Chapitre VII. L’éveil incontestable de la démocratie à l’Est
p. 261-293
Texte intégral
1Pour tenter de mesurer l’impact réel des stratégies de l’information américaines et de leur évolution, il convient de revenir sur les événements qui ont annoncé l’effondrement du bloc communiste ou qui y ont contribué. On pourra alors véritablement envisager le rôle joué par les services d’information dans la libération des nations dites « captives ».
Des premiers « craquements »…
2Durant les grandes campagnes d’information de masse des années 1950 en Europe de l’Ouest, les dirigeants de l’USIA ne perdaient pas de vue l’évolution des événements de l’autre côté du rideau de fer.
Les espoirs déçus de 1956 :
déstalinisation et échec du dégel.
La vacuité de la propagande
en faveur du
roll-back confrontée aux événements de Pologne et de
Hongrie
3Au début de l’année 1956, l’Agence d’information des États-Unis sous la direction de Theodore Streibert s’était assignée quatre objectifs majeurs :
Promouvoir l’unité du monde libre comme la meilleure solution pour réduire la menace communiste sans provoquer une nouvelle guerre.
Faire apparaître les partis communistes locaux comme des suppôts du « colonialisme rouge » dirigé par l’URSS ou la République de Chine.
Faire passer le message selon lequel les États-Unis étaient les « champions » de la paix et du progrès.
Continuer la campagne Atoms for peace1.
4Or, dès les premiers mois de l’année 1956, les changements majeurs qui se profilaient à l’Est devaient entraîner un changement des stratégies de l’information américaine.
5Les changements de l’autre côté du rideau de fer devaient débuter et être particulièrement marqués en Pologne, où le discours de Khrouchtchev au XXe congrès du Parti du PCUS avait eu un impact si considérable que le secrétaire général du parti, Boleslaw Bierut, qui s’était rendu à Moscou pour l’occasion, fut frappé par une crise cardiaque. Or, ses funérailles à Varsovie furent très vite accompagnées de manifestations populaires anti-russes. Son successeur Edward Ochab, l’homme providentiel de la crise polonaise, se présenta comme un réformateur modéré2 ; il engagea en effet une série de réformes, très encadrées par Moscou, mais permettant une libéralisation suffisante pour que le département d’État relance les échanges culturels avec la Pologne. Pourtant, très vite la pression populaire en faveur d’une plus grande libéralisation prit une forme plus radicale.
Le relais médiatique de la répression de Poznan mis en œuvre par les services de l’USIA
6À la fin du mois de juin 1956, durant une foire internationale des métiers de l’industrie à Poznan, des travailleurs des chemins de fer manifestèrent pour protester contre leur faible niveau de revenu et leurs conditions de travail en usine. La manifestation se transforma rapidement en une émeute regroupant des centaines de personnes qui protestaient contre le régime communiste. Les émeutiers déchirèrent des drapeaux communistes, renversèrent des voitures et chantèrent l’hymne national polonais, provocation ouverte contre le chant de l’internationale communiste. Les étrangers présents à la foire internationale furent alors témoins des tirs de la police polonaise sur la foule et des arrestations brutales de manifestants. La Voix de l’Amérique s’empressa de diffuser les détails de l’émeute et de sa répression dans l’ensemble de l’Europe3.
7Cette première manifestation publique d’hostilité au régime communiste, constitua une véritable aubaine pour l’USIA et les stratèges de la diplomatie publique. À Washington le gouvernement créa à la suite à ces événements un comité spécial dédié aux problèmes de la sphère soviétique, le Special Committee on Soviet and Related Problems, placé sous la haute autorité de Jacob Beam. La première mission de ce comité spécial fut de trouver les moyens d’exploiter au mieux la crise polonaise vis-à-vis du reste de l’Europe4. Il préconisa notamment de concentrer les efforts des organes de radiodiffusion sur la retransmission des événements de Pologne vers la Hongrie. En revanche par la suite, ce même comité demanda la rétention des informations, destinées notamment à la Pologne, concernant la situation hongroise5. Conjointement, dans une large campagne de presse, les services d’information utilisèrent la révolte de Poznan pour expliquer comment l’Union soviétique exploitait ses pays satellites, et privait les populations de leurs libertés politiques et religieuses.
8Or, les demandes de libéralisation des populations de l’Est ne s’arrêtèrent pas là. Elles culminèrent à l’automne 1956, lorsque le parti communiste polonais réinstalla Vladislav Gomulka, qui avait subi les purges staliniennes, à la tête de son comité central. Aussitôt celui-ci s’empressa de critiquer violemment les politiques industrielles et agricoles soviétiques des années précédentes, ce qui lui attira les foudres de Moscou. Le 19 octobre 1956, Khrouchtchev dénonça publiquement Gomulka et ses partisans, et brandit la menace d’une intervention militaire. Les dissidents partisans de Gomulka campèrent sur leur position malgré la menace et réussirent à négocier une plus grande autonomie politique en échange de leur maintien dans le pacte de Varsovie.
Absence de positionnement stratégique clair de Washington et solitude des agents des organes de radiodiffusion officiels (VOA) et officieux (RFE/RL) à Budapest
9S’inspirant directement de l’expérience polonaise, les étudiants hongrois de Budapest manifestèrent contre le stalinisme et leur premier ministre Ërno Gerö. Ils réclamaient la liberté de la presse, des contacts accrus avec l’Ouest et une réforme de l’économie centralisée. Presque aussitôt les travailleurs et les soldats se joignirent à leur mouvement et l’insurrection se répandit dans l’ensemble du pays. Le 22 octobre 1956, la foule manifestait en exigeant la démission de Gerö et son remplacement par Imre Nagy. Bien que les Soviétiques ne se soient pas dits fondamentalement hostiles à ce changement, des émeutes sanglantes éclatèrent, opposants des étudiants protestataires aux forces militaires soviétiques6. Le 29 octobre, les Soviétiques se déclarèrent prêts à négocier avec Nagy, forcés d’admettre que ne pas reconnaître d’autres voies conduisant au socialisme serait une erreur. De plus l’anéantissement des révoltés hongrois par les forces militaires soviétiques assurait l’URSS d’une condamnation internationale.
10Pendant l’intensification de la répression, les services d’information américains basés en Hongrie sollicitèrent en vain leurs responsables à Washington pour obtenir des instructions claires. Le 25 octobre le directeur de VOA pour la zone Europe, Aldo d’Alessandro, envoya un câble désespéré au siège de l’USIA. Au milieu du chaos qui régnait à Budapest, il ne comprenait pas comment la Voix de l’Amérique pouvait encore diffuser ses programmes habituels, alors que des gens mouraient dans les rues. Puisque les Britanniques commentaient avec sévérité, sur leurs ondes, la réaction soviétique à la demande de libéralisation de la population hongroise, Aldo d’Alessandro se demandait pourquoi la Voix de l’Amérique, ne pouvait pas en faire autant. Ses collaborateurs et lui-même avaient besoin de recevoir des instructions solides pour les aider à commenter les événements et pour pouvoir condamner la répression soviétique tout en apportant du réconfort aux populations est-européennes7.
11Refusant d’intervenir militairement l’Administration Eisenhower chercha un moyen approprié pour soutenir les mouvements de résistance. Le 20 octobre 1956, le président américain exprima le souhait que la Pologne en particulier puisse gagner son combat pour l’indépendance nationale et les libertés individuelles8. En réalité les responsables politiques américains avaient perdu le contact avec leur ambassade à Budapest et avaient des difficultés pour parvenir à se positionner. Le 26 octobre 1956, un comité spécial chargé de discuter des problèmes liés à l’Union soviétique se réunit et décida que, puisque le gouvernement ne pouvait pas ouvertement fomenter la révolte, il lui fallait adopter une autre stratégie assez risquée. Il s’agissait de relier les antennes de Radio Free Europe aux stations de radios hongroises contrôlées par les rebelles. Dès lors, si les combattants pour la liberté incitaient les populations à se soulever par voie radiophonique, les États-Unis déclineraient toute responsabilité9.
12Mais au tout début du mois de novembre 1956, alors que l’attention des Occidentaux se tournait vers la crise de Suez, Imre Nagy décida de sortir la Hongrie du pacte de Varsovie et d’abolir l’existence du parti unique. Ces mesures radicales constituaient une provocation ouverte à l’égard du régime de Moscou. Et le 4 novembre alors que les yeux du monde étaient rivés sur le Moyen-Orient, les forces de l’Armée rouge massacrèrent près de 3 000 insurgés hongrois et s’emparèrent d’Imre Nagy ; les rescapés furent contraints pour grand nombre d’entre eux de fuir vers l’Autriche10. Malgré des années de rhétorique concernant la libération des nations dites « captives », les États-Unis ne prodiguèrent à la Hongrie qu’une assistance humanitaire. Quant aux responsables soviétiques, Khrouchtchev et Boulganine, ils détournèrent l’attention en s’impliquant dans la crise de Suez. Ils se présentèrent comme les défenseurs de l’Égypte, ancienne nation coloniale inquiétée par les impérialistes européens11.
Une polémique embarrassante pour Washington sur le rôle de VOA et des radios libres
13À la suite de la répression en Hongrie, alors que plus de vingt mille Hongrois se réfugient à l’Ouest, de nombreuses critiques s’élèvent à l’encontre de Radio Free Europe et Voice of America. Les journalistes français et allemands prétendent alors que les propagandistes américains ont incité les rebelles à se soulever, allégations qui sont reprises aux Nations unies. Le 13 novembre 1956, le directeur de l’information de RFE récuse ces accusations avec véhémence, alors que les responsables de la CIA et de l’USIA cherchent des réfugiés hongrois pouvant témoigner qu’aucune des deux radios américaines n’a été impliquée. Le responsable de l’USIA, Abott Washburn, écrit alors au président Eisenhower que ses services ont rempli leur mission d’information sans pour autant inciter quiconque à se révolter12.
14La polémique prend une ampleur considérable à Washington dans les rangs du Congrès qui demande une enquête sur ces questions. Attaquée de toutes parts, RFE rendue co-responsable des émeutes sanglantes n’est pas alors en mesure de présenter des preuves de sa bonne foi, les bandes ont malencontreusement disparu. Ce n’est que bien plus tard que l’on retrouvera les copies de ces bandes dans les archives allemandes13. Celles-ci ont en effet révélé que certaines des émissions de RFE évoquaient certes la fabrication de cocktails molotov, mais durant la Seconde Guerre mondiale. Plus graves furent les accusations portées par la journaliste américaine d’origine hongroise, Leslie B. Bain. Comme elle l’évoqua dans son livre publié au début des années 1960, RFE et VOA n’auraient cessé de s’en prendre à Imre Nagy, dès lors qu’il entra en fonction, allant jusqu’à l’accuser d’avoir fait venir les Russes à Budapest. Or d’après Leslie Bain, étant donné que pendant la révolte la plupart des radios de Budapest auraient été allumées sur la fréquence des radios de Munich, l’impact de cette calomnie aurait été gigantesque. Il faut rappeler que la population hongroise comme l’ensemble des populations des « nations captives » vivait dans un monde clos, et que la seule fenêtre sur la liberté qui leur était offerte était celle des émissions de radios occidentales. La défiance ainsi créée au sein de la population hongroise aurait en effet empêché Nagy d’avoir une réelle emprise sur les émeutiers et de prévenir le massacre du 4 novembre14. Ce fut une erreur de retransmission par RFE d’une information de Radio Budapest qui fut à l’origine de cette mauvaise information pour les uns ou de cette désinformation pour les autres. Nagy quant à lui démentit vivement ces accusations, ce qui devait être confirmé beaucoup plus tard, par les archives russes données par Boris Eltsine à ses homologues hongrois lors d’une visite à Budapest en novembre 199215. Avec le recul, les différentes enquêtes menées sur l’implication de RFE comme de VOA dans la révolte hongroise ont conclu au manque de professionnalisme de Munich alors que Washington appelait à la prudence16.
15En réalité, d’après les responsables de RFE, en particulier son directeur Cord Meyer17, la couverture de la révolte constitua un dilemme majeur. Conscients que « gonflés à bloc par les émissions de RFE » les révoltés hongrois croyaient au soutien avéré des États-Unis, les responsables de la station de Munich avaient pourtant compris rapidement qu’en réalité, à l’Ouest personne ne croyait en cette intervention. Pourtant les auditeurs de l’Ouest ont pu entendre les appels à l’aide vains et répétés des émeutiers grâce à un émetteur pirate récupéré à Budapest. RFE joua en effet un rôle considérable en servant de relais aux transmissions de plusieurs radios locales saisies par les insurgés, ce fut le cas notamment de Radio Rakoczi qui le 5 novembre envoya ce message à destination de RFE et plus largement de l’Ouest, et du monde libre :
« Peoples of the world! Hear the call for help of a small nation!… This is RadioRakoczi, Hungary. We have read an appeal. Radio Free Europe, Munich! Radio Free Europe, Munich! Answer! Have you received our transmission18? »
16Les événements de 1956 seraient arrivés trop tôt dans le lent processus de remise en cause du bloc soviétique ; toujours est-il que pour la population hongroise, qui avait encore à l’esprit le discours de Khrouchtchev, la liberté sembla à porter de main. Malgré le désengagement officiel affiché par Washington un certain nombre de rebelles se sont en effet sentis trahis par les États-Unis. Le 19 novembre l’ambassade américaine de Budapest accorda l’asile à un des leaders de l’insurrection, Bela Kovacs. Au cours d’une conversation avec les diplomates, il insista sur le fait que les Hongrois avaient réellement cru à un soutien militaire des États-Unis en cas d’intervention des forces soviétiques. Selon lui, si la politique anti-communiste américaine était purement défensive, VOA et RFE auraient dû se concentrer uniquement sur l’URSS et ne pas émettre de faux espoirs vers les pays satellites. L’opinion du dissident hongrois était claire, les États-Unis avaient cyniquement manœuvré son peuple pour défier les Soviétiques19.
