Chapitre II. De la guerre psychologique à la diplomatie publique
L’USIA au cœur des jeux de pouvoirs institutionnels à Washington
p. 57-106
Texte intégral
« We must realize
that as a nation everything we say, everything we do, and everything we
fail to say and do, will have its impact in other lands. It will affect
the minds and wills of men there. We are not going to win the struggle
for men’s minds merely by tripling Congressional appropriations for a
super-loud Voice of America. Rather it will be the message we give the
Voice to speak. Rather it will be the spiritual strength, the
understanding, and the compassion which we Americans can summon to put
into that message. Rather it will be the planned and effective use of
every means to appeal to men and women everywhere. »
Dwight D. Eisenhower, candidat républicain à
l’élection présidentielle de 1952
À la recherche du Consensus : les premières années (1953-1960)
1Lorsque le général Dwight Eisenhower est élu à la présidence des États-Unis en novembre 1952, il ne fait pas de doute, aux yeux des observateurs politiques, que de nombreux changements vont être opérés en matière de politique étrangère et de services d’information à l’étranger. Or, soupçonnée d’être un organe de propagande indigne de la démocratie américaine, un repère de communistes, ou une source de dépenses inutiles, la jeune USIA, créée le 1er août 1953, est condamnée avant même d’avoir fait ses preuves.
Méfiance et défiance : perceptions intérieures de la diplomatie culturelle et des politiques d’information internationale
2Le contexte électrique dans lequel naît l’USIA, se caractérise en effet, au cours de l’année 1953, par un débat acharné auquel se livrent plusieurs membres du monde journalistique2 et politique à propos des attentes et surtout des peurs suscitées par le lancement d’une campagne de propagande à l’étranger.
3En ce sens les convictions de l’emblématique Walter Lippmann3 se heurtent aux velléités du secrétaire d’État J. F. Dulles d’engager une véritable croisade idéologique. L’intensité des débats est alors due à la confusion qui règne chez nombre d’Américains quant au « mauvais » usage de la propagande. Les détracteurs d’une propagande officielle y voient en effet une remise en cause de la tradition américaine de liberté d’expression. Cependant, annonçant les réflexions de Jacques Ellul des années plus tard, certains intellectuels américains ont fortement conscience que le contexte international ne peut plus être ignoré. Alors que Moscou s’évertue à prouver au monde que la Russie est le centre de la révolution, certains continuent de considérer que les dépenses engagées dans la contre-propagande s’apparente à du gaspillage. Or, ne serait-ce pas au contraire l’aide économique seule qui représenterait un gaspillage certain ? Dans un article publié à l’automne 1953, dans le célèbre magazine, The Yale Review, George Catlin se fait l’écho de cette interrogation de façon véhémente :
« Oserons-nous nous passer d’une campagne de propagande ? Une démocratie qui ne défend pas sa cause en ayant recours à la propagande ou à la contre-propagande, dans un monde où l’opinion publique joue un rôle aussi important qu’elle le fait aujourd’hui, verra son image faussée. De plus, seul un aveugle ne pourrait pas se rendre compte que la plus grande partie de la supériorité des Soviétiques depuis 1945 s’est construite sur le terrain de la propagande.
[…] l’aide économique, que ce soit en Europe ou en Asie si elle n’est pas assortie d’un programme d’information convainquant à même d’en expliquer les raisons, représente un gaspillage éhonté de l’argent des contribuables. […] tronquer les services dédiés à l’information et à la propagande (en supposant que ces services continuent à être efficaces), au lieu de maintenir un juste pourcentage de l’aide économique qui leur revient au moment où nous sommes engagés dans une guerre froide de plus en plus dure, est de la folie pure4. »
L’USIA au service du « P-factor » : controverses autour de la création d’une agence d’information indépendante (1952-1953)
4Durant la campagne électorale de 1952 les attaques partisanes à l’encontre du département d’État et de l’IIA s’intensifièrent plus particulièrement, au moment même où la campagne anticommuniste du sénateur du Wisconsin, Joseph McCarthy montait en puissance. Malgré les efforts du président Truman tout au long de la dernière année de son mandat pour obtenir un soutien unanime aux programmes d’information (il venait de nommer le républicain Wilson Compton5 à leur tête), ceux-ci ne furent pas protégés des querelles partisanes.
