Chapitre 3 – Un pluralisme limité travaillé par la répression et par les politiques de concession (1976-1997)
p. 117-154
Texte intégral
1À partir du milieu des années 1970, le régime monarchique tente de se consolider en s’investissant dans une conquête monopolistique des ressources coercitives, symboliques et économiques, mais aussi dans une institutionnalisation de son hégémonie politique. Le Palais a désormais les moyens d’organiser un jeu politique officiel et d’en édicter les règles légales et officieuses. Mais, s’il y intègre une partie de ses opposants, il ne parvient ni à les soumettre dans l’absolu, ni à faire taire la voix de la rue, ni à entraver le développement d’autres groupes d’opposition. D’où l’intérêt de prêter attention aux articulations entre une « voie des urnes », bridée, et une « voix de la rue »1, réprimée dans le sang.
2D’une part, il s’agit de comprendre les enjeux qui sous-tendent l’instauration d’une sphère politique instituée et ce qui incite les partis de l’opposition légale2 à participer à un jeu considéré a posteriori comme « désamorcé » (Tozy, 1991). D’autre part, il convient d’appréhender la délimitation mouvante des frontières externes de la politique instituée à partir de deux analyseurs. Comment les partis de l’opposition légale tentent-ils de renégocier leur position dans cette sphère en exerçant des pressions dans l’arène protestataire ? À partir de l’exemple des islamistes marocains, comment expliquer que des groupes soient inclus dans la sphère politique instituée tandis que d’autres en demeurent exclus ?
3Durant cette séquence des années de plomb, le régime monarchique continue à procéder par tâtonnements. Par ailleurs, les reconfigurations conflictuelles des frontières de l’activité politique légale et de ses règles du jeu sont irréductibles aux interactions entre le Palais et les élites. Elles sont également façonnées par les dynamiques qui travaillent la société.
La consolidation des bases coercitives, idéologiques et économiques du régime
4Au lendemain des complots militaires et des tentatives insurrectionnelles, la monarchie se lance dans la conquête monopolistique des ressources coercitives, symboliques et économiques.
5Le conflit du Sahara occidental aidant, Hassan II adopte un ensemble de stratégies de prévention des coups d’État militaires : éloigner, surveiller, fragmenter et corrompre (Leveau, 1993 ; Saïdy, 2007). L’armée est écartée symboliquement et physiquement de la capitale. Elle cesse d’avoir pour principale raison d’être la lutte contre la société, sans pour autant se spécialiser dans la défense du territoire national. Le roi l’exclut des affaires politiques, s’assure de son contrôle direct et supprime le ministère de la Défense. Démilitarisé, le ministère de l’Intérieur joue un rôle essentiel dans la surveillance, y compris idéologique, des officiers et de leurs proches. Le recrutement, qui était à forte prédominance berbérophone et rurale, se diversifie, et un ensemble de procédés visent à entraver toute formation d’un esprit de corps, toute concentration du pouvoir ou des ressources. Les incitations matérielles sont considérables. Relevons en particulier qu’à la mort de Hassan II en 1999, la moitié des cent plus grosses fortunes du royaume aurait été entre les mains des hauts gradés de l’armée, mais aussi de l’Intérieur (Dalle, 2004, p. 682). Pour autant, ces mesures n’auraient pas dissuadé toute velléité de régicide. En janvier 1983, le général Ahmed Dlimi aurait été exécuté après avoir instigué un complot.
6La consolidation du dispositif coercitif passe par le renforcement du ministère de l’Intérieur, dont Driss Basri prend la tête de 1979 à 1999 (encadré 9). L’épicentre des zones de dissidence se déplace plus que jamais vers les grandes villes et révèle les insuffisances de l’appareil d’État (Rachik A., 2016, p. 51). Entre la proclamation de l’indépendance et le début des années 1980, la croissance démographique et l’exode rural sont tels que la population marocaine a doublé (20,4 millions en 1982) et sa composante urbaine triplé (avec un taux d’urbanisation de 43 %). À chaque fois qu’un soubresaut révèle des zones de dissidence, les autorités donnent un nouvel élan au quadrillage administratif (Naciri, 1989) et au maillage sécuritaire du territoire (Claisse, 1992).
7Dans le même mouvement, le régime tente de concentrer à son profit exclusif les sources de légitimation nationaliste et religieuse, et de monopoliser la production des orientations dans les domaines réservés qu’il s’arroge. Alors que la figure de Mohammed V est associée à l’indépendance du Maroc, la Marche verte est constituée comme un événement refondateur du règne de son successeur. Désormais, le métarécit officiel articule symbiotiquement la photo de Hassan II, le drapeau national et la carte du « Maroc de Tanger à Lagouira », une formule standardisée proclamant la marocanité du Sahara. La mise en œuvre du « consensus » sanctionne aussi bien ceux qui prônent le droit des peuples à l’autodétermination (une partie des marxistes-léninistes) que ceux qui manifestent des positions plus nationalistes que celles du souverain. En témoigne l’arrestation des dirigeants de l’Union socialiste des forces populaires (USFP) en 1981 après leur dénonciation du principe d’un « référendum contrôlé » consenti par le roi. En retour, celui-ci mobilise le soutien politique et militaire des États-Unis, ainsi que l’aide financière de l’Arabie saoudite qui permet de moderniser l’armée à moindres frais.
8Sur un autre plan, Hassan II habite désormais son rôle de « commandeur des croyants ». À partir du milieu des années 1970, le régime s’investit dans l’islamisation (El Ayadi, 2000) et l’arabisation de l’enseignement (Grandguillaume, 2004) afin de contrecarrer l’hégémonie des idéologies marxistes dans les lycées et les campus. Lorsque la révolution iranienne de 1979 contribue à constituer les idéologies islamistes en menace, il lutte plus que jamais pour le monopole de la production du sens religieux légitime. Les registres empruntés sont largement documentés : des technologies de pouvoir (Hammoudi, 2001), des dispositifs symboliques, institutionnels, matériels et coercitifs (Belal, 2011 ; Tozy, 1999). À l’image de la gestion d’autres arènes, la fragmentation de la sphère institutionnelle religieuse viserait à ériger la monarchie en institution religieuse centrale (Zeghal, 2005). Toutefois, ces mesures n’entravent pas le développement des prédicateurs indépendants et des oppositions islamistes. Au début des années 1980, le Palais renforce de nouveau le quadrillage de la sphère religieuse en procédant notamment au contrôle des lieux de culte, des prônes du vendredi, et en créant le Conseil supérieur des Oulémas.
9Pour consolider son pouvoir, Hassan II recourt également à des registres redistributifs. En pleine tentative insurrectionnelle du Tanzim, le régime réajuste sa politique économique autour de trois mesures phares. Le dahir du 3 mars 1973 décrète la nationalisation de la totalité des propriétés agricoles étrangères, accélérant ainsi la distribution clientélaire d’une partie des terres issues de la colonisation privée. Celui du 2 mars promulgue la marocanisation des entreprises (Ben Ali, 1991 ; El Aoufi, 1990). Celle-ci profite à trois types de bénéficiaires en particulier : la strate de la bourgeoisie citadine qui a déjà tiré parti de la concentration du capital pendant les années 1960 (Saâdi, 1989, p. 67), la haute frange de l’administration, le roi Hassan II, qui devient l’entrepreneur marocain le plus fortuné à partir de 1980 (Diouri, 1992). Ces deux mesures offrent au Palais un rôle essentiel dans la structuration de la bourgeoise et accroissent la dimension politique et clientélaire du jeu économique (Leveau, 1993). À noter que Waterbury (1973, p. 534) souligne, dès le début des années 1970, que la corruption « planifiée » constitue « un élément vital dans la survie du régime ». La troisième option consiste à étendre le secteur public. Elle est soutenue par le quadruplement des prix des phosphates, dont 75 % des réserves mondiales se trouvent au Maroc, puis par les crédits internationaux. L’augmentation des effectifs du public favorise l’extension des classes moyennes, et permet d’intégrer une partie des cohortes de diplômés tout en renforçant l’armature de l’administration bien au-delà du seul ministère de l’Intérieur. Après avoir décuplé pendant les dix premières années de l’indépendance, le nombre de fonctionnaires poursuit une forte croissance : 15 000 en 1955, 150 000 en 1965, 300 000 en 1975 et 500 000 en 1985 (Claisse, 1985a, p. 246). Toutefois, le royaume n’échappe pas aux retombées du choc pétrolier de 1979. Surendetté, il fait partie des premiers pays de la région à s’engager en 1983 dans la mise en œuvre d’un plan d’ajustement structurel, négocié avec le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale. Comme nous le verrons, cette politique d’austérité alimente la contestation, puis de nouveaux réajustements.
10Reste à souligner que le régime ne se contente pas de punir, de surveiller, d’accaparer la production des significations légitimes de « Dieu, la Patrie, le roi », ou de se ménager des clientèles en produisant des politiques publiques et en redistribuant des ressources rares. Il s’efforce aussi d’institutionnaliser son hégémonie politique.
Encadré 9 : Driss Basri : « premier flic du royaume » ou « vice-roi » ?
« Grand vizir », « vice-roi », « ministre des terres, des mers et des airs », « premier flic du royaume », « exécuteur des basses manœuvres » (Hatimi, 2015a), etc. La liste non exhaustive des surnoms décernés à Driss Basri donne un aperçu du rôle central qui lui est attribué dans le façonnement du Maroc des années de plomb et dans le fonctionnement du royaume jusqu’à la mort de Hassan II. Né en 1938 à Taounate, ce fils de gardien de prison grandit à Settat. Après avoir intégré la police, il poursuit en parallèle des études universitaires. En 1987, il soutient une thèse de doctorat en droit public, intitulée L’administration territoriale au Maroc : ordre et développement, sous la direction de Michel Rousset, à l’université de Grenoble. En janvier 1973, il prend la tête de la Direction générale de la surveillance du territoire (DGST), tout juste créée et transformée en Direction de la surveillance du territoire (DST) un an plus tard. En avril 1974, il devient secrétaire d’État à l’Intérieur et, en mars 1979, il est nommé ministre de l’Intérieur, poste qu’il occupe jusqu’en 1999, et cumulé à partir de 1985 avec l’Information. Pendant une vingtaine d’années, il érige l’Intérieur en « mère des ministères ». Il est sur tous les fronts : l’administration territoriale, l’organisation des élections, la procréation assistée des partis dits administratifs, la surveillance des opposants et de l’armée, la répression ciblée ou massive, et même le dossier du Sahara. Doté d’une grande capacité de travail, il s’entoure de collaborateurs diplômés, souvent de milieux modestes et d’origine rurale. La « filière Basri » devient assez vite une source de mobilité sociale, même pour des transfuges de l’opposition et des anciens de l’Union nationale des étudiants du Maroc (UNEM). À travers ses interventions dans les urnes, le ministre de l’Intérieur favorise par ailleurs l’« élection » de ses fidèles dans la majorité et dans l’opposition. Lorsque Hassan II s’acharne à réaliser une « alternance consensuelle » de son vivant, il refuse de le sacrifier. Mais, peu après son accession au trône en 1999, Mohammed VI ne tarde pas à « remercier » celui que son père chargeait de le surveiller lorsqu’il était prince héritier. En 2007, l’ancien « vice-roi » décède à Paris dans un quasi-exil.
Le fonctionnement de la sphère politique instituée pendant les années de plomb (1976-1991)
11Le jeu politique institué pendant les années de plomb est irréductible à une lecture en termes de manipulation et de makhzénisation*. Certes, tout au long de cette phase, le ministère de l’Intérieur accumule un savoir-faire dans l’impulsion de partis administratifs3, l’encadrement de réseaux clientélaires et l’organisation de scrutins électoraux sans incertitude. Mais les calculs des protagonistes sont ambivalents et, bien que l’opposition légale ait conscience de sa position défavorable dans le rapport de force, les bras de fer sont fréquents.
Une sphère politique instituée pour quoi faire ?
12Pour la monarchie, l’aménagement d’une sphère politique instituée et l’organisation d’élections à l’échelle locale et nationale semblent obéir à plusieurs objectifs. Le premier consiste à organiser une mobilisation consensuelle par le haut et à nouer un « pacte national » à chaque moment de fragilité. Les élus sont supposés refléter la diversité du pays. De ce point de vue, les parlementaires n’incarnent pas la souveraineté populaire : le principal représentant de la nation est le « souverain » (Santucci, 2001, p. 88). Le second objectif vise le renouvellement des élites et des clientèles, et le troisième la création d’une arène dense et fragmentée (Leveau, 1993, p. 68). À cet égard, le nombre des partis politiques figurant dans la Chambre des représentants s’accroît à la veille de chaque scrutin législatif : 3 en 1963, 6 en 1977, 8 en 1984. Cette extension emprunte trois voies principales. Outre les scissions et la création de partis administratifs, des organisations sont légalisées : le Parti du progrès et du socialisme (PPS) en 1974 et l’Organisation de l’action démocratique et populaire (munadhdhamat al-‘amal ad-dimuqrati ach-cha‘bi – OADP) en 1983. Celle-ci est issue du Mouvement du 23 mars et dirigée par l’ancien résistant Mohammed Ben Saïd Aït Idder, amnistié et revenu d’exil en 1981. Pendant les législatives de 1984, il obtient le seul siège attribué à son parti. De manière ininterrompue jusqu’en 2007, il sera le député de Chtouka Aït Baha, son berceau, une circonscription à dominante rurale du Souss.
13Le dilemme des opposants qui optent pour la participation en contexte autoritaire est bien documenté (Mainwaring, 2003). D’une part, cette stratégie réduit le coût de l’action collective, protège de la répression, accroît les marges de manœuvre et les opportunités d’accumuler des ressources. D’autre part, elle expose à des risques : une surveillance plus aisée, la légitimation d’un régime qui reste maître du jeu, l’érosion du potentiel protestataire, la désaffection des sympathisants et des membres, et le fait de cesser de représenter une alternative. Pour l’opposition légale marocaine, les incitations à participer sont nombreuses. Tandis que l’Istiqlal post-scission n’a jamais considéré la posture oppositionnelle comme sa raison d’être, les dirigeants de l’USFP font le deuil, au milieu des années 1970, d’une conquête du pouvoir à travers des voies non institutionnelles. Quant aux communistes issus du Parti de la libération et du socialisme (PLS) et à l’origine du PPS, ils affichent depuis l’indépendance leur attachement à la monarchie et à l’islam. À leurs yeux, l’existence légale est aussi précieuse qu’unique dans la région et au-delà. En 2005, Nouzha Skalli se remémore l’épisode où elle en prend conscience. Née en 1950 à El Jadida, elle s’engage au PLS à partir de 1969, pendant ses études de pharmacie en France, et mène à son retour au Maroc une carrière partisane et associative particulièrement dense, avant de devenir ministre du Développement social, de la Famille et de la Solidarité entre 2007 à 2012.
