Chapitre 4 – Les reconfigurations de la scène partisane entre libéralisation et délibéralisation
p. 161-189
Texte intégral
1Depuis la mise en place de l’« alternance consensuelle » en 1998, la libéralisation relative se traduit par l’extension de l’offre partisane, la revalorisation de la filière partisane au niveau du recrutement ministériel et une quasi-monopolisation des mandats électifs par les partis. Parallèlement, la fragmentation s’accentue, les discours disqualifiant la classe politique s’amplifient et les rangs des abstentionnistes ne cessent de se renforcer. Dans ce jeu changeant, les règles sont explicites et implicites, les prescripteurs nombreux, et leurs injonctions contradictoires. Libéraliser l’accès à la scène partisane, tout en freinant son émiettement et en excluant les acteurs non agréés. Institutionnaliser et réhabiliter l’action partisane, tout en resserrant son quadrillage. Crédibiliser la voie des urnes et combattre l’abstention croissante, tout en évitant qu’une formation prétende à l’hégémonie en démontrant une capacité de mobilisation électorale supérieure à celles de ses concurrents.
2Ces ambivalences ressortent sur plusieurs plans. Bien que le scrutin de 2002 soit érigé en événement fondateur, il aboutit à la nomination d’un Premier ministre « technocrate ». En dépit d’un coût d’entrée en politique moindre, l’(auto-)exclusion se manifeste à l’échelle organisationnelle et à travers une démobilisation électorale croissante. Alors même que les partis deviennent des acteurs prééminents, ils sont plus stigmatisés que jamais, ce qui transparaît dans les dispositifs visant à les institutionnaliser.
Les paradoxes d’un scrutin « fondateur » : les législatives de 2002
3Révélatrices des non dits de la « nouvelle ère », les législatives du 27 septembre 2002 trahissent également des codifications concurrentes de la « bonne gouvernance ». Les institutions de Bretton Woods ont érigé cette notion fourre-tout en précondition du développement durable, de la démocratisation et de l’accès aux financements internationaux (Catusse, 2003). Le 12 octobre 1999, moins de trois mois après son intronisation, Mohammed VI prononce un discours imprégné par ce bréviaire : « État de droit », « nouveau concept d’autorité », « décentralisation », « démocratie locale », « développement économique et social », « cadre incitatif pour les opérateurs économiques », « réforme de la justice ». Deux ans plus tard, il enterre les espérances de ceux qui désiraient qu’il emprunte la voie de Juan Carlos. Dans le premier entretien qu’il accorde à la presse étrangère, il déclare : « Les Marocains n’ont jamais ressemblé à personne et ils ne demandent pas aux autres de leur ressembler. Les Marocains veulent une monarchie forte, démocratique et exécutive » (Le Figaro, 8 septembre 2001). Mais, pour Abderrahman Youssoufi, les législatives de 2002 sont supposées matérialiser « le changement politique ».
Des « urnes en plexiglas »… pour désigner un Premier ministre technocrate
4En 2002, la mise en scène d’urnes transparentes en « plexiglas » et l’élaboration de dispositifs sophistiqués, sous le regard d’observateurs nationaux et internationaux, succèdent au temps du bourrage des urnes et du rôle actif des agents de l’autorité dans l’incitation au (« bon ») vote.
5Un nouveau code électoral est adopté. Le mode de scrutin uninominal à un tour est remplacé par le scrutin de liste à la proportionnelle selon la règle du plus fort reste. Le redécoupage agrandit les circonscriptions électorales, réduit leur nombre (de 325 à 91), tout en leur accordant un nombre restreint de sièges, ce qui atténue l’effet attendu de la proportionnelle. Par ailleurs, des zones rurales sont incorporées dans les circonscriptions urbaines. Officiellement, l’enjeu est de politiser, de dépersonnaliser le vote en réduisant le poids de l’argent, des dépendances sociales, et d’avantager les partis dotés d’une marque politique, de ressources humaines et matérielles suffisantes pour couvrir l’ensemble des circonscriptions. Dans les faits, il s’agit tout autant d’endiguer la progression électorale du très urbain Parti de la justice et du développement (PJD).
6Pour renforcer la lutte contre la marchandisation des voix, le bulletin unique est introduit et l’encre indélébile adoptée. Autre changement de taille, la révision de la loi électorale introduit un quota féminin de 10 % dans la Chambre des représentants. Cette mise en scène d’« un nouveau décor pour une nouvelle intrigue » est accompagnée d’une campagne de communication sans précédent, sous l’impulsion de l’Intérieur, et de la mobilisation d’un collectif d’associations en vue de sensibiliser les électeurs et d’observer le scrutin (Catusse, 2007). En décalage avec cette intrigue, des résistances transparaissent.
7Contrairement aux premières annonces, les résultats ne sont présentés que 48 heures après le scrutin, suscitant des rumeurs au sujet d’un « raz-de-marée » du PJD que l’Intérieur se serait empressé de « corriger ». Ce parti s’impose en tant que principale force dans les villes en dépit d’un mode de scrutin défavorable et de l’autolimitation dont il a fait preuve : il n’a présenté des listes que dans 56 circonscriptions sur 91. Officiellement, il arrive au 3e rang (42 sièges) derrière l’USFP (50) et l’Istiqlal (48). Mais, selon des membres de son bureau politique, il aurait obtenu 71 sièges (Catusse, 2007, p. 177).
8Deuxièmement, plutôt que de reconduire Abderrahman Youssoufi à la tête du gouvernement, du fait de l’arrivée de l’Union socialiste des forces populaires (USFP) en première position, Mohammed VI nomme au poste de Premier ministre, Driss Jettou, une personnalité sans appartenance partisane, un « technocrate », celui-là même qui a organisé les législatives de 2002 en tant que ministre de l’Intérieur (encadré 13). Cette décision royale fait suite à la difficulté de constituer une majorité aussi bien pour l’USFP que pour l’Istiqlal, plus que jamais en compétition. Elle donne lieu à commentaires contrastés, dont certains incriminent les partis politiques. Pour sa part, le bureau politique de l’USFP publie un communiqué indigné sans pour autant renoncer à siéger dans le nouveau gouvernement. Youssoufi justifiera cette participation par un choix difficile : participer et « cautionn[er] la méthode non démocratique », ou s’en abstenir et « condamner toute l’expérience à l’échec »1. Néanmoins, en octobre 2003, il annonce au bureau politique sa démission du poste de premier secrétaire et de l’USFP. Comme en 1993, il s’agirait d’un acte de protestation contre le Palais et contre les siens. Dans le discours qu’il prononce à Bruxelles le 23 février 2003, il souligne que les élections de 2002 devaient constituer un « vrai tournant vers la démocratie effective ».
9Pour ceux qui en doutaient, ces législatives et leurs développements signalent que « l’adoubement royal » demeure décisif même s’il se présente sous un autre habillage. Par ailleurs, ils mettent en évidence la réactualisation de la figure du technocrate.
Encadré 13 : Driss Jettou, incarnation d’une figure ministérielle technocratique
Né en 1945 à El Jadida, ce fils de petit commerçant originaire du Souss réalise une forte mobilité sociale, à l’écart des arcanes de l’État. Il poursuit ses études supérieures à la faculté des sciences de Rabat, puis au Cordwainers College à Londres. Dès la fin des années 1960, il fait fructifier ses affaires dans différents secteurs d’activité. Au début des années 1990, ses engagements associatifs sont en lien avec sa carrière d’entrepreneur. Son entrée en politique emprunte la voie de l’accès direct au centre. Remarqué par Hassan II, il débute sa carrière ministérielle en 1993. À l’instar d’autres technocrates, il a des compétences valorisées et certifiées, y compris à l’étranger, et peut se targuer d’expériences sur le terrain. En 1996, il gagne une stature politique en intervenant auprès du roi pour mettre fin à la « campagne d’assainissement » qui met à rude épreuve les milieux d’affaires (voir infra). Dès son intronisation, Mohammed VI, auquel il a enseigné l’économie, en fait son conseiller. Lors de la fondation en 2002 de Siger, le holding financier de la famille royale, il en devient le représentant dans plusieurs conseils d’administration. En 2001, sa nomination à la tête de l’Intérieur constitue une bifurcation. Ce portefeuille cesse d’être l’apanage des figures issues de l’administration territoriale et de la sûreté nationale pour être confié à un homme qui a plusieurs ressources : des compétences de gestionnaire, la confiance royale, le respect des milieux d’affaires et de bonnes relations avec les dirigeants des partis politiques. À l’issue des législatives de 2002, ce sont également ces dispositions qui semblent l’habiliter aux yeux du Palais.
Le technocrate, incarnation d’une « bonne gouvernance » dépolitisée
10Entre 1965 et 1998, les gouvernements sont en grande majorité composés de ministres labellisés « technocrates », « techniciens » ou « indépendants ». Peu à peu, les ingénieurs prennent le pas sur les juristes (Vermeren, 2003). Sous la nouvelle ère, le technocrate recouvre « une virginité moralement entamée par la part de responsabilité qu’il porte dans la survenue de ce l’on a qualifié de “crise cardiaque” » (Bouabid, 2007, p. 22).
11L’apologie de cette figure est associée à la conception de la « bonne gouvernance » promue par le Palais. Le 20 août 2003, à l’occasion du 50e anniversaire de la « Révolution du roi et du peuple », Mohammed VI présente son « projet de règne ». C’est le point de départ d’« un projet collectif et participatif d’étude, de réflexion et de débat sur l’évaluation rétrospective du développement humain au Maroc depuis son Indépendance, et sur la vision de ses perspectives pour les vingt prochaines années » (RDH50, 2006, p. 2). Une centaine de chercheurs et d’experts sont mis à contribution. Publié en 2006, le rapport « 50 ans de développement humain au Maroc et perspectives pour 2025 » est présenté comme la base incontournable de tout programme partisan.