5Pourtant, au cours de sa campagne électorale sur la côte ouest en octobre 1952, le candidat républicain à la présidence des États-Unis, le général Dwight D. Eisenhower montra sa détermination à faire des programmes d’information un instrument efficace de sa politique étrangère. Lors d’un discours prononcé à San Francisco le 8 octobre 1952, il mit l’accent sur la nécessité d’avoir recours à la guerre psychologique dans le nouveau type de conflit qui s’était engagé avec l’URSS, et fustigea l’Administration Truman pour avoir négligé cette dimension incontournable de la guerre froide. Fort de son expérience militaire, le président Eisenhower était persuadé que le pouvoir psychologique, ce qu’il nommait le « P-factor », était devenu une dimension incontournable de la puissance d’une nation. Bien que cet intérêt pour la propagande ou toute autre forme de contrôle des esprits fût incontestablement le résultat des expériences menées depuis la Première Guerre mondiale, le fait que la guerre psychologique puisse être un thème de campagne électorale devait marquer un tournant dans l’histoire des programmes d’information internationaux. Le candidat républicain répondait à la crainte largement répandue dans l’opinion comme au sein des responsables politiques américains que les Soviétiques ne remportent la guerre des mots en particulier en Corée. Soutenue par la Chine, la propagande menée par l’URSS consistait à faire croire à l’opinion publique coréenne qu’entre autres choses, les Américains avaient recours aux techniques de la guerre bactériologique. Pour le général Eisenhower l’Administration Truman avait fait une grave erreur stratégique en omettant d’inclure la Corée dans les pays nécessitant une campagne d’information préventive6.
6Une fois élu, le nouveau président, lors de son discours sur l’état de l’Union, promit, fidèle à ses convictions, « de rendre efficace les activités relatives à l’information internationale parce que c’est essentiel à la sécurité des États-Unis7 ». Le président Eisenhower devait en effet manifester tout au long de ses deux mandats un vif intérêt pour l’ensemble des activités d’information et de propagande qu’il considérait comme faisant partie de l’arsenal de guerre psychologique. Il faut préciser que la vigueur des partis communistes européens et les campagnes de propagande et de désinformation menées par les Soviétiques à la fois en Europe et en Corée avaient éveillé de sérieux doutes au sein du personnel politique américain quant à la réelle efficacité des programmes d’information. L’IIA sous l’égide du département d’État paraissait incapable d’endiguer les montées d’anti-américanisme à l’étranger. Durant l’été et l’automne 1952, la Commission consultative sur l’information (un organisme semi-gouvernemental chargé de remettre un rapport bi-annuel sur les programmes d’information8) avait été à l’origine de la création d’une série de commissions, au Sénat comme à la Chambre des représentants, pour tenter de résoudre les questions soulevées par l’institutionnalisation d’une propagande gouvernementale en temps de paix. Bien que les premières recommandations de l’ensemble de ces commissions fussent fort diversifiées, elles s’accordaient toutes sur un point, « la Campagne de Vérité » avait été inefficace.
7Conscient de l’urgence de la situation, six jours à peine après sa prise de fonction, le président Eisenhower créa deux commissions supplémentaires pour tenter d’améliorer les programmes de propagande à l’étranger. Il nomma d’une part le très expérimenté Nelson Rockefeller9 à la tête de la Commission sur l’organisation des activités gouvernementales (President’s Committee on Governmental Organization10) et d’autre part William H. Jackson, spécialiste des questions de renseignements, à la tête de la commission sur les activités d’information internationales (President’s Committee on International Information Activities).
