir ce qui s’y passe et d’y entrer plus facilement que s’il s’agissait d’un lieu fermé. La porte est ouverte et les allers-retours fréquents, comme le souligne le militant d’extrême-gauche Christian Carlier : « Les gens venaient à la réunion et puis restaient une demi-heure et, s’ils s’ennuyaient, ils partaient, et il y en avait d’autres qui venaient parce qu’ils rentraient de leurs courses. »
Illustration 3. La façade de l’APU

©Marc Garanger, cliché de mars 1976.
Le pouvoir de la communauté : la sociabilité locale, vecteur de participation
30Le principe de publicité des réunions incarne une volonté d’inclusion de la population. Mais les organisateurs vont plus loin. Un intense travail de mobilisation informelle est mis en œuvre pour insérer les habitants dans la lutte, comme se souvient Marie-Agnès Leman : « On était sur le marché le mercredi à tour de rôle pour présenter ce qu’on avait fait dans la semaine » ; « il faut des années de lutte. On n’arrive pas à créer un APU comme ça par hasard : c’est parce que pendant des années on a discuté avec les gens, on les a rencontrés, on a créé des comités dans les courées, on a fait du porte-à-porte, on a passé des années à distribuer des tracts, à faire des affiches, à être présents sur les marchés55. » La population est ainsi informée et sensibilisée à la lutte. Comme l’ont montré la sociologie des mouvements sociaux56 et la sociologie électorale57, les relations interpersonnelles, les micro-pressions exercées par les militants ou leaders d’opinion jouent un rôle décisif dans l’engagement des fractions moins politisées de la population. Olivier Quérouil, directeur du centre social, puis chef de projet DSQ, insiste sur le rôle de la militante de l’APF : « Les familles étaient associées par […] tout ce que faisait Marie-Agnès, ses tournées de quartier… Comme elle disait, “aller chercher du pain ça peut prendre trois heures !”… » Dotée d’une forte personnalité, Marie-Agnès Leman jouit d’un capital social local considérable. Il s’agit d’une différence avec nombre de luttes urbaines de l’époque, souvent portées par des acteurs (initialement) extérieurs au quartier58. Pour Raymond Platteau, militant au Pile, autre quartier de Roubaix : « Les Leman habitaient là. C’était leur force. S’ils avaient habité un autre quartier, il ne se serait peut-être pas passé cela. » De fait, leur résidence sur place favorise l’établissement de relations interpersonnelles avec une grande partie de la population. Les militants d’extrême-gauche qui s’allient aux Leman, les maos en particulier, ont eux aussi pour caractéristique d’être implantés dans la ville, voire dans le quartier. Ainsi, Joël Campagne, une des figures les plus influentes du côté des « gauchistes » est roubaisien d’origine :
« J’étais un militant d’extrême-gauche en mal d’organisation. Je faisais partie de La Cause du Peuple, la gauche prolétarienne… Mais c’était terminé. […] Nous étions quand même implantés dans la population, nous n’étions pas aéroportés, ou en tout cas, certains éléments comme moi étaient natifs de Roubaix. »
31L’Alma est souvent comparé à un village au sein duquel les gens se connaissent, discutent dans la rue, au pas de leur porte, dans la cuisine, ou au marché. Myriam Abdi, qui y a grandi dans les années 1970, se souvient :
« Mon rôle à moi, enfin mon travail à moi, c’était de faire les courses des personnes âgées, d’Hélène, Marion, Marcelle… Voilà, j’y allais, je tapais à leur porte, j’allais chercher leur baguette. […] Moi, quand je me souviens de l’Alma, c’est des flashs, que du soleil… On était plein de familles, pourtant pauvres, […] mais heureux, parce que j’étais avec Daniel, j’étais avec Jean-Luc, avec Maria… Il y avait la famille Ribeiro, Djajbil, il y avait des Portugais, il y avait tout. Tout mélangé. […] On se connaissait. Il y avait cette mentalité du village. »
32Si ces souvenirs sont peut-être mythifiés, près de quarante ans plus tard, ils n’en reviennent pas moins souvent chez ceux qui habitaient l’Alma à l’époque.
33Cette sociabilité locale a joué un rôle décisif dans la mobilisation. Participer en groupe et auprès de ses voisins est en effet plus aisé qu’au milieu d’inconnus. Et la sociabilité peut également jouer le rôle de micro-pression informelle à la participation. Non seulement on incite par le bouche-à-oreille à participer, mais on rend aussi compte de cette façon des activités de l’APU – ce qui est important dans un quartier au taux d’analphabétisme élevé : « Certains suivent, par le compte rendu régulier d’une voisine, toutes les activités de l’APU sans n’avoir jamais participé à aucune réunion de cet organisme59. » La circulation de l’information, en amont et en aval des réunions, se fait largement oralement. Ces sollicitations informelles sont permanentes, comme le confirment en entretien des habitants de l’Alma, membres plus intermittents de l’APU pour certains :
« – Abrahama Hallot : Le mercredi soir, c’était le bouche-à-oreille… aujourd’hui on dit : c’est le téléphone arabe ! […] “Toi, tu vas le dire à telle personne…”
– Ahcène Harfouni : On passait des invitations sous les portes…
– Abrahama Hallot : C’était comme une boule de neige : tout le monde le savait. »
Un espace de construction d’une identité collective
34La réunion du mercredi est l’espace où sont prises la plupart des décisions importantes : les actions collectives à organiser, les positions à adopter à destination des autorités locales ou relatives au plan du futur quartier. Elle est également un lieu central d’information pour les habitants. Les participants sont entre une dizaine en temps normal et une quarantaine « dans les périodes où ça a chauffé » (C. Carlier). Si ces chiffres peuvent paraître faibles dans un quartier qui compte environ 3000 habitants à l’époque, les réunions sont toutefois marquées par un fort turn-over, si bien que le nombre de personnes effectivement touchées est au final bien plus important.
