L’Heptaméron, un relais de transmission des textes
p. 211-227
Texte intégral
1Réunis dans l’abbaye de Sarrance, les dix personnages-conteurs de L’Heptaméron1 narrent des récits en attendant que soit construit le pont qui leur permettra de repartir. Au statisme qui leur est ainsi imposé s’oppose la transmission des nouvelles, qui voyagent justement parce que leurs conteurs ne le peuvent plus. La mobilité des textes évoqués devient tentative de conjurer l’ennui, mais là n’est pas le seul objectif des personnages. Si les nouvelles sont avant tout adressées à l’auditoire restreint des devisants (en témoigne la multiplicité des allusions et des non-dits2), elles sont également destinées, dans le récit-cadre même, à quitter Sarrance avec leurs conteurs traversant le pont pour rejoindre le monde dont ils sont séparés temporairement (et éternellement puisque l’œuvre est inachevée). De fait, Parlamente expose ainsi aux autres son projet :
Au bout des dix jours aurons parachevé la centeine. Et si Dieu faict que nostre labeur soit trouvé digne des yeux des seigneurs et dames dessus nommées, nous leur en ferons present au retour de ce voyage, en lieu d’images ou de paternostres, vous asseurant qu’ils auront ce present ici plus agreable (p. 66).
2Les nouvelles n’ont alors pas seulement leur finalité première de « passetemps, pour adoulcir l’ennuy » (p. 62) : le « present » évoqué par Parlamente dispose d’une dimension concrète, indiquant, en une forme de mise en abyme, que les nouvelles racontées sont destinées à être écrites3 et faisant de la « société conteuse » un relais de transmission de textes.
3Cette dimension de relais apparaît dans les nombreuses références évoquées, utilisées et ainsi réemployées, manifestant une transformation et un déplacement des textes. La première de ces références est évidemment le Décaméron, modèle avoué du recueil4, mentionné par Parlamente dans le Prologue en référence à la traduction d’Antoine Le Maçon5 :
Entre autres je croy qu’il n’y a nulle de vous qui n’ait leu les cent nouvelles de Jean Bocace, nouvellement traduictes d’Italien en François : desquelles le Roy treschrestien François premier de ce nom, monseigneur le Daulphin, ma dame la Daulphine, ma dame Marguerite ont faict tant de cas, que si Bocace du lieu où il estoit les eust peu ouïr, il eust deu resusciter à la loüenge de telles personnes. A l’heure j’ouy les deux dames dessus nommées avec plusieurs autres de la court qui se deliberoient d’en faire autant, sinon en une chose differente de Bocace, c’est de n’escrire nouvelle, qui ne fust veritable histoire (p. 65).
4L’adverbe « nouvellement » n’est peut-être pas fortuit, rappelant que l’actualité est, dans L’Heptaméron, un critère des nouvelles. Boccace est à nouveau évoqué dans le Prologue : le pré où se réunissent les devisants « avoit besoing d’un Bocace, pour le depeindre à la verité » (p. 67). Toutefois, la référence à Boccace ne fait pas du recueil un « Décaméron français6 » : le projet de la cour, et par extension celui de Parlamente, est bien de s’en démarquer (« en faire autant, sinon en une chose differente de Bocace »). Néanmoins, l’histoire éditoriale du recueil7 joue sur un rapprochement avec Boccace : après le titre incongru choisi par Boaistuau en 1558, Histoires des amans fortunez, Gruget cherche à renforcer la comparaison en intitulant le recueil L’Heptaméron8 l’année suivante. De même, Adrien de Thou accentue une similitude avec le Décaméron en proposant, par ses titres, des thèmes aux journées9.
5Les « leçons » matinales d’Oisille constituent un exemple de transmission des textes, tout en reflétant l’évangélisme de Marguerite de Navarre10. Ces « leçons » contreviennent directement à l’arrêt du Parlement du 5 février 152611. En outre, le texte lu par Oisille, ainsi que par la dame de la Nouvelle 67, est une nouvelle preuve d’évangélisme : « dans les deux cas, il ne peut s’agir que du Nouveau Testament de Lefèvre d’Étaples, dans sa traduction française », souligne Christine Martineau-Génieys12. Ce recours à la traduction est rendu évident par les citations employées majoritairement en français par les personnages. Simontault précise même (ou prétend) qu’il ne pourrait citer les textes bibliques en latin13 : « Si je sçavois, dist Simontault, bien parler Latin, je vous alleguerois que sainct Jean dict : que “celuy qui n’aime son frere qu’il veoit, comment aimera-il Dieu qu’il ne veoit point ?” » (p. 244), ce à quoi Emarsuitte lui répond avec amusement en latin : « quis est ille et laudabimus eum, ainsi parfaict que vous le dictes ? » (p. 244). Les citations bibliques peuvent également être détournées par certains devisants pour servir leur propos14. Oisille et Parlamente reprochent ainsi à Saffredent sa lecture cynique :
- […] Car sainct Jean dist : “Comment aimerez vous Dieu, que vous ne voyez point, si vous n’aimez celuy que vous voyez ?” - Il n’y a si beau passage en l’Escriture, dist Oisille, que vous ne tiriez à vostre propos : mais gardez vous de faire comme l’araigne, qui convertit toutes bonnes viandes en venin : et si vous advise qu’il est dangereux d’alleguer l’Escriture Saincte sans propos et necessité. (p. 382)
6De même,
- Si vous avez bien leu l’Escriture, dist Saffredent, sainct Paul dit, qu’Apollo a planté, et qu’il a arrousé : mais il ne parle point, que les femmes ayent mis les mains à l’ouvrage de Dieu. - Vous voudriez suyvre, dist Parlamente, l’opinion des mauvais hommes, qui prennent un passage de l’Escriture pour eux, et laissent celuy qui leur est contraire. Si vous avez leu sainct Paul jusques au bout, vous trouverez qu’il se recommande aux dames, qui ont beaucoup labouré avecques luy en l’Evangile. (p. 552)
7Dans le premier cas, Saffredent évoque le texte précédemment cité par Simontault. Mais tandis que la remarque de ce dernier traduit une gradation de l’amour profane vers l’amour divin, Saffredent inverse l’ordre pour que sa phrase s’achève sur l’amour profane, ce qui explique vraisemblablement l’intervention d’Oisille15. Enfin, le second extrait amorce une réflexion sur la lecture des textes, la tournure de Parlamente, « Si vous avez leu sainct Paul jusques au bout », reprenant et contestant celle de Saffredent : « Si vous avez bien leu l’Escriture ». Avec son ironie habituelle, Saffredent « utilise » les textes plutôt qu’il ne les « interprète » pour reprendre la distinction introduite par Umberto Eco16. Hircan agit de même ; dans le devis de la Nouvelle 57, sa référence à saint Paul entraîne la réaction de plusieurs devisants :
- Si sainct Paul eust esté tel homme, que vous, dist Nomerfide, nous eussions demandé l’experience de l’esprit de Dieu, qui parloit en luy. - A la fin, dist Guebron, vous aimerez mieux douter de la Saincte Escriture, que de faillir à l’une de voz petites ceremonies. (p. 504)
8L’emploi des citations bibliques permet ainsi d’accentuer le portrait des devisants. En outre, bien que la connaissance qu’en ont les personnages préexiste à leur arrivée à Sarrance, les citations peuvent laisser supposer une influence des leçons d’Oisille et ainsi une circulation des textes.
