Chapitre VI. Entre intériorisation et dénonciation d’une citadinité de la déficience
p. 197-235
Texte intégral
1Face aux influences croisées de l’explosion démographique et de la spécialisation touristique, comment se construit au quotidien le rapport des Végasiens à leur aire urbaine et aux autres habitants ? L’enjeu de ce chapitre est de décrypter les processus et dynamiques qui participent de l’appropriation de l’identité végasienne par les habitants. Pour ce faire, une grande place est faite aux extraits d’entretiens et aux citations afin de saisir au mieux les ressentis individuels. Dans la mesure du possible, ces ressentis sont étayés par des statistiques et des enquêtes statistiquement représentatives, permettant ainsi de monter en généralité. Une image instantanée de la citadinité végasienne à la fin des années 2010, selon une approche synchronique, est ainsi présentée ici.
2Les propos recueillis auprès des Végasiens expriment majoritairement une appréhension négative de la vie végasienne. Les paroles collectées font ressortir le manque ou la faiblesse : de la communauté, des relations de voisinage, de l’attachement territorial, autant de points de cristallisation de la citadinité américaine en général, et végasienne en particulier. Il s’agit alors ici de confirmer l’hypothèse d’une « citadinité de la déficience » végasienne que je définis comme caractérisée par le manque de cohésion sociale, la faiblesse de l’attachement territorial et un investissement émotionnel problématique envers Las Vegas et ce qu’elle représente. Il ressort de ce questionnement une réflexion sur la construction identitaire des Végasiens, où s’entrelacent la perception de l’aire urbaine et les représentations de ses habitants que se font les personnes extérieures.
3Dans un premier temps, il s’agit de montrer comment la mauvaise réputation de Las Vegas a conduit à sa stigmatisation dans l’opinion publique américaine, ce qui s’est ensuite propagé à l’ensemble de la population végasienne. La stigmatisation végasienne se révèle ainsi comme le fondement de la construction identitaire des Végasiens qui sont obligés de se positionner par rapport à des imaginaires touristiques dépréciatifs, qui accentuent la dynamique de la citadinité de la déficience. Bien que cette dernière s’impose comme le paradigme dominant, le dernier temps de ce chapitre identifie des tensions entre les habitants, partagés entre intériorisation et dénonciation d’un rejet de Las Vegas, qui laisse entrevoir des vecteurs de consolidation de la citadinité végasienne.
Stigmatisation urbaine : quand la mauvaise réputation de Las Vegas déteint sur ses habitants
Construction de la stigmatisation végasienne
Décrypter le processus de stigmatisation urbaine
4Le dictionnaire Le Petit Robert définit l’action de stigmatiser comme « noter d’infamie, condamner définitivement et ignominieusement », et donne comme synonymes blâmer, condamner, dénoncer. Les termes sont durs et correspondent parfaitement à la force des critiques exprimées à l’encontre de Las Vegas (cf. chapitre ii). En s’appuyant notamment sur les travaux du sociologue E. Goffman (1963, 1975), il s’agit ici de démontrer comment les imaginaires touristiques végasiens sont à l’origine d’une stigmatisation de la ville dans l’opinion publique américaine. Selon Goffman, un stigmate est une marque d’anormalité, une construction sociale en constante recomposition sous l’influence des coutumes et mœurs culturelles d’une société. Même s’il réfléchit avant tout à l’échelle individuelle et sur des stigmates liés principalement au handicap, son analyse est transposable aux villes dans la mesure où l’on observe un processus de stigmatisation similaire mettant en œuvre une différence « porteuse de discrédit » (discrediting differentness) qui exprime une déviation par rapport aux « attentes normatives » (normative expectations) en vigueur dans une société donnée.
5La stigmatisation s’articule dès lors avec la puissance des stéréotypes et des clichés, sortes de raccourcis mentaux qui par définition généralisent et réduisent les singularités, ce qui explique que la complexité de la construction identitaire d’une ville puisse être réduite à un simple et unique événement historique. L’intellectuel W. Lippmann ([1922] 2012) a analysé les stéréotypes comme un moyen indispensable développé par les hommes au tournant des xixe-xxe siècles pour assimiler la masse croissante d’informations qui tend à les submerger. Grâce aux généralisations, il est ainsi possible de diminuer la quantité d’informations nécessaires pour aboutir à une conclusion. Ces processus mentaux conditionnent l’analyse et la perception du monde qui nous entoure, ce que détaille la citation suivante :
« Les plus subtiles et les plus envahissantes de toutes les influences sont celles qui créent et maintiennent le répertoire des stéréotypes. On nous raconte le monde avant que nous ne l’ayons vu. Nous imaginons la plupart des choses avant que nous ne les expérimentions. Et toutes ces préconceptions, à moins que l’éducation nous en ait fait prendre une conscience extrême, gouvernent profondément tout le processus de la perception1 » (Lippmann, 2012, p. 49).
6Ainsi, la force du processus de stigmatisation coïncide avec le poids des clichés et des stéréotypes propagés et entretenus par le stigmate initial. Alors qu’une grande volonté politique et une évolution des mentalités ont concouru à la diminution progressive des stéréotypes raciaux, les stéréotypes spatiaux tendent à se maintenir.
7La stigmatisation territoriale désigne alors plus spécifiquement l’imposition de représentations spatiales collectives, sélectives et dépréciatives, qui façonnent progressivement une « identité souillée » (stained identity) qui conduit au discrédit d’un territoire, notamment urbain (Wacquant, 2007 ; Wacquant, Slater et Pereira, 2014). Deux grands motifs de stigmatisation ressortent de la littérature. L’anthropologue J.-C. Depaule (2006) a démontré que la stigmatisation urbaine s’exprime régulièrement via des catégories spatiales génériques (la banlieue, le ghetto), ou via un type de ville (ville industrielle, ville touristique, petite ville de province) qui gomment les spécificités d’un lieu, comme l’explicite la citation suivante :
« Des caractères supposés sont sélectionnés, tandis que d’autres critères de hiérarchisation sont laissés au second plan, pour produire une espèce de référent-type, d’objet notionnel condensé en un mot. Différences et détails sont gommés au profit d’une catégorie englobante » (Depaule, 2006, p. 5).
8Néanmoins, dans le cas de Las Vegas, c’est moins un référent-type qui soutient le processus de stigmatisation que son histoire particulière au sein de la société américaine, confirmant en cela les analyses de l’historien J. Foster (2009, 2012). Selon ce dernier, la différence porteuse de discrédit à l’origine du stigmate urbain découle d’un ou de plusieurs événements historiques. À la suite de leur couverture par les faiseurs d’opinion en général et les médias en particulier, la perception d’une ville est réduite à ces seuls événements, modelant ainsi profondément l’opinion publique. Ce qui n’était qu’une « anecdote » historique s’impose progressivement comme le seul et l’unique trait caractéristique associé à une ville, aux dépens de tout autre récit. Ce processus relève de la stigmatisation lorsque cette caractéristique est dépréciative et réductrice. Par exemple, la ville de Birmingham (Alabama) est fortement stigmatisée aux États-Unis en ce qu’elle est systématiquement associée à une ville raciste, à la suite d’un attentat terroriste perpétré en 1963 par un suprématiste blanc (Foster, 2009).
9Plus largement, ce dénigrement urbain s’inscrit dans l’histoire intellectuelle américaine, dont elle constitue un pilier depuis la naissance de la nation. Les philosophes M. et L. White (1962) en ont fait l’argument principal de l’ouvrage de référence The Intellectual versus the City, qui met en évidence les racines intellectuelles de l’anti-urbanisme aux États-Unis et une ambivalence généralisée envers la vie urbaine.
10Dès lors, la stigmatisation urbaine, qui in fine cristallise une seule et unique façon – négative – de se représenter une ville, peut avoir des conséquences matérielles parfois plus importantes que les projets urbains ou les politiques locales sur les trajectoires urbaines des villes concernées (Kirkness et Tije-Dra, 2016) et sur la consolidation de leur image et de leur identité, ce qu’incarne parfaitement l’exemple végasien (Nédélec, 2017).
Sources du stigmate végasien
11Pourquoi observe-t-on aujourd’hui une telle condamnation de Las Vegas ? Outre les éléments de réponse liés aux motivations de position sociale et de posture intellectuelle décrites dans le chapitre ii, des motifs historiques ont participé à façonner le stigmate urbain végasien : Las Vegas s’est développée en partie sur des pratiques ailleurs illégales ou moralement condamnées, en premier lieu les jeux d’argent. Le stigmate initial de la pratique d’activités interdites dans le reste des États-Unis s’impose alors progressivement dans la construction sociale de la stigmatisation, et par extension de la consolidation identitaire de Las Vegas dans la conscience collective. Ce qui n’était qu’un aléa historique devient une grille de lecture incontournable de la ville, renforcée par les stratégies marketing mises en place par le secteur du tourisme. Quand la pratique du jeu s’est banalisée dans l’ensemble des États-Unis, les acteurs du secteur touristique ont en effet mis en scène et exploité l’image d’une ville de licence et de liberté. La permissivité sur laquelle s’est construite la ville, exprimée non seulement par les jeux d’argent mais également par la tolérance envers la consommation d’alcool pendant la Prohibition, est venue infuser tous les discours sur Las Vegas, comme substrat de toute analyse et ce indépendamment des sujets traités.
12L’évocation continuelle du stigmate devient par la répétition une caractéristique supposée intrinsèque de la ville jusqu’à en devenir une composante identitaire qui n’est plus jamais remise en cause : Las Vegas est forcément une ville où l’on s’affranchit des normes sociales, des codes moraux et des habitudes des honnêtes gens. Comme le résume J. Foster :
« En fin de compte, comme dans le cas du lien entre Birmingham et un racisme violent, entre San Francisco et l’homosexualité, et entre Las Vegas et le vice, la perception devient la réalité incontestée. Les journalistes écrivent sur les problèmes raciaux quand ils couvrent les attentats de Birmingham, les présidents associent des voyages d’affaire à Las Vegas à un gaspillage hédoniste2, et les partisans des “valeurs” familiales assimilent San Francisco à l’homosexualité3 » (Foster, 2009, p. 21).
13C’est ainsi que Las Vegas a acquis sa mauvaise réputation. À l’instar d’E. Goffman, on peut donc parler d’une « identité souillée » pour caractériser l’identité urbaine végasienne produite par l’évocation continuelle du stigmate originel, alimentée et renforcée par les médias notamment. La stigmatisation végasienne détermine désormais l’horizon d’attente des visiteurs, pré-formaté par la couverture médiatique. Comme le dit avec humour un journaliste local, on sait à l’avance ce à quoi doit ressembler un séjour à Las Vegas :
« Que raconteraient nos visiteurs à leurs collègues à la banque ou aux copines du club de bridge, qui n’ont probablement aucune envie d’entendre parler de la beauté du Red Rock Canyon, ou du renouveau spectaculaire de notre scène artistique ces dernières années ? Les gens d’Abilene [au Texas] veulent des ragots sans filtre, et c’est le boulot du touriste de retour à la maison de balancer4 » (Sheehan, 2008).
14Un cercle vicieux s’est progressivement installé : pour vendre la destination aux touristes, Les Vegas est systématiquement présentée comme le lieu de tous les plaisirs, une échappatoire face aux « attentes normatives » de la société. Cette stratégie marketing entretient l’idée selon laquelle Las Vegas est une ville amorale, représentation qui est renforcée par les nombreuses productions artistiques fondées sur ce même postulat (Eumann, 2005 ; Gragg, 2013). Par conséquent, les imaginaires touristiques d’une ville du péché (Sin City) se sont imposés comme l’unique horizon d’attente suscité par Las Vegas dans son ensemble.
Conséquences directes de la stigmatisation végasienne
15La stigmatisation de Las Vegas dans l’opinion publique américaine a eu des conséquences directes sur l’aire urbaine, notamment dans son incapacité à attirer une équipe sportive, vecteur d’affirmation identitaire très fort pour les villes américaines (Danielson, 1997). L’arrivée d’une équipe professionnelle est en effet un signe de consécration et de reconnaissance nationale de l’importance d’une ville aux États-Unis, car elle est source de visibilité et participe du marketing territorial. La présence d’une équipe professionnelle, qu’il s’agisse de football américain, de basketball, de baseball ou encore de hockey sur glace, est un élément d’ancrage pour les populations locales, d’autant plus fort que la présence de l’équipe dans une ville est ancienne. Soutenir l’équipe locale est alors une source de fierté et de stabilité, un héritage que l’on peut transmettre à ses enfants et à ses petits-enfants, un élément de distinction par rapport aux autres villes. La simple présence d’une équipe sportive participe de l’élaboration d’une identité urbaine forte et d’une revendication de cette identité par les habitants, souvent encore davantage quand l’équipe est victorieuse dans les diverses compétitions (Borer, 2008).
16L’absence d’équipe de sport professionnelle à Las Vegas est analysée comme une conséquence directe de sa stigmatisation. L’aire urbaine végasienne a ainsi plusieurs fois échoué à attirer une équipe professionnelle (Foster, 2009). En 1993, alors qu’elle se proposait d’accueillir les Anaheim Ducks, une équipe de hockey qui cherchait à se relocaliser, elle fut sèchement éconduite par son propriétaire, pour qui il était inenvisageable d’associer le groupe Disney, dont elle était une filiale, aux jeux d’argent qu’incarnait Las Vegas (Norwood, 1993). Le même scénario se reproduisit dans les années 2000 : la mauvaise image de Las Vegas a bloqué tous les efforts faits pour attirer l’équipe de baseball des Montréal Expos, qui finalement se relocalisa à Washington, D.C.
