9. « Passer par la fenêtre »
Une nouvelle modalité d’exercice du métier
p. 169-187
Texte intégral
1Le juge du jeu, en tant que forme de légitimité, cohabite avec un autre modèle ajusté à la nouvelle configuration du journalisme sportif. En effet, les transformations au sein du champ journalistique (notamment la priorité au scoop sous l’effet de la concurrence), ainsi que les évolutions des relations quotidiennes avec les institutions sportives et les agents les plus médiatisés façonnent un nouveau rôle professionnel. Ce dernier, plus autonome, réclame tout de même des dispositions à jouer le jeu sportif.
« C’est Ramallah, votre truc » : le journalisme mis à distance
2La structuration des institutions sportives, dans le prolongement de leur économicisation croissante, a des conséquences directes sur le journalisme.
« J’ai vu l’évolution en foot et en vélo. En vélo, on allait dans les chambres d’hôtel des mecs. Je me souviens, je suivais sur des courses pas importantes. Greg Lemond passait au MC Do en cachette et me disait “Tu en parles pas à mon directeur sportif. Viens dans ma chambre on va parler en bouffant”. C’était Greg LeMond ! Aujourd’hui, pour le moindre petit coureur, il faut voir avec l’attaché de presse. Je trouve ça hallucinant. C’est pire au football. »
Entretien avec Robert, né en 1962, journaliste sportif à L’Humanité de 1986 à 1999, au service Sports du Parisien depuis 1999.
3La mise à distance des journalistes, en tant que stratégie de protection des intérêts institutionnels, est à replacer dans un contexte plus général où les grandes entreprises, de toutes sortes, se soucient de leur réputation, partant du principe que les capitaux symbolique et économique se confondent. Lors de leurs déplacements quotidiens au camp d’entraînement du PSG ou lorsqu’ils effectuent des demandes d’interviews auprès du club, les reporters du Parisien ont comme interlocuteurs privilégiés un directeur de communication et un attaché de presse. Les profils de ces trentenaires permettent de dégager deux principes de légitimité dans la profession. Le premier renvoie au mouvement de scolarisation de la communication en tant que domaine d’intervention spécifique. L’attaché de presse du PSG est diplômé d’une école de management où il se spécialise, lors de la quatrième année, en « communication et nouvelles technologies ». Il effectue sa troisième année à l’université of Colorado Denver en « Communications and advertising », où il acquiert des compétences linguistiques utiles pour rejoindre en 2012 la Fédération internationale de Formule 1 en tant que « Head of content ». Le second renvoie à une circulation d’un milieu à l’autre : du journalisme à la communication, des médias au sport professionnel. Au PSG, le directeur de communication, diplômé en science politique avant d’intégrer une école de journalisme, est un ancien journaliste sportif. Il a notamment effectué de nombreux reportages dans l’émission du dimanche matin, « Téléfoot », sur TF1. Nul doute que, comme en politique, sa maîtrise des codes journalistiques n’est pas étrangère à son recrutement1.
4À l’instar de ce qui se passe dans d’autres univers sociaux, l’activité des communicants se caractérise grandement par la mise en place de mécanismes d’évitement des journalistes. Lors des déplacements quotidiens au camp d’entraînement du PSG, les journalistes du Parisien sont, comme les autres, particulièrement encadrés. Ce jeudi 25 février 2010, nous accompagnons Didier à Saint-Germain-en-Laye.
L’entraînement est prévu à 11 heures. J’arrive au Camp des loges à 10 h 30 et je me gare sur le parking réservé au public. Des voitures avec les logos L’Équipe.fr, France Télévisions, France Bleu sont garées. Les visiteurs attendent l’ouverture des portes pour assister à l’entraînement. Les vacances scolaires expliquent la présence de nombreux enfants. Didier arrive à 10 h 40. Il salue les journalistes présents et entame une discussion avec Nicolas de L’Équipe. Ils évoquent les voitures des joueurs, stationnées à quelques pas, qu’un homme nettoie devant nos yeux.
10 h 50 – Ouverture des portes du camp. Le public est orienté par les agents de sécurité dans un coin réservé. Les journalistes prennent un autre chemin, surveillé par un agent de sécurité. Didier lui serre la main et explique que je l’accompagne : « Il est avec moi. » Nous entrons dans un bâtiment où un espace est dédié aux journalistes. Nous patientons. Didier s’entretient avec le chef de la sécurité avec qui, visiblement, il semble entretenir de bonnes relations. Il prend un café à la machine et s’assoit pour lire l’un des deux journaux proposés à la lecture. Didier demande à Nicolas de lui transmettre L’Équipe : « Passe-moi la concurrence. » Pendant ce temps, ce dernier lit Le Parisien. L’entraînement a commencé mais les deux journalistes ne se précipitent pas pour rejoindre le reste du groupe sur le toit du bâtiment qui donne sur le terrain de football. L’attaché de presse du club passe par le hall et serre la main des deux journalistes.
11 h 05 – Didier sort un cahier et un stylo de son sac puis se rend sur le toit pour observer l’entraînement. Il y rejoint la petite vingtaine de journalistes, tous médias confondus. Certains filment, dont le journaliste du Parisien.fr qui propose du contenu vidéo sur le site. Didier prend quelques notes durant la séance. Il passe surtout son temps à discuter avec son collègue du Parisien.fr des affaires internes au journal.
12 heures – Fin de l’entraînement. Les journalistes ont la possibilité soit de quitter les lieux par le chemin qu’ils ont emprunté en arrivant soit d’assister à la conférence de presse. Didier émet des réserves quant à l’intérêt de la conférence : « Je suis là donc j’y vais mais c’est un peu… Ce sont les mecs de L’Équipe et du Parisien qui posent les questions, les autres complètent un peu. En plus, c’est sur le web dans 1 h 30. » On patiente dans le hall. Une rumeur circule selon laquelle Claude Makélélé, le capitaine de l’équipe, préposé à la conférence, n’est pas revenu de ses examens médicaux et que l’attente pourrait être longue.
12 h 18 – L’attaché de presse passe dans le hall. Didier l’interpelle : « Alors Benoît, ton mec passe toujours ses examens ? – Non, il est là. Il ne va pas tarder. »
12 h 26 – L’attaché de presse entre dans le hall : « On est prêts les amis. » Il invite le groupe à rejoindre la salle de conférences. Il fait entrer le joueur par une porte adjacente. Le joueur salue les journalistes : « Bonjour messieurs. » L’attaché de presse : « On y va. » Première question de Didier : « Comment ça va après ces examens ? » Nicolas de L’Équipe pose les cinq questions qui suivent. Le tutoiement est de mise pour la plupart des journalistes. L’attaché reste debout, proche de la table d’interview, durant toute la série de questions. Au bout de vingt minutes, l’attaché de presse prend la parole : « La toute dernière. » Il gère le temps de l’interviewé. L’attaché de presse met fin au protocole après une dernière question : « Messieurs, merci. »
12 h 48 – Fin.
Notes d’observation, 25 février 2010.
5Au premier abord, cette matinée-type dévoile une certaine convivialité en raison d’une forte interconnaissance (poignées de mains, tutoiement, etc.) entre les différents acteurs présents (journalistes, attachés de presse, agents de sécurité). Cette ambiance faussement amicale invisibilise les rapports de force. Elle masque la pression exercée par le dispositif balisé (et banalisé) dans lequel sont pris les journalistes, du fait de l’impossibilité d’approcher individuellement les joueurs ou l’entraîneur du PSG. Ce contrôle, matérialisé dès le parking par une clôture séparant les deux univers, répond à plusieurs logiques.
6La première est de maîtriser autant que possible les représentations médiatiques dominantes du club parce qu’elles produiraient des effets sur son économie. La deuxième est la protection du « vestiaire ». Cette norme sportive vise à donner l’illusion d’un collectif soudé face aux journalistes qui, comme les supporters, peuvent constituer des menaces pour l’unité du groupe.