17Or, il semblerait que les Soviétiques eux-mêmes aient pu contribuer plus ou moins directement au renforcement de cet espoir d’une libération prochaine. Comme le rapporte l’historien hongrois István Rév, le 24 octobre 1956, au deuxième jour de la révolution hongroise, Gusztáv Ggolyák, le directeur du bureau de poste 118 (qui était en fait la principale station de brouillage des émissions venues de l’Ouest), ordonna à l’ensemble des techniciens chargés des brouillages et opérant sur le territoire hongrois de fermer immédiatement leurs stations et de jeter tous leurs documents. Pour la première fois depuis la création des radios libres, à leur grand étonnement, les auditeurs hongrois eurent la possibilité d’écouter les émissions de Munich distinctement, sans aucune interférence signalant la présence des autorités communistes. Pour István Rév l’absence intentionnelle d’interférence correspondit pour les auditeurs hongrois à un message sans ambiguïté : « Nous sommes là, et eux sont partis. » Cette absence de brouillage aurait eu un impact très fort sur la population hongroise, qui aurait ainsi été persuadée que l’aide, voire les soldats, venus de l’Ouest étaient en route20.
18Or, en décembre 1956, un sondage réalisé par RFE auprès de 800 réfugiés hongrois concluait que selon 85 % des sondés, l’insurrection n’avait pas été fomentée par une influence occidentale ; pourtant, en décembre de cette même année un sondage commandé par l’USIA et réalisé auprès de 1 007 réfugiés hongrois concluait que 96 % des sondés avaient espéré que l’Ouest leur viendrait en aide (pour 77 % d’entre eux l’aide attendue était de nature militaire). À la question « Qu’est-ce qui vous a conduit à espérer une aide de cette nature ? » les réfugiés auraient répondu pour 8 % d’entre eux, « les émissions de RFE », pour 20 % d’entre eux, « les émissions de l’Ouest en attisant l’espoir », et pour 10 % d’entre eux, « la propagande venue de l’Ouest en général21 ».
La diplomatie publique américaine et l’exploitation des tragédies hongroise et polonaise
19Cependant, alors même qu’elles réfutaient les accusations portées à l’encontre de VOA et de RFE, les autorités américaines essayèrent d’exploiter la tragédie hongroise. Dans le monde entier, les USIS diffusèrent des films montrant les chars soviétiques tuant des centaines de personnes dans Budapest.
20Le 8 novembre 1956, le président Eisenhower annonça que les États-Unis étaient prêts à accueillir 5 000 Hongrois victimes de « cette purge brutale de liberté » infligée par les impérialistes communistes22. Pendant ce temps le département d’État donnait l’ordre à ses services des visas d’interroger les rescapés sur leurs impressions au sujet des pamphlets et des programmes radio américains dans leur pays. Plusieurs réfugiés exprimèrent leurs réticences quant à une récupération politique de leur action par les États-Unis. Finalement, les responsables de l’information prétendirent que ces soulèvements apportaient simplement la preuve que les initiatives américaines pour promouvoir la démocratie à l’Est fonctionnaient ; mais ils continuèrent à réfuter catégoriquement les accusations d’incitation à la révolte ou de promesse d’une intervention militaire américaine proférées contre RFE23.
21La tragédie hongroise entama le prestige de l’URSS et provoqua un arrêt des relations culturelles entre l’Union soviétique et les États-Unis ; les programmes d’échanges et la participation américaine aux foires internationales furent suspendus. Mais selon le souhait d’Eisenhower, cette décision demeura secrète. Le président ne voulait surtout pas intimider les nations satellites toujours intéressées par le développement des contacts avec les États-Unis24.
22La libéralisation polonaise lancée par Gomulka permit en particulier l’épanouissement de la diplomatie publique américaine. Un poste des USIS s’implanta à Varsovie et les contacts fructueux entre les agents de l’information américaine et les autorités politiques permirent rapidement la création de bibliothèques et de centres de recherche. La Pologne fut bientôt pionnière en matière d’échanges scientifiques, culturels ou éducatifs avec les États-Unis. Cette ouverture déboucha sur la publication d’ouvrages polonais consacrés aux États-Unis, qui, dans l’ensemble, offraient une image moins caricaturale de l’Amérique que la littérature traditionnelle communiste. La publication de nombreuses traductions de chefs-d’œuvre de la littérature occidentale devait également contribuer à la pénétration de la culture américaine à l’Est.
23En matière d’information, quelques changements remarquables furent lancés par le président polonais : tout d’abord la suspension des brouillages de VOA (ce qui constituait une économie substantielle pour les autorités communistes), ensuite la diffusion par la télévision polonaise de certains programmes de l’USIA comme le documentaire intitulé Reports from America, consacré aux élections présidentielles de 1956. À l’évidence, à l’issue de ces bouleversements, l’USIA avait gagné un nouveau client.
24Ainsi, les événements de 1956 à l’Est et leurs conséquences, furent certes comparables, mais fort différents, tant du point de vue de leur gestion par les Soviétiques, que du point de vue du soutien aux dissidents par les radios occidentales, ou de l’exploitation de leurs conséquences par les responsables de la diplomatie publique américaine. Au grand dam des premiers combattants de la guerre froide, tel C. D. Jackson, il n’y aurait donc pas de roll-back et pas non plus de libération de l’Europe de l’Est25. Au terme de la tragédie hongroise, C. D. Jackson aurait en effet écrit au président Eisenhower pour lui demander d’adopter un discours de fermeté vis-à-vis de l’URSS en condamnant vivement la répression. Or, l’attitude des dirigeants américains à ce sujet, que ce soit celle du président et de ses conseillers du NSC ou celle d’Allen Dulles, demeura particulièrement ambiguë. La gêne suscitée par la responsabilité supposée de RFE voir de VOA perdura jusqu’à l’avènement du président Kennedy à la Maison-Blanche, dont les conseillers se montrèrent particulièrement méfiants à l’égard des radios de liberté26.
25Or, après 1956, les deux grands, dotés de l’arme nucléaire, devaient s’engager dans un jeu tout autre que celui de la confrontation directe, celui de la guerre d’influence ouverte ou secrète, et ce dans l’ensemble des parties du globe. La diplomatie publique américaine fut donc contrainte de changer de ligne en modifiant la stratégie du « roll-back des esprits », et en abandonnant le credo de libération des « nations captives », pour lui préférer celui de la libéralisation. Cependant, il semblerait que, malgré l’expérience tragique de la Hongrie, les responsables de la diplomatie publique américaine n’aient pas su accompagner, en Tchécoslovaquie, la poussée progressiste dite du « Printemps de Prague ».
Le « Printemps de Prague » et les menaces de « la poussée progressiste »
26En Tchécoslovaquie malgré les nombreuses réticences exprimées par les autorités communistes à l’égard de la culture américaine, les différents acteurs de la diplomatie publique cultivent tout au long des années 1960 le goût de la liberté auquel semble aspirer la population tchécoslovaque. Pourtant les responsables de la politique américaine ne parviennent pas à percevoir le lent mouvement d’émancipation de la société tchécoslovaque. Lorsqu’au printemps 1968, le mouvement de libéralisation tchécoslovaque prend l’apparence d’une insurrection révolutionnaire, le gouvernement américain est particulièrement décontenancé.
27Selon l’analyse conduite par Justine Faure27, la prise de conscience tardive de l’ampleur du mouvement révolutionnaire tchécoslovaque par les Américains, s’explique par trois raisons majeures. Tout d’abord, à l’instar de la Pologne et de la Hongrie, les observateurs américains ont sous-estimé la puissance du mouvement contestataire. Ensuite, la situation politique tchécoslovaque fut perçue comme s’inscrivant dans la lignée du stalinisme, en raison de son dirigeant conservateur, Antonín Novotný. L’arrivée au pouvoir du communiste réformateur Dubcĕck, en janvier 1968, ne modifia pas ce point de vue. Enfin, le manque de réactivité de la population tchécoslovaque aux événements de 195628 fut interprété par les Américains comme une forme de renoncement, de soumission caractéristique au régime communiste. Aussi, comme à Budapest en 1956, les États-Unis ne comprennent que trop tard l’importance du mouvement révolutionnaire de 1968 à Prague29.
28Depuis plusieurs mois, la société civile tchécoslovaque avait enclenché un processus de libéralisation, en créant notamment, et en s’investissant, des clubs de discussions politiques. Cette volonté d’émancipation politique aurait pu être perçue par les autorités américaines comme une réponse aux campagnes de RFE, menées depuis sa création, en faveur des principes démocratiques30. De plus, le programme de réforme du nouveau dirigeant, Dubcĕck, annonça dès le mois d’avril 1968 de profonds changements dans la ligne politique du pays. Ces réformes devaient incarner ce que l’on appela, à partir du mois juillet 1968, « un socialisme à visage humain ». Contrairement aux initiatives d’Imre Nagy en 1956, il ne s’agissait pas de rompre fondamentalement avec Moscou et le Pacte de Varsovie, mais de réformer la société sur la base de l’auto-gestion, en instituant notamment, un multi-partisme somme toute très limité31.
29Dès lors les Américains n’avaient pas de raisons majeures de développer plus avant leurs relations culturelles et diplomatiques avec la Tchécoslovaquie, sur le modèle de la Pologne ou de la Roumanie32. Les responsables de l’information américaine se montrèrent donc particulièrement prudents et distants quant à l’encouragement des changements en cours entre le printemps et l’été 1968. Au printemps 1968, les échecs et les blessures de Budapest étaient encore vivaces dans l’esprit des propagandistes de RFE comme des agents de l’information américaine. Particulièrement échaudé par l’expérience hongroise, le directeur de RFE, Ralph Walter, ne tient pas à commettre les mêmes erreurs qu’en 1956 et adopte une stratégie qui doit se cantonner à une description impartiale des événements33. Mais la distance américaine n’est pas suffisante pour apaiser Moscou car cette fois les Russes ne viennent pas seuls.
30En août 1968, les projets de révision des statuts du PCT (Parti communiste tchécoslovaque) discutés par les réformateurs tchécoslovaques attirèrent les foudres de Brejnev. Il n’était pas question d’accepter une remise en cause du rôle dirigeant du parti dans l’État et dans la société civile tchécoslovaque34. Dans la nuit du 20 au 21 août 1968, les troupes du Pacte de Varsovie, l’Armée rouge mais aussi les troupes hongroises et est-allemandes, envahirent le pays pour empêcher « la fin du socialisme en Tchécoslovaquie35 ».
31RFE qui travaille avec les exilés tchèques tient compte des leçons de 1956, et se montre prudente à l’extrême, à tel point que Ralph Walter, le directeur, impose la censure36. Quant à l’USIA et à son porte-parole officiel, la Voix de l’Amérique, l’impact de son action de diffusion des événements dans les autres « nations captives » est considérablement limité par les brouillages agressifs commandités par Moscou dès les lendemains de l’invasion. Leonard Marks, directeur de l’USIA condamne « ce retour aux tactiques de guerre froide », qu’il considère comme « un regrettable retour en arrière37 ». Et bien que l’Office of Policy and Research de l’Agence fasse état d’une nécessaire mise en accusation par les médias de l’USIA des actions de Brejnev et de son non-respect de « la coexistence pacifique », il n’en sera rien. L’heure est à la prudence, et il n’est pas question pour les responsables de l’Agence d’information de relancer une campagne de guerre froide vis-à-vis de l’URSS. De ce fait, les services médias de l’Agence se trouvent particulièrement en peine de voir leurs propositions de films ou de documentaires acceptées par la direction38.
32Après plusieurs tentatives vaines, le réalisateur Bruce Herschensohn, en voyage en Europe, prend l’initiative de monter un documentaire composé simplement d’images évocatrices de la souffrance du peuple tchèque et de musiques appropriées, évitant ainsi l’étape de la soumission de son scénario aux instances dirigeantes de l’Agence qui auraient une nouvelle fois refusé un tel sujet. Czchekoslovakia (1968), réalisé grâce aux images de l’invasion recueillies sur place par un agent de l’USIS de Vienne, Len Baldyga, est monté en secret dans les locaux de l’USIA à Washington et ne sera officiellement exhumé que lors de l’arrivée de l’Administration Nixon39.
33Même si quelques échanges culturels sont temporairement compromis, la politique de bridge-building avec les « nations captives » doit tant bien que mal demeurer la règle40. Le printemps de Prague se termine en étouffant les espoirs de milliers de personnes qui ont cru à l’aide de l’Occident.
34Aux prises avec l’enlisement du conflit au Vietnam, et l’explosion des violences liées au mouvement des droits civiques, après l’assassinat du pasteur Martin Luther King, les États-Unis firent le choix de ne pas intervenir. La détente était devenue une priorité de la politique étrangère américaine.
35Au moment de l’invasion de la Tchécoslovaquie, le 21 août 1968, le président Johnson annula un voyage à Moscou et se montra décidé à empêcher l’extension de la « normalisation » soviétique à la Roumanie. Plusieurs accords commerciaux avaient été conclus avec la Roumanie et confortaient le président Johnson dans sa politique de bridge-building l’Est41. Cependant, dès le 10 septembre, le président américain annonça sa décision de tourner la page. Toujours est-il que « le printemps de Prague » devait représenter un véritable choc, marquant les débuts de la dissidence.
