Chapitre III. Cris, applaudissements et bruits du public
p. 61-88
Texte intégral
1Pendant les premières projections de films, d’après une large majorité des articles consultés, le public applaudit après chaque vue. Il lance des hourras, il extériorise sa joie. Le plaisir du spectateur est audible. Est-ce l’habitude des présentations de lanternes magiques ? Est-ce que le montreur de vues, fixes ou animées, ne devrait pas être remercié de la même façon ? Un autre élément entre en ligne de compte : la nouveauté. La beauté des projections, l’étonnement face au mouvement de ces photographies, la surprise provoquée par chaque nouvelle vue entraînent un enthousiasme de la foule qui exprime son émotion par diverses manifestations de joie.
2Le public participe volontiers par ses applaudissements et ses hourras, comme au cirque (l’un des lieux de projection de films). Pourtant nous trouvons aussi de nombreuses occurrences de projections silencieuses. Au lieu de simplifier la réalité, étudions toute la complexité des environnements sonores dans les salles. Il nous faut classer les différentes façons dont les spectateurs participaient aux sons des vues cinématographiques. Ceci entraîne, dans ce chapitre, un découpage en de nombreuses sous-parties afin de n’oublier aucune des catégories de participation des spectateurs. Le public pouvait crier en se voyant à l’écran, grâce à l’ingéniosité de nombreux tourneurs. Les émotions s’exprimaient ouvertement et les bagarres se déclenchaient parfois dans la salle. Les cris liés à des manifestations politiques pouvaient sortir devant les images en mouvement, et les bavardages semblent avoir été courants. Les spectateurs / consommateurs faisaient tinter leurs verres et les clients de grands restaurants pouvaient poser leurs couverts d’argent devant un film. Enfin les cris des enfants résonnaient le jeudi, et des pratiques sportives audacieuses se déroulaient pendant les projections…
Applaudissements et hourras
3Taper dans les mains semble être le bruit le plus souvent remarqué dans les salles, mais des cris et exclamations sont souvent notés par les témoins. Dans ses souvenirs, Félix Mesguich, envoyé en 1896 par la Maison Lumière pour filmer et projeter des films à Paris, Mâcon, New York ou Boston, note à chaque fois les « acclamations », « l’exaltation collective », « l’emballement d’une foule », les « tempêtes d’applaudissements ». Par exemple, à New York en juin 1896 : « L’assistance est trépidante. Des cris retentissent […] et des hourras se mêlent aux coups de sifflets stridents […]. Je suis porté en triomphe sur la scène et présenté au public1». Dans tous les pays où les premières projections ont lieu, l’enthousiasme se traduit par une vive participation de la foule. On peut remarquer qu’il ne s’agit pas ici de féliciter des musiciens ou un conférencier, mais le projectionniste lui-même ! Entre chaque film Lumière, donc toutes les minutes, on entend les claquements de main de la foule. L’Écho des Bouches-du-Rhône explique, lors de la première présentation aixoise : « On applaudissait avec enthousiasme et c’était de toute justice, après chaque tableau2. » Même phénomène à Châlons-sur-Marne : « Le public a battu des mains à chaque tableau3. » Pas besoin de musique, pas de précision sur un bonimenteur ou des explications, la simple vue des films Lumière suffit à déclencher les applaudissements devant cette beauté technologique. « D’ailleurs, le plus grand éloge qui puisse être fait à la découverte de M. Lumière, c’est la spontanéité des éclats de rire et des applaudissements de toute l’assistance émerveillée devant cette sensation de la vie réelle4. » L’étonnement déclenche dans le public une réaction d’enfant : rire devant ce qui nous surprend. Une photographie publiée dans L’Illustration du 21 janvier 1911 nous donne une idée de l’attitude des premiers publics. Ils ne sont pas blasés, ne prennent pas encore de distance. Les enfants sur cette photo rient, applaudissent, sont bouche bée, s’extasient devant les images en mouvement sur l’écran5. Le terme de spontanéité correspond tout à fait à cette réaction. Plus rien n’existe autour de chacune des personnes plongées dans cette expérience nouvelle. « Applaudissements des spectateurs émerveillés6. » L’émotion sort d’un coup sous forme d’éclats de rire, puis de rafales d’applaudissements lorsqu’au bout de presque une minute, la vue Lumière est terminée. Les journalistes affirment souvent, à des fins publicitaires, que le nouveau spectacle arrivé en ville est merveilleux. Dans les premiers mois des présentations de films, leur sincérité ne peut pas être mise en doute. Pratiquement dans chaque ville, on retrouve les mêmes réactions. À Chambéry comme à Dunkerque, les gens s’exclament et battent des mains7. « Les applaudissements n’ont pas manqués, et tout le monde, en sortant, ne tarissait pas d’éloges sur cette invention bien française », telle est la phrase type qu’on trouve dans les journaux de toutes les villes8. Il faut se méfier du simple argument publicitaire, dans la plupart des comptes-rendus. Mais, quand des détails montrent que le journaliste retranscrit précisément le déroulement de la soirée, les applaudissements ont vraiment eu lieu. De plus, ces témoignages se répètent dans toute la France. Pendant la Belle Époque, le public exprime un plaisir partagé, une expérience commune, et participe pleinement à chaque séance.
4Les spectateurs n’applaudissent sans doute plus à la nouveauté « technique » des projections dans les années 1900, mais ils peuvent manifester leur gratitude aux musiciens, qui accompagnent les films, ou leur joie devant un film « prenant ». Les hourras d’enthousiasme des spectateurs s’entendent dans les salles jusqu’à la Grande Guerre, et sans doute encore longtemps après, pour remercier aussi les chanteurs qui accompagnent les films. Pendant les drames sentimentaux, les chanteurs et chanteuses des opéras locaux se produisent dans les salles spécialisées des grandes et moyennes villes françaises, comme nous l’étudions plus loin dans la partie consacrée au chant. Alors que le film se poursuit, parce qu’on vient d’avoir une séquence mélodramatique accompagnée par la soprano célèbre de la ville (dans les années 1910), cette dernière est applaudie par le public. Les clients des cinémas ont l’impression de se retrouver à l’opéra pour un prix modique ! Les vivas éclatent si le ténor pousse la note. Ces événements cinématographiques sont plus courants qu’on ne le pense. À la fin des séances, les orchestres et chanteurs sont toujours remerciés par l’assistance. Mais même en plein milieu du film, quand le Caruso de la région a fait son exploit vocal, le public se manifeste. Le Théâtre Gaumont de Rouen, entre 1913 et 1915, comme la Scala de Lyon de 1912 à la fin de la guerre, au moins, connaissent ce genre de participation du public. Ces deux grandes salles ont leurs chanteurs attitrés, habitués à recevoir des éloges des spectateurs. Ces cris du public et claquements dans les mains s’entendent également dans une toute petite salle comme le Cinémario de Limoges lorsqu’elle reçoit un ténor9. Le ténor ne chante qu’une ou deux chansons. Pour chaque air réussi, le public applaudit, alors que le film continue, sans doute accompagné par l’orchestre pour la suite des séquences.
5Les films, eux-mêmes, continuent d’être applaudis si le public s’enthousiasme pour l’histoire. Un article de 1908, qui compare deux publics face au même film, permet de vérifier que certains spectateurs sont plus enclins que d’autres à participer au spectacle. Dans L’Avenir d’Arcachon, le journaliste Gaby de Mérode, constate que la « colonie hivernale », public de touristes bourgeois « est très content [du film] mais ne témoigne pas sa satisfaction, froid, correct et approbateur10». Il continue en observant les marins, ostréiculteurs et leurs familles, public « bruyant, égayé, ayant l’applaudissement facile ». Et de Mérode termine son article en précisant l’attitude face au mélodrame L’École du malheur : « Le public select accueille ce tableau sans rien dire, mais il n’en pense pas moins ; la perle d’une larme scintille aux yeux de plus d’une jolie dame. Le public populaire, lui, n’hésite pas et applaudit à la générosité du gendarme, dans des bravos répétés. » Les différences de réactions, en fonction des classes sociales, ne peuvent pas être généralisées à tout le pays, mais cette description correspond à une logique « d’éducation » et à une attitude culturellement différenciée. Le public « policé », ayant appris à ne pas extérioriser ses sentiments, existera dans toutes les couches de la population, dans les années 1920, dans les grandes salles avec ouvreurs en livrée chargés de préserver le standing de l’établissement. Les exceptions à ce silence des spectateurs, après la Belle Époque, sont nombreuses en France, que ce soit dans des salles de quartier, ou avec les tournées foraines dans les campagnes. On peut donner comme exemple la spontanéité des Bretons décrits par Pierre-Jakez Hélias réagissant aux projections itinérantes : « On entend les gens se désoler pour les victimes [des mélodrames] : ce n’est pas une pitié de voir ça. Ou alors, ils laissent échapper leur colère à chaque fois qu’apparaît le persécuteur : “Il est grand temps de lui casser la tête, à celui-là”11. » Les spectateurs « non policés » mettront très longtemps à ne plus se manifester. Le spectacle cinématographique permet de partager l’expérience du plaisir esthétique12. Pendant toute notre période les manifestations bruyantes de la joie de voir des films participe de l’environnement sonore des salles et des baraques foraines, à quelques rares exceptions prêt.
Silence ou cris ?
