8. Un répertoire limité d’actions
p. 125-140
Texte intégral
1De nombreux documents indiquent une baisse des émissions et des concentrations de polluants atmosphériques alors que la pollution de l’air constitue en France l’une des principales causes environnementales de la mortalité. À cette situation sanitaire préoccupante s’ajoutent les procédures précontentieuses engagées par la Commission européenne à propos du non-respect des valeurs limites relatives aux particules et au dioxyde d’azote dans plusieurs agglomérations françaises et une décision du Conseil d’État qui contraignent le Gouvernement à proposer des plans d’actions. Nous analyserons les mesures mises en œuvre ou recommandées en deux temps. D’abord en étudiant les plans ou rapports qui exposent l’action gouvernementale et permettent de la comprendre. Par la suite en précisant dans quelle mesure les champs d’actions choisis ignorent ou ne prennent pas en considération des politiques déterminantes dans l’amélioration la qualité de l’air.
Les actions mises en œuvre ou recommandées
2Adopté en 2017 le Plan national de réduction des émissions de polluants atmosphériques (PREPA) est dorénavant l’un des principaux documents de cadrage de la politique de lutte contre la pollution de l’air. Il est composé d’un décret qui reprend les objectifs de réduction indiqués dans une directive européenne1 et d’un arrêté qui fixe les orientations et les actions pour la période 2017-2021. L’arrêté constitue un plan d’action interministériel qui expose les mesures à prendre. Dans leur quasi-totalité elles s’appuient sur des travaux qui évaluent la politique de lutte contre la pollution atmosphérique2 et les impacts sur les niveaux d’émissions. La lecture de cet arrêté montre que toutes les mesures ont déjà été proposées dans des plans antérieurs ou dans des textes aux statuts différents (rapports, documents ministériels, etc.). À part les recours à la communication pour sensibiliser et mobiliser, aux innovations par le biais de dispositifs financiers, à l’amélioration des connaissances, le plan est articulé par domaines d’activité : industrie, transports et mobilités, résidentiel-tertiaire et agriculture.
Le secteur agricole : une situation exemplaire
3Sur 42 mesures 18 concernent les transports et la mobilité, 6 l’industrie, 8 le résidentiel-tertiaire et 10 l’agriculture. Le nombre de mesures est susceptible de donner une indication sur l’attention que les pouvoirs publics portent à un secteur d’activité mais ce n’est pas toujours le cas. Ainsi pour l’agriculture aucune action ne correspond à l’importance des enjeux et de la situation sanitaire. Les mesures, comme la réduction de la volatilisation de l’ammoniac, renvoient à des bonnes pratiques, à des études, à des perspectives ou à l’application des meilleures techniques disponibles qui s’élaborent au niveau européen. Quant à l’emploi des produits phytopharmaceutiques (pesticides), la réduction de leur présence dans l’air revient à « lancer une campagne exploratoire de surveillance des produits », à suivre le plan écophyto 23, à contrôler l’interdiction, et non à interdire puisqu’il existe des dérogations4, les épandages aériens. Devant la difficulté, le refus ou l’impossibilité de remettre en cause le rôle central des industries d’intrants dans l’économie et l’organisation des mondes ruraux5, les propositions limitent leurs interventions aux transformations des pratiques sans remettre en cause un modèle agricole. Les mesures préconisées sont tributaires de la compréhension ou du bon vouloir d’acteurs qui n’ont guère d’intérêts à les mettre en œuvre ; elles sont dès lors privées de leurs caractères opérationnels. Le rapport d’information de Roumégas-Saddier exprime cette situation lorsqu’il mentionne l’agriculture comme un secteur à la traîne6 et que la proposition des rapporteurs se limite à « favoriser la diffusion des bonnes pratiques inscrites dans le projet agro-écologique pour la France7 ». Il en est de même du rapport de L. Aïchi qui dans une de ses propositions associe les chambres d’agriculture à l’élaboration des normes encadrant la dispersion des polluants par les exploitations8. La Cour des comptes ne se trompe donc pas lorsqu’elle considère que dans le domaine de la pollution de l’air le secteur agricole « est très peu réglementé » et qu’elle qualifie la position du ministère de l’Agriculture de « très réservée9 ». Cette façon d’envisager la lutte contre la pollution de l’air n’est pas propre à l’agriculture même si elle l’exprime de manière exemplaire. On part du principe qu’il y a des pollutions et que les solutions sont celles qui consistent à les réduire. D’emblée la perspective est d’ordre technique. On ne pose pas la question de savoir si l’on peut faire autrement ou s’il est possible de ne pas polluer. Parmi les contraintes qui paraissent ne pas être surmontables figurent celles de ne pas dégrader la compétitivité internationale de l’agriculture française. Dès lors nombre de propositions s’inscrivent dans des cadres prédéterminés qui ne permettent de concevoir que des solutions en fin de tuyau (end of pipe).
Les domaines d’activité : industrie, résidentiel-tertiaire, transports et mobilité
4À propos de l’industrie les remarques les plus fréquentes portent sur la baisse des émissions de dioxyde de soufre surtout causée par le développement d’un parc nucléaire producteur d’une électricité peu carbonée ou émettrice de gaz à effet de serre. On signale que les transformations des structures productives (comme les délocalisations) ne permettent pas toujours d’apprécier la portée des mesures prises pour diminuer les émissions de polluants10. Les inventaires renseignent sur les contributions considérables de l’industrie dans l’émission des métaux lourds alors que pour les NOx, les particules ou le monoxyde de carbone elles demeurent significatives mais moins importantes que les autres secteurs.
5Pour réduire les émissions le plan national propose de recourir aux règlements en appliquant les MTD et de renforcer les contrôles. Cela paraît d’autant plus indispensable que le niveau d’incertitude des estimations sur le volume des émissions totales de polluants atteint un niveau élevé du fait de l’inexistence ou de la faible fiabilité des déclarations11. Quant aux incitations financières elles s’inscrivent dans la continuité d’une fiscalité environnementale où la faiblesse des taux n’a guère de conséquences sur les comportements des industriels. Parmi les deux mesures inscrites sous la rubrique « renforcer les incitations financières » figurent l’expérimentation d’un fonds air industrie et une mission d’étude sur la TGAP-Air qui sont de peu d’importance de par la délimitation étroite des objectifs et le caractère aléatoire et indéterminé de leurs élargissements ou de leurs réalisations.