9S’ajoutent à cela les œuvres de référence des devisants, convoquées pour appuyer leurs propos et acquérant une valeur d’arguments d’autorité. Certaines sont des références ponctuelles, ainsi la citation de Dante par Hircan : « il me semble qui [les cordeliers] sont du rang de ceulx que Virgille dict à Dante, “passe outre et n’en tiens compte”17 » (p. 494), ou l’évocation implicite par Longarine du concours de Blois du grand-oncle de Marguerite, Charles d’Orléans : « […] et me semble que ce soit folie ou cruauté, à celuy qui garde une fontaine, de loüer la beauté de son eau à un qui languist de soif en la regardant, et puis le tuër, quand il en veult prendre » (p. 400). D’autres textes, en revanche, apparaissent comme des références de prédilection des devisants, permettant de constituer leur culture18 et d’accentuer leurs différences. Guebron, associé à l’ancien temps (« J’ay veu le temps […] », déclare-t-il par exemple, p. 294), s’appuie sur la leçon des livres de la Table Ronde : « Car les livres de la Table Ronde nous apprennent que ce n’est point honneur à un chevalier, d’en abbattre un qui ne vault rien » (p. 462) ; le verbe « apprendre » souligne une « leçon » des textes influençant son opinion. La Table Ronde est également mentionnée par Parlamente dans la Nouvelle 21 : pour voir Rolandine, le « bastard » feint de lire « un livre des chevaliers de la Table Ronde19 » (p. 258). Le livre acquiert ainsi une dimension de « couverture », image omniprésente dans L’Heptaméron20.
10Parlamente invoque à deux reprises La Belle Dame sans mercy : « La belle dame sans mercy nous a aprins à dire, que si gratieuse maladie [l’amour], ne mect gueres de gens à mort » (p. 173-174) et « la belle dame sans mercy respond qu’il siet bien, que l’on le die, pour en tirer quelque confort » (p. 500). La première fois, elle répond à Dagoucin et la seconde à Simontault, ses deux « serviteurs » : dans les deux cas, le devis s’éloigne du récit entendu, s’infléchissant en un débat personnel. Dagoucin et Simontault contestent tous deux la valeur de l’exemple évoqué ; Dagoucin estime que « ceste opinion est faulse » et décrit ainsi la dame : « ceste incredule, qui laissa mourir un bon serviteur par faulte d’une gratieuse response » (p. 174). Mais sa véritable intention transparaît dans ses dires : « Parquoy il me semble bien, qu’une response honneste et gratieuse […] n’y pourroit qu’accroistre l’honneur et amender la conscience » (p. 174) ; il apprécierait que Parlamente lui réponde et ne se montre pas « sans mercy ». Son intention personnelle influence ainsi son interprétation du poème. De même, Simontault répond à Parlamente avec une ironie dépitée :
- Vous alleguez un notable docteur […] qui seulement n’est fascheux, mais le faict estre toutes celles, qui ont leu et suivy sa doctrine. - Si est-ce, que sa doctrine, dist Parlamente, est autant profitable aux jeunes dames, que nulle que je sçache (p. 500).
11L’exemple littéraire apparaît donc comme un modèle ; la critique de Simontault ne fait qu’en souligner l’efficacité, puisqu’il rappelle que l’exemple a été « suivy » ; reprenant le terme « doctrine », Parlamente lui accorde, par l’adjectif « profitable », une valeur d’exemplum.
12D’autre part, Le Roman de la Rose est l’œuvre de référence de Saffredent qui en cite des extraits : « […] la vieille du Rommant de la Rose, laquelle dict : “Nous sommes faicts beaux fils sans doubte, Toutes pour tous, et tous pour toutes” […] » (p. 121), et « vous sçavez que maistre Jean de Meun a dict, qu’“aussi bien sont amourettes soubs bureau que soubs brunettes” » (p. 337). Guillaume de Lorris en revanche n’est pas évoqué : le cynisme de l’œuvre de Jean de Meung conforte Saffredent dans ses opinions21. Mais Longarine, révélant un point commun inattendu avec son « serviteur », prouve sa connaissance du texte :
Et pource que les princes n’en sont pas exempts, aussi ne le sont ils de la necessité, en laquelle les met le desir de la servitude d’amour. Et par force leur est non seulement permis mais commandé d’user de mensonge, hipocrisie, et fiction, qui sont les moyens de vaincre les ennemis, selon la doctrine de maistre Jean de Meun22 (p. 306).