6Si l’opérateur tarde à mettre en place les films, ne maîtrise plus son projecteur, le public impatient peut devenir une foule qui intervient dans la séance de façon fort bruyante. Mais on trouve aussi des gens patients et muets. Tous les types de public existent lors des premières séances. Le silence bourgeois, décrit par L’Écho rochelais :
« Silencieux comme des enfants à qui l’on va montrer la lanterne magique, recueillis comme des spirites autour d’une table tournante, jeunes et vieux, grands et petits, élégantes en toilettes claires, gentlemen à la boutonnière fleurie, se pressent dans la petite salle où le cinématographe donne ses séances. Chut ! L’incantation commence. Le mystérieux appareil se déroule avec son tic-tac de machine à coudre emportée, et l’image s’anime13. »
7Pas d’accompagnement musical ou de voix de présentateur pour cette séance devant un public mondain. Mais cette description est une exception. Il semble que le public participe souvent de la voix aux présentations, applaudit, interpelle les projectionnistes ou présentateurs des séances. Parfois on s’approche plus du charivari à la fois chaleureux et moqueur comme à Lagny-sur-Marne, même si on tombe là dans l’excès inverse, sans doute à cause de la maladresse de l’opérateur :
« La véritable séance de cinématographie ne devant former que la deuxième partie de programme [après un orchestre et des vues fixes qui présentaient la vie de Jeanne d’Arc] ; un lecteur, placé sur la scène, donnait l’explication de chaque tableau. Un entracte assez long a suivi, durant lequel divers morceaux de musique ont été joués et auxquels le public a fait un chaleureux accueil. Pendant ce temps, l’opérateur installait son appareil, ce qui lui a demandé beaucoup de peine. Comme la salle avait été plongée dans l’obscurité, les spectateurs d’une partie des galeries se livraient à des manifestations très bruyantes et rivalisaient d’entrain pour imiter le cri des animaux ; la vérité nous force d’ajouter que des dispositions naturelles permettaient à certains d’arriver à rendre des cris aussi parfaitement que possible. Enfin l’appareil est prêt : “la Scène du déjeuner” ouvre la deuxième partie du programme. On rit, on applaudit, on trépigne de contentement. “L’Arrivée d’un train” a le même succès, mais la lumière, trop faible, empêche de saisir tous les détails. C’est un petit accident auquel l’opérateur apporte aussitôt remède ; “les Lutteurs” apparaissent alors d’une façon parfaite et leurs exercices provoquent un enthousiasme qui tient du délire. On se lève, on crie quand l’un des lutteurs tombe : Il y est ! Non ! Il se relève ! ça y est ! et les applaudissements d’éclater avec une ardeur sans égale. Un succès pareil attend la “Sortie d’usine” et le “Couronnement du Tsar” […]. Pour le “Couronnement du Tsar”, l’orchestre joue l’hymne russe et la “Danse de la Loïe Fuller” est accompagnée. La “Danse auvergnate” soulève ensuite des tonnerres d’applaudissements que dominent des rires bruyants et nombreux. Les musiciens jouent pendant la durée de la projection. L’opérateur consent à donner “la Danse du ventre” et “Canotage en Marne”, non portés au programme et accueillis avec beaucoup de plaisir. On prend goût à la chose et, bien que l’heure soit avancée, de nombreux auditeurs réclament d’autres projections. Comme on le pense bien, ils n’obtiennent pas satisfaction et l’on s’en va, emportant la meilleure impression de cette bonne soirée14. »
8On trouve ici le maximum de bruit des spectateurs imaginable dans une des premières séances françaises. La soirée s’organise en plusieurs parties reprenant la structure des concerts : une ouverture par l’orchestre, une première partie de programme avec des vues fixes expliquées par un conférencier, un entracte musical, une deuxième partie avec des films (sans bonimenteur, cette fois) accompagnés par de la musique et un final orchestral, qui semble avoir été écourté car des projections supplémentaires ont eu lieu. Le terme « auditeur » souligne l’importance des aspects sonores de la soirée. Le public très participatif a dominé l’accompagnement des films ! Selon un schéma sociologique classique, reprenant la distinction établie depuis au moins le xviiie siècle entre riches silencieux et pauvres bruyants, ce sont des places bon marché que les premiers cris ont fusé. Les jeux de dortoir, faire des cris d’animaux dans le noir quand on peut faire rire ses amis en toute impunité, donne une première ambiance pour ces vues mystérieuses qui tardent à arriver15. Est-ce tromper l’ennui qui justifie ces blagues de potache, ou éloigner la peur du noir, du vide, de la nuit ? L’orchestre qui se démène pour combler les trous ne suffit pas. Un autre compte-rendu de la même soirée précise :
« Entre chaque projection, il se passait un temps considérable, tout le monde s’ennuyait, surtout aux deuxièmes galeries, où il se faisait un tapage infernal : l’un imitait le chant du coq, d’autres des cris de toutes sortes. Pendant le couronnement du Tsar l’orchestre a joué l’hymne russe. Et tout le monde d’applaudir et de crier bravo […]. Mais il paraît que l’opérateur avait pour la circonstance la vue un peu basse car les canotiers se trouvaient la tête dans l’eau et les avirons voltigeaient en l’air, ce qui a fait beaucoup rire16. »
9On imagine le calvaire de l’opérateur, M. Armand, qui n’arrivait pas à enchaîner les films, à les mettre à l’endroit, ni même à les cadrer correctement, ce qui explique ces « avirons… en l’air ». Les rires du public furent moqueurs, mais les applaudissements semblent être sincères. Les spectateurs parlaient au projectionniste. D’après les témoignages trouvés, dans des séances populaires, la gouaille de la foule reste un élément important. À Reims, on retrouve cet environnement sonore, les cris d’animaux en moins :
« M. Couttolenc [qui semble avoir fait une conférence avec des vues fixes] cède la place aux opérateurs de MM. Lumière. Le succès que [les projections] obtiennent en ce moment à Paris est, disons-le tout de suite, parfaitement justifié. Malgré les petits inconvénients d’une installation provisoire et un peu défectueuse, le succès n’a pas été moins grand ici qu’à Paris. Chaque scène était accueillie par des bravos frénétiques, des applaudissements enthousiastes et même par des bancs battus avec autant de frénésie que peu d’ensemble. Avec une complaisance dont on les a remerciés par de nouveaux applaudissements, les opérateurs ont recommencé plusieurs scènes à la demande générale17. »
10Ces séances s’approchent plus de l’interaction entre une audience de cirque, ou de théâtre de marionnettes, et des clowns ou un guignol qui demande aux spectateurs s’ils veulent encore un numéro, que de ce qu’on a coutume d’appeler « du cinéma ». L’attitude du public rattache ces séances aux séries culturelles citées. Les séances de cinématographes attiraient-elles un public particulièrement dissipé ? Tous les spectacles de la période « bénéficient » de spectateurs qui participent bruyamment à l’événement. Les cafés-concerts, la boisson aidant, ne rassemblaient pas une audience recueillie ! Dans les revues (spectacles) de music-hall, le compère et la commère interpellent la salle. À Lyon, on remarque que la participation des spectateurs est appréciée dans le cadre de certaines présentations humoristiques. Germain Lacasse a évoqué les salles québécoises dans lesquelles le public a un rôle à jouer pour s’approprier le spectacle18. Parfois les journaux protestent contre cette participation populaire, surtout s’il s’agit de pièces de théâtre. C’est le cas à Béziers, en 1906, quand les quotidiens constatent de plus en plus d’interventions du public dans les spectacles au théâtre19. Le passage au long métrage, la transformation du spectacle cinématographique dans des salles spécialisées ne signifie pas pour autant une disparition totale des commentaires du public. Dans les petites salles de quartier, et a fortiori dans les campagnes, on trouve encore dans les années 1920 ou 1930 en France, un comportement identique à celui décrit dans les enquêtes sociologiques effectuées en Grande Bretagne. « Ils parlent à voix haute durant les projections, commentent ce qu’ils voient, se déplacent d’un siège à l’autre, restent souvent debout, applaudissent à tort et à travers, entrent et sortent de la salle à n’importe quel moment20. » Néanmoins, les cris du public étaient beaucoup plus fréquents et généralisés pendant la Belle Époque, comme l’ont montré les exemples que nous avons donnés. Les spectateurs se sont bruyamment appropriés ce spectacle. Un cas particulier demande une analyse détaillée, celui des spectateurs se reconnaissant dans un film fait par un opérateur tournant des « vues locales ».
Crier en se voyant à l’écran
11Les exclamations des clients peuvent servir de publicité aux forains qui cherchent à faire venir des passants pouvant se reconnaître sur l’écran. Les Lumière, le 11 juin 1895, avaient filmé leurs confrères lors du débarquement du Congrès des Sociétés françaises de photographie, à Neuville-sur-Saône. Le forain de la Croix-Rousse, Jérôme Dulaar, dit s’être inspiré de cet exemple pour tourner ses films régionaux comme la Sortie de l’Église de la Rédemption, ou, autre hommage lumièriste, la Sortie des Usines du Cirage à Vaise21. De nombreux opérateurs, pour être sûrs d’attirer un public local étonné par la nouvelle invention, procédaient ainsi à des prises de vues avant de montrer le soir même, ou le lendemain, les films aux personnes photographiées. L’affiche du Théâtre Électrique Grenier, pour la Foire d’Orléans en 1901, proclamait :
« Monsieur Grenier, prenant lui-même des vues cinématographiques, donnera à chaque séance des scènes locales où les visiteurs rencontreront avec surprise des amis qui collaborent à notre spectacle sans le savoir22. »
12Cette affiche prévient les spectateurs de leur surprise ! Elle anticipe sur les exclamations que laissera échapper le public. Elle encourage déjà une participation active de la foule, après sa « participation » passive. Le Messin, en 1904, donne les commentaires des gens se reconnaissant dans une vue locale, Sortie de la manufacture des tabacs :
« — Tiens ! la mère Camille qui fait sa mijaurée… Elle se sauve !
— Penses-tu elle est bien trop contente23 ! »
13Cette technique publicitaire, déjà employée pour les « concerts de phonographe » par Lyman Howe aux États-Unis dans les années 1880-1890, quand il enregistrait la chorale locale pour être sûr de remplir la salle le soir, garantit une animation bon enfant pendant la projection24. En Lorraine encore, en 1906, un quotidien explique que le « tableau » de la sortie de la cathédrale de Verdun a beaucoup plu : « Chacun reconnaît un parent, un ami et les exclamations d’échapper à tout instant25. » Ces actualités locales persistent tant que les forains dominent. Après 1907, elles deviendront plus rares, dans les salles en dur. Les spectateurs auront moins la chance de s’exclamer en se reconnaissant sur l’écran, sauf dans les campagnes où les tourneurs continuent. Un spécialiste des forains synthétise l’ambiance de ces moments de partage communautaire. « Les gens se précipitaient dans les cinémas pour aller s’y reconnaître et se voir plus ou moins nettement sur l’écran en riant aux éclats et en échangeant de bruyantes plaisanteries26. » Parfois l’animation dans la salle apparaît juste comme un truc publicitaire pour donner de l’authenticité aux films présentés :
« Plusieurs anglais se trouvaient hier au cirque au moment où Master Daüe projetait sur l’écran le tableau représentant divers quartiers de Londres. Quelle n’a pas été la stupéfaction de l’un d’eux en se reconnaissant, lui et sa femme, parmi la foule qui circulait devant le monument élevé en souvenir de la guerre de Crimée.