« Je me rappelle encore de la communiste irakienne qui est venue dans les années 1980 […]. Elle nous a trouvés en ville en train de faire de la vente militante [du journal]. C’était une tradition le dimanche. Elle nous a dit : “C’est ça la monarchie ? Eh bien, c’est mieux que la république. Nous, Saddam Hussein, il nous coupe la gorge”4. »
14Grâce à la reconnaissance légale, les partis de l’opposition légale bénéficient du droit de réunion, d’une liberté d’expression relative, et de la possibilité de disposer d’organes de presse qui jouissent alors d’un large rayonnement, ce qui n’exclut ni la censure, ni l’autocensure, ni des séjours en prison (encadré 10). En 1976, l’Istiqlal et l’USFP emportent des municipalités dans les capitales et plusieurs grandes villes. À partir de 1977, le Parlement leur offre une tribune. De plus, le roi consulte régulièrement leurs dirigeants, qui ne désespèrent pas de transformer le régime politique de l’intérieur. Ses relations avec Abderrahim Bouabid, le premier secrétaire de l’USFP, son aîné de sept ans, sont orageuses et ambivalentes, à tel point que les acteurs politiques guettent tout indice de leur « jeu de poker ».
Encadré 10 : Heurs et malheurs du fonctionnement de l’opposition légale (1976-1991)
Au regard des entretiens que j’ai menés pendant les années 2000, le fonctionnement de l’opposition légale d’antan est scruté à l’aune des crises du présent. Pour les nostalgiques, c’est un âge d’or. Les militants sacrifient leur carrière, leur famille, leur sécurité, voire leur liberté. Le versement des cotisations reste aléatoire, mais certains paient de leur poche et en leur nom propre le loyer du local du parti. La cellule est un lieu de formation, d’encadrement et de « conscientisation ». Le travail partisan consiste à participer aux réunions, à organiser des conférences, à travailler dans la proximité, alphabétiser par exemple. Il s’entremêle souvent avec les activités des organisations annexes. D’après un ancien cadre de l’Istiqlal, son parti prêtait déjà attention aux maux du quotidien : « Boucetta [secrétaire général du parti (1974-1998)] recommandait de rendre service au citoyen (tweqfu f jenb al-muwatin) » (entretien réalisé, à Casablanca, en août 2010). Du côté de l’USFP, l’on évoque plutôt la remontée des problèmes vers la presse du parti, de même que l’investissement « pédagogique » dans les campagnes électorales. Rétrospectivement, les plus critiques identifient des vers dans le fruit. Dans le cas de l’USFP, relevons en particulier le « double langage », les « marchandages » avec les autorités, l’absence de démocratie interne au nom de la répression et des informations confidentielles détenues par les initiés. Par ailleurs, l’avocat Mohamed El Haloui souligne qu’Abderrahim Bouabid était un « visionnaire », qu’il intervenait dans tout ce qui relevait des décisions stratégiques, mais qu’il se préoccupait peu de « l’organisation » (entretien réalisé par l’autrice, à Casablanca, en août 2008). Selon ses dires, l’état de la communication à travers « le téléphone rouge avec le roi » l’affectait beaucoup. En définitive, le parti aurait « capitalisé sur ses positions démocratiques, le charisme de ses dirigeants […], ses sacrifices, son pécule de voix ». D’autres encore notent des écarts en matière d’argent : la corruption d’un président de commune sanctionné, les financements généreux de Saddam Hussein, une imprimerie du parti perfusée par des marchés publics juteux (alors même que les organes de presse du parti sont régulièrement privés de ressources publicitaires en guise de sanction), etc.
15Dans son aspiration à instituer une sphère politique sur mesure, le régime est mû par deux injonctions contradictoires : donner des garanties aux partis d’opposition pour les associer aux élections, et prendre des dispositions pour éviter l’émergence d’une force politique qui puisse se prévaloir d’une légitimité fondée sur les urnes. Afin d’éviter la formation d’une arène électorale dominée par les partis issus de la matrice nationaliste, il soutient la création de partis administratifs et apprend à organiser des scrutins sans incertitude.
Qu’est-ce qu’un parti administratif entre 1978 et 1991 ?
16Après les tentatives de coup d’État de 1971 et 1972, Ahmed Réda Guédira retrouve sa place de conseiller auprès du roi. Le fondateur du Front de défense des institutions constitutionnelles (FDIC) inspire la création d’une nouvelle génération de partis administratifs, mais cette fois-ci dans les coulisses. Quant à la mise en œuvre, elle relève d’un ministère de l’Intérieur de plus en plus performant.
17À la veille des élections communales de 1976, les principaux partis politiques en lice sont issus des matrices nationaliste (Istiqlal, USFP), communiste (PPS), et de la mouvance constituée par le Mouvement populaire (MP) et le Mouvement populaire démocratique constitutionnel (MPDC). L’asymétrie en termes de capacité de mobilisation est flagrante entre, d’une part, l’Istiqlal et l’USFP et, d’autre part, le MP et le MPDC, totalement inactifs au cours des dernières années. Par ailleurs, après les dissensions qui ont agité la majorité parlementaire entre 1963 et 1965, le Palais n’est pas disposé à reproduire une formule similaire à celle qui a précédé la proclamation de l’état d’exception, à savoir créer un front rassemblant ses soutiens potentiels (FDIC). Pour contrebalancer les représentants de l’opposition légale, les agents de l’Intérieur suscitent les candidatures de 20 000 « Indépendants » (ahrar) parmi les principaux bénéficiaires de la marocanisation et de la redistribution des terres de la colonisation (Vairel, 2014, p. 65). Après leur triomphe officiel, y compris pendant les législatives de 1977, ceux-ci sont regroupés dans le cadre du Rassemblement national des indépendants (at-tajammu‘ al-watani lil ahrar – RNI) en 1978. À la veille des communales de 1983, l’Union constitutionnelle (al-ittihad ad-dusturi – UC) est créée. Ce parti emportera aussi bien ce scrutin que les législatives de 1984. Parallèlement, des scissions sont accompagnées au sein des partis administratifs. À l’inverse de la tentative de fédérer les supports de la monarchie dans un seul front en 1963, la stratégie qui se met en place à partir de 1983 consiste donc à mettre en concurrence aussi bien les opposants que les fidèles, ce qui ne manque pas de favoriser une dynamique de scissiparité endogène. En ce sens, le pluralisme partisan à la marocaine continue de diverger avec le monopartisme ou la formule du parti dominant pratiquée dans la plupart des pays de la région à la même époque (Hinnebusch, 2017). Reste à savoir en quoi consistent ces entreprises politiques.
18Les partis administratifs doivent leur attribut à quatre considérations : une création impulsée par les autorités, la présence à leur tête d’une figure proche du Palais, l’appui du réseau d’agents de l’administration territoriale pendant les élections, une tendance à s’aligner sur les positions du régime. À l’instar du MP et du FDIC en 1963, ce sont des partis de notables. Les efforts de mimétisme avec des partis comme l’Istiqlal ou l’USFP restent mineurs entre 1978 et 1997 : un nom et un sigle ; en guise de programme, l’appropriation des orientations formulées par le roi ; l’organisation d’un congrès constitutif ; l’achat d’un local ; la création d’un organe de presse, voire d’un syndicat, aussi éphémères que confidentiels. La dimension nationale de la campagne électorale réside essentiellement dans la tenue d’un meeting en présence des ministres du parti, et dans l’impression de tracts qui portent le logo et les couleurs de la formation.
19Quant aux investitures et à la mobilisation électorale, elles relèvent d’autres logiques. Faute d’un appareil organisationnel, les partis administratifs recourent aux notables. Pendant les années 1980, du moins, ce sont essentiellement de riches propriétaires fonciers (Abouhani, 2015). Leur influence est tributaire de leur enracinement dans un milieu, de l’aptitude à remplir durablement des fonctions de redistribution, d’arbitrage et d’intermédiation. Face à une offre de plus en plus concurrentielle, ils tendent à se détourner d’un parti dès que celui-ci n’assure plus un accès privilégié à des ressources rares, ni une insertion dans les réseaux de prises de décision de la capitale. En conséquence, une famille de notables peut rester durablement à la tête d’une commune, tout en se présentant sous une couleur partisane différente d’une élection à l’autre. Du fait même du rôle qu’ils jouent pendant les années 1970 et les années 1980, les Indépendants et l’UC méritent une attention particulière.
« Indépendants » versus « partis politiques »
20Le Rassemblement national des indépendants (RNI), le premier parti administratif des années 1970, est impulsé par le Palais. Son fondateur officiel, Ahmed Osman, n’en sera informé qu’à un stade avancé de la gestation (Lamrani, 2015). Lors de sa genèse, cette formation se dissocie des organisations issues des matrices nationaliste et communiste. Dans son appellation même, elle affiche une « indépendance » vis-à-vis de ces partis. Elle opte pour la notion de « rassemblement », à l’inverse de l’Istiqlal et du PPS dont les dénominations complètes comportent le terme de parti. Par ailleurs, la plateforme produite en mars 1978 proclame la volonté de représenter « la majorité silencieuse », de combler le « vide politique », et de cristalliser les changements qui découlent de la Marche verte et du retour à la vie parlementaire (Daoud, 1978, p. 10). L’alignement sur les orientations royales s’exprime aussi dans un rattachement flou au « libéralisme ».
21Ahmed Osman, dirigeant du RNI jusqu’en 2007, compte parmi les « compagnons historiques » du roi (Kenbib, 2015). Sa carrière politique observe un nouvel élan après les tentatives de coup d’État. Né en 1930 à Oujda, il est sélectionné en 1947 pour poursuivre sa scolarité au Collège royal avec le futur Hassan II, dont il épouse la sœur, Lalla Nouzha, en 1963. Dès l’indépendance, ce juriste formé à Paris enchaîne plusieurs hautes fonctions. Il devient ministre des Affaires administratives en 1970, directeur du Cabinet royal en 1971, Premier ministre (1972-1979), puis président de la Chambre des représentants (1984-1992). En somme, grâce à sa proximité avec le Palais, il accumule un ensemble de ressources : des titres scolaires distinctifs, des compétences techniques, une alliance matrimoniale avec la famille royale, une insertion précoce dans les rouages du pouvoir et des mandats politiques. Mais, du moins à la fin des années 1970, la manière dont ces capitaux s’agencent ne lui permet pas de constituer un capital politique autonome, d’où le rôle fondamental que l’Intérieur joue pour acheminer des notables vers son parti.
22En 1981, lorsque des tensions internes agitent le RNI, l’Intérieur incite les mécontents, une cinquantaine de députés d’origine rurale, à faire scission et à créer le Parti national démocrate (al-hizb al-watani ad-dimuqrati – PND). Cette configuration permet au Palais de compenser le retrait ponctuel du groupe de l’USFP du Parlement, en sommant le RNI de rejoindre l’opposition et en intégrant le PND au gouvernement. Deux ans plus tard, l’administration mobilise en faveur d’une nouvelle formation.
Union constitutionnelle versus Union socialiste des forces populaires
23L’Union constitutionnelle (UC) est fondée en 1983 par Maâti Bouabid (1927-1996), qui succède à Ahmed Osman à la tête du gouvernement en 1979. Inspirée par le conseiller du roi Ahmed Réda Guédira, sa dénomination même trahit la volonté de concurrencer l’USFP. En effet, le terme « union » (ittihad) est si central dans l’identité du parti socialiste marocain que ses membres se désignent comme des ittihadis*. En outre, les deux ittihad sont dirigés par des homonymes. Hassan II aimait à s’entourer de ministres dont les noms de famille pouvaient prêter à confusion : un Basri (Driss) à l’Intérieur, un autre dans l’exil (Fqih Mohamed Basri) ; un Bouabid (Maâti) à la primature face au chef de file de l’opposition (Abderrahim).
24L’UC présente un air de famille certain avec le RNI tout en s’en différenciant, à commencer par le profil de son fondateur. Comme Ahmed Osman, Maâti Bouabid crée un parti politique pendant son mandat de Premier ministre avec l’appui de l’administration. Les deux hommes aspirent à rassembler des clientèles au service du projet monarchique et mettent en avant leur subordination aux instructions royales. Sur d’autres plans, ils ont en commun le fait d’avoir connu une forte ascension sociale, d’avoir étudié le droit et de s’être mariés à des femmes du Palais. Cependant, tout en convergeant, leurs carrières professionnelles et politiques n’empruntent pas le même cheminement. Après des études de droit à Bordeaux, Maâti Bouabid s’inscrit en 1952 au barreau de Casablanca, sa ville natale (Hatimi, 2015b). À l’indépendance, il contribue à compenser le déficit en cadres du ministère de la Justice avant de présider l’ordre des avocats de la capitale économique pendant cinq mandats. Au cours de la même phase, il cultive sa figure de « fils du peuple » en s’investissant dans un club de football renommé, le Raja Athletic Club de Casablanca, qu’il préside entre 1970 et 1972. Sur le plan politique, il s’engage en 1959 au sein de l’Union nationale des forces populaires (UNFP), devient ministre de l’Emploi et des Affaires sociales dans le gouvernement d’Abdallah Ibrahim (1958-1960), puis le premier président du conseil municipal de Casablanca en 1960. Au milieu des années 1970, sa carrière politique connaît un tournant. D’abord nommé à la Justice (1977-1979), il accède à la primature entre 1979 et 1983. Ahmed Réda Guédira aurait suggéré au roi de le désigner pour trois raisons : sa proximité supposée avec l’Union marocaine du travail (UMT), considérée comme un atout pendant la crise sociale que traverse le pays, « sa popularité à Casablanca et ses origines modestes » (Sehimi, 1992, p. 230). Autrement dit, tandis qu’Ahmed Osman semblait bien positionné pour tenter de réintégrer les partis issus de la matrice nationaliste dans le jeu politique, Maâti Bouabid apparaissait comme plus à même de gérer les protestations sociales qui agitaient tout particulièrement sa ville natale.