12Dans le prolongement du « mythe d’une gouvernance dépolitisée » (Jobert, 2003), la production des grandes orientations relève du roi « éclairé ». C’est dans ce cadre que la figure du technocrate, un label flou, est opposée à celle de l’acteur partisan. Le premier se distinguerait par sa « compétence » attestée par des diplômes prestigieux, et par son expérience dans la haute fonction publique ou dans l’entreprise. Il serait prédisposé à faire preuve d’« efficience », de « rationalité » et de « rigueur » dans la gestion publique. Quant aux partis politiques, ils seraient « incapables de faire émerger les talents » (Belal, 2007, p. 38 ; Tozy, 2008). Dès lors, le roi n’aurait d’autre choix que de confier des portefeuilles ministériels à des « technocrates », et de déléguer des compétences gouvernementales à des commissions, des conseils et des fondations qui relèvent directement de lui (Allal et Kohstall, 2010).
13À travers ce récit anti-partisan, le dispositif autoritaire marocain célèbre la performance, tout en réduisant la représentation à une dimension strictement procédurale. Pourtant, « les coups de théâtre encadrant la “percée” du PJD remettent sur le devant de la scène la légitimité élective, dans des dimensions “vertueuses” et “virtuelles” » (Catusse, 2007, p. 181). L’asymétrie croissante entre les capacités de mobilisation électorale du PJD et celles des autres partis politiques est telle qu’elle impulse de nouvelles tentatives de réorganisation de la scène partisane.
Cartographie d’une scène partisane entre « balkanisation » et repolarisation
14La libéralisation politique incarnée par la formation du gouvernement d’« alternance » se traduit par une prolifération de partis politiques. Sur 25 partis en compétition en 2002, 10 sont créés entre 2001 et 2002, et 10 autres se forment entre 2002 et 2007. Cette tendance se reflète par le nombre croissant de partis représentés au sein de la Chambre des représentants (figure 7) : 15 en 1997, 21 en 2002, 24 en 2007. Mais, à partir de 2011, s’observe une inflexion (17), qui se confirme en 2016 (12).
Figure 7 – Nombre de partis représentés dans la Chambre des représentants (1963-2016).

15Les successions gouvernementale et monarchique s’accompagnent de scissions et de recompositions (figure 10). Elles favorisent aussi l’expression de vocations politiques. Cependant, des initiatives fédératives se dessinent. L’une d’entre elles aboutit à la création du Parti authenticité et modernité (PAM), qui aspire à restructurer le système partisan marocain et à faire contrepoids au PJD. Sur un autre plan, les suspensions de partis politiques, la persistance de l’exclusion d’Al Adl wal ihsane (AWI) contribuent à délimiter symboliquement les frontières externes de la sphère politique instituée.
Fragmentation et tentatives de recompositions
16Au début des années 2000, deux processus sous-tendent la fragmentation de la scène partisane. D’une part, les partis politiques se sont transformés en « scènes de conflit », et le décalage entre l’appareil partisan, le « party in office » (ministres, élus) et le « parti-électorat » s’est accru (Kasmi, 2015, p. 255). Cela se traduit, pour des familles politiques à l’instar de l’UNFP-USFP et du Mouvement populaire, par une nouvelle vague de scissions, puis par des tentatives de recompositions. D’autre part, des formations célèbrent l’entrée en politique d’acteurs tels que les « entrepreneurs » et les membres de la « société civile ».
Scissiparité accélérée au sein de l’Union socialiste des forces populaires et tentatives de recomposition de la gauche
17L’USFP apparaît comme le principal perdant de l’alternance. Néanmoins, elle reste de manière ininterrompue dans les coalitions gouvernementales entre 1998 et 2011, alors même qu’elle passe du 1er rang à l’issue des législatives de 1997 et de 2002, au 5e rang en 2007. Les crises publicisées manifestent des divergences autour de la participation au gouvernement, des luttes de pouvoir, des différences en termes d’insertion dans l’appareil du parti et d’accès aux ressources. Les défections qui se produisent à l’occasion du congrès national de 2001 n’épuisent pas les sources de tension. Après les résultats décevants aux communales 2003, l’indiscipline est à son comble. Avant sa démission, Abderrahman Youssoufi peine à réunir le bureau politique et le parti est l’objet de plusieurs scissions (figure 8). En 2001, Noubir Amaoui, né en 1935 à Ben Ahmed, fondateur et dirigeant de la Confédération démocratique du travail (CDT), crée le Congrès national ittihadi (CNI), qui connaît à son tour un schisme en 2006. En 2002, une partie des intellectuels et de la jeunesse fondent l’association Fidélité à la démocratie. En 2005, un ancien secrétaire d’État dans le gouvernement d’Abderrahman Youssoufi crée le Parti travailliste. Mais, à la veille des législatives de 2007, l’USFP mène une « politique d’ouverture » et intègre le Parti socialiste démocratique (PSD).
18En parallèle, la Gauche socialiste unifiée (GSU) matérialise en 2002 la convergence entre l’Organisation de l’action démocratique et populaire (OADP), des groupes de la gauche radicale (le Mouvement des démocrates indépendants, le Mouvement pour la démocratie) et des « potentialités de gauche », appellation donnée à des figures des années 1970 sans affiliation. En 2005, la constitution du Parti socialiste unifié (PSU) concrétise la jonction entre la GSU et Fidélité à la démocratie. Après avoir formé en 2007 une coalition électorale, l’Alliance de la gauche démocratique (AGD), le PSU et deux autres partis issus de la matrice USFP – le Parti de l’avant-garde démocratique et socialiste (PADS) légalisé en 1992 et le CNI – se regroupent dans la Fédération de la gauche démocratique (FGD) en 2014. Cependant, les changements de nom et les difficiles apprentissages du travail en commun affectent les performances électorales (tableau 4).
Tableau 4 – Les résultats électoraux de la gauche non gouvernementale pendant les législatives (1997-2016).

Figure 8 – Scissions et fusions au sein de la matrice UNFP-USFP.

L’arborescence signale des scissions, la relation indique une fusion lorsque le trait est continu, une alliance lorsque le trait est discontinu.
La famille politique du Mouvement populaire entre segmentation et réunification
19Au début de la nouvelle ère, la mouvance issue du Mouvement populaire (MP) continue également à se segmenter (figure 9). En 2001, des élus du Mouvement national populaire (MNP) créent le parti de l’Union démocratique (UD). En mars 2002, Najib Ouazzani, né en 1955 à Nador, chirurgien et député de Nador depuis 1993, regroupe des membres du MP, du MNP et de l’UD au sein d’Al Ahd (le Pacte). Lors des législatives de 2002, ces partis obtiennent des résultats inégaux. Par anticipation du « raz-de-marée » du PJD, le Palais les incite à se réunifier en 2006. Le MP, le MNP et l’UD répondent à cet appel et se fédèrent dans l’Union du Mouvement populaire. Pour sa part, Al Ahd participe à la fusion impulsée par le PAM, mais Najib Ouazzani ne tarde pas à s’en retirer. En 2009, il reconstitue le parti sous le nom d’Al Ahd addimocrati (le pacte démocratique)2.
Figure 9 – Scissions et fusions au sein de la mouvance issue du Mouvement populaire.

L’arborescence signale des scissions, la relation indique une fusion lorsque le trait est continu, et une circulation d’adhérents lorsque celui-ci est en pointillé.
De nouvelles vocations : des partis pour les « entrepreneurs »
20L’entrée des entrepreneurs en politique s’inscrit dans le prolongement de deux dynamiques (Catusse, 2008). D’une part, le patronat représenté par la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM) s’affirme, à l’occasion de la « campagne d’assainissement » de 1996, en s’opposant frontalement au ministère de l’Intérieur (Hibou, 1996). Pour rappel, en octobre 1995, Hassan II présente le dernier rapport de la Banque mondiale et annonce que le Maroc est « au bord de la crise cardiaque ». En février 1996, le royaume signe des accords de libre-échange avec l’Union européenne. Durant cette phase, les incitations à lutter contre l’évasion fiscale, la corruption, la contrebande, le trafic de drogue, etc. proviennent de toute part. C’est dans ce contexte qu’une vaste opération orchestrée par Driss Basri débouche sur l’arrestation d’hommes d’affaires, des procès spectaculaires et des violations dénoncées par les associations de droits humains : « Opération de communication à l’adresse des partenaires étrangers et européens en particulier, ce fut aussi l’occasion d’une correction, dans tous les sens que peut prendre ce terme, d’un monde de l’entreprise qui exprimait quelques velléités d’autonomisation » (Catusse, 2008, p. 176).
21D’autre part, le changement politique devient l’objet « d’un “grand récit” aux diverses versions avec ses héros et ses contre-héros, dont les “entrepreneurs”, puis plus récemment dans une moindre mesure les “technocrates” et les “city managers” pourraient jouer le rôle de figures de proue symboliques » (Catusse, 2002a, p. 121). Parallèlement à la diffusion du « mythe technocratique », l’« économisation du politique » se traduit par la constitution de la « bonne gestion » et des « compétences économiques » en qualités politiques.
