Chapitre 6 – « Les notables passent », la notoriété se popularise
p. 213-239
Texte intégral
1Au Maroc comme ailleurs, le statut de notable découle de deux sources principales. D’une part, le « cumul des supériorités » (Veyne, 1976, p. 129) : un prestige social hérité ou acquis et une position de pouvoir, articulés avec l’enracinement dans un milieu social, la détention d’un savoir (religieux, profane, ou savoir-faire) et d’un capital économique. D’autre part, des pratiques d’intermédiation entre les autorités politiques et une partie de la population (Abouhani, 2015 ; El Maoula El Iraki, 2003). Cependant, d’importantes variations affectent les frontières internes et externes de ces groupes sociaux, la nature de leurs capitaux, les modes d’acquisition et de reconversion des ressources rares, les pratiques notabiliaires, et ce en étroite relation avec les configurations politiques nationales et locales dans lesquelles les « processus de notabilisation » prennent place (Politix, 2004 ; Briquet, 2012). Les recompositions sont telles que les notables tendent à passer1, ou du moins à être fortement concurrencés par les « notoires » (Fretel, 2007, p. 199-200). Dans ce qui suit, nous allons appréhender un tel phénomène en mettant l’accent sur la complexification des mobilisations électorales clientélaires et marchandes.
La complexification des mobilisations électorales clientélaires et marchandes
2Comme nous l’avons vu, au Maroc, le moment colonial, puis l’indépendance consolident les assises des élites de la fin du xixe siècle. Sous le Protectorat, la « politique des grands caïds » accroît, tout en les stabilisant, les bases économiques, sociales et politiques de notables ruraux ; tendance qui perdure après l’indépendance. Quant aux fractions supérieures des élites citadines, elles perpétuent leurs positions en réadaptant leurs stratégies de reproduction. Que ce soit pendant le Protectorat ou après, elles se distinguent par leurs capitaux scolaires et économiques. À l’indépendance, elles ont un accès privilégié à la fonction publique et aux secteurs privé et semi-privé de l’économie. Elles bénéficient ensuite de la marocanisation des années 1970, des privatisations à partir des années 1980, puis de la libéralisation économique au cours des années 2000. D’après M. Tozy, les réajustements de la notabilité au Maroc recoupent trois configurations successives. La première se prolongerait jusqu’en 1983 :
« Le notable traditionnel correspond à une configuration d’homogénéité ethnique avec prédominance d’une instrumentalisation du lignage comme mode de mobilisation politique et de faible intervention de l’État sous la double forme d’administration et d’extraction fiscale et de distribution des ressources. Les besoins du pouvoir dans cette configuration d’autorégulation ou de régulation par la force et de faible institutionnalisation, renvoient à un leadership qui remplit une fonction d’arbitrage. Le recrutement se fait par la consécration d’un leadership existant » (Tozy, 2010, p. 62, note 9).
3Entre 1983 et 1999, l’extension de l’appareil administratif aurait favorisé l’émergence d’une « notabilité de position ». Les fondements du leadership se seraient alors transformés sous l’effet de « la dissociation progressive des collectivités ethniques et collectivités territoriales », de la diversification des activités et des sources de richesse en lien avec l’émigration, la scolarisation et l’accès à la fonction publique (ibid., p. 63, note 10). Ces figures seraient en affinité avec les partis politiques créés pour « encadrer une nouvelle élite politique » (à l’instar de l’Union constitutionnelle). Dès les années 1990, l’économie du vote se modifie avec la mise au-devant de la scène de « technocrates » et de « la société civile » que les institutions internationales érigent en agent fondamental du développement local. Nous l’avons souligné dans le chapitre précédent : plus que jamais, la « compétence » – indexée sur l’instruction, la profession, ou l’expérience associative – concurrence l’appartenance à une notabilité liée à la naissance ou au patrimoine familial, ce qui contribue à « transformer les conditions d’accès au leadership » (Tozy, 2010, p. 63, note 11). Si des tendances fortes ressortent bien d’une configuration à l’autre, cela ne signifie pas pour autant qu’un type de notabilité en chasse un autre.
4Dans le contexte d’ouverture du marché électoral, les mobilisations clientélaires et marchandes se réajustent tout en se diffusant. Les processus d’accumulation économique et politique se chevauchent plus que jamais. Pour optimiser leurs chances, les partis politiques, dotés d’un capital partisan collectif faible ou érodé, présentent des « malin chekkara2 », c’est-à-dire des personnes fortunées qui financent leur propre campagne électorale. Toutefois, derrière la mise en avant d’un candidat ou d’une tête de liste, se tissent des réseaux en lien avec les opportunités de redistribution particulariste offertes par des programmes comme celui de l’Initiative nationale pour le développement humain (INDH). Impulsé par le roi en 2005, ce dispositif aspire à combattre la pauvreté en encourageant des projets d’appui aux infrastructures de base, de formation, de « renforcement des capacités », des activités génératrices de revenus et d’emplois, etc. D’après É. Cheynis (2008, p. 161), il s’agit du :
« dernier avatar de la politique de partenariat avec le monde associatif et la consécration d’un nouveau sens commun. Elle illustre, en même temps, le jeu complexe fait d’interdépendances, de coopérations et d’oppositions, entre les différents acteurs qui constituent le champ du pouvoir et plus largement l’espace marocain des politiques de développement : Gouvernement, Palais royal, Institutions internationales, etc. ».
5Dans le même esprit, les « enjeux financiers introduits par l’INDH tendent à dupliquer dans le champ associatif les rapports de force qui organisent le champ politique local » (Berriane, 2009, p. 187). Mandats communaux, régionaux, parlementaires et positions gouvernementales se raffermissent mutuellement pour capter le vote des catégories populaires. C’est non seulement le cas dans les circonscriptions rurales surreprésentées grâce à l’ingénierie électorale, mais aussi dans les zones urbaines, où de faibles taux de participation sont un atout majeur pour les mobilisations clientélaires et marchandes. Ce faisant, ces campagnes électorales trahissent un brouillage des frontières entre les entreprises « personnelles, discontinues et locales » et celles qui sont « anonymes, continues et nationales » (Offerlé, 2002, p. 24). Elles donnent à voir l’intrication de « capitaux collectifs partisans » ou associatifs et de « capitaux sociaux individuels » (Offerlé, 2002, p. 48). Elles agrègent différents profils d’intermédiaires, qui révèlent des processus de partisanisation de « clients » et de clientélisation de « militants ». Elles reposent sur l’échange de « biens privés divisibles », mais aussi de « biens publics divisibles » et « indivisibles »3, laissant transparaître des formes de privatisation du « welfare » (Marwell, 2004). Loin d’être continues dans le temps, elles nécessitent de plus en plus un entretien régulier. Arrimées à une localité, elles ne sont pas pour autant enclavées.
6Pour affiner l’analyse de ces recompositions, nous proposons de distinguer quatre configurations (tableau 154). Nous évoquerons rapidement les deux premières qui font écho à l’opposition idéale typique entre partis de militants et partis de notables, que nous avons analysée précédemment. La première s’associe à une entreprise politique dotée d’un important capital collectif partisan. Elle est en affinité entre autres avec les campagnes électorales du Parti de la justice et du développement (PJD) observées dans deux circonscriptions de Casablanca en 2002 (Bennani-Chraïbi, 2004b). Les agents électoraux sont des adhérents et des sympathisants du parti, de ses organisations parallèles et associations locales. Leur rétribution est pour l’essentiel symbolique. L’offre électorale combine des « biens publics indivisibles » abstraits (une cause, des valeurs, un programme) et matériels (des politiques publiques dont bénéficie principalement son électorat), des « biens publics divisibles » (des emplois), ainsi que des « biens privés divisibles ». Les votes produits sont sur enjeu, de remise de soi (identification au parti) ou de clientèle. La seconde configuration correspond à une faible articulation entre d’une part un « big man5 », fortement doté en capitaux individuels et disposant d’un accès privilégié à des centres de redistribution de ressources publiques6 et privées, et d’autre part une entreprise politique faiblement dotée en capitaux collectifs partisans, ce qui réduit le coût de la transhumance d’un parti à l’autre. Outre des intérimaires rémunérés, les agents électoraux sont des clients du « big man » : des personnes dotées d’un capital d’autochtonie et qui servent de relais avec des réseaux de proximité, plus ou moins stabilisés dans le cadre d’associations de quartier par exemple. Les rétributions consistent en des biens publics matériels indivisibles et divisibles, en des biens privés divisibles, et trahissent des formes de privatisation du « welfare ». Les votes de clientèle et la vente de votes sont prédominants.
7À mi-chemin, deux autres configurations (3 et 4 dans le tableau 15) combinent différemment les caractéristiques des précédentes. Avant d’approfondir l’analyse de la quatrième configuration, qui se rapporte aux entreprises politiques qui cherchent à compenser l’érosion de leur capital collectif en faisant appel à un « big man » (Istiqlal et USFP en 2009 à Casablanca), nous allons présenter la troisième dans la section suivante. Notons d’ores et déjà que celle-ci traduit une articulation faible entre un « big man » et une organisation à caractère associatif, et dotée en capitaux collectifs7. À la veille d’un scrutin législatif, l’association identifie un candidat de stature nationale et négocie avec lui les termes de l’échange, sur la base de son interprétation de « l’intérêt général » de la localité qu’elle représente. La nature de l’offre électorale et le mode de production du vote tendent à agréger ceux des deux premières entreprises (1 et 2 dans le tableau 15). Cette configuration est en affinité avec des mobilisations électorales étudiées par M. Tamim et M. Tozy (2010).
Tableau 15 – Idéaux types d’entreprises politiques selon les capitaux prépondérants, le type d’agents électoraux, la nature de l’offre électorale et le mode de production de vote.