17Les conséquences de la stigmatisation sont allées encore plus loin. En 2003, la Las Vegas Convention and Visitors Authority s’est vu refuser la diffusion de sa publicité lors de la mi-temps du Super Bowl5 par la ligue nationale de football américain, la NFL, alors même qu’elle était prête à payer la coquette somme de 4 millions de dollars pour une publicité d’une minute (Foster, 2009). Selon les déclarations officielles de la NFL, la publicité n’était pas acceptable car la réglementation de la ligue interdit la promotion des jeux d’argent. La publicité ne mentionnait pourtant ni les tables de jeu des casinos ni les machines à sous : elle montrait une femme en tenue sexy monter dans une limousine, pour en ressortir à l’aéroport en tailleur de femme d’affaires. Pressé de s’expliquer, le porte-parole de la NFL précisa la raison du rejet de la publicité de la LVCVA : « Peu importe le contenu créatif de la publicité, la NFL l’aurait refusé même s’il n’y avait aucune référence aux jeux d’argent6 » (Sandomir, 2003). Selon la même logique, la simple mention de Las Vegas a fortement effrayé le groupe bancaire CityCorp lors de l’implantation d’un centre de traitement dans l’aire urbaine végasienne. D’après des enquêtes préliminaires, les clients étaient rétifs à l’idée d’envoyer leurs chèques à Las Vegas, craignant sans doute que l’argent soit dépensé à la roulette ou au poker. Pour éviter toute situation embarrassante, l’entreprise a donc décidé de modifier l’adresse officielle de son centre, préférant le toponyme imaginaire de « The Lakes, Nevada » à celui de Las Vegas, et créant même un code postal pour l’occasion (Moehring, entretien).
18Plus grave que de simples opportunités économiques perdues, le processus de stigmatisation de Las Vegas s’est insidieusement propagé de l’aire urbaine à ses habitants, déstabilisant en profondeur leur construction identitaire.
Contamination des habitants par la stigmatisation de la ville
19Les stigmates auxquels est réduite Las Vegas ont progressivement « contaminé » les Végasiens, pour filer l’analyse d’E. Goffman à propos des « stigmates tribaux » (tribal stigma) qui « peuvent se transmettre de génération en génération et contaminer de la même manière tous les membres d’une famille7 » (1963, p. 14). Il est fait ici la démonstration que le processus de contamination peut être transposé à l’ensemble de la population urbaine végasienne (Nédélec, 2017).
Une confusion entre imaginaires touristiques et réalité quotidienne, source de souffrance
20L’imbrication entre la stigmatisation de Las Vegas et celle de ses habitants repose sur une confusion entre les imaginaires touristiques et la réalité du quotidien des Végasiens. La « litanie de stupides questions Vegas », comme les appelle un journaliste local qui a grandi à Las Vegas (Reza, 2013), incarne de façon emblématique cet amalgame. Selon lui, l’affirmation « j’ai grandi à Las Vegas » est pratiquement systématiquement suivie de l’une des questions suivantes :
« “Est-ce que tu vis dans un hôtel ? Est-ce que Wayne Newton est ton voisin ? Dans quel casino travaille ta mère ? Est-ce que c’est une danseuse de revue ? Une prostituée ? Une stripteaseuse ? Est-ce que ton père est un mafieux ? Un joueur ? Vous mangez dans les casinos ? Où vous allez jouer ?” Quand j’étais un jeune Végasien, tout voyage en dehors du Nevada m’exposait à cette litanie de stupides questions Vegas, et bon nombre d’autres encore8 » (Reza, 2013).
21Ce sont exactement les mêmes questions et le même étonnement qui reviennent encore et encore dans la presse locale, et dans les entretiens menés sur le terrain, qu’il s’agisse des Végasiens qui sont nés et qui ont grandi à Las Vegas ou de résidents de plus fraîche date. Comme le raconte avec amusement Bo, Végasien de souche, comme lui toutes les personnes qui ont grandi à Las Vegas ont entendu les inévitables interrogations concernant leur lieu de résidence : « “Alors, dans quel casino vis-tu ?”, souvent suivi de “Et ta mère est serveuse de cocktail9, hein ? !” » (entretien). De même, Mike, qui a grandi à Las Vegas, ne peut plus compter le nombre de fois où il a dû expliquer qu’il y avait aussi des maisons à Las Vegas pour justifier le fait qu’il n’habitait pas dans un casino (entretien), y compris auprès de ses collègues universitaires : « Une population de plus de deux millions – dont très peu, les [sociologues] seront sûrement surpris de l’apprendre, vivent sur le Strip10 » (Green, 2011a, p. 122).
22Les enquêtes réalisées auprès d’habitants de Las Vegas confirment la récurrence et l’homogénéité des réactions suscitées par l’affirmation : « Je vis à Las Vegas », ce que détaillent les citations suivantes :
« Les gens étaient du genre : “Tu es de Las Vegas ? Est-ce que tu vis dans un casino ? Tu vas à l’école dans une salle de spectacle ? Où est-ce que vous vivez11 ?” » (E11).
« Les gens étaient vraiment curieux : “Où est-ce que vous vivez ?” Parce que les gens ne se rendaient pas compte qu’il y avait quoi que ce soit dans les environs du centre-ville et du Strip. Ils ne savaient pas qu’il y avait quoi que ce soit. “Où est-ce que vous allez à l’école ?” Ils n’avaient aucune conception de cela, parce qu’ils n’étaient jamais sortis et allés voir ça12 » (E.7).
« Quand tu voyages et que tu dis aux gens que tu es de Las Vegas, tu as cette sorte de mystique. Tout le monde part du principe que tu travailles dans un casino ou que tu es une danseuse de cabaret13 » (E.18).
« Ils pensent que je vis dans le [casino] Bellagio et je dois surmonter cette attente14 » (E.2).
23Parmi toutes ces interrogations, deux intriguent plus particulièrement les personnes qui ne connaissent pas Las Vegas : où vivent ses habitants, et quelles sont les opportunités professionnelles pour les Végasiennes. Quelques questions sortent du lot par leur originalité, comme le raconte A. Kirali, Végasien de souche, aujourd’hui patron de presse et écrivain : il a ainsi dû parfois préciser qu’il n’allait pas à l’école à cheval, le cliché d’une ville de cowboys remplaçant pour une fois celle d’une ville de mafieux (entretien).
24Certains Végasiens ont pris le parti de prendre le contre-point de ces « stupides questions Vegas », en se moquant au passage des touristes crédules. Les deux anecdotes suivantes témoignent de la naïveté des visiteurs envers l’idée de « vivre à Las Vegas » :
« J’adore jouer avec l’idée [que les gens se font de la vie à Las Vegas]. Je suis toujours confronté à ça, même à mon âge [25 ans] du genre : “Des gens vivent ici ?…” Et je réponds : “Ouais ! ! Tu vois la zone géante qui entoure les casinos ? On vit dans ces bâtiments15 !” » (E.12).
« Mon fils se souvient que lorsqu’il travaillait au [casino] Venetian, un couple de personnes âgées lui a demandé ce que ça faisait de vivre ici. Mon fils pointa le Centre de convention : “C’est là que vivent tous les employés”, dit-il au couple. “C’est à peine si nous voyons la lumière du jour.” Le couple hocha de la tête d’un air entendu. C’est ainsi que les gens s’imaginent la vie à Las Vegas16 » (Gorman, 2011, p. 20).
25Si le postulat que tous les Végasiens résident dans les hôtels-casinos peut faire sourire, la contamination des stigmates de Las Vegas à ses habitants a pris des formes autrement plus désagréables. Les Végasiens doivent ainsi faire face aux attentes et aux idées préconçues que les personnes extérieures se font de la vie végasienne. Pour ces habitants, il faut alors constamment défendre un mode de vie bien éloigné des clichés d’une vie trépidante, marquée par le jeu et la fête, qui est censée être typique à Las Vegas. Lors des enquêtes, de nombreux habitants ont exprimé leur sentiment d’agacement, voire de souffrance, à la suite de ces remises en cause systématiques de la normalité de leur quotidien.
« Parce que je vis à Las Vegas, les gens supposent : “Alors tu dois faire la fête tout le temps ? !” Eh bien non, c’est comme partout ailleurs17 » (E.25).
« Ils pensent qu’on est tous en train de jouer tout le temps, eh bien non on est juste des familles comme tout le monde18 » (E.7).
« Je n’apprécie pas le fait que Las Vegas soit, tu sais, “Ce qui se passe à Vegas reste à Vegas” et tout ça. Tu sais, il y a beaucoup de négativité associée à Las Vegas et je pense que boire et faire la fête, et les spectacles et les danseuses topless, ça n’a absolument rien à voir avec [nos vies]19 » (E.11).
« Quand les gens apprennent que tu es de Las Vegas, ils s’attendent à ce que tu travailles comme serveuse de cocktails et que tu travailles pour les casinos et il y a toute cette image. Ils ne comprennent pas qu’on a des équipes de foot, on a des associations de parents d’élèves, on a des églises, on a des écoles, et toute cette sorte de choses. Je pense que c’est le plus gros problème : on est ainsi mal considérés20 » (E.22).
26Ces citations font écho à des commentaires similaires issus des groupes de discussion menés dans le cadre de l’enquête du Harwood Institute : « Je trouve que tellement d’images négatives qui sont montrées à la télévision au sujet du Strip n’ont absolument rien à voir avec la Las Vegas, le comté de Clark et la communauté que je connais21 » (Harwood et Freeman, 2004, p. 10).
27L’idée selon laquelle Las Vegas est une ville dépourvue de morale a ainsi progressivement été intégrée à la perception des Végasiens, les jugements de valeur et les condamnations se transposant dès lors à la population locale. Comme le résume une résidente interrogée : « On nous reproche beaucoup de choses avec lesquelles on n’a vraiment rien à faire22 » (E.7). Les habitants sont régulièrement confrontés à la distorsion de la réalité quotidienne végasienne, qui résulte d’une incapacité pour les personnes extérieures à l’aire urbaine de faire la part des choses entre les imaginaires touristiques vantés par le marketing et leur vie de tous les jours. La distorsion est d’autant plus grande pour les habitants n’ayant aucun lien avec le secteur touristique, comme l’exprime cette citation d’un Végasien :
« Les gens pensent que Las Vegas, c’est le Strip. […] C’est là que le choc, la réalité de comment les autres perçoivent Las Vegas [arrive], parce que quand vous vivez ici, vous pensez que tout le monde comprend23 » (E.11).
Une « identité souillée »
28Au sein de la population locale, les femmes sont plus particulièrement victimes des clichés et des préjugés dépréciatifs à l’origine de la stigmatisation de Las Vegas. Conséquence de l’omniprésence de la marchandisation des corps féminins dans les campagnes publicitaires touristiques, accentuée par l’image libertine (des femmes) de la ville, toute la population féminine de Las Vegas tend à être stigmatisée. Un adage courant aux États-Unis témoigne de la vision dégradante des Végasiennes : les femmes qui travaillent à Las Vegas font les lits ou s’y allongent (Kershaw, 2004), ce qui n’est pas du tout le cas. Selon cette logique, même les plus importantes figures politiques locales sont confrontées au rabaissement des femmes végasiennes. Alors qu’elle était à la tête de la municipalité de City of Las Vegas, Jan Jones a été interrogée par un journaliste sur sa supposée transition de danseuse de music-hall au poste de maire. Pour ce dernier, il était évident que puisqu’elle était une femme vivant à Las Vegas, elle avait forcément dû être danseuse à un moment ou un autre, ce qui n’avait pas du tout été le cas (Kersaw, 2004). L’omniprésence du sexe comme argument de vente mis en avant par les acteurs du tourisme déteint sur la perception de la gent féminine de Las Vegas, et brouille la différence entre les fantasmes des touristes et la réalité.
29La réduction des deux millions de personnes à un ensemble de joueurs pathologiques, de mafieux, et pour les femmes de danseuses plus ou moins légères, voire de prostituées, incarne une violence symbolique particulièrement forte que doit subir la population locale. À la suite de Las Vegas, les Végasiens ne sont pas pris au sérieux, ce qui est particulièrement problématique pour les jeunes qui ont fait leurs études dans la « ville du péché ». Les entretiens avec des étudiants de l’université locale UNLV, dont l’existence même est source de surprise pour une majorité d’étrangers à l’aire urbaine, révèlent l’inquiétude réelle quant au fardeau que représente le stigmate végasien sur une candidature. Plusieurs étudiants craignent d’être pénalisés lors de leur inscription en master ou en doctorat parce qu’ils ont mené une partie de leurs études supérieures à Las Vegas, comme le résume bien Justin :
« Pour continuer sur ces connotations négatives : [quand il se renseignait sur les masters] une des choses dans le fond de ma tête, c’était “est-ce que ces universités vont me prendre au sérieux ?”. En venant d’ici [Las Vegas], j’ai le sentiment qu’il faut que je travaille plus dur juste pour étouffer cette idée, cette perception de ce que la ville est24 » (E.12).
30Le fait de n’être pas pris au sérieux par le reste des États-Unis a même été avancé lors des enquêtes comme un frein à la reprise économique. Selon Genevieve, la stigmatisation de Las Vegas et de ses habitants participe à la frilosité des investisseurs à s’impliquer localement :
« On va être les derniers à sortir de toutes ces mauvaises choses qui arrivent dans ce pays à cause des stéréotypes que les gens ont au sujet de cet endroit et qui sont en partie vrais mais en partie rigides. Je pense que ces stéréotypes nous empêchent vraiment, vraiment de faire une meilleure impression25 » (E.16).
31Le label touristique de « ville du péché » a eu un effet doux-amer pour Las Vegas et ses habitants. Il a certes assuré une visibilité nationale, voire internationale, et conditionné en partie l’essor économique de l’aire urbaine. Toutefois, il a également conduit à un catalogage de Las Vegas et un transfert de son stigmate sur ses habitants qui souffrent de la projection des stéréotypes et des perceptions spatiales. En résultent des tensions entre la population locale et le secteur touristique, révélant alors une dichotomie entre la « ville touristique » et le reste de l’aire urbaine qui incarnerait la « ville du quotidien ».
« Eux » contre « nous » : se construire en opposition par rapport aux touristes
32Une précision lexicale s’impose pour mettre en évidence la distinction qui est faite dans les discours végasiens entre les touristes et les « locaux », reprenant la dichotomie spatiale entre les quartiers touristiques et le reste de l’aire urbaine. De façon idiomatique, plusieurs termes sont utilisés à Las Vegas pour en désigner les habitants : les « nouveaux venus » (newcomers), les « natifs » (natives) et les « locaux » (locals). Un chroniqueur local parle ainsi d’une « strate de locaux » (locals strata) pour exprimer le gradient de résidence à Las Vegas (Rowley, 2013, p. 9). Les limites entre chaque groupe sont troubles et dépendent non seulement de la durée de résidence mais également du ressenti de chaque individu. C’est le terme de « local » qui est le plus souvent utilisé dans le langage courant, rassemblant sous cette étiquette tous ceux qui ne sont pas des touristes et qui vivent à Las Vegas de façon plus ou moins pérenne. Les anglicismes de « local »/ « locaux », de même que « natif(s) » en tant qu’adjectifs substantivés sont utilisés afin d’imiter les usages végasiens.