22À la veille des législatives de 2002, deux nouveaux venus cristallisent ces tendances. Le parti Forces citoyennes (FC) est impulsé par Abderrahim Lahjouji (1941-2021), natif de Meknès et héritier d’une entreprise spécialisée dans le bâtiment et les travaux publics, ancien président de la CGEM (1994-2000), qui doit sa renommée à sa résistance pendant la campagne d’assainissement. Son objectif déclaré est d’inciter les entrepreneurs à s’investir dans la sphère politique et à prendre en charge le développement du pays. Pour sa part, l’Alliance des libertés (ADL) est fondée par Ali Belhaj, né à Berkane en 1960, élu dans les années 1990 sous les couleurs de l’Union constitutionnelle (UC), puis du Parti du progrès et du socialisme (PPS). À cette époque, cet administrateur et expert international perçoit une opportunité pour la construction d’une « droite moderne » (Bennani-Chraïbi, 2004b). En 2008, il se rallie à une nouvelle offre partisane.
Émergence d’un Léviathan : le Parti authenticité et modernité
23Des catégories du langage politique marocain demeurent structurantes. Dès sa gestation, le Parti authenticité et modernité (PAM) est accusé d’être le « parti administratif » de la nouvelle ère. D’après ses adversaires, il a pour vocation d’emporter les élections prévues en 2012 et de parachever le verrouillage du jeu politique. Ce serait une version du Front de défense des institutions constitutionnelles (FDIC) « revue et corrigée par le nouveau Makhzen » (Desrues et Kirhlani, 2009, p. 315). Certes, plusieurs éléments donnent une impression de déjà-vu : son impulsion par un ami du roi, sa poussée électorale fulgurante et l’attraction exercée sur les élus d’autres groupes parlementaires, son rejet des idéologies, le type de critiques qu’il adresse aux autres formations, le fait même que son programme et les figures mises en avant soient en adéquation parfaite avec la doxa officielle du moment. Cependant, un cadrage exclusivement en termes de « parti administratif » laisse de côté des aspects qui éclairent la convergence au sein d’une même organisation d’acteurs aux parcours de politisation diversifiés (Eibl, 2012).
24La virulence des réactions suscitées par la création du PAM est largement liée au profil de son principal fondateur. Fouad Ali Himma est non seulement un proche du monarque, mais également l’un des hommes les plus influents du régime en ces années 2000. Né en 1962 à Marrakech, il compte parmi les condisciples du futur Mohammed VI au Collège royal, puis à la faculté de droit de Rabat. D’après sa fiche Wikipédia3, « il effectue un stage de neuf ans » (1986-1995) au ministère de l’Intérieur sous la férule de Driss Basri. Alors même que son parcours le dispose à accéder directement aux arcanes de l’État, il se présente aux élections sans affiliation partisane, dans sa région d’origine non loin de Marrakech. Après son succès aux communales en 1992, il préside ainsi le conseil municipal de Benguerir jusqu’en 1997, puis devient député de Skhour Rhamna (1995-1997). Peu avant la succession, il est rappelé auprès du prince héritier en tant que directeur de cabinet. À l’instar d’autres anciens élèves du Collège royal, il fait partie du premier cercle du nouveau roi. Ce faisant, il développe une entreprise de relations publiques florissante. À partir de 1999, il retourne à l’Intérieur, d’abord en qualité de secrétaire d’État, puis de ministre délégué (2002-2007). Pendant huit ans, il prend en charge des dossiers sensibles : les questions sécuritaires, le montage de l’Instance équité et réconciliation (IER) créée en 2004 pour tourner la page des « années de plomb », la loi sur les partis politiques de 2006, l’ingénierie électorale, etc. Sur un autre plan, il tisse des réseaux, notamment dans l’associatif, le monde de l’entreprise, la haute fonction publique et les médias.
25À ce niveau déjà, il convient de nuancer le parallèle qui est souvent fait entre Fouad Ali Himma et Ahmed Réda Guédira. Certes, l’un et l’autre ont réalisé une très forte mobilité sociale et une carrière dans les hautes sphères de l’État en lien avec leur amitié précoce avec le prince héritier. À quelques décennies d’écart, leurs talents sont reconnus par l’ami devenu roi et ils créent des partis politiques pour mettre en œuvre le projet royal du moment. En revanche, ils se distinguent au moins par certaines de leurs dispositions et par les stratégies qu’ils adoptent dans des contextes différents. Guédira est haï par les dirigeants politiques de son époque et n’a aucune clientèle en nom propre. Pendant les législatives de 1963, il est ministre de l’Intérieur et ne doit sa courte victoire à Casablanca qu’aux divisions de l’UNFP. Quant à Himma, il met à profit sa position au cœur du ministère de l’Intérieur pour mobiliser plusieurs cercles. Mais il renonce à sa fonction, avant de se présenter en tête de liste aux législatives de 2007 et d’emporter les trois sièges de la circonscription de Rhamna. Cette fois-ci, quand « le “favori” du roi cherche les faveurs des électeurs » (Bendella, 2009), les ressorts d’une victoire aussi fracassante sont à la jonction entre deux sources de légitimité : descendante et ascendante. Autrement dit, les électeurs perçoivent et anticipent les bénéfices qu’ils peuvent tirer d’un élu aussi proche du roi, et l’élu peut se targuer d’un ancrage local convertible en mandat électoral.
26Si le FDIC et le PAM résultent, l’un comme l’autre, d’une stratégie fédérative qui vise à réduire une asymétrie électorale avec l’opposition du moment, le processus d’émergence du parti de Fouad Ali Himma s’ajuste à la configuration politique du milieu des années 2000. Au lendemain des législatives de 2007, les trois élus de Rhamna créent le groupe parlementaire « Authenticité et modernité » en fédérant des élus issus de sept petites formations politiques. Moins d’un an plus tard, en août 2008, le PAM puise dans deux viviers. Le premier est composé de cinq des sept partis qui ont formé le groupe parlementaire (figure 10) : le Parti national démocrate (PND), Al Ahd, le Parti de l’environnement et du développement (PED), l’ADL et l’Initiative citoyenne pour le développement (ICD). Le second vivier est une association politique qui agrège les réseaux tissés par Fouad Ali Himma dans différents secteurs de la société.
27Le 17 janvier 2008, un communiqué intitulé « Le Maroc de demain » annonce la création du Mouvement pour tous les démocrates (MTD). La liste des onze signataires incarne les profils promus dans le Maroc de la nouvelle ère : l’ancien secrétaire d’État est entouré de puissants hommes d’affaires, de « technocrates », de figures de la « société civile » et d’anciens prisonniers politiques. Ces derniers sont pour la plupart passés par le Mouvement marxiste-léniniste marocain (MMLM) des années 1970, puis se sont mobilisés dans les organisations de droits humains à partir de la fin des années 1980. Dès le début du règne, ils prennent part à l’une ou l’autre des initiatives impulsées par le Palais, à l’instar de l’IER et du Rapport du cinquantenaire. Certains d’entre eux sont impliqués dans les discussions avec le secrétaire d’État à l’Intérieur au sujet du règlement des « années de plomb ». Pendant ces échanges, ils tissent avec lui des relations de confiance qui se renforcent dans le cadre de l’IER. Les pourparlers entre « militants et hommes du palais » susciteront d’ailleurs de fortes tensions internes, entre autres au sein du Forum vérité et justice4 (Vairel, 2014, p. 280).
28Tandis que certains perçoivent dans le PAM une matérialisation de la réconciliation sous-jacente au projet de l’IER, d’autres expriment leurs suspicions vis-à-vis d’un mouvement qui attire les « opportunistes », les « démocrates makhzéniens » et les « gauchistes déçus » (Benchemsi, 2008). Vu sous un autre angle, ce parti tend à cristalliser des parcours de politisation et de reconversion partisane des figures mises en valeur sous Mohammed VI. Parmi eux, des « hommes d’affaires » et des membres de « la société civile » avaient essayé de créer leur propre parti en 2002, puis réalisé la difficulté de monter une machine électorale. L’ADL en est une bonne illustration. Quant aux profils issus du MMLM qui rejoignent le MTD, puis le PAM, certains d’entre eux peinent à se réinsérer professionnellement ou se reconvertissent dans le secteur des droits humains. Dans l’ensemble, ils se distinguent par une notoriété personnelle accumulée à travers plusieurs luttes. En rejoignant Himma, ils espèrent « ouvrir une dynamique », disposer de « machines électorales » (encadré 14), voire réaliser le destin politique auquel ils aspirent.
Encadré 14 : Un militant des droits humains au Parti authenticité et modernité
Habib Belkouch compte parmi les onze signataires du communiqué « le Maroc de demain », puis parmi les fondateurs du PAM. Dans l’entretien qu’il m’accorde le 20 août 2008 au Centre d’études en droits humains et démocratie (CEDHD) à Rabat, il revient sur le parcours qui le conduit du Mouvement marxiste-léniniste aux droits humains, puis au PAM.
Il voit le jour en 1954 à El Jadida. Son père y était mis en résidence par les autorités du Protectorat. Ce khalifa* et son frère caïd* d’une tribu des environs de Safi avaient refusé de se rallier au pacha Glaoui (chapitre 1). À l’indépendance, ce premier exerce en tant que magistrat à Marrakech ou dans sa région.
Au début des années 1970, le jeune Habib participe aux mobilisations lycéennes et sympathise avec le Mouvement du 23 mars. Arrêté en 1974, il passe cinq ans de sa vie en détention. Il sera privé de passeport jusqu’en 1994. À sa sortie de prison, il a une licence en philosophie. Il obtiendra également un diplôme d’études approfondies en histoire de la philosophie. Sur le plan professionnel, il mène différentes expériences : enseignement secondaire, journalisme, traductions, etc. En 1983, il est recruté dans la commission nationale de l’Unesco. Dix ans plus tard, il devient permanent bénévole à l’Organisation marocaine des droits de l’homme (1993-1998), dont il sera l’un des vice-présidents. À la même époque, il adhère à la section d’Amnesty International (1994-1998). Au cours de ces années, il se professionnalise dans les droits humains. L’avènement du gouvernement Youssoufi constitue une aubaine professionnelle pour de nombreux militants. De 1998 à 2000, Habib Belkouch est recruté en qualité d’expert consultant auprès du ministre des Droits de l’homme, qui n’est autre qu’un ancien de l’OMDH. Deux ans plus tard, il est nommé directeur du Centre de documentation, d’information et de formation en droits de l’homme (CDIFDH), nouvellement créé dans le cadre d’une coopération entre le ministère des Droits de l’homme, le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme et le PNUD (2000-2005). Ensuite, il est directeur du programme migration au sein du Réseau Euromed des droits humains (2005-2006), et préside le CEDHD, une organisation non gouvernementale fondée en 2005. Par ailleurs, il dirige ou coordonne des programmes de coopération internationale, accompagne les travaux de l’IER et participe à la rédaction de différents rapports, dont celui du Cinquantenaire.