Le rôle incontournable de la Commission Jackson dans la mise en œuvre de l’arsenal de guerre psychologique de l’Administration Eisenhower
8De toutes les commissions alors en cours, la Commission Jackson devait mener l’enquête la plus approfondie sur l’ensemble des programmes d’information orchestrés par le gouvernement américain. Composée de huit sages la commission dirigée par William H. Jackson eut pour mission d’évaluer les politiques et les activités de l’information internationale en insistant sur tout ce qui relevait des questions de sécurité nationale. Il s’agissait en particulier de mesurer les pratiques américaines à l’aune des pratiques soviétiques en vigueur notamment dans les pays alliés. Cette vaste tâche devait être réalisée en cinq mois seulement en évaluant également l’ensemble des activités non officielles ou secrètes.
9Après avoir pratiqué un véritable audit des activités d’information opérées par le département d’État, le ministère de la Défense, la MSA (Mutual Security Agency) et la CIA, la commission en conclut que « la propagande est surtout efficace quand elle est utilisée en tant que soutien, pour créer une atmosphère propice à l’accomplissement des politiques choisies par les États-Unis, pour être efficace elle doit être fiable, convaincante et vraie11 ». Malgré cette remarque peu flatteuse le Jackson Committee fut le premier à reconnaître que les programmes d’information souffraient avant tout d’un manque de clarté quant à la définition de leurs objectifs. Ces remarques motivèrent sans doute la formulation des objectifs pour l’USIA par le président Eisenhower en octobre 1953 puis en mars 1954, en ces termes :
« Il s’agit d’apporter la preuve aux peuples des autres nations, grâce aux techniques de communication, que les objectifs des États-Unis sont en accord, et feront même progresser leur aspiration légitime pour la liberté, le progrès et la paix12. »
10Parmi les nombreuses recommandations formulées par la commission Jackson et retenues par l’administration Eisenhower deux nouveaux éléments clés devaient venir compléter le dispositif de sécurité nationale : l’OCB (Operations Coordinating Board13) et l’USIA. La machine de guerre psychologique, telle que voulue par le président Eisenhower, à même de coordonner l’ensemble des activités de la contre-offensive idéologique, au service des intérêts de sécurité nationale, devait se mettre ainsi progressivement en marche. Au-delà de ces réalisations concrètes, la Commission Jackson explicita un des piliers fondamentaux de la politique de guerre froide voulue par l’Administration Eisenhower : les activités de persuasion psychologique et la stratégie ne peuvent exister en dehors des politiques officielles, en revanche toute action diplomatique, économique ou militaire menée par le gouvernement des États-Unis peut avoir une dimension ou un impact psychologique14.
11La dimension psychologique de la guerre froide fut en effet une préoccupation constante du président Eisenhower dans l’élaboration de sa politique de sécurité nationale. Pour réfléchir à des stratégies efficaces, le président s’entoura de conseillers plus ou moins avisés, au premier rang desquels figurait notamment le conseiller à la Maison-Blanche, C. D. Jackson, et dans une moindre mesure, les sénateurs Nelson Rockefeller, William H. Jackson, Frederick Dearborn et Karl J. Harr. Le véritable cold warrior est C. D. Jackson, après avoir été directeur adjoint du magazine Life aux côtés d’Henry Luce, il s’illustra comme propagandiste au cours de la Seconde Guerre mondiale. Responsable notamment de la Political Warfare Division, entre 1944 et 1945 c’est à cette occasion qu’il gagne l’estime du général Eisenhower. Après avoir repris ses fonctions de directeur de publication des magazines Time-Life et Fortune, il prit la tête du National Committee for a Free Europe en février 1951 et entra en campagne aux côtés de Dwight Eisenhower pour insister sur la nécessité de préparer une campagne de contre-propagande massive à l’encontre des Soviétiques15.
Enquêtes sur l’efficacité des services d’information : vers une agence d’information indépendante
12Alors que l’administration présidentielle tente de clarifier les fonctions exactes des programmes d’information afin de réorganiser les affaires étrangères (Jackson Committee) ; elle est secondée dans cette tâche par une commission sénatoriale (The Senate Foreign Relations Committtee) sous la présidence du sénateur de l’Iowa, Bourke Hickenlooper. Depuis l’été 1952 la sous-commission des Affaires étrangères chargée des programmes d’information à l’étranger avait en effet commencé son travail d’investigation d’abord sous la direction du sénateur William Fulbright, puis sous celle de Bourke Hickenlooper16.