Des mobilisations électorales sous patronage associatif
8Entre les législatives de 1993 et celles de 2007, le géographe M. Tamim et le politiste M. Tozy mènent une enquête à Ouneine, une commune rurale enclavée du Haut Atlas. Ils constatent l’affirmation croissante d’une association d’émigrés dans le jeu électoral de cette commune, et ce faisant l’amplification de l’interdépendance entre la vallée et l’univers citadin. Selon eux, les hiérarchies sociales se recomposent à Ouneine sous l’effet de facteurs structurels, tels que la complexification de la vie politique, l’accroissement des ressources publiques destinées à une redistribution locale et les migrations. À cela s’ajoute le fait qu’au début des années 1980 le sociologue Paul Pascon (1932-1985)8 érige Ouneine en « terrain d’expérimentation sociologique » dans le cadre des activités d’un groupe de recherche au sein de l’Institut agronomique et vétérinaire de Rabat. En 1998, une partie de ces chercheurs créent Targa, une « association interdisciplinaire pour le développement et l’environnement » qui accompagne, entre autres, la mise en œuvre de programmes publics de développement et des projets financés dans le cadre de l’INDH (par exemple l’électrification).
9Quatre ans plus tôt, l’Association Ouneine est fondée à Casablanca par des commerçants originaires de deux lignages d’Ouneine. Elle offre un large éventail de services au village : participation aux frais de tables lors des visites de délégations officielles, placement de jeunes d’Ouneine à Casablanca, réfection de mosquées, financement d’ouvrages d’art et de routes, etc. Peu à peu, elle devient un acteur majeur, au point de déterminer le choix des candidats aux législatives, de discuter avec eux la mise en œuvre de projets publics (pistes, collège, ponts, radiers, etc.) et de négocier les accréditations des partis politiques pour les candidats aux élections communales.
10Dès lors, l’organisation de la campagne et de la mobilisation électorale donne à voir des articulations entre différents types d’élites : nationale, d’« intermédiation » et de « proximité ». L’association et les « élites d’intermédiation » jouent un rôle central de « relais entre la vallée et l’extérieur : la ville, le pouvoir, les autres communes » (ibid., p. 117). Émigrés, étudiants et acteurs associatifs locaux se distinguent par l’étendue de leurs réseaux, leur mobilité et un ensemble de compétences (communication, réseautage, connaissance des acteurs et des enjeux locaux). Ce sont eux qui identifient le candidat le plus adéquat, à leurs yeux, pour acheminer les ressources publiques vers la région.
11En 2007, l’association des émigrés opte pour un élu parlementaire sortant qui a une carrure nationale. Né en 1948 à Settat, Mohammed Sajid est originaire de Taroudant, diplômé de l’École supérieure de commerce de Lille, homme d’affaires, propriétaire terrien, industriel et promoteur immobilier. Sous l’étiquette de l’Union constitutionnelle (UC), il est maire de Casablanca entre 2003 et 2015, député de Taroudant de 1997 à 2011. En 2015, il devient secrétaire général de l’UC et, en 2017, ministre du Tourisme, du Transport aérien, de l’Artisanat et de l’Économie sociale. En 2007, il doit son aura à Ouneine au fait d’être parvenu à faire construire par l’État près de 500 kilomètres de routes dans une zone montagneuse. À cette occasion, il a mobilisé ses relations au sein de l’émigration marocaine en Europe pour financer le tiers du projet. À la veille des législatives de 2007, ce sont des membres de l’association des émigrés qui l’accompagnent lors de sa tournée dans la région et qui conduisent sa campagne, en s’appuyant sur des acteurs qui sont peu familiarisés avec la politique nationale mais qui constituent des relais locaux incontournables. En effet, les « élites de proximité » doivent leurs positions à leurs ressources économiques, à l’importance de leur lignage, mais également à leur réputation de personnes qui connaissent et œuvrent pour l’« intérêt général » (maslaha).
12Les élections à Ouneine continuent bien à se fonder sur des « liens concrets » et à être « capturées par un ou deux lignages » soucieux de consolider leur « capital social » (ibid., p. 157 et p. 128). Toutefois, l’étude réalisée par Tamim et Tozy montre que l’acte de vote au village est désormais irréductible à une mobilisation automatique d’un ou plusieurs lignages, à l’entretien d’une clientèle par une famille qui cumule les supériorités, ou encore à une pyramide de réseaux clientélaires au sommet de laquelle se hisserait un « big man » de la ville. Plus que jamais, la mobilisation électorale donne lieu à des négociations à plusieurs niveaux, à des luttes internes et à des désaccords parfois tranchés par un tirage au sort. Certes, les « autorités sociales » du village – recomposées – demeurent un passage obligé. Mais l’association des émigrés constitue un maillon entre une diversité de réseaux et articule des structures relationnelles autant verticales (avec les autorités sociales et politiques) qu’horizontales (à caractère associatif). Selon la terminologie offerléenne, elle négocie avec les candidats pressentis des « biens publics indivisibles » sur la base de « l’intérêt général » du village. Autrement dit, elle incarne une sorte de « patronage démocratique9 ». Cette hybridation entre des manières d’aller au peuple aussi bien à partir du sommet qu’à travers le peuple se retrouve sous d’autres formes.
13Justement, la quatrième configuration se rapporte aux entreprises politiques au capital partisan érodé et qui recourent à une personne dotée en capitaux individuels, voire en capitaux accumulés grâce à sa carrière au sein du parti ou à sa filiation avec une figure du parti. Dans ce cas-là, les agents électoraux sont autant d’anciens membres du parti, des clients du « big man » que des intérimaires. On observe alors des phénomènes de partisanisation de « clients », mais aussi de clientélisation ou même de rémunération de « militants » par le candidat. L’hybridation se prolonge au niveau de l’offre électorale et du mode de production du vote. Ces efforts d’ajustement aux transformations du marché électoral sont au cœur de notre questionnement de départ sur la notabilisation de partis de militants. Nous allons donc les examiner en profondeur en nous basant sur nos enquêtes dans une circonscription casablancaise pendant les années 2000. Dans un premier temps, nous examinerons la métamorphose d’une héritière du Parti de l’Istiqlal en « big woman ». Ensuite, nous présenterons les tentatives d’un membre de l’Union socialiste des forces populaires (USFP) de s’acculturer aux pratiques des entreprises clientélaires concurrentes.
Quand une « héritière » se transforme en « big woman »
14Si « l’héritier » peut être le fils d’un « big man », il arrive aussi qu’une « héritière » soit contrainte de devenir une « big woman ». Entre 2002 et 2011, les mobilisations électorales de Yasmina Baddou à Casablanca font écho aux tentatives d’un parti politique de s’ajuster au marché électoral, tout en mettant en avant des figures « ministrables » dont les propriétés sont en adéquation avec les injonctions à la « bonne gouvernance » réitérées par le Palais. En effet, au cours des années 2000, l’Istiqlal est le parti qui va le plus loin dans la « notabilisation de technocrates » (Zaki, 2009a, p. 23) du cru, tout en écartant des positions éligibles d’anciens élus du parti, qui ne sont ni fortunés ni « technocrates », au profit de nouveaux venus « sans relation avec le parti »10. Ce faisant, ces candidats montent de puissantes machines électorales et contribuent à la production de la figure rénovée du notable, mi-technocrate, mi-moul chekkara. Bien qu’elle n’ait pas fait des études prestigieuses à l’étranger, et qu’elle n’ait pas dirigé une entreprise publique ou privée à l’instar de la plupart des autres « jeunes » ministres istiqlaliens (qui sont quadragénaires à cette époque), Yasmina Baddou illustre leurs modalités d’entrée en politique et leurs stratégies pour fidéliser leur électorat, sous deux angles en particulier : l’art de combiner des capitaux de différentes origines en étroite relation avec une marque partisane ; une manière d’aller au peuple aussi bien à partir du sommet de la hiérarchie sociale qu’à travers des réseaux de proximité convertis en associations, qui se prolonge à travers un dispositif de redistribution des biens selon un mode de moins en moins discontinu et de plus en plus « professionnalisé ».
Une entrée en politique accélérée
15Née en 1962 à Rabat, Yasmina Baddou ne se lance dans une carrière politique qu’à l’approche de la quarantaine. Dès le départ, elle brigue plusieurs mandats. En septembre 2002, elle se présente aux législatives à Casablanca-Anfa, l’une des circonscriptions locales les plus disputées du Maroc, et compte donc parmi les cinq femmes qui se vantent d’avoir gagné un siège de député « en descendant sur le terrain », et non après un classement en position éligible sur la liste nationale (réservée aux femmes) de leur parti. Elle se fait réélire dans la même circonscription deux fois de suite (2007, 2011). C’est également à Anfa qu’elle engrange des mandats communaux : elle préside la commune d’Anfa (2003-2009), puis l’arrondissement du même nom (2009-2015). Entre 2002 et 2012, elle siège dans les formations gouvernementales successives, d’abord, en qualité de secrétaire d’État chargée de la Famille, de la solidarité et de l’action sociale (2002-2004), puis de chargée de la Famille de l’enfance et des personnes handicapées (2004-2007) et, enfin, de ministre de la Santé (2007-2012).
16Cette montée en flèche ne découle pas d’un statut incontesté d’héritière. D’après le témoignage d’un istiqlalien de la première heure, un permanent septuagénaire, l’agrément de la base casablancaise du parti ne va pas de soi à la veille des législatives de 200211. Pour atténuer les effets de ce « parachutage12 » et « compenser le fait que c’est une femme », ses soutiens soulignent qu’elle a un nom en héritage, qu’elle a pris la peine de s’investir dans l’appareil du parti et dans ses organisations annexes, et qu’elle est « compétente ».
17En premier lieu, elle n’est pas juste « fille de », c’est la fille d’Abderrahmane Baddou, un ancien dirigeant du Parti de l’Istiqlal, décédé en 2001 et qui a gagné ses titres de gloire sous le Protectorat. Dans les premiers entretiens qu’elle accorde à la presse, elle présente son « militantisme » comme « un héritage sacré » :
« Yasmina Baddou a dès son enfance baigné dans une ambiance nationaliste et militante. Son père, Abderrahmane Baddou, était un grand militant istiqlalien qui a connu, dit-elle, la vraie torture et les prisons. Aujourd’hui, elle a épousé la cause militante et marche sur les traces de son père » (El Hassani, 2002).