“It is perfectly that” disait-il.
“Well, well, indeed !”Et l’excellent insulaire, après avoir longuement applaudi, a tenu avant la fin de la représentation, à aller serrer la main de l’habile manager du ROYAL VIOGRAPH27. »
14Il est peu probable qu’un Londonien se soit reconnu par hasard en passant voir des films à Limoges ! Il s’agit ici d’un « truc » publicitaire, ou d’une incompréhension linguistique de la part du journaliste. Par contre les sorties de messe, filmées dans de nombreuses villes attirent toujours une foule qui peut réellement se voir à l’écran. En 1906, le forain Bonnet filme les rues de Bordeaux, le marché de la Porte-Neuve, un concours hippique et la sortie de la messe de l’Église Notre-Dame28. Filmer la foule attire le public et crée une animation dans la salle, mais cela peut également attirer des ennuis. Abraham Dulaar, longtemps établi en Aquitaine, conseille à ses opérateurs de filmer les monuments et les habitants de chaque localité où s’arrête son Atheneum Théâtre. « Et [les habitants] s’empressent d’aller s’admirer sur l’écran. Il ne se trouva qu’un grincheux, un Narbonnais, pour le traîner en 1905 devant le juge de paix. Celui-ci statua en faveur du forain : “On ne saurait contester le droit de vue qu’a tout individu sur tout ce qu’il y a dans la rue”29 ! » On peut imaginer qu’une altercation eut lieu dès le moment de la projection, quand l’individu s’est reconnu. Cette pratique des « actualités locales » entraînait donc toutes sortes d’exclamations de la part des « acteurs-spectateurs » !
Dans les salles en dur comme chez les forains, en 1913 comme en 1900, on essaye de déclencher des réactions dans le public. Le tourneur du Cinéma-Pathé-Théâtre installé au cirque municipal de Limoges au printemps 1908, trouve tous les subterfuges pour faire se reconnaître le public sur l’écran. Afin que les gens reviennent dans la salle rapidement, ce tourneur propose de filmer son propre public !
« À l’occasion de la matinée d’aujourd’hui qui aura lieu à 2 heures et demie, la direction cinématographiera la sortie du public pendant le premier entracte, si toutefois le temps le permet. »
15Dans le même journal, dans la suite de l’article, on prévient les ouvriers limougeauds de se faire beaux :
« Lundi, ce sera au tour des ouvriers de la fabrique Charles Haviland ; puis d’autres usines auront cette primeur et, dans quelques jours, chacun pourra aller avec loisir, se reconnaître sur le vaste écran du cirque30. »
16L’animation garantie dans la salle vient du public. Les exclamations qui pourraient fuser des rangs de fauteuils sont encouragées par le fait même que ces articles sont publiés dans la presse locale.
17À Nice, au moment du Carnaval, les salles diffusent des vues cinématographiques qui ont beaucoup de succès. Sans doute les spectateurs prenaient-ils plaisir à revoir sur l’écran les chars et les « grosses têtes » aperçus dans les rues, mais le public cherchait aussi à se retrouver dans la foule filmée au hasard (procédé qui se répétait d’année en année). L’Éclaireur de Nice signale, dans son programme des spectacles, les prolongations de ces images de la fête. « Aujourd’hui, nouveau programme. Cependant, en raison du grand succès qu’il remporta et des demandes nombreuses qui sont parvenues en ce sens à la direction, Le Carnaval de 1907 à Nice sera donné encore pendant trois jours » déclare le Grand Cinématographe Pathé, rue Cotta31. Un concurrent propose la même semaine des vues qui permettent aux Niçois et aux touristes (des annonces précisent que la « colonie étrangère » se presse au cinéma32) de manifester leur joie en se voyant à l’écran. « Le Royal Vüo [déformation de Vio ?], le roi des cinématographes, avait attiré avant-hier, malgré le mauvais temps, une foule énorme. On a admiré la vue représentant l’avenue de la Gare à midi. Beaucoup de spectateurs s’y sont reconnus. Le spectacle était donc à la fois intéressant et drôle. Il a provoqué des éclats de rire de la salle. Hier, jour des enfants, grande affluence également dans le coquet établissement du capitaine Schneider33. »
18Les réactions du public, les rires des spectateurs et les exclamations sont ici encouragés par la direction du « cinéma » qui sait que sa publicité passe par le bouche à oreille. De plus la salle se trouve dans la rue de la Gare. En faisant filmer son quartier, le directeur de la salle sait que les caméras pouvaient capter des habitués de son établissement. Parfois l’exploitant compte favoriser des réactions de pitié ou de terreur34. Un exploitant transforme sa recette en charité faite aux victimes d’une catastrophe montrée dans son « cinéma » :
« Vendredi prochain, Monsieur Schneider donnera une représentation au profit des familles victimes de la catastrophe du “Berlin” à Hoeck Van Holland. Le Royal Vüo avait envoyé son représentant de Rotterdam sur les lieux du sinistre pour cinématographier toutes les phases de ce drame de mer : 1e L’épave du “Berlin” ; les flots disloquant le poids de cette masse, enfin toutes les péripéties du sauvetage, lorsque le navire sombre après une lutte désespérée, engloutissant ceux qu’il portait.
Voilà une vue qui est faite pour déplacer les plus blasés et qui est de circonstance35. »
19L’aspect mercantile de la présentation ne peut pas être reproché au directeur de la salle puisqu’il donne sa recette aux familles des victimes. Les cris des spectateurs, hurlements d’horreur ou plaintes de pitié sont encore encouragés, les vues devant « déplacer les plus blasés ». Cette salle du Royal Vüo fait passer régulièrement des annonces précisant que « le public applaudit souvent pendant le cours des représentations36 ». Le directeur cherche visiblement une participation sonore de la part de ses spectateurs.
20Dans le plus grand cinéma de Rouen, en 1913, on diffuse des vues locales pour que les spectateurs se reconnaissent à l’écran, cette pratique perdure au moins jusqu’à la guerre. Un dimanche à Rouen : sorties de messe à St-Godard, à la Cathédrale, à St-Ouen, avec ce film, aucune des plus importantes églises de la ville n’est ignorée par la caméra des opérateurs Gaumont. Si les spectateurs ne sont pas pratiquants, ils peuvent peut-être se retrouver parmi les amateurs de sport avec le film : Les Matches de l’après-midi au Vélodrome37.
21L’appropriation du spectacle cinématographique est complète. Le spectateur participe au son des séances, et apparaît aussi à l’image ! Dans ce cas, il s’agit bien d’une « expérience esthétique totale », telle que l’a défini la philosophe pragmatiste John Dewey. « Les arts qui ont aujourd’hui le plus de vitalité pour l’homme ordinaire sont des choses qu’il ne considère pas comme des formes d’art : par exemple le cinéma38. » Il explique cela à la fin des années 1920, mais cette vitalité de l’expérience artistique, partage d’une émotion commune, correspond plus encore aux séances de la Belle Époque.
Émotions et bagarres
22Quand le lieu de projection est une église, le recueillement est de rigueur, sauf lorsque les fidèles laissent échapper des petits cris d’étonnement : « Les spectateurs gardaient un silence profond qui témoignait de l’émotion de leur âme ; silence interrompu seulement par des exclamations de ce genre : Oh ! Voyez donc le petit Jésus ! Oh, qu’il est beau39 ! » Sous la nef de l’église, les paroles des paroissiens résonnaient. L’émotion partagée, dans un lieu religieux ou non, semble être une des caractéristiques les plus fortes des séances de projection de la période. Même dans une ambiance recueillie, le public exprime ce qu’il ressent profondément.
23Si le lieu de projection sert aussi à la danse et à la chanson comme les cafés-concerts, ou dans la partie germanophone, les théâtres de variétés, la présence de musique semble logique, de même que les cris et interventions du public. En Alsace, la première projection a eu lieu le 15 juin 1896 au « Variété Theater », selon l’appellation franco-allemande de cette région rattachée à l’Allemagne de 1871 à 1918. Cette « salle de spectacle et dansoir », fait venir des chanteurs de Paris ou d’Allemagne et devient une salle connue à Strasbourg40. Elle se transforme en bal populaire chaque fin de semaine. « On dansait, on buvait – pendant et après le spectacle – on s’amusait follement, et on sortait en parlant fort, en riant bruyamment, ou en faisant le coup de poing », car le public est divisé en germanophiles et francophiles : « derrière les loges et sur l’escalier, la bataille fut magnifique » explique le nationaliste Barrès dans ses souvenirs41. Ces bagarres n’ont sans doute pas lieu tous les soirs, et les souvenirs de Barrès datent d’avant la semaine de présentation de l’Omnéographe. Mais l’environnement sonore de cette salle est particulièrement bruyant. Les gens dans l’immeuble mitoyen se plaignent des flonflons entendus tard dans la nuit. Devant un public habituellement formé d’étudiants chahuteurs, selon les vues présentées, les réactions ont pu être vives. Le nationalisme, qui créait une ambiance particulière en Alsace, est fort répandu dans l’Europe de l’époque. Avant l’entente cordiale, des manifestations antibritanniques sont repérables pendant les projections de vues concernant la guerre des Boers : « L’Arrivée du Président Kruger à Marseille soulève l’enthousiasme patriotique des spectateurs qui répondent par des acclamations de “Vive les Boers !” aux saluts de l’illustre vieillard42. » Le contenu des films entraîne les réactions bruyantes de la salle. Les personnages antipathiques peuvent être pris à partie par le public. « Dans une partie du public pourtant, la police passe un mauvais quart d’heure ; les malheureux agents sont sifflés lorsqu’ils “passent à tabac” l’indélicat magnétiseur qui a volé une montre : le commissaire qui ceint son écharpe pour aller détacher un pendu obtient un meilleur accueil (Le Commissaire magnétisé)43. » Pendant certains films, les bagarres se déclenchent parce que dans la salle on trouve à la fois des anticléricaux et des soutiens de l’église. Parfois la bousculade dégénère simplement parce qu’un des clients est trop pressé de trouver une place. Il peut même faire paraître une annonce dans le journal pour s’excuser d’avoir brutaliser ses voisins de séance44.