« Sur le PSG, ça avait déjà beaucoup changé quand j’ai débarqué [en 1999] mais c’est vrai que c’est de plus en plus difficile d’avoir accès aux joueurs. Soit on leur parle en conférence de presse, soit en salle de presse en tête-à-tête mais souvent avec l’attaché de presse à côté. Soit on leur parle derrière une barrière qui fait deux mètres de haut. Alors qu’avant on pouvait les croiser sur un parking, leur serrer la main. Maintenant, on ne peut quasiment plus leur serrer la main, il y a une vraie distance. C’est vraiment difficile de nouer des contacts car eux sont hyperbriefés : “Vous ne parlez pas au téléphone avec eux. Vous n’allez pas au resto avec eux.” À la limite, ils ont été tellement bien briefés que c’est bien ancré chez eux. »
Entretien, Tristan, journaliste de la « cellule PSG », 2010.
7La troisième a trait à l’augmentation croissante de la population journalistique ces dernières années et à la nécessité de la gérer. La multiplication de la surface rédactionnelle accordée au sport dans la presse de grande diffusion et l’apparition de nouveaux médias (chaînes d’information sportive en continu, sites internet) engendrent un nouvel afflux sur les terrains. C’est pour ces raisons que la conférence de presse s’impose comme l’outil de rationalisation de cette relation multipartite2. Au PSG, elle répond à une organisation quasi « rituelle » qui fixe bien les rôles de chaque protagoniste3.
J’accompagne Hugo au Parc des princes pour la conférence de presse donnée par l’entraîneur, comme avant chaque match à domicile du PSG.
16 h 00 : Arrivée au stade en compagnie de Hugo. Benoît, l’attaché de presse du club, accueille les journalistes à l’entrée de la salle de conférences située dans les sous-sols du stade. Hugo salue la vingtaine de journalistes (tous supports) présente dans la salle. « Plus ils descendent au classement, moins il y a de monde » remarque-t-il, comme pour rappeler l’une des logiques propres du journalisme sportif qui veut que les résultats conditionnent en partie le degré de médiatisation. Il tutoie ses collègues, visiblement des « habitués du PSG. »
16 h 25 : L’attaché de presse entre dans la salle de conférences suivi de l’entraîneur. Ce dernier s’assoit à la table située sur l’estrade surplombant la salle. L’attaché de presse, resté en retrait, mais présent sur l’estrade, annonce le début de la conférence. Il restera debout, les mains dans le dos, sans bouger, durant les vingt minutes d’échanges. Les journalistes multiplient les questions, en utilisant tantôt le tutoiement, tantôt le vouvoiement, comme pour signifier le degré de proximité et surtout l’incertitude qui entourent l’interaction. Cette conférence peut se lire comme une tentative ratée d’obtenir la « petite phrase » et de sortir du cadre imposé par l’entraîneur, à savoir le match du lendemain.
« Hugo : Que pensez-vous de la sanction de Sessegnon [joueur sanctionné de trois matchs de suspension] ?
L’entraîneur : Je prends acte.
Hugo : C’est lourd ?
L’entraîneur : Demain d’abord. »
Un autre journaliste tente aussi de sortir du cadre strictement sportif :
« Que pensez-vous de la déclaration de…?
– J’en pense rien. Ce qui m’intéresse, c’est le match de l’équipe de demain. »
Suite à cette réponse sans concessions, l’attaché de presse esquisse un sourire.
16 h 39 : L’attaché de presse prend la parole : « Deux-trois dernières s’il vous plaît. » Après trois questions, il dit : « Merci bien. »
Notes d’observation, 19 février 2010.
8Là où toute la difficulté pour les journalistes consiste à sortir l’entraîneur de la « langue de bois », le service de communication du PSG crée les conditions de possibilité de cette neutralisation. Depuis le rachat du club par un fonds d’investissements qatarien en 2011 dont les capitaux permettent au club de recruter des joueurs de premier plan au niveau international, la médiatisation du PSG s’est accrue en même temps que le contrôle institutionnel. Un journaliste de la « cellule PSG », rencontré une seconde fois en 2013, évoque ce renforcement :
« Avec le PSG, maintenant c’est un entraînement ouvert par semaine. Alors qu’avant, c’était uniquement un entraînement à huis clos. Ils veulent faire comme en Italie et en Angleterre. Le Camp est devenu un camp retranché. Un photographe du Parisien est venu avec nous une fois pour un reportage là-bas. Il a l’habitude de couvrir les conflits, les guerres. Il est arrivé là-bas, il nous a dit : “C’est Ramallah votre truc.” Il y a des bâches partout, la hauteur des grilles a été augmentée. »
Entretien, 2013.
9Les journalistes sont de plus en plus écartés des affaires internes du club : la communication de l’actionnaire est gérée par une entreprise et le club étoffe son équipe de communicants. Début 2012, le directeur de communication et l’attaché de presse sont rejoints par un troisième acteur, ainsi que par une responsable de la communication institutionnelle. Ce resserrement du dispositif vise à déposséder les journalistes de leur pouvoir.
« Maintenant, le journaliste de leur site internet pose des questions en conférence. C’est nouveau. Pour la première conférence de Laurent Blanc [le nouvel entraîneur du PSG], il a posé la première question pour lancer la conférence. Ensuite, j’ai vu l’attaché de presse l’inciter à poser une autre question. »
Entretien, 2013.
10Autant que le discours institutionnel, les journalistes regrettent la difficulté de nouer, dans ce contexte, des relations personnalisées avec les sources traditionnelles. Robert, dans le métier depuis 1986, évoque les conséquences à travers le cas critique de l’équipe de France de football.
« Ça m’est arrivé de faire une interview en tête-à-tête avec Zidane. C’est un truc inimaginable aujourd’hui. Il n’y a plus de one-to-one. Avant tu avais un accès ! Tu arrivais aux entraînements, tu disais au mec “Veux-tu parler avec moi ?” et le mec t’emmenait bouffer. Aujourd’hui c’est impossible car tu as un chargé de com’ qui va te dire qu’il faut passer par lui pour demander. Et même on demande les questions ! Si le thème ne leur plaît pas, ils peuvent te dire non ! C’est délirant ! C’est une aubaine pour les gens qui veulent gérer la com’, qui disent : “Vous êtes trop nombreux.” »
Entretien, 2010.
11Les journalistes ont toujours la possibilité de formuler des demandes d’interviews auprès du club (au moins 48 heures avant la date souhaitée). Lorsqu’elles sont acceptées, elles le sont sous conditions : l’attaché de presse est présent pour surveiller ce qui se dit et apporter, si besoin, assistance au joueur4. D’ailleurs, quand bien même le club accepterait, les journalistes doivent passer le filtre des agents de joueur, dont la présence s’est accrue à partir du début des années 1990 pour devenir incontournable aujourd’hui. Intermédiaire entre l’employé et l’employeur, il se veut, au-delà de la gestion des contrats, conseiller en image du joueur5 allongeant ainsi les chaînes d’interdépendances de la communication. S’il est souvent une barrière supplémentaire, l’agent, lorsqu’il fait un usage stratégique des médias, peut aussi devenir une source potentielle d’informations pour le journaliste à la recherche de leviers pour surmonter les obstacles communicationnels.
Les stratégies de contournement
12Dans ce contexte de fermeture, les professionnels de l’information développent des stratégies pour continuer à alimenter les pages de leur rubrique. Elles passent par la constitution de relations personnalisées pour mieux réaliser des « coups » qui sont une finalité dans un espace médiatique concurrentiel.