Le résidentiel-tertiaire
6Avec l’agriculture le résidentiel-tertiaire est considéré comme un secteur à la traine alors que l’industrie aurait obtenu des résultats importants12. Les mesures avancées ne sont pas orientées par la nécessité de se conformer à des normes. Elles font surtout appel à des dispositifs fiscaux censés favoriser la rénovation thermique des logements ou faciliter l’achat d’appareils de chauffage plus performants et moins pollueurs. La réglementation édictée sur les appareils de chauffage pose peu de contraintes pour les fabricants et la rénovation thermique des logements a majoritairement pour bénéficiaires des propriétaires aisés. Une fois encore ce sont des solutions en fin de tuyau qui sont privilégiées. La Cour des comptes qualifie les résultats de l’incitation à la rénovation des logements de modestes13. Ce point de vue est d’autant plus fondé que la loi de transition énergétique a pour objectif de réduire de 50 %14 la consommation énergétique finale d’ici 2050. Or le nombre et le type de logements rénovés comme le niveau de la baisse de la consommation du secteur du logement (1 % entre 2009 et 2016) rendent irréalisables l’objectif affiché. Vu la nature des actions proposées on comprend la nécessité de sensibiliser le citoyen sur les bonnes pratiques et les dispositifs d’aides disponibles puisque la réalisation effective d’une réduction des émissions est conditionnée par sa bonne conduite comme consommateur ou propriétaire. Quant au soutien aux développements des énergies renouvelables il bénéficie essentiellement aux énergies électriques et très peu aux énergies thermiques qui permettent de diminuer les usages de gaz et de fioul pour le chauffage15. Enfin la question de l’augmentation continue du marché de la climatisation et de la réfrigération commerciale et domestique est rarement abordée alors que ses conséquences sont loin d’être négligeables.
Les transports et la mobilité
7Près de la moitié des mesures du Prepa concernent les transports et la mobilité mais le plan ne contient aucune nouvelle action et se caractérise par un manque criant d’ambition. Les parties consacrées aux réductions des émissions du transport aérien, maritime et fluvial en sont d’ailleurs totalement dépourvues et se limitent parfois à des déclarations d’intentions comme la mise en place d’un groupe d’experts chargé de proposer une feuille de route pour réduire les émissions. D’études en études, de propositions en propositions, les moyens opérationnels tardent à être mis en œuvre. Plus de vingt ans après les annonces sur la fiscalité du gazole du Premier ministre L. Jospin et les rapports documentés sur les effets sanitaires du diesel, on peut encore lire qu’il convient de « faire converger la fiscalité entre l’essence et le gazole » et « aligner les régimes de déductibilité de la TVA entre l’essence et le gazole ». Des dispositifs de soutien financier sont reconduits ou rappelés : les primes pour l’achat de véhicules moins polluants, la prise en charge facultative de l’indemnité kilométrique vélo par les employeurs déjà prévue par la loi de transition énergétique16. Parmi les opérations de contrôle, au nombre de 4, on note le soutien à l’adoption de nouvelles normes européennes et le renforcement du contrôle technique des véhicules qui fait explicitement référence à l’article 65 de la loi de transition énergétique.
8Les mesures par leurs technicités et leur nombre, 18 pour les transports, peuvent donner l’impression d’une action publique soucieuse d’agir sur l’ensemble des paramètres qui déterminent la qualité de l’air. Mais le fil directeur de ce catalogue est l’engagement de l’État dans un champ d’actions circonscrit à peser sur les conduites individuelles. Seule la loi d’orientation des mobilités, que le Parlement a adopté le 19 novembre 2019, mentionne l’objectif de mettre fin à la vente de véhicules neufs essence et diesel d’ici 2040.
Le gouvernement des conduites
9Pour « encourager les mobilités actives » et « les transports partagés » il est préconisé de publier des guides méthodologiques à destination des entreprises ou des administrations pour « favoriser la mise en place de plans mobilité » ou encore de créer des « conseillers en mobilité17 ». Les incitations financières (subventions pour l’achat d’un vélo électrique, primes à la conversion des anciens véhicules diesel, bonus écologiques pour des véhicules électriques, etc.) figurent dans des rubriques différentes mais reposent sur l’idée que tous ces instruments rendent plus chers les mauvais choix et plus accessibles les bons. Les bons choix paraissent d’autant plus valorisés ou légitimés que le plan désigne de hauts responsables dont les actes sont dignes d’être imités : ainsi « l’exemplarité des ministres, préfets, chefs d’administration qui devront rouler en voiture électrique en ville18 ». Éduquer les citoyens par l’exemple, les sensibiliser et les informer sur les impacts environnementaux de leurs pratiques est un leitmotiv que l’on retrouve dans tous les domaines d’activité. Cette mise en lumière du caractère déterminant des pratiques individuelles résulte de la contribution attribuée aux transports individuels dans les émissions de polluants. Cette approche des mobilités dont le choix relèverait d’individus plus ou moins rationnels et éduqués aux enjeux du développement durable ouvre de larges champs d’interventions dans lesquels l’État entend non seulement persuader, inciter mais contraindre. Les espaces de débats et de confrontations recouvrent une multitude d’activités. Doit-on intégrer le co-voiturage courte distance dans les dispositifs mobilité financés par les entreprises comme le propose la société Klaxit ? Au regard de l’accidentologie, l’Union française des industries pétrolières interroge l’opportunité d’une utilisation croissante du vélo19. Qu’entend-on précisément par aire de co-voiturage, de voie réservée, de site propre, quelle politique tarifaire adopter à propos du stationnement en ville toutes ces questions ne manquent pas d’interpeller une multitude d’acteurs. La circulation est aussi un sujet aux multiples facettes. De l’utilisation de dispositifs de régulation du trafic avec des équipements dont la composition technologique est importante, et qui induit des innovations souvent prisées par les métiers de la route intelligente, à la mise en œuvre de la circulation différenciée les motifs de controverses ne manquent pas.