36L’attitude adoptée par les Américains lors de la crise tchécoslovaque révéla qu’ils avaient fait le choix de la détente. Désormais, les responsables politiques des États-Unis préféraient le développement de la diplomatie publique sur le modèle de la Pologne ou de la Roumanie à la démonstration de leur puissance militaire. La diffusion de l’information et de la culture constituait la stratégie diplomatique la plus adaptée au système d’opposition indirecte que représentait la guerre froide. La politique étrangère américaine en Europe devait donc œuvrer à la création des conditions de la libre circulation de l’information au service de la libération de la sphère publique.
La rupture d’Helsinki : « nouvelle donne » pour l’Europe et pour la diplomatie publique américaine ?
37Bien que l’invasion de la Tchécoslovaquie ait sérieusement fait reculer la détente, les négociations entreprises entre les deux blocs dans les années qui suivirent42 devaient conduire à l’Acte final des accords d’Helsinki (le 1er août 1975), événement précurseur de l’effondrement du communisme quatorze ans plus tard.
38Au début des années 1970, les autorités américaines avaient en effet compris que pour préserver la détente, tout en tentant d’éroder le système communiste, il fallait permettre la libre circulation de l’information en Europe de l’Est. En 1975, lors de la signature de l’Acte final d’Helsinki43, les Occidentaux voulurent réaffirmer le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ; il s’agissait de s’opposer à la « doctrine Brejnev » de souveraineté limitée au sein du camp socialiste proclamée par l’URSS lors de l’invasion de la Tchécoslovaquie, sept ans plus tôt. Or, cette volonté s’inscrivait dans la ligne de la politique étrangère américaine élaborée par Henry Kissinger et dont le but était de « désidéologiser » l’empire soviétique44.
39Lors de la conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (CSCE), qui débuta en juillet 1973, la défense des droits de l’homme et l’instauration de conditions de paix durables furent pour la première fois associées dans le champ de la diplomatie américaine en Europe. Réalisée à la suite d’une proposition de l’URSS (formulée dès 1954), la CSCE représentait pour les Soviétiques le moyen d’atteindre l’un des objectifs majeurs de leur politique étrangère depuis le début de la guerre froide : la reconnaissance du statu quo territorial et politique en Europe. Les puissances occidentales se montrèrent plutôt réticentes, au départ, à l’idée de satisfaire les demandes soviétiques, puis elles trouvèrent rapidement le moyen de transformer la conférence en un véritable vecteur de libéralisation des pays de l’Est.
40Sous la pression occidentale, l’URSS fut contrainte d’inclure le thème de la libre circulation des hommes et des idées dans l’ordre du jour des négociations. Ce thème fit l’objet de ce que l’on a appelé, « la troisième corbeille », le troisième volet de la conférence consacré aux droits de l’homme et à la coopération notamment dans le domaine humanitaire. Il s’agissait explicitement d’influer sur les changements des pratiques intérieures des gouvernements de l’Est. Les Occidentaux espéraient qu’il s’agirait là d’un moyen de pression éventuel pour éviter que les dissidents ne soient persécutés. Par la suite, Lech Walesa en Pologne, ou Vaclav Havel en Tchécoslovaquie, utilisèrent les clauses de cet accord pour faire valoir la cause de la liberté dans leur pays ou sur la scène internationale.
41Dès lors, à Helsinki, deux conceptions très différentes de la libre circulation de l’information (le free flow of information cher aux praticiens de la diplomatie publique) et des personnes se sont affrontées. Contrairement aux pays de l’Est pour qui les relations transnationales relevaient de la seule compétence étatique, les pays occidentaux avancèrent que la détente ne devait pas concerner seulement les relations entre États, mais favoriser et encourager les relations entre les peuples. De ce fait, l’inviolabilité des frontières ne servait la sécurité en Europe que si les contacts transnationaux n’étaient pas contrôlés par les gouvernements. La « troisième corbeille » stipula donc que le respect des droits de l’homme ne pouvait être considéré comme une affaire intérieure, mais comme une partie intégrante de la sécurité en Europe. Aux yeux des Soviétiques, l’insistance des Occidentaux et des Américains en particulier sur ce troisième volet fut perçue comme la volonté de créer une brèche dans l’idéologie de la société socialiste. Or, l’Acte final de la conférence peut être présenté comme un cadre juridique international validant les pratiques de la diplomatie publique (diffusion d’information et échanges culturels) en tant que garanties de liberté, et dans le cadre des discussions de la CSCE, de sécurité.
42Au terme de la conférence d’Helsinki, il est apparu que la notion de sécurité en Europe était appréciée très différemment par les Soviétiques et les Américains. Pour les uns, il s’agissait de réaffirmer leurs possessions territoriales et de diviser les Occidentaux, en jouant les Européens contre les États-Unis, et pour les autres, il s’agissait, à long terme, d’effriter le communisme en Europe de l’Est. Or selon l’analyse de l’historien Georges-Henri Soutou, cette divergence fondamentale entre les deux camps, devait peser sur les événements de 1989-1990 qui conduisirent à l’explosion du bloc soviétique45.
43Aux États-Unis, en dépit du fait que les contemporains des accords d’Helsinki jugèrent sévèrement la participation des États-Unis et l’engagement du président Ford au sein d’une conférence souhaitée par les Soviétiques46, les stratèges de la diplomatie américaine, Henry Kissinger en tête mirent très vite en perspective l’ouverture formidable représentées par ces accords à plus long terme :
« Les États-Unis conduisent le processus de détente depuis une position d’assurance et de force. Ce n’est pas l’Amérique que toutes les délégations défiaient de se montrer à la hauteur des principes que l’on signait. À Helsinki, pour la première fois depuis la guerre, les droits de l’homme et les libertés fondamentales ont été reconnus comme des thèmes du dialogue et des négociations Est-Ouest. La conférence a mis en évidence les critères américains réglant la conduite de l’homme, qui ont constitué et constituent toujours un signal d’espoir pour des millions d’individus47. »
44Les défenseurs des droits de l’homme comme les plus hauts stratèges de la diplomatie américaine modifièrent rapidement, en effet, leur jugement et devinrent des fervents supporters d’Helsinki, désormais considéré comme un outil pour faire pression sur les Soviétiques. Ces accords internationaux conféraient le droit à des nations étrangères de s’élever contre les atteintes aux droits de l’homme commises dans d’autres pays. Dans ce but, le Congrès devait créer dès 1976 une commission de veille dédiée au respect des accords de l’acte final d’Helsinki (the Helsinki Commission), à la tête de laquelle fut placé le représentant démocrate de Floride, Dante Fascell. Jusqu’au milieu des années 1980, les travaux de cette commission, qui nécessitaient des voyages sur le terrain pour rendre compte des observations de ses membres, furent l’occasion pour la diplomatie publique américaine de travailler de concert avec le Congrès, expérience inédite jusqu’alors48.
45Ainsi, pour cet observateur privilégié de l’URSS que fut l’ancien directeur de la CIA Robert Gates (actuel secrétaire à la Défense de l’Administration Obama), l’aboutissement des négociations d’Helsinki contribuèrent véritablement à ébranler la forteresse soviétique, en ouvrant le chemin de la liberté aux dissidents49.
46La première avancée qui devait conduire à une diffusion plus étendue et plus libre de l’information était l’obligation pour les membres signataires de publier et de diffuser le texte de l’acte final d’Helsinki le plus largement possible. À la grande surprise de leurs lecteurs, les quotidiens soviétiques publièrent le texte intégral des accords dès le mois d’août 1975.
47Pour les professionnels de la diplomatie publique américaine l’impact immédiat des accords de « la troisième corbeille » concerna à l’évidence davantage la libre circulation de l’information que la libre circulation des idées, concept plus flou au demeurant. Lors des discussions préparatoires, il fut en effet fait explicitement référence, dès 1969, à la circulation des informations entre l’Ouest et l’Est par l’intermédiaire des radios occidentales. Et dès 1973, les Américains conduisirent les négociations dans le sens de la fin des brouillages, de la BBC, de VOA et implicitement de RFE/RL50.
48En attendant la fin effective des brouillages, VOA promise à un travail de diffusion plus aisée à court terme que les radios libres, poursuivit ses émissions à destination de l’Est avec plus d’intensité. Dès 1976, elle travailla, comme RFE/RL, plus étroitement avec les dissidents et notamment avec les dissidents soviétiques par l’intermédiaire d’un comité de surveillance des accords d’Helsinki créé à Moscou au mois de mai. Les documents et témoignages rassemblées par ce groupe de dissidents (connu sous le nom de : Helsinki Monitoring Group pour les agents des services d’information51) conduit par Youri Orlov, servirent de point d’ancrage aux radios américaines pour illustrer et diffuser les atteintes aux droits de l’homme que pouvait engendrer le régime communiste. Parmi celles-ci, les radios occidentales relayèrent à grand bruit les exemples d’enfants enlevés à leurs parents et confiés à l’assistance publique pour avoir été élevés selon des principes religieux et non communistes52.
49Des initiatives similaires devaient rapidement voir le jour dans les pays de l’Est, dont la plus médiatisée fut certainement celle de la Charte 77 à Prague, animée par le dissident tchèque, futur président de la Tchécoslovaquie, Vaclav Havel.
50Les accords d’Helsinki devaient donc offrir à l’USIA comme à l’ensemble de la diplomatie publique américaine de nouvelles opportunités pour la diffusion de leurs activités en Union soviétique comme dans l’ensemble du bloc de l’Est. Il faut souligner que les principaux responsables de l’Agence ont joué un rôle remarquable dans le processus de négociations de ces accords53.
… à l’explosion du bloc soviétique : l’impact des nouvelles technologies et de la culture de l’entertainment
« The technological
explosion providing instant communications in pictures and sound
anywhere in the world at the same time has made dramatic opportunities
for telling our story and, conversely, provided opportunities for the
Soviets and others to put us in an unfavourable light. »
Charles Z. Wick,
Director of USIA, 198754.
51Le premier coup d’éclat malencontreux de la nouvelle ère de la diplomatie publique, qui suivit les accords d’Helsinki, fut certainement, en 1981, la première émission satellite de l’USIA, intitulée Let Poland Be Poland. Ce « show » télévisé, mettant en scène, entre autres, Frank Sinatra et Glenda Jackson fut imaginé par Charles Wick. Il était destiné à déstabiliser les Soviétiques au moment de la répression des grèves orchestrées par le syndicat d’opposition polonais Solidarnosc55. Au regard des précédents hongrois et tchécoslovaque, le changement de ton radical adopté par le directeur de l’USIA pour dénoncer les violentes manifestations de la « normalisation » soviétique, ne manqua pas de choquer bon nombre d’agents des services d’information tel que Hans Tuch :
« [Wick] était intimement convaincu qu’une telle émission représentait la manière la plus spectaculaire de condamner les violences en Pologne… Personne ne pouvait parvenir à le convaincre que Frank Sinatra et ses amis du monde du spectacle soient capables de combattre efficacement la subversion soviétique à Peoria56, mais pas à Bonn, Bruxelles, Bologne ou Bordeaux57. »
52Cependant ce recours au divertissement devait s’inscrire dans les nouvelles stratégies de la libéralisation du bloc de l’Est. Durant la décennie qui suivit les accords d’Helsinki, les États-Unis ont en effet eu recours à l’entertainment comme une arme, d’autant plus non conventionnelle, qu’elle n’était pas considérée comme une propagande possible58. C’est en effet à partir de la capacité des Américains à maîtriser l’art du divertissement que s’est développée la culture de masse à portée universelle à laquelle nous sommes confrontés aujourd’hui. Cependant, paradoxalement, avant même d’avoir une portée universelle, la culture de l’entertainment, est profondément ancrée dans la culture américaine.
53Vecteur de diffusion privilégié, l’usine à rêves d’Hollywood fut aussi la première forme d’une propagande industrialisée et standardisée. Distribuant dès l’entre-deux-guerres un style de vie sous forme de perpétuelle recherche du bonheur individuel, Hollywood a toujours exporté d’avantage que du divertissement. Chacune de ses productions constitue une forme de propagande en faveur des valeurs de son pays. Cette propagande n’est pas élaborée par les stratèges de l’USIA dans le but de conquérir les esprits59, mais elle est produite par des professionnels du divertissement chargés de gagner efficacement les audiences du monde entier, tout en vantant les mérites de l’American way of life. Or, contrairement au système de communication soviétique cloisonné, l’entertainment ne connaît pas de frontière.
54Dès les années 1950, cette conscience du pouvoir des images hollywoodiennes était déjà très présente chez le président Eisenhower. La collaboration avec certains dirigeants de grandes majors pour encourager la production de films militants ne fut pas exclue, au contraire. À cette époque le conseiller spécial auprès de l’Agence d’information en matière de production cinématographique (Agency’s chief motion picture consultant) est Cecil B. DeMille. Entre 1953 et 1954 les studios soutiennent le combat du président Eisenhower contre le communisme en produisant : Path to Peace (MGM), Falcon Dam (RKO), Atomic Power for Peace (Universal), Life of President Eisenhower (20th Century Fox), The Korea Story (Warner Bros) ; la Paramount va même jusqu’à soutenir un projet de film intitulé The Poles are a Stubborn People, mettant en scène deux rescapés polonais du communisme fuyant vers la liberté60. Cependant malgré les efforts de la rhétorique présidentielle, peu de films hollywoodiens participèrent à la croisade anticommuniste des politiques de libération de Radio Free Europe, Radio Liberty ou Voice of America61. C’est réellement avec le développement de la télévision transfrontières et de la vidéo des années Reagan, que l’entertainment hollywoodien contribua sensiblement à l’occidentalisation progressive des populations est-européennes.