18En 2007, un tel récit continue à être relayé par le vice-président de la section d’Anfa, un septuagénaire, dont l’adhésion au parti remonterait à 1955. Après avoir chanté les louanges du père, il raconte qu’enfant, sa fille l’« accompagnait dans les réunions »13. Mais, par-delà cette socialisation dans la proximité immédiate d’une figure du parti, Yasmina Baddou doit démontrer qu’elle est « militante » et « capable de prendre des responsabilités ». Selon les informations qu’elle distille dans la presse, elle a adhéré au parti dès 1987. Néanmoins, son investissement au sein de l’appareil ne commence que peu avant sa première candidature aux élections. En 2001, elle devient secrétaire de section de la commune d’Anfa, membre du bureau du conseil provincial de l’Istiqlal à Casablanca et de l’Organisation de la femme istiqlalienne. Dans la foulée, elle cofonde l’ONG de réflexion et d’orientation « Alliance Pro14 ».
19Dans la phase de lancement de sa carrière politique, un ensemble d’atouts sont également mis en évidence. Stigmatisées par une partie de la base du parti, sa « féminité » et sa « jeunesse » – elle a 40 ans en 2002 – sont d’autant plus valorisées par la hiérarchie de l’Istiqlal que ces caractéristiques sont plus que jamais érigées en qualités politiques et en indicateurs de « modernité », dès lors qu’elles sont adossées à « la compétence » certifiée par des diplômes et attestée par des expériences professionnelles. En 2002, l’article panégyrique dont elle fait l’objet dans L’Économiste donne le ton (El Hassani, 2002). Comme s’il s’agissait de compenser le caractère indigène de son capital scolaire (des études de droit à Rabat), l’accent est mis sur sa « socialisation cosmopolite ». Fille d’ambassadeur, elle passe son enfance au Liban, puis en Arabie saoudite. De retour à Rabat, elle étudie au lycée Descartes, l’un des fleurons de la mission française à l’étranger. À 18 ans, elle accompagne son époux en France où elle passe son baccalauréat et commence ses études de droit. L’article insiste également sur sa carrière professionnelle d’avocate, de conseillère juridique du Wali de la région du grand Casablanca ou dans la banque. Ces expériences sont présentées comme des rites de passage l’habilitant à la profession politique.
20La vie familiale n’est pas en reste. Cette mère de trois filles qui « cache un tempérament de battante et une volonté à toute épreuve » aurait mené « parallèlement, et avec brio, ses études et sa vie de famille » (El Hassani, 2002). Selon ses dires, le body-building l’« aide à tenir, être opérationnelle et avoir de l’endurance ». Dans les quartiers populaires, ses intermédiaires électoraux adaptent le registre de la féminité et de la famille aux propriétés de leurs interlocuteurs. Ils présentent leur candidate comme « une sœur et une mère compatissante », « une femme qui réalise ses promesses, qui tape aux portes » (ibid.). Pour sa part, lorsque Yasmina Baddou sort à la rencontre du peuple, elle oscille entre deux styles. À l’instar d’une reine, elle salue la foule en liesse du haut du balcon du siège régional et se fraye un chemin vers les lieux de réunion sous la protection de sa garde rapprochée15. Ici et là, elle est accueillie par les youyous et les dqayqiyya16. Les solliciteurs guettent son passage, attendent de longues heures devant le siège, parfois dans le seul espoir d’intercepter son regard. Il arrive aussi qu’elle soit fêtée comme un jeune marié ou un champion de football, par exemple lorsqu’elle danse assise sur les épaules d’un jeune homme sous les acclamations d’une centaine d’agents électoraux17.
21À l’examen, les quatorze années que dure la carrière politique de Yasmina Baddou laissent entrevoir une forte articulation entre d’une part une entreprise politique qui tente de se renouveler, et d’autre part une « big woman » qui mobilise plusieurs capitaux : ceux qu’elle détient en nom propre et qu’elle adapte aux exigences à géométrie variable du marché électoral et politique, ceux auxquels elle accède grâce au cumul de ses mandats et, bien sûr, ceux qu’elle fait fructifier grâce à son « héritage familial » qui va au-delà de son ascendance. En effet, comme d’autres ministres istiqlaliens de sa génération, elle est reliée au « clan » hégémonique au sein du parti jusqu’en 2012. Son mari et son beau-frère sont des cousins d’Abbas El Fassi, secrétaire général du parti de 1998 à 2012 et Premier ministre de 2007 à 2011. Le premier fait carrière dans la haute fonction publique et le second dans la diplomatie ; tous deux bénéficient d’insertions qui se révèlent avantageuses pour construire et entretenir une machine électorale.
Des « leaders d’opinion » encartés et d’« anciens militants » clientélisés
22Si Anfa est réputée pour ses villas luxueuses, elle compte également de nombreux bidonvilles (9,2 % des ménages), des quartiers clandestins et de l’habitat vétuste. Elle abrite ainsi une population précaire, particulièrement touchée par le chômage18. Bien davantage, celle-ci est exposée à une gestion publique « par le manque » du fait de l’absence de services publics (Vairel et Zaki, 2011). Elle vit sous la menace des politiques d’« éradication » des bidonvilles et des projets de restructuration. Lors des communales de 2003, le taux de participation y est d’environ 30 %19, et les catégories populaires, qui ne représentent que 25 % de la population de la circonscription, sont estimées à 60 % des votants20. Ce sont donc principalement leurs voix que se disputent les candidats qui privilégient les mobilisations électorales clientélaires. Pour en bénéficier, il est fondamental de disposer d’un vivier de courtiers.
23À la veille des législatives de 2007, le directeur de campagne de Yasmina Baddou, un ingénieur istiqlalien, annonce que, sur les sept cents « militants » mobilisés, trois cents perçoivent une indemnité et cent sont des « leaders d’opinion », expression utilisée en français comme un équivalent du weld ad-derb21. D’une campagne électorale à l’autre se constitue une machine électorale de plus en plus sophistiquée22. La collecte d’informations précises et régulièrement mises à jour a pour objectif d’identifier les zones de concentration des électeurs inscrits sur les listes et qui se rendent effectivement aux urnes, ainsi que les personnes les plus influentes dans ces environnements. La composition des équipes signale une interpénétration entre les réseaux partisans, associatifs et informels, de même qu’un brouillage des frontières entre des intérimaires qui adhèrent officiellement au parti et d’anciens membres du parti qui deviennent les clients de l’élue-ministre.
24En 2007, la plupart des « anciens » qui se mobilisent autour de Yasmina Baddou ont adhéré au parti à un âge relativement précoce, parfois dans un cadre familial. Socialisés dans des organisations annexes du parti (associations, scoutisme, voire syndicat), ils ont progressivement intégré l’appareil partisan. C’est notamment le cas du directeur de campagne, du vice-président de la section, de l’inspecteur régional de l’Istiqlal pour la préfecture d’Anfa et des responsables des associations créées dans le giron du parti. Au sein de ce groupe, le directeur de campagne, né en 1971, se distingue par ses qualifications d’ingénieur, de juriste et de fiscaliste. En revanche, d’autres « anciens » ont un niveau d’études bien plus bas (primaire, secondaire), et vivent de leurs revenus de permanent du parti (l’inspecteur régional) ou d’un soutien matériel de la part de la ministre. Quelques-uns, comme le secrétaire de la section de jeunesse du parti, lui doivent leur emploi. Autrement dit, il n’existe pas une frontière étanche entre d’une part des « militants », qui manifesteraient leur dévouement au parti par leurs dons en espèce, en nature ou en temps, et qui ne percevraient que des gratifications immatérielles, et d’autre part des intermédiaires électoraux indemnisés pour des services ponctuels ou inscrits dans une relation clientélaire. Comme l’a souligné un cadre régional de l’Istiqlal, il s’est très vite avéré « inéquitable » de ne pas rémunérer des militants issus des mêmes milieux que les « enfants de quartier »23. Dès lors, par contagion, les adhérents du parti qui participent d’une manière ou d’une autre à la campagne électorale ont commencé à être rétribués financièrement au même titre que les autres.
25À l’inverse, ce n’est pas toujours l’appât du gain qui motive les « nouveaux » venus. Né en 1982 dans l’ancienne médina de Casablanca, K. est un fils d’ouvrier qui a obtenu une licence en science politique avant de trouver un emploi d’agent de développement. Après des expériences dans l’associatif, il ressent le besoin d’adhérer à un parti. En 2003, il intègre l’Istiqlal en même temps que des amis qu’il a connus à l’université et qui aspirent comme lui à « se former » :
« Nous n’avions pas encore d’expérience partisane. Nous observions de loin de mauvaises pratiques et de bonnes pratiques. Nous avons voulu évaluer les choses de l’intérieur. […] Nous voulions être formés. Une des fonctions des partis est de former et d’encadrer. Nous voulions aussi donner, être utiles. […] Nous avions choisi le Parti de l’Istiqlal parce que c’est un parti modéré, qui a un référentiel islamique. […] Je n’y suis entré qu’une fois que j’ai lu An Naqd addati24 d’Allal El Fassi. […] Nous voulions donner, nous voulions travailler. Nous avons commencé à donner des cours de soutien aux enfants […]. C’était quotidien. Il y avait des cours d’alphabétisation, des sorties » (entretien réalisé par l’autrice, à Casablanca, en août 2008).
26En 2007, le groupe d’amis quitte le parti « après avoir découvert sa réalité ». D’après K., ils ne supportaient plus de voir leurs initiatives « bloquées » par « ceux qui étaient là par intérêt ». Le jeune homme évoque explicitement celles et ceux qui se sont hissés à la tête de la machine électorale, et qui bénéficient des largesses de la ministre en échange du rôle qu’ils jouent dans l’encadrement de la mobilisation électorale et dans la fidélisation de l’électorat.
27Pendant les campagnes électorales, le gros des troupes qui fourmillent autour du siège régional de l’Istiqlal à Anfa25 est composé d’hommes et de femmes, issus des quartiers populaires et des bidonvilles de la circonscription, identifiables par des casquettes et des tee-shirts blancs où sont imprimés en rose et en noir le nom et le symbole du parti, la balance. Ce sont eux qui distribuent les flyers, animent les marches électorales, scandent des slogans. Durant les deux semaines de la campagne, ils perçoivent une indemnité journalière dont le montant global équivaut plus ou moins au salaire mensuel minimum26.
