Comment la traduction fait voyager les textes aux xvie et xviie siècles : étude de cas avec Luis de León et Juan de la Cruz à travers l’exemple de quelques vers
p. 93-112
Texte intégral
La pratique traductive : que traduit-on, et comment, pendant le Siècle d’Or espagnol ?
1À chaque temps de l’histoire, la pratique de la traduction impose ses habitudes et pose des règles. Ainsi, au xvie siècle, la traduction se concentre sur trois domaines : la traduction des classiques gréco-latins, la traduction scientifique et la traduction des textes sacrés.
2La traduction des classiques antiques se révèle être un exercice universitaire extrêmement fécond intellectuellement, car on transpose les œuvres grecques en latin, et les œuvres grecques et latines en castillan1. Ce type de traduction, comme le rappelle Lia Schwartz en préambule de son article sur la traduction d’une élégie de Tibulle par Luis de León, est « une activité centrale du programme de formation humaniste ». L’exercice n’est évidemment pas uniquement linguistique : il s’agit pour les étudiants, apprentis traducteurs, de récupérer toute la culture classique, de la faire leur grâce à une pratique directe, nous pourrions dire « physique » des textes. Cet exercice est moins conçu dans une perspective de conservation que de transmission ; de sorte qu’il s’accorde complètement avec l’idée qui fait des lettrés humanistes des passeurs entre la tradition classique et les nouvelles littératures en langues vernaculaires qui émergent en Europe. En outre, la pratique traductive s’inscrivant souvent dans le champ du commentaire interprétatif, elle éloigne toujours plus l’horizon d’un figement, et des textes antiques, et de la culture classique elle-même. Soulignons que d’autres exercices consistent, dans le même esprit, à créer des imitations latines, et des imitations en langue vernaculaire de textes antiques.
3Pour évoquer brièvement la question de la traduction de textes scientifiques (nous utilisons ce qualificatif ici pour référer aux textes dont la finalité est la constitution d’une somme de connaissances et dont l’intention s’éloigne de l’inventio2) rappelons que depuis le xiiie siècle l’on traduit dans la péninsule ibérique des ouvrages à teneur scientifique ou technique : sous l’impulsion d’Alphonse x le Sage, roi de Castille et du Léon, émerge ce qu’on a appelé l’école des traducteurs de Tolède, c’est-à-dire un ensemble de pratiques traductives et un intérêt culturel majeur pour des textes arabes et hébraïques jugés fondamentaux. Quels que soient les domaines spécifiques concernés par la traduction, il faut souligner l’enjeu linguistique que peut prendre le passage aux langues vernaculaires des ouvrages dits scientifiques et parfois même le caractère éminemment littéraire que peut revêtir leur écriture. Entre les xive et xvie siècles se développe l’idée de « langues nationales » dont il convient de défendre et célébrer la beauté pour les élever au rang des langues classiques, particulièrement le latin. De sorte que les « traducteurs », quelle que soit la nature des textes envisagés, ont souvent à cœur de promouvoir leur langue maternelle. Cette valorisation passe, entre autres moyens, par l’enrichissement lexical que permet l’exercice de la traduction dans les domaines techniques et spécialisés. De plus, l’intérêt porté aux langues vernaculaires se manifeste par le désir d’établir des normes, désir qui aboutit à la rédaction des premières grammaires ; en Espagne, Antonio Nebrija publie en 1492 sa « Gramática de la lengua castellana », la première grammaire imprimée d’une langue romane ; dans son sillage, les grammaires espagnoles se multiplieront jusque dans les années 15503. Si le latin ne perd pas son prestige culturel, les langues vernaculaires bousculent ainsi la hiérarchie admise en le lui disputant.
4La traduction de textes sacrés, notamment bibliques, pose un certain nombre de problèmes propres. L’on sait non seulement que le Concile de Trente déclare la Vulgate texte officiel et référence ecclésiale exclusive (elle le restera officiellement jusqu’en 1943), mais encore que l’Église, dans le contexte de la Contre-Réforme, tentera d’interdire puis de juguler l’impression, la diffusion et la lecture de la Bible en langues vernaculaires. Dans les années 1550 sont publiés en Espagne les index de livres interdits les plus sévères : en 1551 l’Inquisiteur général Fernando de Valdés publie un index qui reprend celui de Louvain de 1546 qui prohibait déjà les traductions complètes de la Bible en langues vernaculaires. En 1559, le même Inquisiteur publie un nouvel index, suivant l’esprit de celui du pape Paul IV publié la même année (avant même la fin du Concile de Trente), qui prohibe la publication et la possession de traductions vernaculaires de la Bible, complètes ou partielles4. Voilà pour le cadre juridique ; dans la pratique, on n’empêcha jamais ces textes d’être publiés, tout au plus essaya-t-on d’en réguler l’achat, la circulation et la lecture en les soumettant à des autorisations. C’est que, paradoxalement, les autorités ecclésiales voyaient bien l’intérêt de certains des livres qu’elles avaient elles-mêmes interdits, de sorte que dans l’index romain de 1559, la possession et la lecture de bibles vernaculaires furent autorisées sous certaines conditions5. En résumé, il convient de relativiser l’impact de la politique inquisitoriale sur les pratiques de la traduction dans l’Espagne du xvie siècle6.