Les années Reagan et l’innovation technologique au service de la communication transfrontières : la médiatisation de la guerre contre « l’empire du mal »
Figure 15. – Les locaux de l’USIA, Pennsylvania Avenue, Washington, 1983.

Source : Archives nationales II, College Park, MD.
55L’invention de la télévision par satellite, au début des années 1970, aurait dû révolutionner très rapidement les pratiques de communication de l’USIA. Cette révolution technologique permettait en effet une couverture médiatique de l’ensemble des régions du monde, 24 heures sur 24. La Commission consultative sur la diplomatie publique, recommanda alors à l’agence, dès 1972, d’avoir recours à la télévision par satellite pour promouvoir ses activités à l’étranger62. Mais en réalité les responsables de l’USIA mirent un certain temps à apprécier les potentialités de ces avancées technologiques. Non seulement ils n’élaborèrent aucun programme spécifique destiné à ce nouvel outil, mais encore ils rejetèrent, dans un premier temps l’utilisation des cassettes vidéo, qu’ils considéraient comme un médium de piètre qualité.
56Avant l’arrivée au pouvoir de Ronald Reagan et la prise de fonctions de Charles Wick en tant que directeur de l’USIA, peu d’émissions de télévision américaines purent atteindre les foyers situés de l’autre côté du rideau de fer. La Voix de l’Amérique demeura donc jusqu’au début des années 1980, la principale arme de persuasion de l’USIA.
L’évaluation des ressources techniques de la diplomatie de l’information et la résurrection de VOA
57Le premier mandat de Ronald Reagan fut une période à la fois particulièrement tourmentée sur le plan des relations internationales et particulièrement prometteuse. La guerre en Afghanistan, le développement du syndicat indépendant Solidarité en Pologne et les mouvements en faveur de la démocratie en Europe de l’Est constituèrent des opportunités formidables pour le développement de la diplomatie publique. Pourtant dans ce contexte international mouvementé, les États-Unis étaient toujours empêchés, au tout début des années 1980, de communiquer librement avec une grande partie de l’Europe. Après plusieurs années d’accalmie, au printemps 1980, les brouillages soviétiques des radios occidentales reprirent fortement, et la diffusion de l’information américaine de l’autre côté du rideau de fer devint problématique.
58Si la communication devait être un atout de l’Administration Reagan, en matière de politique étrangère il fallait rapidement trouver des stratégies innovantes pour passer outre les obstacles mis en œuvre par les Soviétiques. Or, le réseau international de diffusion radiophonique, dont le nouveau président venait d’hériter, approchait de son quarantième anniversaire. Outre les problèmes de management et les conceptions de la diplomatie plutôt datées de ses dirigeants, la Voix de l’Amérique s’était considérablement affaiblie, faute d’émetteurs suffisamment puissants. Véritables reliques du passé, construits dans les années 1930, les émetteurs chargés de la diffusion de l’information américaine en direction de l’Europe de l’Est avaient été confisqués aux nazis à la fin de la Seconde Guerre mondiale.
59Cependant, convaincus du potentiel que représentaient le réseau de radiodiffusion, le président Reagan et le directeur de l’USIA, Charles Wick se montrèrent déterminés à convaincre le Congrès qu’il fallait moderniser la Voix de l’Amérique. Le 15 juillet 1982, le président soumit à son gouvernement une directive du Conseil de sécurité nationale qui établissait un plan de modernisation de VOA, réalisable en cinq ans. Ronald Reagan voulait faire de la modernisation de la Voix de l’Amérique une priorité, au même titre que John Kennedy avait fait une priorité de la conquête spatiale vingt ans plus tôt63.
Figure 16. – Charles Z. Wick et le président Reagan 40e anniversaire de VOA février 1982.

Source : Archives nationales II, College Park, MD64.
60Or, cette volonté de modernisation du réseau radiophonique s’annonça comme une entreprise colossale aux yeux des experts. Un premier audit de VOA réalisé par le Massachusetts Institute of Technology fit état de la faiblesse des ressources d’ingénierie à disposition du projet. Une seconde étude, réalisée cette fois par l’institut de recherche de Stanford, rappela l’échec qu’avait constitué une première tentative de modernisation en 1977. Le président Jimmy Carter à l’époque avait en effet réussi à obtenir 52,7 millions de dollars du Congrès pour l’achat de nouveaux émetteurs destinés notamment à l’Europe. Ils ne furent jamais installés, car les équipes d’ingénieurs de VOA sur le terrain, trop peu nombreuses et pas suffisamment qualifiées, ne purent pas négocier leur implantation auprès des États concernés. Le président Reagan, bien décidé à réussir là où son prédécesseur avait échoué, commença par débloquer 23 millions de dollars consacrés uniquement à la recherche en télécommunication et à des audits techniques sur le terrain. Aux termes de ces études, c’est le Maroc qui fut retenu pour accueillir une nouvelle station de radio ondes-courtes chargée d’émettre en direction de l’Europe de l’Est65.
61Dans un deuxième temps, pour continuer de convaincre le Congrès d’investir dans la modernisation de VOA, une équipe de l’USIA fut spécifiquement constituée. Agissant comme un véritable groupe de pression en particulier à la chambre basse, elle organisa une campagne d’information à Washington et dans l’ensemble des États-Unis. Des vidéos montrant l’état de délabrement du système de radiodiffusion furent présentées aux sénateurs de la commission des Affaires étrangères ; elles furent suffisamment convaincantes pour que le sénateur Jesse Helms, alors membre de la commission, déclare : « À mon avis le fait que nous n’allouions pas plus d’argent à la Voix de l’Amérique est une véritable tragédie66. » Quant à l’opinion publique américaine elle fut sensibilisée par une campagne de presse de plusieurs années, menée dans les plus grands quotidiens ; on pouvait ainsi lire en 1985, sous la plume de l’éditorialiste du New York Times, James Reston : « L’équilibre des pouvoirs de radiodiffusion entre les États-Unis et l’Union soviétique est bien plus favorable à Moscou que l’équilibre des pouvoirs militaires67. »
62Dès 1983, l’amélioration de l’efficacité du réseau de VOA fut nettement sensible. Cependant comme le rappela Charles Wick, à l’occasion du 30e anniversaire de l’USIA, la Voix de l’Amérique émettait dans 42 langues différentes, depuis plus de 123 nations, ce qui représentait environ 1 000 heures de programmes chaque semaine68. Alors que, selon les estimations de la CIA, à la même période, Radio Moscou émettait en 82 langues, et représentait 700 millions de dollars d’investissement annuels69.
63Quant aux budgets de la diplomatie publique, ils ne cessèrent de croître ; entre 1981 et 1983, ils passèrent de 458 millions de dollars annuels à 597 millions (soit près de 30 % supplémentaire en deux ans70). Cependant, malgré les financements spectaculaires accordés à VOA pour en faire à nouveau un instrument performant de la guerre idéologique, la télévision demeurait en matière de communication transfrontière la technologie de l’avenir.
« Course aux armements » et « course à l’information » : l’escalade technologique et la réussite de Worldnet
64Dès son arrivée à la tête de l’USIA, Charles Wick était intimement convaincu que la télévision, et non plus la radio, représentait le moyen le plus efficace de délivrer le message que l’Amérique voulait transmettre au monde. Sa vision de la diplomatie publique bouscula d’ailleurs fortement les bureaucrates de la Voix de l’Amérique, et les relations entre l’USIA et VOA, durant les huit années où il dirigea l’agence d’information, furent difficiles.
65Cependant, au commencement des années 1980, la chaîne d’information câblée de Ted Turner, CNN (Cable News Network), était encore à ses débuts ; elle n’était pas reconnue par le service de presse de la Maison-Blanche, au même titre que CBS, NBC ou ABC. Ce n’est qu’en 1985 que CNN lança ses programmes d’information continus en Europe et acquit un certain crédit. Or, l’idée de Charles Wick était de créer dès les premières années de sa prise de fonction, un magazine d’information hebdomadaire transmis en Europe par satellite et distribué en cassettes vidéo aux chaînes de télévision nationales. Il s’agissait de promouvoir de manière attractive la politique étrangère de Ronald Reagan. Les thèmes majeurs de ce programme destiné à l’Europe devaient être : l’implantation éventuelle de missiles de moyenne portée dans les pays membres de l’OTAN pour pallier toute agression soviétique, et la jeunesse, la « nouvelle génération » des décideurs européens71. Par ailleurs, les agents du service de télévision de l’USIA étaient persuadés que les conférences de presse par satellite étaient devenues le moyen le plus efficace de présenter les positions américaines dans la presse et les journaux télévisés européens. Mais pour Charles Wick il fallait avant tout développer l’implantation de la télévision par câble en Europe, car elle représentait pour la diplomatie publique un atout considérable.
66Dans « la nouvelle guerre froide » qui s’engageait avec l’URSS sur fond de « guerre des étoiles72 », l’Europe était redevenue une priorité de la propagande américaine. Le développement de la télévision par câble en Europe de l’Ouest offrait une multiplicité de canaux de diffusion qu’il faudrait alimenter en programmes télévisés. Or, dans le cadre d’un marché aussi porteur, les États-Unis étaient prêts à fournir gratuitement des programmes d’information, de cinéma ou de divertissement susceptibles de favoriser l’image de l’Amérique auprès des Européens. Ce projet s’inscrivait directement dans la politique étrangère du conseil de sécurité nationale de Ronald Reagan et dans son programme de propagande baptisé Project Truth73.
67Dès 1983 les programmes câblés pénétrèrent dans des millions de foyers de l’Europe occidentale, et leur développement devait s’amplifier grâce à la technologie du satellite européen de communication (SEC) installé à la fin de l’année 1982. Ce satellite détenu par plusieurs États européens pouvait capter certaines émissions américaines directement diffusables en Europe sur les chaînes câblées74. Or, l’exploitation de ces nouvelles technologies de communication devait servir les Américains dans la période de tension extrême avec l’Union soviétique que représentait la crise des euromissiles. Il pouvait être alors opportun de diaboliser autant que possible l’adversaire communiste, et de le dépeindre comme un barbare sanguinaire75.
L’affaire KAL 007, archétype de la surenchère de la désinformation
« The Truth is
Still Our Strongest Weapon. »
Ronald Reagan, 10 septembre
198376.
68Fin août 1983 les Soviétiques avaient abattu par erreur un avion de ligne coréen (Kal 007), alors qu’il survolait le Kamtchatka77. Aussitôt, à la demande des proches conseillers du président, l’USIA et la Voix de l’Amérique s’emparèrent de l’événement pour déclencher une violente campagne internationale, accusant les Soviétiques d’avoir délibérément abattu un avion civil78. Le gouvernement des États-Unis prétendit que l’avion de la Korean Airlines était entré tout à fait accidentellement sur le territoire aérien soviétique, à l’insu des services de renseignement américain, et qu’il avait été abattu sans sommation préalable par un chasseur soviétique. La rhétorique alors utilisée dans une série de discours prononcée par le président Reagan fut sans équivoque ; le 5 septembre le président américain s’adressa à ses concitoyens, mais également au monde entier grâce au relais de la Voix de l’Amérique, en relatant les faits en ces termes :
« Mes chers compatriotes, je m’adresse à vous ce soir, au sujet du massacre de la Korean Airlines, de l’attaque commanditée par l’Union soviétique à l’encontre de 269 hommes, femmes et enfants innocents, tous passagers de l’avion civil de la Korean Airlines. Ce crime contre l’humanité ne doit jamais être oublié, ici aux États-Unis, comme dans l’ensemble du monde79. »
69Le ton offensif de ce discours devait imprimer la marque d’une véritable croisade du bien contre le mal, menée également dans toute la presse, pour discréditer Moscou, présenté comme totalement responsable de ce « crime sauvage80 ». La position maladroite des Soviétiques, qui attendirent six jours entiers avant de reconnaître la responsabilité de leur pilote, arguant du fait que l’avion de la Korean était en fait en mission de reconnaissance pour les services de renseignements américains81, constitua une véritable aubaine pour les responsables de la diplomatie publique à la Maison-Blanche.
70Au cours des jours et des semaines qui suivirent l’incident, les plus hauts responsables du département d’État, de l’USIA, et de VOA travaillèrent quotidiennement avec les membres du NSC pour alimenter cette campagne d’information et de désinformation dans le monde entier qui tendait à prouver la culpabilité des Soviétiques, auteurs d’un acte délibéré alors que les États-Unis ne pouvaient être accusés d’aucune faute82.