28Ces agents électoraux sont encadrés par des « leaders d’opinion », les fameux « enfants du quartier », issus des mêmes couches sociales, mais qui se prévalent d’une « popularité » (cha‘biyya) et d’une aptitude à « contrôler un secteur » de la circonscription, et qui ont fait leurs preuves pendant les derniers scrutins, au service de Yasmina Baddou ou de ses concurrents. En effet, ils ont développé des compétences pratiques de plusieurs ordres. En amont, être en mesure d’identifier des agents « populaires » ou dotés d’une expérience électorale. Ensuite, savoir « organiser », « encadrer » au cours de la mobilisation, connaître les réseaux de sociabilité dominants et les catégories qui font l’élection. La « politique du faire » est du ressort principal des femmes, qui reconvertissent en ressources électorales leur rôle actif pendant les naissances, les mariages, les funérailles, prolongé par leur insertion dans des réseaux de proximité, voire par leur engagement associatif (Berriane, 2009) :
« Tu vois une femme “capable”, les femmes ont confiance en elle. Si elle dit aux gens : “Demain, il va pleuvoir”, ils vont la croire. […] Elle a un savoir-faire. Elle sait vite mobiliser les gens. Si quelqu’un lui dit : “Une telle est malade”, elle va réunir pour l’après-midi même 15 à 20 personnes pour aller lui rendre visite » (entretien réalisé par l’autrice avec un « leader d’opinion », dans la circonscription d’Anfa, en juin 2009).
29Ces relais perçoivent non seulement des indemnités journalières comme les autres agents, mais également des rétributions financières en fonction des résultats obtenus. Les plus efficients obtiennent un emploi, des salaires déguisés dans le cadre de partenariats avec l’État, des kiosques délivrés par la commune, un accès privilégié à la manne de l’INDH, une protection juridique, un accès à des soins médicaux plus ou moins coûteux, etc. Du fait même qu’une partie de leur rémunération est tributaire de leur capacité effective à mobiliser, ils ont intériorisé les modalités de contrôle des votes et développé des dispositifs plus ou moins sophistiqués.
30Agents électoraux et « leaders d’opinion » sont chapeautés par les « personnes de confiance » de Yasmina Baddou, qui sont fréquemment issues du même vivier que les intermédiaires qu’elles coordonnent. En 2007, c’est le cas d’une quadragénaire divorcée qui élève son enfant seule, et qui excelle dans la mobilisation des réseaux de proximité féminins dans les quartiers populaires de la circonscription. K. et d’autres rapportent que la ministre se serait assurée de sa fidélité en lui offrant un appartement, puis un pèlerinage à La Mecque, tout en lui versant 2 000 dirhams par mois et des « bonus » pendant les élections. Les rétributions immatérielles ne sont pas en reste. En effet, cette figure de la circonscription bénéficie d’une aura qui découle de sa supposée proximité avec la ministre. Elle cumule des titres et des mandats gratifiants : « présidente » de l’une des associations locales créées par Baddou, « secrétaire de section » et « trésorière » dans une instance locale du parti et dans l’une de ses organisations annexes. Lors des communales de 2009, elle parvient même à se hisser en tête de la liste « additionnelle27 » présentée par l’Istiqlal à Anfa. Son parcours illustre bien les carrières accélérées de certains « enfants du quartier » des deux sexes. Il laisse entrevoir des processus hybrides d’entretien de relations clientélaires et de quasi-professionnalisation, dans l’articulation entre les réseaux de proximité informels, et les arènes électorale, associative et partisane. Ces phénomènes sont indissociables du dispositif redistributif qui les sous-tend.
Une offre électorale hybride
31L’offre électorale produite par Yasmina Baddou est tout aussi composite que le profil de ses agents. Elle agrège autant des biens caractéristiques des entreprises politiques fortement dotées en capitaux collectifs partisans que ceux habituellement redistribués par celles qui en sont dépourvues.
32Au cours de ses interventions dans les médias et de ses réunions dans les villas d’Anfa, la candidate ne manque jamais de présenter son « programme ». Tandis que certains de ses adversaires lui reprochent de soigner les « petits bobos », pendant la campagne des communales de 2015, elle met l’accent sur sa vision du développement de Casablanca tout en soulignant sa « conformité » avec la « ligne directrice » du parti. Elle souhaite « combattre l’exclusion » et la « ghettoïsation », promouvoir « la mixité sociale », « accompagner l’urbanisation, développer les infrastructures et fluidifier la mobilité », « protéger l’environnement », « créer des espaces verts, et des espaces de vie au cœur des quartiers » (Bousquet et Bouraque, 2015). Par ailleurs, elle se flatte d’avoir impulsé des relations étroites entre les élus de l’arrondissement et les associations. Elle rappelle ses réalisations en matière d’infrastructures, par exemple la création de centres d’aides pour les personnes âgées ou pour les femmes en situation difficile. Elle souligne le fait que son « bilan va vers les plus démunis » et exprime le souhait « que tous les Casablancais puissent recevoir des prestations sociales de manière égale ». Dans la pratique, une grande partie de ses initiatives repose sur une forme de privatisation du « welfare » (Marwell, 2004). C’est dans ce sens que témoigne K. :
« C’est grâce aux associations qu’elle réussit aux élections. C’est elle qui les finançait, son ministère les finançait. Ces associations permettent de gagner le soutien des femmes. Or pour gagner les élections, il faut absolument avoir le soutien des femmes. Quand tu mets l’accent là-dessus, tu gagnes les élections » (entretien réalisé par l’autrice, à Casablanca, en août 2008).
33À l’instar d’autres élus, Yasmina Baddou impulse la création de plusieurs associations locales dès sa première élection. L’objectif est d’encadrer et de fidéliser son électorat, de disposer de relais formalisés, à la fois souples et dotés d’un statut juridique, ancrés localement et actifs de manière continue. Ces structures offrent de nombreux services et organisent des activités hebdomadaires ou saisonnières, notamment à l’intention des femmes et des enfants. Elles servent également de relais pour la distribution de produits de première nécessité à l’occasion des fêtes religieuses et de ressources auxquelles la ministre de la Santé a un accès privilégié (des fauteuils roulants par exemple).
34Cette machine électorale qui se sophistique d’une élection à l’autre parvient à se maintenir aussi longtemps que Yasmina Baddou cumule les mandats. Après la perte de son ministère stratégique en 2011, elle perd les communales en 2015, puis les législatives en 2016. D’autres figures d’istiqlaliens « rénovés » connaissent un destin similaire. En définitive, les capitaux d’héritiers qu’ils réinvestissent dans une arène électorale, marquée par un clientélisme très concurrentiel, favorisent leur ascension tant que l’Istiqlal s’impose sur la scène électorale et, plus précisément, tant que leur propre clan est hégémonique au sein de l’appareil partisan. D’une certaine manière, un réseau politico-familial a investi dans leurs carrières politiques. En retour, ils ont privatisé des ressources, qui leur ont permis entre autres d’entretenir des fiefs électoraux et, ce faisant, les succès politiques de leur parti. En revanche, leurs échecs se produisent dans un contexte marqué par plusieurs éléments. Le « clan El Fassi » perd son emprise sur le parti lors du congrès de 2012. L’Istiqlal quitte le gouvernement en 2013. La scène électorale se polarise en 2015 et en 2016 entre le PJD et le Parti authenticité et modernité (PAM). Quant à Yasmina Baddou, elle cumule les déboires à titre personnel. Dès 2013, la presse fait écho de ses difficultés avec la justice (Bladi.net, 2013). En 2015, elle est exclue du bureau exécutif de l’Istiqlal, qu’elle réintègre lorsque le clan El Fassi reprend les rênes de l’Istiqlal en 2017.
35Reste à souligner que ce modèle de machine électorale hybride, caractérisé par une forte articulation entre des « big men » du cru et une entreprise politique non dénuée de capitaux collectifs partisans, n’a pas manqué de susciter des émules, notamment au sein de l’(ex-)gauche gouvernementale. Avant les législatives de 2007 et davantage encore à la veille des communales de 2009, ce qui reste de l’USFP doit faire face à l’enjeu suivant : comment mobiliser le vote populaire urbain au moment où le discours idéologique du parti s’est démonétisé, à l’heure où les urnes exercent un très faible attrait sur les plus dotés culturellement et socialement, et lorsque changements de scrutins et redécoupage des circonscriptions, loin de sonner le glas des notables, reconfigurent leur répertoire d’action tout en le diffusant ?
Lorsque la gauche gouvernementale tente de s’ajuster aux transformations du marché électoral
36À l’inverse de l’Istiqlal, l’USFP peine à s’ajuster aux transformations du marché électoral induites par l’« alternance ». Dans un passé proche, la « marque » USFP pouvait bénéficier à des « anonymes » – récompensés pour leur militantisme et devant presque tout au parti – dans des circonscriptions considérées comme usfpéistes28. Des électeurs y votaient pour le parti et non pour la personne, par fidélité à une identification politique, à des symboles, à des moments de socialisation, etc. Le candidat investissait alors le répertoire des valeurs de justice et d’intégrité, de certains combats fondateurs, de la représentation tribunitienne des « forces populaires ». Après le passage au gouvernement, la fragmentation du parti et l’érosion de sa base électorale, les candidats de l’USFP ne peuvent plus recourir efficacement au registre des « conflits révolus29 » dans lequel ils ont longtemps puisé. L’enseigne du parti serait même devenue un handicap30. À la veille des législatives de 2007, le nouveau poids accordé par les instances dirigeantes dans le choix des candidatures à la « capacité personnelle de gagner une circonscription » constitue une tentative d’ajustement à la dévaluation du capital partisan de l’USFP, un enregistrement de la dissolution de son électorat de « granit » d’antan. Des notables locaux et des hommes d’affaires sont démarchés par des membres influents du bureau politique. Mais cette stratégie ne parvient pas à freiner l’effondrement électoral du parti, qui passe au cinquième rang en 2007. En revanche, elle accélère la transformation du profil des élus de l’USFP au sein de la Chambre des représentants (figure 13). Le tiers du groupe parlementaire est constitué de nouvelles recrues. En outre, pour la première fois dans l’histoire du parti, le nombre d’entrepreneurs et d’hommes d’affaires (10 % en 2002 ; 32,5 % en 2007) dépasse celui des enseignants (44 % en 2002 ; 27,5 % en 2007), tandis que la représentation des agriculteurs a presque quadruplé (2 % en 2002 ; 7,5 % en 2007).