10La loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte permet la mise en place de zones à circulation restreinte dans lesquelles un certificat est obligatoire pour circuler ou stationner. Le dispositif concerne tous les véhicules routiers classés dans des catégories qui reposent sur les normes euros. Cette classification a suscité de nombreuses critiques. D’abord la révélation de l’ampleur des tricheries des constructeurs automobiles sur les procédures d’essai délégitime des normes censées évaluer les niveaux de pollution20 et déterminer le type de vignettes. Ensuite une série d’études pointent l’irréalisme des normes au regard des conditions réelles de circulation. Les travaux du King’s College concluent que les rejets de polluants n’ont pas ou quasiment pas diminué entre la norme euro 3 et la norme euro 5. Quant à l’International Council for Clean Transport ses essais démontrent que les véhicules neufs émettent en réalité sept fois plus de dioxyde d’azote que la norme euro 6 qu’ils respectent officiellement21. En France des experts soulignent que des véhicules à essence à injection directe, polluants car émetteurs de particules, bénéficient de la vignette crit’air 1 et que des véhicules diesel euro 6 très producteurs de NO2 disposent de la vignette crit’air 2. Les mesures de circulation différenciée sont donc l’objet de critiques qui portent sur la validité des attributions et l’efficacité réelle des dispositions. Ce sont des observations identiques qui expliquent les contestations suscitées par les zones de circulation restreinte. Le système des vignettes crit’air poursuit deux objectifs : favoriser la circulation des véhicules les moins polluants et organiser progressivement l’interdiction de certains véhicules dans les périmètres définis par les collectivités locales. Il convient toutefois de mentionner que si cet instrument d’action publique semble avoir un avenir prometteur, à l’heure où nous écrivons ces lignes, seules deux villes s’attellent à la création de zones à faibles émissions (Paris et Grenoble). Parmi les mesures relatives à la circulation imposées aux automobilistes figure également la réduction à 80 km/h de la vitesse maximale sur certaines routes22.
11Le gouvernement des conduites individuelles repose sur l’idée que les citoyens doivent être informés et qu’il est indispensable de clarifier la communication pour que des changements de pratiques de transport s’imposent. Cette idée structure quelques pages des rapports parlementaires et fonde, depuis une trentaine d’années, les politiques de déplacements urbains qui visent à une réduction de l’usage de l’automobile23.
12Dans les 40 propositions formulées par L. Aïchi, 9 s’apparentent à la rubrique « Informer, éduquer, former24 », la Cour des comptes intitule l’un de ses sous-titres « Mieux communiquer pour faire accepter les changements25 », J.-L. Roumegas et M. Saddier appellent à « clarifier la communication » et à « coordonner les différentes initiatives prises pour informer le grand public26 », N. Tocqueville considère que « les mesures prises pour améliorer la qualité de l’air doivent faire l’objet d’un accompagnement pour en assurer l’acceptabilité et la pérennité27 ». Dans son ouvrage sur les déplacements urbains, T. Buhler démontre que les politiques urbaines s’appuient sur « une image réductrice de l’individu qui est soit un “acteur instrumental”, soit un “acteur axiologique” qui aura à cœur d’accorder ses comportements quotidiens avec ses valeurs propres28 ». Ces politiques, prolixes en injonctions, sont vouées à l’échec puisqu’elles s’adressent à des acteurs qui n’existent pas. La focalisation sur l’individu « comme opérateur de choix conscients […] laisse de côté le corps, la répétitivité du quotidien et ses petites habitudes porteuses de sens ». Penser que le choix précède l’action ne permet pas de comprendre que la voiture engendre des habitudes qui se perpétuent d’autant mieux qu’elles sont peu conscientes. Dans une autre perspective nous pouvons rappeler que « la plupart des sources de pollution de l’air échappent totalement au contrôle des individus et nécessitent que les villes […], les décideurs nationaux, internationaux, prennent des mesures29 ». Cette méconnaissance des habitudes des automobilistes ou du réseau de contraintes qui déterminent les modes de déplacements oriente les actions publiques vers une modification des comportements individuels qui apparaissent comme la source majeure d’un problème de santé publique. L’approche a parfois des aspects condescendants surtout lorsqu’on s’adresse de manière indifférenciée aux populations. Parce qu’elle conforte les élus dans leurs missions d’éducation et de dialogue vis-à-vis des administrés, on comprend l’importance qu’ils attachent aux actions d’information, de formation et de communication. Cette position de proximité et de surplomb renforce leur légitimité. Il n’en demeure pas moins que des situations illustrent la mobilisation citoyenne et les limites de l’action publique. La vallée de l’Arve a connu et connaît d’amples et de profondes manifestations sur les pollutions atmosphériques, les nuisances des transports routiers et la création de pistes cyclables. Depuis plus de 20 ans des mobilisations se succèdent : oppositions au doublement du tunnel de Mont-Blanc et à sa réouverture, pétitions contre l’accroissement massif des transports routiers internationaux, demande d’aménagements de pistes cyclables, démarches auprès du préfet et de la Dréal pour obtenir des informations sur les émissions industrielles, proposition de valeurs limites d’émissions adaptées à la configuration géographique de la vallée. En 2009 les instances européennes ont du contraindre les autorités locales à réaliser un plan de Protection de l’atmosphère, ces dernières ont d’ailleurs focalisé leur attention sur le chauffage au bois et proposé des aides spécifiques pour que les habitants de la vallée acquièrent de nouveaux appareils de chauffage. On mesure là les limites d’une politique publique qui ne traite pas le problème dans toutes ses dimensions ou tarde à engager les actions adéquates30.
Réglementation et activités économiques
13Plusieurs secteurs économiques bénéficient déjà de l’engagement actif de l’État. C’est le cas des différentes filières de biocarburants qui peuvent compter sur son soutien. Il en est de même du bonus-malus instauré en 2008 et qui est reconduit depuis plusieurs années. Une prolongation qui s’interprète comme un plan de soutien aux constructeurs automobiles et une contribution à la réduction des émissions de CO2 alors que l’impact environnemental de la mesure donne lieu à des évaluations totalement contradictoires31. Plus récemment la loi d’orientation des mobilités devrait créer un cadre réglementaire spécifique aux véhicules autonomes. Il est ainsi possible que l’on s’oriente vers un soutien-développement d’une nouvelle filière industrielle même s’il est prématuré de savoir si cette technologie parviendra à s’imposer dans notre société.