25À l’exemple du RNI, l’UC justifie sa raison d’être par la nécessité de combler le « vide » politique, et proclame son attachement à la « monarchie constitutionnelle », à « la démocratie hassanienne » et à « l’intégrité territoriale ». Mais, plutôt que de se constituer sur la base d’un groupe d’élus, elle voit le jour à la veille des communales de 1983 en vue de conquérir un nouvel électorat. Elle cible la « génération d’après l’Indépendance » et les « apolitisés » : les jeunes, les fonctionnaires, les cadres et les professions libérales. En phase avec les discours royaux, le parti se donne pour mission de soustraire la jeunesse aux « idéologies importées », « destructrices » (Jibril, 1983a). Autre signe des temps, le libéralisme qu’il préconise porte la trace des réorientations insufflées par le FMI : « déconcentration de l’administration », « privatisation », « investissements étrangers ». Néanmoins, à l’occasion de son congrès constitutif, Maâti Bouabid met aussi en avant le « progressisme » de son parti.
26La création de l’UC est vivement dénoncée par l’Istiqlal, l’USFP et le PPS. À cette occasion, leur presse véhicule la notion de « parti cocotte-minute », qui emprunte à l’ustensile de cuisine l’idée de « cuisson » accélérée : sitôt né, sitôt il emporte les élections. L’arrivée d’un nouveau venu produit également un malaise au sein des autres partis administratifs et de notables, les incitant à redéfinir leur identité. Début avril 1983, à l’occasion du deuxième congrès du RNI, Ahmed Osman condamne la prolifération des partis politiques, alors que cinq ans plutôt il justifiait la naissance du Rassemblement par le « vide politique » (Jibril, 1983b). Désormais, il présente sa formation comme le « prolongement vivant » du Mouvement national. Sans répudier le libéralisme, il se réclame de la « social-démocratie » et du « centrisme ».
27Quant au MP, son fondateur et dirigeant exprime son mécontentement après les législatives de 1984. Son refus de participer au gouvernement lui est reproché par les nouveaux cadres du parti, qui l’expulsent de la direction à l’occasion du congrès de 1986, ouvrant ainsi la voie à une nouvelle scission. En juillet 1991, Mahjoubi Aherdan crée le Mouvement national populaire (al-haraka al-wataniyya ach-cha‘biyya – MNP). Cet épisode laisse entrevoir un aspect fondamental : les positions pro-gouvernementales qu’adoptent habituellement ces partis sont irréductibles à une posture de soumission à l’administration. Elles constituent une ressource fondamentale pour recruter des notables et les maintenir dans le giron du parti. Dès lors, la concurrence pour l’accès à la manne publique contribue à structurer les luttes entre partis de notables et en leur sein. Comme nous l’avons vu, elle s’exacerbe en amont et en aval des élections.
Des scrutins sur mesure (1976-1984)
28Les élections qui se déroulent entre 1976 et 1984 se caractérisent par leur irrégularité. Par ailleurs, elles manifestent les stratégies du ministère de l’Intérieur sous deux angles : l’endiguement des partis issus des matrices nationaliste et communiste, et la mise en scène de la représentation.
29La première des irrégularités est celle du calendrier électoral. À deux reprises, la durée des mandats des élus locaux et nationaux est prorogée par référendum. Après les élections locales et nationales de 1976 et de 1977, les suivantes s’espacent dans le temps : 1983 et 1984, puis 1992 et 1993. Les autorités invoquent, une première fois, la crise économique et sociale traversée par le pays et, ensuite, la volonté de préparer deux référendums : l’un « confirmatif » sur le Sahara occidental, l’autre sur la révision de la constitution.
30Quant à la « stratégie d’endiguement » des partis issus des matrices nationaliste et communiste, elle se décline en plusieurs axes. Les techniques de découpage visent à surreprésenter le vote rural et à éviter que les capitales, politique et économique, ne s’érigent en contre-pouvoir de gauche. Le recours au scrutin uninominal majoritaire à un tour favorise « les notables ». Pour le législatif, le jeu du suffrage direct et indirect constitue une autre source de pondération dans le cadre d’un parlement monocaméral. Les deux tiers des membres sont élus au suffrage universel direct, et le troisième tiers par des collèges électoraux, formés par les conseillers communaux, les membres élus des chambres professionnelles (agriculture, commerce et industrie, artisanat), les représentants des salariés. Pour finir, le trafic des listes électorales et la manipulation directe des urnes font l’objet de dénonciations récurrentes de la part de l’opposition. En somme, les résultats électoraux tendent à traduire les équilibres que le pouvoir souhaite mettre en scène, avec des arbitrages entre les partis politiques, mais également en leur sein. Les uns sont rétribués et d’autres sont sanctionnés, de telle sorte que « les membres de l’opposition sont aussi mal élus que les partisans du pouvoir » (Leveau, 1993, p. 66).
31À titre d’exemple, l’étendue de la falsification des résultats des communales de 1983 est interprétée comme une conséquence du « bras de fer » qui a opposé le roi et l’USFP entre 1980 et 1982 : le parti de gauche est accusé d’avoir provoqué les émeutes de juin 1981 ; sa direction a désapprouvé publiquement des décisions prises par Hassan II ; la répression s’est abattue sur une partie de ses militants et de ses dirigeants (Santucci, 2001, p. 40). Bien que les tensions se soient atténuées, le roi aurait tenu à lui infliger une « punition » électorale. Pour sa part, l’Istiqlal, qui a quitté l’opposition en 1977, proteste en 1983 en retirant ses huit ministres du gouvernement. Pour inciter les deux formations à participer aux législatives de 1984, Hassan II invite leurs dirigeants, au même titre que ceux d’autres partis politiques, à occuper des postes de ministre d’État sans portefeuille en vue de contribuer à l’organisation du scrutin, puis les remercie avant le début de la campagne électorale.
32Concernant le Parlement, la mise en scène de la représentation transparaît au niveau des bassins socioprofessionnels de recrutement, et ce d’autant plus que les données disponibles sont le fruit des filtres opérés par le ministère de l’Intérieur5. En 1977, le profil des « Indépendants » refléterait le renouvellement générationnel et l’ouverture sur les classes moyennes, les cadres et les fonctionnaires, voulus par le régime. Dans l’ensemble, le Parlement élu est plus jeune, plus diplômé et plus citadin, même si l’appartenance au monde rural demeure une filière privilégiée (Santucci, 1979 ; Sehimi, 1979). Les professions libérales et intellectuelles prédominent, mais les agriculteurs, qui incarnent les clientèles rurales du régime, demeurent très présents6. Alors que les agriculteurs ont un poids important au sein de l’Istiqlal et du MP, l’USFP et le PPS continuent à apparaître comme des partis d’enseignants.
33La volonté du régime de diversifier et de rééquilibrer les filières de recrutement des parlementaires se poursuit en 1984 (Claisse, 1985b ; Sehimi, 1985). Cette stratégie recouperait l’aspiration des élites administratives et politiques à la « modernisation », associée à la représentation des femmes, des jeunes et des « cadres ». Le renouvellement s’exprime à travers le profil des élus de l’UC, conformément à la mission qui lui a été assignée. Grâce au soutien de l’administration, le nouveau parti puise abondamment dans le corps de la fonction publique et parvient même à devancer l’USFP en termes d’élus de formation supérieure. L’USFP se distingue par le nombre d’élus diplômés, pour moitié des enseignants, tandis que l’UC concentre les élus les plus jeunes et les professions libérales. En revanche, les élus du RNI, du PND et du MP sont plus âgés, moins éduqués, et actifs dans le secteur agricole ou dans le commerce. Quant à l’Istiqlal, il se situe à mi-chemin entre ces grandes tendances.
34À partir des scrutins de 1983 et de 1984, la scène partisane se structure autour de deux pôles. Le premier regroupe les partis issus du Mouvement national, catégorie vernaculaire qui englobe désormais l’Istiqlal, l’USFP, le PPS et l’OADP, qui incarnent l’opposition légale ; ils sont plutôt en affinité avec la politique nationale7 et l’univers citadin. Le second est constitué par les partis dits administratifs (l’UC, le RNI, le PND, le MP), qui prédominent au Parlement sans qu’aucun ne conquière une position de monopole. Comparativement au FDIC en 1963, ce pôle dispute davantage les zones urbaines et les cadres éduqués de la fonction publique aux partis du Mouvement national. Les clientèles mobilisées se diversifient, s’urbanisent et se « modernisent ». À partir de 1985, cette tendance est soutenue par la promotion d’associations locales sous l’impulsion de l’administration (Ben Ali, 1991 ; Ghazali, 1991).
35Cependant, la composition des gouvernements ne reflète pas nécessairement les résultats obtenus par les urnes. Hassan II aurait déclaré que, si l’envie lui en prenait, il pourrait nommer son chauffeur en tant que ministre (Benhlal, 2005, p. 320). Dans les faits, trois filières se dessinent entre 1977 et 1987 (Sehimi, 1992). La première rassemble les « compagnons historiques » du roi. La seconde, technocratique, promeut des figures issues de la haute fonction publique et de la sphère économique privée. La troisième, partisane, relève d’un arbitrage royal à géométrie variable ; elle est décroissante entre 1977 (23 sur 30) et 1985 (13 sur 30).
36Dans une situation marquée par l’irrégularité des élections et par une mainmise de la monarchie sur la formation des gouvernements, sur l’administration et l’appareil coercitif, les partis de l’opposition investissent le Parlement avant tout comme une tribune. À cette époque, selon la célèbre formulation d’Abderrahim Bouabid, « les sièges ne comptent pas ». Convaincus de la « nécessité d’être présent sur tous les fronts8 », ils tentent de renégocier leur position au sein de la sphère politique instituée en exerçant des pressions sur le régime à travers l’arène protestataire.
Les pressions des partis d’opposition à travers l’arène protestataire (1978-1991)
37Entre 1978 et 1991, l’épicentre de la contestation se situe plus que jamais dans les grandes villes. Qu’elles soient intégrées ou exclues du jeu politique institué, les oppositions organisées continuent à actualiser le répertoire d’action forgé pendant les luttes pour l’indépendance. À l’avant-garde de l’action syndicale et associative se trouvent les fonctionnaires et les professions intellectuelles, les étudiants et les ouvriers. Tandis que les partis issus du Mouvement national accroissent leurs capacités de mobilisation syndicale, les groupes islamistes supplantent les groupuscules d’inspiration marxiste au sein des universités et des lycées. Si les actions sectorielles se produisent dans des enceintes closes (usines, lycées, universités, etc.), les grèves générales du 20 juin 1981 et du 14 décembre 1990, de même que les grèves lycéennes de janvier 1984 (encadré 11) ouvrent la voie à des expressions protestataires qui échappent à l’encadrement des partis et des syndicats.
38À l’heure des ajustements structurels, les actions collectives, violentes, éruptives et brèves, assimilées à des « émeutes9 », sont fréquentes au Maghreb et au Proche-Orient (Le Saout et Rollinde, 1999). Comme en 1952 et en 1965, celles qui agitent le royaume ne sont stoppées qu’au prix d’une répression massive et indiscriminée. Les lectures auxquelles elles donnent lieu oscillent entre deux thèses classiques. D’après la première, ces mobilisations sont le propre de groupes faiblement organisés qui ne disposent pas de relais stables pour acheminer leurs doléances et se faire entendre (Oberschall, 1973). Dans une perspective voisine, des travaux associent de tels épisodes aux transformations urbaines accélérées, à leurs effets en termes de dérégulation du tissu social, tout en incriminant les politiques d’austérité (Walton et Seddon, 1994). D’autres y décèlent un « échec des systèmes de médiation, de contrôle ou de redistribution économique » (Vairel, 2014, p. 70). Selon une deuxième approche, ces actions ne sont pas inorganisées mais structurées. Elles revêtent des « formes instituées reconnues », qui laissent entrevoir une « économie morale de la foule » (Thompson, 1971). La révolte serait impulsée par la perception d’une rupture d’un pacte implicite entre ceux qui se rebellent et ceux qui les gouvernent. Elle viserait principalement à restaurer un ordre préexistant. Cette conception se retrouve partiellement dans l’analyse de l’économiste D. Ben Ali (1991, p. 66) :
« Le système politique au Maroc […] fonctionne à l’émeute. Celle-ci apparaît comme un appel aux autorités pour qu’elles accomplissent leur devoir, c’est-à-dire pour qu’elles assurent, par exemple, l’approvisionnement du marché à un prix déterminé par la loi (nécessité de la réglementation) et non par le jeu de l’offre et de la demande. »
39Dans ce qui suit, il s’agit d’appréhender ces événements protestataires avant tout comme des analyseurs de l’articulation entre différents registres d’action politique. Dès lors, l’adoption d’une perspective configurationnelle permet de prêter attention aux processus à l’œuvre, de prendre en compte les protagonistes en présence, les appropriations diverses dont ces épisodes font l’objet, et la manière dont se combinent plusieurs types de performances10.
De la grève à « l’émeute »
40Dès l’indépendance, nous l’avons vu, les dirigeants de l’Istiqlal aspirent à construire un parti-nation adossé à des organisations syndicales et associatives à même d’encadrer et de mobiliser de larges pans de la société. Par la suite, les enjeux syndicaux interviennent à différents niveaux dans la scission de l’Istiqlal en 1959, puis dans les tensions internes qui provoquent celle de l’UNFP. À chaque fois que l’un de ces partis perd sa base syndicale, il s’efforce de constituer une nouvelle centrale. En 1960, l’Istiqlal crée l’Union générale des travailleurs du Maroc (UGTM) et, après son « exclusion » de l’UMT, Omar Benjelloun se lance dans l’organisation de syndicats autonomes (encadré 7). En 1978, soit trois ans après la création de l’USFP, la Confédération démocratique du travail (CDT) voit officiellement le jour. Les dirigeants de l’USFP ont retenu les leçons du passé : la « collégialité anarchique » de l’UNFP de 1959 laisse désormais place au « centralisme démocratique », incarné par Abderrahim Bouabid. S’il ne s’agit plus de construire un parti révolutionnaire, l’« interpénétration de la lutte politique et de la lutte syndicale », préconisée au début des années 1960 par Mehdi Ben Barka et par Omar Benjelloun, est plus que jamais à l’ordre du jour et le rôle dirigeant du parti semble incontesté. En avril 1979, la CDT lance sa première grève dans les secteurs de l’enseignement et de la santé. Une grande vague de répression et de licenciements s’abat sur les grévistes et alimente des grèves successives. Plus globalement, 1 million de jours de grève sont comptabilisés en 1980 et 5,2 millions en 1983 (Normlex, 1980 ; Rachik A., 2016). Tout au long de cette séquence, l’appel à la grève générale traduit l’engagement de l’opposition légale dans un bras de fer avec la monarchie.