Figure 13 – Filières socioprofessionnelles des élus USFP de 2002 et de 2007.

Ce graphique se base sur des données disponibles sur le site du Parlement (pour 2002) et sur celui de l’USFP (pour 2007). Pour en faciliter la lecture, nous avons adopté des catégories similaires à celles utilisées pour les filières de recrutement des élus entre 1977 et 2007 (voir supra).
37Les modalités de gestion des élections de 2007 et le « parachutage » de candidats choisis par des membres du bureau politique, sur la base de proximités familiales (Allal, 2009), amicales ou clientélistes, sont vigoureusement contestés pendant le 8e congrès du parti en 2008. Pour apaiser les esprits, la « régionalisation » des candidatures est instaurée : la désignation des têtes de liste relève désormais de la compétence des sections locales. Mais, paradoxalement, à l’occasion des communales de 2009, ce n’est ni le bureau politique, ni de nouveaux entrants qui prennent l’initiative de « notabiliser » la campagne électorale, mais d’anciennes recrues de la section locale de l’USFP, dans l’arrondissement d’Anfa à Casablanca. Parmi la vingtaine de formations politiques en lice, les candidats les plus en vue sont Yasmina Baddou pour l’Istiqlal et deux autres parlementaires du PJD et du RNI. Confrontés au désenchantement des militants, à l’accroissement drastique du besoin en ressources électorales et au constat que la clientèle électorale de l’USFP, principalement issue des couches moyennes, se réduit comme peau de chagrin, les membres de la section désignent un homme d’affaires en tête de liste31.
38L’observation de cet épisode permet d’examiner – avant leur naturalisation – les tâtonnements à travers lesquels des militants de gauche se politisent pragmatiquement, tandis que leurs nouveaux relais s’acculturent à d’autres formes de politisation. Par-delà l’opposition entre approches restrictives et extensives, il s’agit d’appréhender les modalités d’imbrication entre les formes de politisations « élitaires », par désingularisation, et « par le bas ». Au croisement d’une réflexion sur le clientélisme électoral et sur la politisation, nous souhaitons également mettre en évidence des acculturations mutuelles et des « malentendus par lesquels des individus dotés de représentations différentes et contradictoires » recourent à des « usages pluriels et infinis de l’institution électorale, donc des degrés différents d’appropriation pratique, discursif et/ou émotionnel des formes, enjeux et significations du vote » (Offerlé, 2007, p. 157).
La conversion de militants de gauche à la politique pragmatique
39Prenant acte du fait que 60 % de votants d’Anfa appartiennent aux catégories populaires, les candidats de l’USFP tentent de se convertir à la politique pragmatique en changeant de cible électorale et en adoptant une stratégie susceptible de mobiliser le vote des zones populaires. Ce faisant, des transformations s’observent sous plusieurs angles : critères de constitution des listes, type et ampleur des ressources déployées, profils des agents électoraux, nature de l’offre électorale.
Homme d’affaires versus « prof de fac »
40Dans le cadre de la réforme du code électoral de 2008, la commune est divisée en trois arrondissements. Pour s’ajuster à ce nouveau découpage, une nouvelle section locale de l’USFP est créée à la veille des élections communales de 2009 dans l’arrondissement d’Anfa. L’enjeu est d’autant plus important que la désignation des têtes des listes « ordinaire » et « additionnelle » relève désormais de la compétence du bureau de section et non plus du bureau politique du parti. Les tensions qui accompagnent cette création traduisent des allégeances différentielles aux leaders du parti, des « luttes de classe » internes, opposant nouveaux profils légitimes aux yeux d’une partie de la hiérarchie (par exemple les « hommes d’affaires ») et anciennes figures dominantes (les enseignants). Elles expriment aussi les résistances d’anciens cadres locaux du parti qui conservent de l’influence, tout en étant en retrait de l’appareil organisationnel. C’est dans ce contexte que le secrétaire général du bureau de section, un homme d’affaires qui a adhéré au parti en 1978, parvient à s’imposer en tête de la liste « ordinaire ».
41Abstraction faite des calculs personnels des uns et des autres au sein de la section, qu’est-ce qui conduit des militants, y compris ceux témoignant affection et respect à l’élue sortante, à se ranger derrière le secrétaire du bureau de section qu’ils connaissent à peine ? À partir de représentations différentes des stratégies passées ou à venir du parti, le choix du candidat en tête de la liste « ordinaire » s’est fondé sur l’évaluation des atouts respectifs des candidatures. C’est plus ou moins de gaieté de cœur que la plupart des membres du bureau de section se sont fait à l’idée que les élections nécessitaient désormais des ressources financières beaucoup plus importantes, et que l’élue sortante ne pourrait pas gagner de nouveaux sièges en faisant le même type de campagne qu’en 2003. Derrière ces considérations comptables, deux profils sont en concurrence. L’une et l’autre sont des quinquagénaires et des « anciens » du parti fortement investis dans son appareil. Cependant, la première a atteint les sommets de la hiérarchie partisane et cumulé plusieurs mandats électoraux, à l’échelle locale, régionale et nationale. En revanche, le candidat retenu ne compte à son actif qu’un mandat municipal. Ils se sont tous deux engagés sur les plans associatif et syndical, à la différence près que l’élue sortante, professeure d’université, a fait ses armes dans le syndicat national des enseignants, et que la tête de liste, un entrepreneur, a mené ses combats dans le secteur associatif patronal.
42Si l’ouverture de l’USFP à des « notables » a suscité des tensions certaines, l’intériorisation des contraintes du nouveau marché électoral gagne une partie des bases militantes en 2009. À cet égard, symptomatique est le témoignage d’un enseignant quadragénaire, en retrait du parti depuis 1998, qui relève avec dérision que son attachement au parti est d’ordre « mystique et irrationnel »32. Il ne manque pas d’évoquer la lutte des classes au sein du parti et de la section. Il déplore le fait que les enseignants et les ouvriers cotisent (à l’occasion) alors que les parlementaires et les ministres du parti (fortement indemnisés) s’en abstiennent, et que ces derniers ne font appel à la base que pendant les élections. Quelques années plus tôt, il a ressenti de la colère lorsqu’Abderrahman Youssoufi déclara que la domination des enseignants et des avocats devait prendre fin au sein de l’USFP. Mais, depuis, il avoue avoir révisé son point de vue : « En tant qu’enseignant, je sais peut-être parler, je peux être efficace dans un comité culturel, mais […] je n’y connais rien en matière de contrats avec les entreprises. »
43Le profil de la tête de liste « additionnelle » éclaire à un deuxième niveau les dynamiques à l’œuvre. Docteure en droit, elle rappelle à différentes occasions qu’elle est professeure dans une grande école de management réputée, que ses domaines de spécialisation sont l’administration locale et la régionalisation, et qu’elle est régulièrement sollicitée pour des expertises et des évaluations. Son entrée à l’USFP en 2003, au moment où le parti mène une « politique d’ouverture », illustre le parcours des acteurs qui ont tenté de reconvertir leurs capitaux associatifs sur la scène électorale et partisane. En effet, la carrière militante de cette enseignante universitaire s’est fondamentalement déroulée dans des forums de réflexion politique, et des associations de promotion de la femme et de développement social. En 2009, elle est notamment vice-présidente d’une fondation créée pour accompagner les jeunes en difficulté et faciliter leur réinsertion, et qui est très active dans la circonscription observée. Son engagement partisan est par ailleurs précédé par une tentative électorale au début des années 1990, au moment où des féministes marocaines prennent conscience que leur combat ne devait plus se restreindre à la sphère associative. Notons enfin qu’elle est également une élue locale sortante d’une autre circonscription33.
44Ces profils ont en premier lieu pesé sur les critères qui ont sous-tendu la composition du reste des listes. Bien que négociée avec les autres membres du bureau de section, celle-ci a principalement retenu des candidats en tête de liste qui ont conduit et financé la campagne avec leurs propres deniers.
Représentativité sociale versus militantisme
45La liste présentée par l’USFP en 2003 dans la circonscription étudiée est composée de militants du parti. Les candidates en 1re et en 2e position ont été désignées par le bureau politique, mais la tête de liste avait « carte blanche » pour la constitution de la liste. Après avoir demandé au bureau régional le nom (et le « CV ») des militants de la circonscription, elle aurait établi « un classement en fonction de différents critères : hommes/femmes, sites géographiques, niveau culturel et expérience électorale », de manière à privilégier les plus dotés en capitaux culturels et à disposer de relais dans plusieurs zones de la circonscription34. Toutefois, passées les cinq premières positions, elle raconte qu’elle n’a essuyé que des refus de la part de militants de la circonscription aspirant à l’éligibilité. Dès lors, elle s’est tournée vers les militants de l’USFP, actifs dans son propre réseau syndical ou dans une association médicale qu’elle a fondée.