35Si tous les habitants peuvent prendre la parole à la réunion du mercredi, ils la prennent cependant moins que les militants. Et plus les situations de prise de parole sont publiques (notamment lors des rencontres avec la municipalité), moins ils la prennent. On pourrait alors considérer que les habitants sont « parlés » par les représentants auto-institués de l’APU. Le principe délégataire étant rejeté par ses membres, il n’existe pas de pratiques représentatives formelles au sein de l’organisation : « L’APU ne représente pas les habitants, elle est les habitants60. » L’objet de la réunion du mercredi est dès lors peut-être tout autant l’émergence d’une « opinion publique du quartier », l’adoption des décisions collectives, que la constitution d’un collectif soudé face à la municipalité. Comme le dit Joël Campagne : c’était un « lieu de fusion entre les gens du quartier et les militants ». La réunion en vient à incarner l’identité même du groupe, l’APU, et ce faisant celle du quartier. Joël Campagne ajoute :
« Sur un quartier de 5000 habitants maximum, vous avez un lieu fixe, où on savait que c’est là que se réunissent les gens, l’APU, et que c’est tous les mercredis à 19 heures, et qu’il pleuve, qu’il vente, qu’il neige, vous savez qu’il y aura des gens, et vous savez qu’il faut aller râler si vous voulez obtenir gain de cause. […] C’est un point fixe. […] La réunion du mercredi, elle a scandé tout ça. C’était le point qui donnait le rythme. »
36L’institutionnalisation de la réunion l’a transformée en rituel démocratique de quartier contribuant à façonner son identité. En ce sens, il serait réducteur d’analyser la construction politique de cette identité collective comme étant le produit des seuls militants61 – celle-là passe aussi par la référence à une mémoire collective ouvrière, par l’usage du « nous » et la désignation d’adversaires. Le travail symbolique de construction de l’identité est aussi réalisé de façon collective dans le cadre des réunions. Construite collectivement et publiquement en assemblée, cette identité est perçue comme légitime par les habitants. Ainsi, si le principe délégataire est rejeté par l’APU, les membres du premier cercle peuvent néanmoins parler légitimement au nom du groupe – notamment lors des rencontres avec la municipalité – puisque la parole de celui-ci a été formée collectivement, en amont.
37Surtout, parler au nom du groupe de manière légitime, et ce sans avoir été formellement autorisé pour cela, relève d’une forme d’alchimie démocratique, d’une fusion entre les représentants et les représentés qui tient à la nature des relations qu’ils entretiennent. On peut à ce titre, à la suite de Francesca Polletta, parler de « démocratie dans la relation62 ». La légitimité des porte-parole, et en particulier des Leman, découle de leur enracinement dans le quartier, leur dévouement pour la cause et les contacts quotidiens avec la population déjà évoqués. « Les Leman, le quartier c’était eux, une sorte d’osmose entre eux et le quartier. Donc, Marie-Agnès, elle n’avait plus de problème de légitimité : elle pensait que quand elle parlait, c’était les gens du quartier qui parlaient » (J. Campagne). Si certains parlent davantage que d’autres en réunion, ils peuvent le faire car ils connaissent les problèmes des habitants, les partagent en partie, et peuvent dès lors aussi les énoncer publiquement en leur nom. Si les habitants sont souvent « parlés », ils ne se sentent pas usurpés de leur parole. Cette capacité à parler au nom du groupe tient notamment à la proximité physique, sociale et affective qui rend la représentation légitime, comme le souligne Saïd Bouamama : « Une des caractéristiques de cette expérience était l’absence de coupure entre “dirigeants” et “dirigés”. Les porte-paroles que le mouvement s’était choisi parlaient le même langage que la population car ils étaient eux-mêmes des gens du quartier63. » Comme l’a souligné Melissa Williams par ailleurs, la relation de représentation est avant tout une question de confiance64. À l’Alma, l’identification et la proximité de la population avec les porte-parole permettent à ces derniers de jouer légitimement leur rôle de délégués par la suite. Si cette prétention à parler au nom du quartier a parfois été contestée, ce n’est que de façon marginale. Nous n’avons ainsi retrouvé que quelques lettres d’habitants, isolés, écrivant à la municipalité pour critiquer l’APU65.
38Au final, l’APU semble reconnu comme la voix du quartier, aussi bien par la municipalité – il s’agit précisément d’un des objets de la lutte – que par la majorité des habitants. Et la réunion du mercredi a indéniablement joué un rôle important dans l’assise démocratique locale de l’organisation. Son importance témoigne alors du fait qu’ici, « il n’y a pas déconnexion entre espace public et territoire », pas de « désarrimage par rapport à une localisation donnée66 ». Si l’espace public est souvent pensé depuis la période révolutionnaire comme ayant perdu sa dimension localisée – cette absence de localisation étant même vue comme condition sine qua non de son existence – ici, la composante territoriale de l’espace public est manifeste dans le lieu de réunion qu’est le local de l’APU. Il fait alors songer à ce qui a pu être écrit de l’agora grecque, comme « centre qui représente tout ce qui est “commun”67 » ; un lieu spécifique, public, qui « est à la fois l’espace commun et l’espace politique68 ».