71Ken Tomlinson, directeur de VOA demanda un effort tout particulier à ses ingénieurs pour augmenter au maximum la puissance des émetteurs et éviter de ce fait les brouillages soviétiques. Deux jours après que l’avion eut été abattu, cinquante-six heures de programmes supplémentaires furent mis en œuvre en direction de l’Union soviétique et des pays satellites83. Et, pour relater sans relâche sa version des événements, la Voix de l’Amérique utilisa deux des plus vieilles techniques de désinformation : la répétition, et la manipulation de l’émotion. Ainsi, parmi les programmes spécifiquement créés à cette occasion, les témoignages de familles de victimes furent diffusés en boucle toutes les heures en 42 langues différentes sur les ondes de VOA. Les allocutions les plus frappantes des principaux responsables américains, celles du président Reagan bien entendu, mais également, de George Schultz ou de l’ambassadeur américain en Union soviétique, Arthur Hartman, furent traduites en russe, ukrainien, géorgien, polonais et chinois, et diffusées largement par les stations de la Voix de l’Amérique. En revanche lorsque l’un des journalistes de VOA réalisa l’interview d’un ancien pilote de l’Union soviétique réfugié aux États-Unis, Victor Belenko, la direction de VOA ne jugea pas utile de retransmettre l’information selon laquelle les pilotes soviétiques n’étaient pas entraînés à différencier visuellement un avion de ligne d’un avion militaire ; ce témoignage aurait accrédité la thèse soviétique selon laquelle leur pilote n’aurait pas été en mesure d’identifier l’avion de ligne coréen en tant que tel84. La volonté farouche des principaux responsables de l’information américaine de ne divulguer au monde qu’une partie des informations disponibles sur l’enquête internationale en cours représenta certainement un cas d’école des pratiques de la désinformation américaine85.
72Mais le véritable coup d’éclat de cette campagne anti-soviétique, proche du lynchage médiatique, fut orchestré par les services de télévision de l’USIA, dirigés par Alvin Snyder ; ceux-ci eurent notamment recours aux pratiques de la désinformation qu’ils dénonçaient chez leurs adversaires. Ils élaborèrent en effet un document vidéo d’une dizaine de minutes retraçant l’incident, à partir de morceaux choisis des conversations radio soviétiques et d’une carte du plan de vol de l’avion KAL 007, qui ne devait pas laisser de doute quant au fait que les Soviétiques avaient abattu l’avion coréen de sang-froid, sans avertissement préalable tout en sachant qu’il s’agissait d’un avion de ligne. La diffusion de cette cassette, d’abord aux Nations unies par Jeane Kirkpatrick, devant le délégué soviétique Oleg Troyanovski impassible, le 6 septembre 198386, puis, dans l’ensemble des pays d’Europe, eut un impact retentissant et démontra à quel point la télévision pouvait être un instrument de manipulation efficace87. Ce montage ainsi que la transcription de son contenu furent en effet largement diffusés par les agents des USIS dans la plupart des régions du monde.
73Le 24 septembre 1983, avec le soutien des services d’information, le président Reagan asséna le coup de grâce aux Soviétiques, déjà affaiblis par la nouvelle de la maladie de Iouri Andropov88, en prononçant un discours sur la paix devant les Nations unies. Les paroles du président américain furent retransmises en direct par satellite sur les ondes de VOA en direction de l’Union soviétique et des démocraties populaires, grâce au travail des interprètes des Nations unies. Des vidéocassettes de cette intervention furent également envoyées immédiatement à l’ensemble des USIS outre-Atlantique pour assurer une couverture médiatique la plus large possible89. Fort de ce qu’il considérait comme une victoire de la diplomatie publique, le directeur de l’Agence d’information, Charles Wick, ne manqua pas de rappeler à son ami le président Reagan, quelques jours plus tard, qu’un tel dispositif de communication au service du leadership américain nécessitait et méritait bien quelques moyens supplémentaires90.
L’invasion de la Grenade et le triomphe de Worldnet
74Suite à ce succès, Charles Wick, intimement convaincu que la télévision était l’avenir de la diplomatie publique, développa son idée d’un réseau de télécommunication par satellite. À l’origine le projet Worldnet fut avant tout un concept de télé-conférences par satellite qui devait permettre d’assurer la promotion de la politique étrangère américaine. Dans ce but l’USIA réunissait, d’abord de façon épisodique, puis chaque semaine, à Washington, un échantillon significatif d’experts des affaires étrangères. Pour leur répondre les ambassades américaines à l’étranger constituaient des assemblées de personnalités officielles, de journalistes ou d’intellectuels intéressés par ces rencontres interactives. L’avantage immédiat pour la diplomatie américaine au terme de ces rencontres à longue distance était à l’évidence l’ampleur de la couverture médiatique réalisée dans le pays d’accueil. Des articles de presse, des reportages à la radio et à la télévision couvraient l’événement et commentaient à cette occasion les lignes politiques adoptées par les États-Unis.
75Or, c’est à la suite de l’invasion de la Grenade par les troupes américaines, que le réseau de télévision par câble et satellite de l’USIA, baptisé Worldnet, démontra son efficacité à Washington comme dans le monde entier. Le 25 octobre 1983, craignant qu’à la suite d’un coup d’État interne, la Grenade ne tombe plus encore sous l’influence cubaine, les Américains débarquèrent à l’appel des pays voisins. Parce qu’il fallait faire cesser l’opprobre qui pesait sur les États-Unis, les responsables de l’USIA organisèrent une conférence de presse interactive via satellite, depuis Washington et en direction des principales ambassades américaines dans le monde. Le 3 novembre 1983, l’ensemble de la presse étrangère fut conviée dans les ambassades américaines pour participer à cet événement et surtout pour constater les prouesses technologiques de l’Amérique reaganienne. Les journalistes européens purent à loisir interroger l’ambassadrice américaine aux Nations unies, Jeane Kirkpatrick, en duplex de New York, ainsi que deux responsables du département d’État, Craig Johnson et James Michael, et deux premiers ministres des Caraïbes, John Compton pour Sainte-Lucie, et Tom Adams pour la Barbade91. Cette première fut largement saluée par la presse européenne, et le réseau américain de télécommunication Worldnet s’affirma comme une source d’information majeure dans toute l’Europe92.
76Dès le mois de novembre le réseau Worldnet pour l’Europe de l’Ouest, renommé Euronet, permit d’organiser des interviews d’officiels américains par visioconférences sur les questions des euromissiles dans les pays concernés par cet enjeu. Ces entretiens étaient susceptibles d’être repris par les grandes chaînes de télévision de pays européens. Ainsi Robert McFarlane, vice-conseiller en matière de sécurité nationale, fut spécialement préparé à la veille de son interview du 14 décembre 1983, qui devait être réalisée depuis Paris en duplex de Washington. Steven Steiner, responsable des questions de défense et des programmes de communication pour le NSC, prépara à cette occasion un mémorandum exhaustif sur les questions que pouvait soulever la presse européenne et sur les réponses qu’il convenait d’y apporter93 ; la préoccupation majeure à ce moment précis était le Moyen-Orient, suite notamment aux attentats au camion-suicide le 23 octobre 1983, à Beyrouth, qui avaient coûté la vie à 241 soldats américains et 58 militaires français94.
77Dans son éditorial du 27 décembre 1983 le Wall Street Journal fit remarquer à quel point la modernisation des outils de l’USIA lui permettait d’être efficace : « L’Agence d’information des États-Unis est à la pointe des nouvelles technologies quant il s’agit de permettre aux journalistes européens de joindre ou d’établir des liens avec les responsables américains95. »
78Au cours de l’année suivante de nombreuses personnalités officielles, des membres de l’Administration Reagan comme de hauts responsables européens se prêtèrent au jeu des questions-réponses. Les journalistes étrangers eurent ainsi l’occasion d’interroger pendant plus d’une heure, le ministre des Affaires étrangères George Schultz, le ministre de la Défense, Caspar Weinberger, l’ambassadrice des États-Unis aux Nations unies, Jeane Kirkpatrick ou encore le chancelier ouest-allemand Helmut Kohl96.
79Par ailleurs, les services télévisuels de l’USIA, sous la houlette d’Alvin Snyder offrirent un maximum de moyens techniques aux médias européens en général et aux chaînes de télévision en particulier. Ils mirent notamment à leur disposition, via les USIS, des cassettes vidéos des interviews de responsables politiques américains, comme des allocutions du président Reagan, désormais transmises à la fois par VOA et par Worldnet ou Euronet97. Les succès de la collaboration entre l’USIA, les chaînes de télévision et les compagnies de production tant ouest qu’est européennes assurèrent à Charles Wick l’estime et les encouragements de ses partenaires du département d’État et de la défense, comme en témoigne ce message que lui adressa William P. Clark, alors conseiller au NSC :
« Merci pour votre mémo qui mettait en valeur la réussite du programme de coopération de l’USIA avec les producteurs de télévision étrangers. Je me félicite que vous ayez mis en œuvre une méthode aussi excellente pour toucher les publics étrangers en leur transmettant des messages inspirant la confiance grâce à un medium aussi influent que celui de la télévision. Continuez, je vous prie, à profiter du formidable potentiel que vous offre cette entreprise98. »
80Quelque temps plus tard, lors de la présentation de Worldnet par Charles Wick au Midem de Cannes en avril 1985, la télévision d’État hongroise, séduite par la technologie américaine, fut la première télévision du bloc de l’Est à signer un contrat de raccordement à ce réseau. Et à l’automne, les premières visioconférences médicales entre les États-Unis et des nations de l’Europe de l’Est furent réalisées. À partir de la seconde moitié des années 1980, Worldnet fit l’objet d’accords avec 96 compagnies de télévision câblées en Europe, ce qui représentait potentiellement plus de cinq millions de foyers99.
81Arme de persuasion par excellence, Worldnet était considéré par la presse américaine, au milieu des années 1980, comme le joyau de l’Administration Reagan100. Worldnet, comme l’ensemble des nouvelles technologies auxquelles la direction de l’USIA eut recours dans les années 1980, contribuèrent fortement à la modernisation des activités des USIS en Europe. Alors que certains postes considérés comme mineurs à l’Ouest virent leur budget réduit, en revanche à l’Est, notamment en Pologne, en Hongrie ou en Tchécoslovaquie, les USIS développèrent leurs activités et leur notoriété grâce à ces nouveaux moyens. On pouvait dès lors s’interroger sur la capacité de la technologie américaine à avoir raison de la guerre des idées, par la maîtrise des images.
Libéraliser pour mieux libérer : de « la culture du secret » à « la culture de l’information »
Une occidentalisation progressive ?
82Après la signature de l’Acte final d’Helsinki, en 1975, la période conduisant aux événements de 1989 se caractérise avant tout par une perméabilité croissante des frontières entre l’Est et l’Ouest, en termes d’information et de propagande. Ce phénomène trouve ses fondements dans la variété toujours plus grande de sources d’information qui venait ébranler le monopole du modèle politique soviétique, dans le perfectionnement des technologies de radiodiffusion, ainsi que dans l’évolution des esprits dans le sens de la curiosité et aussi du mécontentement et de la montée des exigences en application des accords d’Helsinki sur la libre circulation des hommes et des idées.
83En ce sens la stratégie idéologique de la Maison-Blanche durant l’ère Gorbatchev fut double ; il s’agissait de développer l’information mais aussi les relations culturelles avec les Soviétiques. Pour ce faire l’Administration Reagan tenta d’une part de favoriser la pression internationale sur le Kremlin dans le sens d’une réduction des barrières institutionnelles aux échanges d’idées et de personnes, et d’autre part de négocier une série d’accords bilatéraux autorisant un plus grand nombre de flux d’information, entre les États-Unis et l’URSS. Pour les partisans de la diplomatie publique ces deux actions conjointes au sommet de l’État furent des éléments clés qui devaient favoriser l’implosion du bloc soviétique.
84La mise en œuvre d’accords bilatéraux pour développer davantage les flux d’information fut conduite par l’USIA. Les efforts entrepris notamment par Charles Wick débouchèrent assez rapidement sur un accord américano-soviétique, le premier depuis les années 1970, concernant les échanges culturels ; celui-ci devait renforcer en particulier les échanges universitaires entre les deux États. Alors que le nombre de ces échanges plafonnait autour d’une quarantaine par an depuis presque trente ans, cet accord permit d’augmenter considérablement leur nombre ; en 1988, lors des négociations avec les responsables des échanges de Washington, le ministère de l’Education soviétique proposa d’en réaliser trois cents par an.
85Ces discussions furent suivies par des pourparlers américano-soviétiques devant permettre l’ouverture des canaux de diffusion soviétiques aux médias occidentaux. Pour la première fois, les entreprises commerciales américaines participèrent aux discussions. Les accords qui s’en suivirent devaient permettre aux films, aux émissions de télévision et aux livres américains de pénétrer pour la première fois le marché soviétique. Les grandes chaînes de télévision américaine conclurent des accords avec la télévision d’État soviétique. Il s’agissait bien entendu par ce biais de rendre la culture de l’entertainment à l’américaine accessible aux populations soviétiques ; celles-ci s’empressèrent de remplir les salles de cinéma pour connaître les productions hollywoodiennes que l’État soviétique consentait à leur laisser regarder.
86Parallèlement, dans le but de faciliter les échanges transfrontières, Washington manifesta sa volonté de faire respecter les accords d’Helsinki de 1975, qui avaient montré l’intention de la communauté internationale non seulement de faciliter les relations politiques et économiques entre l’Est et l’Ouest, mais aussi d’apaiser les tensions relatives aux droits de l’homme entre les deux camps. Au terme d’un travail de persuasion de plusieurs années mené par les diplomates américains, les États-Unis, le Canada et un grand nombre de pays d’Europe de l’Ouest demandèrent un bilan exhaustif de la mise en œuvre des accords d’Helsinki en matière de droits de l’homme. Cette initiative déboucha sur un nouvel accord à Vienne en janvier 1989, dont le but premier était de renforcer la protection des libertés individuelles dans les pays signataires. Cet accord incluait une liste des droits fondamentaux devant être respectés ; parmi ceux-ci figuraient le respect de la vie privé, le droit à l’éducation, à la libre pratique d’une religion, le droit de voyager librement hors des frontières de son pays. Même si ces recommandations, comme celles d’Helsinki, n’avaient pas force de loi dans les pays du bloc de l’Est, elles fixaient néanmoins un cadre de référence pour les dissidents en leur apportant un soutien explicite101.