33L’opposition entre une ville touristique et ce qu’on pourrait qualifier de ville du quotidien est en effet un leitmotiv des Végasiens. Les participants aux groupes de discussion organisés par le Harwood Institute ont insisté sur la dualité de Las Vegas, ce qu’expliquent les auteurs du rapport final :
« Les gens ont souvent décrit Las Vegas comme “un conte de deux villes”. Dans ces conversations, ils ne faisaient pas référence au “meilleur et pire des temps26”, mais plutôt à leur réalité de vivre dans deux villes côte à côte. Les participants ont évoqué une communauté divisée entre le Strip et le secteur du jeu d’un côté, et leur quartier et leur maison de l’autre. […] Faisant écho à ce que nous avons entendu une bonne douzaine de fois, un homme nous a dit : “Il y a la Las Vegas résidentielle et la Las Vegas touristique : et ce sont deux villes distinctes”27 » (Harwood et Freeman, 2004, p. 10).
34Ce motif se retrouve dans les entretiens réalisés avec les Végasiens. La plupart des personnes interrogées ont exprimé une volonté de distanciation par rapport aux touristes et au secteur touristique, notamment ceux qui n’y travaillent pas. En insistant sur la délimitation spatiale du tourisme et les contrastes paysagers, les habitants activent dans leur discours la dichotomie entre les imaginaires à l’origine de la stigmatisation végasienne et la banalité de leur quotidien. Lors des enquêtes plusieurs habitants ont insisté sur le fait que les gens perçoivent Las Vegas au prisme du Strip mais que celui-ci ne représente en aucun cas leur réalité :
« Je pense que les gens qui sont des touristes pensent cela parce qu’ils ne voient qu’un aspect de Las Vegas – ils voient juste le Strip et ils vont dans les hôtels – […] ce n’est pas la Las Vegas dans laquelle je vis, comme quelqu’un qui travaille ici et vit ici. […] Oui, le Strip est spécial mais je ne pense pas que les autres parties de Las Vegas le soient, et que ce soit vraiment si différent que de vivre dans d’autres parties du sud-ouest, comme à Phoenix ou Tucson ou quelque part comme cela. Mais à nouveau, c’est le Strip qui est spécial, cette partie de Las Vegas que les autres gens voient, mais la partie de Las Vegas dans laquelle je vis est juste ordinaire28 » (E.1).
« Il me semble qu’une fois qu’on s’éloigne du Strip, en un sens c’est une ville normale […] qui ressemble beaucoup à Phoenix29 » (E.14).
35La distinction entre les locaux et les touristes s’exprime également dans la fréquentation du Strip, qui est l’incarnation par excellence du tourisme végasien, et à ce titre évité et parfois dénigré par les habitants. Quand je leur demande s’ils s’aventurent dans ce quartier touristique, la majorité des personnes interrogées répondent négativement.
« La plupart des locaux restent à l’écart du Strip, c’est pour les touristes30 » (E.5).
« Le Strip, c’est comme Broadway à New York : c’est pas parce qu’on habite à New York qu’on y va tous les jours, c’est tout le contraire31 ! » (E.3).
« Les gens se disent : “Oh, vous vivez à Vegas, vous devez aller sur le Strip ?” Non ! C’est différent pour les gens qui vivent ici. En fait, je n’ai jamais marché sur le Strip, comme les touristes le font, ni fais tout le truc de déambuler tout le long du Strip, je n’ai jamais fait ça. Je ne connais pas grand-chose des divertissements et toutes ces choses-là, du genre pourquoi les gens viennent à Vegas, ils vont voir les spectacles et moi je n’y connais vraiment rien32 » (E.17).
36Exception à la règle : les habitants acceptent de jouer – temporairement – le rôle de guide touristique pour leurs connaissances de passage, quand de la famille ou des amis viennent rendre visite.
« C’est la seule fois où je vais sur le Strip : s’il y a une occasion particulière, ou si quelqu’un me rend visite […] Sinon, je suis si loin de ça33 » (E.11).
« Tu te retrouves à aller [sur le Strip] quand tu as de la famille qui rend visite et tu joues le guide touristique34 » (E.16).
« [Je vais sur le Strip] quand des gens sont en ville […] En gros, c’est quand de la famille ou des amis sont de passage et c’est là qu’on joue les touristes35 » (E.18).
« Beaucoup de gens viennent nous rendre visite et là on va sur le Strip. Quand tu vis à Las Vegas, tous les membres de ta famille veulent venir te rendre visite36 ! » (E.20).
37Pour ceux qui travaillent dans les établissements touristiques du Strip, la distanciation d’avec les touristes est encore plus marquée. Pour Travis, qui « déteste aller sur le Strip » (E.27, emphase de l’enquêté), le quartier est bien le dernier endroit où aller se divertir lors de son temps libre, ce qui souligne à nouveau la frontière symbolique entre le territoire des locaux et celui des visiteurs de passage. Le quartier du Strip est avant tout perçu comme un outil de travail et non de récréation, un lieu où les locaux sont au service des touristes. Si ces derniers bénéficient des plaisirs et du divertissement proposés par les quartiers touristiques, les locaux ne font que leur travail. L’appréhension du Strip diverge alors entre principe de plaisir pour les touristes et principe de réalité pour les Végasiens, qui sont dépendants du tourisme, voire dans un rapport de soumission, ce qu’expriment les extraits ci-dessous.
« Quand j’étais petit, je disais à tout le monde que grandir ici, c’était comme vivre dans un cirque : tout le monde pense que c’est génial, mais c’est juste la vie ici37 » (E.12).
« Ça donne cette sorte d’impression de carnaval, comme si on était les initiés qui fournissent des prestations aux personnes extérieures qui sont juste là pour un instant38 » (E.15).
« J’imagine qu’on est comme le personnel assistant39 » (E.7).
« On est les seconds rôles en coulisses et le spectacle est vraiment à propos de nous40 » (E15).
« Les gens viennent ici pour un jour ou deux, absorbent très rapidement l’expérience et partent après, et les gens qui sont laissés derrière se sentent comme jetés en un sens41 » (E.13).
38Le sentiment, exprimé dans cette dernière citation, d’être utilisé, exploité par le tourisme est renforcé par l’impression de nombreux Végasiens qu’ils ne profitent pas toujours des bénéfices du secteur touristique. Plusieurs des locaux interrogés déplorent une ville qui ne s’intéresserait qu’aux touristes et pas aux habitants permanents, ce qui suscite parfois une certaine rancœur envers les touristes.
« Il y a une sorte de ressentiment envers les touristes qui veulent prendre le contrôle, qui sont juste là pour s’amuser42 » (E.13).
« La façon dont les revenus du Strip fonctionnent, c’est que tout retourne sur le Strip, alors oui on récupère peut-être de l’argent du jeu et tout ça mais les citoyens ne le voient jamais43 » (E.13).
« Il y a ce sentiment que la raison d’être de Las Vegas, c’est de divertir les autres gens […] la ville elle-même et le secteur [du tourisme] sont là pour faire de l’argent et pour divertir d’autres gens, alors que dans les villes où je suis allée, il y a le sentiment que la ville et les commerces sont là pour servir les gens qui vivent sur place, que l’argent qui est généré, l’argent qui est dépensé à la fois par la ville et par les commerces, est là pour la communauté locale44 » (E15).
« Il y a de l’avarice partout, mais c’est l’overdose ici parce qu’il y a tellement d’argent juste ici sur le Strip, et ça ne rejaillit pas sur le reste de la ville comme ça devrait45 » (E.3).
39Selon le sociologue R. Futrell, les groupes hôteliers voient avec beaucoup de méfiance tout événement qui pourrait éloigner le public de leurs établissements, ce qui explique leurs réticences envers les productions culturelles d’importance en dehors des quartiers touristiques. Cette attitude est à l’origine d’un monopole des quartiers touristiques sur l’offre de divertissement à l’échelle de l’aire urbaine. R. Futrell va même jusqu’à affirmer que « Las Vegas n’est pas une ville construite pour les locaux ! » (entretien), une analyse partagée par Rachel.
« Parce qu’une si grande part de l’économie, c’est le tourisme, je pense que les organisations et les événements locaux sont absorbés dans les trucs touristiques, entre la population de passage et l’argent, et l’attention de la ville est aspirée par le tourisme, je pense que ça suffoque en quelque sorte les événements locaux […] la culture locale est vraiment aspirée par le divertissement à gros budget sur le Strip46 » (E.15).
40Au travers de ces extraits d’entretiens, se dessine une relation ambiguë entretenue par les Végasiens avec le quartier du Strip et le secteur touristique, qui représente un incontournable moteur de l’économie tout en fragilisant la vie sociale locale.
41La stigmatisation et l’emprise touristique aux dépens de la vie locale s’entremêlent alors avec l’instabilité du voisinage et des liens sociaux (cf. chapitre v) pour dessiner ce que je propose d’appeler une « citadinité de la déficience ».
Vivre par dépit à Las Vegas : une citadinité de la déficience
42Que ce soit dans la presse locale, dans les entretiens menés sur place ou lors de conversations informelles, les discours des Végasiens mettent en évidence une vision d’ensemble très négative de leur vie quotidienne. La citadinité végasienne peut alors s’étudier aux prismes du manque, de l’insuffisance et de la superficialité des interactions sociales et du sentiment d’appartenance.
Intériorisation d’un sentiment d’infériorité
43Non seulement la vie sociale végasienne est marquée par le manque de connaissance de son voisinage (cf. chapitre v), mais en plus elle doit constamment faire face aux comparaisons avec la vie sociale dans les autres villes américaines, ce qui renforce le sentiment de déficience. En effet, selon toutes les personnes interrogées, les difficultés à créer du lien social sont plus grandes à Las Vegas qu’ailleurs.
« Pour une raison ou pour une autre, ici c’est différent de là où j’ai grandi. Une fois encore, parce que les gens bougent beaucoup. Alors que là où je vivais, là où j’ai grandi, on a habité dans notre maison pendant probablement 15-20 ans avant de vendre et de déménager. Ici, les gens bougent plus que là où j’ai grandi47 » (E.14).
« [À Las Vegas] je sens que je dois construire la communauté, parce que c’est ce qui manque ici, il n’y a pas de sentiment d’attachement géographique, il n’y a rien de similaire à ce qu’il y a à Chicago : tout est organisé en sous-ensembles et même si vous avez emménagé récemment, les gens vont automatiquement être fiers de vivre à Chicago, alors qu’à Las Vegas, vous avez l’impression que tout le monde essaie immédiatement de s’en aller48 » (E.15).
« Dans d’autres villes, je trouve ça incroyablement facile de faire la connaissance de gens, mais dans cette ville, à cause de sa personnalité, c’est plus difficile pour les gens qui veulent sortir et faire des rencontres, alors ils se plaignent : “Oh, c’est une ville où c’est difficile de rencontrer des gens”49 » (E.5).
« C’est tout le problème : tout le monde vient d’ailleurs dans cette ville. Du coup ils viennent d’endroits qui ont un sentiment de communauté, des villes plus vieilles peut-être, ils ont un centre-ville, ils ont une équipe sportive et alors ils viennent ici, et ils sont du genre “oh, waouh, attends une minute, il n’y a rien de tout cela [à Las Vegas] !”. Et je pense que les gens restent dans leur banlieue, ils restent dans leur communauté, leur aire locale et ne s’aventurent jamais à l’extérieur50 » (E.5).
44Le rapport du Harwood Institute rapporte le même type de commentaire de la part des habitants :
« Là d’où je viens, on avait des trucs comme des fêtes de quartier où les gens se rencontraient pour discuter, et si quelqu’un dans le quartier avait besoin d’aide, les gens s’unissaient. Mais je ne vis pas cela ici51 » (Harwood et Freeman, 2004, p. 17-18).
45L’analyse d’Edward, étudiant de 25 ans qui a passé la moitié de sa vie à Las Vegas, résume parfaitement à mes yeux la citadinité de la déficience végasienne :
« Vegas a toujours été une ville de passage : les gens sont toujours allés et venus, très peu de gens sont originaires de Las Vegas. […] Les gens ne s’attendent pas à ce que tu sois dans leur vie dans trois mois de toute façon. […] C’est plus difficile de construire de la communauté à cause de ça. C’est plus difficile de créer des liens solides, et c’est plus difficile d’établir des amitiés profondes et durables, en tout cas c’est l’état d’esprit. […] Il y a continuellement des gens qui me disent ça. Et un grand nombre d’amis me disent qu’ils ont du mal à se faire des amis à cause de ça. […] Il y a ce sentiment que c’est extrêmement difficile à Las Vegas d’avoir ce sentiment de communauté ou d’organiser quelque chose peut-être à cause de la volatilité ou à cause des barrières institutionnelles. […] On n’a pas la même histoire de longue date, les gens n’ont pas les mêmes racines ici, en tout cas pas autant de gens ont les mêmes racines ici. Il y a des gens qui revendiquent le fait d’être Végasiens depuis 3 ou 4 générations, [mais] c’est extrêmement rare et ce n’est pas comme dans les autres villes52 » (E.21).
46Le consensus autour d’une citadinité de la déficience est réel au sein de la population végasienne. Il a pour conséquence directe un investissement social et émotionnel limité, qui se matérialise par une allégeance territoriale faible, voire qui fait défaut.
Faiblesse de l’attachement territorial
47L’attachement territorial est l’expression du lien émotionnel et affectif que des habitants ressentent envers leur lieu de résidence (Scannell et Gifford, 2010 ; Manzo et Devine-Wright, 2014). Or, pour beaucoup de Végasiens, c’est justement l’absence d’investissement émotionnel qui domine, leur lieu de résidence n’étant que cela et non un lieu d’ancrage et d’appropriation. Les statistiques de l’enquête menée par les sociologues de l’UNLV confirment la prédominance de ce point de vue au sein de la population locale (Futrell et al., 2010a, p. 29). Le sentiment d’appartenance le plus fort ressenti par les Végasiens interrogés concerne la nation américaine, à près de 70 %. À l’inverse, les habitants ressentent un faible sentiment d’appartenance à leur ville et leur quartier : 63 % des sondés ne ressentent pas un fort sentiment d’appartenance à leur ville, tout comme 67 % des sondés ne sont pas fortement attachés à leur quartier. Les universitaires proposent des éléments d’explication, élaborés notamment à partir des interactions avec les habitants lors des groupes de discussion :
« Un élément clé de toute aire métropolitaine durable réside dans le sentiment d’appartenance que les habitants ont envers la région, la force des rapports sociaux, et les sentiments envers leur qualité de vie. Il est clair que la croissance phénoménale des dernières années dans le bassin de Las Vegas a créé à la fois des opportunités et des obstacles aux relations entre habitants53 » (Futrell et al., 2010a, p. 27).