39L’ancrage local s’avère donc décisif à deux égards. Il permet d’abord une interaction quasi-quotidienne avec la population, le quartier étant encore marqué par une forte sociabilité que cherchent précisément à préserver les habitants. Ces interactions, facilitées par la présence d’espaces spécifiques, s’avèrent cruciales en ce qu’elles permettent à la fois la remontée de l’information vers les militants les plus actifs, mais aussi, à ces derniers de mobiliser les habitants dans le cadre d’actions collectives. La force de la mobilisation n’aurait pas été telle si elle n’avait pu s’appuyer sur les liens de confiance réciproque noués dans le quartier. À un second niveau, cet ancrage local des militants est essentiel dans la mesure où il leur permet de parler de façon légitime au nom du groupe – les « habitants » – et du quartier. « Nous sommes l’Alma-Gare » est l’un de leurs mots d’ordre. Alors que dans une seconde phase du conflit, les discussions avec les pouvoirs publics se multiplient pour affiner le projet de réhabilitation, des mécanismes de délégation se développent. Ils auraient pu mettre à mal la relation entre les représentants et la population du quartier, se sentant dépossédée et « parlée par » les militants. Mais, ici, l’ancrage local et le capital d’autochtonie de ces derniers viennent contrecarrer ces mécanismes délégataires. Quelques années plus tard, alors que le quartier a été réhabilité, c’est précisément le délitement des interactions ordinaires de sociabilité et la disparition de la réunion du mercredi qui entraînent l’éloignement du collectif militant de la majorité des habitants69.
La connaissance du territoire comme ressource cognitive dans un rapport de force
40L’existence d’un collectif soudé ne suffit pas à peser sur les décisions de façon à faire céder les pouvoirs publics. Une autre ressource essentielle, le savoir, va changer de camp à l’Alma. En passant par la production d’une connaissance alternative du territoire, sur laquelle repose le contre-projet de rénovation proposé, le collectif habitant finit par l’emporter. Ce retournement du rapport de force cognitif, permis par l’équipement technique de la mobilisation tout en s’appuyant sur la connaissance de l’espace par les habitants, est un moment critique du conflit. La connaissance de l’espace par les acteurs eux-mêmes, loin d’être seulement un élément de valorisation du savoir d’usage, a des effets sur la distribution concrète du pouvoir.
« On ne sait rien. On n’est rien70 » : du dénuement au soutien logistique d’experts dédiés
41Dès le début des années 1970, l’APF, les Leman en particulier, cherchent à ce que les rencontres avec les élus puissent aboutir à un partage d’informations tangibles, pour « [permettre] aux familles ouvrières de mieux comprendre l’importance de l’enjeu d’une rénovation71 ». De fait, les habitants ne savent longtemps pas ce qu’ils vont devenir, s’ils vont devoir quitter le quartier, comment ils seront relogés ou si leurs maisons seront réhabilitées. Alors que la population parle facilement de ses conditions de vie, de son expérience, elle n’a que peu à dire, au départ, de l’opération à proprement parler, car elle en sait peu sur sa nature précise. Les relations entre acteurs « ne sont pas d’échange mais de domination », notent les auteurs d’un rapport de 1975, mettant en relief « la fonction d’ignorance dont tout système institutionnel s’entoure et se protège72 ».
42La formation de l’APU en 1974 a alors pour but de mettre en cause le déséquilibre en matière d’information entre les décideurs et la population. Il ne s’agit pas simplement de fournir une information unilatérale des décideurs-aménageurs vers les habitants – qui existait déjà partiellement, afin de faire passer plus facilement l’idée de démolition/reconstruction73 – mais de mettre les habitants en situation de décrypter cette information et de donner un avis techniquement fondé, en amont des décisions. Les premiers contacts entre l’APU et les architectes urbanistes de l’ABAC sont noués fin 1974. Une collaboration est envisagée, mais il faut encore trouver un financement ; ce qui va être fait grâce aux réseaux catholiques des Leman. Le financement initial de l’aide technique, pour un an, se fait par l’intermédiaire d’André Diligent, élu centriste roubaisien (vice-président du CDS, Centre des démocrates sociaux, et futur maire de la ville, élu en 1983), qui met l’APU en contact avec le Secrétaire d’État au Logement, Jacques Barrault. L’opposition centriste locale et la filière catholique qui lui est associée jouent donc un rôle dans le renforcement de l’APU face aux projets de la mairie, socialiste. Ce financement par l’État est idéal. De fait, alors que la capacité critique des associations est souvent sapée par leur dépendance financière aux collectivités locales74, à l’Alma, l’autonomie est assurée par l’externalité des soutiens – du moins au début.
43Les techniciens de l’ABAC sont intéressés par l’idée de développer une nouvelle forme de travail d’urbaniste-architecte. On a affaire à « un groupe de jeunes architectes, sociologues et techniciens parisiens, lassés de travailler pour le secteur public sur des projets qu’ils jugeaient trop technocratiques75 ». Ils partagent des points communs avec les militants de l’APU :
« une perspective urbaine défendant la valeur d’usage de l’espace par rapport à sa valeur d’échange ; une croyance en la recherche sociale appliquée ; et une pratique du travail coopératif qui voit l’expertise technique comme une ressource destinée à être modifiée par la discussion avec les habitants locaux, plutôt que comme une arme pour dominer cette discussion76. »
44Ils s’attaquent au « grand partage » entre experts et profanes : « On veut remettre en question l’enfermement du spécialiste, l’isolement de tout un chacun, ne pas reprendre l’opposition compétent/incompétent77. »
La production d’une contre-expertise
45Une des premières actions importantes de l’aide technique est de recalculer l’insalubrité réelle du bâti, élément essentiel à la justification des plans du futur quartier. L’ABAC lance l’idée de créer des « fiches de santé » des maisons, au sein du groupe de travail « réhabilitation ». Elles sont remplies par les habitants, parfois avec l’aide d’un militant de l’APU ou d’un technicien de l’ABAC (l’analphabétisme étant fréquent). Ces fiches ont joué un rôle pédagogique78. Comme le note l’architecte Pastrana, la démarche permet que « la population puisse prendre en charge l’analyse du bâti », de « mettre les gens en position de pouvoir juger eux-mêmes de la qualité de leur propre maison », mais aussi de « démystifier » le rôle des techniciens79.