24Ces réactions intempestives de spectateurs populaires incitent certaines personnes à choisir les heures creuses pour aller voir des films : « Ce sont généralement les samedis et les dimanches que préfèrent la plupart, mais il est des dilettantes qui estiment que le bruit provenant de la foule n’est pas un accompagnement forcé des scènes tantôt gaies, tantôt émouvantes se déroulant sur l’écran, et ceux-là attendent le lundi, le mardi ou le mercredi pour voir tout à leur aise45. »
25Est-ce un véritable constat de la part d’un journaliste méticuleux ou une publicité déguisée en article ? Dans tous les cas, le bruit de la foule reste une constante, jusqu’en 1907, au moins, même si l’ambiance sonore déclenchée par le public dépend des circonstances, du lieu, de la façon dont les films sont introduits.
Cris politiques
26Avant que le Gaumont-Théâtre soit ouvert, quand la firme à la marguerite venait régulièrement faire des tournées rouennaises dites « Perfecta Gaumont » au cirque Municipal, le public avait pu exprimer son avis politique. En effet, lors des élections législatives françaises de 1910, des meetings politiques se tinrent dans des salles où avaient lieu habituellement des projections de films. Mais surtout, le soir des élections, au Perfecta-Gaumont du cirque, « la direction passera sur l’écran, aussitôt connaissance par téléphone, le résultat des élections46 ». Ici s’initie la série culturelle et médiatique des « soirées électorales » qui devinrent plus tard un grand classique de la télévision française. Sans aucun doute cette séance connut-elle des applaudissements et peut-être des huées selon la couleur politique des clients lors de la projection des résultats. D’autres villes ont-elles connus de semblables initiatives ? Seul un épluchage systématique de la presse de toutes les villes françaises permettrait de savoir si les slogans politiques ou les huées de résultats d’élections se sont multipliés pendant des « séances de cinéma ».
27En approchant de la guerre, on signale des incidents nationalistes de plus en plus fréquents. Dans les archives municipales d’Annecy, une lettre du maire au propriétaire de la salle Bonlieu, et au directeur de la salle de cinéma de la rue Royale, signale que les réactions du public face aux uniformes allemands entraînent l’interdiction de leur représentation :
« À M. Laeuffer, Propriétaire à Bonlieu, et M. Liard, Directeur du Cinéma, 5 rue Royale.
Des incidents ont fait ressortir les inconvénients que pouvait présenter l’exhibition d’uniformes allemands sur la scène des théâtres où sur la toile des cinématographes.
J’ai l’honneur de vous prier, en ce qui concerne les séances que vous organiserez à l’avenir, de vouloir bien éviter de faire représenter des œuvres comportant l’exhibition desdits uniformes. Ces exhibitions peuvent être interdites si elles sont de nature à provoquer ou si elles provoquent une atteinte à l’ordre public47. »
28La censure se glisse toujours dans l’utilisation des termes « atteinte à l’ordre public ». Paradoxalement, alors que le gouvernement souhaite exalter la ferveur nationaliste, des films antiallemands, qui pouvaient entraîner des cris du type« À bas les boches ! », devaient ainsi se trouver interdits.
29Le public ouvrier et militant « révolutionnaire » peut influencer le déroulement d’une séance par ses cris et transformer une projection de film en acte politique. L’explicateur de vues signale que ses « paroles avaient enthousiasmé les ouvriers chauffés à blanc par la perspective d’une grève générale. Un brouhaha indescriptible régnait dans la salle48 ». Les spectateurs exigent de l’orchestre qu’il joue La Marseillaise et Drapeau rouge. Ils finissent par contraindre le projectionniste à repasser le film qui décrit, semble-t-il, un épisode de la Révolution française. Chaque séance varie en fonction du contexte. Le même film prend un sens politique, devant un public précis, alors qu’il peut susciter l’indifférence dans une autre salle.
Bavardages
30Le public parle pendant les séances. Pour s’en rendre compte il nous faut la retranscription d’un incident dans une salle. Pour un des nombreux systèmes de synchronisation présents chez les tourneurs, les forains et dans les salles en dur, l’opérateur doit entendre le démarrage du disque passé sur un phono près de l’écran. Le brouhaha habituel empêche la synchronisation !
« Au moment d’un morceau de chant, les personnes qui causent dans la salle empêchent l’opérateur d’entendre le signal du départ, signal parfois très faible comme pour ce morceau de Mignon. C’est pourquoi la direction prie le public de lui accorder une minute seulement de silence, aussitôt après l’annonce d’une vue parlante49. »
31La direction ne demande même pas au public de se taire, mais le prie juste de cesser temporairement de parler lors du début d’une phonoscène ! Il semble que le combat contre les bavardages de l’assistance était perdu d’avance. Le fait que ce tourneur, dénommé Barnum Excelsior, utilise un Chronomégaphone (qui n’a pas un son aussi puissant que la publicité le laisse croire) ne gêne pas les spectateurs dans leurs discussions ! Même pour les films chantants, extraits d’opéra qui demandent une certaine attention, le public limougeaud ne peut s’arrêter de pérorer. Il ne s’agit pas du public le plus dissipé de France. Dans le département du Vaucluse, un ancien se rappelle, d’un « chahut qu’il est difficile de concevoir maintenant ». Un autre explique, « en ce temps-là on pouvait faire du bruit parce que ce n’était pas parlant, alors ça gueulait à tout va là-bas dedans50 ». Même si nous n’avons pas trouvé beaucoup d’autres exemples comme ces derniers, on peut supposer que le temps des séances de cinéma silencieuses, de la part du public, n’est pas encore venu. Le public, encore peu habile à la lecture, épelle à mi-voix chaque syllabe des cartons des films.
32Dans les vastes salles d’avant 1914, des promenoirs permettent de voir les films en payant très peu cher. Certains de ces promenoirs, comme celui du café-concert Parisiana, deviennent des lieux de drague hétérosexuelle et homosexuelle. Le cinéaste Jean Gourguet se souvient d’avoir été importuné par des messieurs lui faisant des propositions indécentes alors qu’il était un adolescent cinéphile51. Est-ce que les bruits allaient au-delà du simple bavardage ou bien la salle servait-elle également aux ébats des « spectateurs » ? La variété des sons possibles pendant les projections semble infinie ! Les promenoirs fonctionnent encore dans les années 1930. Les ouvriers les plus pauvres y prennent place, s’asseyant parfois à même le sol pour manger et boire, et jetant un coup d’œil vers l’écran, par dessus la rambarde, par intervalles52. Le bruit des nourritures et boissons ingurgitées pendant les projections fait partie des éléments sonores qu’il nous faut recenser.
Bruits de verres, de couverts et… de voitures
Bars et cafés
33Tout comme les bruits de machines à vapeur ou de dynamos venant de l’extérieur des baraques, les bruits de couverts et de vaisselle sont à classer parmi les bruits parasites. Ils n’en demeurent pas moins un des environnements sonores les plus importants du cinématographe avant 1914. Lors des toutes premières présentations, il ne semble pas que des bars, cafés ou restaurants aient été utilisés très souvent, ou en tout cas, pas dans la salle où le client consomme. Peu d’articles compilés par Jacques et Chantal Rittaud-Hutinet, dans les journaux des 235 villes françaises répertoriées dans leur Dictionnaire des cinématographes, signalent un lieu où on peut consommer et voir des films en même temps avant la fin de 1897. Bien sûr, le Grand Café à Paris est connu pour ses présentations du cinématographe. Mais la salle du sous-sol ne semble pas permettre de venir avec un verre à la main. Il faut une banalisation de l’invention pour que les limonadiers décident d’installer des cinématographes dans leur salle, à la seule fin de rameuter plus de clients, plutôt après 1897. Les cafés sont des lieux essentiels de la sociabilité de la Belle Époque. La prophylaxie anti-alcoolique ne se développe que lentement à cette période. Les journaux de Béziers signalent qu’il est plus facile de trouver le maire et ses adjoints dans un grand café du centre-ville qu’à l’hôtel de ville, de jour comme de nuit53 ! En juillet 1904, à Limoges, des séances de cinématographe ont lieu devant la terrasse du Grand Café de la place Jourdan54. Ces projections s’organisent comme celle des forains : six parties et des entractes de cinq ou dix minutes. Le luxe du spectacle dépend de l’importance du café. Le bruit des verres, les conversations des buveurs, les garçons passant les commandes : voilà l’environnement sonore de ces présentations. Les cafés-concerts et music-halls, qui diffusent des films rapidement, continuent de servir des consommations. À l’Alcazar de Perpignan, on entend les bouchons de champagne pendant les projections55. Pourquoi l’ambiance serait-elle plus calme qu’à l’accoutumé ? Une description d’une historienne des spectacles nous donne une idée de l’environnement sonore de ces lieux :
« Au café-concert, l’horaire est libre ainsi que la tenue. Dans la promiscuité et la réjouissance de la foule, les consommateurs fument, se restaurent, trinquent, s’interpellent, dérivent au rythme des valses et des polkas, dans le brouhaha, les applaudissements, les éclats de lumière, en un curieux mélange de sensation et une montée enivrante de l’excitation induite par la lumière, la fumée le bruit et les odeurs mêlées d’alcool, de bières et de parfums des femmes venues pour plaire56. »
34Il faut ajouter à cela le bruit des voitures (à cheval et quelques-unes à essence), tramways, omnibus et autres calèches qui passent dans la rue à proximité du lieu de projection. De nombreux bars montrent des films en plein air. Une photo de 1905, montrant la terrasse de la Grande Taverne de Dijon, qui était alors un bar-restaurant et music-hall, permet de distinguer les montants en bois de l’écran de cinéma, placé à l’extrême bord du trottoir : une calèche passe à un mètre57 ! En 1906, toujours à Dijon, le Café de la Rotonde projette des films en terrasse. L’écran se trouve côté rue. La transparence du drap tendu permet aux plus malins de voir les films par derrière l’écran, sans avoir à consommer58. Les archives et les journaux gardent trace des demandes d’autorisation et des protestations ou réactions diverses qui se manifestent lors de ces représentations. À Chalon-sur-Saône, les cafetiers du centre s’organisent pour faire des projections en plein air place de Beaune en juin 1907. Pour l’un de ces cafés, la publicité parue en juillet dans le quotidien local explique : « Ainsi, orchestre gratuit, cinématographe à l’œil, café seul payant : comment la clientèle ne s’écraserait-elle pas au seuil si largement hospitalier de cet établissement idéal59 ? » Les différentes terrasses sont aménagées pour que tous les clients puissent voir les films et continuer à boire60. Dans la même ville, le propriétaire de la Brasserie du Sphinx place un écran sur le trottoir, devant son établissement. La gêne occasionnée pousse la municipalité à intervenir. La projection gratuite, mais pendant laquelle les spectateurs sont vivement incités à consommer, se déplace sur un terrain libre en face de la brasserie61. À Moulins dans l’Allier, à partir de 1909, le Café Américain, un établissement parmi les plus luxueux de cette ville de garnison, projette des films sur le cours central de la ville, lieu de promenade de la population. Le projecteur est placé au premier étage du café, l’écran de l’autre côté de la rue. Il faut bloquer la circulation pour que les voitures ne passent pas entre les spectateurs et l’écran ! L’orchestre reste à l’intérieur de la salle, derrière les clients attablés en terrasse62. Les sons multiples de cette présentation parviennent de nombreuses sources : l’orchestre dans le dos des clients, les conversations, commandes de boissons autour des tables, le bruit des voitures dans la rue, etc. De nombreuses projections en plein air, l’été, sont organisées par les cafetiers, partout en France. Les draps tendus de l’autre côté de la rue se retrouvent dans différentes villes.