Dans la phase de gestation du MTD, il est approché par des personnes qu’il a fréquentées à différents moments de son parcours : le Mouvement du 23 mars, la prison, l’OMDH, le gouvernement Youssoufi, le CDIFDH, le Rapport du Cinquantenaire, etc. Dans l’entretien qu’il m’accorde au lendemain de la création du PAM, il explique que tout a commencé avec la volonté de lancer des débats publics autour des recommandations de l’IER et du Rapport du Cinquantenaire. À l’instar d’autres acteurs, il exprime son dépit face au peu d’intérêt suscité par ces documents. Il constate que la libéralisation politique a bouleversé l’ensemble de la classe politique, précipitant les partis politiques dans la course aux mandats au détriment de la quête d’une stratégie politique. Il s’inquiète de la montée de l’islamisme sous ses différentes facettes. Dans un tel contexte, ses camarades et lui décident de se joindre à tous les acteurs politiques qui partagent leurs aspirations, peu importe leur « couleur politique », l’essentiel étant d’« ouvrir une dynamique ». Ils réalisent d’autant plus les limites de l’action associative que plusieurs projets de loi sont sur le point d’être discutés au Parlement.
En septembre 2008, Habib Belkouch se présente aux élections partielles à Marrakech, le berceau de sa mère et la ville où il a grandi. Avant même de subir un échec électoral, il est conscient qu’« il ne suffit pas d’être une personne intègre et cultivée », ni de tenir « un bon discours » pour gagner des élections. Un « apprentissage » s’impose et il faut composer avec la « réalité sociale » qui prévaut au Maroc : des élus disposent de fiefs et mobilisent les voix sur une base tribale, clientélaire, ou grâce à des « machines électorales ». En août 2008, il insiste toutefois sur la nécessité de « lutte[r] contre l’utilisation de l’argent et des moyens de l’État ».
29Le premier objectif déclaré du PAM est de compenser les déficiences des partis existants sous trois angles : contribuer « à la clarification du paysage politique marocain, aujourd’hui trop éclaté » ; réconcilier les citoyens avec la politique et « représenter la majorité silencieuse » ; rassembler les forces vives du royaume – « la société civile » –, et promouvoir le travail de proximité, le développement local et la régionalisation5. La deuxième visée – la principale – est de contrecarrer la montée du « danger fondamentaliste » et de contrebalancer la poussée électorale du PJD. Plus globalement, le parti se donne pour programme la mise en œuvre des orientations du Rapport du cinquantenaire et des recommandations de l’IER selon les perspectives qui se dessinent dans les discours royaux (Eibl, 2012, p. 54). Si Ahmed Réda Guédira était l’idéologue du FDIC et si les propositions de l’UC portaient l’empreinte des politiques d’ajustement structurel, le PAM se réclame du dispositif de « gouvernance dépolitisée » promu par la monarchie.
30Cependant, le volontarisme affiché par ce parti se heurte rapidement aux contradictions inhérentes à ce mariage entre l’« eau » et « l’huile », selon les termes utilisés par un jeune adhérent du parti quelques années plus tard :
« Le premier jour, il y a eu un effet de nouveauté comme pour tout nouveau produit commercial. […] On a considéré que le PAM était la solution à tous les problèmes des Marocains, on a considéré que Fouad Ali Himma, l’ami du roi, c’était la main qui bénissait les gens. […] Mais quand la rivière gonfle, tu ne sais pas ce qu’elle charrie […]. Il y a eu la volonté de fondre dans un même tissu une gauche vraiment extrême et une droite vraiment extrême […]. Comme si tu voulais mélanger l’eau et l’huile » (entretien réalisé par l’autrice pendant le congrès du parti, à Bouznika, le 18 février 2012).
31À peine créé, le PAM observe les défections en boule de neige des composantes issues du PND, d’Al Ahd et du PED, qui se reconstitueront en tant que partis. Officiellement, leurs dirigeants refusent la mainmise du MTD (Eibl, 2012, p. 54). À l’occasion des élections partielles de septembre 2008, seul l’un des cinq candidats présentés par le parti se fait élire. Les figures des années 1970 ne parviennent pas à convertir leur notoriété de militants de droits humains et d’anciens prisonniers politiques en capital électoral. Selon les témoignages recueillis, cette expérience est décisive dans le revirement qu’observe le parti. À l’issue du congrès constitutif de 2009, le poids de la « société civile » tend à baisser au niveau de l’appareil partisan en cours de structuration.
32En revanche, le pouvoir d’attraction du parti de l’ami du roi est tel que celui-ci ne tarde pas à devenir la première force au sein de la Chambre des représentants, où le mouvement de transhumances atteint son comble entre 2007 et 2010 (tableau 56). En effet, en 30 mois, 82 élus changent d’appartenance partisane et, en comptabilisant ceux qui le font jusqu’à trois fois, cela donne 111 transferts (Challot, 2010). Le premier bénéficiaire est le PAM. Tandis que les grandes formations comme le Rassemblement national des indépendants (RNI) et l’Istiqlal s’en sortent, toutes les autres en souffrent à des degrés divers, à l’exception de l’USFP et du PJD.
Tableau 5 – Transhumances dans la Chambre des représentants entre 2007 et 2010.

33En somme, le PAM présente bien un air de famille avec le FDIC, le RNI ou l’UC. Pourtant, il ne constitue pas une simple réplique d’une formule du passé, ne serait-ce que parce qu’il matérialise une partie des transformations à l’œuvre pendant la nouvelle ère. Du reste, le fait même qu’il peine à s’affirmer face au PJD montre qu’il ne bénéficie pas des mêmes soutiens de l’administration que le RNI ou l’UC, du moins avant 2016.
Figure 10 – Recompositions dans la scène partisane dans les années 2000 et 2010.

L’arborescence signale des scissions, la relation indique une fusion lorsque le trait est continu, une alliance lorsque le trait est discontinu, et une circulation d’adhérents lorsque celui-ci est en pointillé.
Légalisations et mises hors-jeu
34Outre les nouvelles vocations, les scissions, les fusions et les impulsions des proches du cercle royal, le processus de légalisation d’organisations issues des arènes protestataires des 1960 et 1970 se poursuit non sans heurt.
35À l’extrême gauche se trouve Annahj Addimocrati (Voie démocratique). Constituée en 1995, cette organisation se réclame de l’héritage marxiste-léniniste d’Ila al Amam. Parmi ses fondateurs, figurent d’anciens prisonniers politiques, à l’instar d’Abdellah El Harif, né en 1946 à Meknès, un ingénieur diplômé de l’École nationale supérieure des mines (Paris), condamné en 1977 à la prison à vie, puis libéré en 1991, et de Mustapha Brahma, né en 1955 à Casablanca, diplômé de l’École Mohammadia d’ingénieurs (EMI), détenu entre 1984 et 1994. Après de longs pourparlers avec l’Intérieur, le parti organise son congrès constitutif en 2004. Mais, en dépit de sa légalisation, il continue à fustiger le « despotisme » monarchique et à défendre le droit des Sahraouis à l’autodétermination. Pendant les campagnes électorales, ses militants appellent au boycott, ce qui leur vaut des arrestations. Ses ramifications sont importantes dans le syndicalisme et les associations de plaidoyer (notamment l’Association marocaine des droits humains).
36Des groupes assimilés à la « gauche islamique » tentent également d’intégrer la sphère politique instituée. Tout en étant issus du Mouvement de la jeunesse islamique (MJI) comme le PJD, ils s’en distinguent sur le plan idéologique, au point de gagner le soutien de la gauche radicale et de l’extrême gauche. Constitué en 1995, Al Badil al hadari (Alternative civilisationnelle) est légalisé en 2005 après une grève de la faim menée par ses dirigeants. En gestation depuis 1998, Hizb al oumma (Parti de la Oumma) peine à se faire reconnaître par les autorités. Il organise son congrès constitutif au siège du PSU en 2006, mais n’est officialisé qu’en 2012, dans le sillage des protestations de 2011. Animés par des intellectuels, ces deux partis revendiquent un projet démocratique, se réclament à la fois de l’islam et de la « sagesse humaine », et condamnent le recours à la violence (Darif, 1999, p. 115, p. 290-292).
37En revanche, l’organisation Al Adl wal ihsane (AWI) demeure (auto-)exclue de la politique instituée. Elle persévère dans son refus de reconnaître au roi le statut de commandeur des croyants, tout en se saisissant de chaque opportunité pour mettre en scène sa capacité de mobilisation et son rejet de « tout dérapage ». Elle bénéficie d’un « régime de tolérance dans l’interdiction » (Vairel, 2018, p. 281). Néanmoins, à partir de 2006, les mesures répressives à l’encontre de ses membres s’exacerbent, sans pour autant porter atteinte à son capital organisationnel collectif. En 2011, un sympathisant de la gauche radicale relève avec humour qu’AWI est « la seule véritable organisation marxiste-léniniste du Maroc ». Pour sa part, le Parti démocratique amazigh marocain tente d’accéder à la reconnaissance légale entre 2005 et 2008, mais se la voit refuser au regard de la loi sur les partis politiques promulguée en 2006, qui confirme la proscription de la fondation de partis politiques sur une base religieuse, linguistique, ethnique ou régionale.