46Le remplissage de ces fiches est l’occasion pour les architectes de visiter l’ensemble du quartier. Comme le souligne encore Pastrana :
« Cette histoire de fiches, c’était génial, parce qu’on est rentré partout. […] Ces fiches ont été remplies par 95 % de la population […]. Tout à coup, il y avait des choses très concrètes ! Ça, c’était l’habitat, c’était leur logement, c’était leur quotidien, fondamentalement. Et, du coup, une confiance. […] Les résultats ont été carrément l’opposé [de ce qu’affirmaient les techniciens des pouvoirs publics] : c’était 60-40, 60 % en bon état, 40 % en mauvais état. »
47La proportion de logements considérés insalubres est ainsi de 20 % moindre que celle définie par la SAEN et la municipalité. Ces fiches permettent d’intégrer la connaissance intime qu’ont les habitants de leur lieu de vie à la conception du futur plan du quartier, mais aussi de légitimer « scientifiquement » les vœux de la population d’une réhabilitation plus douce. Il s’agit d’un élément essentiel dans le retournement du rapport de force. Au-delà de la mise en valeur du savoir d’usage des habitants, c’est ainsi l’expertise scientifique qui change de camp. On est ici dans une configuration proche de l’« expertise citoyenne » telle que décrite par Héloïse Nez, lorsqu’à propos des questions d’urbanisme aujourd’hui, elle évoque le fait que des « associations peuvent mobiliser au sein des dispositifs participatifs une “contre-expertise”, réalisée en interne ou en faisant appel à des experts extérieurs, lorsqu’elles souhaitent décloisonner le débat et l’ouvrir au-delà du cercle habituel des décideurs80 ».
48Début 1977, ces différents éléments sont formalisés sur une carte produite par l’ABAC : la « carte-affiche », plan de rénovation du quartier différent de celui proposé par les techniciens de la mairie et de la SAEN. Lorsque le projet est présenté par Pastrana en mairie, il suscite l’embarras des personnes présentes du côté des décideurs comme de la SAEN ; Pierre Lemonier, chargé de la question de l’Alma au sein de la SAEN, vient en effet de présenter son projet. Pastrana précise alors : « On a essayé de traiter les choses de façon différente81. » La carte-affiche n’a pas été réalisée par les techniciens « dans le secret de leurs bureaux82 », mais par des réunions régulières. Dans un texte coécrit par un membre de l’APU et l’équipe ABAC, la réalisation de la carte-affiche est présentée comme « la phase idyllique », « un brassage fascinant où la distance s’estompe entre l’habitant et le technicien83 ». Elle a été rendue possible par la présence d’un espace physique au cœur du quartier, la « maison des techniciens84 », où les habitants peuvent venir présenter leurs points de vue, commenter la carte, qui a une existence matérielle concrète, sur laquelle ils peuvent avoir prise, pointer leur maison, indiquer une rue, etc. Les architectes ont aussi participé à de nombreuses réunions de rue : une dizaine en mars 197785, chaque fois dans un lieu différent86.
Illustration 4. La carte affiche

Archives de l’APU
49Les architectes étaient souvent présents à l’Alma, y dormant parfois ; et l’un d’entre eux y résidait de façon permanente. Le maintien des mêmes techniciens pendant plusieurs années, leur présence sur place plusieurs jours par semaine, et les très nombreuses réunions de travail qu’ils ont tenues avec les habitants87, ont créé les conditions d’une influence significative. Cette présence régulière était pensée comme nécessaire : « La méthode de travail adoptée est la présence sur place à plein-temps d’un permanent, plus un roulement des présences et la constitution avec l’APU de groupes de travail sur différents thèmes, ayant surtout pour vocation d’être prétextes à la parole et de dépasser leur cadre strict88. » À l’image de la résidence locale des militants, qui permet d’établir une confiance suffisante avec les habitants pour parler en leur nom, la présence régulière des techniciens a créé les conditions sociales d’une confiance réciproque et d’un véritable échange.
Conclusion
50À l’Alma, un lieu – ici, un quartier – apparaît à la fois comme le support, le mobile et le principal enjeu du conflit. L’espace en tant que construit social n’est pas simplement un arrière-fond contextuel de la lutte, mais participe pleinement de la dynamique constitutive de la mobilisation. Le rapport à l’espace est cependant différent selon les acteurs en présence.
51Pour les habitants historiques du quartier, l’autochtonie peut être considérée comme un moteur d’engagement. Il faut toutefois éviter tout spontanéisme à cet égard, qui ferait de l’attachement au quartier le vecteur automatique de l’engagement. L’autochtonie est bien plutôt ici travaillée par la lutte. L’attachement au quartier est autant le produit que la source de la mobilisation. Les militants s’attèlent en effet en permanence à valoriser le territoire et ses habitants, en mythifiant les liens de solidarité qui les caractérisent. Ce travail symbolique pour construire positivement l’image du quartier n’a pu fonctionner que parce qu’il résonnait, au moins pour partie, avec l’expérience ordinaire des résidents qui, par les relations sociales denses qu’ils entretenaient, formaient une communauté d’expérience relativement soudée. Ce n’est pas la communauté de quartier ni le seul travail politique des militants qui permettraient mécaniquement la mobilisation : ce sont bien les interactions entre les deux qui ont ici débouché sur une « victoire ».
52L’autochtonie est aussi une ressource pour les militants les plus actifs, habitants plus récents du quartier et marqués par une origine sociale moins populaire que les autres. Ici l’enracinement local leur permet de parler au nom des habitants et d’être perçus comme légitimes pour le faire. Mais l’habiter n’est pas suffisant : il n’est que le support d’un ensemble de pratiques qui viennent affirmer la présence sur le territoire des militants. Le temps passé sur le terrain, à mobiliser les habitants, mais également dans des moments plus ordinaires de sociabilité, fonde la légitimité des militants les plus investis. Les propriétés sociales de ces derniers, le fait en particulier que le couple Leman ait des origines ouvrières, a permis cette osmose avec les habitants, qui autrement aurait pu paraître plus artificielle. On retrouve un phénomène similaire chez les architectes de l’ABAC, dont les pratiques urbanistiques sont intimement ancrées dans le territoire, à l’aide des réunions de rue et de la constitution des fiches de santé des maisons. Ici l’ancrage local sert de support non à la légitimité politique, mais à la légitimité technique des experts. Ce faisant, il devient une arme essentielle dans la lutte, assurant le retournement du rapport de force en faveur des habitants.