87Cette évolution s’est reflétée à l’Est dans l’immense développement des techniques de désinformation, et dans une double stratégie : une volonté de blocage de toute information non contrôlée, et une confrontation des informations et des arguments d’égal à égal102. Dans ce cadre, le principal problème auquel se sont heurtés les dirigeants de l’Est fut la coexistence du monopole de l’information détenu par le Parti, et la pluralité des sources de l’information et de la propagande venues de l’Ouest. Cette pluralité de fait des sources d’information semble être la clé du changement qui intervint à l’Est au cours des années 1980. Elle concerne notamment le samizdat (auto-éditions hors censure, publications périodiques ou occasionnelles clandestines), le radizdat (publication hors censure d’émissions de radio), le tamizdat (publications clandestines importées de l’extérieur du bloc socialiste)103.
88La popularité des émissions de radio émises de l’Ouest ou de l’Extrême-Orient dans les langues du bloc de l’Est, fut croissante au cours des années 1980, surtout aux confins de l’URSS et dans les pays est-européens104. Ces émissions étaient complétées par des enregistrements sous forme de radiocassettes, qui pénétrèrent presque partout, de même que les magnétoscopes et les vidéocassettes. Cette invasion donna lieu à une nouvelle catégorie le magnitizdat (enregistrement de textes et de chansons polémiques et non-conformistes sur bandes vidéo). Mais le rôle dominant dans cet ensemble de sources d’informations non contrôlées fut certainement joué par les émissions de télévision par satellite que les autorités de l’Est virent se développer avec inquiétude.
89Dans son analyse des médias d’Europe de l’Est, Tristan Mattelart105 a étudié les techniques de la désinformation soviétique à la télévision en concurrence avec les manifestations de l’infiltration de la culture de l’entertainment. Deux systèmes médiatiques ont particulièrement retenu son attention, celui de la Pologne, et celui de la Hongrie. Dans la première moitié des années 1980, au contraire de la télévision roumaine, les télévisions hongroises106 et polonaises apparaissaient en effet plus ancrées à l’Ouest qu’à l’Est.
90Leur programmation laissait une large part aux divertissements occidentaux, et en particulier aux séries télévisées. Pour les populations hongroises et polonaises, le film américain faisait donc partie de la vie quotidienne au même titre que le Coca-Cola. Mais la présence de ces divertissements à la télévision d’État n’était pas sans créer une sorte de dichotomie entre les mensonges de la société de consommation et les mensonges de la propagande étatique en matière d’information, toujours fortement contrôlée par le pouvoir communiste. Cependant, si le divertissement occidental était susceptible de créer le rêve et l’évasion, les informations du parti rappelaient prosaïquement aux citoyens hongrois et polonais quelles étaient les limites autorisées de la sphère publique.
91De fait, la télévision polonaise du général Jaruzelski107 fut, à partir de 1981, un exemple caractéristique de matraquage idéologique et politique ; et pourtant répondant à des soucis d’audience et d’apaisement de la population, elle devint dès 1983, une télévision de divertissement. La crise économique qui accroissait les difficultés de la vie quotidienne dans ces deux États, fut également, un facteur contribuant à expliquer l’importance du divertissement sur les écrans polonais et hongrois. Cependant, il n’est pas certain que « cet opium du peuple » ait réellement fonctionné dans le sens d’un apaisement des mécontentements, tant était grand le contraste entre les réalités de la pénurie, et les rêves de la culture de l’entertainment.
Médias occidentaux et dissidence
92Face à cette concurrence, le système soviétique réagit en réaffirmant les principes essentiels, non sans faire preuve d’une certaine imagination en créant des concepts comme celui de « l’espace informatif108 ». De plus, l’assurance des autorités hongroises n’était pas partagée par l’ensemble des États satellites. Le parti bulgare par exemple était particulièrement inquiet du développement du marché des magnétoscopes et surtout des cassettes vidéo venues de l’Ouest. Traditionnellement opposé à toute intrusion des télévisions occidentales, il prit des mesures spécifiques contre le « danger idéologique » représenté par les vidéo-cassettes. En 1984, plusieurs clubs vidéo clandestins furent découverts par les autorités bulgares, ils avaient été crées sur le modèle des clubs qui florissaient alors en Union soviétique.
93Charles Wick et les responsables des services audiovisuels de l’USIA, ne furent pas étrangers à la création de ces clubs et à la mise en circulation de centaines de cassettes vidéo (très certainement duplicables) à partir des bibliothèques des USIS en Europe de l’Est. L’idée de développer des vidéoclubs à l’Est vint à Charles Wick en 1984. Les USIS proposèrent alors aux populations est-européennes un catalogue de plus de 80 titres de films documentaires et de fiction pour commencer, puis face à l’énorme succès de ce dispositif, le catalogue atteint près de 250 films. Le directeur de l’USIA ne voyait pas en quoi les USIS ne pouvaient pas devenir de véritables centres de divertissement, et dans ce but il voyait la contribution des dirigeants d’Hollywood aux stratégies de la diplomatie publique, comme une formidable opportunité. Avec le soutien affiché du président Reagan109, il ne tarda pas contacter les majors pour constituer un comité consultatif de professionnels hollywoodiens, à la tête duquel fut placée une des personnalités les plus influentes d’Hollywood, Leo Jaffe, directeur de Columbia Pictures110. D’après les témoignages de certains diplomates en poste à l’étranger, des films tels que Kramer vs Kramer ou The Texas Chain Saw Massacre, pouvaient être perçus par les populations est-européennes comme des représentations crédibles de la vérité de la vie américaine111.
Figure 17. – Jaquette du film Rocky IV représentant la victoire du champion de boxe américain contre la champion soviétique.

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94En URSS, les cassettes-vidéo représentèrent un trafic important sur le marché noir. On ne connaît pas encore très bien le nombre de cassettes vidéo importées qui furent alors en circulation. On sait cependant que certaines cassettes de films américains remportèrent un grand succès comme le Docteur Jivago, et surtout Rambo, et Rocky (dont on a longtemps pensé qu’il s’agissait d’un film de propagande américaine, symbolisant spécifiquement la lutte que représentait la guerre froide112). Or, l’essor de ces films clandestins représenta une formidable arme de persuasion pour les mouvements de dissidents. Le film polonais L’Interrogatoire (The Interrogation, 1982), censuré par les autorités officielles, fut récupéré par les activistes de la culture clandestine et recopié à des centaines d’exemplaires. Cette fiction qui se déroule dans les années 1950 illustre les violations des droits de l’homme dans les prisons polonaises à travers le martyr d’une actrice de cabaret emprisonnée et interrogée à tort dans le but qu’elle accuse un de ses ami de trahison et d’espionnage. Ce film représenta une véritable bombe à retardement auprès de la population113. La révolution technologique que représentait la vidéo peut donc être considérée comme un vecteur fondamental de la libéralisation à l’Est.
95La vague des magnétoscopes et des cassettes vidéo, fut liée aux progrès de l’informatique et de son utilisation par les industries de pointe, la défense nationale et la communication. Les dirigeants de l’Est furent contraints de se résigner à cette évolution et tentèrent de limiter tant bien que mal les dégâts de l’infiltration occidentale sur la mainmise politique et doctrinale qu’ils exerçaient sur leurs sociétés. L’acquisition individuelle des instruments modernes de communication ne pouvait mener qu’au renforcement de l’indépendance à l’égard du pouvoir, voire à son opposition.
96Dès lors, le maintien de la puissance soviétique lors des années de glasnost (qui n’est autre qu’une politique de libéralisation centralement planifiée de l’information et de la culture), conduite par Mikhaël Gorbatchev entre 1985 et 1989, nécessita le passage d’une « culture du secret » à une « culture de l’information114 ». En ce sens la glasnost représenta une véritable révolution de l’information dans un pays où le mensonge s’était institutionnalisé. Il ne s’agissait pas de renoncer à l’instrumentalisation des moyens de communication, mais plutôt de parfaire leur efficacité, à l’instar des stratégies adoptées par les Occidentaux, États-Unis en tête. Bientôt, relayées par les médias de l’Ouest, par la glasnost soviétique, par les médias polonais et hongrois, les informations sur les démocratisations en cours en URSS, en Pologne, et en Hongrie propagèrent des messages au potentiel révolutionnaire en RDA, en Tchécoslovaquie, en Bulgarie et en Roumanie115.
97Ainsi, Worldnet et l’ensemble des nouvelles technologies à disposition de l’USIA dans les années 1980 ont considérablement contribué à la modernisation des activités des USIS et à l’accroissement de leur efficacité, en particulier à l’Est. Alors que quelques-uns des services d’information considérés de moindre importance ont vu leur budget tronqué à l’Ouest, à l’Est en revanche, les activités des USIS de Pologne, Hongrie ou Tchécoslovaquie se sont considérablement développées au cours de la décennie. Pour Wilson P. Dizard, ex-agent de l’USIA, ce phénomène s’expliquerait par l’activisme plus important des dissidents de ces trois pays. Les dissidents polonais de Solidarnosc, à l’évidence, avaient affirmé leur volonté de mettre fin au diktat communiste dès les années 1970 ; et au cours de la décennie suivante ils se seraient montrés particulièrement réceptifs et demandeurs du soutien que pouvait leur apporter l’USIS de Varsovie116.
98Au cours des années 1980, il apparaît que les nouvelles technologies médiatiques ont bel et bien été l’instrument privilégié des États-Unis dans le processus d’ébranlement du monopole soviétique à l’Est. Grâce aux phénomènes de contagion médiatique, il semblerait en effet que la forteresse soviétique ait reçu des assauts de toutes parts ; d’abord des États-Unis et de l’Europe de l’Ouest par le jeu du câble et du satellite, et puis surtout, de l’intérieur même du rideau de fer, de la part de groupes de dissidents jouant le jeu de la contre-propagande. Les stratégies et les techniques médiatiques se sont avérées être les atouts les plus efficaces de la diplomatie publique américaine de l’ère reaganienne.
Notes de bas de page
1 « Biographic files relating to USIA directors and other senior officials 1953-2000 », Historical Collection, Entry 1069, Record Group 306, Box 29, Theodore Streibert, National Archives II, College Park, MD ; « Mission and Policy Direction », Historical Collection, Entry A1-1066 Subject Files 1953-2000, Record Group 306, Box 1, Agency History 1943-2000, National Archives II, College Park, MD.
2 Voir « Pologne : Ochab succède à Bierut », in François Fejtö, Histoire des démocraties populaires. Après Staline, Paris, Le Seuil, coll. « Points », 1969, p. 76-78.
3 « Embassy in Poland to Department of State », 2 et 3 juillet 1956, FRUS 1955-1957, vol. 25, p. 185-188.
4 Voir James D. Marchio, « Rhetoric and Reality: The Eisenhower Administration and Unrest in Eastern Europe, 1953-1959 », Ph.D., Washington, D.C., American University, 1990, p. 351.
5 Voir « Uprisings », in Michael Nelson, War of the Black Heavens: the battles of Western broadcasting in the Cold War, Syracuse, New York, Syracuse University Press, 1997, p. 72.
6 « Telegram From the Legation in Hungary to Department of State », Budapest, 23 octobre 1956 (2 heures du matin), FRUS 1955-1957, vol. 25, p. 260-263.
7 D’après « D’Alessandro to Button », 25 octobre 1956, FRUS 1955-1957, vol. 25, p. 276-277.
8 Voir l’article du New York Times, du 21 octobre 1956, p. 13.
9 « Notes on the Special Committee on Soviet and Related Problems », 26 octobre 1956, FRUS 1955-1957, vol. 25, p. 300-303.
10 Les autorités américaines estimaient à 25 000 le nombre de réfugiés hongrois ayant du fuir vers l’Autriche, voir « Aide-Mémoire From the Austrian Embassy to the Departement of State », Washington, D.C., 15 novembre 1956, FRUS 1955-1957, vol. 25, p. 457.
11 Il s’agissait des troupes françaises et britanniques qui avaient pour ordre de reprendre par la force le contrôle du canal de Suez, que le président égyptien, Nasser, avait nationalisé le 26 juillet 1956.
12 Abbott Washburn, « Memorandum From the Acting Director of the United States Information Agency (Washburn) to the President », Washington, D.C., 19 novembre 1956, FRUS 1955-1957, vol. 25, p. 470-471.
13 Voir « Radio, Broadcasting to USSR and Eastern Europe 1946-1997 », E A1-1066 SUBJECT FILES 1953-2000 Location: 350/84/21/01, « Broadcast Media (Radio, TV, Wireless File) », USIA Historical Collection, Record Group 306, Box 71, National Archives II, College Park, MD.
14 Leslie B. Bain, The Reluctant Satellites: An Eyewitness Report on East Europe and the Hungarian Revolution, New York, Macmillan, 1960, p. 110.
15 Voir « Uprisings », in Michael Nelson, War of the Black Heavens, Syracuse, Syracuse University Press, 1997, p. 72.
16 En interne l’Agence d’information commande en effet plusieurs enquêtes à la Division de la recherche ou à des spécialistes. Voir U.S. Information Agency, « Classified effectiveness on the Voice of America », Washington, D.C., 1957 ; Oren Stephens, « USIA meets the test: a study of fast output during the Hungarian and Suez crisis », U.S. Information Agency, 1957, « VOA Program Effectiveness 1942-1996 », Subject Files, Historical Collection, Record Group 306, Box 81, Radios, National Archives II, College Park, MD.