14Dans le champ propre de la qualité de l’air, l’étude de certaines mesures semble dessiner une autre perspective : celle d’une association plus étroite et coordonnée entre réglementation, activités économiques ou segments de marché. À ce jour, la considérer comme un fil conducteur serait accuser le trait tant le sens et la portée de plusieurs mesures apparaissent difficilement déchiffrables et sont l’objet d’interprétations divergentes. L’hypothèse mérite toutefois d’être posée de manière à mieux cerner les développements futurs des orientations prises dans la lutte contre la pollution atmosphérique. La loi d’orientation des mobilités contient des dispositions qui peuvent donner lieu aux développements de pratiques économiques susceptibles de créer des niches de marché. Ainsi dans les territoires où les transports publics sont insuffisants ou inexistants les particuliers sont autorisés à transporter des passagers moyennant rémunération. Cette nouvelle réglementation créerait un marché entre des particuliers offreurs et demandeurs d’un service de transports et favoriserait les plateformes marchandes qui trouveront là un moyen d’accroître la gamme de leurs services. Il en est de même pour la mobilité partagée (co-voiturage ou auto partage) dont les pratiques devraient être l’occasion d’une production juridique chargée de préciser ce que l’on entend par partage de frais ou ouverture des données de co-voiturage. Les définitions ou les approches retenues étant susceptibles de favoriser un modèle économique au détriment d’un autre. De façon plus indirecte une série de mesures peuvent potentiellement être à l’origine d’activités économiques ou de nouveaux segments de marché. Dans le cadre de la mise en place de zones à circulation restreinte nombreuses sont les propositions de mise en place d’un contrôle automatique des vignettes qui intéressent des sociétés privées spécialisées dans la surveillance électronique. Les métiers de la route intelligente avec la diversité des équipements et des applications disposent aussi d’un potentiel de développement dans le domaine de l’information et de la régulation du trafic. Des entreprises conçoivent des applications pour optimiser le temps des trajets et connaître les niveaux de pollution auxquels on s’expose. Le recours à des péages urbains, préconisé ou critiqué, pour réguler les flux de véhicules peut aussi être la source de confrontations intéressées tant sur les modalités de mise en œuvre que sur la répartition des recettes. En conclusion nous devrons être attentif à la capacité que peut avoir une politique de lutte contre les pollutions atmosphériques à créer des activités économiques ou des niches de marché par le recours accru à la réglementation.
Les politiques ignorées
15Les problèmes dits environnementaux ne s’inscrivent pas dans le seul champ de l’environnement puisqu’ils sont liés aux modes de production et de consommation de notre société. La pluridisciplinarité apparaît donc indispensable pour établir des connaissances et saisir des phénomènes que des pensées cloisonnées ne peuvent appréhender. Qu’une action publique relative à la dégradation d’un élément naturel donne lieu à des investigations qui interrogent la diversité des pratiques économiques et sociales de notre société semble donc de mise. Pourtant pour ce qui est de la lutte contre la pollution atmosphérique il n’en est rien : le cadrage de la gouvernance de la qualité de l’air est limité. Et comme l’histoire apprend que la mise en forme de la pollution se réalise différemment selon les périodes, nous tenterons d’apporter quelques explications à la mise en congé de politiques étroitement associées à la qualité de l’air.
Le cadrage limité de la gouvernance de la qualité de l’air
16Au niveau national plusieurs plans ou documents définissent les actions destinées à réduire la pollution de l’air. Il s’agit du Prepa, de la Stratégie nationale bas carbone (SNBC), de la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) et du Plan national d’adaptation au changement climatique (PNACC)32. La SNBC et la PPE découlent de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte. Le premier document est chargé de mettre en œuvre les engagements internationaux en matière de réduction de gaz à effet de serre et le second fixe, entre autres, une trajectoire pour toutes les énergies (mix énergétique). Les élaborations de ces plans s’appuient sur des scénarios et force est de constater que plusieurs objectifs n’ont pas été respectés ou ont été modifiés. Parmi ces changements figurent le dépassement des plafonds d’émissions de carbone et une diminution de la part du nucléaire à la production d’électricité reportée à une date ultérieure. Ces plans, tout comme le plan national d’adaptation au changement climatique, posent des objectifs très généraux et ne décrivent pas précisément les moyens à déployer pour y parvenir. Ils tendent à s’apparenter à des déclarations d’intention. Tel n’est pas le cas du Prepa ou des rapports parlementaires qui contiennent de nombreuses mesures ou propositions33 pour diminuer les pollutions atmosphériques. La consultation du premier document ne contient aucune mesure relative à l’urbanisme, à l’étalement urbain, aux questions foncières, aux systèmes énergétiques, aux modèles agricoles…, c’est-à-dire aux politiques qui déterminent la qualité de l’air34. On serait en droit de penser qu’il en est autrement des rapports parlementaires qui portent des observations ou des critiques sur la politique engagée et sont susceptibles d’adopter une démarche prospective. En réalité ils demeurent dans les limites d’un cadrage qui se focalise sur les rejets de polluants. Examinons leurs approches ou leurs contenus. La troisième partie du rapport de L. Aïchi sur les solutions s’articule autour de trois axes : trouver le meilleur équilibre entre normes et fiscalité, favoriser l’innovation et nécessité de l’accompagnement ; la Cour des comptes consacre quelques développements à la gestion des pics de pollution et préconise de répartir les efforts entre secteurs de manière plus équitable, Roumegas et Saddier intitulent leur deuxième partie « Améliorer l’efficacité des mesures relatives aux sources mobiles et fixes de pollution ».