46Comparativement, les listes « ordinaire » et « additionnelle » de 2009 signalent deux inflexions. Premièrement, abstraction faite de l’ordre de classement, une apparente inversion du cens électoral ressort à l’examen de la composition des deux listes cumulées, en lien avec la forte représentation des acteurs socialement dominés du point de vue du sexe, de l’âge, des capitaux scolaires et de la position socioprofessionnelle. Du point de vue du sexe, les deux listes cumulées comportent huit femmes et neuf hommes. La moyenne d’âge est de 37 ans, avec dix candidats âgés de moins de 35 ans, trois quadragénaires et quatre quinquagénaires. Sur le plan socioprofessionnel s’observe un fort contraste entre une minorité située en haut de l’échelle sociale et une majorité occupant des positions inférieures. En effet, sept personnes sont diplômées du supérieur (en ayant pour la plupart poursuivi des études à l’étranger) et ont des professions aussi bien lucratives que valorisées socialement : trois femmes et un homme d’affaires, une femme médecin, une experte-comptable, une professeure de droit et consultante juridique, un directeur de lycée (unique représentant des profils dominants au sein de l’USFP d’antan). Inversement, les dix autres candidats sont faiblement dotés en capitaux scolaires ; en moyenne, ils ont arrêté leurs études avant la fin du collège, voire du lycée. Ils sont pour la plupart ouvriers artisans (coiffeuse, chauffeur de taxi, restaurateur, plâtrier) ou sans-emploi. Ces derniers ne se présentent pas en tant que tels sur les affiches électorales, mais plutôt en qualité d’encadrants associatifs, d’« infirmière » ou d’« agriculteur », à l’instar d’un candidat au chômage qui a hérité, avec ses frères et sœurs, d’un petit lopin de terre situé dans sa région d’origine. Deuxièmement, la « représentativité sociale et territoriale » est valorisée au détriment des capitaux militants (Zaki, 2009a, p. 27).
47Sur les dix-sept candidats des deux listes cumulées, six sont des adhérents de l’USFP, dont cinq membres de la section. Tous les autres n’ont aucune appartenance partisane au moment de l’enquête. En ce qui concerne la liste ordinaire35, le candidat en tête de liste affirme les avoir presque tous « sélectionnés en fonction de la réputation qu’ils ont dans leur quartier »36. Prenant exemple sur les candidats des partis de notables, il a demandé à ses relations – dans et en dehors du parti – de lui trouver des « enfants de quartier », considérés par les leurs comme des « leaders d’opinion », et ce dans plusieurs bidonvilles et quartiers populaires, qui constituent habituellement le réservoir de voix des partis de notables. Ce phénomène s’inscrit dans le prolongement de la tendance observée au début des années 2000 pendant des campagnes électorales menées par des partis de notables à Casablanca : « L’analyse du profil des intermédiaires montre que l’on va au peuple à travers le peuple » (Bennani-Chraïbi, 2004b, p. 142). Une nuance de taille mérite d’être relevée. Pendant la campagne électorale observée en 2009, ces acteurs ne sont plus de simples agents électoraux, ils peuvent « faire carrière » et figurer sur des listes électorales pendant les scrutins locaux, y compris dans un ci-devant parti de militant. Dans la mesure où ce ne sont pas des adhérents du parti, qu’ils ne comptent pas nécessairement y adhérer et qu’ils sont classés en position inéligible, ils négocient leur présence sur les listes et leur investissement dans la campagne contre des biens divisibles.
48Passée la désignation de la tête de liste ordinaire, l’objet des tensions au sein du bureau de section était moins l’insertion dans la liste de ces « enfants de quartier », sans attache avec le parti, que l’ordre de classement des adhérents du parti en deuxième ou en troisième position. Le candidat en tête de liste s’est mobilisé pour classer en seconde position une femme d’affaires, âgée de 29 ans et fille d’un militant de la première génération. D’une part, il s’attendait à ce que cette candidate le soutienne dans le financement de la campagne électorale. D’autre part, il soulignait que ce serait là « un message fort : un parti de gauche qui présente deux entrepreneurs » en position éligible, qui féminise y compris sa liste « ordinaire » et qui met en avant des « jeunes ». Inversement, exaspérés de jouer continuellement le rôle de « lièvres », les membres de la section locale du parti, issus des zones populaires, souhaitaient classer en deuxième position un « élu de proximité locale », d’accès plus aisé37. Il pourrait constituer un véritable relais avec la commune, ne serait-ce que pour des services considérés comme futiles par les élus précédents du parti : informer sur ce qui se passe dans la commune, faire bénéficier d’invitations à un festival, réparer un tuyau, présenter des condoléances à des habitants de l’arrondissement ou aider à trouver des emplois.
49Défection militante, insertion dans les listes d’« enfants du quartier » sans attache avec le parti et ambition poursuivie par la tête de liste de déployer un nombre suffisant d’agents en vue d’un maillage des secteurs populaires ont logiquement conduit à une mutation des profils des agents électoraux. En 2003, l’essentiel des agents de la mobilisation était des militants, des sympathisants, des amis et des membres de la famille bénévoles. Ils formaient un groupe d’une cinquantaine de personnes, dont certains ont apporté à titre personnel des contributions matérielles au déroulement de la campagne. En 2009, près de trois cents personnes sont rétribuées, avec pour mission de mobiliser des voix là où elles disposent d’un ancrage social. Par conséquent, ce sont des acteurs habituellement considérés par les militants comme « apolitisés » qui ont porté les couleurs de l’USFP. Face à la perte de cet électorat, qui boude les urnes ou tend à voter pour le PJD, l’alternative consistait à recourir, tant dans le choix de la majorité des candidats constituant la liste que dans celui des agents électoraux, à des profils de même type que l’électeur moyen qui se déplace vers les urnes, et dont le vote se fonde sur des considérations pragmatiques. À partir de là, les répertoires mobilisés au cours de la campagne sont mixtes, reflétant les parcours différentiels de politisation des personnes composant la liste.
L’adaptation de l’offre discursive de gauche
50Lors des campagnes de l’USFP observées à Casablanca en 2002, en dépit de sa présence au gouvernement, le parti continue à privilégier une offre de « biens publics indivisibles » (Bennani-Chraïbi, 2004b). En 2009, dans la circonscription étudiée, les militants de l’USFP rangent aux oubliettes le répertoire idéologique (désuet à leurs yeux), sans totalement renoncer aux registres discursifs classiques du parti, réajustés en fonction de la nature communale du scrutin. Notons toutefois qu’il existe des variations en fonction des destinataires, mais aussi d’un profil militant à l’autre. Dans l’ensemble, quatre axes sous-tendent les discours tenus au cours des réunions électorales organisées dans différents quartiers de la circonscription.
51En premier lieu, la référence au capital partisan collectif persiste, à travers la mise en avant des valeurs qui distingueraient le parti (honnêteté, intégrité, sérieux) et les clins d’œil aux réalisations du gouvernement Youssoufi. Un ministre du parti, présent durant la campagne pour soutenir ses camarades et se préparer aux prochaines échéances électorales, souligne que « c’est le parti des forces populaires et non des riches ».
52En parallèle, le registre central est celui de la pédagogie politique. Certes, la tête de liste ordinaire, qui est loin de se distinguer par des dons oratoires, tient à se différencier par ses méthodes d’entrepreneur « rationnel », « pragmatique », « opérationnel », lassé par le verbalisme de la gauche classique :
« Je leur parle de leurs problèmes, pas de ce que Marx et Engels ont dit. […] Moi je suis un entrepreneur, peu m’importe si ma marchandise est bonne ou mauvaise […]. La qualité, c’est ce que demande le client. Ce n’est pas une qualité dans l’absolu. […] Donc, si en termes de qualité, cette clientèle est plus intéressée par l’habitat, je leur parle d’habitat » (entretien réalisé par l’autrice, à Casablanca, en juin 2009).
53Mais, à l’instar de la tête de liste additionnelle et du ministre, il privilégie par habitus les procédés de pédagogie politique, qui singularisent ceux qui ont été socialisés à gauche. Les uns et les autres incitent à « réfléchir ensemble », invitent au débat, à la prise de parole organisée, commencent par « écouter » les électeurs, refusent de faire des promesses électorales, et s’engagent pour une « obligation de moyens et non de résultats ». Par ailleurs, des militants tentent de transformer les cadres de perception de l’offre électorale. Loin de renoncer à susciter « un vote politique », le candidat en tête de liste ordinaire se pose en tant qu’alternative à la gestion précédente de l’arrondissement par Yasmina Baddou :
« Elle a ignoré les graves problèmes du foncier […], les enjeux d’aménagement qui concernent la moitié de la population, les problèmes de transport, de santé, de sécurité et de stabilité de la population. […] Pour moi, l’enjeu des municipales ce n’est pas de refaire la chaussée » (entretien réalisé par l’autrice, à Casablanca, en juin 2009).
54Là où c’est possible, il envisage des projets de restructuration de l’espace urbain qui intègrent les résidents actuels plutôt qu’ils ne les écartent, et qui visent un « développement in situ ». Quelques tâtonnements s’observent pourtant d’un militant à l’autre. D’abord en ce qui concerne la conception de l’intermédiation. Si le ministre s’engage à jouer un rôle d’intercession à Rabat, la tête de liste additionnelle défend dans d’autres réunions l’idée qu’un élu doit avant tout faciliter l’accès des citoyens à leurs « droits » et non faire dans le « clientélisme ». Et tandis que la même candidate attire l’attention des électeurs sur les conséquences d’un vote en faveur des partis qui mobilisent le pouvoir de l’argent, à savoir l’exclusion de la brigue des jeunes désargentés et des enseignants comme elle, la tête de liste ordinaire est loin de recourir à un tel registre.
55Relativement nouveau dans le répertoire électoral de l’USFP, l’associatif constitue un autre axe discursif. L’accent est d’abord mis sur la nécessité de s’organiser à travers des associations de défense des habitants du quartier pour négocier en force déplacements ou restructuration de l’espace de résidence. D’autre part, la tête de liste additionnelle évoque les services rendus par la fondation dont elle est vice-présidente, se rapprochant imperceptiblement de la stratégie adoptée entre autres par l’Istiqlal et le RNI, qui ont constitué le clientélisme associatif en levier de la campagne électorale.
56Le dernier répertoire utilisé à titre personnel par la tête de liste ordinaire est celui de la proximité physique et résidentielle « active ». D’une réunion à l’autre, l’entrepreneur se réfère à « son douar » (zone d’habitat regroupant villas et bidonville). En homme de gauche malgré tout, il exprime en entretien ses réserves à l’égard du terme de « bienfaiteur », pour se présenter en qualité d’« ami qui participe à la vie de son environnement », autrement dit, qui redistribue des ressources rares à l’occasion.