38Reste à souligner la réversibilité de l’accès à la sphère politique instituée. En effet, en 2008, à la suite d’accusations de terrorisme, Al Badil est dissous. Ses dirigeants, ceux d’Al Oumma, de même que des membres du PJD sont arrêtés et condamnés dans le cadre de l’affaire Belliraj7, ce que les organisations de droits humains dénoncent comme une instrumentalisation de la loi contre le terrorisme votée en 2003. Ce registre est investi y compris par les adversaires du PJD. Après les attentats de 2003, des voix se sont élevées pour réclamer l’interdiction de ce parti accusé d’être « moralement responsable » de ces actes de violence.
39Dans l’ensemble, ces phénomènes d’exclusion et d’auto-exclusion se cristallisent par un boycott actif fondé sur une remise en cause du jeu politique officiel et de ses règles. Pour autant, celui-ci ne canalise pas l’ensemble des expressions de démobilisation électorale.
L’amplification de la démobilisation électorale
40Depuis 2007, au lendemain de chaque suffrage législatif, la presse marocaine annonce le triomphe du « parti abstentionniste ». Les analyses convergent sur un point :
« La tendance est lourde : les Marocains s’inscrivent moins, se déplacent moins pour voter et mettent de plus en plus de bulletins nuls dans l’urne, alors même que l’offre politique devient, à chaque élection, plus pléthorique » (Tafra, 2016).
41Un tel constat incite à aborder une autre facette des « cens cachés8 » de l’universalisation du suffrage, tout en gardant à l’esprit que les chiffres homogénéisent facticement la pluralité des voix de l’abstention et des votes invalides (Offerlé, 2002, p. 101). Soulignons d’ores et déjà que les données disponibles ne permettent pas d’identifier avec précision les propriétés sociales des Marocains en âge de voter qui expriment, passivement ou activement, leur éloignement par rapport à la scène électorale, et encore moins leurs trajectoires de (non-)participation d’un scrutin à l’autre. En revanche, « l’approche écologique du comportement électoral » (Rivière, 2017), impulsée au Maroc par R. Leveau, connaît un nouvel élan (Goeury, 2014). Pour esquisser les grandes tendances de la démobilisation électorale, nous recourons essentiellement aux données consolidées et traitées par l’équipe de Tafra (encadré 159). Ensuite, nous examinerons les formes de politisation qui sous-tendent un tel phénomène.
Encadré 15 : Les traitements des données électorales réalisées par Tafra
Créé en 2015, Tafra est un think tank marocain qui aspire à « proposer des solutions pratiques pour une interprétation et une mise en œuvre démocratique de la Constitution de 2011 ». Son équipe est composée de politistes, de juristes, d’un géographe et d’un ingénieur, formés au Maroc, en France et aux États-Unis. La démarche privilégiée par l’association consiste à lancer des passerelles entre l’univers de la recherche et la cité, et à faciliter l’accès à l’information.
Les traitements présentés dans les tableaux 6 et 7 ont été réalisés par Younes Benmoumen, cofondateur de Tafra, en amont d’une publication (Tafra, 2016). Ils utilisent les statistiques démographiques produites par le Haut-Commissariat au Plan, et les données électorales publiées par le ministère de l’Intérieur et disponibles dans Le Petit Marocain jusqu’en 1977, Le Matin du Sahara entre 1984 et 2002, le site officiel [www.elections.ma/] entre 2007 et 2016. En cas de données manquantes, la source secondaire la plus fiable est privilégiée (notamment Lopez Garcia, 2013). À partir du scrutin de 2002, le nombre de votes valables et de bulletins nuls est calculé sur la base des listes locales, et non de la liste nationale. Pour notre part, concernant les législatives de 1963, nous avons opté pour les résultats consolidés publiés par R. Leveau (Marais, 1964a) et repris par B. Lopez Garcia.
La démobilisation électorale en chiffres
42Entre 1963 et 2016, le nombre de votes valables reste relativement stable (tableau 6). L’augmentation de la population marocaine et du nombre de citoyens en âge de voter ne se traduit pas par un accroissement du nombre d’inscrits, et encore moins du nombre de votants et des votes valables. Retenons en particulier que le ratio du nombre de votants par rapport au nombre estimé de la population en âge de voter passe de 54 % en 1963 à 28 % en 2016 (tableau 7).
43Après le pic atteint à la veille de la formation du gouvernement d’alternance (86 % en 1997), le taux d’inscription n’a cessé de baisser (tableau 7), en dépit des mesures prises pour faciliter les démarches administratives et des campagnes publicitaires menées de concert avec des associations. Cette tendance est marquée chez les jeunes de 18-24 ans, qui représentent 24 % de la population en âge de voter mais seulement 9 % du corps électoral (Goeury, 2014). Elle se retrouve aussi dans les périphéries des grandes agglomérations et les provinces sahariennes : « d’une part parce qu’une partie des militants sahraouis refusent de participer à des élections organisées par Rabat, d’autre part parce que de nombreux travailleurs venus du nord du pays ne se sentent pas impliqués dans la politique locale » (ibid.).
44Sur le long terme, les taux de participation observent également une courbe décroissante, à quelques exceptions près. Nous l’avons vu, les scrutins des années 1970 portent la marque des différentes mises en scène de la représentation par Hassan II, des emprises politiques, du quadrillage administratif et des dépendances sociales dans un Maroc en majorité rural. Au tournant du millénaire, les annonces messianiques de nouveaux départs n’enrayent pas la baisse de la participation, qui atteint le record de 37 % en 2007. À l’occasion des législatives qui suivent les protestations de 2011 et la réforme constitutionnelle, l’augmentation ponctuelle du taux de participation trahit la perception d’un tournant politique. Par-delà cet aperçu global, d’importantes variations sont relevées à l’échelle territoriale. Les provinces les plus faiblement peuplées, situées pour l’essentiel dans les territoires sahariens, se distinguent par les taux de participation les plus élevés – tout en enregistrant de très faibles taux d’inscription10. Inversement, les grandes agglomérations observent les taux de participation les plus bas (ibid.).
45Bien qu’il n’y ait aucune distinction entre les votes invalidés « par erreur » et les votes blancs, notons enfin une corrélation entre les forts taux de participation et les faibles les taux de vote nul, et vice versa. En 2007, la circonscription casablancaise d’Anfa, lieu de voisinage entre les bidonvilles et les quartiers huppés de la ville, bat tous les records : 26 % de participation et 36 % de vote nul.
Tableau 6 – Le corps électoral de 1963 à 2016 (traitements Tafra).

Tableau 7 – Taux d’inscription, taux de participation, ratios du nombre de votants et de votes valables par rapport à la population en âge de voter de 1963 à 2016 (traitements Tafra).

Une démobilisation différentielle selon les formes de politisation
46La démobilisation électorale en contexte autoritaire est souvent expliquée par l’environnement politique, l’ingénierie électorale et les configurations sociales. Dans les régimes à pluralisme limité, la légitimité des élections, le niveau de participation électorale et la confiance dans les gouvernants et dans les institutions publiques seraient très faibles (Carothers, 2002). Au Maroc, les changements fréquents de loi électorale amplifient le désarroi des électeurs. En outre, le fait qu’un trop grand nombre de partis soient en lice pour peu de sièges par circonscription (soit une faible magnitude) fausse la proportionnelle, décourage la compétition et la participation électorale. Les distorsions produites par l’ingénierie électorale exacerbent ces tendances. À titre d’exemple, les taux records de participation dans les provinces sahariennes sont associés à la petite taille de ces circonscriptions (Goeury, 2014 ; Veguilla, 2004). Néanmoins, ces facteurs dissuasifs s’exercent différemment selon les propriétés sociales des personnes en âge de voter, de leur insertion sociale et de leur rapport au politique. Sur la base des enquêtes qualitatives que nous avons menées en 2002 et en 2007 dans deux circonscriptions de Casablanca, nous allons montrer que l’abstention et le vote nul expriment des attitudes allant de l’expression d’une « conscience politique » à un rejet fondé sur une opposition entre un « nous » (le peuple, les exclus, etc.) et un « eux » (la « classe politique »).
La démobilisation électorale des « sophistiqués »
47Dans le prolongement d’une politisation élitaire, des personnes dotées en capitaux culturels invoquent leur aptitude à discerner le jeu politique pour justifier le fait qu’elles boudent les urnes ou votent blanc. Selon leurs dires, la compétition électorale ne porte pas sur les enjeux essentiels du pouvoir. Les modalités de déroulement de l’activité électorale ne permettent pas l’émergence d’une majorité cohérente. Les résultats des urnes ne pèsent pas sur les prises de décision politique, en raison d’un parlement et de gouvernements faibles, et du rôle central joué par l’exécutif monarchique. Certains relèvent que leur voix sera perdue : les gouvernements hétéroclites rassemblent systématiquement les adversaires de la veille. D’autres encore expriment leur réticence à mélanger leur voix avec les bulletins de ceux qui vendent la leur.
48Il arrive aussi que l’abstention ou le vote blanc sanctionnent un parti en particulier. En 2007, c’est le cas pour l’USFP qui est passé de la première position en nombre de sièges en 2002 à la 5e position en 2007. Lorsque ses anciens électeurs n’ont pas reporté leur voix sur d’autres formations, ils ont boudé les urnes. Les reproches des désenchantés sont de plusieurs ordres. D’abord, la faiblesse des réalisations, le décalage entre le discours tenu dans les rangs de l’opposition avec la réalité de l’action gouvernementale. Ensuite, le fonctionnement interne du parti, ses compromissions, ses silences ou son soutien à la répression ciblée, la rupture avec les bases. Enfin, le parti aurait les mêmes pratiques que les autres : enrichissement des élus, gestion clientélaire et familialiste des biens publics et des positions éligibles.