Tavernes et brasseries
35Ce bruit de verres continue après 1907, car les salles en dur améliorent leurs bénéfices avec la vente d’alcool. « La plupart des salles de cinéma comportent sinon un bar, au moins une buvette » explique Jean-Jacques Meusy à propos de Paris. « Le plaisir du spectacle ne se conçoit guère qu’associé à celui d’une consommation », ajoute-t-il63. Il note que les débits de boisson consacrant une arrière-salle, une salle de billard ou de bal aux projections sont extrêmement nombreux, et impossibles à répertorier. Seules les grandes brasseries sont parfois signalées à Paris. Dans les villes de province, on constate également cette habitude de faire consommer des alcools aux clients des cinématographes. Dans de nombreux cas, seules les consommations doivent être payées. Le cinématographe est une attraction gratuite visant à faire venir plus de clients… et à les faire revenir chaque jour grâce à un programme « sans cesse renouvelé ». Par exemple à Nice :
« Taverne Steinhof. Tous les soirs, dans le magnifique jardin de cet établissement, un nombreux public applaudit les vues sans cesse renouvelées du Royal Hélioscope Géant, qui sont une merveille de fixité. Citons entr’autres vues : les Chiens contrebandiers, qui obtiennent un grand succès. Entrée libre. Consommations de premier choix64. »
36Avant la guerre de 1914, ce sont les salles dans lesquelles on ne peut pas acheter de boissons qui font exception65. En Alsace, « c’est dans la tradition du divertissement bistrotier que va s’immiscer assez naturellement le cinématographe66 ». À partir d’octobre 1896, une grande brasserie de la place Kléber à Strasbourg propose des films toutes les demi-heures de dix heures du matin à dix heures du soir… afin de faciliter la vente de bière. C’est d’ailleurs la « fête de la bière » qui détrône cette attraction cinématographique. Les établissements alsaciens installent souvent un cinématographe dans leur salle de spectacle attenante à la salle réservée aux consommations. Mais il n’est pas nécessaire d’attendre l’entracte pour se désaltérer. Les séances se déroulent surtout les samedis et dimanches. Des tables sont disposées avec les chaises. On peut manger également. On imagine le brouhaha des conversations de restaurant mêlées aux bruits des bocks qui accompagnent encore plus souvent les films qu’un bonimenteur ou un orchestre. Les publicités dans les journaux alsaciens vantent plus les bières que les films. Plus tard (années 1910-1920), dans les salles de cinéma, une plaquette trouée permettra de poser son bock pendant la projection67. Le « Grand Cinématographe Lorrain » s’installe dans une vaste salle dans la Brasserie Michaut, à Maxéville de décembre 1904 à la fin de l’année 1905. « Dans cet établissement où restauration et divertissements font bon ménage, on finit très vite par agrémenter les soirées d’un “apéritif-cinématographique” entrecoupé d’intermèdes, tous les soirs dès 17 h 3068. » Les conversations de comptoir forment l’environnement sonore principal.
Consommateurs hébétés
37Si les régions de l’Est de la France sont connues pour une forte consommation de bière, les autres régions ne sont pas en reste question breuvages éthyliques de toutes sortes. Le cinéaste Henri Fescourt (1880-1906), dans son livre de souvenir, évoque les projections faites à la terrasse d’un café de Carcassonne en été :
« Là, après des heures brûlantes, j’allais, le soir, prendre le frais à la terrasse d’un café sous de beaux tilleuls. Le patron avait tendu un drap de lit devant les consommateurs, en plein air. Sur cet écran l’opérateur projetait des choses indicibles, des bandes extrêmement anciennes et usées : on n’assistait qu’à des assassinats, des coups du père François, chutes dans du fumier, fromages renversés dans la suie […]. Les séances de projections en plein air, dont on renouvelait le programme deux fois par semaine, duraient une demi-heure. Terminées, elle reprenait après dix minutes de pause. Mais, tandis que dans les salles, le spectacle achevé le public s’en allait, les consommateurs du boulevard des Tilleuls restaient à leur place et, sans réaction, regardaient se succéder quatre, cinq fois, les mêmes scènes. Quelque chose les retenait, la saveur de la boisson fraîche, le repos physique, une torpeur. Et chaque soir, devant leurs yeux les mêmes images passaient et repassaient […]69. »
38Cette description donne une idée de l’attitude des consommateurs de bar face aux images mouvantes. La distraction pour l’œil que représentent ces projections permet de captiver plus longuement les clients. Le seul « accompagnement » semble être fait des bruits extérieurs et des verres qui tintent, tables et chaises déplacées, peut-être des grillons. Ces sons se font entendre dans toute la France car ces types de projections abondent en été.
39On trouve de très nombreuses demandes d’autorisation d’installation de cinématographes dans les débits de boissons répertoriées par toutes les études régionales. Par exemple, en Haute-Savoie, particulièrement à Annecy70. À Lyon, la brasserie Fritz projette des films en 1911. La grande Brasserie Georges, autre fameux établissement lyonnais, qui existe toujours, proposait des films à ses clients autour de 190771. Très haute sous plafond, cette immense salle, où l’on peut servir plus de 2 000 convives simultanément, a une acoustique particulière. Les conversations des clients résonnent sur les murs et les verrières. Le brouhaha, même avec un orchestre, devait dominer dans ce lieu réputé. D’autres brasseries lyonnaises proposent des programmes de films, surtout le week-end et, contrairement au brasseur Georges, l’annoncent dans les journaux. Par exemple, les Établissements Charles Dupuis, surtout après 1907, montrent des films. Ce restaurateur devient même distributeurs de films72.
40Les cafés sont les lieux de réunions des sociétés de tous types, ce qui garantit un public régulier. Le café Gil, à Pau, est le haut-lieu palois du billard, de l’escrime et de la Société protectrice du poisson73 ! En 1899, les opérateurs Lumière y projettent les films de la firme lyonnaise74. À Biarritz, parmi les premières séances, certaines ont lieu au Café Anglais75.
41Il est délicat de faire des estimations sur le nombre de débits de boisson concernés, sauf dans le cas où les bistrotiers ont tous déclaré leurs projecteurs, et que l’administration a gardé une trace de ces demandes d’autorisation de projections. À Nantes, Frédéric Monteil estime que seuls cinq cafés proposèrent des séances de films entre 1895 et 1914… alors que l’agglomération nantaise, en comptant Chatenay et Doulon possédait 1900 débits de boisson76. Néanmoins les études régionales signalent toujours des « cafés-cinématographes », même s’ils ne font guère de publicité.
Salles de luxe et grands restaurants
42Même une salle d’un grand restaurant, le réputé Petit Louvre de Bordeaux, avisa ses clients que tous les soirs auraient lieu des projections77. Ces séances se déroulèrent pendant les dîners, entre 1896 et au moins 190878. Dans cette salle luxueuse, le bruit feutré des couverts et les conversations murmurées alternent avec le pas stylé des serveurs essayant de faire le moins de bruit possible alors qu’un orchestre doit accompagner film et repas. L’environnement sonore varie donc selon le standing de l’établissement, de la beuverie avec cris d’ivrognes à la discrétion de quelques coups de fourchettes en argent. Citons par exemple le Casino de Paris. À partir de septembre 1897, Eugène Lauste est chargé par la Biograph d’installer un projecteur au centre de la vaste salle. L’opérateur (plus tard chercheur spécialiste du son) projette des films dans cette salle luxueuse jusqu’à l’été 1898. Une photographie montre Lauste à côté de la cabine de projection. Tout autour se trouvent disposées des tables entourées de chaises. La disposition des meubles montre que les clients venaient d’abord pour boire, tout en regardant le spectacle, en l’occurrence des films. Dans la salle, très haute sous plafond, devaient résonner les bruits des verres et les conversations des clients, en plus de la musique (on distingue la fosse d’orchestre en contrebas de la scène)79.
43Dans ces établissements où les chansons et les boissons se côtoient, les séances de cinématographes s’intègrent tout naturellement… sans nuire à la consommation, quelle que soit la qualité du lieu, du petit « beuglant » aux grands music-halls.