L’art de « fouiner », une définition extensive de la source
13Malgré le formalisme de la conférence, l’exercice est respecté par la « cellule PSG ». Ils y témoignent de leur présence, notamment auprès de l’attaché de presse, en espérant des retombées futures : « Ça sert à rien (la conférence). En plus, ça sera sur le site dans quelques minutes. Mais il faut être là, montrer son visage, serrer la main de l’attaché de presse. Ça paie à un moment ou à un autre » (entretien, 2010). Tout en confirmant le rejet provoqué par la communication institutionnelle, ces paroles révèlent aussi à quel point la recherche de la « petite info » constitue un moteur de la pratique. Ce que dit explicitement cet autre membre de la « cellule PSG » : « Moi je suis obsédé par l’info, le scoop, le truc. Physiquement ça me ronge quand j’en sors pas pendant quelques temps » (entretien, 2010). Pour parvenir à leurs fins, certains journalistes adoptent désormais une définition extensive de la notion de « source6 ».
« La grande idée c’est que parmi les 14 joueurs non convoqués, il y a 14 épouses frustrées, 14 meilleurs amis énervés, 14 agents qui voient leur capital s’étioler donc 80 personnes environ disposées à parler. »
Notes d’observation lors d’une conférence à l’ESJ Paris, 18 novembre 2009.
14Ce jour-là, les étudiants du Master « Journalisme sportif » de l’ESJ Paris assistent à une conférence d’un journaliste invité dans le cadre de l’offre de formation. Ancien responsable des Sports au Parisien, co-directeur de ce même service à Canal Plus, il transmet aux étudiants une « ficelle » pour produire de l’information dans un univers prétendument fermé. C’est par l’intégration dans le réseau proche du sportif (agents, famille, amis) que certains d’entre eux réussissent à dépasser le discours institutionnel, à obtenir une entrée sur le vestiaire pour obtenir « la petite phrase7 ». La détention d’un répertoire téléphonique8 bien fourni est une ressource dans le milieu. Au Parisien, Didier intègre deux ans après son arrivée dans le service le groupe d’« élus » qui suit l’équipe de France de football. Il doit cette promotion à son capital social, acquis lorsqu’il était journaliste au Dauphiné Libéré et spécialisé sur le club de Lyon, plus qu’à des compétences particulières : « Mon entrée, entre guillemets, ça s’est fait grâce à Jacques Santini que je connaissais à Lyon et qui est devenu sélectionneur des Bleus. Ça m’a permis de travailler sur les Bleus » (entretien, 2010). À ce jeu de la constitution d’un réseau, Sébastien, 34 ans, est le plus performant. Il est avec Bertrand (en charge de l’écriture du chapeau) le journaliste le plus reconnu9.
« Le problème avec Sébastien c’est qu’il est tellement indispensable dans ce club, cette rubrique : il a tout le monde. Du supporter jusqu’au dirigeant, il ne nous laisse que des miettes. Donc c’est difficile de se positionner : on ne va pas aller lui voler ses mecs, ça serait contre-productif. » (Entretien, Béatrice, 2010.)
« Il y a beaucoup de choses qui se font grâce aux contacts. Même si tu fais de la formation, tu as beau être très bon en formation, avoir 18/20, la vraie force quand tu travailles au Parisien, c’est le contact. C’est un travail de longue haleine. Tu prends l’exemple de Sébastien qui passe son temps à discuter à droite à gauche, à déjeuner, au bout d’un moment ça paie. Mais au bout d’un an ou deux. »
Entretien, Tristan, 2010.
15Diplômé de l’IPJ, il intègre Le Parisien en 2002 après des débuts à France Soir. Dès la première année, il est promu sur le PSG. Rétrospectivement, il pense que ses chefs appréciaient sa « pugnacité ». Contrairement à Bertrand, Sébastien n’a pas d’appétence pour l’écriture : « Après, il faut aussi faire en fonction de tes qualités. Je ne suis pas quelqu’un qui écrit très bien. C’est des critiques qui m’ont été faites par mes chefs. » Son responsable actuel le décrit comme un « fouineur », ce qu’il reconnaît lui-même : « Aller voir un match du PSG, bon c’est sympa, ça détend, quelle chance d’être bien loti pour regarder un match. Je suis content d’aller voir des matchs mais ce que j’aime le plus c’est fouiner, rechercher » (entretien, 2010). Lorsque nous l’accompagnons au Parc des princes pour le match PSG-Montpellier, on se rend compte de l’importance des « à-côtés ». Pour lui, le plus important n’est pas sur le terrain.
Une fois à l’intérieur de l’enceinte, Sébastien se dirige directement sur la pelouse comme l’y autorise le règlement jusqu’à une heure avant le match. Il discute longuement avec un dirigeant du club et en profite pour « serrer des mains » et « se montrer ».
À 20 h 15, plutôt que de monter dans la tribune de presse, ou alors se restaurer dans la salle dédiée à la presse, Sébastien se rend devant l’entrée de la tribune présidentielle du stade. C’est par là que doivent automatiquement passer les « gens importants » du club. Sébastien n’est pas le seul journaliste à se positionner à cet endroit stratégique. Il salue d’ailleurs son confrère : « C’est une pratique typiquement Le Parisien. Les mecs de L’Équipe se sont mis à le faire car on le faisait. »
Sébastien tente de vérifier une information qu’il compte publier dans l’édition du lendemain. Il pense savoir que le PSG a contacté un joueur de l’équipe de Valenciennes pour un transfert durant l’été. Il croise le responsable du recrutement au PSG, Alain Roche, et le questionne. Ce dernier réfute ce qui oblige Sébastien à annuler son papier. Durant trente minutes, il s’entretient avec de nombreuses personnes : « C’est ce que j’aime. Je suis un VRP. Pendant le match, je m’ennuie. » Une personne proche du PSG le salue et le présente comme « celui fait trembler le club ». Quelques jours auparavant, Sébastien a révélé que le président du club entend supprimer les abonnements pour les supporters du PSG pour régler les problèmes de violence.
Cinq minutes avant le match, Sébastien se décide à rejoindre la tribune de presse. Ce jour-là, dans la mesure où la rencontre sportive ne présente aucun enjeu (il s’agit du dernier match de la saison), les journalistes du Parisien ne sont que deux. Traditionnellement, ils sont trois pour couvrir le match et respecter les formats imposés. Ce soir, Hugo s’occupe du chapeau tandis que Sébastien traite des supporters. Ces derniers ont prévu de ne pas sortir du stade à l’issue du match pour protester contre la politique du président à leur égard.
À la fin du match, les supporters s’exécutent et restent dans les tribunes. Les derniers journalistes quittent l’enceinte à 0 h 15, sous la pression des agents de sécurité. Sébastien m’invite à obtempérer et me donne rendez-vous le lendemain au siège à Saint-Ouen.
Le vendredi, il m’apprend alors qu’il s’est « caché » dans les travées du stade jusqu’à une heure pour observer le dénouement de l’histoire, c’est-à-dire l’évacuation des supporters par les forces de police.
Notes d’observation, 15 mai 2010.
16Ce rôle est davantage le produit des nouvelles règles des champs journalistique (concurrence médiatique et recherche consécutive du scoop) et sportif (réduction du périmètre d’intervention journalistique) que l’expression de dispositions. Initialement, Sébastien ne s’imaginait pas son métier sous ces formes.
« J’étais abonné au Parc des princes, j’ai fait les finales de Coupes d’Europe. J’ai commencé en 93, j’ai dû être abonné pendant quatre ou cinq ans. J’y allais avec les copains […]. Mais c’est pas du tout ce que je pensais faire quand j’étais en école. Pour ne rien te cacher, quand j’étais en école, je voulais faire du journalisme sportif mais je n’avais pas trop d’idées de comment le faire. Je lisais L’Équipe, je regardais la télé donc tu te rêves en commentateur, en Thierry Gilardi. Après je n’étais pas très bon en radio et télé, ma voix n’était pas bonne, c’était ennuyeux. »
Entretien, 2010.