57La prudence langagière dont fait preuve ce candidat illustre l’ambivalence d’une campagne électorale tiraillée entre identité de gauche et volonté d’adaptation, à travers l’emprunt de recettes gagnantes aux partis de notables : insertion de candidats « enfants du quartier » dans les listes, recours à des agents électoraux rétribués, investissement financier lourd de la part du principal candidat en tête de liste, recours à peine déguisé au registre de la notabilité. La tension se reflète à plusieurs échelles : entre militants et enfants du quartier qui coexistent dans la même campagne, entre militants aux propriétés différenciées, mais également à l’échelle individuelle des militants eux-mêmes, soumis en leur for intérieur et dans leurs pratiques à des « régimes de vérité38 » parfois contradictoires. Maîtrisant des compétences politiques peu efficaces sur le nouveau marché électoral, ces militants vont essentiellement faire reposer leur tentative de conversion à la politique pragmatique sur l’intégration de profils dotés d’autres capitaux et compétences.
Les « apolitisés » à la rescousse de la gauche ?
58Les « enfants du quartier » sans attache partisane, qui constituent près des deux tiers des candidats des deux listes observées, sont habituellement stigmatisés par les « entrepreneurs de moralisation39 » comme des « saisonniers » des rendez-vous électoraux, « apolitisés ». La « popularité » qu’ils revendiquent ou dont ils sont affublés par leurs proches constitue leur principale ressource électorale. Et chaque scrutin est une nouvelle opportunité pour eux de gagner un peu d’argent et de négocier des faveurs. Reste à savoir ce qu’il en est réellement de leur (a)politisation. S’ils sont effectivement dépourvus de compétences cognitives « sophistiquées », ils articulent néanmoins des savoir-faire de plusieurs types – irréductibles à la seule ruse du dominé – qui constituent un maillon essentiel dans le dispositif du « patronage démocratique ». Ce faisant, ils exigent de plus en plus des rétributions à la fois matérielles et immatérielles.
59Les enfants du quartier ne font pas preuve de la même capacité de classification des partis et de décodage du fonctionnement de la politique nationale que celle des professionnels de la politique. Dans la forêt des symboles attribués à la vingtaine d’organisations en lice, peu de partis préservent leur nom de baptême. L’USFP est plus ou moins associé au gouvernement Youssoufi, voire à un parti « démocratique ». L’Istiqlal possède indubitablement la marque du parti des grands-parents, qui a combattu pour l’indépendance. Le PJD est identifié en tant qu’organisation qui n’achète pas les voix, qui ne paye pas de tribut aux « forts » des quartiers « difficiles » pour accéder à leur territoire. Dans l’ensemble, ces profils manifestent distance et méfiance par rapport à des offres partisanes, à leurs yeux, indistinctes. Dès lors, ils se repèrent grâce à des « raccourcis » (Blondiaux, 1996, p. 780), telles l’intuition, la sympathie ou l’antipathie qu’inspire un candidat par son attitude, son regard, le ton de sa voix, mais aussi par la nature de son discours. Cependant, connaître une personne, dans le cadre d’une relation de proximité ou de clientèle, demeure la principale boussole :
« Moi, je ne crois pas en un parti. Je peux croire en une personne. Si la personne te semble sérieuse [ma’qula]. Mais tous ces noms de partis, c’est pareil […]. Ils se tiennent tous derrière un seul drapeau, un seul roi » (entretien réalisé par l’autrice avec un candidat, plâtrier, âgé de 38 ans, à Casablanca, en juillet 2009).
60Au cours des scrutins précédents, lorsqu’ils ne mettaient pas « une croix sur tout le monde », ces candidats votaient de manière instable plutôt en faveur de l’enfant du quartier, ou en lien avec des allégeances clientélaires fragiles. Une telle attitude se conjugue parfois avec une « éthique » se traduisant par le « vote selon la conscience », ou encore par le respect d’une déontologie du vote d’échange : une jeune femme dit voter systématiquement pour ceux avec lesquels elle « travaille » en tant qu’agent électoral, par « droiture » et par refus d’être dans le haram (l’illicite du point de vue religieux).
61Pendant la campagne, ces candidats et les agents qu’ils recrutent (des amis, des membres de la famille et des voisins) puisent dans un répertoire imprégné par la quotidienneté. Aux slogans d’antan de l’USFP se substituent des formules « passe-partout », diffuses dans l’ensemble des partis, portant l’empreinte des refrains scandés dans les stades de football. Et les interventions en face-à-face, au cours des portes à portes, privilégient souvent le métaphorique :
« On parlait en rigolant. Vote pour moi, je suis une rose [symbole de l’USFP]. Vote pour moi pour que je grandisse [parce que je suis petite] » (entretien réalisé par l’autrice avec une candidate, infirmière de formation, âgée de 27 ans, à Casablanca, en juillet 2009).
62Leur but principal est de réactualiser la mémoire du réseau de proximité, en invoquant l’intérêt général :
« Je leur dis : ce parti est candidat, je suis votre candidat. Les gens nous connaissent. On leur dit de voter pour l’intérêt de la rue » (entretien réalisé par l’autrice avec un candidat, chauffeur de taxi, âgé de 34 ans, à Casablanca, en juin 2009).
63En 2009, l’intimité des « enfants du quartier » avec le fonctionnement électoral local englobe non seulement des aspects relatifs au comportement électoral des catégories populaires et à leurs « ruses », mais également la configuration des rapports de force à l’échelle locale, les « techniques » et le degré de disponibilité post-électorale de chaque patron, la variété des contre-dons dispensés, les montants précis versés par les adversaires en présence aux « lièvres » électoraux, aux chefs de groupes, aux agents et aux électeurs. Peu à peu, un savoir-faire spécialisé s’acquiert d’une expérience à l’autre, sur le tas, ou en lien avec la participation aux réunions et aux formations délivrées pendant les campagnes électorales.
64En outre, ces acteurs manifestent une capacité à construire des identités conflictuelles et à monter en généralité, aussi bien dans la formulation des problèmes de leur environnement, que dans l’évaluation des dysfonctionnements d’une campagne, dans l’élaboration de stratégies électorales ou encore dans l’analyse de la « crise des partis » à l’échelle nationale. Au gré de leur socialisation électorale, associative, ou de la proximité professionnelle avec un univers « politisé », ils glanent des informations, emploient un vocabulaire puisé dans le répertoire associatif et partisan. De plus en plus, ils se réfèrent à leur mobilisation pendant l’élection en employant le verbe « militer », ce qui n’était pas le cas au cours des mobilisations observées au début des années 2000. Parallèlement, une inversion du cens électoral s’observe ne serait-ce que ponctuellement : les plus dotés statutairement et cognitivement semblent céder la place aux plus dominés. Bien davantage, les « dominés » exigent de se faire « payer » pour figurer sur une liste électorale, tout en aspirant à d’autres types de rétributions.
65La ligne de partage entre partis de militants et partis de notables, observée à Casablanca jusqu’en 2002, tend donc à se brouiller en 2009. En premier lieu, la rémunération des agents électoraux se routinise. À un deuxième niveau, l’insertion des enfants du quartier dans les listes impose un alignement relatif sur le « marché » et un glissement de la salarisation des agents à celle d’une partie des candidats.
66À l’instar de ce que nous avons observé dans les campagnes électorales de l’Istiqlal, les candidats « enfants du quartier » sont rétribués de plusieurs manières : à une indemnité journalière (du même ordre que celle versée aux agents) s’ajoutent des rémunérations financières, en partie conditionnées par le résultat obtenu. Toutefois, la « salarisation » est loin d’exclure des attentes d’un autre ordre de la part des membres de la liste originaires des bidonvilles et des « quartiers ». En échange de leur mobilisation, ceux-ci espèrent également des biens divisibles supplémentaires (emploi, intercession en vue de régler un problème personnel ou familial). Bien davantage, ils aspirent très explicitement à l’obtention de biens indivisibles : accompagnement juridique dans la création d’une association, intermédiation pour faire accéder celle-ci à des ressources, infrastructures pour le quartier, politiques favorisant une restructuration ou un recasement dans de bonnes conditions, etc. Autrement dit, des attentes de rétributions de plusieurs ordres se dégagent. En l’absence de ferveur militante, plus la relation de clientèle et les espérances de réforme sont incertaines, plus les rétributions immédiates sont requises. Enfin, du point de vue des clients, le don n’excuse en aucun cas un déficit de « déférence mutuelle » (O’Gorman, 1984) : le patron doit maîtriser le « protocole de la proximité et de l’humilité » (Zaki, 2009a, p. 49), veiller à donner sans humilier, « prendre des nouvelles » en dehors des élections, « garder le contact », « donner ne serait-ce qu’un coup de fil ».
67Relevons par ailleurs que la salarisation attise les tensions inhérentes à un processus si peu routinier. D’une part cohabitent deux têtes de liste, plusieurs équipes et sous-groupes, des néophytes et des initiés, des « enfants du quartier » et des militants aux représentations parfois antagonistes. D’autre part, en l’absence d’une véritable hiérarchie et d’une discipline, acquises dans la durée par des partis comme l’Istiqlal, le principe de « comptabilité » des voix amplifie les rivalités internes. Certains demeurent attachés au principe du « bénévolat » ; ce ne sont pas nécessairement des militants de l’USFP, mais des acteurs originaires de l’univers associatif. En revanche, la tête de liste ordinaire, en tant qu’entrepreneur « opérationnel » et « pragmatique », considère que la « professionnalisation » des relais autorise l’exigence de résultats.
68Le glissement qui s’est opéré bien des années plus tôt au sein de l’Istiqlal s’esquisse dans la campagne électorale de l’USFP observée en 2009. Au lieu de contribuer personnellement (par leurs cotisations, leurs dons en espèce, en nature et en temps), des militants en bas de l’échelle sociale et partisane, exaspérés à leur tour de « se faire avoir », substituent, à la relation militante supposée horizontale, des rapports verticaux, « professionnels » ou de clientèle entre un salarié et un patron.