« Crise de la représentation politique » et expression d’une exclusion sociale
49L’abstention et le vote blanc se nourrissent plus largement du terreau de la « crise de la représentation politique » (Catusse, 2004). Ils traduisent alors une opinion sur la classe politique dans son ensemble : « tous corrompus, tous opportunistes, tous vendus ». Les traces de ces représentations se retrouvent dans les propos des enquêtés, mais aussi dans les insultes griffonnées sur les bulletins de vote.
50Le mandat électoral est souvent considéré comme une « échelle de richesse », un ascenseur social vertigineux. D’une part, l’on se représente un élu propulsé dans un univers de relations profitables à proximité du centre du pouvoir, bénéficiant institutionnellement d’une immunité parlementaire dont il ferait mauvais usage. D’autre part, l’importance de l’indemnité parlementaire et des avantages qui l’accompagnent est dénigrée au regard de la pauvreté qui sévit dans le pays. Le nomadisme d’un parti à l’autre « à la recherche du gain à tout prix », « l’acoquinement » avec des personnes de mauvaise réputation, l’argent dilapidé « comme s’il s’agissait de faire de la publicité pour Omo et Javel11 » sont cités comme autant de preuves de la marchandisation de la scène électorale. Ce registre ne cessera de s’imposer. En 2017, Nasser Zefzafi, l’icône des protestations du Rif, dénoncera les « boutiques politiques ».
51L’absence de réalisations constitue un autre registre de défiance : « ils n’ont rien fait pour nous », « ils ne viennent nous voir que pendant les élections et après ils disparaissent ». Une montée en généralité s’opère à partir de l’évocation de son cas personnel, ou de celui du groupe auquel on s’identifie : le quartier, les jeunes, les pauvres, les investisseurs, etc. L’on souligne alors que les grands maux du pays sont toujours là : chômage, problèmes de logement, de santé et de l’éducation, infrastructures déficientes, analphabétisme, corruption, clientélisme, relations difficiles avec l’administration, les barques de la mort, etc.
52Derrière le discrédit des candidats et des élus se terrerait un sentiment d’exclusion, à l’échelle individuelle ou collective, qui s’articule parfois avec la perception de soi comme incompétent.
Des expressions d’illégitimité sociale et culturelle
53À travers les entretiens réalisés, la démobilisation électorale est perceptible chez les électeurs faiblement dotés en capitaux culturels et en bas de l’échelle sociale. Si elle tend à s’associer à un sentiment d’illégitimité et d’incompétence, ou à un déficit d’insertion sociale, elle trahit aussi le desserrement conjoncturel ou durable des emprises sociales et politiques.
54Tout d’abord, rappelons qu’avec l’introduction du bulletin unique l’électeur doit tenir un stylo, tracer deux croix pour indiquer son choix relatif aux circonscriptions nationale et locale, sans dépasser le cadre, une opération délicate pour ceux qui n’ont jamais été scolarisés. En outre, la multiplication des partis et des sigles, les recompositions à répétition de l’offre politique – qui se traduisent par l’ajout de nouveaux symboles – rendent le bulletin de vote illisible. Bien que les candidats focalisent une partie de la campagne électorale en milieu populaire sur les apprentissages du vote, les nouveautés restent difficiles à assimiler.
55Soulignons enfin que les électeurs des années 2000 ne craignent plus les représailles des autorités. Ils se sentent donc autorisés à ne pas s’inscrire sur les listes électorales et à ne pas se rendre aux urnes. De ce point de vue, l’amplification de la démobilisation électorale résulterait de l’universalisation du vote (Tingsten, 1975).
56En somme, le phénomène observé est multifactoriel : un pluralisme limité dominé par l’exécutif monarchique, une offre politique peu lisible, une ingénierie électorale qui entrave la constitution d’une majorité homogène, des changements incessants de la loi électorale, un desserrement des emprises des autorités, relayé par une marchandisation du vote. Sans compter que les chiffres amalgament marginalisés sociaux et exclus politiques, « incompétents » et « trop compétents », indifférents et impliqués, réfractaires constants et irréguliers. L’un des enjeux de certaines initiatives et dispositifs vise justement à crédibiliser le jeu politique officiel, tout en encadrant la politique instituée.
L’institutionnalisation équivoque du fait partisan
57Pendant les années 2000, plusieurs intervenants érigent les partis politiques en problème majeur, tout en œuvrant à leur revalorisation. L’institutionnalisation du fait partisan, à partir de 2006, et la constitutionnalisation des « avancées démocratiques », en 2011, portent l’empreinte de ces ambivalences. Dans l’ensemble, ces processus trahissent des transactions collusives entre une partie des acteurs partisans et le Palais en vue de maintenir le statu quo dans une monarchie où le roi règne et gouverne.
Le fait partisan au cœur des ambivalences de la loi
58Après l’instauration en 1958 d’un code des libertés, inspiré par la loi française de 1901, le statut des partis politiques subit d’importantes restrictions. Sous le gouvernement Youssoufi, la loi sur les associations de 2002 libère le système déclaratif des entraves introduites pendant les années de plomb (Bulletin officiel, 2002). Cependant, la loi des partis politiques promulguée en 2006 les réintroduit partiellement et sous d’autres formes (Bulletin officiel, 2006).
Une loi des partis politiques pour quoi faire ?
59Depuis l’avènement de Mohammed VI, le discours sur la crise des partis politiques ne cesse d’être relayé par un large éventail d’énonciateurs : le roi, les médias, les acteurs de la « société civile », les promoteurs internationaux de la démocratie, et comme nous l’avons vu des citoyens ordinaires. Le diagnostic reste le même : émiettement de la scène partisane, marchandisation des élections, transhumance des élus d’un parti à l’autre, absence de démocratie interne, etc. Les partis politiques se retrouvent ainsi face à des injonctions tous azimuts, dont les discours royaux se font les principaux porte-voix.
60En position de surplomb, le roi s’érige en prince éclairé qui « oriente » les partis politiques12. Il les incite à se « réhabiliter », à emprunter la voie de la « vertu » et de l’action politique « noble », et leur donne des leçons de « transparence » et de « rationalité ». Il les somme de prendre « leurs responsabilités » et de devenir des « écoles de la démocratie ». Il les met en garde contre la « balkanisation » et les invite à faire émerger une « majorité homogène » et une « opposition constructive », tout en leur recommandant de se mettre « en phase avec leur époque » en dépassant les oppositions entre « droite » et « gauche » au profit de la « bonne gouvernance » et de l’« intérêt général ». Ce faisant, il donne des instructions pour l’élaboration d’une loi propre aux partis politiques.
61La loi promulguée en 2006 comporte un long préambule et 62 articles (Bulletin officiel, 2006). Ensuite, dans le prolongement de la révision constitutionnelle de 2011, une loi organique relative aux partis politiques est adoptée (Bulletin officiel, 2011). En 2015 puis en 2016, de nouveaux amendements sont apportés (Bulletin officiel, 2016). C’est dire à quel point les partis politiques font l’objet d’une surproduction normative13. À l’examen, ce corpus laisse entrevoir de nombreuses ambiguïtés (Bendourou, 2005-2006 ; Kasmi, 2015). Officiellement, l’enjeu est de constituer les partis politiques en socle de la démocratisation du Maroc en favorisant leur institutionnalisation, leur financement, leur « réhabilitation », et la recomposition de la scène partisane. Officieusement, deux objectifs sont poursuivis : réduire l’asymétrie grandissante entre les capacités de mobilisation électorale du PJD et celle des autres partis ; soumettre l’accès à la sphère politique instituée et son fonctionnement à un contrôle étroit.
62Le projet de loi relative aux partis politiques est en gestation depuis 2004. Le premier texte produit par le ministre de l’Intérieur soulève un tollé au sein de la classe politique. Après une révision de la première mouture, le texte est adopté par le conseil des ministres en mars 2005. Au Parlement, il est vivement critiqué par l’opposition de gauche (PSU, PADS, CNI) et par le PJD. Mais il obtient le vote de la majorité parlementaire (Istiqlal, USFP, PPS, MP, RNI). Les dispositions qui visent à « réhabiliter » le fait partisan emportent l’assentiment, y compris d’opposants de la gauche radicale (Sassi, 2015). En revanche, la mise sous tutelle administrative constitue une pomme de discorde.
Des dispositions pour « réhabiliter » le fait partisan
63Le fait même de consacrer une loi spécifique aux partis politiques, qui les différencie des associations, est perçu comme un signe positif. Bien davantage, la loi de 2006 souligne leur centralité dans la participation, « par des voies démocratiques, à la gestion des affaires publiques », et dans « l’organisation » et « la représentation des citoyens » (Bulletin officiel, 2006), ce qui est consolidé par la constitution de 2011. De ce point de vue, elle va à contre-courant des textes constitutionnels de 1970 à 1996 qui mettent en concurrence le rôle des partis politiques avec celui des syndicats, des collectivités locales et des chambres professionnelles.
64Sur un autre plan, la loi statue que les partis politiques doivent avoir un programme, des statuts et un règlement intérieur (article 20) dûment approuvés par le congrès national, auquel incombe l’élection des « structures organisationnelles centrales » (article 22). Pour bénéficier du financement public, il faut réunir ce congrès au moins tous les cinq ans (article 40), durée ramenée à quatre ans en 2011 (article 49). Par ailleurs, le choix des candidats aux positions dirigeantes du parti et aux consultations électorales est supposé obéir à « des principes démocratiques » (article 21, 24), et les partis politiques sont exhortés à intégrer un « nombre proportionnel » de femmes et de jeunes dans leurs instances dirigeantes (article 22).