17Sa position doit à une socialisation au métier au sein de l’IPJ et peut-être surtout à une stratégie pour se distinguer au sein de l’univers journalistique. Sa mission est facilitée par une approche minimaliste de l’investigation, comme souvent dans la profession10. Pris par les impératifs du quotidien (présence au Camp des loges et sur les terrains de football, nécessité d’écrire régulièrement), il lui est impossible de se consacrer uniquement à ce mode d’intervention chronophage. Légitimé par les acteurs du club (« Quand tu es un journaliste qui a fait ses preuves, les gens ont envie de te parler parce que tu apparais comme le mec qui est l’interlocuteur numéro un dans tel ou tel média »), il reçoit souvent des informations « clés en mains ». En 2009, il publie une lettre écrite et envoyée par le président du PSG à son conseil d’administration. Charles Villeneuve (ancien journaliste de TF1) y réclame davantage de pouvoir. Il est renvoyé quelques jours plus tard par l’actionnaire principal. Il revient sur les dessous de ce scoop.
« Il y a la chance d’être au bon moment au bon endroit. Quand je sors la lettre de Charles Villeneuve l’an dernier qui le fout à la porte, c’est parce que dans la semaine, j’appelle un mec pour prendre un peu des nouvelles : il me parle d’un truc qui me permet de faire un papier. Et le jour où je l’appelle pour faire un commentaire pour le papier, il me dit : “Alors vous n’êtes pas au courant ? Suite à ça, Villeneuve a envoyé une lettre qu’on a reçue, ça fout un bordel sans nom.” Le lendemain, je sors la lettre. Bazin l’a viré là-dessus. Ce n’est pas à cause de moi mais la lettre a été envoyée le vendredi, le samedi elle est dans Le Parisien. C’est un truc de dingue ! Les mecs étaient fous ! La démarche de Villeneuve était suffisamment grave, avec ça il avait coupé la confiance. Le fait qu’on le sorte dès le lendemain, ça a accéléré le fonctionnement et ça a pris des proportions énormes. Ça, c’est de la chance : appeler un mec au bon moment. »
Entretien, 2010.
18Plus que de « la chance d’être au bon moment au bon endroit », il faudrait plutôt y voir l’expression des intérêts de certains informateurs, le rôle actif de certaines sources faisant usage de la résonance médiatique. Cette fonction de relais, mais aussi les effets des productions médiatiques (démission d’un dirigeant sportif) témoignent plus globalement du pouvoir (de nuisance) des journalistes sportifs. Ce pouvoir n’est pas sans limites. Sébastien s’en pose lui-même. Lorsqu’il possède des informations compromettantes pour l’équilibre du club, il n’exclut jamais la négociation avant la révélation. Le 14 décembre 2012, il annonce en exclusivité le futur changement de logo du club. L’article débute de la manière suivante :
« C’est un dossier top secret. Ultrasensible. Les réflexions sont menées dans la plus grande discrétion au sein du PSG. Et seuls quelques dirigeants se trouvent dans la confidence. La direction a décidé de modifier le logo du club qui est le même depuis 1972. En s’attaquant au symbole et à l’image de l’équipe de la capitale, la démarche ne manquera pas de susciter des réactions. »
19S’en suit une mobilisation collective des supporters et, pour le média, des représailles de la part du club : « Depuis mon papier sur le logo, ils nous accordent pratiquement plus rien » (entretien, 2013). Pourtant, l’information aurait pu ne jamais être si les responsables de la communication avaient accepté la proposition de collaboration :
« Pourtant, je les ai prévenus que j’allais faire un papier, je leur ai proposé de participer. Un bon dir’com aurait dit “Ne le sors pas maintenant, on fait un truc ensemble après”. »
Entretien, 2013.
20Sa tentative de conciliation, qui a échoué dans le cas présent, sous-tend l’existence de compromis et même lorsque le journalisme est appréhendé sur le mode de la révélation comme dans le cas de Sébastien.
« Avoir son joueur »
« Ce qui est important dans le journalisme sportif c’est que chacun ait des joueurs. Moi, dès la première année, j’ai réussi à m’imposer parce que j’avais trois joueurs. J’avais leur retour : ce qu’ils pensaient du club, de leurs prestations. Mais aussi parfois des histoires sur les vestiaires. J’ai eu accès comme ça à deux, trois informations par ce biais-là. […] Dès la première année, ça m’a permis d’être considérée comme légitime. »
Entretien, Béatrice, 2010.
21Malgré la clôture de l’information, l’accès aux joueurs demeure possible selon deux modalités reposant sur la constitution de relations personnalisées, génératrices de loyautés. La première repose sur des affinités objectives. Béatrice accède à des informations exclusives par le biais de joueurs dont elle s’est rapprochée grâce à sa maîtrise du portugais, voire de l’espagnol et de l’anglais. C’est par cette compétence, de plus en plus indispensable dans le contexte d’internationalisation du marché du travail sportif, qu’elle a pu approcher des joueurs brésiliens du PSG :
« J’ai eu de la chance quand je suis arrivée en septembre 2007 parce que le PSG venait de recruter un Brésilien. Et donc ça m’a permis de me rapprocher de lui, de sympathiser. Aujourd’hui avec Ceara [joueur du PSG] on est presque potes. Deux mois après, ils ont recruté encore deux Brésiliens donc du coup j’avais trois joueurs. »
Entretien, 2010.
22Sur le même principe, RMC recrute en 2011 un jeune journaliste dans le but de se rapprocher des jeunes joueurs de football, pour beaucoup issus des classes populaires. Samir, tout juste sortie d’une école de journalisme privée non reconnue, partage avec certains d’entre eux une condition commune, celle d’enfant issu de l’immigration post-coloniale. Cette propriété sociale et son jeune âge, favorisant la maîtrise des codes sociaux de ces sportifs, ont fortement influé sur son recrutement.
23La seconde modalité repose sur une entente conjoncturelle entre deux parties, l’une souhaitant avoir un regard sur le vestiaire et l’autre désireuse de bénéficier d’un point d’entrée privilégié dans l’espace médiatique. À ce jeu, Didier de la « cellule PSG » parvient à gagner la confiance d’un jeune joueur, Mamadou Sakho, et de son agent, initialement réticents à s’ouvrir vers l’extérieur. Il y est parvenu bien que le jeune joueur, issue d’un quartier populaire, rapidement déscolarisé en raison de la précocité de l’entrée dans le métier de footballeur, n’appartienne pas au même monde social que lui, comme on peut le constater symboliquement à travers leur hexis corporel. Les goûts vestimentaires du joueur, casquette vissée sur la tête comme la portent les rappeurs, ne sont pas ceux de son confident, qui arrive tous les matins à la rédaction coiffé d’un béret noir « vieille France ». Leur relation repose moins sur une affinité d’habitus (« J’ai le double de son âge. Et pour caricaturer, il écoute Skyrock alors que moi, c’est Chante France ! Même si j’essaie un peu de rentrer dans son univers ») que sur un accord passé suite à un article « qui a créé une engueulade avec ses agents » (entretien, 2010). C’est là que le journaliste profite de la situation pour leur proposer d’être le relais dans la presse : « Ils ont compris qu’ils avaient intérêt à avoir une fenêtre dans un grand média. » Didier reconnaît avoir gardé des secrets, respecté la règle du « off » dans le but de maintenir cette zone de « l’informel pour informer11 ». En 2013, il annonce en exclusivité le transfert du joueur à Liverpool : « Grâce à ce contact privilégié, j’ai eu tous les bons chiffres sur le transfert. » Le professionnalisme contemporain suppose une aptitude à maintenir des relations personnalisées avec des joueurs de football pourtant éloignés physiquement, mais aussi socialement, des journalistes.
« Va te faire enculer sale fils de pute », le journalisme contemporain dévoilé
24La « Une » de L’Équipe du 19 juin 2010, et son titre particulier, est un cas d’école pour repérer les déterminants de la fabrique de l’information : ceux propres au journalisme (recherche du sensationnalisme, urgence dans la prise de décision) et ceux spécifiques aux rapports symboliques avec l’espace médiatisé (distance sociale avec les footballeurs).