41Le 28 mai 1981, en réponse aux injonctions du FMI, le gouvernement annonce l’augmentation des prix des produits de première nécessité. Dès le 2 juin, la CDT appelle à une mobilisation générale (Clément, 1992). Des protestations se produisent dans l’Oriental. Les autorités réagissent en décidant la réduction des hausses prévues, mais la CDT exige leur annulation totale et appelle à une grève générale nationale le 20 juin. Pour sa part, le bureau local de l’UMT à Casablanca appelle à une grève générale le 18 juin. Dès le 19 au soir, des troubles éclatent dans le quartier de Hay Mohammedi à Casablanca. Le 20 juin, le mouvement de grève s’étend dans la capitale économique et les protestations s’amplifient au fil des altercations avec les agents de l’appareil coercitif. En milieu de journée, près de 3 000 personnes en provenance de bidonvilles se dirigent vers l’autoroute et dressent des barricades, d’autres s’acheminent vers les quartiers résidentiels. En ville, des commerces, des banques, des usines, des établissements publics, des voitures et des autobus sont dégradés. Les chars de l’armée sont déployés et des hélicoptères quadrillent la ville. La répression est sanglante et les morts sont secrètement enterrés dans des fosses communes. Le bilan est difficile à établir : 66 décès pour les autorités, un millier selon d’autres sources (Clément, 1992), mais, 24 ans plus tard, l’Instance équité et réconciliation (IER) ne parvient à déterminer que 114 cas de décès. Par ailleurs, les autorités procèdent à près de 8 000 arrestations, dont une centaine de membres de l’USFP et de la CDT, et à l’interdiction des deux quotidiens du parti de gauche.
Encadré 11 : Les événements de janvier 1984
Les événements de janvier 1984 se produisent en l’absence de l’impulsion ou de l’appui d’un parti ou d’un syndicat (Lust-Okar, 2004). Bien davantage, à cette époque, Abderrahim Bouabid, le premier secrétaire de l’USFP, est ministre d’État sans portefeuille et son parti se prépare aux élections. Il s’abstiendra de réagir, y compris lors de l’arrestation de militants de son parti dans le sillage de ces mobilisations.
À la suite de l’annonce de mesures portant atteinte à la gratuité de l’enseignement public, des collégiens et des lycéens organisent des grèves et des manifestations dans les enceintes des établissements scolaires d’une cinquantaine de villes (Clément, 1992 ; Paul, 1984). La situation s’aggrave dans les villes du Nord, tout particulièrement à Nador, à Al Hoceïma et à Tétouan. Le 19 janvier, à la suite de la prise d’assaut de collèges de Nador par les forces de police, les élèves sortent dans la rue. Ils sont vite rejoints par des ouvriers, des employés du secteur informel et des sans-emploi. Des troubles éclatent et des manifestants se livrent à des actes de vandalisme. Les policiers sont en sous-effectif dans le Nord, l’essentiel des forces étant concentré à Casablanca où se tient le sommet de l’Organisation de la coopération islamique (OCI). De nouveau, l’évaluation du nombre de morts varie entre 16 pour les autorités, 200 selon d’autres sources, et 52 établi par l’Instance équité et réconciliation (2009). D’après les investigations de l’IER, les interventions de l’appareil coercitif étaient variables selon les lieux, et c’est dans les villes du Nord que des agents des forces d’intervention ont recouru à des armes à feu, non seulement dans des mouvements de panique, mais également à l’encontre d’enfants, de simples passants, ou même pendant des funérailles. Comme en 1981, la plupart des victimes sont inhumées en secret. De plus, les autorités procèdent à 14 000 arrestations, dont 1 800 maintenues. Dans son discours télévisé du 22 janvier 1984, le roi qualifie les manifestants d’« awbach » (racaille) et évoque les événements de 1959 : « Vous avez connu le prince héritier, je ne vous conseille pas de faire connaissance avec Hassan II. » Dix-huit ans après son décès, les protestataires du Hirak (littéralement « le mouvement ») du Rif, souvent trop jeunes pour avoir connu cette époque, continuent à se référer à ce discours et à l’histoire rebelle de la région.
Le tournant des années 1990
42Les événements du 14 décembre 1990 ne constituent pas une simple réplique de l’épisode de 1981, et encore moins de celui de 1984.
43D’une part, ils se déroulent dans un environnement national transformé par les protestations précédentes. En effet, après chaque épisode, le pouvoir réajuste ses appareils coercitif et administratif, et met en œuvre des politiques publiques en vue d’étendre son contrôle sur les espaces urbains. Quant à l’opposition légale de gauche, accusée en 1981 d’avoir provoqué les émeutes, elle a répliqué en dénonçant la responsabilité du régime dans les bains de sang et en prenant la défense des victimes de la répression. Mais, tout en essayant de capitaliser sur les événements répressifs, elle s’est efforcée de retenir les leçons des échanges de coup précédents.
44D’autre part, les événements de décembre 1990 sont indissociables des perceptions des opposants marocains de ce qui se joue à l’échelle transnationale et régionale. Si le régime bénéficiait d’un contexte stabilisateur en relation avec le conflit du Sahara occidental dans un monde bipolaire, ces conditions semblent s’épuiser à la fin des années 1980. En effet, la question du Sahara tend à être marginalisée par le rétablissement en 1988 des relations diplomatiques entre le Maroc et l’Algérie, rompues en 1976, et par la création en 1989 de l’Union du Maghreb arabe (UMA).
45En outre, depuis la chute du mur de Berlin, la question des droits humains s’érige en problématique légitime. Les conceptions immobilistes qui prédominent dans les chancelleries occidentales et les croyances selon lesquelles une partie du monde serait immature pour la démocratie sont ponctuellement ébranlées. En juin 1990, le sommet franco-africain de La Baule est perçu comme un revirement de la diplomatie française : le président François Mitterrand annonce que l’aide de son pays sera dorénavant conditionnée par l’impératif de la démocratie.
46Dès la fin des années 1980, le royaume apparaît soudain comme le « mauvais élève » du Maghreb. Les activités semi-officielles de Madame Danièle Mitterrand, présidente du comité France libertés, et le lancement spectaculaire en octobre 1990 du livre intitulé Notre ami le roi cristallisent l’envenimement des relations franco-marocaines. Dans cet essai publié chez Gallimard, Gilles Perrault viole tous les tabous du monarque. Il brosse un tableau noir de Hassan II, de ses pratiques répressives, de son gouvernement par la peur et, surtout, ne manque pas de dénoncer la « collaboration » de la classe politique française. La colère du roi se manifeste notamment par l’annulation des deux cents manifestations artistiques prévues en France, d’octobre 1990 à juin 1991, pour « L’année du Maroc ».
47Diffusé clandestinement et parfois par télécopie, Notre ami le roi suscite un profond impact dans les milieux militants marocains. Nombreux sont ceux qui perçoivent, dans sa parution, le signe du « lâchage » du roi par la France. Dans un post public sur Facebook, Fouad Abdelmoumni revient sur cet événement. Né en 1958 à Berkane, cet ancien sympathisant du Mouvement marxiste-léniniste marocain endure la détention et la torture dès son plus jeune âge. Incarcéré une première fois de 1977 à 1980, il subit également une disparition forcée pendant deux ans environ (1983-1984). À la fin des années 1980, cet économiste de formation, qui sera l’un des pionniers du micro-crédit au Maroc, est engagé dans l’Association marocaine des droits humains (AMDH)11, dont il sera le vice-président en 2001. D’après lui, Notre ami le roi joue un rôle de « catalyseur » et de « manifeste » :
« Pour les victimes et les militants, c’était une bouffée d’oxygène. Enfin un livre à grande audience qui permettait de mettre à nu les violations graves et massives des droits humains, et qui permettait d’espérer que le régime marocain et les “amis du Roi” ne bénéficient plus de l’Omerta de par le monde. […] [Sa publication] a donné du crédit et de la portée à leurs allégations de toujours. Elle leur a mis du baume au cœur et le courage de s’exprimer plus ouvertement. […] Pour le régime, c’était un camouflet extrêmement sévère […]. Confusément, on sentait que “quelque chose” était en train de changer12. »
48Par ailleurs, dès 1988, la sphère politique algérienne est observée avec attention par les différents protagonistes marocains. Dans la presse d’opposition, chaque fait nouveau donne lieu à des éditoriaux, établissant un parallèle entre les situations algérienne et marocaine. La victoire du Front islamique du salut (FIS) aux municipales de juin 1990 est acclamée par Al-Ittihad al-ichtiraki (littéralement « L’union socialiste »), quotidien en langue arabe de l’USFP, et par L’Opinion, quotidien en langue française de l’Istiqlal, comme un triomphe de la démocratie : « L’Algérie n’a basculé nulle part, sinon dans la démocratie13. » L’événement est fêté comme une « victoire du peuple algérien, du peuple maghrébin et du peuple arabe14 ». Cet état d’esprit dure jusqu’au premier tour des législatives algériennes de décembre 1991. À cette occasion, l’éditorialiste d’Al-Ittihad commente la visite à Alger d’une délégation marocaine du ministère de l’Intérieur chargée d’observer le déroulement du scrutin. Il se demande si l’intention des envoyés marocains est de faire bénéficier le gouvernement algérien de leur expérience en matière de trucage ou s’ils se sont déplacés pour s’initier à l’organisation d’élections intègres. D’abord pessimiste, il s’aventure à finir sur une note joyeuse : « Le trucage n’est plus admis dans le monde d’aujourd’hui15. » C’est dans ce contexte général que l’opposition parlementaire exerce une pression sur le régime marocain.
La grève générale du 14 décembre 1990
49À partir de 1990, l’USFP, l’Istiqlal, le PPS et l’OADP tentent d’unifier leurs positions et d’organiser des actions communes. En mai 1990, ils déposent une motion de censure contre le gouvernement, revendiquant une réforme constitutionnelle et la soumission du gouvernement au contrôle du Parlement. Un mois plus tôt, le 19 avril, la CDT et l’UGTM annoncent leur intention d’appeler à une grève générale, qui finit par être organisée le 14 décembre faute d’un accord avec le gouvernement. Dans le sillage de cet appel, des troubles éclatent à Fès, Tanger, Meknès, Kénitra, Beni Mellal, Souk Sebt, Sidi Kacem et Rabat. Des destructions de grande ampleur se produisent à Fès. De nouveau, l’intervention de l’appareil coercitif provoque des décès dont le nombre exact reste difficile à préciser.
50À cette occasion, l’articulation entre politique instituée et action protestataire transparaît clairement. L’appel à la grève générale s’inscrit dans le prolongement des tentatives des partis d’opposition de renégocier leur place sur l’échiquier politique, dans un contexte régional et international qu’ils perçoivent comme propices. Il obéit à des logiques politiques, syndicales, organisationnelles. À l’instar des protestations urbaines précédentes, l’événement revêt une dimension nationale, tout en faisant l’objet d’appropriations localisées, tant au niveau des protestataires que des agents de l’administration et de l’appareil coercitif, comme cela ressort de notre enquête sur les événements du 14 décembre à Fès (Bennani-Chraïbi, 1994).
51En effet, les participants adoptent des modes d’action en affinité avec leurs propriétés, leurs perceptions de la grève, leurs socialisations antérieures et leur éventuelle inscription dans une histoire protestataire particulière. Pour les ouvriers, les salariés affiliés à un syndicat, faire grève consiste à exercer une pression sur les responsables de l’entreprise et sur les autorités en vue d’obtenir la satisfaction de leurs revendications, en s’abstenant de travailler pendant une durée déterminée et à une date fixée publiquement. Pour les étudiants membres d’une organisation politique ou estudiantine, un jour de grève est un moment d’interruption des cours. Au regard des organisateurs, la réussite de l’action se mesure à l’aune du nombre de travailleurs, y compris indépendants, et d’étudiants qui se rallient au mot d’ordre, mais également du « bon » déroulement de la journée. En 1990, ils sont soucieux de mener une « grève civilisée », à savoir une action sans débordements, ni affrontements, ni destruction de biens publics ou privés ; l’un des enjeux est de démontrer leur capacité à gérer une grève et la constitution d’un savoir-faire depuis les événements de 1981. De manière préventive, les syndicats organisent des réunions préparatoires et recommandent aux travailleurs de ne pas quitter leur domicile le 14 décembre. Des militants syndicaux sont chargés d’effectuer des tournées dans plusieurs quartiers de leurs villes et de veiller à ce que les ouvriers grévistes ne se rendent pas sur leur lieu de travail. Le même état d’esprit est partagé par les comités provisoires estudiantins, qui ont pris le relais de l’UNEM depuis sa suspension en 1973 ; aucune manifestation ne doit prolonger la grève générale et toute présence dans les campus doit être évitée. Mais, pour des sans-emploi et des personnes qui vivent du secteur informel, la grève générale est associée à l’occupation de l’espace public, voire à un moment privilégié pour prendre sa revanche et en « découdre » avec les représentants du pouvoir central.
52Ces différences de perceptions se matérialisent au niveau des attitudes et des modes d’action privilégiés par les uns et les autres pendant la journée du 14 décembre. Cependant, l’examen des formes de participation adoptées à Fès par les étudiants et les habitants de quartiers périphériques montre aussi des glissements lors de confrontations directes avec les agents de l’appareil coercitif.