13Parallèlement, pas moins de cinq autres enquêtes étaient menées sur les programmes culturels et d’information à la fois au sein de l’IIA et d’autres organes institutionnels. À titre d’exemple un groupe de chercheurs réputés travaillaient sous la direction de Wilbur Schram (directeur du département de communication de l’université de l’Illinois), pour tenter d’évaluer les techniques de communication utilisées par l’IIA. Quant aux enquêtes ayant donné lieu aux rapports les plus connus, les rapports May, Rockefeller, Jackson et Voorhees17, elles s’attachaient à déterminer plus largement les relations que devaient entretenir l’information et les programmes culturels avec la politique étrangère. Bien que l’ensemble de ces études reconnaissent l’utilité de maintenir l’existence de programmes culturels et d’information à l’étranger, elles n’arrivaient pas à déterminer leurs objectifs à long terme, le rôle précis qu’ils devaient tenir au sein de la politique étrangère, comment et par qui ils devaient être dirigés et, enfin, quelles méthodes devaient être les leurs.
14À l’occasion de son rapport semi-annuel au Congrès rendu en février 1953, la Commission consultative sur l’information proposa un certain nombre de recommandations pour « faire des programmes d’information internationale une arme plus efficace dans la bataille mondiale des idées18 ». Le rapport de la commission plus connu sous le nom de Mark May Report préconisait que l’IIA soit placée sous contrôle d’une agence indépendante du département d’État19, chargée de coordonner l’ensemble des programmes d’information. Cependant, dans une note de bas de page le rapport de la commission se gardait bien de trancher la question de la place des échanges éducatifs dans cette nouvelle organisation, en omettant de préciser s’ils devaient demeurer ou non sous l’égide du département d’État20.
15Ce fut au tour de la Commission consultative sur l’organisation des activités gouvernementales (President’s Advisory Committee on Government Organization) dirigée par Nelson Rockefeller de clarifier cette question dans un mémorandum daté d’avril 195321. Ce document recommandait en effet, avec le plein assentiment du secrétaire d’État John Foster Dulles, la création de deux agences indépendantes, l’une dédiée à l’assistance à l’étranger et l’autre à l’information. Cependant la commission Rockefeller en étroite connivence avec Foster Dulles (qui cherchait avant tout à se débarrasser du fardeau que représentaient à ses yeux les programmes d’information22) se préoccupait essentiellement de la restructuration du département d’État ; elle n’analysa pas en profondeur les véritables objectifs qui devaient être ceux de la nouvelle agence, ne fit aucune suggestion sur les méthodes à employer, et si elle préconisait la fusion des programmes d’échanges et des programmes d’information, elle ne précisait pas quelle devait être la nature des relations entre des programmes au demeurant si différents.
16Finalement, le 30 juin 1953, ce fut à nouveau la commission Jackson qui dut faire la synthèse de ces interrogations ; dans ses recommandations elle retint en effet trois points essentiels en tenant compte des conclusions des commissions Rockefeller, Fulbright/Hickenlooper et du May Report :
la création d’une agence d’information indépendante du département d’État, responsable devant le NSC, et regroupant en plus de celles de l’IIA, les activités de la MSA (Mutual Security Agency) ;
le maintien au sein du département d’État de la plupart des programmes d’échanges ;
l’obtention d’un grade plus important pour le directeur de l’Agence et une plus grande autonomie managériale et financière.
17Quant aux brèves conclusions concernant les échanges éducatifs et culturels qui, à l’évidence, n’étaient pas la préoccupation première de la commission elles restèrent très évasives encourageant d’une part les échanges d’étudiants dans un objectif de long terme, et d’autre part, à plus court terme, la venue aux États-Unis de personnes telles que des leaders d’opinion susceptibles d’influencer localement un large spectre de personnes en faveur des États-Unis. En revanche, comme dans le May et le Rockefeller Report, la question des relations exactes entre les programmes d’information et les programmes culturels ou éducatifs fut esquivée par le Jackson Committee.