53La rénovation du quartier, qui suit pour partie les revendications de l’APU, va modifier ces paramètres. La population de l’Alma évolue au début des années 1980, de nouveaux habitants s’y installent, mais surtout elle peine à se stabiliser, le turnover y étant important, ce qui va fragiliser les réseaux de sociabilité existants. La nouvelle forme urbaine, où des coursives et des immeubles de petite taille ont remplacé les courées, accentue ces difficultés. La dégradation des relations de voisinage et la montée du chômage rendent moins évidente la valorisation d’un quartier ouvrier. Dès lors, le travail militant se fait plus difficile et décline peu à peu, au gré de l’usure des leaders. À mesure que la mobilisation s’étiole, l’APU peine à incarner l’identité collective du quartier89. Ce déclin confirme à quel point c’est l’entrelacement et l’osmose entre le collectif militant et les propriétés sociales et spatiales du quartier qui ont permis une mobilisation exceptionnelle pendant quelques années. L’approche écologique de l’engagement défendue ici révèle par conséquent à quel point l’analyse des dynamiques d’action collective requiert de penser la façon dont les propriétés spatiales d’un territoire façonnent les relations sociales et, ce faisant, les conditions de félicité du travail militant.
Notes de bas de page
1 Retière Jean-Noël, « Autour de l’autochtonie. Réflexions sur la notion de capital social populaire », Politix, vol. 16, no 63, 2003, p. 121-143 ; Renahy Nicolas, « Classes populaires et capital d’autochtonie », Regards sociologiques, no 40, 2010, p. 9-26.
2 Collectif Rosa Bonheur, « Comment étudier les classes populaires aujourd’hui ? Une démarche d’ethnographie comparée », Espaces et sociétés, no 156-157, 2014, p. 139.
3 Cf. notamment Gadras Simon et Paillart Isabelle, « Les territoires et les médias dans la construction de l’espace public », in Noyer Jacques, Raoul Bruno et Paillart Isabelle (dir.), Médias et territoires. L’espace public entre communication et imaginaire territorial, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2013, p. 32-33. Dans les années 1970, « le local, défini et surtout vécu comme contre-pouvoir apparut comme le lieu où réaliser le “possible-impossible” changer la vie ». Cf. Mattelart Armand et Mattelart Michèle, Penser les médias, Paris, La Découverte, 1986, p. 175.
4 Cherki Eddy et Mehl Dominique, « Quelles luttes ? Quels acteurs ? Quels résultats ? », in « Contre-pouvoirs dans la ville », Autrement, no 6, 1976.
5 Le nom du quartier, Alma-Gare, désignant le territoire compris entre la rue de l’Alma et la gare, au Nord de la ville, est souvent simplifié en « Alma ».
6 Zhao Dingxin, cité dans Hmed Choukri, « Des mouvements sociaux “sur une tête d’épingle” ? Le rôle de l’espace physique dans le processus contestataire à partir de l’exemple des mobilisations dans les foyers de travailleurs migrants », Politix, vol. 21, no 84, 2008, p. 149.
7 Gould Roger, Insurgent Identities : Class, Community, and Protest in Paris from 1848 to the Commune, Chicago, University of Chicago Press, 1995.
8 Pour une critique, voir Massey Doreen et Allen John (ed.), Geography Matters, Cambridge, Cambridge University Press, 1984 ; Hmed Choukri, « Des mouvements sociaux “sur une tête d’épingle” ?… », art. cité, (cf. note 6 p. 36).
9 Collovald Annie et Mathieu Lilian, « Mobilisations improbables et apprentissage d’un répertoire syndical », Politix, vol. 22, no 86, 2009, p. 119-143.
10 Sur l’histoire de la croissance de l’industrie et de la population de Roubaix et le développement des courées et forts : Miller Michael James, « Le “quartier” comme enjeu social et politique : Alma-Gare dans les années 1970 », Genèses, vol. 3, no 48, p. 77-99.
11 Voir notamment Petillon Chantal, La population de Roubaix : Industrialisation, démographie et société 1750-1880, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2006.
12 Tellier Thibault, « Le développement urbain de Roubaix dans la première partie du xxe siècle », in David Michel, Duriez Bruno, Lefebvre Rémi et Voix Georges (dir.) Roubaix. 50 ans de transformations urbaines et de mutations sociales, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2006, p. 41.
13 Photo tirée d’un rapport sur l’insalubrité à Roubaix vers 1950. Médiathèque municipale de Roubaix : Exposition « Le Nord de Maxence Van der Meersch ».
14 Le quartier est largement peuplé d’ouvriers, de retraités de l’industrie et de chômeurs. La population d’origine étrangère y est par ailleurs importante. D’après une étude de 1973, 26 % des habitants sont d’origine algérienne ou marocaine et 18 % sont des immigrés d’autres pays, principalement l’Espagne, le Portugal et l’Italie. Cf. Archives de l’observatoire urbain/199 : Orsucomn, Étude sociodémographique Alma-Gare, réalisée par le GERHA, 1973.
15 Galloo Françoise, Jacob Pierre, Tricart Jean-Paul et de Villanova Anne, La résorption de l’habitat insalubre, éléments pour une théorie de services, CRESGÉ, Lille, 1976, p. 93, 153.
16 Équipement-Logement-Transports, no 91, 1975, cité dans ibid.