53En 1990, Fès est l’une des villes estudiantines et industrielles les plus importantes du Maroc. Depuis le mois d’avril, les échos de la grève générale se diffusent dans plusieurs quartiers par l’intermédiaire d’ouvriers syndiqués. Le 14 au matin, les uns et les autres sont à l’affût. Des attroupements se forment à la moindre rumeur ou à l’approche des agents de l’appareil coercitif. Selon plusieurs témoignages, le fait que des policiers ou des gendarmes aient tiré sur la foule a constitué l’un des principaux déclencheurs. Plus tard, des syndicalistes accuseront le gouverneur de la ville d’avoir sciemment provoqué les troubles en chargeant des agents des Forces auxiliaires de réquisitionner les autobus de la Régie des transports en commun et en décrétant la gratuité des transports ce jour-là.
54Si quelques petits groupes circulent d’un point de la ville à un autre, et si les échos des violences commises dans un lieu contribuent à enclencher des mouvements ailleurs, dans l’ensemble, les actions se produisent presque simultanément ici et là selon des logiques voisines. Les rassemblements se transforment en marches attrape-tout qui se prolongent à travers deux formes d’interactions : l’affrontement avec les forces de l’ordre, qui règle les mouvements de regroupement et de dispersion ; la casse et le pillage, suivis ou accompagnés de batailles rangées avec les représentants du pouvoir central. Les cibles des attaques et des destructions sont de trois types : des lieux et des biens publics (commissariats de police, administrations, bureaux de poste, jardins publics, autobus, écoles, etc.) ; des hôtels de luxe, des banques, des boutiques, des cafés ; des usines. Souvent sélectives, les dégradations touchent essentiellement les « briseurs de grève ». Dans certains cas, le but initial est de se ravitailler en « armes » (objets en fer pointus et longs).
55A priori, le campus de Fès était supposé rester en retrait pendant la journée du 14 décembre. Dans un communiqué du 13 décembre, le comité provisoire des étudiants déclare sa solidarité avec les syndicats, appelle à l’interruption des cours le 14 et invite les étudiants à rentrer chez eux. À cette époque, l’université compte près de 35 000 étudiants originaires de la ville et des régions environnantes, et se distingue par la vitalité de son syndicalisme estudiantin. À l’inverse d’autres campus, l’offre militante reflète l’éventail de toutes les composantes en concurrence au Maroc au début des années 1990 : celles qui représentent les partis de la gauche parlementaire, ainsi que différentes tendances d’inspiration marxiste ou islamiste. Mais, en dépit des instructions du comité provisoire, des étudiants prennent part à des actions selon un mode tantôt proactif, tantôt réactif.
56Tandis que le campus reste calme toute la matinée, à 10 h 15, près de 500 étudiants initient une marche vers le centre-ville et scandent des slogans avant d’être dispersés sans incidents graves. À 14 h, en provenance du quartier limitrophe de l’université, où résident des étudiants, des militaires et des bidonvillois, une cinquantaine de personnes, dont quelques étudiants, se dirigent vers le campus en scandant : « La grève est là, où est l’étudiant ? » (al-idrab ha huwa, at-talib fin huwa ?). Ce slogan met en relief une absence jugée injustifiée et fait écho à la fonction d’avant-garde protestataire assignée aux étudiants. La présence imposante des forces de l’ordre autour du campus trahit des représentations du même ordre chez les autorités. Les premiers échos des affrontements ne tardent pas à se répandre : des étudiants apprennent la mort de manifestants dans la vieille médina et observent des chars quitter la caserne voisine. En outre, à l’heure du déjeuner, le mécontentement gronde parmi les résidents de la cité universitaire, qui ne sont pas rentrés chez eux : les gestionnaires du restaurant universitaire n’ont pas anticipé leur nombre et la nourriture disponible ne couvre que le cinquième des besoins. Soucieux de faire respecter les règles tacites de l’activisme estudiantin consistant à circonscrire les actions à l’intérieur des enceintes universitaires, les militants présents ce jour-là s’efforcent en vain d’empêcher leurs camarades de quitter le campus.
57Près de 4 000 étudiants auraient répondu à l’injonction externe. Immédiatement, ils se trouvent face aux forces d’intervention rapide, aux forces auxiliaires et aux militaires qui tentent de les disperser en usant de matraques et de bombes lacrymogènes. Une partie des étudiants circule de quartier en quartier, ralliant ici et là de nouveaux participants. Une autre partie se réfugie dans le campus, en étant poursuivie par les agents de l’appareil coercitif jusqu’à l’intérieur de la cité universitaire. Alors que les militants estudiantins ont essayé, au début de l’après-midi, de dissuader leurs camarades de sortir du campus, face à cette intrusion, ils leur enjoignent de défendre « le caractère inviolable de l’université » (hurmat al-jami‘a). Les forces de l’ordre, surnommées « forces du désordre » ou de « l’insécurité », procèdent à des arrestations, commettent des vols et des agressions, voire des viols. La rumeur d’une atteinte à « l’honneur des filles » relance le mouvement : un étudiant rameute des habitants du quartier voisin et une marche de près de 10 000 personnes s’achemine vers le campus. Les militants n’en laissent entrer que quelques centaines pour éviter d’autres débordements. Après de nouveaux affrontements, les agents de l’appareil coercitif sont évincés du campus. En définitive, la participation des étudiants en tant que groupe a été essentiellement impulsée par des éléments extérieurs au campus. Par la suite, ce sont les interactions avec les agents de l’appareil coercitif qui ont modulé le déroulement des événements. Le rôle des militants estudiantins a davantage consisté à contenir les étudiants, puis à les exhorter à défendre l’université, qu’à les inciter à s’engager dans une manifestation de rue.
58Dans l’ensemble, les modalités d’intervention de l’appareil coercitif pèsent fortement sur le déroulement des interactions. Comme en 1965, en 1981 et en 1984, elles laissent entrevoir, du moins dans les villes qui ont connu une forte répression, des forces auxiliaires et des forces d’intervention rapide dépassées et mal équipées16, à tel point que l’armée est systématiquement appelée à la rescousse pour mettre fin aux protestations et empêcher leur extension. Encore une fois, les événements ont des prolongements judiciaires et en matière d’action publique : à titre d’exemple, l’inscription de la question des diplômés chômeurs sur l’agenda public (encadré 12), une initiative qui fera date. Toutefois, l’épisode du 14 décembre 1990 ponctue un processus de mutations tant au niveau de la dynamique protestataire que de celui de la politique instituée, et ce d’autant plus qu’une nouvelle vague de mobilisations se développe en janvier et en février 1991.
Encadré 12 : L’inscription de la question des diplômés chômeurs sur l'agenda public
Dans son discours du 2 janvier 1991, Hassan II érige l’emploi des jeunes diplômés en priorité nationale après la question du Sahara. Créé par le dahir du 20 février 1991, le Conseil national pour la jeunesse et l’avenir (CNJA) est chargé de recenser les diplômés sans emploi, d’enquêter auprès des employeurs et de réaliser un programme d’urgence d’insertion des diplômés chômeurs. Présidé par le roi, il rassemble des représentants de tous les partis politiques et les syndicats. Acte symbolique, le secrétariat général est confié à un économiste de l’USFP, Habib Malki. À ce propos, deux aspects méritent d’être soulignés. Après la création du Conseil consultatif des droits de l’homme (CCDH) en avril 1990, le CNJA donne à voir la mise en place d’une formule destinée à désamorcer les crises à travers la constitution de commissions spécialisées, à prétention pluraliste et technique, mais sans aucun pouvoir décisionnel ; une modalité qui tendra à se routiniser dans les années 2000 (Allal et Kohstall, 2010). Sur un autre plan, la reconnaissance du problème au plus haut niveau de l’État et le déploiement d’un dispositif d’action publique favorisent l’éclosion d’un modèle protestataire. Pendant l’été 1991, fait inédit, des protestations de ceux qui se présentent désormais comme des « jeunes diplômés au chômage » se produisent dans 77 villes marocaines. Elles ont trois caractéristiques communes. Elles se focalisent sur une question spécifique, celle de l’emploi des jeunes diplômés. Elles mobilisent par-delà les clivages idéologiques qui structurent l’activisme estudiantin (débouchant parfois sur des affrontements sanglants comme ceux qui se produisent dans les campus de Fès et d’Oujda durant l’automne 1991). Les revendications se réfèrent directement aux directives royales. En octobre 1991, se tient le congrès national constitutif de l’Association nationale des diplômés chômeurs du Maroc (ANDCM) au siège de la CDT à Casablanca, en présence de 160 délégués représentant 77 comités provinciaux (Bennani-Chraïbi, 1994). À cette époque, rien ne laisse présager que ce mouvement deviendra une hydre à cent têtes (Emperador Badimon, 2020).
Les mobilisations de 1991 : une inflexion au croisement du national, du régional et du transnational
59En réaction à l’annexion du Koweït par l’Irak en août 1990, les États-Unis prennent la tête d’une coalition armée sous l’égide de l’ONU et déclenchent, le 17 janvier 1991, l’opération aérienne « Tempête du désert », suivie le 24 février d’une offensive terrestre. Le 28 février, Saddam Hussein accepte un cessez-le-feu. La guerre du Golfe suscite des protestations dans plusieurs pays de la région. Au Maroc, une mobilisation nationale exceptionnelle se produit pendant deux mois (Bennani-Chraïbi, 1994).
60Dès le début de la crise, Hassan II, fidèle allié des monarchies du Golfe, condamne avec fermeté le coup de force de Saddam Hussein tout en offrant ses bons offices pour le règlement de la crise. Le 9 août, un bataillon de 1 200 soldats marocains arrive en Arabie saoudite, alors que 5 000 hommes stationnaient déjà à Abou Dhabi dans le cadre d’un accord de coopération militaire datant de 1986. Dans son discours du 15 janvier 1991, le roi proclame son attachement à la « légitimité internationale ». Il menace d’instaurer l’état de siège à la moindre tentative de profiter de la situation dans le Golfe pour porter atteinte à l’ordre public, et de traduire les « semeurs de trouble » devant les tribunaux militaires où ils seraient traités en tant que « voleurs » et « pillards ».
61À l’exception du PPS, qui affirme son attachement à la légitimité internationale, tous les partis d’opposition condamnent la position du pouvoir dans le conflit du Golfe, réclament le rapatriement des soldats marocains, dénoncent l’ingérence et les « convoitises » occidentales, et se rangent derrière l’Irak, érigé en réparateur des torts causés par la colonisation, le sionisme et l’impérialisme. Pendant les mois de janvier et de février, des mouvements de protestation gagnent l’ensemble du Maroc. De manière inédite, ils se prolongent dans la durée tout en s’étendant dans l’espace géographique, donnant à voir une pluralité de foyers, différents modes d’action, mais aussi davantage de retenue de la part des agents de l’appareil coercitif. À côté de marches ou de grèves organisées à l’échelle nationale, voire autorisées, diverses actions sont menées.
62Les associations et les ordres professionnels multiplient les communiqués, les pétitions, les lettres aux ambassades, et organisent des manifestations dans des lieux clos. Des oulémas, un corps pourtant très quadrillé par le pouvoir central, signent une pétition dénonçant l’interventionnisme de l’État dans les prêches du vendredi. Les universités, les lycées et les collèges observent une effervescence continue. Tandis que les actions estudiantines se distinguent par leur coordination et leur encadrement, et tendent à ne pas déborder au-delà du campus, les lycéens constituent dans plusieurs villes le fer-de-lance de la mobilisation d’autres catégories de la population. En outre, les souks et les mosquées servent souvent de point de départ aux rassemblements et aux marches dans l’espace public. Pour tenter d’enrayer le mouvement, les autorités contactent les parents d’élèves, annulent les rencontres sportives et les souks hebdomadaires dans plusieurs lieux. Quant aux agents de l’appareil coercitif, ils encerclent les sites considérés comme stratégiques ou problématiques. Ils ont reçu pour instructions fermes de privilégier l’observation, d’intervenir pour entraver l’extension des mobilisations et de procéder à des arrestations tout en évitant de faire couler le sang. De nombreux cas de torture n’en sont pas moins rapportés par la presse d’opposition.
63Tout au long de cette période, les protestataires perçoivent la vulnérabilité du régime. Les rumeurs concernant les mutineries et les exécutions de militaires refusant le combat se multiplient. Radio France Internationale rapporte, puis dément la nouvelle selon laquelle plusieurs centaines de soldats marocains auraient déserté l’armée, en empruntant la frontière algérienne, pour rejoindre les troupes de Saddam Hussein. D’après d’autres témoignages, les autorités algériennes auraient remis les déserteurs à leurs homologues marocains, qui auraient procédé à des exécutions.
64Sur un autre plan, l’analyse des slogans et des anecdotes recueillis au cours de ces événements protestataires permet de distinguer trois types d’énoncés : une expression de solidarité avec l’Irak, une désignation de l’ennemi (les « sionistes », les « impérialistes » et leurs « valets » parmi les régimes arabes) et un déplacement du conflit sur la scène intérieure17. Le discrédit du régime semble total. Le tabou du roi est transgressé. Les blagues circulant après les tentatives de coups d’État sont réappropriées et remises au goût du jour. Le monarque est associé à un âne, rôle jusqu’ici réservé à ses protégés, aux ministres ou à des parlementaires. Bien davantage, face au héros du moment, sa virilité est remise en cause : « En Irak se trouve Saddam Hussein, au Maroc, Fatna Bent Lhoucine. » Dans ce slogan, l’assimilation de Hassan II à la célèbre chanteuse populaire tend à reléguer le monarque non seulement à l’univers des femmes, mais également à la sphère de la frivolité, de la légèreté, voire de la débauche.