17 Cord Meyer, Facing Reality: From World Federalism to the CIA, New York, Harper and Row, 1980, p. 126-127.
18 Cité dans Michael Nelson, War of the Black Heavens: the battles of Western broadcasting in the Cold War, Syracuse/New York, Syracuse University Press, 1997, p. 78.
19 « Wailes to Department of State », 19 novembre 1956, FRUS 1955-1957, vol. 25, p. 472-473.
20 Voir le témoignage de István Rév, historien hongrois professeur à l’université d’Europe centrale (CEU) à Budapest, parmi les actes d’une conférence organisée par la Hoover Institution et le Woodrow Wilson International Center for Scholars à l’université de Stanford, 13-16 octobre 2004. « Impact of the Broadcasts in Eastern Europe: Evidence from the Archives (II) », « Cold War Broadcasting Impact Report », p. 27, [http://0055d26.netsolhost.com/hila/broadcast_conf_rpt.pdf].
21 USIA sponsored survey, « The Attitudes, Opinions, and Sources of Information Bearing upon the Hungarian Uprising of 1956 », U.S. Information Agency, « Classified effectiveness on the Voice of America », Washington, D.C., USIA, 1957, Subject Files, Historical Collection, Record Group 306, Box 81, Radios, National Archives II, College Park, MD.
22 « The brutal purge of liberty », The New York Times, 9 novembre 1956, p. 3.
23 Voir « Editorial Notes », FRUS 1955-1957, vol. 25, p. 556-557.
24 « Department of State to Embassy in the Soviet Union », 13 novembre 1956, FRUS 1955-1957, vol. 24, p. 253-254.
25 Voir Johanna Granville, The First Domino: International Decision Making during the Hungarian Crisis of 1956, College Station, Texas A&M University Press, 2004.
26 James D. Marchio, « Rhetoric and Reality: The Eisenhower Administration and Unrest in Eastern Europe, 1953-1959 », Ph.D., Washington, D.C., American University, 1990, p. 351.
27 Justine Faure, chapitre xiii, « Le malaise américain face au printemps tchécoslovaque », L’Ami Américain. La Tchécoslovaquie enjeu de la diplomatie américaine, Paris, Tallandier, 2004, p. 391-410.
28 Jusqu’en 1956, la Tchécoslovaquie perçue comme une nation traditionnellement démocratique, avait fait l’objet de campagnes d’information particulièrement offensives de la part de RFE.
29 Justine Faure, op. cit., p. 393-395.
30 RFE jusqu’aux débuts des années 1960, avait en effet prôné les valeurs de marché, mais elle avait aussi chercher à favoriser le déclin de l’influence de l’appareil du parti, l’émergence d’autres centres de pouvoir, et le développement graduel d’une authentique opinion publique. Voir Thomas Sorensen, entretien accordé à Larry Hall, le 25 juillet 1990, Foreign Affairs Oral History Project Information Series, Arlington, VA, ADST, 1998.
31 Georges-Henri Soutou, La guerre de cinquante ans, Paris, Fayard, 2001, p. 483.
32 Depuis le début des années 1960, la Roumanie était très en avance sur les autres nations satellites en matière d’ouverture politique et économique vers l’Ouest. Plusieurs accords commerciaux et culturels avaient été conclus avec les États-Unis.
33 « Status Report on Action Recommendations of Sig Paper, “Soviet military intervention in Eastern Europe” » (Paper Prepared in the Department of State, Washington undated), FRUS 1964-1968, vol. 17, p. 77-78.
34 Dès le printemps 1968, les dirigeants soviétiques avaient fait part de leurs inquiétudes face à l’épanouissement des mouvements populaires pro-démocratiques, et à la prise de distance de Moscou qui s’établissait chez les dirigeants réformateurs.
35 Argument avancé par les Russes pour justifier l’invasion de la Tchécoslovaquie. Il faut rappeler, qu’avec la Pologne et la RDA, elles formaient ce qu’on a appelé « le triangle de fer du Pacte de Varsovie » ; frontière avec l’Europe de l’Ouest, la Tchécoslovaquie représentait une pièce maîtresse du dispositif soviétique. Voir Nicolas Werth, Histoire de l’Union soviétique, 4e éd., Paris, PUF, 1999 (1990), p. 490.
36 Voir le témoignage de Ralph Walter présenté dans le documentaire allemand du réalisateur Christian Bauer, « Radio Free Europe », 2008, 90min.
37 « VOA Being Jammed during Czechs Crisis », Broadcasting, 26 août 1968, Leonard Marks Directives 1964-1968, Biographic Files Relating to USIA Directors and Other Senior Officials, 1953-2000, Record Group 306, Box 11, National Archives II, College Park, MD.
38 Le responsable de « la censure » à l’USIA à cette période fut notamment Hewson Ryan, directeur du bureau des missions ; seul un film hommage à Martin Luther King (assassiné cette même année) et au mouvement des droits civiques fut validé par la direction, The Dream of King (1968), disponible au département Motion Pictures, Archives nationales II, College Park, MD.
39 Voir le témoignage de Bruce Herschensohn recueilli par Nicholas Cull, le 6 janvier 1996, op. cit., p. 568.
40 « After the Invasion of Czechoslovakia », 30 octobre 1968, Basic USIA guidelines, New policy note, Leonard Marks Directives 1964-1968, Biographic Files Relating to USIA Directors and Other Senior Officials, 1953-2000, Record Group 306, Box 11, National Archives II, College Park, MD.
41 « Notes of Emergency Meeting of the National Security Council », Washington, D.C., 21 août 1968, FRUS 1964-1968, p. 242-243.
42 L’invitation à une conférence sur la coopération et la sécurité en Europe (CSCE) fut lancée par les pays du pacte de Varsovie à Budapest en février 1969, le printemps de Prague avait alors été relégué au rang d’« accident de parcours » sur la voie de la détente par la puissance soviétique. Voir François Fejtö et Ewa Kulesza-Mietkowski, La fin des démocraties populaires. Les chemins du post-communisme, Paris, Le Seuil, coll. « Points », 1992, 1997, p. 94-95.
43 Le 1er avril 1975, les dirigeants de tous les pays européens, auxquels se joignirent les États-Unis, le Canada et la Turquie ratifièrent à Helsinki l’Acte final de la conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (CSCE) qui avait débuté deux ans auparavant.
44 Henry Kissinger, Diplomatie, Paris, Fayard, 1996, p. 688-689.
45 Georges-Henri Soutou, La guerre de cinquante ans, Paris, Fayard, 2001, p. 563.
46 Les lobbies des populations d’Europe de l’Est et les hommes politiques les plus conservateurs s’étaient en effet montrés plus que sceptiques quant à la participation des États-Unis à une conférence qui semblait entériner le tracé des frontières, et par là même, la division de l’Europe telle qu’elle avait été décidée aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale. L’Acte final fut par la suite fortement tancé par ces mêmes protagonistes, qui y voyaient une démission face aux Soviétiques. Parmi les opposants, le sénateur de Californie, Ronald Reagan, annonçant ses prises de positions radicales face à « l’empire du mal », pressa instamment le président Ford de ne pas signer cet accord.
47 Henry Kissinger, « America’s Permanent Interests », allocution au Boston World Affairs Council, 11 mars 1976, U.S. Department of State Bulletin, vol. LXXIV, no 1919, 5 avril 1976, p. 427-428, cité dans Henry Kissinger, Diplomatie, Paris, Fayard, 1996, p. 691.
48 À partir de 1983, les travaux de cette commission bipartite, composée de neuf membres du Congrès et d’un responsable du département d’État, de la Défense et du Commerce, devaient prendre une importance toute particulière grâce à la nomination de Dante Fascell à la tête de la Commission des Affaires étrangères (House Foreign Affairs Committee). Les agents de l’USIA sur le terrain devaient alors rendre compte à la presse, en particulier, des enquêtes de terrain menées par les membres de la Commission Helsinki. Voir Yale Richmond, Practising Public Diplomacy, A Cold War Odyssey, New York/Oxford, Bergahn Books, 2008, p. 155-156.
49 Robert M. Gates, From the Shadows: The Ultimate Insider’s Story of Five President and How They Won the Cold War, New York, Simon and Schuster, 1996, p. 89-90.
50 Michael Nelson, War of the Black Heavens: the battles of Western broadcasting in the Cold War, Syracuse/New York, Syracuse University Press, 1997, p. 138.
51 Voir Wilson P. Dizard, op. cit., p. 105.
52 Le lien entre ce comité de surveillance et les radios occidentales fut notamment révélé et fortement sanctionné par les autorités soviétiques lors de l’arrestation de l’un de ses membres, Anatoly Sharansky. Ce dernier fut accusé d’espionnage et condamné à dix années de prison et de travaux forcés pour avoir rassembler et diffuser des documents et témoignages pour le compte de comité de dissidents, Michael Nelson, op. cit., p. 139.
53 Yale Richmond, « Helsinki and Human Rights », Practising Public Diplomacy, A Cold War Odyssey, New York/Oxford, Bergahn Books, 2008, p. 153-166.
54 Interview accordée par Charles Wick au magazine Journal of Defense and Diplomacy, vol. 5, no 4, 1987, p. 44.
55 Voir le témoignage de James L. Morand, dans un entretien accordé à Allen Hansen, le 9 juin 1994, Foreign Affairs Oral History Project Information Series, Arlington, VA, ADST 1998.
56 Peoria, petite ville du Midwest dans l’Etat de l’Illinois, est considérée comme la ville moyenne américaine par excellence. Située au cœur de l’Amérique, elle a pour devise une célèbre réplique de vaudeville : « Est-ce que cela marchera à Peoria ? » (« Will it play in Peoria? »), car sa population est censée être représentative de l’opinion américaine majoritaire ; pour les professionnels du show business, Peoria serait une sorte de ville test, avant le lancement d’une série de représentations dans le reste du pays. Voir l’article correspondant dans l’Encyclopedia Britannica, copyright 2009, [http://www.britannica.com/].
57 Hans Tuch, op. cit., 1990, p. 49.
58 Ellul nomme cette forme de propagande, « sociologique », par opposition à la propagande politique traditionnelle. Jacques Ellul, « Les caractères de la propagande », Propagandes, Paris, Economica, 1990, p. 76.
59 Au tout début de la guerre froide, certains propagandistes américains exprimèrent le désir de pouvoir instrumentaliser le vecteur idéologique que représentait Hollywood, ou du moins de modifier le contenu de certains films. Pour Leo Bogart toute action de l’USIA en ce sens aurait été une véritable bombe à retardement ; pour les responsables de l’information américaine, l’USIA ne pouvait et ne devait pas contrôler la production hollywoodienne. En revanche ils n’excluaient pas une coopération possible avec les grands patrons de l’industrie du cinéma. Voir Leo Bogart, op. cit., p. 96.
60 Voir « Films in the Fight for Freedom, Address by Theodore C. Streibert, before the Motion Picture Industry Council », Hollywood, California, Wednesday, March 17, 1954, USIA, The Agency Library Archives Collection, Theodore Streibert, Speeches, 1953-1956, Biographic Files Relating to USIA Directors and Other Senior Officials 1953-2000, Entry 1069, Record Group 306, Box 29, National Archives II, College Park, MD.
61 À l’évidence certaines productions aux titres évocateurs (The Red Menace, ou I married a Communist) ont illustré cette tentation de confrontation idéologique directe, notamment durant la période du maccarthysme, mais elles restèrent limitées, peu diffusées en dehors du territoire américain elles ne constituèrent pas nécessairement des modèles d’efficacité en matière de propagande.
62 Voir John J. O’Connor, « TV: USIA Propaganda », The New York Times, 1er avril 1972, p. 47.
63 David Shribman, « Radio Finds a Place in Reagan’s Foreign Policy », The New York Times, 12 septembre 1982, p. E4.
64 USIA World, 1982, « VOA Program Effectiveness 1942-1996 », Record Group 306, Box 81, Radios, National Archives II, College Park, MD.
65 Ibid.
66 Cité dans Alvin Snyder, Warriors of Disinformation, New York, Arcade Publishing, 1995, p. 37.
67 James Reston, « The Other Star Wars », New York Times, 20 mars 1985, p. A27.
68 Charles Wick, « USIA At Thirty: Public Diplomacy Comes of Age », Washington, D.C., 1er août 1983, p. 1, White House Staff And Office Files 1981-1989, Speechwriting, Office of Research Office Records, 15998, Folder: Taping USIA 30th Anniversary, Ronald Reagan Presidential Library, Simi Valley, CA.
69 Voir Anne-Chantale Lepeuple, « La politique radiophonique reconsidérée », Radio free Europe, Radio Liberty : la dimension radiophonique de la stratégie américaine de guerre froide, thèse de doctorat, sous la direction de Pierre Milza, Paris, FNSP, 1995, p. 753-808.
70 Dans une lettre adressée au New York Times, Charles Wick pour assurer les milieux diplomatiques du soutien de l’administration Reagan fit état des budgets de l’USIA. Charles Wick, « Marketing America Abroad », The New York Times, 1er mai 1983, p. SM94.