« Les groupes de discussion ont apporté des éléments supplémentaires concernant le sentiment compliqué d’appartenance et d’attachement dans le bassin. Les participants ont exprimé de la fierté dans la croissance de la vallée et dans son statut de destination touristique internationale. Mais ils ressentent aussi qu’un des coûts du développement est la volatilité et l’impermanence dans leur quartier, ce qui affecte leur sentiment d’appartement et d’attachement54 » (idem, p. 32).
48Les Végasiens interrogés m’ont décrit ce faible attachement envers leur lieu de vie :
« Pour dire la vérité, il n’y a pas grand-chose que j’aime au sujet de Las Vegas, à l’exception peut-être du climat et de mon boulot. Je ne peux même pas dire les gens, parce que tu vois, c’est tellement volatile. Les gens vont et viennent55 » (E.3).
« Je me suis toujours décrite comme une habitante réticente. [Las Vegas] n’a jamais été une destination sur ma carte, pas pour y vivre en tout cas56 » (E.8).
« [Après 17 ans passés à Las Vegas] je n’ai aucun attachement émotionnel ici57 » (E.17).
49L’enquête de l’UNLV permet d’aller plus loin dans l’analyse de la faiblesse de l’attachement territorial en établissant un corollaire entre le lieu de naissance et l’intensité du sentiment d’appartenance : les sondés nés dans le bassin de Las Vegas et dans l’État du Nevada sont ceux qui sont les plus attachés à l’aire urbaine dans son ensemble. De même, la durée d’installation participe du sentiment d’appartenance : plus les Végasiens habitent longtemps dans l’aire urbaine, plus ils y sont attachés (Futrell et al., 2010a, p. 30).
50Les enquêtes confirment le poids de la population de passage et de la récurrence des déménagements dans l’appréhension des relations de voisinage, caractéristiques qui impactent négativement l’attachement émotionnel et le sentiment d’appartenance au quartier ou à la ville. Une des répercussions de cet état de fait se mesure dans la très faible participation politique, et surtout dans la faiblesse du volontariat. Les mesures statistiques produites par l’agence fédérale Corporation for National and Community Service complètent l’appréhension de la faiblesse de l’investissement civique à Las Vegas. Les rapports sur le volontariat aux États-Unis, Volunteering in America58, quantifient le pourcentage de la population qui s’engage dans des activités de volontariat à l’échelle des aires urbaines (MSA), des États fédérés et de l’État fédéral. Le Nevada est classé en queue de tous les classements réalisés depuis le milieu des années 2000 : en 2014, il se trouvait au 49e rang (sur 50) avec un taux de volontariat de 19,4 %, comparé à une moyenne nationale de 25,3 %. Les données spécifiques à l’aire urbaine sont sensiblement identiques avec des taux parmi les plus faibles des États-Unis : en 2014, Las Vegas se classe au 48e rang sur les 51 MSA les plus peuplées du pays, avec un taux de volontariat de 17,9 %. Le journaliste G. Schumacher, qui a beaucoup écrit et travaillé sur Las Vegas (Schumacher, 2012), résume ainsi les défis qui sont posés à Las Vegas et à ses habitants :
« Il y a beaucoup de gens qui n’apprécient pas de vivre ici […]. Il y a aussi la nature volatile de la ville. Il y a tellement de gens qui vivent ici et qui ne prévoient pas de rester ici, ils sont juste là pour une courte période parce qu’ils ont trouvé un boulot ou ils veulent se faire un paquet d’argent en faisant quelque chose pour ensuite partir, rentrer chez eux. Tout le monde ici… très peu de gens qui viennent ici disent “c’est chez moi”, ils disent “c’est là que je vis pour l’instant, mais je finirai par rentrer chez moi”. Cela rend difficile de dépenser pour améliorer les écoles ou le système de transports, pour créer de nouvelles institutions qui sont importantes parce qu’ils sont du genre “pourquoi est-ce que je devrais dépenser mon argent pour mes impôts, alors que je ne vais pas rester ici. Tu vois, je ne suis pas engagé, je ne suis pas investi ici”. C’est définitivement un problème59 » (Schumacher, entretien).
Une volonté forte de quitter Las Vegas
51Cause et conséquence de la faiblesse de l’attachement territorial à Las Vegas, une portion conséquente des Végasiens exprime une forte volonté de quitter l’aire urbaine s’ils en avaient l’occasion : c’est l’observation faite par les sociologues de l’UNLV : « Quand on leur demande [ce qu’ils choisiraient] s’ils pouvaient vivre là où ils le voudraient, 40 % des résidents de Las Vegas quitteraient le Nevada tout simplement60 » (Futrell et al., 2010a, p. 28). Le constat est ainsi sévère : si 40 % des habitants désirent quitter Las Vegas, cela semble signifier qu’ils ne restent que par défaut. Les auteurs du rapport final ne tirent pas de conclusion directe de ce chiffre, même s’ils l’incluent dans une réflexion plus générale sur « la communauté et la qualité de vie ». En revanche, la presse locale s’est emparée de cette statistique pour en faire l’incarnation du mal-être de nombreux habitants. Ainsi, tous les principaux médias végasiens ont traité le sujet. On a pu lire en première page du Las Vegas Sun, « Enquête : 4 résidents sur 10 veulent quitter Las Vegas » (Schoenmann, 2010) ; le Las Vegas Review Journal s’est demandé « qu’est-ce qui nous fait rester ici ? » (Schumacher, 2010) ; et l’antenne locale de la radio publique NPR a diffusé une émission spéciale intitulée « Quitter Las Vegas » (KNPR, 2010). L’importance de la couverture médiatique a donné lieu à de vives discussions au sein de la population locale et à un vrai débat quant à l’attachement des Végasiens à leur lieu de résidence. Ces différents médias partagent tous la même analyse, condensée dans une formule familière : les rats cherchent à quitter le navire et à fuir Las Vegas tant qu’il en est encore temps. Plusieurs éléments sont mis en avant dans ces articles pour expliquer l’envie de fuir Las Vegas : en premier lieu, les très grandes difficultés économiques auxquelles font face les Végasiens depuis la crise de 2007 sont avancées comme la principale motivation au départ. Il faut ici souligner que l’enquête a été publiée en 2010 soit au cœur de la récession économique.
« La récession est sûrement le premier facteur [explicatif]. Las Vegas a l’un des taux de chômage les plus élevés de la nation. Si les gens ne peuvent pas trouver du travail ici, il est probable qu’ils veulent déménager là où ils pensent pouvoir trouver du travail61 » (Schumacher, 2010).
« “Apparemment, les gens semblent vouloir partir parce que les emplois ne sont plus disponibles et les emplois représentaient une force massive d’attraction ici” explique [le sociologue et responsable de l’enquête] Futrell. Néanmoins, une partie [de l’explication] peut être le sentiment pour certains d’être piégés ici : parce qu’ils sont des emprunteurs dont la propriété vaut moins que leur hypothèque pour plus de 80 % des foyers du bassin ou parce qu’ils sont incapables de trouver un emploi attractif ailleurs (taux de chômage aux États-Unis : 9,7 %)62 » (Schoenmann, 2010).
52Toutefois, il n’est pas seulement question d’une diminution des opportunités économiques, qui, si elle a été plus particulièrement conséquente à Las Vegas, est un phénomène généralisé à l’ensemble des États-Unis depuis le début de la crise économique. Ce qui est mis en avant comme travers fondamental dans l’incapacité de Las Vegas à retenir ses habitants, c’est une fois encore l’inconsistance du sentiment de communauté qui n’engendre pas d’attachement émotionnel. Les pouvoirs locaux sont accusés d’avoir été incapables de promouvoir cette communauté, trop occupés à exaucer les souhaits des acteurs du tourisme aux dépens des locaux :
« À Las Vegas il a toujours été question de croissance et de jeu. […] Cet objectif limité a transformé un point d’eau sur la Vieille piste espagnole en une destination internationale de près de 2 millions d’habitants. Mais ces obsessions ont coûté cher. Las Vegas a courtisé les touristes et le développement aux dépens d’un fort sentiment de fierté civique et d’investissement dans la communauté. C’est un super endroit pour faire de l’argent, mais pour beaucoup ce n’est pas un lieu désirable pour vivre et fonder une famille63 » (Schumacher, 2010).
« Réfléchissant aux résultats de l’enquête, les élus locaux, les résidents et d’anciens Végasiens ont évoqué le fait que les gouvernements locaux ne sont pas arrivés à promouvoir un sentiment de communauté au même rythme que les promoteurs multipliaient les maisons en stuc serrées comme des sardines64 » (Schoenmann, 2010).
53Le journaliste G. Schumacher souligne d’ailleurs que la situation est pire à Las Vegas qu’ailleurs : il évoque une enquête conduite à Phoenix, similaire à celle réalisée par les sociologues de l’UNLV, selon laquelle seulement 21 % des habitants expriment le souhait de quitter l’Arizona s’ils en avaient l’opportunité (Harlan et al., 2007). Alors même que Phoenix partage de nombreuses caractéristiques en matière de jeunesse de l’aire urbaine, d’ampleur des phénomènes migratoires et de présence d’une importante population de passage, Las Vegas est encore une fois considérée comme la mauvaise élève. On retrouve ici l’intériorisation d’une infériorité, même par rapport à des villes qui souffrent des mêmes maux qu’elle, qui s’exprime par une certaine amertume : « Est-ce que Las Vegas est un endroit tellement pourri que près de la moitié des résidents partirait s’ils le pouvaient65 ? » (Schumacher, 2010).
54Les entretiens que j’ai menés avec les Végasiens confirment ce souhait et permettent de dégager deux profils : d’une part, de jeunes adultes qui veulent partir dans le cadre de leurs études, et d’autre part, des personnes plus âgées qui ne conçoivent absolument pas de passer leur retraite, ni même de finir leur vie, à Las Vegas. Les jeunes étudiants expriment le plus souvent le souhait de partir afin d’avoir accès à une meilleure éducation. Par conséquent, ils se considèrent comme en transit, eux-mêmes une incarnation de cette population de passage tellement décriée. Pour Justin, inscrit dans une université en dehors de l’État pour la rentrée prochaine, « pourquoi faire un effort » (why bother) pour améliorer les choses puisque de toute façon il ne sera bientôt plus là ? (E.12). Le mot d’ordre est alors le suivant : je suis prêt à partir.
« [Mon fils] a hâte de partir et je ne sais pas si c’est parce que c’est un ado, donc peu importe. C’est catégorique, il ne veut pas vivre ici. Il est prêt à partir66 » (E.18).
« Je suis prêt à me tirer d’ici ! Je veux retourner vivre à Boston où les gens en ont quelque chose à faire de ta recherche ou que tu sois un doctorant. Ici les gens ne s’intéressent [à toi] que si tu es une serveuse. Je suis vraiment prêt à partir67 » (Jeff, entretien).
55Au-delà du temps des études, les étudiants que j’ai rencontrés ne se projettent absolument pas comme vivant à Las Vegas dans le futur. Travis est particulièrement explicite sur la question : pour lui, il est hors de question de même envisager revenir à Las Vegas après ses études universitaires, alors même qu’il y vit depuis qu’il a deux ans (E.27). De même, Edward n’envisage pas du tout de s’installer à Las Vegas à la fin de son doctorat, comme le suggère sa réponse à la question « Où voudrais-tu habiter plus tard ? » :
« J’irais presque jusqu’à dire n’importe où à part Vegas ! Je vis ici et je ne déteste pas vivre ici, mais je ne me sens pas attiré ici, je pense que dès que j’aurai fini mon doctorat, dès que j’aurai terminé mes études… je ne crois pas que j’aurai envie de rester ici. Je reviendrai et je séjournerai ici et j’apprécierai séjourner ici, Vegas a ses charmes mais je pense que j’ai fait mon temps ici68 » (E.21).
56Loin de ne concerner que les jeunes adultes, le désir de quitter Las Vegas est courant parmi les habitants plus âgés qui se demandent où ils passeront leur retraite. Plusieurs des Végasiens que j’ai interrogés ne peuvent imaginer passer leurs beaux jours à Las Vegas, même après y avoir passé la majeure partie de leur vie :
« On va probablement déménager de Las Vegas, pour tout te dire, une fois que je prends ma retraite, ouais je partirai69 » (E.3).
[Après 30 ans passés à Las Vegas] « Absolument, nous allons partir, nous partons. La ville devient trop grande, c’est juste trop étendu. Nous préférons les plus petites villes où la culture n’est pas aussi frénétique, [où] on a un sentiment de communauté. Nous n’avons pas ça ici, nous n’avons pas l’impression d’avoir ça ici, ma femme et moi70 » (E.22).
57De même pour William, après avoir élevé sa famille et passé 34 ans à Las Vegas, l’absence d’ancrage surprend : alors même que d’après son propre aveu, il est très heureux à Las Vegas, il ne conçoit pas de rester (E.30). La norme est tellement de quitter Las Vegas au moment de la retraite que quand Laura exprime sa volonté de rester dans l’aire urbaine auprès de ses collègues, elle se sent comme une exception :
« Je prends ma retraite l’année prochaine et quand les gens me demandent : “Alors, tu restes ?”, et que je dis : “Ouais !”, c’est du genre : “Vraiment ? ?” C’est juste la norme ici [de partir]71 » (E.11).
58Barbara, qui travaille avec des personnes âgées, suggère des éléments d’explication qui permettent de comprendre le refus de vieillir, voire de mourir à Las Vegas. En collectant les souvenirs des personnes âgées dans le cadre d’un projet d’« histoire orale » avec l’université72, ainsi qu’en travaillant pour une entreprise de pompes funèbres, elle peut mieux rendre compte des décisions concernant les modes de sépulture. Selon elle, la nature éphémère de l’installation à Las Vegas, comportement généralisable à l’ensemble de l’Ouest américain, a des répercussions directes sur le travail des maisons funéraires locales :
« Ce que nous faisons avec les mourants ou avec les morts est vraiment indicatif de ce qui se passe […] dans la moitié ouest des États-Unis, et ça se passe probablement ainsi depuis les vingt dernières années, avec le caractère de passage de tout ça, l’augmentation de la crémation a régulièrement augmenté. […] dans la région de Las Vegas, on est clairement au-dessus des 60 % de crémations. C’est beaucoup ! Mais c’est moins cher parce qu’on peut transporter les cendres vers là où on veut, ou parce qu’on a le sentiment que personne ne viendra sur votre tombe parce que votre famille vit ailleurs et qu’on est mort ici. [… D’ailleurs] c’est différent ici, les funérailles ont tendance à être plus petites parce qu’on ne connaît pas autant de monde73 » (E.8).