17La politique énergétique est abordée en traitant de la performance énergétique des bâtiments et des appareils de chauffage. Nulle proposition pour sortir des énergies fossiles ou remise en cause de la préférence accordée aux grandes structures centralisées dans la production d’énergie. Pourtant l’inconvénient de l’approvisionnement centralisé est qu’une quote-part importante de l’énergie se perd carrément « en route ». La production décentralisée d’électricité à partir d’équipements de petites capacités s’appuyant sur des sources renouvelables (éolien, solaire, géothermie, hydraulique, biomasse) n’est pas préconisée ou recommandée alors qu’elle est porteuse d’économie globale d’énergie et engendre ainsi une diminution des polluants atmosphériques. Les gaspillages provoqués par des éclairages nocturnes, les envahissements publicitaires ne sont jamais évoqués. Il en est de même de la climatisation destinée à prendre de l’ampleur tant du point de vue de la lutte contre le changement climatique (avec les émissions de gaz réfrigérants) que de celui de la quantité d’énergie utilisée35.
18Dans les domaines de l’urbanisme et des transports il y a une absence de réflexions et de mesures sur l’aménagement du territoire et la structuration de l’espace urbain autour du rail. On ne trouve pas de référence au Transit Oriented Development (TOD) qui a pour ambition de traiter les causes d’une dépendance automobile responsable de la congestion routière et de l’émission de polluants. Reconfigurer des réseaux et un espace urbain à l’aide d’une gestion des transports et de l’usage des sols mobilise pourtant des théoriciens de l’urbanisme durable et des municipalités (Portland, Québec) intéressés par les avantages apportés par les territoires denses et multifonctionnels. Les offres commerciales basées sur la voiture, la transformation d’un certain nombre en lieux de loisirs aux dimensions énergivores et destructrices de la biodiversité ne sont pas abordées. La spécialisation des zones urbaines – logement-travail-loisirs et commerces – et l’accélération de l’urbanisation des terres agricoles qui mérite de poser la question de la fiscalité des terres non construites de façon à rééquilibrer la valeur entre un terrain construit et non construit ne suscitent guère d’intérêt. Le sujet est d’ailleurs très lié aux développements des centres commerciaux. Les filiales immobilières des grands groupes commerciaux achètent à bas prix des terres agricoles, les rendent constructibles, les revendent excessivement chers ou louent des emplacements commerciaux. Tous ces phénomènes ont des impacts sur les déplacements et les modes de mobilité. Enfin depuis les années 2000, la gratuité des transports s’impose de plus en plus dans les agendas politiques locaux36. Plusieurs agglomérations françaises la pratique pour des motifs qui renvoient aux politiques urbaines et écologiques37. Bien que l’on encourage l’innovation et le partage des expériences, les documents officiels ne mentionnent plus cette mesure qui a pourtant été temporairement instaurée lors des épisodes de circulation alternée à Paris.
19En ce qui concerne l’industrie un certain nombre de propositions avancées par des associations38 ne font pas partie du registre des actions. La relocalisation d’activités économiques, la réduction des niveaux de consommation d’énergie et de matières premières par la réutilisation, la réparabilité et la recyclabilité des produits sont des perspectives absentes qui semblent s’opposer à l’éco-conception. Ce principe de sobriété pourrait aussi s’appliquer à l’agriculture qui reste le parent pauvre des plans et des rapports. La réduction de la part de l’élevage dans l’agriculture pour diminuer la consommation d’importantes ressources en énergie et en engrais et garantir un équilibre nutritionnel bénéfique pour la santé est un scénario qui a les faveurs de syndicats paysans ou d’associations environnementales mais qui manifestement peine à s’imposer39.
Les mises en forme de la pollution de l’air
20En définitive l’absence ou la mise en sourdine de certaines réflexions ou d’un catalogue de mesures peuvent ne pas surprendre. Les politiques publiques connaissent des transformations qui portent sur la manière d’appréhender les problèmes et les systèmes d’acteurs qui ont à cœur de faire valoir leurs compétences ou leurs intérêts.
21Au xixe siècle on s’interroge sur la qualification de la pollution de l’air : problème de propriété ou problème de santé ? En 1932 les parlementaires vont jusqu’à voter une loi qui interdit toute diffusion de fumées. À d’autres périodes, de 1932 à 1961, aucune initiative législative ou réglementaire n’est prise et lors des débats de 1961, C. Vlassopoulou constate « la disparition du ton contestataire des hygiénistes du xixe siècle et du début du xxe siècle et le recul du ministère de la Santé dans sa capacité à s’imposer face aux ministères “pollueurs”40 ». Dans les années 1970 la pollution atmosphérique tend à être définie comme un problème d’environnement, ce qui conforte les positions des ingénieurs des Mines qui exercent leur expertise sur la pollution industrielle. Par contre dans les années 1990, nous observons qu’elle est définie comme un problème de santé publique. C’est ce qu’exprime la loi sur l’air et l’utilisation rationnelle de l’énergie qui rappelle le droit « à chacun à respirer un air qui ne nuise pas à sa santé41 ».