71 En Europe, l’affrontement essentiel, qui survint entre 1981 et 1983, fut la crise des euromissiles, considérée comme la dernière grande crise de la guerre froide. En 1979 l’OTAN avait décidé de négocier le retrait des missiles SS-20 soviétiques, et en cas d’échec l’organisation atlantique prévoyait, pour l’année 1983, l’implantation d’engins stratégiques équivalents en Europe. Cette décision permit aux Soviétiques à la fois de différer les négociations et de mener une campagne pacifiste en RFA, en Grande-Bretagne, en Italie et au Bénélux pour que ces pays n’acceptent pas la mise en place des missiles américains sur leur territoire. Lors de cette crise ce fut la cohérence de l’Alliance atlantique tout entière qui fut ébranlée. Voir Georges-Henri Soutou, La guerre de cinquante ans, Paris, Fayard, 2001, p. 646-651.
72 Le plus grand projet de l’administration Reagan fut sans aucun doute le Strategic Defense Initiative (SDI), communément appelé « guerre des étoiles », qui s’inscrivait dans une campagne agressive de réarmement menée vis-à-vis de l’URSS.
73 Avant la mise en ouvre des idées de Charles Wick, la politique de communication des faucons de Washington s’était contentée de la production et de la distribution de films de propagande relevant d’une campagne de guerre psychologique peu étudiée, comme ce film canadien au titre évocateur : The KGB in North America.
74 « U.S. Plans to Increase TV Service to Europe », The New York Times, 20 avril 1985, p. 46.
75 L’incident de la Korean Airlines se produisit en septembre 1983, au moment même où les premiers missiles de croisière américains devaient être installés en Grande-Bretagne.
76 « Address by President Reagan, September 10, 1983 », document 128, American Foreign Policy Current Document, 1983, Washington, D.C., US GPO, 1984, p. 363.
77 Plus précisément, l’avion civil survolait alors la zone hautement stratégique de l’île de Sakhaline, au large de la Sibérie ; il fut abattu par un chasseur soviétique, alors qu’il avait à son bord 269 passagers, de toutes nationalités, dont 62 de nationalité américaine (parmi les victimes se trouvait le représentant démocrate Larry McDonald). Voir Ronald Reagan, « Friday September 2- Sunday September 25, 1983 », The Reagan Diaries, New York, Harper & Collins, 2007, p. 175-182.
78 Voir les discours du président Reagan du 5 au 24 septembre 1983, White House Staff And Office Files 1981-1989, Speechwriting, Office of Research Office Records, 15998, Folder: Radio VOA and Airline Incident 9/83, Ronald Reagan Presidential Library, Simi Valley, CA.
79 « Address Of The President To The Nation », The Oval Office, 5 September, 1983, White House Staff And Office Files 1981-1989, Speechwriting, Office of Research Office Records, 15998, Folder: Radio VOA and Airline Incident 9/83, Ronald Reagan Presidential Library, Simi Valley, CA.
80 Ibid.
81 Voir « Moscow Admits Shooting Down Korean Plane », The Washington Post, 7 septembre 1983, p. 1.
82 Voir Laurien Alexandre, « In the service of state », Media, Culture and Society, vol. 9, no 1, janvier 1987, p. 40-45.
83 « Voice of America is Telling the Russians of Plane Incident », The New York Times, 5 septembre 1983, p. A4.
84 Propos largement repris et développé par David Pearson dans l’hebdomadaire de gauche américain, The Nation, entre 1984 et 1985, voir en particulier, « KAL 007: What the US Knew and When We Knew It », The Nation, 18-25 août 1984, et « KAL 007: Unanswered Questions », The Nation, 17-24 août 1985.
85 Voir « USIA initatives since June 9, 1981 », p. 51, FG 298, 257944, White House Office of Records Management (WHORM), Ronald Reagan Presidential Library, Simi Valley, CA.
86 Voir « U.N. Council Hears A Tape In Russian », New York Times, 7 septembre 1983, p. 1-A15.
87 Voir le récit d’Alvin Snyder, directeur du service télévision de l’USIA, de 1982 à 1988, qui reconnut que ce montage vidéo était avant tout un mensonge, « The Five-Minute Tape Gap », op. cit., p. 43-72.
88 Iouri Andropov, qui a succédé à Brejnev en novembre 1982, décède quinze mois après sa prise de fonctions ; avec son ministre des Affaires étrangères, Andreï Gromyko, il est le principal interlocuteur des Américains au cours de la crise des euromissiles.
89 « USIA Activity Supporting Major Foreign Affairs Initiatives », Week of September 23, 1983, p. 1, Raymond, Walter: Files 91162, White House Office of Records Management (WHORM), Ronald Reagan Presidential Library, Simi Valley, CA.
90 Wick faisait en particulier à l’allusion à la modernisation en cours de VOA et au lancement de la première télévision par satellite de l’USIA, Worldnet. « Wick to President », 7 octobre 1983, « Subject File: WICK, MR. AND MRS. Charles », PR003 casefile 495373, White House Office of Records Management (WHORM), Ronald Reagan Presidential Library, Simi Valley, CA. Voir également Nick Cull, The Cold War and the United States Information Agency, Cambridge/New York, Cambridge University Press, 2008, p. 432.
91 Voir Alvin Snyder à l’origine du projet Worldnet, op. cit., p. 80-82.
92 Pour apprécier la collaboration entre l’USIA et la Maison-Blanche, et le travail de préparation des émissions et conférences via Worldnet lors de son lancement et par la suite, voir John A. Peschong, Files, « Worldnet USIA » OA 18273, et « Worlnet Address » OA 18274, White House Staff And Office Files 1981-1989, Ronald Reagan Presidential Library, Simi Valley, CA.
93 Robert McFarlane avait été nommé quelque temps auparavant, représentant spécial du président au Moyen-Orient. Voir NSC, « Memorandum for Robert C. McFarlane: Your Euronet Appearance », 13 décembre 1983, « USIA (1-6) 1981-1983 », « Executive Secretariat, NSC: Agency File », Rac Box 009-Agency, White House Staff And Office Files 1981-1989, Ronald Reagan Presidential Library, Simi Valley, CA.
94 Voir Pierre Milza, « Moyen-Orient et Asie méridionale depuis le milieu des années 1970 », Les relations internationales de 1973 à nos jours, Paris, Hachette, 2001, p. 171-175.
95 « The U.S Information Agency has gone high-tech to allow European journalists to reach out and to touch U.S. officials », « News Over the Atlantic », The Wall Street Journal, 27 décembre 1983, p. 1.
96 « Advisory Commission on Public Diplomacy Report 1985 », p. 17.
97 Dans son journal de 20 heures du 9 novembre 1985, le journaliste d’Antenne 2, Bernard Rapp, utilisa les images du discours du président Reagan réalisées par Euronet, pour illustrer la stratégie américaine de communication et de mise en scène de son leadership face aux Soviétiques en préparation du sommet de Genève des 19, 20 et 21 novembre de la même année. « Incoming Telegram from Paris Amembassy to USIA », 10 novembre 1985, in Rhoden, Caroline, Files, OA 15495 : « Responses to Satellite Coverage », White House Staff And Office Files 1981-1989, Ronald Reagan Presidential Library, Simi Valley, CA.
98 « William P. Clark to Charles Z. Wick », 22 février 1983, « USIA (1-6) 1981-1983 », « Executive Secretariat, NSC: Agency File », Rac Box 009-Agency, White House Staff And Office Files 1981-1989, Ronald Reagan Presidential Library, Simi Valley, CA.
99 À cette même époque en Europe de l’Ouest, en plus des foyers individuels, plus d’une centaine d’hôtels sont réliés à Worldnet et proposent ses programmes à leurs clients. Cependant pour le directeur de l’USIA, Worldnet ne se substitue en aucun cas à VOA ; pour Charles Wick, ces deux atouts de l’information américaine sont particulièrement complémentaires. De l’autre côté du rideau de fer la radio était encore considérée comme la principale source d’information, devant la télévision ; en Europe de l’Ouest où elle demeurait un média incontournable, les programmes ondes courtes de VOA avaient pour mission de séduire la jeunesse. Voir « Interview Charles Z. Wick », Journal of Defense and Diplomacy, p. 46-47.
100 « U.S. Agency Transmits TV Programs to Europe », The New York Times, 23 avril 1985, p. C18 et « USIA Develops Space-Age Propaganda Role », The New York Times, 31 mars 1986, p. 1.
101 Parmi les groupes de dissidents qui trouvèrent un nouvel essor au terme de ces accords on peut citer celui de Chronicle of Human Events, un groupe moscovite qui, depuis la fin des années 1960, publiait clandestinement une Chronique faisant état des exactions commises à l’encontre des droits de l’homme par les autorités soviétiques. Malgré les menaces de la police politique de fermer ses locaux et d’emprisonner ses membres, ce groupe demeura actif jusqu’à la chute de l’URSS. Voir Wilson P. Dizard, op. cit., p. 209.
102 Voir les tables rondes spécifiquement dédiées à ces questions lors de la conférence d’Airlie en Virginie, les 25 et 27 juin 1985. Cette conférence, réunissant de nombreux experts est-européens et ouest-européens, fut organisée à l’initiative de la CIA et du département d’État, afin de cerner les stratégies de propagande et de désinformation soviétiques. Ellen Mickiewicz et Stanislav Levchenko, « Propaganda and the Media » (p. 27), Ladislav Bittman, « The Language of Soviet Disinformation », Contemporary Soviet Propaganda and Disinformation: A Conference Report, Washington, D.C., US GPO, 1985, p. 111.
103 George Mond, « Information et désinformation à l’Est », Mediaspouvois, juin 1986, p. 6.
104 Le taux de pénétration de RFE et RL en Europe de l’Est était, de source américaine, selon les pays de 53 % à 75 % de la population adulte (soit 67 % en Hongrie, 70 % en Pologne, 72 % en Roumanie par exemple) au milieu des années 1970 ; dix ans plus tard, il aurait été encore plus élevé atteignant 85 % en Pologne et en Roumnie et 77 % en Hongrie. Voir Arch. Puddington, Broadcasting Freedom: the Cold War Triumph of Radio Free Europe and Radio Liberty, Lexington, Ky., University Press of Kentucky, 2000, p. 82.
105 Tristan Mattelart, Le Cheval de Troie audiovisuel, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 1995, p. 193-195.
106 Il faut rappeler que la Hongrie, en 1985, fut la première nation de l’Est à adopter le système de télévision par câble Worldnet, mis en œuvre et vendu par le directeur de l’USIA, Charles Wick. Elle recevait en particulier les émissions diffusées par 3 SAT (consortium austro-germano-suisse) ; de plus 100 000 foyers étaient connectés aux programmes de la télévision autrichienne, en langue allemande.
107 La « normalisation » de la Pologne fut confiée au général Jaruzelski à partir de janvier 1981 ; après avoir décrété l’état de siège le 13 décembre 1981, pour écraser le contre-pouvoir que représentait le syndicat Solidarité, Jaruzelski mène sans l’aide des Soviétiques une politique d’extrême sévérité vis-à-vis du peuple polonais. Voir Marc Ferro, De la Russie à l’URSS. Histoire de la Russie de 1850 à nos jours, Paris, Nathan, 1989.
108 Ce concept fut inventé aux lendemains de l’affaire polonaise de 1981. Voir Roger E. Kanet, « Soviet Propaganda and the Process of National Liberation », Contemporary Soviet Propaganda and Disinformation: A Conference Report, Boulder/Colorado, Westview Press, p. 215.
109 « Press Release: President Announces Initiative to Assist USIA with Television and Film Programs », Rusthoven, Peter: Files, 11425 « USIA-Motion Picture/T.V Initiative » Folders 1-2, White House Staff And Office Files 1981-1989, Ronald Reagan Presidential Library, Simi Valley, CA.
110 Les membres du comité Jaffe comprenaient entre autres : Irving Felt directeur du Madison Square Garden, Milton Rackmil, ancien président de Universal Pictures, et aussi Aaron Spelling, producteur de séries télévisées très populaires aux États-Unis (telles que Charlie’s Angels, The Love Boat ou Dynasty). Voir Alvin Snyder, « That’s Entertainment », Warriors of Disinformation, New York, Arcade Publishing, 1995, p. 144-147.
111 D’après le témoignage de l’ambassadeur John W. Shirley, qui vanta les mérites de la politique de Charles Wick en Europe de l’Est, dans un entretien accordé à G. Lewis Schmidt, le 21 novembre 1989, Foreign Affairs Oral History Project, Information Series, Arlington, VA, ADST, 1998.
112 Voir, « Volunteer Film Acquisitions Committee headed by Leo Jaffe », Small-Stringer, Karna: Files, « Media Relations » 09117, Rusthoven, Peter: Files, « Leo Jaffe » 11425, Folder 2, in White House Staff And Office Files 1981-1989, Ronald Reagan Presidential Library, Simi Valley, CA.
113 Film de Ryszard Bugajski, L’Interrogatoire, réalisé en 1982, obtient de nombreux prix entre 1989 et 1990, une fois la censure levée, tant à l’Est, au festival du Film polonais (1990), qu’à l’Ouest, au festival international du film de Cannes (1990), ou de Chicago (1990).
114 Cette évolution fut clairement explicitée par Vladimir Rubanov, chef de département à l’Institut de recherche du KGB, repris dans le numéro 13, du journal de la presse communiste, Kommunist, cité dans Ladislav Bittman, The New Image-Makers: Soviet Propaganda and Disinformation Today, Washington, D.C., Pergamon-Brassey’s, 1988, p. 18.
115 Tristan Mattelart, op. cit., p. 196-200.
116 Voir Wilson P. Dizard, op. cit., p. 204.
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