59La nature éphémère de l’installation à Las Vegas est en effet corroborée par les statistiques : en 2012, le Nevada connaissait le plus fort taux de crémation du pays, ce type de sépulture étant choisi dans 74 % des cas, soit le double de la moyenne nationale (CANA, 2014). Pour les acteurs locaux et nationaux du secteur funéraire, la nature transitoire de l’installation à Las Vegas est de loin le principal facteur explicatif et cette analyse fait consensus (Eckhouse, 2009).
60Le bilan est ainsi particulièrement sévère : les jeunes veulent partir pour leurs études, les personnes âgées veulent partir pour leur retraite, et si l’on s’en tient aux paroles recueillies sur place, confirmées par l’enquête de l’UNLV, un grand nombre d’adultes entre ces deux catégories n’attendent qu’une chose : quitter eux aussi Las Vegas. Comment tout cela se traduit-il dans la construction identitaire des habitants de Las Vegas ? C’est ce que l’usage, ou le refus, du gentilé « Végasiens » permet d’analyser.
Une distanciation symbolique envers l’identité végasienne : le refus du gentilé « Végasien »
61L’appropriation incomplète de l’identité végasienne se retrouve dans le rapport des habitants au vocabulaire qu’ils utilisent pour se désigner. Dans le cadre de mes entretiens, j’ai interrogé les usages que les habitants avaient des termes « local », « natif » et du gentilé « Végasien ». En effet, le choix des mots pour se décrire par rapport à son lieu de résidence participe de l’appropriation symbolique de ce territoire, et par extension de la citadinité. Une question portait plus spécifiquement sur le terme de « Végasien ». Ce questionnement cherchait à voir si l’utilisation du gentilé « Végasien » pouvait être une façon de signifier son appartenance à un lieu, ici l’aire urbaine de Las Vegas, et d’en ressentir une certaine fierté. À la question » : « Est-ce que le terme “Végasien” signifie quelque chose pour vous ? », les réponses furent diverses : sur les 30 personnes interrogées, 3 ne connaissent pas du tout le terme et seuls 7 l’utilisent fréquemment, le reste connaissant le terme mais ne l’utilisant pas régulièrement.
62De manière générale, l’usage du gentilé n’est pas massif, bien au contraire. Pour preuve, plusieurs des personnes interrogées ne connaissaient tout simplement pas du tout le terme. Plus nombreux sont ceux qui connaissent l’expression sans pour autant qu’elle leur soit très familière, et qui par conséquence ne l’utilisent pas, comme l’expriment les réponses suivantes à la question : « Est-ce que le terme “Végasien” signifie quelque chose pour vous ? » :
« Non, pas vraiment. C’est une chose tellement bizarre que de dire “Végasien”74 » (E.23).
« Enfin, je veux dire, je sais juste que ça veut dire du bassin75 » (E.18).
« Non, pas du tout. Pour moi, ça sonne comme végétarien76 » (E.25).
« Pas ce terme en particulier, non. Je pense que la plupart du temps quand j’entends des Végasiens parler de Végasiens, c’est quelque chose comme, ils sont juste en train de parler des locaux77 » (E.15).
63Certains des habitants ont du mal à saisir ce que le gentilé de Végasien incarne et par conséquent ont du mal à l’utiliser et à le revendiquer, même s’ils ne le rejettent pas en bloc.
[Est-ce que le terme “Végasien” signifie quelque chose pour vous ?] « Ouais. [Silence] Mais je ne suis sûr pas de savoir quoi ! Parce que, là d’où je suis, on nous appelle “Hoosiers”, et il y a une réelle sorte de communauté : une sorte de mentalité type “Je suis natif de l’Indiana, j’y ai été élevé toute ma vie, je suis fier de vivre ici”, une sorte d’éthique de la communauté, et ici [à Las Vegas] on dirait tout simplement qu’il n’y a pas [ça], genre, tu peux te dire [Végasien] mais je ne sais pas comment tu participerais à quelque chose de la sorte78 » (E.13).
« Je dis aux gens que je suis de Las Vegas mais je ne me considère pas comme une Végasienne79 » (E.23).
64Ces réactions restent néanmoins neutres par rapport au refus catégorique d’employer le gentilé pour se décrire quand je demande : « Est-ce que vous vous sentez Végasien ? » Pour Dee, qui a grandi à New York, ce refus découle d’une identité new yorkaise très forte qui prend le dessus sur tout autre ancrage territorial : « Je ne me sens pas [Végasienne] parce que je ne suis pas née ici. […] Je serai toujours une New Yorkaise, peu importe où et quand, par conséquent non, je ne me considère pas comme une Végasienne80 » (E.3). Pour Robert, le rejet est encore plus brutal et s’accompagne d’un refus total de l’identité que sous-tend l’emploi du gentilé Végasien : « Non [je ne me considère pas comme un Végasien]. Je ne peux pas être fier de cette ville à cause de son héritage. [...] Je suis d’ailleurs81 » (E.19).
65Selon moi, ceux qui n’emploient pas le terme de Végasiens rejettent plus que le mot : ils s’inscrivent surtout en faux par rapport à l’idée d’ancrage à Las Vegas et de revendication d’appartenance. Ne pas utiliser le gentilé est une façon pour eux de prendre de la distance, de se distinguer de la ville et de ce qu’elle représente, ce qui révèle une sorte de mécanisme de défense face au processus de stigmatisation. Certes, ils habitent à Las Vegas, peut-être de façon contrainte ou par dépit, mais ils insistent pour souligner qu’ils sont d’ailleurs. Cette affirmation de venir d’ailleurs est exprimée le plus souvent par la distinction entre un lieu de résidence actuel, conçu comme temporaire, et l’identification à un autre lieu, porteur d’attachement émotionnel et affectif, attachement condensé dans le mot maison (home), beaucoup plus fort de sens en anglais qu’en français (Blunt et Varley, 2004 ; Blunt et Dowling, 2006 ; Brickell, 2012). Dès lors, puisque Las Vegas n’est pas chez soi, n’est pas le lieu de sa maison de cœur, elle ne peut être un lieu d’investissement personnel. Derrière cette nuance, on peut lire le refus d’établir ses racines à Las Vegas, d’en faire sa maison, même de manière symbolique. La précision faite par les personnes interrogées entre « j’habite à Las Vegas mais ma maison est ailleurs » traduit la réticence à s’investir localement, et une difficulté à se projeter dans le futur à Las Vegas. Sous-jacentes se trouvent les idées de passage, de transit par Las Vegas dans des trajectoires personnelles où cette ville n’est qu’une étape avant de s’installer dans un lieu plus satisfaisant ou de retourner dans son véritable chez soi, comme le transcrit l’extrait ci-dessous.
« Non, je ne dirais pas que je suis une Végasienne. Je dirais que j’ai vécu ici pendant 13 ans mais je me sens du Midwest ou de Chicago. […] Non, je ne pense pas que je me sentirai jamais comme une Végasienne. […] Je pense que [Las Vegas] est là où je vis, mais pas là d’où je suis82 » (E.20).
66Le géographe R. Rowley a rencontré le même type de réponses : quand il demande à Tracy si elle se considère comme une locale, elle répond de façon mitigée « Oui et non ». Oui, elle se sent locale car elle vit à Las Vegas, elle y a ses habitudes et des lieux qu’elle fréquente régulièrement :
« Mais en même temps, je ne m’en sens pas une [une locale]. Il y a quelques semaines, j’étais à Seattle pour des vacances. Quand on me demandait d’où je venais, je répondais toujours : “Oh, je vis à Las Vegas mais je suis du Kansas.” Je ne sais pas combien de temps il faudra que je vive ici avant que je commence à répondre que je suis de Las Vegas. Je pense que si je devais déménager dans une autre ville, et si on me demandait d’où je venais, j’expliquerais toujours que j’ai vécu à Las Vegas pendant X années, mais que je suis du Kansas. J’aime bien vivre ici [à Las Vegas], mais quand je pense à me marier et à fonder une famille, je n’envisage pas que cela arrive ici. Peut-être que si cela arrivait, je ressentirais plus que je suis d’ici83 » (cité dans Rowley, 2013, p. 8).
67Cette citation illustre bien la volonté au moins symbolique de se distancier de l’identité végasienne, soumise à tant de stigmatisation négative. Edward analyse la portée du gentilé de Végasien en le mettant en perspective avec son expérience personnelle. Sans chercher à déduire de ce seul cas une généralité pour l’ensemble des Végasiens, ses propos me semblent particulièrement symptomatiques de l’appropriation délicate de l’identité végasienne, constamment travaillée par une volonté de distanciation. Dans la longue citation suivante, il met les mots sur sa difficulté à se dire et à se penser Végasien :
« J’ai une vision très contradictoire sur ça. J’ai vécu [à Las Vegas] plus longtemps que n’importe où ailleurs, j’ai vécu ici presque la moitié de ma vie ! […] Si je ne suis pas de Las Vegas, je serais quelque chose comme un Albuquerquien84 parce que j’ai vécu là-bas pendant 6 ans, mais je ne me sens pas un Albuquerquien, et si je ne suis pas un Végasien, je me sens comme une personne sans ville ! J’imagine que je suis un Végasien mais je ne trouve pas que je dise ça fièrement, je ne trouve pas que j’assume ça volontairement, je trouve que je dis ça à contrecœur, comme si je disais “j’imagine que je suis un Végasien parce que je ne suis rien d’autre, c’est ce que je suis par défaut”. Et je me suis rendu compte de ça un jour et ça m’a presque fâché ou rendu triste. […] Je ne me vois pas vouloir rester à Las Vegas [même si] il y a certains éléments de mon histoire et de ma personnalité qui sont catégoriquement associés à Las Vegas : par exemple ma cérémonie de remise de diplôme à la fin du lycée était dans un casino ! […] Il n’y a pas beaucoup de choses de Vegas que je peux dire uniques ou chères à mon cœur ; j’ai des souvenirs mais je ne peux pas dire que j’ai ces choses, juste des souvenirs. […] C’est avec réticence que je m’identifie en tant que Végasien. Et quand je rentre à la maison… Même là, quand je dis “à la maison”, je veux dire à Denver ! Ça me semble bizarre de dire que je suis un Végasien parce que je ne trouve pas que je tiens Las Vegas dans mon cœur, même si j’y ai vécu presque la moitié de ma vie85 » (E.21).
68Je fais l’hypothèse que le cas d’Edward laisse entrevoir le sentiment conflictuel que les habitants de Las Vegas peuvent éprouver envers la ville où ils résident. Ce qui ressort le plus, c’est l’absence d’attachement émotionnel et affectif envers Las Vegas, figurée par les multiples références au « cœur » : la ville ne tient pas une place spéciale dans son cœur et n’a pas su produire des éléments « uniques ou chers à son cœur ». D’ailleurs, à la suite d’un lapsus, il se rend compte que sa maison « de cœur » (home) n’est pas à Las Vegas, mais à Denver où réside une partie de sa famille. Las Vegas est l’endroit où il réside de fait, mais pas un lieu auquel il est attaché. Loin donc d’être une source d’ancrage personnel, être Végasien est pour lui une identité par défaut : il éprouve de la réticence à s’identifier en tant que tel. Le vocabulaire employé est à ce propos particulièrement fort : il « n’assume pas » l’identité végasienne, à laquelle il fait référence « à contrecœur ». Cette identité incomplète est source d’une réelle tristesse, au point qu’il se présente presque comme un apatride (« une personne sans ville »). Et pourtant, malgré la fragilité de son ancrage végasien, la ville le définit en partie puisqu’elle a façonné une partie de « son histoire et de sa personnalité ».
69L’usage modéré que j’ai constaté du gentilé Végasien et le cas particulier d’Edward sont autant d’arguments alimentant l’idée d’une construction identitaire complexe pour les habitants de Las Vegas, reflet d’une appropriation certes inaboutie mais qui semble exister en germe et ne demande qu’à être développée et approfondie.
Vecteurs de revendication et de consolidation de la citadinité végasienne
Facteurs d’appréciation de Las Vegas
70Certes, beaucoup de gens détestent vivre à Las Vegas, voire rêvent d’en partir. Néanmoins, pour tout un pan de la population locale Las Vegas est un endroit agréable : si 40 % de la population végasienne souhaiteraient quitter l’aire urbaine s’ils le pouvaient, cela veut aussi dire que 60 % désirent rester (Futrell et al., 2010a, p. 28). L’enquête statistique menée par les sociologues de l’UNLV donne en effet des indications sur le degré d’appréciation de la vie végasienne au sein de la population locale. Environ un tiers de la population ressent un fort sentiment d’appartenance envers le bassin de Las Vegas (35,5 %), leur ville (36,9 %) et leur quartier (33,2 %). La durée de résidence influence le degré d’attachement : les natifs du bassin sont les plus attachés à Las Vegas (55,9 %), le taux le plus élevé constaté par l’enquête. Plus largement, 77 % des habitants interrogés déclarent avoir une bonne ou plutôt bonne qualité de vie ; et 39 % estiment que celle-ci sera meilleure ou bien meilleure dans 10 ans (idem, p. 41). À l’occasion des entretiens que j’ai réalisés avec des Végasiens, j’ai eu l’occasion d’entendre ces habitants qui « adorent vivre à Las Vegas ». Sept des personnes interrogées ont exprimé avec emphase leur appréciation de la vie à Las Vegas. Toutefois, même parmi ces amateurs de la vie végasienne, quatre reconnaissent l’existence d’un manque de communauté et d’interactions entre voisins, même s’ils ne l’ont pas expérimenté personnellement ou si cet état de fait ne suffit pas à leur rendre la vie insupportable.