65Les préoccupations à caractère local ou national sont loin d’être reléguées en arrière-plan. Dans les slogans où il est question du Maroc, elles prennent le dessus sur la dénonciation de la position du régime dans la guerre du Golfe. De nombreuses références sont faites au chômage des jeunes, aux détenus islamistes ou aux victimes de la répression des événements de décembre 1990. Les revendications estudiantines se mêlent à celles réclamant une constitution basée sur le Coran. Une étudiante casablancaise – qui un an plus tôt baissait la voix dans une pièce fermée, chez elle, lorsqu’il s’agissait de parler de « politique » – s’aventure désormais à exprimer son souhait de voir les manifestations aboutir à un renversement du régime :
« On réglera tous les comptes. Nos manifestations, c’est ça : nous appuyons une cause dérisoire et nous nous lançons… Pas dérisoire. L’Irak, ce n’est pas dérisoire. Qu’on se lève, qu’on aille saccager nous aussi le consulat américain, le consulat britannique et qu’on en profite pour en finir avec Bouqal18, avec le système. »
66Depuis le début du conflit, les syndicats et les partis d’opposition expriment leur volonté d’organiser une marche de soutien à l’Irak. Mais les autorités exigent d’eux la signature d’un procès-verbal engageant leur responsabilité en cas de troubles. Au même moment, l’UMT, accusée par les autres syndicats d’être proche du pouvoir, lance un appel à la grève générale fixé au 28 janvier 1991. Cette fois-ci, l’événement est non seulement toléré par les autorités, mais annoncé par la chaîne de télévision publique. La CDT et l’UGTM, soutenus par les autres syndicats sectoriels et par les partis d’opposition (à l’exception du PPS qui affirme son attachement à la légitimité internationale), se réapproprient le mot d’ordre tout en appelant au jeûne durant cette journée et à la lecture de la Fatiha19 à 10 h du matin. Comme jamais auparavant, ils multiplient les réunions préparatoires pour éviter la répétition du scénario du 14 décembre. Les autorités donnent à nouveau pour instructions aux forces de l’ordre d’éviter les dérapages. Ici et là, des troubles ne manquent pas de se produire, comme à Tanger, mais les protagonistes en présence semblent être rodés par l’expérience du 14 décembre.
67Le 30 janvier, le Comité national marocain de solidarité avec le peuple irakien voit le jour dans le cadre d’une assemblée constitutive au siège du Parti de l’Istiqlal à Rabat. Il rassemble les partis d’opposition (Istiqlal, USFP, UNFP, PPS, OADP) et les syndicats (CDT, UGTM, UMT, le Syndicat national de l’enseignement supérieur [SnéSup]). Le dimanche 3 février, une manifestation a lieu à Rabat. C’est l’une des plus impressionnantes qui se produit dans la région. Selon les organisateurs, elle aurait rassemblé entre 700 000 et un million de personnes provenant de différentes villes.
68Cette action est inédite à plusieurs titres. À l’exception des marches du 1er mai, c’est la première manifestation autorisée depuis les années 1960 ; même le trajet du cortège est accepté par les autorités. Alors même que la segmentation et la polarisation idéologique des challengers tendent à entraver la formation de larges coalitions (Parsa, 2000), elle met en scène la coalition des acteurs qui se sont concertés – notamment dans le cadre du comité de solidarité nouvellement créé –, et ce bien au-delà d’une coalescence rassemblant des acteurs qui ont accès à la politique instituée et d’autres qui en sont exclus (figure 5). En effet, les organisations islamistes se saisissent de cette opportunité pour démontrer publiquement leur capacité de mobilisation : leurs membres et sympathisants auraient représenté 40 à 70 % des manifestants (Tozy, 1999, p. 80). En outre, l’action laisse transparaître des apprentissages aussi bien du côté des protestataires que des autorités. Commencée à 10 h 30, elle se disperse dans l’ordre à 15 h 30. Les différents groupes manifestent avec leurs propres banderoles, les uns derrière les autres, chacun avec son service d’ordre. Aucun dérapage ne se produit et les organisateurs expriment leur fierté d’être parvenus à réaliser une manifestation « civilisée ».
69Bien davantage, les événements de décembre 1990, suivis par les mobilisations de janvier et de février 1991, constituent une inflexion importante. Ces mobilisations, qui surgissent à la jonction de temporalités politiques aussi bien nationales, régionales que transnationales, sont le point de départ d’une renégociation des règles du jeu politique. À partir de là, les partis de l’opposition légale modéreront leur recours à la voix disruptive de la rue. Désormais, la voie négociée « des institutions » leur semble plus opportune. Ils la privilégieront d’autant plus qu’ils craignent d’être débordés par des challengers, les organisations islamistes, qui auraient plus à gagner d’une déstabilisation du régime (Lust-Okar, 2004).
Figure 5 – L’arène protestataire en février 1991.

Figure inspirée d’une ébauche réalisée par Y. El Chazli, O. Fillieule et l’autrice dans le cadre de recherches communes. Les cercles concentriques renvoient à différents niveaux de coalition et de coalescence. L’arène protestataire est entourée par un trait discontinu rouge. Elle comprend des acteurs qui ont appelé à la manifestation : des syndicats (triangles), des associations (ovales), des organisations exclues de la sphère politique instituée (carrés et rectangles avec des traits discontinus), le Comité national marocain de solidarité avec le peuple irakien (entouré par un trait discontinu orange) regroupant des partis d’opposition (carrés ou rectangles avec des traits continus) et les syndicats mentionnés. Les couleurs indiquent le référentiel (d’inspiration islamiste en vert, de gauche en rouge, nationaliste en orange) ou la proximité avec le régime (bleu). Les réseaux informels renvoient aux regroupements fondés sur des liens d’interconnaissance (par exemple des relations de voisinage).
Processus d’inclusion et d’exclusion des islamistes marocains (1978-1998)
70Dès la fin des années 1990, des travaux s’interrogent sur les circonstances qui favorisent l’inclusion des organisations islamistes dans la politique instituée20. Les facteurs examinés sont externes (l’environnement politique), internes (calculs stratégiques, leadership, apprentissages) et relationnels (interactions avec la base et avec les autres composantes de la société et de la sphère politique). Dans le prolongement de ces recherches, comment interpréter les cheminements des deux principales composantes de l’islamisme marocain pendant les années 1980 et 1990 ? Tandis qu’Al Adl wal ihsane (Justice et bienfaisance – AWI) demeure (auto-)exclue de la politique instituée, le courant qui donne naissance au Mouvement unicité et réforme (MUR) s’engage rapidement dans un processus volontariste d’inclusion. Selon nos hypothèses, ces divergences s’expliquent non seulement par les conditions d’émergence, le type de leadership et les apprentissages politiques, mais aussi par la forme et le timing de la répression qui affecte les capitaux accumulés, et ce faisant les options privilégiées.
Al Adl wal ihsane : la persévérance dans l’(auto-)exclusion
71La genèse d’Al Adl wal ihsane (AWI) et ses développements sont intrinsèquement liés au parcours de son fondateur et guide (Belal, 2011 ; Tozy, 1999 ; Zeghal, 2005). Dès sa libération en 1978, Abdessalam Yassine aspire à unifier les rangs de l’islamisme marocain et à construire une organisation où l’éducation mystique se combine avec le militantisme politico-religieux. Après la création d’une première revue en 1979, il annonce celle d’un « mouvement islamiste », dénommé usrat al-jama‘a (La famille de la jama‘a). En 1983, le groupe obtient un statut légal en tant qu’association de bienfaisance et, en 1987, il prend le nom de jama‘at al ‘adl wal ihsane (Justice et bienfaisance/spiritualité). À cette occasion, le guide invite ses partisans à adopter ces notions comme un « résumé » de leur « programme ». Sa conception de l’ihsane (bienfaisance) se précise : « au niveau de la pratique cultuelle, c’est l’adoration de Dieu […] ; sur le plan du travail, c’est l’exécution de toute tâche avec excellence et perfection ; au niveau social, c’est le bel agir envers autrui » (Justice et Spiritualité, 2010). Peu à peu, AWI s’impose dans les lycées et les campus où ses membres s’approprient l’héritage de l’UNEM. Les mobilisations contre la guerre du Golfe de 1991 révèlent son hégémonie croissante dans l’arène protestataire.
72Jusqu’à sa mort en 2012, Abdessalam Yassine s’érige en figure hybride à la jonction de Mao, de Khomeiny, du guide des Frères musulmans, du guide confrérique et du commandeur des croyants. Il admoneste le prince, construit les fondements d’une société alternative, tout en se posant comme substitut potentiel au monarque alaouite. De son vivant, l’idéologie préconisée, les profils recrutés, « l’éducation » et l’encadrement mis en œuvre tendent à converger, laissant rarement place aux prises de parole dissonantes. Dans l’ensemble, la constance imprègne les grandes options : une posture de défi vis-à-vis de la monarchie, une aspiration à changer la société et l’État par le bas, le rejet de la violence politique, la tolérance du pluralisme dès lors qu’il s’exprime sous la houlette de l’islam. En outre, l’ancien inspecteur d’enseignement lance des appels récurrents au « dialogue avec l’élite occidentalisée », en recourant à la langue de Molière et à la terminologie en vogue au sein de la gauche marocaine. Un syncrétisme se dégage également de l’armature organisationnelle. D’une part, l’un des livres d’Abdessalam Yassine, Al Minhaj (La Voie), sert de fondement à la vie spirituelle des adeptes. Minutieusement recrutés, leur journée est programmée du lever au coucher. D’autre part, le « centralisme non démocratique » qui innerve AWI (Tozy, 1999, p. 198 ; Darif, 1999) puise dans le répertoire des matrices nationaliste et communiste : jeunesse, sections féminine et syndicale, cercles de réflexion, associations, etc.
73Le mouvement est régulièrement frappé par la répression : détention (1983-1985), puis assignation à résidence de son guide (1989-2000), vagues d’arrestations tantôt massives, tantôt sélectives, souvent de courte et de moyenne durée, torture, licenciement, interdictions d’activités, locaux mis sous scellés, etc. Mais les épreuves endurées par le guide contribuent à le sanctifier. Sensible à ce registre, Hassan II aurait renoncé à le mettre à mort en 1974 après l’intervention d’un majdub, un ravi en Dieu (Belal, 2011, p. 138). Par la suite, il évitera de le soumettre aux mêmes sévices que les autres opposants. De plus, Abdessalam Yassine continue à écrire, à publier et à structurer son mouvement, quelle que soit sa situation. Sauf exception, la répression subie par les membres tend à filtrer les recrues, à resserrer les liens au sein du groupe, à favoriser la production de dispositifs de solidarité et à étayer un récit apologétique sur les sacrifices consentis. Autrement dit, les capitaux collectifs sont consolidés dans leurs dimensions affectuelle, symbolique et organisationnelle. Enfin, tout en déployant régulièrement sa capacité de mobilisation dans l’arène protestataire, AWI opte à d’autres moments pour des stratégies de repli sur la prédication, l’éducation spirituelle et l’action associative de proximité. Dans une telle configuration, le leadership semble considérer que l’organisation n’a rien à gagner à devenir un parti politique comme les autres, pariant que le « fruit pourri va finir par tomber de lui-même21 ». En revanche, le Mouvement de la jeunesse islamique (MJI) connaît un tout un autre destin.
Du Mouvement de la jeunesse islamique au Mouvement unicité et réforme
74En 1975, l’implication de membres du Mouvement de la jeunesse islamique dans l’assassinat d’Omar Benjelloun entraîne la dissolution du groupe en 1976. Bien avant l’exil d’Abdelkrim Mouti en 1980, cette nébuleuse observe une dynamique centrifuge (Tozy, 1999). Cependant, le recrutement se poursuit grâce au réseau d’enseignants tissé par celui-ci, et s’amplifie en relation avec la révolution iranienne qui élargit l’horizon des possibles. Par ailleurs, la répression frappe très sélectivement cette mouvance, le régime continuant à favoriser la polarisation du militantisme estudiantin entre la gauche marxiste et l’islamisme. Peu à peu, des intellectuels issus du MJI s’engagent dans une réflexion « autocritique » qui les amène à réviser leurs objectifs, leurs stratégies, leurs modalités d’action et d’organisation, ainsi que leur rapport au régime. Se faire reconnaître par celui-ci comme un interlocuteur fiable devient l’un de leurs principaux objectifs.
75À partir de 1976, les divisions se structurent autour de deux lignes de partage : le positionnement à l’égard du dirigeant de l’association dissoute, le rapport à la violence politique et à la monarchie (figure 6). Ceux qui se dissocient de Mouti rejoignent en majorité le mouvement d’Abdessalam Yassine, et en minorité le groupuscule Jihad, adepte de la violence politique. Un deuxième courant demeure loyal à l’ancien inspecteur d’enseignement, avant de le répudier et de créer en 1981 l’Association du groupe islamique (Jam‘iyyat al-jama‘a al-islamiyya), rebaptisée en 1992 Réforme et renouveau (al-islah wa at-tajdid). Une troisième tendance refuse de prendre position et s’investit dans des associations religieuses locales qui fusionnent en 1994 au sein de la Ligue du devenir islamique (rabitat al-mustaqbal al-islami). En 1996, les composantes des deux dernières mouvances se réunifient dans le cadre du Mouvement unicité et réforme (harakat at-tawhid wa al-islah – MUR).
Figure 6 – Du Mouvement de la jeunesse islamique au Mouvement unicité et réforme (1976-1996).

Dans cette figure, la relation sous forme de trait continu noir renvoie à une filiation, à un changement de nom ou à une fusion, tandis que celle en pointillés gris indique des circulations d’individus d’un collectif à un autre.
76Au milieu des années 1990, ce sont des hommes nés entre 1953 et 1959 qui incarnent le MUR. Tous réalisent une forte mobilité sociale ascendante. Ils sont les premiers de leurs familles à accéder à l’université, souvent au prix d’une mobilité résidentielle des zones rurales ou semi-rurales vers les capitales politique, économique et culturelle. Ils sont nombreux à vivre leurs premières expériences dans un campus dominé par les mouvements de gauche comme une épreuve. Ils étudient le droit, la philosophie, la physique, la médecine, l’ingénierie ou la théologie. À l’exception d’Abdelilah Benkirane, qui a grandi dans une famille proche de l’Istiqlal et qui fréquente d’abord les jeunes de l’USFP avant d’adhérer au MJI, tous les autres se caractérisent par un primo-engagement dans la mouvance islamique. Certains, comme Ahmed Raïssouni et Saad Eddine Othmani, transitent par la filiale marocaine de l’association piétiste Tabligh wa da‘wa (littéralement « transmission et prédication »). À part Raïssouni, qui crée l’Association islamique de Ksar el-Kébir en 1976 et qui fonde la Ligue du devenir islamique en 1994, ils sont tous socialisés au sein du MJI. Au début des années 1980, certains d’entre eux subissent une détention de courte durée. Sur le plan intellectuel, trois profils prédominent. Ahmed Raïssouni est l’archétype du théologien issu de « la fragmentation des réseaux de formation religieuse » (Zeghal, 2005, p. 215). Il obtient une licence à la Qarawiyyin de Fès, puis un doctorat en théologie à l’université Mohammed V de Rabat. D’autres tentent d’acquérir une formation religieuse accréditée, parallèlement ou après avoir suivi une filière d’études séculière. C’est le cas de Saad Eddine Othmani, né dans une famille du Souss qui valorise le savoir religieux. Lorsqu’il deviendra chef du gouvernement en 2017, les journalistes rappelleront régulièrement sa double casquette de psychiatre et de fqih*. Mohamed Yatim incarne un troisième profil. Professeur de philosophie et de sciences de l’éducation, il s’investit dans la rénovation idéologique sans être doté d’un titre ou d’un diplôme couronnant un cursus religieux. Chacune de ces figures joue un rôle majeur dans l’aggiornamento qui s’opère dans les années 1980.