17 Galloo Françoise et al., La résorption de l’habitat insalubre, op. cit., p. 50-51.
18 Archives départementales du Nord (ADN) / 2679 W 258 / Archives de la SAEN : numéro « Spécial Logement », APF, mai 1969.
19 Galloo Françoise et al., La résorption de l’habitat insalubre, op. cit., p. 81.
20 Lemonier Pierre, cité dans Groc Isabelle et Doumenc Ivan, Entre habitants et institutions. Les associations des quartiers en difficulté à la recherche de leur identité : Roubaix, l’Alma-Gare, New York, le South Bronx, Paris, Experalliance, 1995, p. 75.
21 Miller Michael James, « Le “quartier” comme enjeu social et politique », art. cité.
22 Wieviorka Michel, « Luttes urbaines : leurs acteurs et les chercheurs », Revue internationale d’action communautaire, no 4, Automne 1980, p. 149-154.
23 Dans un autre contexte, M. L. Small a montré, concernant la rénovation d’un quartier d’habitat social à Boston, que le rapport et la perception du quartier par les habitants constituent des éléments décisifs dans la structuration de la participation. Alors que dans la première période qu’il étudie les habitants étaient fiers d’un quartier qu’ils voyaient comme un espace d’intégration et de promotion sociale, la génération suivante y voit un ghetto à fuir, ce qui sape les bases de tout engagement (Small Mario Luis, Villa Victoria. The Transformation of Social Capital in a Boston Barrio, Chicago, University of Chicago Press, 2004).
24 Archives de l’APU : texte dactylographié, « Roubaix », n. s., s. d. (vraisemblablement du début des années 1980).
25 L’Atelier, no 1, 1976. Cité dans Verbraeckel Éric, L’Atelier Populaire d’Urbanisme de l’Alma-Gare à Roubaix, maîtrise de sociologie, UFR de sciences économiques et sociales, USTL, 1980, p. 41.
26 Rouet Gilles, « Esthétique de l’action citoyenne ? », in Rouet Gilles (dir.), Mobilisations citoyennes dans l’espace public, Paris, Harmattan, 2013, p. 12-14.
27 Cossart Paula et Talpin Julien, Lutte urbaine. Participation et démocratie d’interpellation à l’Alma-Gare, Vulaines-sur-Seine, Le Croquant, 2015.
28 Krastanova Radosveta, « Les nouvelles mobilisations urbaines. Humaniser et esthétiser les espaces », in Rouet Gilles (dir.), Mobilisations citoyennes dans l’espace public, op. cit., p. 21.
29 Lefebvre Henri, La production de l’espace, Paris, Anthropos, 2000, p. 48-49. Voir aussi Martin Jean-Yves, « Une géographie critique de l’espace du quotidien. L’actualité mondialisée de la pensée spatiale d’Henri Lefebvre », Articulo. Journal of Urban Research, no 2, 2006, [http://articulo.revues.org/897] ; Piettre Alexandre, « Entre l’urbain et le social, un espace politique ? », L’Homme et la société, vol. 2, no 160-161, 2006, p. 104-105.
30 Slogan de l’APU, 1975, cité dans Autès Michel, Desbois-Grière Evelyne, Jacob Pierre et Tricart Jean-Paul, Information et pédagogie de l’habitat. Le cas de la rénovation du quartier Alma-Gare à Roubaix, Lille, CRESGÉ, 1975, p. 77.
31 Notes manuscrites, 1966-1973. Archives de l’APU : Schéma de montage audiovisuel. 1980.
32 Journal de l’APU, cité dans Gaétane Lamarche-Vadel et Ariane Cotlenko, « Alma-Gare : le singulier et le politique », Autrement, vol. 6, 1976, p. 65.
33 Archives de l’APU : texte sans titre, CSCV APU, 21 février 1982.
34 Ibid. : Texte sans titre, n. s., s. d.
35 Pierrard Pierre, Launay Michel et Trempe Rolande, La JOC, regards d’historiens, Paris, Éditions ouvrières, 1984.
36 Tellier Thibault « Militantisme de l’habitat et engagement chrétien. De la JOC à l’Association Populaire des Familles », in Philippe Guignet et Jean-François Chanet (dir.), Jeunesse, éducation et religion au xxe siècle, en mémoire à Alain-René Michel, Revue du Nord, vol. 23, 2009, p. 169.
37 Le groupe ABAC et un membre de l’APU, « Roubaix : le quartier de l’Alma-Gare », op. cit., p. 206.
38 Gontcharoff Georges, « La participation conflictuelle du quartier de l’Alma-Gare à Roubaix », Correspondance municipale, vol. 182-183, 1977, p. 49.
39 Schuman Tony, « Architecture and Daily Life : The Revitalization of a French Neighborhood », Places, vol. 2, no 1, p. 8.
40 Outre les entretiens avec les Leman, nous nous appuyons ici sur Dupuy Sylvie et Giacobbe Nicole, L’Alma-Gare. À la croisée du temps, Médina, Rapport pour le ministère de l’Équipement et du Logement, 1989, p. 31-35.
41 « Les solidarités en actes. Services collectifs et expression des usagers dans le Mouvement populaire des familles 1940-1955 », Les Cahiers du GRMF, vol. 11, 2002 ; Loiseau Dominique et Dussuet Annie, « Mouvements familiaux entre logique de service et logique d’autogestion (1945-2000) », in Georgi Frank (dir.), Autogestion : la dernière utopie ?, Paris, Publications de la Sorbonne, 2003, p. 574-577.
42 Le PACT (association de Propagande et Action Contre les Taudis) gère des logements pour des ménages en situation très précaire, et possède une partie des maisons vouées à la démolition.
43 Citée dans Dupuy Sylvie et Giacobbe Nicole, L’Alma-Gare, op. cit., p. 33.
44 Ibid., p. 34.
45 Noyer Jacques et Raoul Bruno, « Introduction générale », in Noyer Jacques, Raoul Bruno et Paillart Isabelle (dir.), Médias et territoires, op. cit., p. 11-12.