Quelle place pour les programmes d’échanges et les activités culturelles dans la machine de guerre psychologique ?
18Concernant la question épineuse des relations entre culture, éducation et propagande, l’enquête la plus exhaustive fut certainement celle menée par la Commission des Affaires étrangères du Sénat (Senate Sub-Committee on Overseas Information Programs) qui rendit un rapport de plus de 2 000 pages, concluant à l’importance considérable des programmes culturels et d’information23.
19Durant les auditions il semblerait que les principaux responsables des services d’information aient eu eux-mêmes du mal à clarifier les points soulevés ou esquivés par les commissions d’enquête. Lorsque le sénateur Fulbright sembla s’offusquer de ce que le mot « éducation » ait été retiré du nom de l’IIA, son directeur Reed Harris lui répondit avec un certain détachement que le nom d’origine, U.S. Information and Educational Exchange Program, était trop long et compliqué et que somme toute l’information comprenait l’éducation au sens large. Dans l’ensemble les responsables comme les agents des services d’information interrogés avaient du mal à admettre la position du sénateur Fulbright selon laquelle les échanges culturels et les programmes d’information répondaient à des objectifs distincts de long et de court termes et ne devaient en aucun cas être regroupés dans la même administration.
20Le débat ne tarda pas à gagner les milieux universitaires qui se prononcèrent en faveur du sénateur Fulbrigtht, à l’instar de l’historien Walter Johnson qui voyait dans « la Campagne de Vérité » une entrave sérieuse à des relations inter-culturelles envisagées sur la durée, ou à l’instar du doyen de l’université de Chicago, Robert Stozier, qui appelait instamment à clarifier les objectifs réels de l’IIA pour éviter toute confusion entre le politique et le culturel, entre la propagande et l’éducation24. En ce sens Martin R. P. McGuire haut responsable des échanges éducatifs rappelait que les programmes d’échanges américains à l’étranger bénéficiaient d’un certain prestige, ce qui était loin d’être le cas pour la propagande. Par ailleurs si les États européens en particulier étaient faibles économiquement et militairement ils ne l’étaient pas du point de vue culturel. Dans le cadre de sa fonction de conseiller, Martin McGuire exprima son incompréhension quant au fait que le gouvernement n’ait pas utilisé le mot « culture », soulignant que l’éducation n’était selon lui qu’une composante de la culture au même titre que la littérature ou les arts ; il proposa donc que le terme « échanges culturels » soit substitué à celui « d’échanges éducatifs25 ».
21Finalement, au moment de la création de l’USIA, c’est une solution de compromis qui fut retenue par le président Eisenhower : le département d’État fut libéré de la responsabilité des programmes d’information à l’étranger mais les programmes éducatifs et culturels devaient demeurer sous sa tutelle jusqu’en 1978 à la grande satisfaction du sénateur Fulbright et de ses partisans (réunis désormais au sein de la commission Hickenlooper). Malgré cette première victoire, les défenseurs de la culture et de l’éducation contre la propagande ne baissèrent pas les armes, ils devaient demeurer des adversaires redoutables de l’Agence d’information tout au long de la guerre froide.
22Par ailleurs l’apparente accalmie résultant du consensus, orchestré plus particulièrement par C. D. Jackson, Nelson Rockefeller ou John Foster Dulles, sur la nécessité de la création d’une agence d’information indépendante devait rapidement voler en éclat sous les assauts sans cesse répétés du sénateur McCarthy.
Remises en cause récurrentes de la légitimité de l’Agence et de son efficacité : les exemples édifiant des campagnes des sénateurs McCarthy et Fulbright26
23S’il ne faisait pas de doute pour les observateurs politiques que l’élection d’Eisenhower était synonyme de remaniements pour les services d’information à l’étranger, en revanche nul ne pouvait imaginer que l’essentiel des changements des mois à venir, se feraient sous la houlette du jeune sénateur du Wisconsin, Joseph R. McCarthy.