22Les liens entre le processus de définition d’une politique publique et celui des actions censées apporter des solutions au problème, tel qu’il est momentanément défini, sont multiples. La LAURE les exprime par le contenu de ses dispositions et les mobilisations multiformes qu’elle suscite. Le titre V porte sur les plans de déplacements urbains qui exposent des orientations sur la diminution du trafic automobile, le développement des transports collectifs, de la bicyclette ou de la marche à pied. Le titre VI « Urbanisme et environnement » introduit des modifications au code de l’urbanisme en abordant des sujets comme la rationalisation et la maîtrise des besoins de déplacement, enfin parmi les techniques nationales de prévention de la pollution atmosphérique et d’utilisation rationnelle de l’énergie (titre VII) figurent des mesures de réduction de la consommation d’énergie. Les rapports entre émissions de polluants, urbanisme, transports et énergie sont clairement identifiés et sont l’objet de conflits lors des concertations qui précèdent le vote de la loi. C’est entre autres le cas entre motoristes, pétroliers et professionnels de santé mais ils permettent également de déceler des oppositions au sein de l’État. Le ministère de l’Industrie s’inquiète des prérogatives que pourrait s’attribuer le ministère de l’Environnement dans le domaine de la politique énergétique, le ministère de l’Équipement voit d’un mauvais œil les PDU et s’oppose à leur caractère obligatoire42. Au moment des débats suscités par la nouvelle loi sur l’air, des associations de défense de l’environnement ou des collectifs ad hoc inscrivent sur leurs agendas les nuisances atmosphériques et des mobilisations apparaissent sur la place de l’automobile en ville. Sur les thèmes concernant les transports, l’aménagement urbain, on observe des aspects de réactivation de sujets qui étaient l’objet de mobilisations sociales au cours des années 1970. La presse des Amis de la Terre se fait l’écho des campagnes contre la place excessive attribuée aux véhicules individuels dans les villes. De la contestation des grands projets urbains de l’époque pompidolienne à la volonté de promotion du vélo au travers des grandes manifestations de cyclistes des années 1972-1973, la lecture attentive de la presse écologique révèle avec acuité la distance et l’éloignement que vont connaître ces questions dans une partie de ce qu’on appelle communément l’opinion publique. Il est donc compréhensible de retrouver parmi les militants qui interviennent sur la pollution atmosphérique lors des années 1990, quelques-uns de ceux qui avaient participé en 1977 à la rédaction d’une brochure intitulée « Assez roulé comme ça on réfléchit43 ». Cette situation tranche avec la non-politisation qui apparaît après la loi de 1961, qui une fois votée, ne donne lieu à aucun débat parlementaire44. Si l’on assiste à la réémergence de questions, demeurées moins visibles, à une reconfiguration de l’action publique dans le domaine de la lutte contre la pollution atmosphérique, nous avons également constaté des processus de dépolitisation, l’instauration d’un nouveau système d’acteurs qui maintient des continuités. Cette appréciation se retrouve dans des évaluations de la loi sur l’air de 1996, notamment quand on considère qu’elle est avant tout une loi qui a permis l’édification d’un dispositif de surveillance sur l’ensemble du territoire et que les parties sur l’urbanisme, l’énergie, les mesures techniques, potentiellement porteuses de grandes transformations n’ont jamais été réellement appliquées45. Pour tenter de rendre compte de l’application partielle de la loi, des politiques ignorées ou du cadrage limité de la gouvernance de la qualité de l’air, nous formulerons quelques hypothèses explicatives.
Les facteurs d’invisibilité
23La focalisation sur les seuils d’information et d’alerte ou la gestion des pics de pollution par les autorités administratives, politiques, les médias ou l’opinion publique participe de la construction d’une attention sur un sujet qui est mineur. Les controverses portent le plus souvent sur la régulation de la circulation routière (interdiction d’une catégorie de véhicules, périmètre des interdictions, civisme des automobilistes, etc.) ou l’approbation de la population pour tel ou tel dispositif. Définition du problème, mesures, discussions s’inscrivent dans des univers étroitement délimités. Plus les polémiques sont virulentes et mobilisent beaucoup d’acteurs, plus elles rendent peu perceptibles les dimensions du problème et accréditent que la pollution quotidienne n’est pas un enjeu sanitaire.
24L’illusion technologique est également sans cesse renouvelée et se manifeste sous les formes les plus diverses : les meilleures techniques disponibles, le diesel propre, le carburant propre, les dispositifs de régulation du trafic, les progrès dans la motorisation Le futur antérieur s’invite avec la voiture électrique qui apparaît comme une innovation porteuse d’avenir alors que ses débuts remontent à la fin du xixe siècle.
25À cette illusion technologique s’associe une illusion éducative qui concerne toutes les pratiques individuelles : les bonnes pratiques du conducteur, de l’agriculteur, de l’industriel, de celui ou de celle qui doit bien faire fonctionner son chauffage. Cette attention sur les comportements individuels qui engendrent des désordres collectifs auxquels l’État doit faire face par la pédagogie, l’incitation ou la contrainte efface ses responsabilités dans le développement des énergies fossiles, du nucléaire, du diesel, des transports routiers, de l’étalement urbain, de l’agro-industrie.
26L’attribution des émissions atmosphériques à des secteurs (industrie, transports, énergie, résidentiel-tertiaire, agriculture) invisibilise les déterminants sociaux et structurels des conduites individuelles et gomme les questions politiques attenantes à l’urbanisation, aux choix énergétiques, à l’agriculture et aux modes de transports. Cette évacuation du politique s’exprime aussi avec la multitude de plans territoriaux sur l’air, l’énergie, le climat, les déplacements, l’aménagement urbain, dont on souligne les complexités, le manque de coordination, les problèmes de cohérence ou de comptabilité comme si les difficultés pouvaient être surmontées grâce à une meilleure orchestration et à l’emploi d’une science administrative plus efficace. L’apolitisme dans la « gestion des pollutions atmosphériques » est d’autant plus présent que l’on insiste sur les aspects technologiques et éducatifs dans la résolution des problèmes. Il est symptomatique que les rapports parlementaires n’étudient jamais le rôle des intérêts institués et la volonté de les pérenniser : ils conçoivent des solutions sous un mode raisonné, consensuel où la compétitivité économique s’allie avec l’innovation technologique, la préservation de l’environnement et la santé publique. Nous sommes confrontés à des « défis » que des intelligences éclairées et raisonnables sont en mesure de relever. Quand elles existent les oppositions sont étroitement délimitées et renvoient à des polémiques ritualisées sur les rôles respectifs de la fiscalité et de la réglementation dans la protection de la qualité de l’air.