44Les grandes salles de cinémas, spécialisées et prévues pour les projections, qui s’ouvrent dans les six années précédant la Grande Guerre, incluent généralement un bar. C’est le cas à Lyon avec le Royal, salle luxueuse avec bar-fumoir. De la même façon, à Rouen, en 1913, quand Gaumont rachète un Skating Rink pour en faire une vaste salle de 1 300 ou 1 800 places (selon les sources), au moins 400 fauteuils sont accolés à de petites tables dans le bar du cinéma. De ce bar, on peut continuer à voir les films, et les spectateurs continuent donc de « bénéficier » du bruit des verres, de l’eau de Seltz sous pression ou des bruits de bouches des buveurs, et des bruits d’allumettes et de briquets des fumeurs.
45Les fauteuils situés à partir de ces loges centrales [la direction a créé des loges ouvertes, au centre de la salle] jusqu’à l’entrée de la salle sont dits « fauteuils de deuxième série ». Ils voisinent avec un bar, faisant corps avec eux, et d’où les consommateurs jouiront du spectacle en fumant leur cigarette. Car c’est là l’une des caractéristiques de cette salle : il sera permis d’y fumer, aussi bien dans le bar dont nous parlons que dans celui qui occupera la place de l’ancien tea-room du Skating. Dans celui-ci, les consommateurs auront, sur leur table, une petite lampe électrique voilée de bleu, qui leur permettra d’y voir clair sans qu’elle nuise à l’obscurité nécessaire au cinéma80.
46Tous les « porteurs de billets de fauteuils sont admis au café-bar ». Les places aux promenoirs ne bénéficient pas de fauteuils, d’où la précision. Ces clients debout peuvent marcher pour trouver le meilleur endroit pour s’accouder à une rambarde et observer l’écran, ce qui existe dans de très nombreuses salles en France. Il faut ajouter à notre répertoire sonore les déplacements dans ces promenoirs. En plus des bruits divers signalés, on peut imaginer les autres déplacements dans la salle en fonction des envies de boissons des clients. Les communiqués de la presse sur les séances notent que tous les fauteuils sont souvent occupés et que « plus de 100 personnes ont dû se contenter des places de promenoirs81 ». Le bar est aussi une zone de la salle dans laquelle on peut ajouter des places en supprimant quelques tables ou en en mettant de plus petites. « Bientôt son bar trop petit sera augmenté et de nouveaux fauteuils y seront placés permettant de donner satisfaction aux personnes qui, faute de place, se voient souvent refuser l’entrée82. »
47Dans les cafés-concerts, il est logique de continuer à servir les clients pendant les projections de films comme pendant les autres numéros. Vers 1910, l’appellation « Cinéma-concert » permet d’identifier un lieu où l’attraction principale devient la projection de films, avec possibilité de se désaltérer pendant toute la séance. Par exemple le café-restaurant Bonvalet-Cinéma-Concert, dans le 3e arrondissement de Paris, représenté sur une carte postale de 1910, offre à tous ses clients une table83. Aucun banc dans la salle. On y vient pour manger et boire. Les serveurs circulent entre les tables et les chaises. Les convives discutent, des enfants se promènent. Un orchestre joue à droite de l’écran. On projette le film dans une salle semi-éclairée par de nombreuses lampes accrochées au plafond. Ce plafond n’est autre qu’une immense verrière ! On ne voit guère de possibilité d’occulter la lumière du jour. Si les projections se font aussi pendant la journée, le lieu n’est jamais dans l’obscurité84. L’accompagnement sonore des films devait se composer autant de la musique de la dizaine de musiciens qu’on distingue sur cette image de 1910, que des conversations autour des tables et des bruits habituels de restaurant, verres, assiettes et couverts se mêlant. Sur cette image, les hommes comme les femmes gardent leur chapeau. On se demande si les spectateurs pouvaient distinguer vraiment l’écran, selon leur place. Le « cinéma » semble ici une attraction pour les clients d’un lieu consacré à la restauration et à la boisson.
Petits « cinémas-bars »
48Les cinémas-bars se multiplient entre 1907 et 1910. Jean-Jacques Meusy en répertorie un grand nombre dans Paris. Les recettes semblent bonnes car beaucoup continuent cette double activité jusqu’aux années 1920, même lorsqu’ils sont coincés entre deux « vrais cinémas », comme le Café-cinéma Robineau au 73 de la rue Faubourg-du-temple85. Les clients des cinémas peuvent continuer à voir des films en passant la porte du débit de boisson juste à côté de la salle qu’ils viennent de quitter. Le bruit des verres ne cessa d’accompagner les films dans ces lieux populaires que bien après la Première Guerre mondiale (et parfois la Seconde).
49Afin de limiter les cris d’ivrognes pendant les séances de cinéma, et surtout les nuisances à la sortie, en cas d’ingurgitation trop importante de boisson pendant la durée de la projection, des maires interdisent les bars dans les salles. À Annecy, le Palace Cinéma dépose une demande d’ouverture le 5 septembre 1913. La mairie donne son accord pour une ouverture le 16 septembre, mais refuse que soit adjoint un débit de boisson. En octobre 1913, le propriétaire refait une demande, cette fois-ci en suggérant la possibilité de vendre des boissons sans alcool. On ne connaît pas la réponse de la mairie86. Par contre en 1914, des cafés anneciens sont autorisés à diffuser des films87.
50À Paris, nombreux sont les débits de boissons qui montrent du cinéma. La description truculente d’un « cinéma-bistro », faite par Blaise Cendrars racontant des souvenirs de Paris pendant la Première Guerre mondiale, nous donne une idée de l’ambiance qui y régnait :
« C’était un ancien bouillon [proche de la gare de Lyon], une grande salle en bois qui ressemblait à l’intérieur d’un piano et qui en avait la résonance quand Charlot y déclenchait le fou rire. Le public qui riait si fort avec un bruit de locomotive entrant en gare, se composait essentiellement de cheminots en vadrouille et de filles en cheveux. […] Une consommation donnait droit à un numéro du programme et il fallait en prendre plusieurs pour voir le programme jusqu’au bout. On y donnait toujours des Documentaires et des Actualités qu’on ne voyait dans aucune autre salle de Paris. Les films de Charlot passant en extra, il fallait prendre une double consommation supplémentaire pour pouvoir y assister en fin de séance. Nous prenions toujours des cerises à l’eau-de-vie, deux portions chacun. Ah ! si Charlot l’avait su ! il serait venu trinquer avec nous pour applaudir avec les cheminots délirants, au triomphe de M. Nouvel-An, son sosie. M. Nouvel-An était le directeur de ce cinéma-bistro88. »
51On se rend mieux compte de la quantité d’alcool qui pouvait être bue dans ces lieux mêlant films et bars. En fin de « supplément de programme », les spectateurs devaient être bien « avinés » et leurs réactions et cris sans doute décuplés par l’effet des boissons. Les exclamations du public devaient se mêler aux rires et aux bruits des verres et des bouteilles.
Cris et jeux
Cris d’enfants
52Une clientèle appréciée des exploitants, celle des enfants qui permettaient de bien remplir les séances du jeudi après-midi (devenu mercredi bien plus tard), s’exclamait sans doute encore plus facilement que les grandes personnes. Les cris des petits spectateurs ne s’arrêtaient que lorsque la direction de la salle prévoyait de quoi calmer l’appétit des écoliers profitant de leur jeudi : « Au cours de ces matinées [du jeudi], la direction faisait distribuer des bonbons ou des gâteaux aux enfants », à partir de septembre 1907, à l’Idéal Cinéma de Bordeaux89. De même, à l’Eden, à Villefranche-sur-Saône, chaque enfant a droit à une boîte de bonbons gratuite le jeudi90. À Nantes, Monsieur Nondin se souvient qu’à l’entracte, l’ouvreuse vendait : « des oranges, berlingots, pastilles de menthe et bouchées de chocolat91. » L’environnement sonore bruisse alors de papier de bonbons et de biscuits qui croustillent, mêlés aux cris des enfants réagissant bruyamment aux films comiques par exemple92. Les autres jours, ces bruits se répètent d’ailleurs dans la plupart des salles françaises et étrangères puisque des friandises sont vendues dès les années 1900. Les enfants crient aussi quand leur mère vient les arracher à une séance de cinématographe qui faisait office de « baby-sitter ». Pendant toutes les années 1900, les grands magasins Dufayel proposèrent des séances de cinématographe pour attirer des clients mais aussi pour que les enfants soient distraits pendant que les parents prennent le temps de faire leurs achats. Dans ces séances en continue, on entendait régulièrement les hurlements des gamins passionnés par les images en mouvement qu’on venait interrompre dans leur extase. Claude Heymann se souvient : « C’était toujours des cris lorsque [les parents] venaient reprendre leur progéniture93 ! » Dans le Gaumont-Théâtre de Rouen, en 1913, les enfants sont choyés le jeudi : « Grande matinée réservée aux enfants. Distributions de chocolats et biscuits. » Cette pratique est très répandue dans les salles françaises. Le circuit de distribution concessionnaire Pathé, Cinématographe Monopole (qui couvre le grand sud-est de la France), fait donner des « bonbons Pathé » ou des « bonbons Monopole » aux enfants payant leur entrée dans les salles de Nice ou de Villefranche-sur-Saône. Parfois ce sont des ballons de baudruche (appelées alors « ballons de cellulo ») qu’on donne aux enfants94. Les cris des petits se mêlent toujours au craquement des plaquettes de chocolat, des gâteaux secs et parfois au bruit des ballons lancés dans la salle et qui peuvent éclater. Pour avoir une idée du volume sonore atteint on peut regarder la carte postale montrant le « Cinéma-parlant-Auxerrois J. Lory » (parfois orthographié Lorry). La photo prise après une séance de matinée enfantine montre entre 200 et 300 enfants, entourés par une trentaine d’adulte95. Ici, les enfants ont entre quatre et quinze ans. Mais de nombreuses salles incitaient les mères à venir avec leurs nourrissons ! Une publicité explique que le directeur d’une salle de Brest a baissé ses tarifs pour « permettre aux mamans de faire voir, sans trop de frais, le splendide cinématographe Pathé à leurs bébés96 ». Le son principal était-il fait de vagissements ? Le même exploitant procède à des distributions gratuites de tickets dans les écoles de la ville. Il s’agit d’habituer les enfants au cinématographe et de former de futurs spectateurs.