5Els Agten le rappelle ainsi clairement : « ces interdictions n’arrêtèrent pas la production de traductions bibliques7 ». L’aspiration à revenir à la source des textes sacrés, aux langues originales dans lesquelles ils ont été écrits est inhérente à l’humanisme du xvie. C’est au début de ce siècle que commence une histoire de la traduction des textes religieux (catéchismes, textes liturgiques, textes bibliques) dans le contexte des prémisses de la Réforme. Érasme le premier en formule le souhait8 ; Luther sera à l’origine de la première Bible complète en haut-allemand9. Un des plus grands humanistes espagnols, Luis de León, réalise vers 1560 une traduction insérée dans des commentaires en castillan. La Bible de Vatable, cette bible latine révisée, éditée par Robert Estienne en 1540 et 1546, avait déjà été un objet de controverses passionnées dans les milieux universitaires salmantins. Par ailleurs, rappelons-le, le second index de Valdès, sévère réponse au mouvement réformiste, paraît en 1559. Philologue, théologien hébraïsant, descendant de juifs convers, Luis de León s’attire les foudres des dominicains et du Saint Office (lui-même était augustin). Dans les années 1561-1562, il réalise une traduction en castillan du texte hébraïque du Cantique des cantiques de Salomon. Sa traduction, qu’il défend comme étant littérale, a tout pour déplaire et il le paiera par un séjour dans les geôles de Valladolid de 1572 à la fin de l’année 1576, au moment de son procès inquisitorial. Parmi les dix-sept chefs d’accusation, l’on peut retenir surtout, outre la traduction même, une remise en cause de la Vulgate et une incitation à privilégier les interprétations juives plutôt que celles des Pères de l’Église10. Il sera acquitté au terme d’un procès de quatre ans. Comme pour la plupart des esprits réformateurs, c’est bien au fond un procès en hétérodoxie qui lui est fait : l’année suivant son absolution, il lui est demandé de publier une version latine de ses commentaires, en s’astreignant au principe des trois interprétations, littérale, mystique et anagogique. Est imprimé en 1580 à Salamanque, et réédité en 1582, un volume avec le commentaire en latin qui ne reprend que deux niveaux d’interprétation. Ce n’est qu’en 1589 que Luis de León publie la Triple Explanación del Cantar11.
6Les lettrés humanistes qui pratiquent la traduction font la distinction entre différents types de traitements des textes-sources, qui déterminent eux-mêmes des degrés de fidélité de la traduction : ainsi, la translatio12 se veut une version fidèle selon les canons de l’époque et le concept de la fidus interpres tandis que l’imitatio se distingue par une plus grande liberté de réécriture qui peut aller jusqu’à modifier le sens général du texte-source. L’interpretatio peut se ranger dans les pratiques traductives, car l’exercice de la glose intègre le passage dans une langue autre d’un texte premier. Quant à l’aemulatio, elle désigne une pratique littéraire qui s’inspire d’un texte, posé comme modèle, dans le but de le surpasser.
7Selon la nature du texte traduit, il sera requis une plus ou moins grande fidélité à la lettre, ou plutôt, nous verrons varier la notion de fidélité. En ce qui concerne les traductions d’auteurs classiques, l’amplitude des pratiques est immense entre les traductions proprement dites (relevant de la translatio) et les libres imitations (relevant de l’imitatio). Pour ce qui est des traductions des textes bibliques, leur nature sacrée les soustrait a priori à l’exercice de l’imitatio quoique la fidélité textuelle pose question lorsque s’imposent de façon prépotente une source et une interprétation qui donnent lieu à de singulières translations13. Les références marquées peuvent être variées : à la veritas hebraica, à la Septante, à une version latine de la Vulgate ou à une traduction en langue vernaculaire. En outre, quelle que soit la version source traduite (latine, grecque, hébraïque), les auteurs de traductions opèrent des changements assumés (on parlerait aujourd’hui d’écarts) tels que suppressions, additions, explicitations, modifications, notamment vis-à-vis des éléments considérés comme païens.
8Précisons encore que deux postures s’opposent quant à la pratique de la translatio : la traduction dite mot à mot, verbum de verbo, et celle qui s’attache au sens de l’énoncé, sensum de senso. Saint Jérôme, suivant déjà en cela une distinction établie par Cicéron entre la traduction ut interpres et la traduction ut orator en quête des mêmes effets que ceux du texte-source, fait prévaloir le sens de l’énoncé sur le mot. Les réflexions de Jérôme sur l’activité traductive révèlent la complexité de son approche, puisqu’il se défend de pratiquer une traduction par trop littérale. Citons Christophe Rico : « À cet égard, l’auteur de la Vulgate déclare dans son traité De optimo genere interpretandi [Lettre 57, § 5, traduction Jérôme Labourt] :
Oui, quant à moi, non seulement je le confesse, mais je le professe sans gêne tout haut : quand je traduis les Grecs –sauf dans les saintes Écritures, où l’ordre des mots est aussi un mystère– ce n’est pas un mot par un mot, mais une idée par une idée que j’exprime. En cette affaire, j’ai pour maître Cicéron […]14. »
9Il serait erroné de dire que l’on traduit à la Renaissance verbum pro verbo car cette généralité ne s’accommode pas de la réalité complexe des pratiques : si l’on revient à la lettre des textes fondateurs, si l’on travaille à partir des meilleurs manuscrits en langues originales, on n’en délaisse pas pour autant la primauté du style qui revêt lui aussi un enjeu politique et idéologique dans l’importance que l’on accorde à la langue maternelle.
10Si l’on admet qu’Érasme a laissé en Espagne une profonde empreinte, son influence est à interroger également dans le domaine des pratiques traductives. François Géal, citant Melquíades Andrés Martín, affirme ainsi que « l’érasmisme constitue le fait littéraire espagnol le plus important dans le domaine des traductions et des éditions entre 1516 et 155015 ». Max Engammare, détaillant pour sa part la façon de traduire d’Érasme, dit qu’il « travaille sur les mots pour enrichir une phrase. En les substituant les uns aux autres par équivalence, il modifie des phrases, lutte contre la répétition et la monotonie, recherche le style le meilleur ». Et d’ajouter : « Glyn Norton a démontré, entre autres choses dans le domaine de la traduction, l’attention linguistique au xvie siècle pour l’unité « mot ». Que l’on s’attache à une traduction verbum pro verbo ou plutôt à une autre sensum pro senso, l’unité de référence reste le mot16. » Et de préciser que néanmoins la difficulté de la traduction des figures demeure.