71Pour comprendre cet amour que ressentent certains habitants envers Las Vegas, il faut tout d’abord expliquer ce qui a rendu l’aire urbaine si attractive ces trente dernières années pour la foule de personnes qui sont venues s’y installer. Loin d’être une motivation futile ou secondaire à première vue, l’importance du climat a été mentionnée très souvent dans les entretiens, au point de s’imposer comme l’une des forces d’attraction de Las Vegas. À la question : « Qu’est-ce que vous aimez à Las Vegas ? », un tiers des Végasiens interrogés ont ainsi répondu le climat, et pour deux personnes, c’était même un des principaux facteurs ayant motivé leur installation à Las Vegas. Su Kim résume ainsi ce qui plaît le plus à Las Vegas : « On n’est pas confronté à l’hiver ici86 » (E.1). À l’inverse, dans seulement 1/5e des entretiens le climat a été présenté comme une source de désagrément, alors même qu’il s’agit d’un climat semi-désertique. Ces réponses reflètent des tendances nationales plus globales sur les motivations de la mobilité américaine : selon une étude du Pew Research Center (2008, p. 13), le climat apparaît à la 6e position du classement des principales raisons motivant un déménagement, soit 18 % des réponses. Toutefois, ce facteur est plus important pour les personnes qui vivent dans l’ouest des États-Unis : 29 % des personnes qui résident dans cet ensemble régional considèrent le climat comme une motivation majeure de déménagement (idem, p. 17).
72Même si le climat est un vrai atout à Las Vegas, l’abondance d’opportunités économiques, soutenue par la croissance, est un facteur d’attraction autrement plus important. Toutes les personnes que j’ai interrogées se sont installées à Las Vegas pour des raisons économiques : soit parce qu’elles, ou leurs parents, avaient obtenu un emploi, soit parce que les opportunités de faire des affaires leur paraissaient suffisantes pour leur garantir de trouver du travail sur place. Cette attractivité végasienne s’inscrit parfaitement dans les tendances nationales. Toujours selon le rapport du Pew Research Center (2008), la majorité des personnes qui déménagent le font parce qu’elles sont attirées par les opportunités économiques et l’accessibilité à l’emploi, qui constituent le principal facteur explicatif de la mobilité aux États-Unis. Ainsi, 44 % des personnes qui déménagent présentent comme principale motivation la catégorie « emploi et opportunités économiques ». L’attractivité économique de Las Vegas doit également être replacée dans son contexte régional, puisque l’ouest américain dans son ensemble a connu un fort dynamisme économique (cf. chapitre iii). L’enquête réalisée auprès des Végasiens permet de faire un constat identique : Las Vegas est ainsi décrite comme une « terre d’opportunités » (land of opportunity, E.2 et 5) où l’on peut réaliser ses rêves et qui n’est pas sans rappeler le vaste monde de possibles offert par la conquête de l’Ouest, comme le sous-entend Tom : « Je pense qu’on peut être là depuis un jour ou une année, peu importe, un Végasien est quelqu’un qui est comme les anciens pionniers qui sont venus dans l’Ouest pour les opportunités, des gens qui voulaient quelque chose de mieux87 » (E.5). Le rapport du Harwood Institute souligne également les nombreux commentaires de Végasiens qui présentent l’aire urbaine comme un lieu qui donne sa chance à tous les nouveaux venus et permet de réaliser ses ambitions : « Les gens viennent ici avec un rêve, et Las Vegas est l’endroit où vous pouvez le réaliser. C’est totalement à portée de main88 » (Harwood et Freeman, 2004, p. 7). La réussite à la mode Vegas s’incarne alors par les figures du voiturier et du portier, qui évoquent les aspirations d’ascension sociale, de plus en plus difficiles à réaliser pour les populations sans qualification (cf. chapitre iii).
73Les défenseurs de Las Vegas s’appuient ainsi principalement sur le climat et le contexte économique pour ancrer leur appréciation de l’aire urbaine. Toutefois, énumérer les atouts végasiens ne suffit généralement pas à convaincre les sceptiques des attraits de Las Vegas : il faut encore combattre les clichés qui viennent de l’intérieur, diffusés par les locaux eux-mêmes.
Réfuter les clichés dépréciatifs intériorisés
74« Las Vegas est une fois de plus en butte aux critiques, et contrairement aux périodes d’opinion anti-Vegas du passé, cette fois, ça vient aussi de l’intérieur89 » (Reza, 2010). J. Reza, journaliste natif de Las Vegas, pointe ici une ambiguïté au sein de la population végasienne : non seulement les Végasiens doivent se battre contre les clichés et la mauvaise image largement diffusés par l’extérieur, mais en plus, pour ceux qui apprécient de vivre à Las Vegas, il faut chercher à faire entendre sa voix bien qu’elle soit écrasée sous le poids des discours de la citadinité de la déficience. Il résume ainsi, dans un style acerbe qui lui est propre, cette litanie de critiques adressées par les Végasiens eux-mêmes envers Las Vegas :
« Je t’entends bien, Détracteur de Vegas. Pas que je le veuille, bien sûr, mais je n’ai pas vraiment le choix. J’ai été exposé à tes diatribes anti-Vegas alimentées à la bière dans mon bar du coin. Je suis tombé sur La Haine alors que bêtement j’examinais avec soin la partie commentaire non censurée du site internet du journal local (notamment en lisant une histoire au sujet d’une étude de l’UNLV suggérant qu’un habitant de Las Vegas sur quatre préférerait vivre ailleurs90). J’ai même enduré les refrains ennuyeux d’amis qui chantent constamment les louanges de Portland, Oregon ou Austin, Texas, ces légendaires (hum, hum) “véritables villes” où la bière est toujours plus fraîche, les gens toujours plus intelligents et l’herbe toujours un rien plus verte. Ouais, ouais : tu veux déménager là-bas et cultiver quelque chose, c’est ça91 ? » (idem).
75Cette entrée en matière est complétée par une description beaucoup plus synthétique des propos contre lesquels ce Végasien de souche et défenseur de sa ville natale doit continuellement s’élever : « Le manque de culture, le manque d’amis, le manque de bons restos pour le petit-déjeuner et de bons cafés92 » (Reza, 2010).
76En raison de l’appropriation difficile de l’identité végasienne, les habitants qui aiment Las Vegas s’opposent au quotidien à ceux qui la détestent, selon une ligne de front entre détracteurs et partisans. Le discours monobloc de la déficience est alors relativisé, nuancé, voire totalement rejeté. L’enquête de l’UNLV permet de replacer le point de vue de J. Reza dans une analyse plus globale. Elle rapporte que 59 % des habitants rendent visite à leurs voisins, toutes les semaines ou tous les mois, et que 37 % déclarent rendre service dans le voisinage de façon hebdomadaire ou mensuelle (Futrell et al., 2010a, p. 33). Parmi les locaux que j’ai interrogés, Rick et Barbara ont estimé qu’ils connaissaient bien leurs voisins et m’ont parlé de liens sociaux véritables à l’échelle de leur quartier :
« En ce qui me concerne, je connais mes voisins. Je suis attaché aux gens. Je ne pense pas que ce soit aussi terrible que ce que les gens en disent ici à Las Vegas. C’est pire dans des endroits comme Los Angeles93 » (E.10).
« Contrairement à ce que les gens disent à propos de la difficulté à rencontrer ses voisins, nous allons vers les gens ; nous vivons dans notre maison actuelle depuis 10 ans et on était parmi les derniers à nous être installés dans le quartier. Nous connaissons nos voisins94 » (E.8).
77Le thème récurrent de l’absence de culture à Las Vegas a été évoqué avec la coordinatrice des activités culturelles d’une des bibliothèques du comté de Clark : « Pourquoi, à mon avis, les gens disent toujours qu’il n’y a pas de culture à Las Vegas ? Eh bien, je pense que c’est parce que c’est facile de dire ça. C’est facile de supposer qu’il n’y a rien qui se passe ici95 » (entretien). Selon elle, s’il est si facile de supposer qu’il n’y a pas de culture à Las Vegas, c’est en raison de la sempiternelle description de la ville comme un désert culturel : à force de le répéter, les habitants s’en persuadent au point de ne pas chercher à aller plus loin. Dans la lignée de cette analyse, les critiques constantes envers les manques de la citadinité végasienne semblent fonctionner comme une prophétie autoréalisatrice (Staszak, 2000).
78Les critiques de l’absence de liens de voisinage, de communauté, de culture, ont été expliquées de façon identique par tous les habitants que j’ai rencontrés qui s’inscrivent en faux face à ce discours commun dépréciatif : les gens qui se plaignent de la déficience de Las Vegas ne se donnent pas les moyens de créer du lien social, et sont par conséquent les seuls responsables de leur mal-être. Ainsi, la responsabilité individuelle de s’investir dans la vie associative, les communautés religieuses, ou tout simplement de faire l’effort de parler à ses voisins est revenue à de nombreuses reprises dans les entretiens :
« La maison, c’est ce que tu en fais […] il faut vraiment faire un effort. Si tu n’en fais pas, tu crées ton propre manque de communauté96 » (E.1).
« Il faut que ce soit toi qui la cherches [la communauté], tu ne vas pas tomber dessus dans ton quartier97 » (E.4).
« Tu retires d’ici ce que tu y mets. La ville a beaucoup à offrir, il faut juste sortir, tu dois essayer de te faire des amis même si c’est une ville avec du passage. Il y a plein de groupes de gens qui adorent rencontrer des gens, mais je ne pense pas que tout le monde sache ça. Il faut vraiment se mettre en quatre pour rencontrer des gens, vraiment. [Pour rencontrer des gens] il m’a fallu en fait essayer98 ! » (E.5).
« On peut créer de la communauté où on veut : ça dépend de nous99 ! » (E.6).
« Je dirais que la communauté, c’est ce que l’on construit, ce que l’on en fait, c’est la quantité d’efforts qu’on y met. Est-ce qu’on est volatile ? Oui, mais toutes les autres grandes villes sont volatiles. […] Je pense que les gens disent qu’il n’y a pas de communauté parce qu’ils ne la cherchent pas véritablement100 » (E.7).
« Comment forger un sentiment de communauté ? En ayant la volonté d’en forger un101 ! » (E.24).
79Comment comprendre ces différents témoignages ? Il est difficile de faire la part des choses entre les opinions personnelles et les convictions politiques de chacun, dans une région largement influencée par la pensée libertarienne et la promotion de l’individualisme. Néanmoins, il est possible de lire entre les lignes : en insistant sur la responsabilité individuelle, ces Végasiens défendent à demi-mot Las Vegas, en refusant la description fataliste d’une aire urbaine incapable de susciter de la cohésion et de l’interaction sociales entre ses habitants. C’est également une façon de prouver aux sceptiques qu’une vie « normale » est possible à Las Vegas et par conséquent de revendiquer la banalité de leur quotidien, attribut au cœur des processus d’appropriation territoriale.
80Ainsi, à la question « est-ce que vous trouvez que la vie à Las Vegas est spéciale ou différente ? », la moitié des habitants questionnés a répondu négativement, ce qui est une façon d’atténuer l’image exceptionnelle de leur ville, trop étroitement conditionnée à l’imaginaire touristique, et d’affirmer leur propre normalité :
« Sur bien des aspects, Las Vegas est comme là d’où je viens, comme Tulsa [dans l’Oklahoma]. Sur bien des aspects, on retrouve la même mentalité du Midwest102 » (E.2).
« Hum, hum, spécial ?… non. C’est comme n’importe où. On a les mêmes bâtiments, c’est comme partout ailleurs […]. Nos vies sont similaires à celles de n’importe qui qui vivrait partout ailleurs. On affronte les mêmes choses, on vit la même vie, ce n’est en aucun cas différent parce que c’est Las Vegas103 » (E.7).
81L’appropriation de l’identité végasienne s’avère ainsi un processus complexe pour les Végasiens, qui sont tiraillés entre le poids écrasant des imaginaires touristiques et la banalité de leur quotidien. Jeff va même jusqu’à parler d’une « relation d’amour/haine » (love/hate relationship) pour décrire cette relation ambivalente des habitants de Las Vegas avec leur ville (E.14).
Une identité végasienne néanmoins valorisée par certains : la fierté d’être « natif »
82Les défenseurs de la vie végasienne laissent entrevoir l’existence d’une appropriation symbolique, qui même si elle est minoritaire, s’observe localement via la revendication d’être natif de Las Vegas.
83Malgré un usage limité à première vue, 7 des habitants interrogés expriment avec fierté leur attachement envers Las Vegas, attachement qui s’incarne par l’utilisation et la revendication du statut de « Végasien ». Les réponses à la question : « Est-ce que le terme “Végasien” signifie quelque chose pour vous ? » sont alors complètement différentes :
« Ouais, je l’utilise beaucoup. [Quand] les gens me demandent d’où je suis, je dis : “Je suis un Végasien !” Je ne réponds pas la Californie où je suis né, je suis ici [à Las Vegas] depuis mes 17 ans104 » (E.4).
« Ouais, je me sens comme un Végasien. Je me sens fier105 » (E.14).
« Mon ami Ralph est vraiment fier et je pense qu’il s’appelle comme ça, “le Végasien”106 » (E.23).
84Afin de mieux comprendre les sous-entendus et les implicites du gentilé, j’ai demandé aux locaux d’expliciter les significations du terme Végasien à leurs yeux :
« Végasienne ? Je pense que c’est un élément de fierté. Oui, ça signifie quelque chose pour moi : ça veut dire que je vis dans la meilleure ville au monde, ça veut dire que je vis dans une ville qui attire des gens du monde entier, ça veut dire que je suis une Végasienne et que je suis fière de ma ville, que je peux dire que j’adore Las Vegas et que je me considère comme une Végasienne107 » (E.6).
« Oui, ça me donne un sentiment de lieu, une raison d’être. C’est catégorique, oui, je suis une Végasienne. Et je suis à l’aise avec ça, je veux dire, je ne m’écraserai jamais devant personne qui dirait : “Oh, vous vivez à Las Vegas ?…”, eh bien oui108 ! » (E.7).
« Ça veut dire que je suis d’un endroit que les gens sont curieux de connaître. Ils veulent vraiment savoir109 » (E.8).
« Peut-être que [ça veut dire] quelqu’un qui est venu ici pour saisir sa chance et a essayé quelque chose de nouveau110 » (E.14).
« Oh oui [je me sens Végasien]. [Cela signifie que] il faut avoir envie d’être là111 » (E.24).