13L’emprunt de références pourrait alors participer d’une forme de transmission des textes dans le groupe des devisants.
14Les textes évoqués sont ainsi utilisés par les personnages pour soutenir leurs arguments ; les conteurs-devisants sont aussi lecteurs. En particulier, ces textes participent à la construction de personnages distincts23. Il est plus surprenant alors de les voir utiliser des textes qui, a priori, ne leur conviennent pas. Dans le devis de la Nouvelle 34, l’évocation des « philosophes du temps passé » (p. 367) se précise d’une manière inattendue : l’idéaliste Guebron cite Diogène, tandis que le cynique Saffredent cite Platon (p. 367). Le débat philosophique s’oriente ensuite vers la théologie, par l’intervention (cette fois plus prévisible) d’Oisille qui cite saint Paul (p. 368). L’usage des citations dans ce devis, permettant de renforcer les arguments du débat, introduit une disjonction entre le récit pour faire rire de Nomerfide et la discussion sérieuse, écart dont seul Simontault paraît s’étonner ; il avait demandé à Nomerfide de les faire rire (« puis qu’elle a le cueur joyeux, sa parolle ne sera point triste », p. 363) et est visiblement désappointé par la tournure du devis qu’il décide d’interrompre : « en partant d’une tresgrande follie, nous sommes tombez en la philosophie et theologie. Laissons ces disputes à ceux, qui sçavent mieux resver que nous : et sçachons de Nomerfide à qui elle donne sa voix » (p. 368-369)24. Cette interruption indique une prédominance du divertissement sur la disputatio, et de ce fait de la transmission des contes sur la transmission des références.
15En outre, le désaveu exprimé dans le Prologue à l’égard de « ceux qui auroient estudié, et seroient gens de lettres » (p. 65-66) ne peut dissimuler l’importance des écrits dans les nouvelles de L’Heptaméron. Si le conte initial rapporté par les personnages doit être oral25 (« chacun dira quelque histoire qu’il aura veuë ou bien ouy dire à quelque homme digne de foy », p. 66), il sera écrit après avoir été dit, comme l’indique notamment la tournure « n’escrire nouvelle, qui ne fust veritable histoire » (p. 65) se rapportant au projet initial du dauphin et de quelques dames de la cour repris par les devisants, ce que Simontault paraît confirmer par la remarque peut-être métatextuelle « faire un recueil » (p. 67). Cela n’est pas sans rappeler l’évolution même du projet de Marguerite de Navarre : étudiant le plus ancien manuscrit de L’Heptaméron (Fr. 1513), Nicole Cazauran met en évidence le passage de « raconter » à « écrire26 ».
16Dans le recueil, le refus des sources écrites rencontre une exception qui permet aux personnages de rappeler et de questionner la règle qu’ils se sont imposée : la Nouvelle 7027, qu’Oisille hésite à conter28. De fait, après avoir évoqué une histoire introduite par la formule « vous me faictes souvenir […] » (p. 559) qui entraîne souvent le don de la voix, Oisille objecte à la demande de Simontault de « la [leur] vouloir compter » :
- Je ne puis […] pour deux raisons : l’une, pour sa grande longueur : l’autre, pource que ce n’est pas de nostre temps : et si a esté escrite par un autheur bien croyable. Et nous avons juré de ne rien mettre icy, qui ait esté escrit. - Il est vray, dist Parlamente, mais me doutant du compte que c’est, il a esté escrit en si vieux langage, que je croy, que, hors mis nous deux, il n’y a icy homme ne femme, qui en ayt ouy parler : parquoy, il sera tenu pour nouveau. (p. 559)
17Cette source est la Chastelaine de Vergy, et le nom de « la dame du Verger » ou « Madame du Verger », supprimé par Boaistuau et Gruget29, apparaît dans la nouvelle. Tandis qu’Oisille, en évoquant un serment (« Et nous avons juré de ne rien mettre icy, qui ait esté escrit »), explicite le refus de l’écrit qui n’était que sous-entendu dans la condition « chacun dira quelque histoire qu’il aura veuë ou bien ouy dire », elle met en avant dans le même temps la crédibilité de l’auteur, « bien croyable », comme le témoin des histoires rapportées doit être « digne de foy30 » : cette condition remplie estompe déjà la différence entre une source écrite et une source orale. La réponse de Parlamente joue sur un paradoxe : puisqu’il est « escrit en si vieux langage », le texte peut être « tenu pour nouveau » et ainsi devenir une nouvelle. Ses propos font écho à ceux de Guebron à la fin de la cinquième journée : « Mais nous, qui n’avons esté appellez au conseil privé de Dieu, ignorans les premieres causes, trouvons toutes choses nouvelles31 » (p. 467). Les contes de L’Heptaméron peuvent ainsi ne pas être intrinsèquement nouveaux et leur actualité peut être seulement réactualisation32. Ce renouvellement entre en résonnance avec la transmission des récits : les conteurs de L’Heptaméron servent de relais, entretenant la mémoire de récits passés et les actualisant afin qu’ils deviennent des exemples33 à suivre. Enfin, il convient de revenir sur l’expression de Parlamente : « tenu pour nouveau » implique un jeu avec les apparences dont personne ne serait dupe, mais aussi une transformation qui n’en serait pas une, puisque le récit serait le même, quoique considéré autrement. Toutefois, en évoquant le « si vieux langage » qui renforce le commentaire d’Oisille (« ce n’est pas de nostre temps »), elle implique une translation, un déplacement, et par là même un voyage du texte34, afin qu’il parvienne aux lecteurs, et avant eux aux huit membres du groupe qui n’en ont pas « ouy parler35 ». En outre, la Nouvelle 70 pourrait apparaître comme un prolongement des « leçons » matinales d’Oisille, à la fois parce que son recours aux textes écrits est mis en avant36 et parce qu’en conclusion la conteuse établit une comparaison avec l’Épître de saint Paul aux Corinthiens : « Et vous voyez encores, que sainct Paul ne veult, que les gens mariez ayent ceste grande amour ensemble » (p. 582), ce qui accroît la porosité entre les activités du matin et celles de l’après-midi37, porosité et efficacité d’ailleurs mises en évidence lorsqu’Oisille intervient dans le devis de la Nouvelle 34 pour commenter : « Ne vous ay-je pas leu au matin […] » (p. 368).