27Cette absence d’une approche « politique radicale et globale46 » est facilitée par la perpétuation d’une série de cloisonnements institutionnels et disciplinaires. L’énergie demeure un impensé historique. La lutte contre les émissions de polluants atmosphériques se présente souvent sous la forme d’une addition de problématiques – air ambiant – air intérieur – changements climatiques – qui une fois dissociées doivent être combinées. Dans ces domaines nos observations, à propos de la focalisation sur les rejets des polluants atmosphériques, rejoignent celles de S. Aykut et A. Dahan sur le gouvernement du climat qui évacue les raisons profondes des émissions de CO2 et se trouve dissocié du fonctionnement du système énergétique mondial, du commerce international et du développement47. Quant aux liens entre urbanisme, santé et environnement, on constate, malgré une production scientifique croissante, que les acteurs de ces différents champs professionnels « fonctionnent en silo48 ». Et dans sa présentation de la généalogie de la notion de ville durable, un projet et un référentiel pour l’action publique, C. Emelianoff souligne que des idées formulées dès les débuts de l’urbanisme restent aujourd’hui à l’état de latence ou ne sont pas mises en œuvre49. La doctrine de l’urbanisme durable peut s’illustrer avec des lois comme la solidarité et le renouvellement urbain50 ou des décrets sur les études d’impacts et l’évaluation environnementale51, il n’en demeure pas moins que l’étalement urbain et ses méfaits sont des réalités massives. Bien que la lutte contre cet étalement soit partie intégrante de la doctrine de la ville durable, force est de constater que les politiques publiques ont été « au mieux impuissantes, au pire encourageantes à l’égard de la périurbanisation52 ». Si les questions environnementales peuvent renouveler les pratiques et les théories urbaines, ou faire revivre celles que des configurations sociales et politiques avaient marginalisées, notre présent confirme la toute-puissance des « lobbys fossiles et nucléaires qui règnent en maîtres dans les domaines des matériaux de construction, de l’énergie et des transports urbains53 ». L’institutionnalisation de la ville durable s’est donc accompagnée d’une forte technicisation des questions environnementales et d’une appropriation par des corps professionnels ou des spécialistes de la politique. La politique est hors jeu ou « hors piste54 ». La mise en forme des pollutions atmosphériques tout comme leurs visibilités dépendent des mouvements politiques sociaux et idéologiques ou des jeux de force qui s’opèrent entre les ministères et les grands corps de l’État. Pour ce qui concerne la lutte contre les pollutions atmosphériques, la période actuelle est marquée par des sentiers de dépendance qui instituent des manières de faire et de penser qui délimitent fortement le répertoire d’action de la politique publique et tendent à évacuer les confrontations politiques susceptibles de remettre en cause les intérêts économiques dominants.
Conclusion
28L’étude de l’orientation de l’action publique illustre que des pans entiers des réflexions ou des activités qui ont des conséquences sur la qualité de l’air ne sont pas sérieusement pris en considération ou sont laissés en jachère. Des décisions et des mesures ne sont pas envisagées, délimitant ainsi un champ des possibles qui circonscrit de manière importante la lutte contre les pollutions atmosphériques. De la définition des problèmes à la mise en œuvre des décisions, on observe une mise à l’écart des questionnements relatifs à l’organisation urbaine, à la sortie du nucléaire ou des énergies fossiles, au développement de l’agriculture industrielle et de tout ce qui interroge les rapports sociaux de notre société.
29L’action publique en tant que pratique de pouvoir et analyseur des rapports politiques et des relations gouvernants-gouvernés exprime la capacité des acteurs économiques et des ministères à monopoliser la production des référentiels, à modeler les instruments d’action publique et à les reconfigurer. La lutte contre la pollution de l’air illustre l’inégalité des ressources des acteurs puisque certains d’entre eux peuvent se soustraire ou choisir les formes de régulation ou de coercition. Comme forme particulière d’action collective, la politique publique de lutte contre la pollution de l’air révèle que les mobilisations citoyennes ne parviennent pas à imposer leurs agendas et à politiser l’ensemble des déterminants de la qualité de l’air.
Notes de bas de page
1 Il s’agit de la directive 2016/2284 concernant la réduction des émissions nationales de certains polluants atmosphériques modifiant la directive 2003/35/ CE et abrogeant la directive 2001/81/CE.
2 Parmi les derniers rapports d’information rédigés par des parlementaires nous avons retenu ceux de Tocqueville Nelly, sénatrice, rapport d’information no 412, sur la lutte contre la pollution de l’air, enregistré le 11 avril 2018, de Roumégas Jean-Louis et Saddier Martial, rapport d’information no 3772, sur l’évaluation des politiques publiques de lutte contre la pollution de l’air, enregistré le 19 mai 2016, de la Cour des comptes, les politiques publiques de lutte contre la pollution de l’air, décembre 2015, et de Aîchi Leïla, sénatrice, rapport sur le coût économique et financier de la pollution de l’air, enregistré le 8 juillet 2015.
3 Lancé en 2008 le plan Ecophyto affiche l’objectif d’une réduction de 50 % des pesticides. De 2008 à 2015 on observe une augmentation de leur emploi. Le plan Ecophyto 2 repousse les objectifs initialement fixés à des dates plus lointaines sans prendre la mesure des raisons de cet échec.
4 L’épandage aérien peut être autorisé temporairement par dérogation et aux conditions fixées par l’arrêté du 15 septembre 2014 du ministère de l’agriculture.
5 Aulagnier Alexis et Goulet Frédéric, « Des technologies controversées et de leurs alternatives. Le cas des pesticides agricoles en France », Sociologie du travail, (en ligne), vol. 59, no 3, juillet-septembre 2017.
6 Roumégas Jean-Louis et Saddier Martial, op. cit., p. 19.
7 Ibid. p. 20.
8 Proposition 55 du rapport op. cit., de Aïchi Leïla, p. 12.
9 Rapport de la Cour des comptes, op. cit., p. 96 et p. 97.
10 Il n’est toutefois pas toujours facile d’évaluer la part des émissions de GES par l’industrie. C’est le cas avec le format d’inventaire Namea-Air qui note la diminution des émissions de GES des activités économiques (−23 %) alors que celles des ménages se stabilisent. Les émissions attribuées aux ménages sont notamment la consommation d’énergie dans les logements et la combustion des carburants automobiles.
11 Voir la note 63 à la page 92 du rapport de la Cour des comptes qui s’appuie sur les travaux du Citepa.
12 Rapport Roumegas Jean-Louis et Saddier Martial, op. cit., p. 156.
13 Cour des comptes, L’efficience des dépenses fiscales relatives au développement durable, rapport, septembre 2016, p. 56.
14 Par rapport à 2012.
15 Chiroleu-Assouline Mireille, « La fiscalité environnementale en France peut-elle devenir réellement écologique ? État des lieux et conditions d’acceptabilité », Revue de l’OFCE, vol. 3, no 139, 2015, p. 129-165.
16 Pour favoriser la pratique du vélo sur les trajets domicile-travail, l’IKV ouvre la possibilité de bénéficier d’une réduction d’impôt pour les entreprises qui la mettent en place. Le gouvernement ayant réduit les moyens attribués à ce dispositif, le nombre de bénéficiaires a considérablement diminué.
17 Nous indiquons entre guillemets ce qui figure dans l’arrêté du 10 mai 2017 établissant le plan national de réduction des émissions de polluants atmosphériques.