85Ainsi, d’après l’enquête réalisée auprès des locaux, l’usage du gentilé Végasien est caractérisé par une utilisation et une reconnaissance modérées mais réelles pour certains. Les termes de « locaux » et de « natifs » sont toutefois beaucoup plus courants dans les conversations que j’ai entendues et auxquelles j’ai participé localement, et très souvent les personnes interrogées ont changé le mot « Végasien » présent dans ma question initiale pour celui de local ou de natif. De façon intéressante, c’est d’ailleurs l’expression de natif qui concentre la revendication, voire la crispation identitaire. Les personnes interrogées qui sont originaires de Las Vegas sont beaucoup plus enclines à affirmer leur statut de natif que de Végasien. La citation de Genevieve, jeune femme de 26 ans qui est née et a grandi à Las Vegas, donne à voir cette revendication, quitte à être très possessive envers le terme de natif :
« Je suis très susceptible quand on parle [d’être un natif]. Ça me rend dingue quand les gens disent… ce n’est pas qu’ils se disent natifs, certains le font, mais beaucoup sont du genre :
“– Oh, je suis de Las Vegas.
– Oh ? Né et grandi ici ?
– Non.
– Ben alors tu es d’où ?”
C’est catégorique, je deviens possessive sur le sujet. Fondamentalement parce que nous sommes une minorité et qu’il y a moins d’entre nous. C’est une identité à laquelle nous nous accrochons j’imagine112 » (E.16).
86Cette jeune femme est fière d’être native de Las Vegas et c’est une identité qu’elle cherche à proclamer, mais elle illustre ici la difficulté supplémentaire de s’affirmer par rapport à des gens qu’elle perçoit comme des usurpateurs. Laura et son fils Justin, cas très rare de respectivement 3e et 4e générations de Végasiens, expriment le même besoin de défendre leur territoire en tant que « véritables » natifs :
« Les gens sont ici depuis 10 ans et vont s’appeler des natifs, mais pour moi [être natif] c’est quand on est né et qu’on a grandi ici. Je suis offensée par ça ; non, tu n’es pas un natif, ne te dis pas natif ! Si tu étais né et que tu avais grandi ici, tu serais un natif, si tu ne l’as pas été, tu ne l’es pas113 ! » (E.11).
« C’était quelque chose qui me blessait quand j’étais plus jeune à l’école, du genre, “Je suis un natif, j’ai vécu ici toute ma vie, on a déménagé de Californie quand j’avais 7 ans”, et moi je disais : “Alors tu n’es pas un natif !”114 » (E.12).
87Leur insistance pour différencier les locaux, même de longue date, et les natifs montre à demi-mot l’appropriation territoriale en marche à Las Vegas. En effet, ce type de précision lexicale est un marqueur identitaire particulièrement indicatif d’une fierté d’appartenance.
88Néanmoins, cette crispation identitaire résulte de l’utilisation du terme de natif et non de Végasien. On observe une préférence nette pour le terme relativement neutre de local et un effet de mise à distance forte envers celui de « Végasien ». Justin illustre cette attitude quand il explique qu’il est fatigué des réactions stéréotypées qui ne manquent pas de suivre la déclaration « je suis de Las Vegas » (cf. supra). Par conséquent, il a tendance à dissimuler son statut de Végasien quand il voyage pour éviter ce désagrément : « Je me présente comme un habitant du Nevada, plus que comme un Végasien115 » (E.12). Comment alors comprendre ce glissement, et en négatif, pourquoi les Végasiens ne s’emparent-ils pas plus de leur gentilé ? Dit autrement : pourquoi semble-t-il avoir plus de fierté à être un local qu’un Végasien ? J’avance l’hypothèse que cet état de fait doit se comprendre, une fois encore, comme une des conséquences de la mauvaise image et de la stigmatisation de Las Vegas sur la citadinité de ses habitants. En termes familiers, les personnes rencontrées seraient fières d’être « du coin », façon de proclamer une connaissance fine de la ville et de ses usages et par extension de revendiquer un statut d’autorité dans la maîtrise urbaine, mais ne seraient pas forcément prêtes à afficher de but en blanc que ce « coin », c’est Las Vegas.
89On peut donc faire un bilan en demi-teinte du processus d’appropriation symbolique de l’identité végasienne. La majorité des habitants cherche avant tout à se distancier de Las Vegas, qui n’est vue que comme une étape transitoire, plus ou moins subie, dans leur parcours de vie. Si certains sont fiers d’être Végasiens, qu’ils soient nés ici (born and raised) ou qu’ils aient fait le choix d’y ancrer leurs racines, ils demeurent minoritaires et peinent à faire entendre leur voix face au discours dominant de la citadinité végasienne.
Conclusion
90Ce chapitre a mis en évidence une construction identitaire complexe qui est constamment travaillée par la nature hybride de Las Vegas, tiraillée entre exceptionnalisme – comme capitale mondiale du jeu – et banalité. Même si l’activité touristique est spatialement très concentrée et limitée, elle irrigue l’ensemble des représentations que l’on se fait des Végasiens, le plus souvent de façon dépréciative. La stigmatisation de Las Vegas est source de décrédibilisation pour la ville mais également pour ses habitants qui souffrent d’être associés aux clichés sur les stripteaseuses et joueurs invétérés.
91Il ressort des entretiens avec les Végasiens non seulement la lutte permanente contre les clichés des imaginaires touristiques, mais également une incapacité à créer une réelle cohésion sociale et un sentiment de communauté entre habitants. La citadinité de la déficience est indéniablement le paradigme dominant, à tel point qu’une majorité d’habitants l’ont intériorisée, dans un processus de prophétie autoréalisatrice. Le manque, l’absence, l’insuffisance dominent les discours et il en résulte une construction identitaire affaiblie et le plus souvent incomplète qui aboutit à un désir de fuir Las Vegas dès que possible.
92Néanmoins, les paroles des habitants collectées dans ce chapitre laissent entrevoir des vecteurs de dénonciation de ce fatalisme ambiant, voire de fierté de se dire Végasiens, augurant d’une possible consolidation de la citadinité végasienne dans le futur.
Notes de bas de page
1 « The subtlest and most pervasive of all influences are those which create and maintain the repertory of stereotypes. We are told about the world before we see it. We imagine most things before we experience them. And those preconceptions, unless education has made us acutely aware, govern deeply the whole process of perception. »
2 Référence à une remarque du président Obama en octobre 2009, au plus fort de la dépression américaine, qui avait dénoncé la tenue d’une convention de la banque Wells Fargo à Las Vegas, présenté comme un gaspillage d’argent public (la banque ayant été sauvée de la faillite par des fonds fédéraux).
3 « Ultimately, as in the case of Birmingham’s relation to violent racism, San Francisco’s to homosexuality, and Las Vegas’s to vice, the perception becomes the unquestioned reality. Journalists write of racial problems when covering bomb blasts in Birmingham, presidents associate corporate trips to Las Vegas with wasteful hedonism, and the promoters of family “values” equate San Francisco with homosexuality. »
4 « What would our visitors have to report to the boys at the bank or the women in the bridge club, who most likely aren’t interested in hearing how beautiful Red Rock Canyon is, or how our arts scene has been dramatically upgraded in recent years? The folks in Abilene want the unfiltered dirt, and it’s the returning tourists’ job to dish it out. »
5 Le Super Bowl, finale annuelle du championnat de football américain, est considéré comme le plus grand événement sportif des États-Unis. Étant donné l’importance du nombre de téléspectateurs (en moyenne la moitié des parts de marché), c’est également une occasion rêvée pour les publicitaires de toucher un large public, en créant des publicités spécialement pour l’occasion.
6 « Regardless of the creative content of the commercial, the N.F.L. would reject it even if there was no reference to gambling. »
7 « Can be transmitted through lineages and equally contaminate all member of a family. »
8 « “Do you live in a hotel? Is Wayne Newton your neighbor? Which casino does your mom work in? Is she a showgirl? A hooker? A stripper? Is your dad in the Mafia? Is he a gambler? Do you eat in casinos? Where do you play outside?” When I was a little Las Vegan, any trip outside Nevada would subject me to this litany of Silly Vegas Questions, and many more like them. »
9 L’expression « cocktail waitress » fait référence à un emploi spécifique aux casinos, à savoir les serveuses en charge d’apporter des boissons offertes par l’établissement aux joueurs dans la salle de jeu. Elles sont un élément clé de l’atmosphère générale des casinos, notamment en raison de leurs uniformes assortis au thème général. Cette pratique s’explique par le fait que les joueurs éméchés seraient moins regardants sur les sommes perdues.
10 « A population of more than two-million–very few of whom, they [sociologists] may be surprised to know, live on the Strip. »
11 « People were like: “You’re from Las Vegas? Do you live in a casino? Do you go to school in a showroom? Where do you guys live?”. »
12 « People were really curious: “Where do you live?” Because people didn’t realize that there were anything beyond just the immediate downtown and the Strip. They didn’t know that there was anything. “Where do you go to school?” They had no concept, because they’ve never gone out and seen it. »
13 « When you travel and you say to people you’re from Las Vegas, it got this kind of mystique. Everyone assumes you work in a casino or that you’re a showgirl. »
14 « They think I live at the Bellagio and I have to get over that expectation. »
15 « I love playing with that idea. You still get that even at my age [25], like: “People live here?”, I’m like “Yeah ! You know the giant area that surrounds the casino? We live in those buildings !” »
16 « My son remembers working at the Venetian and being asked by an elderly couple what it was like living here. My son pointed to the Sands Convention Center. “That’s where all the employees live,” he told the couple. “We hardly ever see daylight.” The couple nodded knowingly. That’s how people imagine life in Las Vegas. »
17 « Because I live in Las Vegas, they have the assumption: “So you must party all the time?!” Well, no, it’s like anywhere else. »
18 « They think we’re all gambling all the times, well no we’re just families like everybody else. »
19 « And I think it’s the perception of Las Vegas. I don’t appreciate Las Vegas being, you know, the whole “What happens in Vegas stays in Vegas”. You know there’s a lot of negativity associated with Las Vegas and I think, you know, drinking and partying and the shows and the topless dancers, that has absolutely nothing to do with [our lives]. »
20 « When people know that you are from Las Vegas, they expect that you work as a cocktail waitress and you live in a hotel and you work for the casinos and there’s that whole image. They don’t understand that we have soccer teams, we have PTA, we have churches, we have schools, and all of this stuff. I think that’s the one problem: we get mischaracterized that way. »
21 « I feel that so many negative images that are shown on television about the Strip have nothing to do with the Las Vegas, the Clark County, and the community I know. »
22 « We get blamed for a lot of stuff that we really don’t have anything to do with. »
23 « People think Las Vegas is the Strip. […] That’s when the shock, the reality of how others perceive Las Vegas [happens], because when you live here, you think everybody understands. »
24 « To carry on on that negative connotation: [when looking for grad school] one of the things at the back of my mind was “will these universities take me seriously?”. Coming from here, I feel like I have to work harder to kind of just shut down this idea, this perception of what the city is. »
25 « We’re gonna be the last to come out of all the bad stuff that’s being going on in this country because of the stereotypes that people have about this place that are partially true but partially rigid. I think those stereotypes really, really hinder us from making a better impression. »
26 Référence à l’incipit du roman de Charles Dickens, Un Conte de deux villes, publié en 1859 : « C’était le meilleur et le pire des temps. »
27 « People often described Las Vegas as “the tale of two cities”. In these conversations, they were not making reference to the “best and worst of times”, but rather their reality of living in two cities side by side. People spoke of a community divided between the Strip and gaming industry, on the one hand, and their neighborhood and homes on the other. […] Echoing what we heard dozens of times, one mal told us, “We have residential Las Vegas and we have tourist Las Vegas–and they are two distinct cities”. »
28 « I think people that are tourists think that because they only see one aspect of Las Vegas–they just see the Strip and they go to the hotels–[…] that’s not the Las Vegas I live in as somebody who works here and lives here. […] Yes the Strip is special but I don’t think that other parts of Las Vegas are and are really that different than living in other parts of the Southwest like Phoenix or Tucson or something like that. But again that’s the Strip that’s special, the part of Las Vegas that other people see, but the part of Las Vegas that I live in is just kind of ordinary. »
29 « Seems to me, once you get away from the Strip that in one way it’s a normal city […] that looks a lot like Phoenix. »
30 « Most of the locals stay away from the Strip and that’s for tourists. »
31 « The Strip is like New York’s Broadway: it’s not because you live there that you’ll go everyday day, it’s the opposite! »
32 « People think like: “Oh, you live in Vegas, you must go to the Strip?” No! It’s different for people that actually live here. I’ve never actually walked on the Strip, like tourists do and the whole thing of walking down the Strip, I’ve never done that. I don’t know much about the whole entertainment aspect, like why people come to Vegas, they go to the shows and I really know nothing about it. »
33 « That’s the only time I go to the Strip: if there’s a special occasion, or if somebody is visiting. […] I’m so removed from that [otherwise]. »
34 « You end up doing it [the Strip] when you have family coming to visit and you play tour guide. »
35 « When people are in town. […] Basically, it’s when relative or friends are in town and that’s when we play tourists. »
36 « A lot of people come and visit and we’ll go to the Strip. When you live in Las Vegas, all your family members want to come and visit you! »
37 « Growing up, I told everybody that growing up here is like living in the circus: everybody thinks it’s amazing but it’s just life here. »
38 « It does give that kind of carny feel, like we’re the insiders that provide services to these outside people who are just here for a second. »
39 « We’re like the support staff I guess. »
40 « We are the backstage cast and the show is really about us. »
41 « People come here for a day or two, very quickly absorb the experience and then leave and the people that are left kind of feel discarded in a sense. »
42 « There is kind of a resentment towards tourists who want to take over, that are just coming here for fun. »
43 « The way the revenue from the Strip work is that it all goes back into the Strip, so, yes we may be getting money from gambling and all that but the citizens don’t ever see it. »
44 « There is a sense that the purpose of Las Vegas is to entertain other people […] the city itself and the industry is there to make money and to entertain other people, whereas in other cities that I’ve been there’s a sense that the city and the businesses are there to serve the people who live here, the money being generated, the money being spent both by the city and business is there for the local community. »
45 « There is greed everywhere, but it’s overdosing out here because there is so much money right here on the Strip, and it doesn’t trickle down to the rest of the town the way it’s supposed to. »
46 « Because so much of the industry is tourism, I think local organizing and local events get subsumed into tourist things, between the transient population and the money, and attention of the city sucked into the tourism, I think it kind of stifles local events […] the local culture really get sucked into the big money entertainment on the Strip. »
47 « For some reason it’s different here than from where I grew up. Again, because people move around more. Whereas where I lived, where I grew up, we lived in our house probably 15-20 years before we sold and moved away. Here people move more than where I grew up. »
48 « [Las Vegas] makes me feel like I need to do community building, because that’s what’s missing here, there’s no sense of geographic ties, there’s nothing like in Chicago, everything is broken up into areas and even if you’re recently moved in, […] people are automatically proud to live in Chicago, whereas in Las Vegas, you get the feeling that everybody is immediately trying to get out. »
49 « Other cities, I find it’s incredibly easy to get to know people, but in this city, because of its personality, it’s harder for people to wanna go out there and meet, so they complain: “Oh, it’s a hard city to meet people”. »
50 « That’s the problem: everybody comes from somewhere else in the city. So they’re coming from places that do have a sense of community, older cities maybe, they have a downtown, they have a sporting team and so then they come here, and it’s like “oh, wow, wait a minute, we don’t have any of that [in Las Vegas]!”. And so I think people stay in their suburbs, they stay in their community, their local areas and really never venture out. »
51 « Back home, you used to have things like neighborhood parties where people would come together to discuss things, and if someone in the neighborhood needed help, people would get together. But I don’t experience that here. »
52 « Vegas has always been a transient city: people has always been moving in and out, very few people are from Las Vegas. […] People expect you not to be in their lives in three months anyways. […] It’s harder to build community because of that. It’s harder to make these lasting bonds, and it’s harder to get good deep friendships, at least there is the mindset. […] I continually have people telling me that. And I have a number of my friends telling me that they have trouble making friends because of that. […] There is this sense that it’s extremely hard in Las Vegas to get this sense of community or to get something going because of maybe the transience or because of institutional barriers. […] We don’t have the same longstanding history, people don’t have the same roots here at least not as many people have the same roots here. There are people who have been claiming to be Las Vegans for 3 or 4 generations, that’s extremely few and it’s not like in other cities. »
53 « A key component of any sustainable metropolitan area is the sense of attachment residents have to the area, the strength of social bonds, and feelings about their quality of life. It is clear that the Las Vegas Valley’s phenomenal growth in past years has created both opportunities and obstacles to residents’ sense of connection. »
54 « Focus groups offered additional insight into the complicated sense of belonging and attachment in the Valley. Participants expressed pride in the Valley’s growth and its status as an international tourist destination. But they also feel that one of the costs of development is transience and impermanence in their neighborhoods, which affects their sense of attachment and belonging. »
55 « There is really not that much that I like about Las Vegas to tell you the truth, except the weather and my job. I can’t even say the people, because you see it’s so transient. People come and go. »
56 « I always describe myself as a reluctant resident. It wasn’t a destination of my map, to live at least. »
57 « I have no emotional attachment here. »