18Cependant, la Nouvelle 32, narrée également par Oisille, aurait pu entraîner de la part de la conteuse les mêmes objections que la Nouvelle 70 : inspirée du Protheselaus, elle a « esté escrite ». La source, cette fois, n’est pas exprimée dans le récit-cadre et, tandis que dans la Nouvelle 70 le renouvellement de l’histoire se passait de précision temporelle, la Nouvelle 32 se trouve réactualisée en étant transposée sous le règne de Charles VIII38 et en remplissant les conditions recherchées : Oisille souligne « qu’elle est advenuë de [s]on temps, et que celuy mesmes, qui [la lui] a comptée, l’a veuë » (p. 352). L’absence d’évocation d’un texte dans cette nouvelle est d’autant plus notable en raison de l’importance qui y est accordée à la circulation du récit : le mari narre l’histoire à Bernage qui, à son tour, la rapporte au roi (« Et quand il fut retourné devers le Roy son maistre, luy feit tout au long le compte, que le prince trouva tel comme il disoit », p. 357), puis un tableau confirme les propos tenus (« [le roi] envoya son peintre nommé Jean de Paris, pour luy rapporter au vif ceste dame, ce qu’il feit », p. 357).
19Pourtant, des écrits, des lettres, trouvent parfois un rôle dans les nouvelles : ainsi, dans la Nouvelle 13, la lettre envoyée par le capitaine à la dame, « […] lettre de deux fueilles de papier escrite de tous costez, en laquelle y avoit l’epistre qui s’ensuit » (p. 180), est suivie de la lettre écrite par la dame (sous une fausse identité) à l’épouse du capitaine (p. 185). À la lettre du capitaine font écho trois autres poèmes qui, eux, reposent tous sur l’illusion d’une traduction. Ainsi, la chanson de la Nouvelle 19, « de laquelle le chant est Italien, et assez commun : mais j’en ay voulu traduire les mots en François le plus près de l’Italien qu’il m’a esté possible […] » (p. 236), et l’épître de la Nouvelle 24 :
[L]a Royne leut la requeste, qu’elle trouva estre une epistre aussi bien faicte qu’il estoit possible, et si n’estoit le desir que j’ay de la vous faire entendre, je ne l’eusse jamais osé traduire. Vous priant penser, mes dames, que la grace et le langage Castillan, est sans comparaison mieux declarant ceste passion d’amour, que n’est le François : si est-ce que la substance en est telle […] (p. 300-301).
20Enfin, celle de la Nouvelle 64, « […] une epistre, laquelle mal traduicte, dist ainsi […] » (p. 539). La traduction, assortie de protestations de modestie, n’est pas la seule similitude de ces trois lettres ; dans les trois cas, l’efficacité du message écrit est mise en évidence par la réaction des destinataires, qui renforce la dimension « piteuse » des récits : « Quand elle eut bien au long leu ceste chanson, estant à part en une chappelle, se meist si fort à plorer, qu’elle arrousa tout le papier de larmes » (Nouvelle 19, p. 239) ; « Ceste espistre ne fut pas leuë sans grandes larmes et estonnemens accompagnez d’un regret incroyable » (Nouvelle 24, p. 303) ; et « Ceste epistre portée par un sien amy, avec toutes les remonstrances, qu’il fut possible de faire, fut receuë et leuë du gentil-homme cordelier, avec une contenance tant triste, qu’il sembloit qu’il vousist noyer et brusler ceste pauvre epistre » (Nouvelle 64, p. 541).
21Ces lettres introduisent une disjonction, une bigarrure39, dans le récit. Mais, de manière plus apparente encore, les écrits peuvent servir de transmission entre le conte et le récit-cadre, expliquant comment les nouvelles sont parvenues aux conteurs. Ainsi, les événements de la Nouvelle 22 ont été écrits par l’héroïne du conte, Marie Heroët : « Mais elle, qui estoit sage, avoit mis par escrit tout ce qui est cy dessus, avec mille autres inventions que ledict prieur avoit trouvées pour la decevoir, que je laisse à compter pour la longueur » (p. 282), commente Guebron. Après une analepse qui introduit une nouvelle anecdote (« Si ne veux-je oublier à dire […] », p. 282-283), Guebron revient à la circulation de cet écrit, désigné par le terme de « discours », qui parvient enfin à Marguerite elle-même :
Laquelle [Marie] (comme j’ay dict) bailla par la grille à son frere tout le discours de sa piteuse histoire. Ce que le frere porta à sa mere, qui toute desesperée vint à Paris, où elle trouva la Royne de Navarre sœur unique du Roy, à qui elle monstra ce piteux discours […] (p. 283).