Entre sensationnalisme…
25Le 18 juin 2010 au soir, avant l’heure du bouclage, la direction de la rédaction prend la décision : les mots prononcés, dans l’intimité du vestiaire, à la mi-temps d’un match de Coupe du monde de football, par Nicolas Anelka, joueur de l’équipe de France, à l’encontre de son entraîneur Raymond Domenech figureront en « Une » du lendemain. Dans un ouvrage paru quelques mois plus tard, les reporters à l’origine du scoop reviennent sur sa genèse. On y apprend les tergiversations sur la place à accorder à cette « petite phrase ». Les directeurs de rédaction présents au siège à Boulogne-Billancourt auraient pris l’ultime décision.
« À chaque minute qui s’écoule, la tendance se porte davantage sur la première solution [retranscrire en « Une »]. Lorsque les envoyés spéciaux du journal quittent leur maison de Knysna pour aller dîner, un peu avant 22 heures, la décision semble prise à Paris. Bien sûr, entre nous, ça débat. Comme cela débat au siège. Les arguments en faveur d’une telle Une sont plus nombreux que ceux en sa défaveur. Quand on possède une telle info, on la met en valeur. Ce serait hypocrite de la dissimuler. À nous de présenter le véritable visage de cette équipe de France qui n’en est, finalement, pas une. Mais quand même… C’est une première ! Comment cela va-t-il être interprété ? Que vont penser nos lecteurs ? Comment va réagir le monde du foot ? Il est évident que toutes ces questions nous traversent l’esprit. »
Degorre Damien et Raymond Raphael, op. cit., 2010, p. 66.
26Cet arbitrage, qui confirme la perte d’initiative des reporters de terrain au profit des journalistes « assis »12, est une réussite si on se fie aux profits économiques et symboliques générés. D’une part, cette édition se vend à 567640 exemplaires, chiffre indépassable car il est conditionné par le nombre limité de tirages de L’Équipe Magazine, distribué tous les samedis avec le quotidien. D’autre part, la première page du journal est massivement relayée à l’intérieur de l’espace médiatique, et notamment par la télévision. Si son effet n’est pas mesurable sur les ventes à venir, la reprise constitue une reconnaissance par les pairs. Preuve supplémentaire de l’homogénéité dans les représentations professionnelles au sein des médias de grande diffusion, les journalistes du Parisien reconnaissent d’une seule voix la pertinence de l’information : « On s’est fait plombés par L’Équipe. On avait l’info mais on l’a noyée dans le contenu » (entretien, 2011). En revanche, les journalistes du Monde s’accordent pour la dénoncer.
« Le titre qu’a fait L’Équipe suite à la grève de Knysna, c’est l’incarnation même de ce qu’est devenu le journalisme sportif. Ce n’est pas du journalisme. En plus, ils ne sont même pas sûrs de cette phrase. Quand on utilise les guillemets, il faut être sûr à 100 % […] Quelle est l’utilité pour un journal de faire cela ? Si ce n’est de faire parler de lui, de faire vendre et de créer de la polémique. »
Entretien, 2011.
27Dans un article rédigé en réaction à ce « coup » médiatique, les reporters du Monde présents à la Coupe du monde prennent prétexte de cette « catastrophe médiatique », comme il l’a nomme, pour rappeler à demi-mot leurs propres conceptions du métier.
« Avec l’hypermédiatisation du football il n’existe plus, dans le stade, qu’un lieu sanctuarisé : le vestiaire. Là, où, par chance, la langue de bois peut se volatiliser à cause de la pression et de la fatigue. Deux journaux en France se livrent une lutte sans merci pour recueillir les propos qui ont pu s’échanger dans ce huis clos : L’Équipe et Le Parisien. Le dernier a eu l’avantage, en septembre 2009, en révélant qu’une explication avait eu lieu à Clairefontaine entre Domenech et les joueurs. Thierry Henry aurait mis en cause le sélectionneur. Avec l’“affaire Anelka”, L’Équipe a pris sa revanche en innovant : sa “une” est directement inspirée des méthodes des tabloïds britanniques avec un titre reprenant une citation trash, illustrée d’un photomontage […] Les critères habituels d’une bonne information – fiable, donc recoupée, sourcée – ne sont pas forcément retenus par des reporters très jeunes, à qui l’on demande un labeur proche de l’abattage. »
Gérard Davet, Bruno Lesprit, « La communication verrouillée de l’équipe a mené à une catastrophe médiatique » LeMonde.fr, publié le 21 juin 2010, consulté le 21 octobre 2016.
28Ce petit jeu, le dépassement de la concurrence, favorise le glissement vers un journalisme de rumeur13. Autre exemple, le 15 octobre 2010, L’Équipe annonce en « Une » l’arrivée au PSG d’un joueur de football, particulièrement médiatisé, David Beckham : « Il arrive ! ». Ce transfert du joueur, salarié jusque-là au Los Angeles Galaxy, est construit en évènement14. Le 21 décembre 2010, le quotidien est plus précis et annonce, toujours en « Une », « Le voilà ! ». Pourtant, la prophétie ne se réalise pas, ce que confessent les journalistes quelques jours plus tard, le 3 janvier 2011, par une formule ambiguë, « Beckham disparaît », reléguée en second titre. Alors même que l’entourage du joueur niait un quelconque accord, L’Équipe s’est malgré tout fourvoyé. Ce manque de prudence doit beaucoup à la rivalité sur le marché de l’information sportive quotidienne. Le 21 décembre, Le Parisien spécule tout autant en « Une » : « Beckham à Paris. Il a dit oui. » On voit ici comme opère un effet du fonctionnement du champ journalistique, qui explique la synchronisation des médias de grande diffusion15. Cette propension à « faire l’événement16 » les rapproche par, certains aspects, de la presse people. Ces évolutions internes au journalisme rendent intelligibles les insultes mises en « Une » par L’Équipe.
29Ce « coup » fonctionne également comme une dénonciation de la distance physique, mais aussi, et peut-être surtout, symbolique, séparant les producteurs de l’information des jeunes joueurs de football.
... et expression d’une distance symbolique
30Le 11 février 2010, Sébastien, en reportage au centre du PSG, est agressé par un joueur, Mamadou Sakho. Mécontent que le journaliste ait évoqué dans un article sa sortie en discothèque au soir d’une défaite de son équipe, il s’en est pris à lui à la fin de l’entraînement : « Sakho s’est levé, il m’a insulté en me traitant de “fils de pute” et m’a mis une claque », explique une dépêche de l’AFP. Mamadou Sakho, condamné à verser un euro de dommages et intérêts suite à la plainte déposée par le journaliste, est un transfuge de classe. Tout juste âgé de 20 ans au moment des faits, il est né dans le quartier populaire de la Goutte d’Or, dans le 18e arrondissement de Paris, au sein d’une famille de six frères et sœurs. Dès l’âge de douze ans, il rejoint le centre de formation du PSG et intègre un univers total où les apprentis se préparent au métier de footballeur17. Il devient précocément professionnel à l’âge de 17 ans. Dans la foulée, il est nommé capitaine de l’équipe, un poste qui requiert habituellement davantage d’expérience dans la mesure où il confère des responsabilités au sein de l’équipe, mais aussi « face à la presse18 ». En ce début d’année 2010, Mamadou Sakho est en difficulté sportive. Son rendement est moins bon et son équipe obtient de mauvais résultats. En agressant Sébastien, il participe à l’image sociale dominante accolée aux footballeurs qui, en plus de toucher des émoluments importants (330000 euros par mois dans le cas de Mamadou Sakho), manqueraient au devoir d’exemplarité imposé par la morale (sportive).