24Alors que, la Chambre des représentants s’intéresse de près à la dimension financière, l’action menée par une autre commission sénatoriale (The Senate Governement Operations Committee), cette fois dirigée par le sénateur McCarthy, s’évertue à porter le plus grand tort de toute leur histoire aux services d’information. Persuadé que ceux-ci sont infiltrés par les bolcheviks, McCarthy se lance dans une croisade schizophrénique au sein même des rangs des prédicateurs de « la Campagne de Vérité ».
25Sous prétexte de découvrir des preuves de leur trahison, et de démontrer que la politique étrangère menée par les démocrates a été fomentée par des agents communistes, McCarthy envoient ses sbires les plus fidèles, Roy Cohn et G. David Schine, dans les centres d’information américains en Europe. Leurs inspections remarquées suscitent alors sur le « Vieux Continent », un émoi mémorable et fort peu flatteur pour le camp de la démocratie, comme le souligne ce témoignage de Wilson P. Dizard alors en poste au sein des USIS européens :
« Au-delà et en plus de son impact sur la campagne d’information, les enquêtes menées par McCarthy ont porté un coup sérieux à notre respectabilité au niveau international. L’opinion publique étrangère la plus avisée a exprimé son étonnement quant au fait qu’un simple député ait le pouvoir de donner le la au gouvernement américain. Les journaux étrangers, notamment ceux politiquement enclins à trouver des griefs aux États-Unis, n’ont épargné aucun des détails les plus édifiants de ces enquêtes, que ce soit dans leurs gros titres ou bien dans leurs éditoriaux. Raymond Aron, qui compte parmi les rares élites intellectuelles françaises ayant une approche réaliste de la nécessité d’une coopération franco-américaine sur la scène internationale, a assisté à une des auditions conduites par McCarthy et en a conclu qu’il ne voyait pas comment il serait capable de continuer à défendre les États-Unis contre ceux qui affirmaient que les principales caractéristiques de notre vie politique, sont la peur et l’hystérie27. »
26Les livres retirés des bibliothèques des USIS (United States Information Services), pour être brûlés publiquement choquent particulièrement l’opinion et amènent certains utilisateurs à boycotter les centres américains. Au total les équipes de McCarthy prétendent avoir trouvé plus de 30 000 livres dont les auteurs sont communistes ou sympathisants communistes, c’est-à-dire pro-soviétiques et anti-américains28.
27Lorsque les descentes des hommes de McCarthy se mettent à viser non plus seulement les livres mais les diplomates, c’est toute la réorganisation de l’IIA qui est brutalement engagée. Malgré les protestations du sénateur Reed Harris, responsable des programmes d’informations personnellement fustigé par McCarthy, de nombreux collaborateurs des services d’information et de la Voix de l’Amérique sont grossièrement remerciés. La conséquence directe de ces coupes claires, qualifiées de scandaleuses par de nombreux diplomates, est la création d’une Agence d’information indépendante du département d’État29, selon les souhaits du secrétaire d’État, John Foster Dulles30.
28Affaibli par des mois de mise à l’épreuve, épuisé de sans cesse devoir répondre aux interrogations des commissions d’enquête, déprimé, démoralisé et particulièrement aigri par les attaques répétées du sénateur McCarthy, le personnel des services d’information devait prendre part31 à la création de l’USIA le 1er août 1953. Le président Eisenhower nomma le directeur de la Mutual Broadcasting Company, Theodore Streibert, à sa tête. Or, bien qu’investie d’une indépendance toute nouvelle, l’Agence devait être confrontée à des difficultés considérables dès la première année de sa mise en activité.
Figure 5. – Caricature, les coupes budgétaires visant la diplomatie publique.

Source : Federal Times, 27 juin 1973.