22Ainsi, Marguerite de Navarre met en scène sa propre réception du récit écrit, lui donnant caution40. Néanmoins, cette transmission des contes, jouant de la porosité entre les nouvelles, le récit-cadre, et la réalité de Marguerite, n’est pas exempte d’ambiguïté. De fait, Longarine affirme tenir la Nouvelle 25 du prince lui-même, qui est probablement François Ier : « Un jour qu’elle [la dame] estoit en unes nopces, s’y trouva un bien grand prince, qui en me faisant le compte, me deffendit le nommer » (p. 307). Cependant, cette version est ensuite modifiée par l’introduction d’un intermédiaire entre Longarine et le prince, en la personne de Marguerite elle-même : « [La sœur du prince] ne cessa jamais qu’il ne luy en eust dict la verité telle, que je l’ay mise icy par escrit, et qu’elle feit l’honneur de me le compter » (p. 310). Ce trouble de la narration crée une ambivalence des pronoms personnels : la première personne renvoie-t-elle à Longarine ou à Marguerite ? Dans tous les cas, la distance en est amoindrie, d’autant que la tournure « je l’ay mise icy par escrit » pourrait apparaître comme une référence métatextuelle à L’Heptaméron, en une adresse aux lecteurs. Toutefois, il se pourrait que, dans le récit-cadre, les conteurs disposent de textes, auxquels Longarine ferait allusion ici. Mais là encore la situation est trouble. Tandis qu’à la fin de la première journée, il est évident que les conteurs cherchent des récits dans leur mémoire41, au début de la troisième journée apparaît la mention de « registres » (« se retirerent à leurs chambres à visiter leurs registres », p. 250), idée qui trouve un écho dans le « roole » au début de la quatrième journée : « Après disner s’en allerent reposer, pour estudier leur roole » (p. 347). Ces deux termes peuvent acquérir un double sens ; au sujet des « registres », Nicole Cazauran signale en note de son édition : « on peut hésiter entre le sens figuré – les registres de leur mémoire – et le sens propre (peu vraisemblable), livre où seraient écrites les histoires. L’ambiguïté rappelle le jeu entre l’oral et l’écrit déjà perceptible, au Prologue, dans le discours de Parlamente » (Note 1, p. 661), tandis que le « roole » ou « rolle », pour reprendre la définition du glossaire de l’édition recouvre un « double sens possible : texte écrit et rôle que joue un acteur » (p. 741). Puisque les conteurs préparent la veille les récits du lendemain, il ne serait pas impossible qu’ils en écrivent une ébauche, ce qui pourrait confirmer les propos de Longarine. Le refus initial de l’écrit laisse place à son apparition trouble, en une incertitude qui fait écho à la dimension allusive de l’œuvre entière42.
23De surcroît, la transmission des récits est intrinsèquement liée à leur dimension exemplaire. L’exemplarité mise en évidence par les conteurs, en amorce ou en conclusion de leurs nouvelles, justifie la volonté de transmettre le récit et renforce l’image de Sarrance comme un relais des textes. Ainsi, en annonce de la Nouvelle 6743, Simontault souhaiterait que l’exemplum soit « escrit en lettres d’or, à fin de servir aux femmes d’exemple, et aux hommes d’admiration […] » (p. 549). De même, l’exemplarité de la Nouvelle 42 est telle qu’Oisille regrette qu’elle n’ait pas été écrite :
Je ne voy qu’un mal, dist Oisille, que les actes vertueux de ceste fille n’ont esté du temps des historiographes : car ceux qui ont tant loüé leur Lucresse l’eussent laissée au bout de la plume, pour escrire bien au long les vertuz de ceste cy : pource que je les trouve si grandes, que je ne les pourrois croire, sans le grand serment que nous avons faict de dire verité (p. 418).
24À l’inverse, la mise en doute de l’exemplarité par les devisants les plus cyniques entraîne la proposition de récrire les nouvelles, ce qui correspondrait à un déplacement du texte. Saffredent, sarcastique comme à son habitude, souligne qu’Hircan a oublié certains détails de la Nouvelle 18 : « Mais si Hircan eust voulu parfaire sa louange, il nous devoit compter comme il fut gentil compaignon, quand il eut ce qu’il demandoit : et à l’heure pourrions nous juger […] » (p. 230). Simontault ne pourrait louer la dame de la Nouvelle 27 que si l’apparence du « secrétaire » était différente : « […] ce n’est pas grand honneur à une honneste femme, de refuser un si laid homme que vous peignez ce secrettaire : mais s’il eust esté beau et honneste, en cela se fust monstrée la vertu » (p. 331). Hircan, quant à lui, ajoute de nouveaux personnages aux récits qu’il entend, sans se soucier du fait qu’aucun élément ne corrobore ses hypothèses : « peult estre qu’un moins digne d’estre aimé, la tenoit si bien par le doigt, que l’anneau n’y pouvoit entrer » (devis de la Nouvelle 13, p. 190), « Je pense […] qu’elle estoit amoureuse de quelque cordelier » (devis de la Nouvelle 38, p. 389), ou encore « peult-estre que ceste fille aimoit quelc’un aussi gentilhomme qu’elle » (devis de la Nouvelle 42, p. 418). L’occasion leur est même donnée de mettre en place cette ambition de réécriture : la Nouvelle 61 contée par Saffredent est une reprise de la Nouvelle 60 de Guebron44.
25Ainsi, le groupe des dix devisants réuni dans l’abbaye de Sarrance joue le rôle d’un relais de transmission des textes. L’Heptaméron en lui-même pourrait apparaître comme un relais, illustré par la référence au Décaméron, dont le modèle est utilisé pour être dépassé. La circulation, plus encore que spatiale, devient temporelle et l’évocation fréquente de textes de référence des devisants souligne à la fois un passé des personnages et une transmission future, qui s’effectue entre eux avant de pouvoir s’élargir aux lecteurs. La mise en abyme constitutive du recueil participe à ce relais des textes, d’abord intradiégétique, dans les nouvelles elles-mêmes puis dans le récit-cadre, et devenant ensuite externe à l’œuvre. Enfin, cette transmission trouve un écho possible dans l’inachèvement même du texte, qui demeure en perpétuel mouvement.