Le Cantique des Cantiques traduit par Luis de León
11En tant que traducteur, Luis de León s’est adonné à tous les exercices – la traduction profane en vers ; la traduction interlinéaire biblique accompagnée de son commentaire pour le Cantique des Cantiques ; la traduction sacrée en vers avec les Psaumes – et de façon assez originale à en croire les spécialistes17. On trouve dans les prologues à ses poésies et son exposition du Cantique des Cantiques, ainsi que dans sa traduction du Livre de Job, des considérations assez générales sur l’art de traduire mais on y reconnait les deux procédés, verbum e verbo, et sensum de sensu. Le propos que développe Marion Vidal dans sa thèse montre qu’il n’y a pas en réalité dans la pratique de Luis de León une technique de traduction associée à un type de littérature profane ou sacrée. Il ressort en revanche que ses traductions en castillan ont été l’occasion pour lui de défendre le prestige de cette langue, affirmant notamment dans la dédicace qu’il adresse à Pedro Portocarrero en préambule de la collection de ses Obras poéticas : « nuestra lengua […] no es dura ni pobre, como algunos dicen, sino de cera y abundante para los que la saben tratar18 ». Dans son article « Libertés de traduire chez fray Luis de León19 » Marion Vidal détermine les différentes approches traductives de Luis de León à travers trois analyses synthétiques d’exemples : la traduction des Bucoliques de Virgile, celle du Cantique des Cantiques, et celle des Psaumes. Nous résumons à la suite son propos.
12S’agissant des poésies classiques, les allusions aux croyances païennes disparaissent le plus souvent. Traduisant Tibulle par exemple, Luis de León passe sous silence deux distiques évoquant Apollon comme dieu de la musique et des oracles. Deux pôles émergent et une multitude de résolutions ponctuelles entre les deux selon que l’on va vers l’une ou l’autre culture : entre la tentation de « castillaniser » et de christianiser d’un côté, et le désir de maintenir le sens païen d’un autre.
13Les traductions bibliques quant à elles requièrent une attention scrupuleuse portée à la lettre : aucune imitation n’est possible mais on observe dans la « fidélité » à la lettre l’insertion d’écarts certains dans le développement de certaines images ou l’omission d’autres images.
14Pour le Cantique des Cantiques Luis de León a opéré une traduction interlinéaire où les vers traduits sont intégrés typographiquement dans le commentaire. Ce dernier fonctionne donc comme une amplification explicative de la traduction fidèle à la lettre. Il n’y a pas véritablement de frontière entre le texte traduit et sa glose ce qui amène Marion Vidal à conclure que « le commentaire c’est la traduction20 ».
15Afin de donner à voir dans un micro-fragment la façon dont la translatio (entendue comme traduction, adaptation, réinvention) travaille un texte, nous nous proposons de nous attacher au destin de quelques avatars castillans du syntagme « adiuro vos filiae Hierusalem » du Canticum canticorum Salomonis. L’énoncé latin servira, non pas d’illustration ni de mise à l’épreuve, mais simplement de fil pour visiter plusieurs types de porosités textuelles auxquelles la traduction peut avoir affaire. Des quatre occurrences textuelles présentes dans Canticum Canticorum, nous en retiendrons seulement deux, dans 2-7 et 5-8, car deux relèvent de la répétition et du calque quasi identique de la première citée21.
Canticum canticorum Salomanis, Luis Vulgata Clementina, 159222 | Cantar de los Cantares, de León, 1580 |
2.7 Adjuro vos, filiæ Jerusalem, per capreas cervosque camporum, ne suscitetis, neque evigilare faciatis dilectam,quoadusque ipsa velit. | Conjúroos, hijas de Jerusalén, por las cabras, o por las ciervas montesas, si despertáredes y si velar hiciéredes el Amor hasta que quier |
5.8 Adjuro vos, filiæ Jerusalem,si inveneritis dilectum meum,ut nuntietis ei quia amore langueo. | V. 9. Yo os conjuro, hijas de Jerusalén, que si halláredes a mi querido me lo hagáis saber. Que soy enferma de amor. |
16Les filles de Jérusalem désignent dans la bouche respectivement de l’Époux et de l’Épouse un groupe de jeunes filles, habitantes de Jérusalem23 ; par le vocatif, l’Époux et l’Épouse leur demandent de ne pas troubler leur repos, ou bien les transforment en dépositaires d’un message. Fray Luis de León ne s’attarde guère sur cette image, se contentant de construire une paraphrase de contextualisation (autour du lit, de la nuit, du sommeil) ou d’amener des précisions sur la modalité de discours (en l’occurrence ici l’adjuration).
17Lorsqu’il commente le Cantique des Cantiques, il s’ingénie selon ses propres termes à « déclarer l’écorce de la lettre24 », en s’attachant à la veritas hebraica. Il faut entendre le verbe « declarar » en castillan (tout comme « déclarer » en français) dans son sens étymologique latin : « declarare », de de + clarare, c’est « rendre clair ». Luis de León par ses commentaires dévoile, fait connaître, éclaire, explique. Cependant, il « explique littéralement le texte comme une églogue pastorale, face aux lectures traditionnellement allégoriques des Pères de l’Église et d’autres théologiens de l’époque25 ». Il s’en justifie ainsi dans le prologue :
Porque se ha de entender que este libro en su primera origen se escribió en metro, y es todo él una égloga pastoril, adonde con palabras y lenguaje de pastores, hablan Salomón y su esposa, y algunas veces sus compañeros, como si todos fuesen gente de aldea26.
18Ce faisant, il n’est pas le seul, ni le premier. Quelques années avant lui, son contemporain Benito Arias Montano27, théologien, grand érudit hébraïsant, figure éminente de l’humanisme de la deuxième moitié du xvie siècle, a été à l’origine d’une paraphrase du Cantique de Salomon, composée vers 1553-1554, à la façon pastorale. Cette œuvre poétique, intitulée Paráfrasis sobre el Cantar de Cantares28 se présente comme une églogue qui doit énormément à Garcilaso de la Vega et de façon plus générale à l’héritage pétrarquiste : l’usage de l’endécasyllabe, la modalité bucolique et l’imitation formelle de tournures garcilasiennes rapprochent souvent ce texte d’un exercice d’imitatio profane plus que d’une glose scripturaire29. Voici l’invocation, par l’Époux, aux « filiæ Jerusalem », devenues par l’effet de la paraphrase descriptive nymphes chasseresses :
Doncellas frescas de Jerusalén,
que por espesos bosques y dehesas
andais, la dulce caza exercitando,
así os suceda en caza siempre bien,
y de rústicas ciervas y montesas
cabras torneis á casa triunfando,
que quando veais en sueño reposando
mi dulce amor, no me lo despertedes :
dexadla reposar, dexadla duerma,
que está de amor enferma,
basta que ella despierte : así os gocedes,
y así nunca vos mientan vuestras redes30.