18 Ibid.
19 Voir les synthèses des observations du public sur les projets de décret et d’arrêté relatifs au plan national de réduction des émissions de polluants atmosphériques du 28 avril 2017.
20 Ces niveaux de pollution sont basés sur un ensemble de procédures d’essai. La norme New European Driving Cycle (NEDC) aussi appellé Motor Vehicle Emissions Group (MVEG) est remplacée pour tous les véhicules neufs, à partir de septembre 2017, par une nouvelle homologation : Worldwide harmonized Light vehicles Test Procedures (WLTP).
21 La création d’un organe de contrôle indépendant se pose avec un peu plus d’acuité depuis le scandale du « diesel gate ». Frierich Axel, co-fondateur de l’ICTT, propose que les tests d’homologation des véhicules ne soient pas traités par l’autorité de transports mais supervisés par des autorités environnementales.
22 Cette mesure est dans le plan d’action de réduction de la pollution de l’air présenté à la Commission européenne le 13 février 2018 et ne figurait pas dans le Prepa.
23 Buhler Thomas, Déplacements urbains : sortir de l’orthodoxie. Plaidoyer pour une prise en compte des habitudes, Lausanne, Presses polytechniques et universitaires romandes, 2015.
24 Nous avons classé les 40 propositions dans 7 rubriques et indiqué entre parenthèse le nombre pour chaque rubrique : Favoriser, promouvoir des études et des recherches (7) ; Informer, éduquer et former (9) ; Promouvoir, faire connaître et partager des expériences (3) ; Actions qui associent des secteurs professionnels, des entreprises qui sont à l’origine de la pollution (3) ; Préconisations de contrôle technique indépendant (6) ; Recourir aux technologies et aux innovations (5) ; Emploi de dispositifs financiers (5). Les mesures « Renforcer la coordination au plan tant national que régional des services de l’État » et « Développer et encourager le fret ferroviaire » n’ont pas été classées.
25 Rapport de la Cour des comptes, op. cit., p. 108.
26 Rapport Roumegas Jean-Louis et Saddier Martial, op. cit., p. 95 et p. 225.
27 Rapport Tocqueville Nelly, op. cit., p. 44.
28 Buhler Thomas, op. cit., p. 17.
29 OMS, centre des médias, qualité de l’air ambiant (extérieur) et santé, aide-mémoire no 313, mars 2014.
30 L’arrêté du 10 mai 2017 établissant le PREPA contient une mesure d’expérimentation d’un fonds air-industrie en vallée de l’Arve permettant de financer des actions allant au-delà de la réglementation.
31 Le rapport de la Cour des comptes L’évaluation de l’efficience des dépenses fiscales relatives au développement durable parle d’effet d’aubaine du bonus-malus automobile et de mesure à l’efficience controversée, novembre 2016, p. 74.
32 Nous aurions également pu inclure dans ce corpus le plan national santé environnement.
33 Nous pouvons également nous appuyer sur le plan d’action de la pollution de l’air présenté à la Commission européenne le 13 février 2018 et sur les feuilles de routes centrées sur les actions des collectivités territoriales. À quelques rares exceptions près comme la limitation de la vitesse à 80 km/h toutes les mesures proposées figurent déjà dans le Prepa.
34 Dans la partie de l’arrêté du 10 mai 2017 la rubrique amélioration des connaissances et innovation fait une référence au lancement en 2017 d’un appel à projet sur l’urbanisme et la qualité de l’air.
35 Le rapport Roumegas-Saddier le mentionne très brièvement p. 185 sans le prendre en considération.
36 L’une des expériences pionnières de la gratuité des transports est celle de Commerce banlieue de Los Angeles en 1962.
37 Briche Henri, Huré Maxime, « Dunkerque, nouveau “laboratoire” de la gratuité des transports », Métropolitiques, 30 mai 2017, [https://www.metropolitiques.eu].
38 Voir le Manifeste Négawatt, en route pour la transition énergétique, nouvelle édition 2015, Arles, Actes Sud, octobre 2015.
39 Voir le scenario AFTerres 2050, version 2016, Solagro.
40 Vlassopoulou Chloé Anne, La lutte contre la pollution atmosphérique urbaine en France et en Grèce : Définition des problèmes publics et changement de politique, thèse de l’université Paris 2, 1999.
41 Article 1 de la LAURE.
42 Vlassopoulou Chloé Anne, thèse citée, p. 552-555.
43 Parmi les collaborateurs de cette brochure figurent Delarue Jean-Claude et Schneiter Laure (élue conseillère de Paris en 1995) tous deux fondateurs du comité des victimes de la pollution de l’air, ainsi que Bigorgne Simone et Macheras Jean, futurs animateurs de la FNAUT, Éditions Pauvert, coll. « Amis de la Terre », 1977.
44 Vlassopoulou Chloé Anne, thèse citée, p. 482.
45 Préface de Lepage Corinne, in Boutaric Franck, Pollution atmosphérique et action publique, Paris, éditions rue d’Ulm, 2014, p. 10.
46 Nous reprenons ici la terminologie employée par Krzyzanowsk Michal du Centre européen de l’environnement et de la santé (OMS), éditorial du Bulletin épidémiologique hebdomadaire du 8 janvier 2013.
47 Aykut Stefan. C. et Dahan Amy, op. cit., p. 448-453.
48 Guide EHESP/DGS, Roué-Legall Anne, Le Gall Judith, Potelon Jean-Luc et Cuzin Ysaline, Agir pour un urbanisme favorable à la santé, concepts et outils, 2014, p. 35.
49 Bourg Dominique et Papaux Alain, Dictionnaire de la pensée écologique, Paris, PUF, 2015.
50 La loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain, 2000.
51 Au cours des années 2011-2012 trois décrets soumettent des projets d’aménagements et divers documents d’urbanisme à une évaluation de leurs effets potentiels sur l’environnement et la santé humaine.
52 Cary Paul et Fol Sylvie, « Du périurbain stigmatisé au périurbain valorisé ? », Géographie, économie, société, 18, 2016, p. 5-13.
53 Emelianoff Cyria, in Dictionnaire de la pensée écologique, op. cit., p. 1041.
54 Ibid.
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