31Quelques semaines plus tard, lors de la Coupe du monde 2010, certains joueurs de l’équipe de France de football sont visés dans l’« affaire Knysna », accusés par de nombreux journalistes et acteurs politiques d’être des « traitres à la Nation19 » pour leurs comportements (insulte prêtée à Nicolas Anelka, grève de ses coéquipiers en soutien). Quelques jours plus tard, Frank Ribéry et Karim Benzema, joueurs de cette même équipe nationale, sont mis en examen, puis relaxés en 2014, pour « sollicitation de prostituée mineure » dans ce qui est appelée l’« affaire Zahia20 ». Dans la foulée, lors du championnat d’Europe 2012, au cours du match France-Angleterre, Samir Nasri fête son but en mettant le doigt devant sa bouche et en murmurant un « ferme ta gueule ». Il avouera s’adresser aux journalistes de L’Équipe, coupables à ses yeux de douter de sa légitimité sportive. Quelques jours plus tard, il aurait réitéré son geste en s’en prenant verbalement à un journaliste de l’AFP en « zone mixte21 ».
32Mamadou Sakho, mais aussi Nicolas Anelka, Karim Benzema, Samir Nasri ou Franck Ribéry seraient les « porte-drapeaux » de ce que Daniel Riolo, journaliste sportif sur RMC (voir partie 2), appelle le « Racaille football club » dans un livre publié en 2013. Très exposé au sein d’une radio de grande diffusion lui donnant l’opportunité de médiatiser sa thèse, Daniel Riolo voit dans le football français les conséquences du « communautarisme » qui toucherait la société française. Il évoque un « football ghettoïsé », une « culture racaille » très prononcée. Ses prises de positions sont révélatrices du décalage qui peut exister entre les joueurs les plus médiatisés, issus pour certains de quartiers populaires, et les journalistes dont l’origine sociale s’élève à mesure que le passage par les écoles, socialement discriminant22, devient une condition pour entrer dans le métier. Au service des Sports du Parisien, la moitié du personnel possède un diplôme spécialisé. Si quelques journalistes proviennent de familles ouvrières, près des deux tiers ont un père ou une mère cadres supérieurs et un quart appartient aux classes moyennes. Robert, né en 1962, « placardisé » au sein du service Sports après avoir été responsable du service, analyse le cas Mamadou Sakho avec le recul que lui permet sa position actuelle.
« Le cas Sakho c’est intéressant, il fait partie de ces jeunes un peu représentatifs maintenant qui viennent comme ça… qui s’est battu comme un chien mais qui n’est pas… Un mec qui a fait l’ENA et qui devient P.-D.G. d’EDF il connaît les codes, il sait. Un jeune footballeur d’aujourd’hui c’est un gars qui traîne dans une cité, on ne va pas tomber dans le cliché mais il aurait pu finir délinquant mais même pas délinquant, faire un boulot anonyme dans un truc et il se retrouve… voilà c’est compliqué à gérer. Mais tu vois Sakho qui parle très peu, mais parce qu’on lui a dit de pas parler, parce qu’ils ont peur. Moins tu en dis, mieux c’est. »
Entretien, 2010.
33Contrairement à Robert, qui privilégie la thèse de la gêne sociale, quelques-uns de ses collègues, notamment ceux de la « cellule PSG », pris dans les interactions du quotidien, proposent une grille de lecture plus essentialiste : « Ce sont des footballeurs, ils auront du mal à comprendre » (notes d’observation, 2010). Derrière ce mépris de classe, il y a certainement un refus de considérer les conduites déviantes des joueurs comme une réponse à leurs propres pratiques, à savoir la fabrique de « petites phrases », focalisées sur l’individu, sur le modèle de la presse la plus racoleuse.
Disposés à jouer le jeu
34À la suite de la « Une » de L’Équipe, et du retentissement médiatique, la commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale auditionne le sélectionneur et le président de FFF dès la fin de la Coupe du monde. Les 28 et 29 octobre 2010 se tiennent les États généraux du football, réclamés publiquement par Nicolas Sarkozy dès le moins de juin23, avec comme ambition de repenser ce sport et ses institutions. Dans ce cadre, le quotidien publie un livre blanc, « 101 propositions pour le football français ». Une initiative contradictoire si on écoute ce membre de la rédaction.
« Le livre blanc par exemple, je n’ai pas compris. Il y a Knysna en juin et en octobre, il y a le livre blanc. On fait tout péter en juin, et je dis bravo. Et en octobre c’est “il faut tout arranger car ça ne va plus”. Non, il faut continuer. Le livre blanc, je sais : c’est un objet de reconquête de la famille du football. La famille du football a beaucoup reproché à L’Équipe, qui n’a pas assumé. Au mois d’août, quand on apprend que des joueurs vont être sanctionnés, L’Équipe n’en a même pas fait des têtes de page alors que je l’ai lu dans Le Progrès, dans Le Parisien. La consigne au-dessus c’était de l’écraser. Mais nan ! Il faut aller au bout ! Le plus dur avait été fait. Qu’on ne tombe pas dans la surenchère, ok. Mais il faut assumer. Ca doit perturber le lecteur de se retrouver avec un livre blanc, c’est comme dire “Halte au feu !” »
Entretien, 2011.
35Cette discontinuité renvoie à une conclusion forte : si le développement de registres irrévérencieux renouvelle le métier, il faut y voir avant tout la centralité de la recherche de l’« inédit » – moteur des choix journalistiques – plus que l’affirmation durable d’un journalisme critique s’autonomisant de l’espace sportif. Dans ces journaux de grande diffusion, les acteurs des deux espaces sont condamnés à « finir sous le même toit » pour reprendre les termes du responsable de la « cellule PSG » au Parisien. Comme nous l’avons montré, l’autonomisation est doublement limitée : elle l’est objectivement par les pressions commerciales et la définition de la « bonne information » ; et subjectivement, par les représentations sociales dominantes des journalistes. En effet, que ce soit les premiers journalistes sportifs, les spécialistes en exercice ou les aspirants au métier, ces agents sociaux sont disposés, du fait de leurs socialisations antérieures, à célébrer le spectacle sportif, à consolider les fondements de l’économie médiatico-sportive24. Cette rencontre réussie entre des dispositions et une position se voit à travers le cas de Julien, 44 ans.
36Numéro deux du service Sports au Parisien, il participe de fait activement à la production du journalisme de « coups ». Dans le même temps, il assume un rapport affectif avec le sport :
« J’ai toujours été un dingue de sport en tant qu’amateur, lecteur, spectateur, téléspectateur. C’est mon père qui m’a branché là-dessus. C’était un dingue, il achetait L’Équipe tous les jours, un dingue de tennis. Il m’avait emmené à Roland-Garros tout gamin, la première fois c’était en 1974, j’avais huit ans. Il connaissait les ouvreuses, les filles qui plaçaient. Je rentrais gratuitement. On avait des supers places sur le central. Le jour de la finale, j’étais plutôt sur les escaliers. Il m’a emmené en 1974, pour la première fois, lorsque Borg a gagné pour la première fois. Il regardait tous les matchs de foot, on allait souvent au Parc. On était un peu supporter de Saint-Étienne comme c’était l’époque de l’épopée. On avait un pote à Lyon, on y allait pour voir les matchs de Coupe d’Europe à Saint-Étienne. Il m’a donc branché sur le sport, j’ai accroché. Je suis devenu fana de foot et de tennis. »
Entretien, 2010.
37Tout juste bachelier, il effectue un stage de découverte à France Soir en 1986 et se forme alors sur le tas à un métier qu’il vit selon des modalités en adéquation avec sa socialisation sportive.