Bruit de patinage
53Après les ballons, les cris et les petits bruits produits par les friandises croquées par les enfants, nous pouvons terminer cette évocation des sons créés par les spectateurs par un élément sonore étrange : le bruit des patins à roulettes. Les skating rinks, importés des États-Unis, réunissent la bonne société dans un nouveau sport. Les femmes qui avaient pu inaugurer les jupes-culottes grâce à la bicyclette, dès la fin des années 1890, peuvent également porter ce nouveau vêtement à la mode pour patiner (sauf dans quelques villes où des hommes s’offusquent de cette « masculinisation de la femme » et prennent à partie ces « avant-gardistes »)97. Dans ces patinoires, l’écran de cinéma est placé souvent dans la salle de patinage. À Paris, en 1898, la Patinoire du Palais des glaces permet aux sportifs sur roulettes de se reposer en regardant des films : « Entre 5 heures et 6 heures, l’obscurité se fait dans la vaste enceinte ; les patineurs s’arrêtent ; le cinématographe développe sa vaste nappe blanche et les tableaux les plus variés se succèdent98. » Le son ici est celui des conversations, et celui des patins, immobiles ou en mouvement.
54Rien n’empêche a priori un patineur téméraire de continuer ses évolutions sur le rink… sauf l’obscurité ! Plus tard certaines salles installèrent des skating rinks en sous-sol, avec accès gratuit pour les spectateurs, pour attirer plus de monde. Le Fééric Cinéma, dans le XVIIe arrondissement de Paris, procède de la sorte à partir de 191199. Il est peu probable que le bruit des patineurs se soit entendu jusque dans cette salle. Par contre, dans des patinoires qui s’ouvrent dans toutes les villes de France, on mélange parfois projection et patinage. À Saint-Étienne, le Great Skating Rink permet de patiner tout en regardant des films Gaumont : « le cinématographe Gaumont projette sur l’écran de fort jolies vues pendant qu’évoluent sur la piste les couples de patineurs100 ! » Peut-être que cet établissement utilisait le procédé de projection en salle éclairée qui se développa pendant quelques années. C’est une des rares mentions précises d’un journal expliquant que les gens patinent pendant les projections, ce qui ne devait pas manquer de provoquer des chutes ! Dans ce cas, le bruit des roulettes pouvait s’agrémenter de quelques cris et bruits de corps tombant sur un sol dur ! À Lyon également, on trouve un skating avec films, mais il semble qu’on les regardait plutôt en dégustant une boisson, même si rien n’interdit aux patineurs de continuer leurs évolutions. Ce bruit des patins à roulettes (et des chutes de patineurs !) reste sans doute minoritaire, même si de nombreux skating rinks s’implantent dans toute la France avant 1914. Cas extrême dans notre étude, il prouve que les environnements sonores sont d’une grande variété. Les annonces sont rarement rédigées de façon assez claire pour qu’on puisse affirmer que les films sont toujours projetés pendant que les patineurs évoluent. Une photographie de 1911 montre la salle du Café de Paris, à Limoges, utilisée par le cinéma Pathé et par le Skating Rink, mais plutôt en alternance101. Les cinémas-skatings, ou plutôt skatings avec projections, se multiplient dans toute la France, d’Amiens à Rouen, de Caen à Montpellier. Juste avant que la salle de l’Hippodrome, place Clichy, à Paris, ne devienne le Gaumont-Palace, entre 1910 et août 1911, la vaste salle du rez-de-chaussée se transforme en piste de patins à roulettes. La Paris-Hippodrome-Skating-Rink-Company qui gère le lieu, sous-loue le sous-sol pour que la Royal Bio y projette des films. Les recettes de la patinoire s’avérant décevantes, on ajoute une attraction. Pour attirer plus de patineurs, on passe des films directement dans cette grande salle102. Les films sont projetés en salle semi-éclairée, ce qui permet aux patineurs de continuer à évoluer. « Afin de ne pas gêner les patineurs, l’écran provisoire fut installé à la hauteur des étages du balcon103. » Certains patineurs regardent les films, d’autres continuent de rouler, ou jettent un œil distrait vers le haut pour observer un film en avançant… s’ils sont très adroits ! Pendant un an à peu près, le bruit des roulettes sur la piste accompagne les films proposés par Gaumont (la société étant déjà chargée des projections, ce qui lui permet d’étudier une reprise complète de l’Hippodrome). En 1911, s’en est fini de ce « bruit parasite » particulier ! Gaumont installe le « plus grand cinéma du monde » avec ses 5 500 spectateurs. Peut-être que d’autres skating rinks en France continuèrent à proposer des films pendant le patinage des clients. En 1913 on trouve, dans les corporatifs cinématographiques, des annonces pour louer, ou vendre, des skatings avec leur matériel de cinéma104.
55Les cris des patineurs autant que le bruit de leurs patins se faisaient entendre devant des vues animées. Les hurlements d’ivrognes et les chuchotements des bavards ont participé aux séances cinématographiques pendant des années. La participation du public au spectacle cinématographique semble la règle pendant une bonne partie de la Belle époque. Avec le philosophe américain Richard Shusterman, reprenant les thèses de John Dewey, nous pouvons parler de somaesthétique (une esthétique du corps)105. Le public en mouvement chante et crie. Il fait le spectacle de tout son corps, autant qu’il le voit. Si aujourd’hui des spectateurs se retournent courroucés face à un indélicat qui déplie un bonbon, que pouvaient-ils dire quand toute une salle festoyait à haute voix devant un film ? Rien. Car l’analyse des sons provoqués par le public nous permet de comprendre l’évolution des pratiques sociales. Le loisir qui permet de se retrouver entre amis n’implique plus applaudissements, cris, interpellations, ou même des bagarres, pendant le spectacle. Le statut de la salle où l’on projette des films a rapidement évolué. Avant 1914, dans beaucoup de cas, on ne fait pas de différence entre un bar et un « cinématographe ». Dans l’un comme dans l’autre le client peut boire et parler avec ses amis. Pour réussir à discipliner ce public bruyant, il faut lui imposer un principe d’autorité. Le conférencier, s’il sait tenir ses spectateurs, peut transformer le standing d’une salle. La voix d’accompagnement donne du sens aux films, mais peut aussi donner un statut au lieu de projection.
Notes de bas de page
1 Félix Mesguich, Tours de manivelle. Souvenirs d’un chasseur d’images, Grasset, 1933, p. 10.
2 L’Écho des Bouches-du-Rhône, 3 mai 1896, in J. et C. Rittaud-Hutinet, op. cit., p. 36.
3 L’Union républicaine de la Marne, 29 octobre 1896, in J. et C. Rittaud-Hutinet, op. cit., p. 126.
4 La Vie mondaine, Bordeaux, 26 juillet 1896, in J. et C. Rittaud-Hutinet, op. cit., p. 100.
5 Photographie tirée de L’Illustration, du 21 janvier 1911, reproduite dans la réimpression thématique : Les Grands dossiers de l’Illustration : le cinéma, édition le livre de Paris, 1987, p. 41.
6 L’Union républicaine, Châlons-sur-Saône, 22 octobre 1896, in J. et C. Rittaud-Hutinet, op. cit., p. 130.
7 J. et C. Rittaud-Hutinet, op. cit., p. 134, 137, etc. Aujourd’hui encore, dans de nombreux pays, de l’Afrique à l’Amérique latine, et même parfois dans des salles françaises, le public applaudit si le film lui plait. C’est le cas au « cinéma Saint-Denis », dans le quartier de la Croix-Rousse à Lyon, le samedi soir dans les années 2000.
8 Le Matin Charentais, 13 septembre 1896, cité in Pierre Berneau, « Les Débuts du cinéma à Angoulême », 1895, n° 1, septembre 1986, p. 29.
9 Cité in P. et J. Berneau, op. cit.
10 Article de mars 1908 cité in Meusy, Cinémas de France, op. cit., p. 136.
11 Pierre-Jakez Hélias, Le Cheval d’orgueil, Plon, coll. « Terre Humaine », 1975, cité par Tangui Perron, Le Cinéma en Bretagne, Plomelin, éditions Palantines, 2006, p. 19-20.
12 John Dewey, L’Art comme expérience, Pau/Paris, Publication de l’université de Pau/édition Farrago (1re édition 1934, USA), 2003.
13 L’Écho rochelais, 22 août 1896, article d’Henri Clouzot, in J. et C. Rittaud-Hutinet, op. cit., p. 195.
14 Le Journal de Seine-et-Marne, 16 septembre 1896, in J. et C. Rittaud-Hutinet, op. cit.,p 190.
15 La permanence des comportements face au noir, à l’inconnu et à l’attente se constate si on accompagne une classe de collège au cinéma ou au théâtre et que le spectacle tarde à arriver.
16 Le Publicateur de l’arrondissement de Meaux, 16 septembre 1896, in J. et C. Rittaud-Hutinet, op. cit., p. 191.
17 Le Patriote, Reims, 30 mars 1896, in J. et C. Rittaud-Hutinet, op. cit., p. 388.
18 Germain Lacasse, Le Bonimenteur de vues animées, op. cit.
19 Site Internet de la Société de Musicologie de Languedoc, à Béziers. Information notée à la date du 2 février 1906.
20 Enquête Cinema culture in the 1930’s Britain, cité in Emmanuel Ethis, op. cit., p. 29.
21 Deslandes et Richard, op. cit., p. 159.
22 Affiche reproduite in Deslandes et Richard, op. cit., p. 161.
23 Le Messin, 10 mai 1904, in Blaise Aurora, op. cit., p. 176.
24 Charles Musser, High-class Moving Picture : Lyman Howe and the Forgotten Era of Travelling Exhibition, 1880-1920, Princeton, Princeton University Press, 1991.