65La loi s’est également attaquée à la question du « nomadisme ». Tout en reconnaissant la liberté d’adhésion, elle proscrit le changement d’appartenance partisane au cours d’un mandat parlementaire, sous peine de déchéance (article 5, 2006). En revanche, cette sanction peine à s’appliquer pour les élus qui siègent au conseil d’une collectivité territoriale ou à une chambre professionnelle.
66Sur le plan du financement, les ressources doivent être d’origine nationale (article 31) et un seuil est délimité pour les dons (article 28). Sous peine de sanction, les partis sont tenus de faire certifier leurs comptes par un expert-comptable, de les soumettre annuellement à la Cour des comptes et de justifier l’utilisation du financement accordé par l’État au titre des campagnes électorales (section IV des lois de 2006 et de 2011). Entre 2006 et 2016, le calcul des subsides publics observe des variations qui cristallisent les incitations à former des alliances partisanes. En 2011, les dotations annuelles se déclinent en trois tranches qui s’agrègent. La première est accordée à égalité à toutes les formations qui ont couvert au moins 10 % des circonscriptions locales. La seconde est d’un montant égal à la précédente et bénéficie aux partis qui ont récolté « au moins 3 % sans atteindre les 5 % du nombre des suffrages exprimés ». La troisième est calculée de manière proportionnelle au nombre de sièges et de voix, et distingue ceux qui ont obtenu « au moins 5 % » des suffrages (article 32). De même, des subventions sont prévues pour le financement des campagnes électorales (article 34) et pour la couverture des frais d’organisation des congrès tous les quatre ans. Pour encourager la formation de pôles, les « unions » et les « fusions » sont dotées d’une personnalité morale, et les campagnes électorales des alliances électorales bénéficient du soutien de l’État. Tandis que ces mesures visent officiellement à assainir la scène partisane, d’autres reflètent la volonté d’en contrôler étroitement l’accès et le fonctionnement.
Des mesures de mise sous tutelle administrative
67Les volets de la loi de 2006 relatifs à la constitution des partis auraient été inspirés par la loi algérienne (Bendourou, 2005-2006). À l’instar de leurs homologues dans le pays voisin, les autorités marocaines sont soucieuses d’exclure de la politique instituée les groupes politiques susceptibles de porter atteinte aux « constantes » de la nation (« les principes de la révolution du 1er novembre 1954 » en Algérie, et « Dieu, la patrie, le roi » au Maroc), et d’empêcher la politisation du religieux, de l’identité et de la nation, du moins par des composantes de la société.
68D’une législation à l’autre, les conditions de nullité juridique d’une association, puis d’un parti politique, ne cessent de s’étoffer. Dans le code de 1958, l’article 3 est une adaptation de son équivalent dans la loi française de 1901. Outre l’« objet illicite, contraire aux lois, aux bonnes mœurs », les principales restrictions ont trait à « l’intégrité du territoire national » et à « la forme monarchique de l’État ». En 2002, l’« atteinte à la religion islamique » et l’« appel à la discrimination » sont ajoutés. La loi de 2006 précise l’interdiction de constituer un parti politique sur « une base religieuse, linguistique, ethnique ou régionale, ou d’une manière générale, sur toute base discriminatoire ou contraire aux droits de l’homme », ou contraire à la constitution. En 2011, le respect des « fondements démocratiques » est clairement énoncé. Dans un pays où c’est le roi qui assure la « protection du choix démocratique » (article 42 de la constitution de 2011), les « ennemis » de la démocratie sont implicitement associés aux groupes à référentiel islamique. Ces restrictions ont suscité de nombreuses critiques du fait même de leur caractère flou (Kasmi, 2015). Elles ouvrent la voie à la sanction arbitraire d’un ensemble d’acteurs : ceux qui réclament une monarchie parlementaire, ceux qui préconisent la séparation de l’État et du religieux, tout comme ceux qui revendiquent l’islamisation de l’État. Elles continuent à soustraire du débat public des questions hautement conflictuelles comme celle du Sahara.
69Par ailleurs, les ministères de l’Intérieur et de la Justice sont dotés de puissants instruments pour autoriser ou interdire la constitution d’un parti. De fait, la loi de 2006 instaure un système d’autorisation. Relevons notamment qu’elle exclut d’office les organisations qui préconisent le boycott des élections, puisque les fondateurs doivent être inscrits sur les listes électorales. En outre, le ministre de l’Intérieur a le pouvoir de suspendre des partis et le tribunal administratif de les dissoudre en cas de recours à la violence, ou d’atteinte aux « constantes » (at-tawabit) et, à partir de 2011, « aux fondements démocratiques ». Enfin, la tentative de reconstituer un parti dissous est sanctionnée par des peines d’emprisonnement et des amendes.
70Les ambivalences des législations relatives aux partis politiques au Maroc sont à l’image des registres mobilisés. Un ensemble d’instruments à caractère sécuritaire se combinent avec des dispositions fondées sur des énoncés approuvés par des opposants, de même que sur la doxa véhiculée par les acteurs de la promotion de la démocratie.
Acteurs associatifs et promoteurs de la démocratie à la rescousse des partis politiques
71À la faveur de la conjonction entre nouvelle orthodoxie du développement à l’échelle internationale et libéralisation politique au Maroc, la « société civile » émerge comme une « catégorie de l’entendement collectif » (Catusse, 2002b, p. 308), voire comme une « catégorie d’intervention publique14 ». Face à « l’usure » de partis « ringardisés » (Cheynis, 2008, p. 125), elle participe à la « mise en récit du “changement politique” » (Catusse, 2002b, p. 299). C’est dans ce contexte que des associations affirment leur volonté de contribuer à la régulation des scènes partisane et électorale. Très vite, elles bénéficient du soutien de fondations politiques allemandes ou étatsuniennes, et se font relayer par des programmes internationaux de promotion de la démocratie.
Des vocations associatives de régulation du politique
72À la veille de l’alternance, des associations politiques se développent sous l’impulsion de personnalités de gauche. La Fondation Abderrahim Bouabid pour les études et la culture (FAB) est créée en 1994 dans le giron de l’USFP, mais ne tarde pas à s’en autonomiser. Au milieu des années 1990, son Forum politique fait régulièrement la une des médias. À l’inverse du FAB, l’association Alternatives est constituée en 1995 par des intellectuels et des universitaires « en rupture de rang avec des partis de gauche » (Benmessaoud Tredano, 2015). Elle bénéficie du soutien de fondations allemandes notamment. À l’instar du FAB, c’est l’un des principaux canaux de la diffusion de la doxa transitologique au Maroc (Vairel, 2007).
73Par ailleurs, des associations de plaidoyer interviennent dans le débat public pour inscrire des questions sur l’agenda politique. Elles jouent un rôle central dans la mobilisation en faveur d’une série de réformes, à l’instar des associations féministes pour ce qui est du code de la famille (Cavatorta et Dalmasso, 2009). Certaines se mobilisent pour observer la régularité des scrutins ou accompagner l’entrée en politique des femmes (Vairel, 2009).
74À la veille des législatives de 2007, la création de l’association Daba 2007 vise à prévenir « le désastre » en référence à deux craintes : la victoire du PJD et l’abstention (Benmessaoud Tredano, 2015). Attribuant la désaffection des urnes à la déficience des partis politiques en matière de communication, elle préconise d’y remédier en recourant au marketing politique (Zaki, 2009b). Initiée par un publiciste, des hommes d’affaires et d’anciens militants de gauche, elle bénéficie d’importants financements de la part d’établissements publics, d’entreprises privées et d’organismes internationaux. Toutes ces initiatives sont appuyées par les programmes de promotion de la démocratie.
Promotion de la démocratie ou assistance à la consolidation autoritaire ?
75Après avoir suscité de grandes espérances, les programmes de promotion de la démocratie sont de plus en plus assimilés à une forme d’assistance au maintien de l’autoritarisme (Khakee, 2017).
76Considérant que les pactes fondateurs se scellent dans la sphère politique, les dernières générations de ces programmes se focalisent sur les partis et le Parlement. Perçu comme inclusif, le royaume est l’un des terrains de prédilection pour différents bailleurs de fonds : multilatéraux (PNUD, Banque mondiale), bilatéraux (Union européenne, États-Unis, pays occidentaux), ou des ONG et des fondations étatsuniennes et européennes. Le PNUD s’est concentré sur la « modernisation » de la chambre des représentants (ex. accessibilité des ressources institutionnelles) et sur la participation politique des femmes. Le National Democratic Institute s’est attelé au financement des partis à la veille des législatives de 2007. Quant à l’International Republican Institute (2006), il a cherché à renforcer les structures partisanes au niveau local et régional, et à améliorer la démocratie interne au sein des partis ainsi que leur manière de communiquer. Outre des diagnostics, ces organisations produisent essentiellement des recommandations, des formations et des accompagnements.
77Le caractère équivoque de ces initiatives réside dans le fait que l’agenda de la démocratisation est fortement concurrencé par des enjeux économiques, géostratégiques et sécuritaires, bien plus importants aux yeux des gouvernements étatsunien et européens (Durac et Cavatorta, 2009). Dès lors, certains soulignent que les révoltes de 2011 se sont produites malgré le soutien accordé par les puissances occidentales à des régimes comme ceux de Ben Ali ou Moubarak, et non grâce à leurs politiques de démocratisation (Hollis, 2012).