« Tout s’est enchaîné. En 1990, j’étais le plus jeune journaliste à la Coupe du monde de foot en Italie. J’avais 24 ans. Ensuite, j’ai fait toutes les campagnes de Coupe d’Europe. Formidable. En 1990, la “main de Vata”, j’y étais [référence à la défaite de Marseille en demi-finale de la Coupe d’Europe suite à un but de la main d’un joueur de Benfica]. En 1991, j’ai fait l’épopée de l’OM jusqu’à la finale de Bari. J’y étais et j’avais fait Montpellier en Coupes des Coupes. En 1992, c’était Monaco en finale contre Brême. En 1993, c’était tout la campagne de Marseille jusqu’à Munich avec 8 jours à Moscou pour la demi-finale. On faisait tout. À l’époque, on faisait un reportage milieu de semaine, un reportage week-end. On connaissait tout le monde. Ceux qui bossaient comme moi, c’est-à-dire quelques collègues de L’Équipe ou du Parisien, car il y avait moins de médias, pas internet. La presse écrite était au cœur du truc. J’allais chez Philippe Tibeuf, le capitaine de Saint-Étienne, je dormais chez lui. À Marseille, mes potes c’était Casoni, Amoros, Deschamps, Di Meco, Vercruysse. À Montpellier, j’allais chez Xuereb. En plus, on faisait vachement des reportages sur “les gars chez eux” quand on avait les bons contacts. J’avais fait Abedi Pelé à Lille, Weah à Monaco, Kombouaré, Roche, Lama. On était complètement avec eux. On prenait l’avion de l’équipe de France. »
Entretien, 2010.
38Le capital symbolique propre à cet espace de production de l’information dominante ne repose pas sur les investigations mais sur le palmarès des compétitions couvertes, la notoriété des sportifs rencontrés, qui constitue une forme de capital social. Exprimant leur subjectivité25, ils décrivent la satisfaction au travail selon des critères plus sportifs que journalistiques.
« Il y a eu ensuite 1994, la Coupe du monde aux États-Unis. J’ai fait les deux Coupes du monde sans la France [en 1990 et 1994, la France n’est pas parvenue à se qualifier]. Ce qui est une chance quand même car faire la France, c’est rester tout le temps avec la France, être tout le temps sur le même sujet, avoir peu de chances de faire des choses à toi. Avant 1994, j’ai eu des responsabilités donc j’ai choisi qui faisait quoi. Je me suis mis en Californie avec le Brésil. Il n’avait plus gagné depuis 24 ans, c’était un truc de dingue. J’ai couvert le Brésil pendant cinq semaines et ils ont gagné. Un truc de dingue. J’ai décidé d’arrêter le reportage sur le truc le plus fort et le plus grand que je pourrais jamais connaître. »
Entretien, Julien, 2010.
39Béatrice, qui est pourtant très critique envers l’univers du football depuis qu’elle travaille sur le PSG, ne conçoit pas d’arrêter le traitement de ce sport sans avoir réalisé ce qu’elle nomme explicitement un « rêve » :
« Mon plan de carrière, ça serait de pouvoir intégrer la cellule équipe de France parce je rêve de faire la Coupe du monde au Brésil en 2014. Ça me laisse encore quatre ans. Je vais continuer à me battre pour ce rêve et après je partirai du PSG. »
Entretien, 2010.
40L’engouement suscité par les spectacles sportifs médiatisés est tel qu’ils font l’objet de luttes entre les reporters pour en être. Au Parisien, l’attribution des sésames est source de tensions comme c’est le cas pour la Coupe du monde de football 2010. Les cinq places pour suivre l’équipe de France ne souffrent d’aucune contestation, dans la mesure où elles reviennent aux reporters en charge habituellement des matchs des « Bleus ». Le sixième billet pour l’Afrique du Sud doit servir à suivre l’équipe d’Algérie, censée intéresser une partie du lectorat. Quelques mois avant la Coupe du monde, l’un des prétendants, convaincus de ne pas figurer parmi les élus, fait part sa frustration :
« C’est une Coupe du monde en Afrique, avec mon pays d’origine, je n’ai jamais fait de Coupe du monde ! […] J’ai fait part de mon ressentiment à Philippe [rédacteur en chef] concernant la Coupe du monde. Il m’a expliqué qu’il ne pouvait pas court-circuiter le chef de service. »
Entretien, 2010.
41Ces compétitions voient même les journalistes « assis » se lever pour retourner sur le terrain. C’est le cas du directeur adjoint de la rédaction de L’Équipe.
« J’ai suivi mon premier Tour de France en 1991. J’étais au Parisien. J’avais un pote qui travaillait à France Soir et on était dans la course, on voyait les coureurs, on suivait les échappées, le Tour c’est au-dessus de tout […] Je le suis chaque année, c’est magnifique. »
Entretien, 2010.
42Là où certaines professions, comme la médecine, définissent leur culture autour de la « responsabilité26 », le journalisme sportif, dans les pratiques comme dans les discours, se fonde davantage autour de l’hédonisme. Pour ces spécialistes, le traitement des grandes compétitions internationales médiatisées est à l’origine de leur sentiment de légitimité dans un univers journalistique dont les normes déontologiques (distance, esprit critique) n’ont pas toujours de prise sur eux. Leur position au sein de l’économie du spectacle sportif leur confère cette impression « d’être bien “à leur place”, de faire ce qu’ils ont à faire, et de le “faire avec bonheur”, conférée par l’accord “entre ce qu’ils sont et ce qu’ils font”27 ». Les nombreux entretiens menés ont cette vertu de faire émerger ce qu’il y a de commun dans les logiques d’entrée dans la carrière. Beaucoup ont prononcé cette phrase : « Je ne voulais pas être journaliste, je voulais être journaliste de sport ». Cette résistance à l’autorité journalistique est bien à rechercher du côté de leurs trajectoires, et, a fortiori, de ce qu’il considère être le « vrai boulot », à savoir le vécu des émotions et la co-construction du spectacle sportif, en tant que « part de (l’) activité qu’il souhaite vivement conserver28 ». Comme le résume un néo-retraité de L’Équipe, dans une lettre de départ adressée à ses collègues : il y évoque « des années très heureuses dans une ambiance qui n’avait rien à voir avec le vrai travail que, vrai ingénieur, j’avais exercé auparavant ». Ces spécialistes ressentent d’autant moins le déclassement culturel que leur domaine est valorisé médiatiquement dans les médias de grande diffusion.
43Cependant, l’illusio sportif, le fait d’être « pris au jeu », « pris par le jeu », de croire « que le jeu en vaut la chandelle29 » tend à décliner chez certains journalistes, tout particulièrement en raison de plusieurs évolutions récentes accentuant la pénibilité objective au travail30. L’économisation grandissante du sport professionnel contribue à noircir le foyer des investissements personnels : « Aujourd’hui, j’ai plus ce regard émerveillé quand je regarde un match de foot », explique Béatrice. Si le football constitue un cas critique, d’autres sous-univers sportifs, à mesure qu’ils se professionnalisent, font preuve progressivement d’une défiance croissante à l’égard du groupe des journalistes. « Le rugby, c’est le foot que j’ai connu il y a 10 ans. Les anciens me disent que c’est une cata. Moi, je trouve que ça va. On peut encore manger avec les joueurs. Mais ça se professionnalise » (entretien, Aurélien, en charge du rugby au Parisien, passé par la « cellule PSG »).
Notes de bas de page
1 Aujourd’hui au même poste dans le club de Monaco, il n’est pas un cas isolé. Actuellement, le directeur de la communication du PSG, est un ancien journaliste de L’Équipe, diplômé de l’ESJ Lille en 1997, et qui a couvert le club pendant seize ans pour le quotidien spécialisé. Le club a présenté son arrivée comme suit : « Nous sommes très fiers d’accueillir dans nos équipes une signature reconnue du journalisme sportif et un observateur passionné de notre club, dont il a relaté pendant de longues années les exploits et la riche histoire » (site internet du club).
2 Pour espérer avoir un accès aux joueurs après les matchs, moments où se concentre particulièrement l’attention médiatique, les journalistes se placent en « zone mixte ». Un couloir est aménagé pour que les sportifs, une fois sortis de leur vestiaire ou avant d’y entrer, puissent s’arrêter, ou pas, pour répondre aux questions.
3 Lévêque Sandrine, « La conférence de presse. Les transactions entre syndicalistes et journalistes sociaux », Politix, no 19, 1992, p. 120-134.