Bibliographie
Texte d’étude :
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Études critiques :
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« D’une fantastique bigarrure » Le texte composite à la Renaissance, Études offertes à André Tournon, Fanlo, J.-R., (dir.), Paris, Honoré Champion, « Colloques, congrès et conférences sur la Renaissance », 2000.
Notamment :
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Gaillard, M., L’Heptaméron de Marguerite de Navarre : analyses textuelles, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 2005.
Jourda, P., Marguerite d’Angoulême, Duchesse d’Alençon, Reine de Navarre (1492-1549), étude biographique et littéraire, Paris, Honoré Champion, 1930.
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L’Heptaméron de Marguerite de Navarre, Perrier, S., (dir.), Cahiers textuel, no 10, 19 octobre 1991, 1992.
Notamment :
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Bideaux, M., « Du “bruict” à la “tapisserie” », p. 113-131.
Lire L’Heptaméron de Marguerite de Navarre, Bertrand, D., (dir.), Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise Pascal, CERHAC, 2005.
Notamment :
Mathieu-Castellani, G., « “Dedans ce beau pré le long de la rivière du Gave…” : le récit-cadre du prologue et le programme narratif », p. 13-26.
Lestringant, F., « La demoiselle dans l’île. Prolégomènes à une lecture de la Nouvelle 67 », p. 183-196.
Ferguson, G., « Paroles d’hommes, de femmes et de Dieu. Langage, genre et transcendance dans la Nouvelle 70 », p. 197-210.
Lyons, J., Exemplum: the Rhetoric of Example in Early Modern France and Italy, Princeton, New Jersey, Princeton University Press, 1989, chapitre 2: « The Heptaméron and Unlearning for Example », p. 72-117.
Martineau-Génieys, C., « La lectio divina dans l’Heptaméron », Études sur L’Heptaméron de Marguerite de Navarre, Premières journées d’études du xvie siècle, Martineau-Génieys, C. (dir.), Colloque de Nice, 15-16 février 1992, université de Nice-Sophia Antipolis, 1993, p. 21-42.
Mathieu-Castellani, G., La Conversation conteuse : les nouvelles de Marguerite de Navarre, Paris, PUF, 1992.
Montagne, V., « La polémique dans l’Heptaméron de Marguerite de Navarre : remarques sur quelques formes de l’argumentation ad personam », Réforme, Humanisme, Renaissance, vol. 61, no 1, 2005, p. 25-36.
Stuip, R., « La châtelaine de Vergy du xiie au xviiie siècle », in Alluin, B. et Suard, F. (dir.), La Nouvelle : définitions, transformations, Lille, Presses Universitaires de Lille, 1991, p. 151-161.
Viet, N., « Caméron, Décaméron, Heptaméron : la genèse de l’Heptaméron au miroir des traductions françaises de Boccace », Seizième Siècle, no 8, « Les textes scientifiques à la Renaissance », 2012, p. 287-302.
Notes de bas de page
1 Marguerite de Navarre, L’Heptaméron [1558], édition de N. Cazauran, Paris, Gallimard, coll. « Folio classique », 2000. Toutes nos citations renverront à cette édition que nous suivons également pour la graphie des noms des personnages.
2 Ces allusions et ces non-dits ont souvent été commentés. Je renvoie notamment à Mathieu-Castellani, G., La Conversation conteuse : les nouvelles de Marguerite de Navarre, Paris, PUF, 1992.
3 N. Cazauran souligne ainsi : « La condition est remplie par le groupe aristocratique réuni à Sarrance, la règle de la vérité est revendiquée, et la centaine prévue devrait être offerte, au retour, au cercle princier qui n’a pu réaliser l’entreprise – passant ainsi de l’oral à l’écrit », Variétés pour Marguerite de Navarre 1978-2004, Paris, Honoré Champion, 2005, p. 198.
4 Voir notamment Lyons, J., Exemplum: the Rhetoric of Example in Early Modern France and Italy, Princeton, New Jersey, Princeton University Press, 1989, p. 74-75.
5 Voir Viet, N., « Caméron, Décaméron, Heptaméron : la genèse de l’Heptaméron au miroir des traductions françaises de Boccace », Seizième Siècle, no 8, « Les textes scientifiques à la Renaissance », 2012, p. 287-302.
6 Je renvoie aux travaux de N. Cazauran, op. cit., « L’Heptaméron face au Décaméron » [1997], p. 175-212. Sur la différence entre les deux œuvres, voir également Delègue, Y., « Autour des deux prologues : l’Heptaméron est-il un anti-Boccace ? », Travaux de Linguistique et de Littérature, IV, 2, 1966, p. 23-37.
7 L’histoire éditoriale du recueil rejoint la question d’une circulation du texte à travers les transformations effectuées par Boaistuau, mais aussi par Gruget (qui a notamment remplacé trois des nouvelles). Cependant, nous ne reviendrons pas ici sur ce point qui a déjà été commenté par la critique. Voir N. Cazauran, op. cit., « Boaistuau et Gruget, éditeurs de L’Heptaméron : à chacun sa part » [2001], p. 223-248, et « Sur L’Heptaméron : enquêtes d’authenticité » [2004], p. 539-556.