46 La loi de 1948 distingue les logements neufs de ceux construits avant cette date. Ces derniers (la quasi-totalité du parc immobilier de l’Alma) sont classés selon leurs équipements et confort. Ce classement permet de déterminer le montant de loyer que le propriétaire peut exiger. En démontrant qu’un logement n’est pas décent et en le faisant rétrograder de catégorie, on permet au locataire de diminuer son loyer.
47 L’ORSUCOMN – Organisme régional pour la suppression des courées dans la métropole nord – créé en 1969, est chargé de préparer et de coordonner la libération des sols au moindre coût et de reloger les habitants. Agent de la résorption de l’habitat insalubre à l’Alma, il est notamment habilité à recevoir les crédits bidonville de la part de l’État.
48 APU – CSCV, « La démarche au quotidien », in Roubaix Alma-Gare. Lutte urbaine et architecture, Paris, Éditions de l’Atelier d’Art Urbain, 1982, p. 22.
49 Dupuy Sylvie, « L’Alma-Gare. De l’utopie à la procédure », in Marin Yvette (dir.), Les utopies de la ville, Cahiers du Crehu, no 10, 2002, p. 264.
50 Leman Roger, cité dans Dupuy Sylvie et Giacobbe Nicole, L’Alma-Gare. À la croisée du temps, op. cit., p. 47.
51 Tissot Sylvie, « Reconversions dans la politique de la ville : l’engagement pour les “quartiers” », Politix, vol. 18, no 70, 2005, p. 81.
52 Voir Martor Amandine et Haute Tristan, « L’implication des “gauches alternatives” : retour sur la mobilisation autour du projet de réhabilitation du quartier de l’Alma-Gare à Roubaix (Nord) », communication au congrès de l’AFSP, Aix-en-Provence, 2015.
53 On renvoie ici à l’analyse des mécanismes de domination politique dans l’espace public présentée selon l’alternative formulée par Bourdieu entre « se taire ou être parlé ». Cf. Bourdieu Pierre, « La délégation et le fétichisme politique », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 52-53, 1984.
54 Expressions récurrentes dans les propos des acteurs, elles sont aussi reprises dans Bachmann Christian et Le Guennec Nicole, Violences urbaines. Ascension et chute des classes moyennes après cinquante ans de politique de la ville, Paris, Hachette, 1996, p. 289.
55 Citée dans Dupuy Sylvie et Giacobbe Nicole, L’Alma-Gare. À la croisée du temps, op. cit., p. 64, 50.
56 Oberschall Anthony, Social Conflict and Social Movements, Englewood Cliffs, Prentice Hall, 1973 ; Sawicki Frédéric et Siméant Johanna, « Décloisonner la sociologie de l’engagement militant. Note critique sur quelques tendances récentes des travaux français », Sociologie du travail, vol. 51, no 1, 2009, p. 97-125.
57 Braconnier Céline et Dormagen Jean-Yves, La démocratie de l’abstention. Aux origines de la démobilisation électorale en milieu populaire, Paris, Gallimard, 2007.
58 Busquet Grégory, « Question urbaine et droit à la ville », Mouvements, vol. 2, no 74, 2013, p. 113-122.
59 Autès Michel et al., Information et pédagogie de l’habitat, op. cit., p. 87.
60 ABAC, Recherche sur la programmation du quartier d’Alma-Gare à Roubaix. Rapport final, ministère de l’Équipement, direction de la Construction, 1978, p. 54. À noter que l’APU refuse le statut d’association loi 1901 jusqu’en 1978. Mais, même par la suite, elle n’aura ni Conseil d’Administration, ni bureau, ni président, la réunion du mercredi demeurant le seul espace de décision. Notons toutefois l’existence d’un « permanent-habitant », position d’abord occupée par C. Carlier, puis par R. Leman.
61 Miller Michael James, « Le “quartier” comme enjeu social et politique », art. cité.
62 Polletta Francesca, Freedom is an Endless Meeting, Chicago, University of Chicago Press, 2002, p. 199-201.
63 Bouamama Saïd, « Alma-Gare. Un vrai moment démocratique », Territoires, no 431, 2002, p. 24.
64 Williams Melissa, « The Uneasy Alliance of Group Representation and Deliberative Democracy », in Kymlicka Will et Norman Wayne (ed.), Citizenship in Diverse Societies, Oxford, Oxford University Press, 2000, p. 124-152.
65 Archives de l’Observatoire Urbain (AOU) / Alma 04 : Lettre anonyme d’un habitant, à B. Carton, 16 novembre 1977.
66 Introduction à « Partie I : Espace public, média, territoire : l’hybridité du politique et du territorial », in Noyer Jacques, Raoul Bruno et Paillart Isabelle (dir.), Médias et territoires, op. cit., p. 20.
67 Vernant Jean-Pierre, Mythes et pensées chez les Grecs, Paris, Maspero, 1965, p. 180.
68 Gadras Simon et Paillart Isabelle « Les territoires et les médias dans la construction de l’espace public », in Noyer Jacques, Raoul Bruno et Paillart Isabelle (dir.), Médias et territoires, op. cit., p. 24-25.
69 Voir Cossart Paula et Talpin Julien, Lutte urbaine, op. cit., ch. 6
70 Autès Michel et al., Information et pédagogie de l’habitat, op. cit., p. 79.
71 AOU/199 : Lettre de l’APF signée par R. Leman à L. Clérambeaux (CUDL), février 1974 (suivie de la réponse de Clérambeaux du 11 février).
72 Autès Michel et al., Information et pédagogie de l’habitat, op. cit., p. 5.
73 Cf. p. ex. : ADN / 2330 W 17 / Dossier : ORSUCOMN / SAEN : « Une des missions de l’ORSUCOMN : informer » (s. d., mais vraisemblablement texte daté du tout début des années 1970).