19L’exposition de Luis de León diffère considérablement de la paraphrase d’Arias Montano. Le Cantique biblique n’est pas prétexte chez lui à développer un discours amoureux imité de la poésie profane, mais le commentaire s’autorise cependant des incursions vers des références classiques : le mélange des référents bibliques et mythologiques n’est pas aussi spectaculaire mais il est tout de même présent. De fait la traduction de notre syntagme latin en castillan est littérale mais lorsqu’il recourt à l’auctoritas de Virgile en citant un vers de l’Énéide, son commentaire s’achemine vers l’évocation de la vie rustique et finit par suggérer de façon détournée la figure implicite des nymphes habituées à porter le carquois31 :
Conjúroos, hijas de Jerusalén, por las cabras, o por las ciervas montesas, si despertáredes y si velar hiciéredes el Amor hasta que quiera. […] Y las conjura y lo jura por las cabras y las ciervas montesas, porque tanto la esposa como las doncellas compañeras de la esposa aparecen dadas a una vida rústica, y aficionadas a la caza según la costumbre de aquella gente ; de las vírgenes tirias, vecinas a las palestinas, está lo del poeta : Las vírgenes tirias acostumbran a manejar el carcaj32.
20Luis de León s’était engagé auprès des commanditaires de l’œuvre, à développer des interprétations relevant de l’exégèse spirituelle. Dans la glose qu’il fait des « filles de Judée », Luis de León avance des sens (par trop littéraux sans doute) qui échappent quelque peu au modèle herméneutique attendu. La première, nous l’avons dit, rapproche les filles de Judée de femmes chasseresses, orientant l’identification analogique vers un paradigme culturel gréco-latin. La seconde lecture assimile les mêmes filles de Judée, rustiques et chasseresses, aux vierges accompagnant l’épouse dans les rites nuptiaux, fidèle en cela à la tradition hébraïque. Le Cantique des Cantiques représente précisément cela pour Luis de León : une églogue et un épithalame.
Recréation du Cantique Spirituel de Juan de la Cruz
21Dans le Cantique Spirituel qu’il compose vraisemblablement entre 1578 et 1584 Juan de la Cruz module la formule de conjuration présente dans le Cantique des Cantiques qui lui sert de source d’inspiration : dans une invocation lyrique, usant de l’impératif, les filles de Judée s’y transforment en « nymphes de Judée » dans la strophe 31 de la version CA, ou 18 de la version CB.
Oh ninfas de Judea,
en tanto que en las flores y rosales
el ámbar perfumea,
morá en los arrabales,
y no queráis tocar nuestros umbrales33.
22La multitude de travaux critiques et les points de vue non moins multiples sur ce texte soulignent toujours l’immense richesse des voix qui le parcourent et des traditions (gréco-latine, biblique, orientale) qui le nourrissent. Il convient cependant de remarquer que l’interprétation qui est donnée dans le commentaire en prose à ces « nymphes » est extrêmement négative puisqu’elles dénotent, dans un sens mystique, les forces sensitives qui menacent la paix de l’âme. Avant cela, la justification littérale insiste de façon brutale sur l’analogie entre la part inférieure de l’âme, faible, charnelle et aveugle, et le peuple juif :
Judea llama a la parte inferior del ánima, que es la sensitiva. Y llámala Judea, porque es flaca y carnal y de suyo ciega, como lo es la gente judaica. Y llama ninfas a todas las imaginaciones, fantasías y movimientos y afecciones de esta porción inferior34.
23Porté par la cohérence de la lecture mystique, le discours de la glose passe outre la présence des nymphes, par ailleurs abondamment commentées par les critiques comme le signe patent d’une influence de Garcilaso (et précisément du vers liminaire du célèbre sonnet xi « Hermosas ninfas, que en el río metidas… ») et d’une fusion des sensibilités biblique et classique chez Juan de la Cruz.
24Les traductions françaises qui ont été faites au xviie siècle ne s’éloignent ni de la lettre du poème ni du sens du commentaire quand il s’agit de transposer les « ninfas de Judea » originales. La première d’entre elles, celle de René Gaultier publiée à Paris en 1622, tout comme celle, affranchie de toute contrainte métrique, de Jean Maillard de 1695, font état pratiquement de la même façon du texte source, dans les vers ainsi traduits « O nymphes de la Judée » / « O nymphes de Judée » et dans le commentaire qui évoque pour l’une la partie insensible de l’âme, pour l’autre la partie animale et son lien analogique avec la nature du peuple juif. Entre ces deux traductions en paraît une troisième en 1641, œuvre du carme déchaussé Cyprien de la Nativité de la Vierge (René Gaultier est laïc, Jean Maillard jésuite). Quoique encensée par Paul Valéry pour « sa grâce et son élégance35 », il faut bien reconnaître que la traduction de Cyprien de la Nativité, en sizains d’octosyllabes sur trois rimes (choix prosodique contraignant s’il en est, quand Juan de la Cruz use de la lira, une strophe aérienne et respirante de cinq vers faisant alterner endécasyllabes et heptasyllabes) est aussi séduisante qu’éloignée de la langue simple et ramassée de l’original. Au sujet de l’énoncé qui nous occupe ponctuellement, notons tout de même que la modalité lyrique disparaît dans l’invocation du premier vers, au profit d’un plat « cependant » qui vient le terminer et complique la syntaxe d’un curieux enjambement :
Nymphes de Juda, cependant
que le plus doux parfum de l’ambre
et rosiers se va répandant
ne touchez le seuil de ma chambre :
demeurez, il est à propos,
dedans les faubourgs, en repos36.