8 Tandis que Gruget définit les contes comme des nouvelles (L’Heptaméron des Nouvelles […]), le choix de Boaistuau de mettre en avant le terme d’« histoires » évoque sa traduction des Novelle de Bandello en Histoires tragiques. Par ailleurs, la proximité de certaines nouvelles de Marguerite et de Bandello a suscité des interrogations ; voir Jourda, P., Marguerite d’Angoulême, Duchesse d’Alençon, Reine de Navarre (1492-1549), étude biographique et littéraire, Paris, Honoré Champion, 1930, t. II p. 708-722 : « on ne saurait parler d’emprunts de Marguerite à Bandello, mais d’emprunts de celui-ci à la Reine », p. 722.
9 Pour ces titres, voir Marguerite de Navarre, Nouvelles, édition d’Y. Le Hir, Paris, PUF, 1967. La huitième journée de L’Heptaméron dispose bien d’un thème proposé par Parlamente (« les plus grandes folies », p. 587), mais il s’agit de la seule occurrence.
10 Voir notamment Le Cadet, N., L’Évangélisme fictionnel, Les Livres rabelaisiens, le Cymbalum Mundi, L’Heptaméron (1532-1552), Paris, Éditions Classiques Garnier, coll. « Bibliothèque de la Renaissance », 2010.
11 Voir Martineau-Génieys, C., « La lectio divina dans l’Heptaméron », Études sur L’Heptaméron de Marguerite de Navarre, Premières journées d’études du xvie siècle, C. Martineau-Génieys (dir.), Colloque de Nice, 15-16 février 1992, université de Nice-Sophia Antipolis, 1993, p. 21-42, notamment p. 23-24.
12 Ibid., p. 28.
13 Cela n’exclut pas pour autant l’emploi par les devisants de citations latines : ainsi, entre autres, « Non loquendo sed moriendo confessi sunt » (devis de la Nouvelle 8, p. 115), « sinite eos » (devis de la Nouvelle 23, p. 294) « in osculo sancto » (devis de la Nouvelle 57, p. 504) ou « Angustiæ sunt mihi undique » (Nouvelle 70, p. 569).
14 Voir Cazauran, N., op. cit. : « Mais en citant la Bible les devisants ne font pas nécessairement tourner le dialogue à l’entretien spirituel. Tout autant que la spiritualité ou la “théologie”, leurs citations peuvent servir les jeux de l’esprit et s’accommoder aux plus mondains propos », p. 386-387.
15 Au sujet de la comparaison de Saffredent avec une araignée, je renvoie à Montagne, V., « La polémique dans l’Heptaméron de Marguerite de Navarre : remarques sur quelques formes de l’argumentation ad personam », Réforme, Humanisme, Renaissance, vol. 61, no 1, 2005, p. 25-36, en particulier p. 30.
16 Les Limites de l’interprétation [1990], traduit de l’italien par M. Bouzaher, Paris, Grasset, coll. « Le Livre de Poche : Biblio Essais », 1992. Voir notamment p. 39-40 et p. 134.
17 Voir Jourda, P., op. cit. : « Nous avons dit qu’elle [Marguerite de Navarre] avait lu Dante : Hircan cite habilement l’Alighieri », p. 1138.
18 P. Jourda a notamment interrogé « l’érudition dans L’Heptaméron », op. cit., t. II, appendice E, p. 1135-1138.
19 Cette lecture est désapprouvée dans la nouvelle par la mère du prince : « La dame, regardant ce gros livre de la Table Ronde, dist au varlet de chambre qui en avoit la garde : “Je m’esbahis comme les jeunes gens donnent leur temps à lire tant de follies” » (p. 259).
20 Voir notamment Bideaux, M., « Du “bruict” à la “tapisserie” », L’Heptaméron de Marguerite de Navarre, S. Perrier (dir.), Cahiers textuel, no 10, 19 octobre 1991, 1992, p. 113-131.
21 Simontault, dont les opinions rejoignent souvent celles de Saffredent, est certainement aussi lecteur du Roman de la Rose, comme le souligne P. Jourda : « De là le ton acerbe des déclarations qui terminent la Ire nouvelle, où se retrouve l’esprit de Jehan de Meung », op. cit., p. 881.
22 Ce topos du vocabulaire guerrier (« vaincre les ennemis ») est fréquemment utilisé dans L’Heptaméron. Nous ne pouvons exclure alors que la métaphore poliorcétique, quoique habituelle, employée par Guebron (« assieger des places », p. 231) soit une référence indirecte au Roman de la Rose.
23 Pour une étude des dix devisants, voir La Garanderie, M.-M. de, Le Dialogue des romanciers, une nouvelle lecture de L’Heptaméron de Marguerite de Navarre, Paris, Minard, coll. « Archives de Lettres Modernes », no 168, 1977.
24 Nomerfide, en revanche, ne s’en étonne pas. Elle avait peut-être pressenti la portée de son récit, puisque, tout en acceptant la demande de Simontault (« puis que vous avez envie de rire, je vous en vay apprester l’occasion », p. 363), son annonce s’éloignait du simple divertissement : « pour vous monstrer combien la peur et l’ignorance nuist, et que faulte de bien entendre un propos, est souvent cause de beaucoup de mal » (p. 363).
25 Voir Mathieu-Castellani, G., « “Dedans ce beau pré le long de la rivière du Gave…” : le récit-cadre du prologue et le programme narratif », Lire L’Heptaméron de Marguerite de Navarre, D. Bertrand (dir.), Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise Pascal, CERHAC, 2005, p. 13-26 : « le recueil se présente comme l’enregistrement de la parole orale », p. 19.
26 « Il ne s’agit plus de raconter, de dire, termes ambigus, entre l’oral et l’écrit, et que les apostrophes répétées invitaient à prendre dans leur sens premier ; il s’agit bien d’écrire, sans trop s’inquiéter de la longueur du récit […] c’est manière d’avouer au passage que la collection des histoires doit devenir un livre », op. cit., p. 148.