78Sur un autre plan, des travaux montrent que les effets de ces programmes sont très limités dans les régimes « hybrides » (Randall et Svasand, 2002), ce qui s’illustre tout particulièrement dans le cas du Maroc. Premièrement, les bailleurs de fonds ne ciblent que les acteurs légitimes à leurs yeux et à ceux du régime. Deuxièmement, leurs politiques tendraient à renforcer la stabilité de ces régimes, en les amenant à s’ajuster et à s’adapter face aux incitations à la réforme. De ce point de vue, le Maroc se distingue par sa capacité à « absorber » ce type d’assistance, en raison de l’existence d’une scène partisane dense et d’une liberté de la presse relative. Enfin, dans le royaume du moins, les partis bénéficiaires se montrent réceptifs face aux initiatives qui visent à renforcer leurs compétences, mais récalcitrants vis-à-vis de celles qui cherchent à transformer leurs relations avec la société (Bolleyer et Storm, 2010 ; Khakee, 2017). En définitive, ces mesures garantiraient le statu quo, en développant les capacités des acteurs, en les institutionnalisant, sans pour autant les inciter à se « démocratiser ». Les ambivalences qui sous-tendent l’institutionnalisation du fait partisan se prolongent au niveau de la révision constitutionnelle de 2011.
Les réaménagements constitutionnels d’une monarchie qui règne et qui gouverne
79La révision constitutionnelle de 2011 est annoncée par le roi le 9 mars 2011, soit moins de trois semaines après le déclenchement du Mouvement du 20 février. Il ne s’agit pas de revenir ici sur le processus qui a conduit à son adoption par référendum le 1er juillet 2011, ni sur toutes ses innovations. Nous mettrons l’accent sur des réaménagements de l’articulation entre les pouvoirs exécutif et législatif dans leurs effets sur le fait partisan. Des constitutionnalistes en ont relevé les avancées, tout en soulignant que « ce qui a été concédé de la main gauche a été récupéré de la main droite » (Madani, 2014, p. 80 ; Bendourou, 2012).
80L’ambivalence de la bicéphalité de l’exécutif est amplifiée sous trois angles au moins. Premièrement, le roi désigne le chef du gouvernement – titre qui remplace celui de Premier ministre – au sein du parti politique « arrivé en tête des élections des membres de la Chambre des Représentants, et au vu de leurs résultats » (article 47). Cela signifie qu’il ne peut plus nommer un « indépendant » ou un « technocrate » comme il l’a fait en 2002. Deuxièmement, le gouvernement n’est plus responsable devant le roi et le Parlement, mais uniquement devant cette dernière institution (article 88). Troisièmement, des compétences royales, revendiquées dans le temps par la Koutla, sont attribuées au gouvernement. Cependant, le gouvernement n’est pas en position de décider des « orientations stratégiques de la politique de l’État » de manière autonome. Une nouvelle instance est créée : le conseil du gouvernement qui est présidé par le chef du gouvernement. Mais, c’est le conseil des ministres, présidé par le roi, qui encadre l’activité gouvernementale et qui reste prééminent pour la nomination à différentes hautes fonctions (article 49).
81Par ailleurs, les marges de manœuvre du Parlement sont bien accrues. Le domaine de la loi s’étend notamment au droit de se prononcer sur l’amnistie et sur la ratification de certains traités internationaux. L’opposition obtient pour la première fois un statut et des garanties (article 10). De plus, l’importance de la Chambre des représentants, élue au suffrage universel direct pour cinq ans, est accentuée au détriment de la Chambre des conseillers, élue au suffrage indirect pour six ans (article 81).
82À l’issue des législatives de 2011, les islamistes du PJD, qui représentaient jusque-là la principale force d’opposition parlementaire, prennent la tête du gouvernement. A priori, du fait même de la réforme constitutionnelle de 2011, leurs prérogatives sont plus étendues que celles du gouvernement Youssoufi en 1998. Mais, la coalition gouvernementale de 2011 est hétéroclite. Outre le PJD, elle comporte l’Istiqlal, le MP et le PPS. La distorsion entre la formation du gouvernement et les résultats des urnes contribue d’autant plus à affaiblir le chef du gouvernement que celui-ci n’est pas en mesure de choisir tous les membres de son équipe. Bien davantage, de larges secteurs de l’action publique sont soustraits à la compétence du gouvernement. Ils sont confiés aux conseillers du roi, à des commissions, des conseils et des fondations qui relèvent du Palais. Ces instances sont peuplées de « technocrates », dont certains sont incités à s’encarter dans un parti pour occuper un ministère jugé stratégique.
Conclusion
83Pour les observateurs, les recompositions de la sphère partisane pendant les années 2000 laissent entrevoir tantôt des avancées, tantôt des reculs. Ce jeu est trop rapidement décrit comme « désamorcé ». Bien que le principe monarchique semble victorieux et la classe politique « cooptée » et « discréditée », les luttes pour préserver la mainmise du Palais se trahissent sur les plans symbolique et institutionnel. Le récit sur la « faiblesse », l’« inefficience », la « corruption » et la « crise » des partis fait écho à celui d’un roi éclairé au chevet de « l’homme malade ». Cependant, ces dispositifs et ces cadrages laissent aussi entrevoir la pluralisation des intervenants et des énonciateurs, ainsi que des transactions collusives entre une partie des acteurs partisans et le Palais en vue de maintenir le statu quo dans une monarchie où le roi règne et gouverne. Même lorsque la constitution de 2011 accordera au chef du gouvernement et au Parlement des pouvoirs plus étendus qu’en 1996, il restera difficile de développer une légitimité sur une base électorale. D’une part, l’offre électorale s’accroît tandis que la démobilisation électorale s’amplifie et prend différentes formes. D’autre part, la configuration qui se met en place valorise l’accumulation de mandats électoraux, tout en surdéterminant le poids de l’adoubement royal et en sanctionnant une trop forte accumulation de capitaux collectifs partisans15. Dès lors, les partis établis tendent à s’adapter aux effets intentionnels et non intentionnels de règles du jeu qu’ils ont coproduits et que la centralité du Palais a amplifiés : désormais, leur force réside dans leur faiblesse.
Notes de bas de page
1 Discours prononcé à Bruxelles le 26 février 2003 à l’occasion de la cérémonie organisée en son hommage par le ministère des Affaires étrangères belge. Disponible sur : [http://usfp-grandcasa.net/fr/index.php/l-usfp/documents/item/31-discours-de-si-abderrahmane-al-youssoufi-a-bruxelles-en-2003], consulté le 16 novembre 2020.
2 En 2016, il déposera sa candidature sous les couleurs du PJD à Al Hoceïma, mais son dossier sera déclaré irrecevable, au regard de la loi sur les partis et du règlement intérieur du Parlement.
3 « Fouad Ali El Himma », Wikipédia (page web). Disponible sur : [https://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Fouad_Ali_El_Himma&oldid=176424878], consulté le 27 décembre 2020.
4 Le FVJ est une association de droits humains créée en 1999 par des membres des groupes qui ont subi la violence de l’État pendant les « années de plomb ».
5 Parti Authenticité et Modernité, « Nos Valeurs » (page web). Disponible sur : [https://web.archive.org/web/20170101104451/http://www.pamiste.fr/nos-valeurs/], capture du 1er janvier 2017.
6 Reprise d’une partie du tableau publié par H. Challot (2010).
7 Arrêté en 2008, Abdelkader Belliraj est accusé d’être à la tête d’un réseau jihadiste et d’avoir planifié des assassinats. Par ailleurs, ce personnage aurait trempé dans le grand banditisme et servi d’informateur à la sûreté d’État belge. Sur cette affaire, voir T. Desrues et S. Kirhlani (2009), ainsi que Y. Belal (2009).
8 Pour rappel, le suffrage censitaire conditionne le droit de vote et d’éligibilité à l’acquittement d’un impôt direct au seuil variable, le cens. Inversement, l’universalisation du suffrage renvoie à l’extension de ces droits à l’ensemble des citoyens, tout en comportant des exclusions liées au sexe, à l’âge, etc. Par analogie, le concept de « cens caché » met l’accent sur la dépossession des moins dotés culturellement, économiquement et socialement. L’« intérêt et l’attention accordés aux activités et aux productions du champ politique » sont subordonnés au degré de « compétence politique » sur le plan cognitif (le fait d’être doté d’un savoir spécialisé permettant de différencier, de classer et de situer les acteurs) et statutaire (un sentiment de compétence ou d’indignité), qui varie en fonction du niveau d’instruction, et « à niveau d’instruction égal, avec le sexe, l’âge et, plus faiblement, le milieu social » (Gaxie, 1993, 31-32).
9 Tafra, « Mission » (page web). Disponible sur : [http://tafra.ma/mission/], consulté le 18 novembre 2020.
10 Selon le découpage territorial de 2009, le Maroc est divisé en 13 préfectures, à dominante urbaine, et 62 provinces, à dominante rurale.
11 Marques de lessive et de détergents.
12 Voir notamment les discours du trône des 30 juillet 2001 et 2004.
13 Pour une présentation détaillée de ce corpus, voir M. Bennani-Chraïbi (2019).
14 Dans sa thèse, É. Cheynis (2008, p. 16) met en évidence la « dimension étatique des processus d’institutionnalisation de la pratique associative » et analyse « comment l’État contribue, dans la concurrence entre des registres de justifications et de rationalisation de l’action associative, à imposer des pratiques et des représentations ».
15 Pour rappel, selon M. Offerlé (2002, p. 46), ces capitaux comportent des dimensions symbolique, organisationnelle (un appareil, des militants, des sympathisants, etc.), matérielle (des ressources provenant de cotisations, des locaux, etc.). Dans le cas du PJD, par exemple, ils permettent de constituer et d’entretenir une base électorale significative.

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