25Ces traductions françaises du xviie siècle témoignent de l’engouement suscité par la poésie de Juan de la Cruz hors les frontières de la péninsule et hors les cercles carmélites37. Outre la différence que nous avons établie (différence qu’on pourrait qualifier de structurelle) quant à la hiérarchie sacré-profane entre poème et commentaire, les textes de Luis de León et de Juan de la Cruz en affichent une autre de nature exogène. La traduction-commentaire du Canticum canticorum de Luis de León n’avait pas vocation à être traduite et diffusée dans d’autres langues vernaculaires : elle avait sa place en Espagne, au sein des débats théologiques et philologiques sur l’exégèse, la transmission, la vulgarisation des textes scripturaires dans le contexte espagnol, qui était un contexte inquisitorial et de conquête. Le Cantique Spirituel (comme toute l’œuvre poétique de Juan de la Cruz) a immédiatement joui d’une immense renommée : composé pour les carmélites à leur demande (il est dédié à la mère Ana de Jesús, fondatrice et prieure de plusieurs couvents de l’ordre du carmel déchaussé), il se diffuse et pénètre en France grâce à des personnes proches de l’ordre38. Parce qu’il devient objet de tous les désirs dès son écriture, le Cantique spirituel – poème et commentaire – se construit de façon malléable et s’inscrit dans un temps long qui doit prendre en compte son élaboration progressive, sa diffusion manuscrite et son histoire éditoriale.
26Il est ardu de retracer brièvement l’histoire de ce texte. En voici les principaux faits marquants pris chronologiquement39 : il n’existe pas de manuscrit autographe des Canciones de la Esposa (c’est là le titre qui apparaît dans différents documents de l’époque qui évoquent le texte) ; entre 1584 et les premières impressions du texte quelque quarante ans plus tard, une multitude de copies manuscrites ont circulé dans les couvents carmélites et les cercles proches ; la première impression des œuvres de Juan de la Cruz en 1618 à Alcalá, n’inclut pas les Canciones, pas plus que la deuxième à Barcelone l’année suivante ; en 1622 paraît la traduction française de René Gaultier, Cantique d’amour divin entre Jésus-Christ et l’âme dévote, faite à partir de manuscrits ; en 1627 l’imprimeur Godefroid Schoevaerts publie à Bruxelles la Declaración de las Canciones que tratan del exercicio de amor entre el alma y el Esposo Christo d’après un manuscrit transmis par Ana de Jesús (propagatrice du Carmel réformé, elle avait voyagé en France d’abord puis aux Pays-Bas en 1607 pour fonder de nouveaux couvents) ; la même année est imprimée à Rome dans une édition bilingue, une traduction italienne de Alessandro di San Francesco des Obras de 1618 au sein desquelles trouvent place les Canciones auxquelles il a été ajouté une strophe ; en 1630 est publiée à Madrid l’œuvre intégrale de Juan de la Cruz en espagnol avec une édition du Cántico espiritual (le titre apparait ainsi pour la première fois) qui suit celle de la traduction romaine et de ses quarante strophes ; enfin, la redécouverte en 1670 d’un manuscrit dans un couvent de Jaén donne lieu en 1703 à une nouvelle édition des œuvres complètes de Juan de la Cruz, avec un poème du Cantique spirituel qui non seulement inclut la strophe interpolée mais encore offre un ordonnancement bouleversé pour les trente-neuf autres, induisant des changements considérables dans la structure du commentaire.
27Cette 11e strophe interpolée distingue deux groupes de manuscrits qui déterminent deux étapes de rédaction : ceux correspondant à un état primitif de la rédaction du texte, dont l’exemplaire le plus fiable est le manuscrit de Sanlúcar de Barrameda (qui porte des annotations de la main de Juan de la Cruz), désigné sous le sigle CA depuis les travaux de Philippe Chevallier ; et ceux qui suivent la structure du manuscrit de Jaén, désigné comme CB, présentant une strophe supplémentaire, un ordre strophique distinct et des commentaires fortement remaniés, manuscrits dont aucun ne peut être antérieur à la mort de Juan de la Cruz en 1591. Entre les deux, des manuscrits présentant un texte de 39 strophes sensiblement retouché40 sont regroupés sous le sigle CA’. Notons que les éditions romaine (1627) et madrilène (1630) reposent sur une invention puisque, n’étant ni A ni B, elles reprennent l’ordonnance de A avec la strophe additionnelle de B.
28Enfin, une traduction en latin, vraisemblablement menée à bien par un carme polonais à partir des éditions romaine et madrilène du Cantique spirituel et publiée à Cologne en 1639 sous le titre Canticum spirituale inter animam et christum sponsum, contribua certainement à diffuser l’œuvre de Juan de la Cruz dans les pays de langue germanique.
29Précisément, un des aspects les plus surprenants dans l’histoire de ce texte revient au rôle qu’ont joué les traductions dans sa genèse éditoriale espagnole : avant de l’être en castillan, le texte est publié en français d’après un manuscrit allographe qui fait autorité jusqu’à l’apparition d’un autre manuscrit proposant un autre état de rédaction du texte ; de même l’édition italienne bilingue intègre une bizarrerie éditoriale reprise dans les publications ultérieures des œuvres complètes en espagnol.
Est-il possible, au bout du compte, de répondre à la question « Comment la traduction fait-elle voyager les textes » ?
30La traduction a une dimension livresque lorsqu’on se demande quelles œuvres sont traduites, où sont imprimées les traductions, dans quelles bibliothèques elles aboutissent, quelle réception elles assurent aux auteurs étrangers. Dans son incarnation matérielle, cette traduction est cartographiable. La traduction prend également une dimension textuelle quand elle s’entend comme travail du texte dans sa matérialité. Se plonger dans l’exercice de traduction d’un texte suppose de reconnaître les suppressions, les ajouts, les modifications, qui sont autant de changements quantifiables. Enfin, elle acquiert une troisième dimension que nous pourrions qualifier de spirituelle, dans la mesure où elle est habitée par l’esprit de la lettre. La pratique traductive développe une part immatérielle lorsqu’on envisage la façon dont un texte appartenant à une culture étrangère est accueilli et s’ajuste dans une culture autre. Cette modalité de transposition immatérielle – philosophique, idéologique, esthétique – peut-elle être considérée comme un « voyage » textuel, et si oui, quelle méthodologie adopter alors si l’objet étudié, c’est-à-dire la traduction comme travail textuel (et pas seulement comme texte travaillé), n’est que porosité.