77Tandis que Yassine admoneste le prince, ces intellectuels cherchent à rassurer la monarchie et à se faire reconnaître comme des interlocuteurs fiables. Ce faisant, ils se prévalent « d’un devoir d’autocritique, dans la pure tradition marxiste » (Tozy, 1999, p. 234). Dans leur propre relecture de leur histoire, ils distinguent deux étapes. Entre 1973 et le début des années 1980, l’option révolutionnaire puise son inspiration dans les écrits de prison de Sayyid Qutb, l’idéologue égyptien des Frères musulmans. Au cours d’une seconde phase, la quête du compromis se traduit par une profonde réorientation idéologique. D’une part, ils rejettent l’héritage d’Abdelkrim Mouti, le principe même de guide et tout recours à la violence. Cependant, au début des années 1990, les campus demeurent des lieux de confrontation physique entre islamistes et marxistes. D’autre part, il n’est plus question de proclamer que l’État et la société sont « impies », mais de reconnaître le Maroc comme un État déjà islamique et les Marocains comme des musulmans qu’il s’agit d’« éduquer », en recourant notamment à l’action associative et culturelle, et à l’écrit (presse, ouvrages). Le pluralisme est légitimé dès lors qu’il y a consensus sur l’islamité de tous les acteurs. Alors que certains le qualifient d’« islamiste du Palais » ou l’accusent d’être devenu un agent du ministère de l’Intérieur après sa courte arrestation en 1981, Abdelilah Benkirane ne cessera de répéter que son revirement et celui de ses camarades sont le produit d’une prise de conscience. À partir de 1992, le déclenchement de la guerre civile en Algérie donne un nouvel élan à leurs tentatives d’inclusion. Des contacts sont établis avec le Dr Khatib, resté proche du Palais et à la tête du MPDC. En 1997, des membres du MUR rejoignent cette coquille vide et se présentent pour la première fois aux législatives sous son étiquette. Au moment où les héritiers du Mouvement national s’apprêtent à quitter l’opposition parlementaire pour former une coalition gouvernementale, une partie de la mouvance islamiste marocaine est ainsi intégrée dans la politique instituée. En 1998, le MPDC prend le nom de Parti de la justice et du développement (PJD – hizb al-‘adala wa at-tanmiya), le même que celui que se donnera l’AKP turc en 2001. Ce faisant, il affiche la voie qu’il compte emprunter.
Des cheminements divergents
78Jusqu’aux années 1990 du moins, les cheminements d’AWI et de la mouvance qui donne naissance au MUR montrent que les facteurs qui favorisent l’inclusion dans la politique instituée sont irréductibles à des variables qui agiraient en amont et de manière mécanique sur le devenir d’une organisation et sur ses apprentissages politiques, incitant ou inhibant la désirabilité ou le refus du compromis et de la coopération.
79Les deux composantes bénéficient d’un contexte idéologique régional propice à l’islamisme et de la forte répression à l’encontre des marxistes que le régime souhaite marginaliser au sein des campus. Elles s’investissent toutes les deux dans l’accumulation de capitaux organisationnels, peu entravée par le type de répression subi. En revanche, d’autres facteurs contribuent à forger leurs parcours divergents, ce qui se répercute sur les profils militants qu’elles sélectionnent et retiennent22. Dans le cas d’AWI, la personnalisation du leadership, sa longévité et le « centralisme non démocratique » sont structurants et intériorisés. Le mysticisme se conjugue avec le rejet idéologique de la violence, et le guide – qui n’hésite pas à s’ériger en substitut potentiel du commandeur des croyants – refuse de se plier aux conditions de participation au jeu politique institué. À l’inverse, le MUR résulte d’un aggiornamento conduit par des figures de la même génération, dotées de ressources équivalentes et qui ont répudié le principe de guide en même temps que la violence politique. La politique du compromis avec la monarchie a fait l’objet de débats internes, d’une production doctrinale et d’une « éducation ». Ces circonstances favorisent le développement d’une démocratie interne et des capitaux collectifs initiaux, en dépit de l’existence de connexions avec les autorités.
80Par-delà les divergences idéologiques, la trajectoire de l’USFP se distingue de celle de ces deux mouvances à bien des égards. À l’inverse d’Abdessalam Yassine – ou du leader de gauche Omar Benjelloun assassiné en 1975 –, Abderrahim Bouabid, premier secrétaire de l’USFP de 1975 à 1992, a plus d’appétence pour le « jeu de poker » avec Hassan II que pour la construction d’un appareil. Au contraire du MUR, l’USFP ne voit pas le jour à la suite d’un véritable aggiornamento. De plus, l’existence d’un « téléphone rouge » entre le roi et le dirigeant charismatique est d’autant plus propice à la personnalisation du pouvoir de celui-ci que le choix du compromis avec la monarchie est adopté par à-coups et entre « initiés ». La dynamique interne du parti et la fragilité de ses capitaux organisationnels ne manquent pas de peser sur les transactions qui conduisent à l’alternance en 1998.
La quête de « l’alternance »
81À partir du début des années 1990, Hassan II manifeste une plus grande réceptivité aux revendications de l’opposition et aux incitations internationales en matière de libéralisation politique. Sur le terrain des droits de l’homme, il multiplie les gestes symboliques : libération de prisonniers célèbres, destruction du bagne mouroir de Tazmamart, etc. Sur le plan institutionnel, le Conseil consultatif des droits de l’homme (CCDH) est créé en 1990, les tribunaux administratifs en 1993, le Conseil constitutionnel et le Conseil consultatif pour le suivi du dialogue social en 1994, etc. En 1993, le Maroc ratifie la Convention internationale contre la torture. Deux ans plus tard, il signe les accords de Partenariat euro-maghrébin de Barcelone, qui encouragent l’instauration de « façades démocratiques » (Hibou et Martinez, 1998). Au cours de ces années, la libération des victimes des années de plomb et le retour des exilés contribuent à donner un nouvel élan à l’espace associatif et renforcent les rangs d’organisations issues du mouvement marxiste, qui sont peu à peu légalisées (Rollinde, 2002). De plus, les négociations entre le roi et les partis d’opposition sont relancées. Dans le royaume, la mise en scène du changement politique tend à emprunter la voie des mémorandums, de la réforme constitutionnelle et de l’organisation d’élections supposées régulières, tout en laissant place aux calculs implicites et aux non-dits.
82Ce que les protagonistes ont surnommé l’« alternance consensuelle » fait l’objet de multiples lectures : résultat d’une « dépolitisation consensuelle » (Vairel, 2014, p. 82 ; Roussillon et Ferrié, 2006), « désamorçage » consolidé de la politique instituée, ou encore prémisses de la recomposition d’un régime qui n’est « ni tout à fait le même, ni tout à fait un autre » (Catusse et Vairel, 2003). Quelle que soit la portée transformative de l’avènement du gouvernement d’Abderrahman Youssoufi en 1998, les tâtonnements qui caractérisent cette séquence montrent bien que ce processus ne suit pas une ligne rectiligne. Ils mettent également en évidence le décalage qui existe entre les intentions initiales des acteurs, les actions qu’ils mènent en situation et les résultats de ces actions et interactions. Entre 1992 et 1997, la quête de l’« alternance » est si tortueuse qu’elle nécessite deux réformes constitutionnelles. Elle passe par plusieurs faux départs, avant une mise en œuvre « consensuelle » et sans grande incertitude électorale. Sa mise en récit puise dans les mythes du Mouvement national et une pièce de son répertoire : le serment. Par ailleurs, elle est très imprégnée des cadrages transitologiques du moment. Pour aller vite, ces approches mettent l’accent sur la capacité des élites concurrentes à contracter un « pacte » et à s’entendre sur des règles du jeu pour organiser des élections « fondatrices », ce qui est supposé enclencher le passage à la démocratie.
La voie tortueuse vers l’« alternance consensuelle » (1992-1997)
83En 1992, le roi est disposé à procéder à une réforme constitutionnelle et à une transformation du découpage et des lois électorales. Pour renforcer leurs positions, l’Istiqlal, l’USFP, le PPS, l’OADP et l’UNFP constituent un bloc démocratique (al-kutla ad-dimuqratiyya)23 en mai 1992. Le mois suivant, le front adresse un mémorandum au roi, qui comporte deux revendications principales : la clarification des prérogatives des institutions exécutives et l’élection de tous les membres du Parlement au suffrage universel direct.
84Loin de remettre en cause les équilibres fondamentaux du régime, le texte soumis au référendum du 4 septembre 1992 enregistre quelques concessions. En préambule, il affirme l’attachement du Maroc « aux droits de l’homme tels qu’ils sont universellement reconnus ». Il institue un conseil constitutionnel (titre VI). Le gouvernement est davantage valorisé et sa formation cesse d’être une prérogative du roi. Désormais, celui-ci nomme les ministres sur proposition du Premier ministre (article 24). La liberté absolue du roi en matière de promulgation des lois est écornée (article 26). La proclamation de l’état d’exception n’entraîne plus la dissolution du Parlement (article 35).
85Ce texte divise aussi bien la Koutla que la direction de l’USFP. Au final, c’est l’appel au boycott qui prévaut. Par la suite, tous dénoncent le déroulement « non démocratique » de la campagne référendaire et les résultats plébiscitaires du scrutin. Mais, à l’exception de l’UNFP, ils participent aux communales du 16 octobre 1992, puis aux législatives de 1993. Ensuite, la répartition des candidatures entre les partis suscite d’importants désaccords et, en fin de compte, seuls l’Istiqlal et l’USFP persistent dans cette voie. Pour la première fois depuis trente ans, l’opposition parlementaire arrive en tête du premier tour des législatives (25 juin 1993), avec l’USFP en première position, directement suivie par l’Istiqlal. Ensemble, les deux partis obtiennent 91 sièges sur les 222 élus au suffrage universel direct. À ce stade, ils envisagent la possibilité de former un gouvernement majoritaire en incluant le RNI. Cependant, les résultats controversés du scrutin indirect du deuxième tour (17 septembre) sont défavorables à la Koutla. Le premier secrétaire de l’USFP de 1992 à 2003, Abderrahman Youssoufi, s’exile volontairement à Cannes pour protester contre le trucage des élections, et pour manifester son mécontentement face aux divisions de la Koutla et de l’USFP.
86En dépit des résultats des urnes, Hassan II invite M’hamed Boucetta, secrétaire général de l’Istiqlal de 1974 à 1998, à former un gouvernement. À l’exception du PPS, la Koutla persiste dans son refus de s’associer au pouvoir en l’absence d’une majorité parlementaire et de siéger au sein d’un gouvernement incluant des « ministères de souveraineté », notamment les Affaires étrangères, la Justice, les Affaires religieuses et l’Intérieur. Elle dénonce aussi l’acharnement de Driss Basri à fausser la volonté populaire, exige une nouvelle révision constitutionnelle pour supprimer le suffrage indirect, ainsi que la libération de l’ensemble des détenus politiques et l’amnistie des exilés. Le roi décrète une amnistie générale le 9 juillet 1994, mais refuse de renoncer à son ministre de l’Intérieur.
87Peu après, l’opposition finit par tolérer ce qu’elle n’était pas disposée à accepter jusqu’en 1995. Elle obtient toutefois une nouvelle réforme constitutionnelle en 1996, dont la principale avancée est la réintroduction du bicaméralisme, qui vise à distinguer la représentation populaire de celle des intérêts. Désormais, la Chambre des représentants est totalement élue au suffrage universel direct pour cinq ans. Celle des conseillers est élue au suffrage indirect pour neuf ans. Sans que cela soit constitutionnalisé, le roi concède également à la Koutla que la primature revienne au leader du parti qui obtient le plus de voix, et promet des élections « transparentes ». Le changement d’attitude de toutes les composantes de la Koutla, excepté l’OADP, se cristallise dans un appel à voter « oui » au référendum constitutionnel de septembre 1996, un geste inédit depuis l’indépendance. Comment les décideurs de ces partis en sont-ils venus à ce revirement ?
La mise en place d’une « alternance consensuelle » sans incertitude électorale
88Le 28 février 1997, un « pacte d’honneur et de bonne conduite » est signé entre les pouvoirs publics et les partis politiques. La même année, la Commission nationale de suivi des élections est constituée. Néanmoins, le Palais met en place un dispositif pour préparer une alternance sans surprise. Dès la constitution de la Koutla en 1992, il incite l’UC, le MP et le PND à se regrouper au sein d’un bloc : le Wifaq (l’entente). Ensuite, en septembre 1996, Hassan II appelle à l’émergence d’un centre (Kasmi, 2015, p. 208). Celui-ci se forme autour du RNI, du MNP et du Mouvement démocratique social (MDS), créé en 1996 par 17 parlementaires du MNP et dirigé par Mahmoud Archane, un ancien commissaire de police. Parallèlement, la scène partisane continue à s’élargir. Outre l’intégration des islamistes du MUR dans le cadre du MPDC, le Parti socialiste démocratique (al-hizb al-ichtiraki ad-dimuqrati – PSD24) naît d’une scission au sein de l’OADP en 1996, et le PPS connaît le même sort avec la création du Front des forces démocratiques (jabhat al-qiwa ad-dimuqratiyya – FFD) en 1997. Pour les adversaires du ministre de l’Intérieur, c’est lui qui a orchestré cette segmentation en vue de fragiliser la Koutla. En matière d’organisation du scrutin, ses prérogatives ne sont pas écornées. Le découpage électoral, le scrutin uninominal majoritaire à un tour et les interventions directes permettent de peaufiner la carte souhaitée par le roi. De manière inédite, des trucages sont dénoncés par des membres de l’USFP, qui en ont bénéficié et qui y perçoivent le souhait de décrédibiliser leur parti.