25 Le Courrier libéral, Verdun, 4 juillet 1906, in Blaise Aurora, op. cit., p. 176.
26 Jacques Garnier, op. cit., p. 327.
27 Le Courrier du Centre, Limoges, 31 août 1900, in P. et J. Berneau, op. cit., p. 32.
28 Hélène Tierchant (dir.), Aquitaine, 100 ans de cinéma, Bordeaux, CRL d’Aquitaine, 1991, p 37.
29 Ibidem. Le problème du droit à l’image se pose encore aujourd’hui, de manière plus globale, puisqu’un groupe de personnes a demandé des dommages et intérêts pour la photographie d’un paysage. Le compte-rendu du procès gagné par Abraham Dulaar fut détaillé dans deux numéros de Phono-Ciné-Gazette, 15 octobre et 1er novembre 1905.
30 Le Courrier du Centre, P. et J. Berneau, op. cit., p. 67.
31 L’Éclaireur de Nice, 15 février 1907. Un an plus tard le même argument revient : « Tout le monde viendra à l’Eden Cinéma Pathé pour se reconnaître sur la pellicule », L’Éclaireur de Nice, 1er mars 1908. Merci à Paul Barnier.
32 L’Éclaireur de Nice, 31 mars 1907.
33 Ibidem.
34 Comme lors du Tsunami du 26 décembre 2004, des images d’une catastrophe doivent faire réagir la population. De la même façon que les chaînes de télévision du monde entier sont devenues les relais de dons aux associations secourant les sinistrés, peut-être parce qu’elles avaient « mauvaise conscience » de « faire de l’audience » avec des images monstrueuses.
35 L’Éclaireur de Nice, 6 mars 1907.
36 L’Éclaireur de Nice, 22 mars 1907, L’Éclaireur de Nice, 31 mars 1907, pour un autre spectacle.
37 Poupion, vol.2, op. cit., p. 309.
38 Dewey, op. cit., p. 24.
39 Le Mémorial des Basses-Pyrénées, 16 au 16 octobre 1904, in Tierchant, op. cit., p. 39.
40 Odile Gozillon-Fronsacq, Cinéma et Alsace. Stratégies cinématographiques, 1896-1939, AFRHC, 2003, p. 33.
41 Maurice Barrès, Au service de l’Allemagne, in Œuvres, Hachette, 1966, t. VI, p. 45-51, cité in Odile Gozillon-Fronsacq, op. cit., p. 34.
42 Le Courrier du Centre, Limoges, 18 décembre 1900, in P. et J. Berneau, op. cit., p. 34.
43 Le Courrier du Centre, Limoges, 19 août 1907, in P. et J. Berneau, op. cit., p. 56.
44 Yves Chevaldonné, op. cit., p. 101.
45 Le Courrier du Centre, Limoges, 27 août 1907, in P. et J. Berneau, op. cit., p. 55.
46 La Dépêche de Rouen, 24 avril 1910, Poupion, vol.2, op. cit., p. 161.
47 Lettre du 17 mai 1913, conservée aux Archives Municipales d’Annecy, in Pignal, op. cit., p. 41.
48 Israel Rabon, La Rue, 1928, cité in Prieur, Le Spectateur nocturne. Les écrivains au cinéma, une anthologie, Cahiers du cinéma, 1993, p. 89. Rabon parle d’ouvriers en Pologne, mais le phénomène existe partout.
49 Le Courrier du Centre, 14 janvier 1908, P. et J. Berneau, op. cit., p. 67.
50 Yves Chevaldonné, op. cit., p. 100.
51 Meusy, Cinémas de France, op. cit., p. 118.
52 Bernard Alexandre, Le Horsain, op. cit., p. 75.
53 Site Internet de la Société de musicologie de Languedoc, à Béziers.
54 P. et J. Berneau, op. cit., p. 43.
55 René Noell, Histoire du spectacle cinématographique à Perpignan de 1896 à 1944, n° spécial des Cahiers de la Cinémathèque, 1973, p. 6.
56 Julie Csergo, op. cit., p. 159.
57 in 100 ans de cinéma en Bourgogne, op. cit., p. 62.
58 Merci à Emmanuel Brabant.
59 Le Courrier de Saône-et-Loire, 5 juillet 1907.
60 Le Courrier de Saône-et-Loire, 16 juin 1907, cité in 100 ans de cinéma en Bourgogne, op. cit., p. 52.
61 Merci à Julien Poussardin.
62 Julie Siboni, « Premières projections cinématographiques à Moulins et Vichy (1895-1914) », Études bourbonnaises, n° 306, juin 2006, p. 49. Merci à Julie Siboni.
63 Meusy, Paris-Palaces, op. cit., p. 363.
64 L’Éclaireur de Nice, 29 juillet 1906.
65 Pour avoir une idée juste du phénomène, on peut comparer cette ambiance particulière qui voit les verres s’accumuler sur les tables placées devant un écran, au bruit des mâchoires des mangeurs de pop-corn dans les salles d’aujourd’hui.
66 Odile Gozillon-Fronsacq, op. cit., p. 47.
67 Ibidem, p. 71-72. Aujourd’hui, dans les multiplexes, des emplacements sont prévus pour poser les verres de sodas.
68 Blaise Aurora, op. cit., p. 85. Le rôle du cinématographe dans ces établissements est le même que celui que tient la télévision dans les bistrots d’aujourd’hui. De la même façon qu’autrefois, cette « attraction » maintient le consommateur un peu plus longtemps dans le débit de boisson… et cette télé reste souvent muette.
69 Henri Fescourt, La Foi et les montagnes, Publications Photo-Cinéma Paul Montel, 1959, p 30-31.
70 Muriel Pignal, op. cit., p. 43-47.
71 Information trouvée par Blandine Forthias.
72 Information de Renaud Chaplain.
73 Qui sert sans doute à se réunir pour faire des farces, comme à Béziers où un café permet à de joyeux plaisants de se retrouver pour des blagues de toutes sortes.
74 Hélène Tierchant, op. cit., p. 16 sq.
75 Ibidem, p. 48.
76 F. Monteil, op. cit., p. 125 sq. Cinq cafés ont officiellement déclaré leurs projections. Quant aux autres…
77 Roland Castelnau, Écrans magiques : grande et petites histoires des salles de cinéma à Bordeaux et en Gironde, Bordeaux, édition Le Festin / La Mémoire de Bordeaux / Conseil Général de la Gironde, 1995, p. 30.
78 La France, 7 octobre 1896, et information in Pierre Berneau, « Les Débuts du spectacle cinématographique à Bordeaux », 1895, n° 4, juin 1988, p. 20.
79 Paul C. Spehr, « Eugene Augustin Lauste, A biographical chronology », Film History, vol. 11, 1999, p. 27. Merci à John Belton.
80 Le Journal de Rouen, 5 mars 1913, Poupion, vol. 2, op. cit., p. 300 sq.
81 Le Journal de Rouen, 2 décembre 1913, Poupion, ibidem, p. 306.
82 La Dépêche de Rouen, 1er octobre 1913, Poupion, ibid., p. 318.
83 Carte postale reproduite à partir des collections de la BN-Arsenal, in Meusy, Paris-Palaces, op. cit., p. 364.
84 À partir de 1907 plusieurs procédés permettent de projeter des films en pleine lumière. Cf. Charles Chancy, « Le Phono-Ciné en plein jour », Phono-Ciné-Gazette, n° 58, 15août 1907.
85 Meusy, Paris-Palaces, op. cit., p. 365.
86 Archives municipales d’Annecy, in Pignal, op. cit., p. 43.
87 ibidem, p. 45 sq.
88 Blaise Cendrars, Les Confessions de Dan Yack, Denoël, 1929, in Prieur, op. cit., p. 105-106.
89 Pierre Berneau, « Les débuts du spectacle cinématographique à Bordeaux », op. cit., p. 27.
90 Journal de Villefranche, 12 janvier 1909 ; Merci à Marion Chevrier.
91 F. Monteil, op. cit., p. 93.
92 La photographie, dont nous avons parlé plus haut, publiée dans L’Illustration, le 21 janvier 1911, montrant des enfants en train de crier pendant une projection donne une idée du volume sonore des assemblées de petits spectateurs du jeudi. Ajoutons que les enfants photographiés dans ce célèbre hebdomadaire sont tous habillés à l’identique (costume marin pour les garçons, robe blanche avec un nœud dans les cheveux pour les filles) ce qui permet de savoir qu’ils vivent dans des familles bourgeoises. Même s’ils apprennent « à bien se tenir », « à rester silencieux », etc., ils ne peuvent retenir leurs cris face à l’écran. Cela nous permet d’imaginer encore moins de retenu dans le cas de séances qui ne soit pas réservées à la classe sociale la plus riche.
93 Meusy, Paris-Palaces, op. cit., p. 52.
94 Le Journal de Villefranche, 1909, et L’Éclaireur de Nice, 1910.
95 Image dans Meusy, Cinémas de France, op. cit., p. 65.
96 La dépêche de Brest, 15 octobre 1907. Cité in Meusy, Cinémas de France, op. cit., p. 124. À la même époque des poussettes sont garées devant les nickelodeons américains. Cf. Jay Leda et Charles Musser (dir.), Before Hollywood. Turn of the Century American Film, New York, Hudson Hills Press / American Federation of Arts, 1987, p. 36.
97 Site Internet de la Société de musicologie de Languedoc, à Béziers.
98 Paris-Chronique, 25 février 1898, cité in Meusy, Paris-Palaces, op. cit., p. 74.
99 Ibidem, p. 216-217.
100 Merci à Sandrine Di Fruscia. La Tribune républicaine de Saint-Étienne, 3 octobre 1912. Les Annales foréziennes, 13 octobre 1912.
101 Photographie in P. et J. Berneau, op. cit., p. 97.
102 Meusy, Paris-Palaces, op. cit., p. 286.
103 Georges-Michel Coissac, Histoire du cinématographe des origines à nos jours, éditions du Cinéopse / Librairie Gauthier-Villars, 1925, p. 363.
104 Cinéma-Revue, n° 10 et n° 11, octobre et novembre 1913 (3e année).
105 Richard Shusterman, Pragmatist aesthetics. Living Beauty, Rethinking Art, Lanham (Maryland), 2e ed., Rowan & Littelfield, 2000.
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