69En définitive, avec six fois plus d’agents et de ressources qu’en 2003 – dans l’espoir de mobiliser le double des voix –, les listes USFP n’obtiennent en 2009 qu’un seul siège dans l’arrondissement d’Anfa, soit un de moins qu’en 2003. La différence au niveau du découpage de la circonscription ne suffit pas à expliquer ce résultat. À l’échelle de la scène électorale marocaine, les modalités diversifiées d’appropriation du moment électoral par les acteurs révèlent non seulement la difficulté de la gauche gouvernementale à s’ajuster, comparativement à l’Istiqlal, mais également un mouvement de fond : celui de l’inversion ponctuelle du principe censitaire.
Conclusion
70Pendant les années 2000, le marché électoral accueille de nouveaux profils que ce soit au niveau des candidats, des intermédiaires ou des agents. Les notables ou les aspirants à la notabilité doivent s’ajuster, ou du moins composer avec les « notoires » dont les profils se popularisent. Effet paradoxal des modalités de libéralisation de ce marché, un phénomène d’inversion se manifeste à deux niveaux. Comme nous l’avons vu, il est en lien, d’une part, avec le comportement électoral d’une partie des couches moyennes qui, lorsqu’elles ne votent pas pour le PJD entre 2007 et 2016, tendent à déserter les urnes en raison même de leur « sophistication politique », et de leur indépendance intellectuelle et matérielle. Il s’articule, d’autre part, avec les mutations du vote des catégories populaires urbaines. N’ayant plus à se rendre aux urnes sous la menace des autorités politiques, leur voix a acquis une valeur – au moins marchande – dans un contexte de clientélisme concurrentiel. Dès lors, leurs marges de manœuvre s’accroissent et les déférences sont ponctuellement « mutuelles ». S’observe alors un glissement de la « politique des notables » à celle du « patronage démocratique » (Agulhon, 1979), mêlant hiérarchie et élan égalitaire, donnant à voir la descente plus ou moins apprêtée de « big women » et d’hommes d’affaires (de gauche) dans les bidonvilles, mais ouvrant aussi la voie aux acculturations mutuelles et, bien au-delà, à la (re)configuration des conditions de l’élection en contexte autoritaire.
71Il n’en demeure pas moins que la démobilisation électorale s’amplifie, y compris au sein des catégories populaires. De plus en plus d’électeurs trouvent peu à gagner ou à perdre dans les transactions électorales. Tout au long des années 2000, alors que la scène électorale se transforme en peau de chagrin, les arènes protestataires s’érigent en hauts lieux de nationalisation des conflits politiques. De fait, les recompositions qui se cristallisent à partir de la fin des années 1990 affectent significativement les modes d’articulation entre politique instituée et action protestataire.
Notes de bas de page
1 D’après P. Grémion (1976, p. 261, p. 263) : « Les notables passent, le système notabiliaire demeure. » D’après cet auteur, le « pouvoir notabiliaire est lié […] à une structure de l’État qui, elle, est permanente ». Il se nourrit du caractère centralisé de l’État et, en retour, il « devient peu à peu le garant de son maintien ». Dès lors, seules « les données de l’interaction centre/périphérie changent ».
2 Sing. moul chekkara, au sens premier, l’homme au portefeuille.
3 Voir à ce sujet les distinctions que fait M. Offerlé (1985, p. 166, note 1) : « Biens privés divisibles : argent, emplois privés, bien de salut ; / Biens privés indivisibles : faveurs collectives ou menaces de sanctions collectives ; / Biens publics divisibles : faveurs personnelles, décorations, secours publics, postes administratifs ou électifs, menaces de renvois ; / Biens publics indivisibles : offre de discours politiques, politiques publiques (nationales, locales, catégorielles). »
4 Inspiré des tableaux réalisés par M. Offerlé (1985).
5 Voir la distinction faite par M. Sahlins (1963, p. 290-291, 295) entre, d’une part, le big man mélanésien des sociétés lignagères sans différenciation politique, qui doit son statut à ses efforts, à son mérite, à sa capacité de se distinguer d’autres « hommes ambitieux » et de « démontrer » qu’il possède des aptitudes « qui commandent le respect » et, d’autre part, le chef polynésien qui a hérité son pouvoir du fait de sa position au sein d’une sorte d’aristocratie tribale et qui n’est pas tenu de démontrer ses aptitudes.
6 Ce profil se rapproche de celui du « big man » en Afrique, analysé par J.-F. Médard (1992), qui doit l’essentiel de son enrichissement à son accès privilégié aux ressources publiques.
7 Ici, ils se manifestent par la capacité à construire une identité et des intérêts collectifs, à collecter des ressources collectives, à se coordonner et à mobiliser le groupe.
8 Considéré comme le fondateur de l’école sociologique marocaine, il joue un rôle central, entre 1958 et 1963, dans la constitution de l’Équipe interdisciplinaire de recherches en sciences humaines (EIRESH) – sous forme de coopérative ouvrière –, qui est la première tentative interdisciplinaire dans le Maroc indépendant. Il coordonne les Études générales pour l’aménagement du Grand Haouz, au sein de l’Office national de l’irrigation (ONI), puis devient directeur de l’Office du Haouz en 1966. Parallèlement, il enseigne la sociologie du développement au Centre d’études économiques de Rabat, puis la sociologie rurale à l’Institut agronomique et vétérinaire Hassan II (IAV).
9 Sur ce concept de M. Agulhon (1979), voir la note qui lui est consacrée dans le chapitre précédent.
10 Entretien réalisé par l’autrice, en janvier 2010, avec le responsable d’une section de l’Istiqlal à Casablanca, qu’il a contribué à réorganiser à partir des années 1980.
11 Entretien réalisé par l’autrice, au siège régional de l’Istiqlal à Casablanca, en juin 2009.
12 Sur un parachutage moins réussi, voir A. Allal (2009).
13 Entretien réalisé par l’autrice, au siège régional de l’Istiqlal à Casablanca, en août 2007.
14 Il existe très peu de traces au sujet de cette association.
15 L. Zaki (2004) relève des mises en scène très similaires pendant la campagne électorale du candidat du RNI en 2002 dans la même circonscription.
16 Des groupes désormais sollicités pour accueillir les mariés au son de leurs percussions.
17 Notes de terrain et photos prises par l’autrice en juin 2009.
18 D’après les statistiques officielles, le grand Casablanca connaît en 2009 un taux de chômage de 11,6 % (pour 9,1 % à l’échelle nationale), qui s’élève à 31,6 % chez les 15-24 ans (Haut-commissariat au Plan, 2010, p. 30).
19 Les sources officielles du ministère de l’Intérieur étaient accessibles pour une courte durée sur : [http://www.elections2003.ma/] ; [http://www.elections2009.ma/]. Elles ne sont même plus disponibles dans les archives d’Internet.
20 Ces chiffres m’ont été rapportés par le candidat qui a conduit la liste « ordinaire » de l’USFP dans la circonscription pendant les communales de 2009. D’après son témoignage, les résultats des scrutins précédents, détaillés par bureau de vote, lui ont été transmis par des « sources internes » du parti. Ces proportions ont été confirmées par les équipes électorales des autres partis politiques suivis pendant cette enquête.
21 Entretien réalisé par l’autrice, au siège de l’Istiqlal, à Casablanca, en août 2007.
22 Observations et entretiens répétés réalisés par l’autrice en 2007, 2009 et 2015 dans la circonscription d’Anfa. Outre le suivi de campagnes électorales dans d’autres circonscriptions de Casablanca, les données collectées permettent de reconstruire rétrospectivement les tendances qui se dessinent à Anfa en 2002 et en 2003.
23 Entretien réalisé par l’autrice, à Casablanca, en janvier 2010.
24 En français « autocritique », l’un des ouvrages de référence d’Allal El Fassi qui l’a rédigé pendant son exil au Gabon et publié en 1951. Il y présente ses conceptions réformatrices.
25 Situé dans le quartier de Bourgogne, il aurait été acheté par Yasmina Baddou en 2002.
26 En 2007, le SMIG urbain au Maroc est d’environ 2 100 dirhams.
27 Pour rappel, l’une des nouveautés du scrutin de 2009 réside dans la constitution d’une circonscription complémentaire en vue de renforcer la représentativité des femmes au sein des communes. Ainsi, à côté des listes électorales « ordinaires » qui peuvent comporter aussi bien des hommes que des femmes, la mise en concurrence de listes « additionnelles » permet de réserver aux femmes 10 à 14 % des sièges à pourvoir, et ce en fonction de la population de la commune.
28 Encore faut-il rappeler l’encadrement des élections par une administration ostentatoirement interventionniste jusqu’au milieu des années 1990.
29 Voir l’association des partis politiques aux « témoins des conflits révolus » par D. L. Seiler (1993) en référence à l’approche de S. M. Lipset et S. Rokkan (1967).
30 Dans le cadre de la campagne électorale de 2007, un député USFP a organisé des focus groups. À cette occasion, il a réalisé que l’enseigne du parti le desservait auprès des cadres moyens (entretien réalisé par l’autrice, à Casablanca, en avril 2008).
31 Une autre version de cette section a été publiée (Bennani-Chraïbi, 2016).
32 Entretien réalisé par l’autrice, à Casablanca, en juin 2009.
33 Elle aurait quitté sa section d’origine parce qu’elle ne serait pas parvenue à se faire désigner en tant que candidate dans la circonscription où elle était conseillère jusqu’en 2009.
34 Entretien réalisé par l’autrice avec l’élue sortante, à Casablanca, en juillet 2009.
35 Pour ce qui est de la liste additionnelle, la candidate en tête de liste a puisé dans ses relations en dehors du parti, plutôt dans le milieu associatif : une amie médecin, une femme d’affaires et une encadrante dans la fondation dont elle est vice-présidente.
36 Entretien réalisé par l’autrice avec la tête de liste ordinaire, à Casablanca, en juin 2009.
37 Entretien réalisé par l’autrice, à Casablanca, en juillet 2009.
38 Pour M. Foucault (2001, p. 112), cela renvoie à des « types de discours » qu’une société « accueille et fait fonctionner comme vrais », et qui sont produits, contrôlés, sanctionnés, valorisés à travers des « mécanismes », des « instances », des « techniques » et des « procédures ».
39 Pour H. Becker (1985, p. 171), ce sont des « créateurs de normes » et de catégories.

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