89À l’issue du scrutin, les résultats annoncés sont à l’image de l’équilibre souhaité par le roi. La Koutla arrive en tête, sans pour autant remporter une majorité par les urnes, avec 102 sièges à la Chambre des représentants (Lopez Garcia, 2013). En face, le Wifaq récolte 100 sièges et le Centre 97 sièges (tableau 3). Quant aux islamistes intégrés au sein du MPDC, ils remportent 9 sièges.
90Le 4 février 1998, Hassan II désigne Abderrahman Youssoufi au poste de Premier ministre. Après un mois et demi de négociations, le gouvernement formé comprend sept partis politiques : l’USFP, l’Istiqlal, le PPS, pour la Koutla ; le PSD et le FFD, issus des scissions du PPS et de l’OADP ; et deux partis du « Centre », le RNI et le MNP, considérés quelques années plus tôt comme « administratifs ». En définitive, le gouvernement d’« alternance consensuelle » n’est pas imposé par les urnes ; il est né d’un pacte entre deux hommes : Hassan II et Abderrahman Youssoufi. Reste à souligner un point : pour les opposants qui se sont engagés dans cette voie, cette étape est transitoire.
Tableau 3 – Les résultats des législatives de 1997 en nombre de sièges.

Les registres de justification de l’« alternance consensuelle »
91À la veille de l’alternance « consensuelle » ou « octroyée », les propos officiels et officieux tenus par ses adeptes au sein de la Koutla puisent dans deux registres principaux : les mythes fondateurs du Mouvement national et les grilles de lecture transitologiques (El Maslouhi, 2009 ; Vairel, 2007).
92En octobre 1995, Hassan II présente le dernier rapport de la Banque mondiale devant les parlementaires et annonce que le Maroc est « au bord de la crise cardiaque ». Face à « la gravité de la situation », les adeptes de l’alternance consensuelle appellent à une nouvelle alliance entre la monarchie et les héritiers du Mouvement national pour « sauver le pays » et préserver « l’intérêt national ». Il s’agirait de ne pas manquer « le rendez-vous avec l’histoire », mais d’en « corriger » un raté. D’après Mohamed Sassi, l’un des adversaires de cette stratégie, la dimension psychologique aurait été surinvestie : « C’est notre radicalisme qui aurait bloqué le roi25. » Dès lors, restaurer des relations de confiance avec le Palais passe par des signaux forts, puisant dans le répertoire de la « Révolution du roi et du peuple ». Clamer haut et fort son adhésion à la monarchie en votant en faveur de la constitution en 1996 et, à l’abri des regards, prêter un serment solennel pour consacrer un pacte entre deux hommes : l’un qui se sait mourant, l’autre âgé de 74 ans et érigé en « régent de transition » après avoir combattu la monarchie pendant une partie de sa vie (Gallissot, 2002, p. 8).
93Les narrations transitologiques se fondent implicitement sur la fin imminente du règne de Hassan II. Derrière l’appréhension de la « crise cardiaque » économique et de la progression de l’islamisme, se terre aussi la peur du chaos qui pourrait naître de la mort du roi, une crainte diffuse depuis que les promesses démocratiques algériennes se sont muées en guerre civile (Bennani-Chraïbi, 2002). À cette époque, des dirigeants de l’USFP expliquent que les « colombes » de l’opposition et du régime doivent s’allier pour faire face aux éventuelles nuisances des « faucons », et qu’il est nécessaire d’être « aux commandes » à l’heure fatidique afin d’éviter les dérives qui peuplent leur imaginaire : retour en force de l’armée, prise en main du pays par Driss Basri, triomphe de l’« extrémisme » islamiste, etc. Par ailleurs, à l’étranger, le FMI mise sur l’arrivée des socialistes au gouvernement pour assainir la situation économique. Les incitations proviennent également des amis socialistes qui sont au gouvernement ici et là en Europe. En visite officielle au Maroc en 1997, le Premier ministre français Lionel Jospin aurait déclaré aux membres du bureau politique de l’USFP : « Si vous attendez que la situation soit parfaite, vous n’irez jamais au pouvoir. Le Palais vous fait cette offre parce qu’il a besoin de vous » (Dalle, 2011, p. 359). Tous ces arguments confortent les positions des ministrables du parti qui aspirent à quitter l’opposition.
94À la veille de l’alternance, les enjeux organisationnels entrent aussi en ligne de compte. D’une part, les relations au sein de la Koutla sont marquées par la méfiance et la rivalité. D’autre part, les divisions au sein de l’USFP s’attisent depuis la maladie d’Abderrahim Bouabid, décédé en 1992. Dès lors, c’est « un homme de consensus » qui lui succède. Certes, Abderrahman Youssoufi bénéficie de sa figure d’« ancien compagnon de Mehdi Ben Barka », de l’aura de l’exil, de sa stature internationale, et de son image de « vieux sage » et de « force tranquille ». Mais, en définitive, ce sont les capitaux qui lui font défaut qui l’érigent au-dessus de la mêlée : il n’a aucune prise sur l’appareil partisan, et il n’a de fief ni familial, ni tribal, ni régional. Autrement dit, il n’est pas perçu comme une menace par les autres dirigeants en concurrence. En définitive, les « atouts » qui lui ont permis de devenir premier secrétaire de l’USFP ne tardent pas à se transformer en handicaps. En effet, Abderrahman Youssoufi s’efforce vainement de colmater les brèches au sein du parti. À défaut de pouvoir mobiliser de solides capitaux collectifs partisans, il joue la carte du « pacte » avec le roi. En outre, un espoir indicible, mais très vite déçu, se profile parmi ses proches : une stature de Premier ministre devrait lui donner les moyens de reprendre en main l’USFP.
Conclusion
95À partir du milieu des années 1970, le régime s’institutionnalise et impose sa domination politique, en se lançant dans une conquête monopolistique des ressources coercitives, symboliques et économiques. Le parti politique reste perçu comme un outil privilégié pour organiser le jeu politique, et les technologies de mobilisation via les partis administratifs se développent. Pour autant, la monarchie marocaine ne suit pas une pente naturelle. Tout en intégrant une partie de ses opposants dans la politique instituée, elle ne parvient ni à les soumettre dans l’absolu, ni à faire taire la voix de la rue, ni à entraver le développement d’autres groupes d’opposition.
96Pour les dirigeants des partis d’opposition – qui ont fait le deuil d’une conquête du pouvoir à travers la voie révolutionnaire, insurrectionnelle, voire prétorienne –, la reconnaissance légale et la participation aux institutions permettent de desserrer l’étau de la répression, de bénéficier de tribunes, et d’avoir accès à un ensemble de ressources matérielles et symboliques. Ils dénoncent régulièrement le trucage des élections et la création de « partis administratifs » par le ministère de l’Intérieur, mais ne désespèrent pas d’accroître leur marge de manœuvre à chaque fois que l’occasion se présente. S’ils ont renoncé à la violence politique, ils jouent un rôle moteur dans l’arène protestataire. Grâce aux capacités de mobilisation syndicale qu’ils développent, ils exercent des pressions sur l’institution monarchique pour renégocier leur position au sein de la sphère politique instituée. Cependant, la crainte d’être débordés par des challengers, qui auraient plus à gagner d’une déstabilisation du régime, contribue à modérer leur recours à la voix de la rue, surtout lorsque la voie négociée des institutions s’avère plus opportune. En effet, des événements comme ceux de 1981, 1984 et 1990 sont loin d’être pacifiés. Ils favorisent l’entrée en scène d’acteurs faiblement organisés et sont presque systématiquement écrasés dans le sang, ce qui n’est pas le cas des mobilisations contre la guerre du Golfe en 1991. Celles-ci constituent un seuil inédit dans l’histoire protestataire du Maroc contemporain, du fait de leur durée, de leur déroulement dans plusieurs localités, de leur caractère transclassiste et de la formation d’une large coalescence. Bien qu’elles surgissent en relation avec un conflit qui se déroule en dehors des frontières du pays et qu’elles se déploient pour l’essentiel dans les zones urbaines, elles donnent à voir un nouveau seuil dans la nationalisation de la protestation. C’est le point de départ d’une nouvelle renégociation des règles du jeu politique.
97Entre 1992 et 1997, la vie politique marocaine est animée, d’une part, par une très forte continuité au niveau des élites politiques en présence et, d’autre part, par des horizons d’attente, des désenchantements et des autolimitations au croisement du temps mondial, du temps régional et du temps biologique, celui du corps d’un roi vieillissant et malade. La quête tortueuse de l’« alternance » ouvre la voie à la création de nouvelles institutions, connaît plusieurs faux départs, avant une mise en œuvre « consensuelle » et sans grande incertitude électorale. La politique officielle est désormais structurée de manière à réduire toute asymétrie significative entre les partis issus du Mouvement national (la Koutla) et les autres « blocs » constitués pour les contrebalancer, sans compter la marge de correction des résultats que le régime s’est réservée.
98La formation d’un gouvernement d’« alternance consensuelle » en 1998 est mise en scène comme un rituel de clôture des luttes entre les héritiers du Mouvement national et la monarchie : la stabilisation du jeu politique officiel résulterait d’un consentement mutuel entre des adversaires qui n’étaient jusque-là en accord ni sur l’espace du jeu politique, ni sur ses règles. Dans les faits, ce processus est sous-tendu par un enchaînement d’accords, plus ou moins ambivalents, entre des protagonistes fortement imprégnés par les cadrages transitologiques du moment. En outre, les adeptes de l’alternance sont conscients qu’ils ne disposent pas de capitaux collectifs partisans leur permettant d’obtenir de Hassan II plus que ce qu’il n’a consenti. C’est avec Mohammed VI qu’ils espèrent passer de « l’alternance consensuelle » à « l’alternance démocratique », faire fructifier leurs capitaux partisans, renforcer leur crédibilité politique, et renégocier la distribution du pouvoir entre la monarchie et l’exécutif issu des urnes. Les équivoques qui entourent cet épisode plantent le décor pour une reconfiguration ambivalente de la scène partisane pendant les années 2000.
Notes de bas de page
1 Clin d’œil au titre du livre dirigé par S. Luck et S. Dechezelles (2011).
2 Dans l’usage vernaculaire que nous en faisons dans ce chapitre, cette formulation désigne les partis issus des matrices nationaliste et communiste.
3 Pour rappel, ils doivent cette appellation au soutien direct ou indirect de l’administration et à leur proximité avec le Palais (voir infra).
4 Entretien réalisé par l’autrice, à Casablanca, en juillet et en août 2005.
5 Ce point est davantage traité dans le chapitre 5.
6 Voir le tableau 12 dans le chapitre 5.
7 Pour rappel, cette notion renvoie de manière idéale typique à un rapport au politique imprégné par des représentations et des identités politiques plus ou moins conflictualisées, plus ou moins institutionnalisées, et qui transcendent les fragmentations localisées, territorialisées, ou à caractère ethnique.
8 Selon l’expression d’Abderrahim Bouabid, à l’occasion du 2e Conseil national de la jeunesse de l’USFP, le 25 mars 1983.
9 Pour rappel, Ch. Tilly (2003, p. 19) refuse d’utiliser ce terme dans sa typologie des actions collectives violentes, en raison de sa normativité et parce qu’il est employé pour disqualifier des acteurs qui, par ailleurs, assimilent leurs performances à des manifestations, à des protestations, à des résistances ou à des ripostes.
10 Une démarche voisine est adoptée par J. Siméant (2014).
11 Elle est créée en 1979 dans le giron de l’USFP. Après une phase de mise en veille, elle connaît un renouveau dès la fin des années 1980 avec l’affluence de militants de la gauche radicale et de l’extrême gauche, et la dynamique lancée par la création laborieuse de l’Organisation marocaine des droits de l’homme (OMDH) en décembre 1988, par des (ex-)militants de l’USFP, du PPS, de l’OADP, du RNI, et par des indépendants.
12 Fouad Abdelmoumni, 2017, « Notre histoire avec le livre : “Notre ami le roi” », 10 juillet. Disponible sur : [https://www.facebook.com/fouad.abdelmoumni/posts/10155524361844140], consulté le 26 décembre 2020.
13 L’Opinion, 14 juin 1990.
14 Al-Ittihad al-ichtiraki, 15 juin 1990.
15 Al-Ittihad al-ichtiraki, 30 décembre 1991.
16 Voir les conclusions de la commission d’enquête parlementaire constituée le 28 décembre 1990.
17 Des slogans ont été directement recueillis dans les campus de Casablanca et durant la journée du 28 janvier à Tanger. D’autres, scandés par les étudiants à Fès, par les lycéens à Sefrou ou par les organisations islamistes pendant la journée du 3 février, nous ont été rapportés par des informateurs. En outre, le quotidien Al-Ittihad a rendu compte quotidiennement des mouvements qui se sont produits dans différents sites, transcrivant souvent les slogans qui ont été scandés (Bennani-Chraïbi, 1994).
18 Sobriquet qu’elle donne au roi Hassan II et qui se réfère habituellement à la forme d’une tête.
19 Sourate liminaire du Coran récitée lors de cérémonies comme les mariages ou dans d’autres circonstances importantes, elle était déjà récitée lors des protestations contre le Dahir berbère (chapitre 1).
20 Voir par exemple J. Schwedler (2011) pour un état de la question et E. Wegner (2011) sur le Maroc.
21 Propos de la fille du fondateur, Nadia Yassine, prononcés à l’occasion d’une conférence en juin 2005, à l’université de Berkeley.
22 Point abordé dans le dernier chapitre pour les membres du PJD, issu de la matrice du MUR.
23 Pour rappel, le terme kutla est l’une des composantes du nom donné à l’embryon du premier parti marocain en 1934 : le Comité d’action marocaine (kutlat al-‘amal al-watani). Il est à nouveau employé lorsque l’Istiqlal et l’UNFP s’opposent au projet de révision constitutionnelle de 1970 et constituent à cette occasion le Bloc démocratique nationaliste (al-kutla al-wataniyya).
24 À noter que c’est le même nom qu’Ahmed Réda Guédira avait donné à son parti éphémère en 1964 (chapitre 2).
25 Entretien réalisé par l’autrice, à Rabat, en août 2008.

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