27 Sur cette nouvelle, voir notamment Stuip, R., « La châtelaine de Vergy du xiie au xviiie siècle », La Nouvelle : définitions, transformations, B. Alluin et F. Suard (dir.), Lille, Presses Universitaires de Lille, 1991, p. 151-161, ainsi que Ferguson, G., « Paroles d’hommes, de femmes et de Dieu. Langage, genre et transcendance dans la Nouvelle 70 », Lire L’Heptaméron de Marguerite de Navarre, op. cit., p. 197-210.
28 N. Cazauran souligne : « Avant de raconter à sa manière la très vieille histoire de la châtelaine de Vergy (N. 70) – celle que chantent Dioneo et Fiametta dans le Décaméron […] –, Oisille hésite et prétend y renoncer : elle n’est pas, dit-elle, “de notre temps” et ce serait répéter un conte déjà mis en écrit. Mais c’est la seule exception apparente à la règle qui impose de s’en tenir à ce que l’on a vu ou entendu de bonne source », op. cit., p. 204. Voir également La Garanderie, M.-M. de, op. cit., p. 69.
29 Voir note 1 de la page 571, p. 724 de l’édition de N. Cazauran.
30 La fiabilité des témoins est souvent annoncée en amorce des contes, en particulier par Parlamente qui tient la Nouvelle 10 d’un de ses « plus grands et entiers amis » (p. 122), la Nouvelle 13 d’« une dame, qui a esté tousjours bien fort de [s]es amies, et de laquelle la pensée ne [lui] fut jamais celée » (p. 176) et la Nouvelle 64 d’« un commandeur, fort homme de bien » (p. 538).
31 La place de cette remarque de Guebron n’est certainement pas fortuite : elle aurait été au centre du recueil achevé. La profession d’ignorance ainsi évoquée permet une opposition au « cuider » dénoncé dans L’Heptaméron. Au sujet de cette formule, voir notamment Tournon, A., « “Ignorant les premières causes…”, Jeux d’énigmes dans l’Heptaméron », L’Heptaméron de Marguerite de Navarre, op. cit., p. 73-92.
32 De même, le verbe « noveler » peut prendre le sens de « renouveler ».
33 Pour une étude de l’« exemple » dans L’Heptaméron, je renvoie à l’ouvrage de J. Lyons, op. cit., chapitre 2 : « The Heptaméron and Unlearning for Example », p. 72-117.
34 Par ailleurs, le récit est écrit dans la nouvelle elle-même sous la forme d’une épitaphe : « Et [le duc] feit faire une belle sepulture, où les corps de sa niece et du gentil-homme furent mis ensemble, avec un epitaphe de la tragedie de leur histoire » (p. 581), topos qui sera particulièrement utilisé dans les nouvelles du Printemps de Jacques Yver [1572].
35 Cette remarque confirme le rôle à part de Parlamente, qui a proposé l’activité conteuse, et d’Oisille, qui guide les autres sur la voie de la mortification par ses leçons matinales.
36 J’ai proposé cette hypothèse dans l’article « Une logique de l’écart dans les choix narratifs des conteurs de L’Heptaméron de Marguerite de Navarre », Réforme, Humanisme, Renaissance, no 87, p. 23-46, 2018, p. 41.
37 L’un des textes lus par Oisille le matin est l’Épître de Paul aux Romains : « les jours passez elle leur avoit declairé celle de sainct Paul aux Romains », apprend-on au début de la sixième journée (p. 468).
38 À ce sujet, voir Cazauran, N., op. cit., p. 207.
39 Sur la notion de « bigarrure », voir notamment Contes et discours bigarrés, Cahiers V. L. Saulnier, 28, Paris, Centre V. L. Saulnier, Presses de l’université Paris-Sorbonne, 2011, ou « D’une fantastique bigarrure ». Le texte composite à la Renaissance, Études offertes à André Tournon, Fanlo, J.-R., (dir.), Paris, Honoré Champion, coll. « Colloques, congrès et conférences sur la Renaissance », 2000.
40 Il en va de même dans la Nouvelle 72, cette fois sans le truchement d’un écrit. Voir McKinley, M., « L’Heptaméron, œuvre composite », « D’une fantastique bigarrure »…, op. cit., p. 45-56 : « La nouvelle [72] met en scène les circonstances de sa propre transmission, le jour où la duchesse d’Alençon reçoit une histoire qui deviendra une nouvelle de l’Heptaméron. […] [Dans la nouvelle 22] Marguerite joue encore le rôle de celle qui facilite la divulgation du récit d’une autre femme », p. 47-48.
41 « Vespres oyes, allerent soupper, qui ne fut tout le soir sans parler des comptes qu’ils avoient ouyz, et sans chercher par tous les endroits de leur mémoire, pour veoir s’ils pourroient faire la journée ensuyvante aussi plaisante que la premiere », p. 160.
42 M. Gaillard évoque ainsi un « texte incertain », L’Heptaméron de Marguerite de Navarre : analyses textuelles, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 2005, p. 58-62.
43 F. Lestringant a souligné la dimension exemplaire de cette nouvelle dans son article « La demoiselle dans l’île. Prolégomènes à une lecture de la Nouvelle 67 », Lire L’Heptaméron de Marguerite de Navarre, op. cit., p. 183-196.
44 La proximité de ces deux nouvelles est accrue par le fait que la parole est donnée à Saffredent à la fin de la journée pour le lendemain, seule occurrence d’une telle situation dans L’Heptaméron, d’autant plus remarquable que Saffredent a déjà débuté une journée (en outre, dérogeant à leurs coutumes, c’est Oisille et non le conteur Guebron qui lui donne la parole, mais il peut s’agir d’une inadvertance).
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