74 Hély Mathieu, Les métamorphoses du monde associatif, Paris, PUF, 2009.
75 Groc Isabelle et Doumenc Ivan, Entre habitants et institutions, op. cit., p. 145.
76 Schuman Tony, « Architecture and Daily Life », op. cit., p. 9. Sur le fait que « le “dispositif” population/ techniciens fonctionne […] sur une valeur d’usage de l’espace », voir ABAC, « Concertation et contestation, l’APU et l’aménagement du quartier Alma-Gare à Roubaix », Cahiers du GRECOH, no 21, 1978, p. 70.
77 ABAC, Recherche sur la programmation du quartier d’Alma-Gare à Roubaix, op. cit., p. 101, 103.
78 Ibid., p. 120.
79 BNF/ « Alma-futur : la production collective d’un quartier à Roubaix », 1977-1978, vidéo no 3 : « Des habitants urbanistes : la population et ses techniciens ». Auteure : Y. Mignot-Lefebvre, Production et réalisation : Vidéo 00. Diffusion : Mon œil.
80 Nez Héloïse, « Nature et légitimités des savoirs citoyens dans l’urbanisme participatif. Une enquête ethnographique à Paris », Sociologie, 2011, p. 387-404. Sur la typologie des savoirs citoyens, voir Sintomer Yves, « Du savoir d’usage au métier de citoyen ? », Raisons politiques, 2008, no 31, p. 115-134 ; Deboulet Agnès et Nez Héloïse, « Les savoirs citoyens au défi : vers une démocratie urbaine ? », in Deboulet Agnès et Nez Héloïse (dir.), Savoirs citoyens et démocratie urbaine, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2013, p. 9-27.
81 BNF / « Alma-futur : la production collective d’un quartier à Roubaix », 1977-1978, vidéo no 1 : « Les étapes de la production du quartier par ses habitants ». Auteure : Y. Mignot-Lefebvre. Production et réalisation : Vidéo 00. Diffusion : Mon œil.
82 L’Atelier, no 2-3, 1er mai 1977.
83 Le groupe ABAC-Paris et un membre de l’APU-Roubaix, « Roubaix : le quartier de l’Alma-Gare », op. cit., p. 216.
84 Cf. p. ex. : « Dans le quartier Alma-Gare, la “Maison des techniciens” a été inaugurée samedi », La Voix du Nord, 21 décembre 1976. Il s’agit d’une maison abandonnée, prêtée par la SAEN.
85 L’Atelier, no 2-3, 1er mai 1977.
86 ABAC, Recherche sur la programmation du quartier d’Alma-Gare à Roubaix, op. cit., p. 126.
87 APU-CSCV, « La démarche au quotidien », in Roubaix Alma-Gare. Lutte urbaine et architecture, op. cit., p. 22.
88 ABAC, « Concertation et contestation », op. cit., p. 69.
89 Pour plus de détails, voir Cossart Paula et Talpin Julien, Lutte urbaine, op. cit., ch. 6.
Auteurs
Docteure en science politique et maîtresse de conférences en sociologie à l’université de Lille (CeRIES). Ses recherches portent sur la sociologie historique de la démocratie participative et la généalogie des dispositifs délibératifs. Elle s’intéresse actuellement aux expériences passées et présentes de communalisme. Elle a notamment publié : « Le communalisme comme “utopie réelle” », Participations, vol. 19, no 3, 2017 ; « Participer aux États-Unis : les town meetings », Participations, vol. 15, no 2, 2016 (dossier coordonné avec Andrea Felicetti) ; Lutte urbaine. Participation et démocratie d’interpellation à l’Alma-Gare, Le Croquant, 2015 (avec Julien Talpin) ; « La participation au prisme de l’histoire », Participations, vol. 3, no 2, 2012 (dossier coordonné avec William Keith et Julien Talpin) ; Le meeting politique. De la délibération à la manifestation (1868- 1939), Presses universitaires de Rennes, 2010.
Chargé de recherches en science politique au CNRS (CERAPS/université de Lille). Il est co-directeur du Groupement d’intérêt scientifique « Démocratie et Participation », et membre des comités de rédaction des revues Participations et Mouvements. Ses recherches portent sur l’engagement et le rapport au politique dans les quartiers populaires. Il a notamment publié Community Organizing. De l’émeute à l’alliance des classes populaires aux États-Unis, Raisons d’agir, 2016 ; L’islam et la cité. Engagements musulmans dans les quartiers populaires, Presses universitaires du Septentrion, 2017 (dir. avec J. O’Miel et F. Frégosi) ; Lutte urbaine. Participation et démocratie d’interpellation à l’Alma-Gare, Le Croquant, 2015, (avec P. Cossart) ; « Espace et conflits dans la participation. Luttes symboliques et matérialité d’une controverse autour de la localisation d’une mosquée à Florence », Lien social et politique, no 3, 2015, p. 33-52 (avec J. O’Miel).
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
La proximité en politique
Usages, rhétoriques, pratiques
Christian Le Bart et Rémi Lefebvre (dir.)
2005
Aux frontières de l'expertise
Dialogues entre savoirs et pouvoirs
Yann Bérard et Renaud Crespin (dir.)
2010
Réinventer la ville
Artistes, minorités ethniques et militants au service des politiques de développement urbain. Une comparaison franco-britannique
Lionel Arnaud
2012
La figure de «l'habitant»
Sociologie politique de la «demande sociale»
Virginie Anquetin et Audrey Freyermuth (dir.)
2009
La fabrique interdisciplinaire
Histoire et science politique
Michel Offerlé et Henry Rousso (dir.)
2008
Le choix rationnel en science politique
Débats critiques
Mathias Delori, Delphine Deschaux-Beaume et Sabine Saurugger (dir.)
2009