31Dans les faits, il est extrêmement difficile d’isoler la part de chaque dimension dans l’histoire, les déplacements, les mutations d’un texte. Nous l’avons vu, si la traduction du Canticum Canticorum par Luis de León fait traduction, cela signifie que la traduction castillane qu’il opère du texte biblique (qui aboutit à un hybridisme culturel et philosophique proprement humaniste travaillant le sacré et le profane) intègre comme sien déjà, a priori, l’héritage antique. Considérant l’élaboration du Cantique Spirituel, Juan de la Cruz assume pleinement cet hybridisme dans sa manière poétique, « les nymphes de Judée » en sont une image exemplaire. Dans ce texte (le poème et sa glose), une très forte tension à la fois structurante et déstructurante se fait sentir ailleurs, entre l’expression effusive d’une âme en intime conversation avec Dieu et le dessein pédagogique d’un esprit en quête d’une cohérence en accord avec l’exégèse mystique. Contrastant avec Luis de León, l’impression qui se dégage du texte de Juan de la Cruz est que la glose se déprend du profane. Cette tension a été à l’origine des refontes successives du texte dont l’histoire ne fait que mettre en évidence à quel point sa raison d’exister a été subordonnée à la nécessité de le transmettre et à la soif de l’entendre particulièrement dans les milieux carmélites. Paradoxalement, il faut bien en avoir conscience aussi, sa nature de texte voyageur a empêché le texte de se fixer, et la traduction a pris sa part dans la grande mutabilité du texte source.
Bibliographie
Texte(s) d’étude / Source(s) :
Canticum canticorum Salomonis, Biblia Sacra juxta Vulgatam Clementinam, éd. M. Tweedale, Londres, édition électronique, 2005. Disponible en ligne : http://vulsearch.sourceforge.net/html/index
Arias Montano, B., Paráfrasis del maestro Benito Arias Montano sobre el Cantar de Cantares de Salomón en tono pastoril, Alicante, Biblioteca Virtual Miguel de Cervantes, 2000 [Edición digital basada en la de Huelva, Diputación Provincial, 1990]. Disponible en ligne : http://www.cervantesvirtual.com/obra-visor/parafrasis-del-maestro-benito-arias-montano-sobre-el-cantar-de-cantares-de-salomon-en-tono-pastoril--0/html/
Juan de la Cruz, Cántico espiritual [CA et CB], Obras completas, éd. E. Pacho, Burgos, Monte Carmelo, 1993.
Jean de la Croix, Œuvres spirituelles du B. Père Jean de la Croix, traduites d’espagnol en français par le R. P. Cyprien de la nativité de la Vierge, Paris, Jacques d’Allin imprimeur, 1665.
Luis de León, Cantar de cantares de Salomón, éd. J. San José Lera, Alicante, Biblioteca Virtual Miguel de Cervantes, 2008. Disponible en ligne : http://www.cervantesvirtual.com/obra-visor/cantar-de-cantares-de-salomon--0/html/01e17fb4-82b2-11df-acc7-002185ce6064.html
Études critiques :
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Agten, E., « Las traducciones de la Biblia al castellano y la Reforma : Una empresa transfronteriza », Reforma y disidencia religiosa : La recepción de las doctrinas reformadas en la península ibérica en el siglo xvi, M. Boeglin, I. Fernández Terricabras et D. Kahn (dir.), Madrid, Casa de Velázquez, 2018.
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Anacona Becerra, S. A., Ninfas de Judea : tradición y hermenéutica de un símbolo sanjuanista, thèse de doctorat soutenue le 26/06/2014 à la Universidad Complutense de Madrid. Disponible en ligne : https://eprints.ucm.es/28139/1/T35663.pdf
Baier, Th., « Érasme traducteur », Anabases [En ligne], no 21, 2015.
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Notes de bas de page
1 Schwartz, L., « Fray Luis y las traducciones de los clásicos : la elegía II, iii de Tibulo », Alicante, Biblioteca Virtual Miguel de Cervantes, 2011. Edición digital a partir de Edad de Oro, vol. XI (1992), p. 175-186. http://www.cervantesvirtual.com/nd/ark:/59851/bmcbp0n0
2 Nous renvoyons à l’introduction de l’ouvrage collectif de Giacomotto-Charra, V. et Vons, J. (dir.), Les Textes scientifiques à la Renaissance, Genève, Librairie Droz, Seizième Siècle, no 8, 2012, p. 7-16. www.persee.fr/doc/xvi_1774-4466_2012_num_8_1_1037
3 Nous renvoyons particulièrement à l’étude de Swiggers, P. et Vanvolsem, S., « Les premières grammaires vernaculaires de l’italien, de l’espagnol et du portugais », in A. Ahlquist (dir.), Les premières grammaires des vernaculaires européens, Histoire Épistémologie Langage, tome 9, fascicule 1, 1987, p. 157-181. DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.3406/hel.1987.2245, www.persee.fr/doc/hel_0750-8069_1987_num_9_1_2245
4 Cette interdiction fut levée en 1778. Cf. la riche étude de Agten, E., « Las traducciones de la Biblia al castellano y la Reforma : Una empresa transfronteriza », Reforma y disidencia religiosa : La recepción de las doctrinas reformadas en la península ibérica en el siglo xvi, M. Boeglin, I. Fernández Terricabras et D. Kahn (dir.), Madrid, Casa de Velázquez, 2018. Mis en ligne le 22 janvier 2020 : http://0-books-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cvz/5747.
5 Ibid.
6 Géal, F., « Enjeux idéologiques de la traduction au xvie siècle : L’exemple d’une des premières versions en castillan des Colloques d’Érasme [Logroño, Miguel de Eguía, 1529] », Traduire et adapter à la Renaissance, D. de Courcelles (dir.), Paris, École des Chartes, 1998, p. 35-64. Mis en ligne le 22 janvier 2020 : http://0-books-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/enc/1056. Voir aussi : Russell, P., Traducciones y traductores en la península ibérica (1400-1550), Universidad autónoma de Barcelona, Bellatera, 1985.