58 Volunteering in America : [www.volunteeringinamerica.gov/].
59 « There is a lot of people who don’t enjoy living here […] There is also the transient nature of the city. There are so many people who live here who don’t plan to stay here, they’re just here for a short time because they got a job or they want to make a bunch of money doing something and then leave, go back home. Everybody here, very few people who come here say “this is my home”, they say “this is where I live right now, but eventually, I’ll go back home”. That also makes it difficult to spend money on improving the schools, on transit system, on creating more institutions that are important because they are like “Why should I spend this money on my taxes, when I’m not gonna stay here. You know, I have no commitment, I have no investment here”. That’s definitively a problem. »
60 « When asked if they could live anywhere they want, 40% of Las Vegas residents would leave Nevada altogether. »
61 « First, the recession has to be the primary factor. Las Vegas has one of the nation’s highest unemployment rates. If people can’t find work here, they’re likely to want to move where they believe they can get a job. »
62 « “It seems some people would want to leave because jobs are unavailable and jobs were such a large force in drawing people here,” Futrell said. Part of it, however, could be the sense some have that they’re trapped here—by being underwater in their mortgages (more than 80 percent of valley households) or unable to find an attractive job elsewhere (U.S. unemployment rate: 9.7 percent). »
63 « Las Vegas has always been about growth and gambling. […] This narrow focus transformed a remote watering hole on the Old Spanish Trail into an international destination of almost 2 million people. But these obsessions have come at a price. Las Vegas has pursued tourists and development at the expense of a strong sense of civic pride and community involvement. This is a great place to make a buck, but for many it’s not a desirable place to live and raise a family. »
64 « In reflecting on the survey’s results, local officials, residents and former Las Vegans cited the fact that local governments failed to foster a sense of community at the same pace developers threw up chock-a-block stucco homes. »
65 « Is Las Vegas such a lousy place to live that almost half the residents would leave if they could? »
66 « He can’t wait to leave and I don’t know if it’s because he’s a teenager, so whatever. He definitively doesn’t want to live here. He’s ready to leave. »
67 « I’m ready to get out of here! I want to move back to Boston where people actually care about you being a Ph.D. student or about your research. Here people only care if you’re a waitress. I’m so ready to leave. »
68 « I would almost venture to say anywhere but Vegas! I live here and I don’t hate living here, but I don’t feel drawn here, I feel like as soon as I finish my Ph.D., as soon as I am done with my education, I don’t feel drawn to stay here. I’ll come back and I’ll visit here and I’ll enjoy visiting here, and Vegas has its charms but I feel like I’ve spent my time here. »
69 « We’re probably gonna move out of Las Vegas, to tell you the truth, once I retire yeah I will leave. »
70 « Absolutely, we are gonna leave, we’re leaving. The town is growing too big, it’s just too large. We prefer smaller towns where the culture is not as fast-paced, you have a sense of community. We don’t have that here, we don’t feel like we do my wife and I. »
71 « I’m retiring next year and people are asking me: “So are you staying?”, and when I say: “Yeah!”, it’s like: “Really??” This is just the norm here [to leave]. »
72 Source : UNLV, Oral history research center ; [www.library.unlv.edu/oral_histories/](en erreur 2020, NdÉ).
73 « What we do with the dying or the dead is really indicative of what’s going on. […] in the Western part of the US, and this is probably going on for the past 20 years, as a transientness of it, the increase of cremation has steadily risen. […] in the Las Vegas area, we’re definitively over 60% cremations. It’s a lot! But it’s cheaper because you can transport the ashes back to wherever, or you don’t have the sense than nobody is going to visit you or your remains at a site because your family lives everywhere else and you died here. […] It’s different here, funerals tend to be smaller because you don’t know as many people. »
74 « No, not really. It’s such a strange thing to say “Las Vegan”. »
75 « Well, I mean, I just know that it means from the valley. »
76 « No, not at all. To me, it sounds just like vegan. » Jeu de mot portant sur la proximité phonétique en anglais entre Végasien (/lɑːs ˈveɪɡən/) et végétarien (/ˈviːgən/).
77 « Not that particular term, no. I think most of the time when I hear Las Vegans talking about Las Vegans, it’s like, they’re just talking about locals. »
78 « Yeah. [silence] I’m not sure what! Because, where I’m from, we’re called Hoosiers, and there is a real kind of community: “I’m an Indiana native, I’ve been raised here all my life, I’m proud to live here” kind of mentality, kind of a community ethic, and here there just does not seem to be, like, you can call yourself that [a Las Vegan] but I don’t know how you would participate in something like that. »
79 « I would tell people I’m from Las Vegas but I wouldn’t call myself a Las Vegan. »
80 « I don’t feel like one because I wasn’t born here. […] I will always be a New Yorker no matter where and when, so no I don’t consider myself a Las Vegan. »
81 « No [I don’t consider myself a Las Vegan]. I can’t be proud of this town because of its legacy. […] I’m from somewhere else. »
82 « No I wouldn’t say I’m a Las Vegan. I’d say I lived here for 13 years but I feel like I’m a Midwesterner or from Chicago. […] No, I don’t think I’ll ever feel like a Las Vegan […] I think [Las Vegas] is where we live but not where I’m from. »
83 « But at the same time, I don’t feel like one. A few weeks ago I was in Seattle for vacation. [When] asked where I was from, I would always reply, “Oh, I live in Las Vegas but I’m from Kansas.” I don’t know how long I have to live here before I will start answering that I’m from Las Vegas. I think if I were to move to a new city and was asked where I was from, I would still explain that I lived in Las Vegas for X amount of years, but I’m from Kansas. I like living here, but when I think about getting married and raising a family, I don’t envision it happening here. Maybe if I did, I would feel more like I was from here. »
84 D’Albuquerque, la plus grande ville de l’État du Nouveau-Mexique.
85 « I have a very conflicted view with that. I’ve lived here longer than I lived anywhere else, I’ve lived here about a half of my life! […] If I’m not a Las Vegan, I’ll be like an Albuquerquian because I’ve lived there for 6 years, but I don’t feel like an Albuquerquian, and if I’m not a Las Vegan, I feel like a person without a city! I guess I’m a Las Vegan but I don’t feel like I say that proudly, I don’t feel like I take that on voluntarily, I feel that I say that reluctantly, like I say that “I guess I’m a Las Vegan because I’m not anything else, that’s what I am by default”. And I came to that realization one day and I almost felt like upset or sad. […] I don’t see myself wanting to stay in Las Vegas and there are certain elements of my history and my personality that are very definitively linked to Las Vegas: like my high school graduation was at a casino! […] I don’t have very many things from Las Vegas that I can say are unique and dear to my heart; I have memories but I can’t say that I have things, just memories. […] It’s with this reluctance that I identify myself as a Las Vegan. And when I go back home… Even there, when I say “back home”, I mean go back to Denver! It seems bizarre to me to say I’m a Las Vegan, cause I don’t feel like I hold Las Vegas in my heart, even though I’ve lived here almost half of my life. »
86 « You don’t have to deal with the winter here. »
87 « I think you can be here a day or a year, whatever, a Las Vegan is somebody who is like the old pioneers, who came out West for opportunity, people who wanted something better. »
88 « People come here with a dream, and Vegas is the place you can do it. It’s absolutely there for the asking. »
89 « Las Vegas is once again under attack, and unlike the periods of anti-Vegas sentiment in the past, this time it’s also coming from the inside. »
90 Il est fait ici référence à l’enquête de Futrell et al., 2010a.
91 « I hear you, Vegas Hater. Not that I want to, of course, but I don’t really have a choice. I’ve been subjected to your beer-fueled anti-Vegas rants at my local watering hole. I’ve stumbled upon The Hate while foolishly perusing the unfiltered comments section of local newspaper websites (especially following a story about a UNLV study suggesting that one in four Las Vegas residents would rather live elsewhere). I’ve even suffered the tiresome refrains of friends who incessantly glamorize Portland, Ore., or Austin, Texas, as that legendary (ahem) “real city” where the beer is always colder, the people always smarter and the grass always just a little bit greener. Yeah, yeah–you want to move there and farm something, right? »
92 « The lack of culture, the lack of friends, the lack of good breakfast joints and coffeehouses. »
93 « As far as I’m concerned, I know my neighbors. I care for people. I don’t think it is a bad as people say here in Las Vegas. It’s worse in places like LA. »
94 « Contrary to what people say about how hard it is to meet your neighbors, we do reach out, we’ve lived in this particular house for 10 years, and we were some of the last ones to move in this neighborhood. We know our neighbors. »
95 « Why do I think people are still saying that there is no culture in Las Vegas? Well, I think it’s because it’s easy to say that. It’s easy to assume there is nothing going on here. »
96 « Home is what you make of it […] you do have to make an effort. If you don’t you create your own lack of community. »
97 « You have to be the one looking for it [community], you’re not gonna find it in your neighborhood. »
98 « You get out of here what you put into it. The city has a lot to offer, you just have to get out of there, you have to try to make friends even if it is a transient city. There are plenty of pockets of people who love to meet people, but I don’t think everybody knows that. You really have to go out of your way to find people, you really do. […] It took me actually trying! »
99 « We can make community wherever we want it: it’s up to us! »
100 « I would say that community is what you build, it’s what you make of it, it’s how much effort you put into it. Are we transitory? Yeah, but every other big city is transitory. […] I think when people say there’s no community, it’s because they’re not looking for it, truly. »
101 « How do you foster a sense of community? Having a will to foster it! »
102 « In many ways Las Vegas is like where I come from, Tulsa. In many ways, it’s got the same Midwest mentality. »
103 « Hum hum, special?... no. It’s like anywhere else. We have the same buildings, it’s like anything else […] But our lives are similar to anybody who lived anywhere else. We face the same things, we live the same life, it’s not any different because it’s Las Vegas. »
104 « Yeah, I use it a lot. People ask me where I’m from, I say: “I’m a Vegan!” I don’t say California where I was born, I’ve been here since I’m 17. »
105 « Yeah, I feel like one. I feel proud. »
106 « My friend Raplh is really proud and I think he calls himself that, “the Las Vegan”. »
107 « Las Vegan? I think it’s a thing of pride. Yeah, it means something to me: it means that I live in the greatest city on earth, it means that I live in a city that attracts people from all over the world, it means that I’m a Las Vegan, it means that I am proud of my city, that I can say I love Las Vegas and I consider myself a Las Vegan. »
108 « Yeah, it gives me a sense of place, a sense of purpose. I definitively, yeah, I am a Las Vegan. And I’m comfortable with that, I mean, I would never back down to anybody who’d say: “Oh, you live in Las Vegas?...”, Well yeah! »
109 « It means I’m from a place at people are curious about. They really want to know. »
110 « Maybe [it means] someone that came here to take a chance and tried something new. »
111 « Oh yes. You have to want to be here. »
112 « I’m very defensive about [being a native]. It drives me up the wall when people say… it’s not that they say natives, some of them do, but a lot of them are like: “Oh, I’m from Las Vegas./Oh? Born and raised?/No./Well then where are you from???” I definitively get territorial of that. Essentially since we are at this lower end because there is less of us. It’s an identity we hang out to I guess. »
113 « People would be here for 10 years and would call themselves natives, but to me it’s when you’re born and raised. I’m offended by that: no, you’re not a native, don’t call yourself a native! If you were born here, you’re a native, if you’re not, you’re not! »
114 « That was something that hurt me when I was younger at school, like, “I’m a native”, I’ve lived here for my whole life, we moved here from California when I was 7’, and I was like “so you’re not a native!”. »
115 « I call myself a Nevadan, more than a Las Vegan. »
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