4 La gestion de la relation avec les médias figure désormais dans l’apprentissage du métier de footballeur (appelé souvent « média-training »). La préparation mentale, au cœur de la professionnalisation des joueurs, inclut les effets des jugements journalistiques sur la psychologie. C’est ce qu’évoque un article de France Football revenant sur la réception des notes : « Charles Debris [préparateur mental] reconnaît qu’il lui arrive régulièrement d’organiser des séances de travail avec les joueurs qu’il suit pour les protéger des effets néfastes d’une évaluation sévère et les inviter à garder le contact avec celui qui les a notés. “Dans la majorité des cas, les joueurs en ont après le journaliste. Ils se disent : “Mais au nom de quoi se pose-t-il en juge de performance ? Quelle est sa légitimité ?” […] Je m’efforce de leur expliquer qu’ils connaissent le foot, qu’ils se trompent rarement, et qu’ils doivent donc les considérer comme des partenaires de carrière”. » Laurent Campistron, « Quand la note est trop salée… », France Football, mardi 30 avril 2013, p. 37-39.
5 Demazière Didier et Jouvenet Morgan, « Les agents sportifs dans le football. Rôles professionnels et régulations de l’activité », in Guillaume Robin (dir.), Football, Europe et régulations, Lille, Presses universitaires du Septentrion, 2011, p. 191-199.
6 Pour un état des lieux des travaux, Kaciaf Nicolas et Nollet Jérémie, « Journalisme : retour aux sources », Politiques de communication, no 1, 2013, p. 5-34.
7 Dans le journalisme sportif comme ailleurs, cette pratique passe par un cadrage sur les individus, en l’occurrence les footballeurs, plus que sur les structures, participant ainsi à la dépolitisation de l’information. Voir Comby Jean-Baptiste, « L’individualisation des problèmes collectifs : une dépolitisation politiquement située », Savoir/agir, no 28, 2014, p. 45-50.
8 Cette méthode de travail, qui confirme l’orientation vers un « journalisme assis », s’impose d’autant plus dans le contexte de réduction des coûts au sein de nombreuses rédactions.
9 La notoriété de Sébastien, au fil des scoops révélés, dépasse les murs du Parisien. Démarché par RMC, il a pu négocier un changement de statut (il est passé « reporter 3 », dernier échelon avant d’être « grand reporter ») avec la revalorisation salariale qui va avec. Derrière Bertrand (« grand reporter »), il est le reporter le mieux rémunéré (3700 euros brut). En plus de cette promotion, l’ancien chef des Sports nationaux, lui a « refilé un plan ». Pour le retenir, il lui a cédé son siège de consultant dans l’émission « Les décodeurs » sur la chaîne d’informations sportives en continu Infosport : « C’est grâce à lui, il m’a donné ça parce que c’est rémunéré, ça me fait un petit complément » (entretien, 2013). On voit bien comment l’élite du journalisme se reproduit par cooptation pour se réunir sur les plateaux des talk-shows à la télévision. Implicitement, ces collaborations marquent le consensus entre les médias de masse. Fin 2015, Sébastien quitte Le Parisien pour accomplir la même mission à L’Équipe.
10 Marchetti Dominique, « Les révélations du journalisme d’investigation », Actes de la recherche en sciences sociales, vol 131-132, 2000, p. 30-40.
11 Legavre Jean-Baptiste (dir.), L’Informel pour informer. Les journalistes et leurs sources, Paris, L’Harmattan, 2014.
12 Fabrice Jouhaud, directeur de la rédaction depuis septembre 2008, n’y est sans doute pas étranger. Rappelons qu’il est avant cela directeur adjoint de l’information à M6 avant de participer début 2008 au projet, avorté, de lancer la version française de Bild, quotidien allemand réputé pour son style racoleur.
13 Rappelons ici que cette information a été démentie en 2018 par Raymond Domenech lui-même (voir aussi l’introduction du livre).
14 Nous nous approprions ici le cas d’école mis en évidence par Acrimed. Mathias Reymond, « David Beckham au PSG ? Les médias en rêvaient… », Acrimed.org, publié le 18 janvier 2012, consulté le 21 octobre 2016.
15 Cette « erreur » journalistique est également imputable aux transformations du sport professionnel et à l’allongement des chaînes d’interdépendances. La multiplication des intermédiaires (agents, attachés de presse, fonds d’investissements…) qui gravitent autour des clubs et des sportifs complique le travail journalistique et la production d’informations sur les transferts. Preuve que les reporters évoluent dans un univers fait d’incertitudes et de rumeurs contradictoires, David Beckham signera au PSG un an plus tard.
16 Pour aller plus loin, Champagne Patrick, « Le coup médiatique. Les journalistes font-ils l’événement ? », Sociétés et Représentations, no 32, 2011, p. 25-43.
17 Bertrand Julien, La fabrique des footballeurs, Paris, La dispute, 2012.
18 La charte audiovisuelle de la Ligue de football professionnel et les conventions passées avec l’USJSF stipulent la présence de l’entraîneur et d’un joueur de chaque équipe, souvent le capitaine, à la fin de chaque rencontre.
19 Pour aller plus loin, Beaud Stéphane, Traitres à la Nation ? Un autre regard sur la grève des Bleus en Afrique du Sud, Paris, La Découverte, 2011.
20 « Affaire Zahia : Ribéry et Benzema mis en examen pour “sollicitation de prostituée mineure” », LeMonde.fr, publié le 20 juillet 2010, consulté le 12 octobre 2016.
21 « Euro/France : Nasri insulte un journaliste en zone mixte », 20minutes.fr, publié le 23 juin 2012, consulté le 23 octobre 2016.
22 Lafarge Géraud et Marchetti Dominique, op. cit., 2011, p. 72-99.
23 « Sarkozy veut “des États généraux du football français” », LeMonde.fr, publié le 23 juin 2010, consulté le 23 octobre 2016.
24 On peut faire le rapprochement avec les réflexions de Frédéric Lordon sur la pérennité du capitalisme, la façon dont les passions (« les désirs d’objets marchands », « le désir acquisitif ») légitiment l’ordre économique. Lordon Frédéric, « Pour un structuralisme des passions », Tracés. Revue de Sciences humaines, no 13, 2013, p. 49-72.
25 Ce qui n’est pas sans rappeler les journalistes des rubriques Télévision. Leur position à la marge de l’espace journalistique les autorise à afficher ostensiblement leur subjectivité, à se comporter comme des critiques d’art. Le Grignou Brigitte, « La télévision et ses critiques. Un journalisme “en simili” », Questions de communication, no 14, 2008, p. 243-261.
26 Pour aller plus loin Baszanger Isabelle, « Socialisation professionnelle et contrôle social. Le cas des étudiants en médecines futurs généralistes », Revue française de sociologie, vol. 22, 1981, p. 223-245.
27 Bourdieu Pierre, op. cit., 1980, p. 8.
28 Bidet Alexandra, « Qu’est ce que le vrai boulot ? Le cas d’un groupe de techniciens », Sociétés contemporaines, no 78, 2010, p. 116.
29 Bourdieu Pierre, op. cit., 1994, p. 151.
30 Comme le relève Jérémy Sinigaglia au sujet des professions artisitiques, le plaisir pris au travail est inégalement réparti en fonction du degré de stabilité du statut. Sinigaglia Jérémy, « Le bonheur comme rétribution du travail artistique. De l’injonction à l’incorporation d’une norme », Sociétés contemporaines, no 91, 2013, p. 17-42.
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Réinventer la ville
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Lionel Arnaud
2012
La figure de «l'habitant»
Sociologie politique de la «demande sociale»
Virginie Anquetin et Audrey Freyermuth (dir.)
2009
La fabrique interdisciplinaire
Histoire et science politique
Michel Offerlé et Henry Rousso (dir.)
2008
Le choix rationnel en science politique
Débats critiques
Mathias Delori, Delphine Deschaux-Beaume et Sabine Saurugger (dir.)
2009