7 Géal, F., Enjeux idéologiques de la traduction au xvie siècle…, art. cit.
8 « En 1516, Érasme publie une édition du Nouveau Testament en grec, la première qui fut imprimée. Une élégante version latine l’accompagne. Dans sa préface, le traducteur fait ressortir l’importance de retourner aux sources hébraïque et grecque, et formule le souhait que la Bible soit traduite dans toutes les langues. À ses yeux, pour interpréter les textes originaux, il importe de connaître la langue, la littérature et la rhétorique de la culture d’où ils proviennent. Il vaut mieux être grammairien que théologien, pense-t-il. Érasme donne ainsi le ton aux traductions bibliques de la Renaissance : l’autorité des théologiens est remise en question, les traducteurs retournent aux sources originales et commencent à traduire les textes sacrés en langues vernaculaires. », Les traducteurs dans l’histoire, J. Delisle et J. Woodsworth (dir.), Ottawa/Paris, Presses de l’Université d’Ottawa/Éditions Unesco, 1995, p. 175. Voir aussi l’article de Baier, Th., « Érasme traducteur », Anabases [En ligne], no 21, 2015. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/anabases/5251; DOI : 10.4000/anabases.5251
9 Luther traduit du grec et publie en 1522 le Nouveau Testament à partir de la deuxième édition du Novum Instrumentum omne d’Érasme (imprimé en 1519) ; puis il fait paraître en 1534 une traduction de l’Ancien Testament à partir de textes en hébreu. Ces éditions allemandes connurent un important succès éditorial.
10 Cf. Alcalá Á., « Peculiaridad de las acusaciones a fray Luis de León », in V. García de la Concha y J. San José Lera (dir.), Fray Luis de León. Historia, humanismo y letras, Salamanca, Ediciones Universidad de Salamanca, 1996, p. 65-80.
11 Cf. l’étude de González Novalín, J. L., « Inquisición y censura de Biblias en el Siglo de Oro. La Biblia de Vatablo y el proceso de fray Luis de León », V. García de la Concha y J. San José Lera (dir.), op. cit., p. 125-144.
12 Pour l’histoire et les définitions de ces notions, voir l’article de Dardenay, A., « Rome, les Romains et l’art grec : translatio, interpretatio, imitatio, aemulatio », Translatio : Traduire et adapter les Anciens, C. Bonnet et F. Bouchet (dir.), Paris, Classiques Garnier, 2013, p. 109-137. Voir aussi, pour une réflexion moderne, Berman, A., « De la translation à la traduction », Traduction et culture(s), TTR : traduction, terminologie, rédaction, J.-M. Gouanvic (dir.) [En ligne], vol. 1, no 1, 1988, p. 23-40. URL : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.7202/037002a
13 Nous verrons par exemple qu’aborder le texte vétéro-testamentaire comme un dialogue amoureux entre Salomon et une égyptienne, travestis en berger et bergère, a rendu possible des réécritures sur le mode pastoral, ou autorisé des changements de catégorie générique en recréations théâtrales.
14 Rico, Ch., « Figure et théorie du signe : les solutions de Saint Jérôme », Modèles linguistiques, no 58, 2008, p. 79-98. En ligne : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ml/371; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ml.371
15 Andrés Martín, M. cité par F. Géal, « Enjeux idéologiques de la traduction au xvie siècle. L’exemple d’une des premières versions en castillan des ‘Colloques’ d’Érasme », Traduire et adapter à la Renaissance, op. cit., p. 58.
16 Chomarat, J. cité par M. Engammare, « Qu’il me baise des baisiers de sa bouche » : Le Cantique des cantiques à la Renaissance. Étude et bibliographie, Genève, Librairie Droz, 1993, p. 124.
17 Nous renvoyons notamment à la récente thèse de M. Vidal, soutenue le 30/11/2018 à l’Université Lumière Lyon 2 : « Fray Luis de León à l’épreuve de la traduction : un negocio de particular juicio ». En ligne : https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-02057480
18 Fray Luis de León, Poesías, ed. J. F. Alcina, Madrid, Cátedra, 1994, p. 65. « Notre langue […] n’est ni dure ni pauvre, comme certains l’affirment, mais faite de cire et abondante pour qui sait l’employer. » (C’est nous qui traduisons)
19 Vidal, M., « Libertés de traduire chez fray Luis de León », HispanismeS [En ligne], no 10, 2018, p. 34-43. URL : http://www.hispanistes.fr/images/PDF/HispanismeS/Hispanismes_10/HispanismeS_10_article_3_VIDAL_Marion.pdf
20 Fray Luis de León expose son dessein et sa méthode de façon détaillée dans le prologue. L’édition de Javier San José Lera de l’ensemble du texte, prologue et traduction, est disponible en ligne sur le site cervantesvirtual.com : http://www.cervantesvirtual.com/obra-visor/cantar-de-cantares-de-salomon--0/html/01e17fb4-82b2-11df-acc7-002185ce6064_2.html#I_1_
21 Traduction des fragments latin et castillan, d’après la Bible de Louvain, successivement 2.7 et 5.8 : « Je vous adjure, ô filles de Jérusalem, par les chevreaux, et les cerfs des champs, que vous n’éveillez, ne faites éveiller la bien-aimée, jusqu’à ce qu’elle le veuille. » / « Je vous adjure, filles de Jérusalem, que si vous trouverez mon ami, que vous lui annoncez que je languis d’amour. »
22 Texte disponible en ligne via Clementine Vulgate Project : http://vulsearch.sourceforge.net/html/
23 Cf. la thèse doctorale de Anacona Becerra, S. A., Ninfas de Judea : tradición y hermenéutica de un símbolo sanjuanista, soutenue le 26/06/2014 à la Universidad Complutense de Madrid. Texte en ligne : http://eprints.ucm.es/28139/1/T35663.pdf
24 Cf. Cantar de cantares de Salomón (prólogo), ed. Javier San José Lera, Alicante, Biblioteca Virtual Miguel de Cervantes, 2008. http://www.cervantesvirtual.com/nd/ark:/59851/bmcb85q7
25 Cantar de Cantares de Salomón (presentación), ed. Javier San José Lera, Salamanca, Ediciones Universidad Salamanca, 2002, p. 10.
26 Cantar de Cantares de Salomón (prólogo), ed. Javier San José Lera, Alicante, Biblioteca Virtual Miguel de Cervantes, 2008. URL : http://www.cervantesvirtual.com/nd/ark:/59851/bmcb85q7 « Car il faut savoir que ce livre fut originellement écrit en vers, et qu’il s’agit d’une églogue pastorale dans laquelle s’expriment Salomon et son épouse, et quelquefois ceux qui les accompagnent, comme s’ils étaient tous des gens des champs ». C’est nous qui traduisons.
27 Arias Montano a supervisé entre 1569 et 1573 l’édition d’une bible polyglotte (sur le modèle de la Biblia Complutense du cardinal Cisneros publiée à Alcalá de Henares en 1522) commandée par Philippe II dont il était alors bibliothécaire au palais-monastère de l’Escorial, et connue comme Biblia políglota de Amberes ou Biblia Regia, publiée à Anvers par l’imprimeur Christophe Plantin.
28 Cf. l’étude de Gómez Canseco L. et Núñez Rivera V., « El “Cantar de los Cantares” en modo pastoril. La “Paráfrasis” de Benito Arias Montano en su entorno literario », Anatomía del Humanismo. Benito Arias Montano, 1598-1998. Homenaje al P. Melquíades Andrés, L. M. Gómez Canseco (dir.), Huelva, Universidad de Huelva, 1998, p. 217-279.
29 Ibid, p. 274 et sq.
30 Arias Montano, B., Paráfrasis del maestro Benito Arias Montano sobre el Cantar de Cantares de Salomón en tono pastoril, Alicante, Biblioteca Virtual Miguel de Cervantes, 2000. URL : http://www.cervantesvirtual.com/nd/ark:/59851/bmctq5x4 « Fraiches jeunes filles de Jérusalem qui vous adonnez au doux exercice de la chasse dans ces bois épais et ces prairies, que vous reveniez au foyer toujours avec vos trophées, biches rustiques et bouquetins, et que vous ne réveilliez pas mon doux amour lorsque vous la verrez endormie : laissez-la reposer, laissez-la dormir, car elle languit d’amour, il suffira qu’elle se réveille : ainsi vous prendrez plaisir et jamais vos filets ne vous feront défaut. » C’est nous qui traduisons.
31 Gómez Canseco L. et Núñez Rivera V., « El “Cantar de los Cantares” en modo pastoril. La “Paráfrasis” de Benito Arias Montano en su entorno literario », op. cit., p. 237-239.
32 « Je vous en conjure, filles de Judée, par les chèvres et les biches des montagnes, n’éveillez pas, ne réveillez pas l’Amour avant qu’il le veuille. […] Et elle les conjure et jure par les chèvres et les biches des montagnes parce qu’autant l’épouse que les jeunes filles qui l’accompagnent mènent une vie rustique et aiment la chasse, selon les coutumes de ces gens. De là ce que le poète dit des vierges tyriennes, qui vivent en Palestine : C’est l’usage des vierges de Tyr de porter le carquois ». C’est nous qui traduisons.
33 « Oh nymphes de Judée / cependant que l’ambre vient embaumer / les fleurs et les rosiers / aux faubourgs demeurez / à notre seuil ne veuillez point toucher. » Jean de la Croix, Nuit obscure, Cantique spirituel et autres poèmes, traduction de J. Ancet, Paris, Gallimard, 1997.
34 « Judée désigne la partie inférieure, sensitive, de l’âme ; car elle est faible, charnelle et aveugle comme l’est le peuple juif. Et les nymphes sont les imaginations, fantaisies, mouvements et affections de cette part inférieure. » C’est nous qui traduisons.
35 Paul Valéry loue son attachement à l’art poétique, jugeant qu’il est resté on ne peut plus fidèle au texte-source en cédant aux « nécessités organiques de la forme » et qu’il n’a mis dans sa traduction précisément que « la façon de la forme », laissant tout le reste à Jean de la Croix. Cf. « Un poète inconnu : Le Père Cyprien », La Revue des deux mondes, 15 mai 1941, p. 159-171. En ligne : https://www.revuedesdeuxmondes.fr/article-revue/un-poete-inconnu-le-pere-cyprien
36 Repris sous le titre « Cantiques spirituels », dans P. Valéry, Œuvres, I, Variété V (1944), Paris, Gallimard, 1957, p. 445-457. Œuvres spirituelles du B. Père Jean de la Croix, traduites d’espagnol en français par le R. P. Cyprien de la nativité de la Vierge, Paris, Jacques d’Allin imprimeur, 1665, p. 253.
37 Cf. « Les textes mystiques : Jean de la Croix et Thérèse d’Avila », Histoire des traductions en langue française. xviie et xviiie siècles, Y. Chevrel, A. Cointre et Y.-M. Tran-Gervat (dir.), Paris, Verdier, 2014, p. 1043-1048. André Bord a consacré un ouvrage à la réception de Juan de la Cruz en France : Jean de la Croix en France, Paris, Beauchesne Éditeur, 1993.
38 Cf. Bord, A., Jean de la Croix en France, Paris, Beauchesne Éditeur, 1993, p. 23-27.
39 Cf. l’étude de Duvivier, R., La Genèse du « Cantique Spirituel » de Saint Jean de la Croix, Paris, Les Belles Lettres, 1971, et particulièrement l’introduction, « Le premier traité de Jean de la Croix à travers l’histoire et devant la critique », p. xxxi-lxxix.
40 Ces manuscrits ont été recensés et décrits par Eulogio Pacho. Le document est disponible en ligne : https://cvc.cervantes.es/Obref/sanjuan/introduccion/compleja_01.htm
Auteur
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