29Dès la création de l’USIA, les budgets des programmes d’information sont en effet considérablement réduits : les 96 millions de dollars alloués avant l’ouragan du maccarthysme sont ramenés à 75 millions. Les effectifs rescapés passent pour leur part de 13 500 à 9 500 hommes32. L’épisode du maccarthysme laisse alors parmi les professionnels décimés de la diplomatie publique des séquelles qui entament pour longtemps leur confiance en des supérieurs incapables de défendre leur intégrité et leur loyauté.
30Seuls les échanges culturels sont relativement épargnés, en étant rattachés au département d’État, sur l’insistance du sénateur J. William Fulbright. Celui-ci donne deux raisons majeures à son refus de laisser « son » programme d’échanges aux mains de la nouvelle USIA : il ne tient pas à ce que les échanges éducatifs soient entachés par ce qu’il considère comme des opérations de propagande gouvernementale ; et il ne souhaite en aucun cas que les échanges culturels au sens large soient politisés par les agents de l’USIA. Le sénateur Fulbright ne semble pas se rendre compte que jusqu’alors, ce sont ces mêmes nouveaux agents de l’USIA (les responsables des relations publiques, les attachés culturels et leurs équipes) qui ont mené à bien les échanges culturels et éducatifs dans les ambassades américaines à l’étranger.
Les professionnels de la diplomatie publique divisés entre l’USIA et le département d’État
31Dès lors, la redistribution des échanges culturels entre le département d’État et l’USIA complique considérablement leur mise en œuvre sur le terrain. Les agents de l’action culturelle ont en effet à répondre à la fois à l’USIA, pour la gestion des bibliothèques, l’enseignement de l’anglais, les expositions diverses ou la venue de conférenciers, et au département d’État pour les échanges de personnes. L’obstination du sénateur Fulbright reste un mystère pour les professionnels de la diplomatie culturelle33. Malgré ce désaveu, le sénateur, soutenu par le Congrès, impose ce système de fonctionnement jusqu’en 1978. À cette date, au terme de combats de tribune mémorables, les échanges éducatifs et culturels sont transférés à l’USIA.
32Entre 1953 et le milieu des années 1970, le sénateur de l’Arkansas se présente comme un adversaire de l’USIA avec lequel il faut compter. Il est en effet en désaccord avec l’Administration Eisenhower dès 1958 : il lui reproche l’insuffisant effort américain en matière d’éducation face au défi soviétique qu’il juge maximal et récuse l’idée de John Foster Dulles d’une URSS post-stalinienne fragilisée par ses dissensions internes.
33Alors que le Fulbright-Hays Act de 196134 consolide ses positions, le sénateur ne manque pas de fustiger régulièrement l’USIA, qu’il accuse notamment de malversations, comme en 1966 lorsqu’elle finance le voyage au Vietnam d’une trentaine de journalistes européens35 ; c’est également lui qui publiera, en 1970, The Pentagon Propaganda Machine36, dénonçant auprès du Sénat et de l’opinion publique l’omniprésence des activités de « relations publiques » du département de la Défense. Enfin en 197237, il accusera l’ensemble des administrations successives d’avoir adhéré trop facilement aux thèses de Truman et Dulles. Selon lui, seule la politique de relations internationales de Richard Nixon aurait infléchi quelque peu la dureté de la croisade contre le communisme. Car la propagande officielle qu’il juge provocante soulèverait de faux espoirs, entretiendrait le climat de guerre froide propice à la course aux armements et serait tout bonnement un frein à la reconstruction de la paix en Europe38.
34Quant aux directeurs de l’USIA, durant ces vingt premières années, force est de constater que certains d’entre eux ne sont pas, lors de leur nomination, suffisamment au fait du rôle et de l’importance tenus, à long terme, par les échanges culturels au sein de la politique diplomatique, faiblesse qui ne peut qu’encourager les préjugés déjà bien arrêtés du sénateur Fulbright en la matière.
35Cet exemple marquant dans l’évolution de la conception de la diplomatie publique illustre par ailleurs un aspect caractéristique du fonctionnement bureaucratique complexe des Affaires étrangères américaines et des difficultés posées par la multiplication des décideurs pour l’élaboration d’une politique homogène. Or, tout au long de son fonctionnement et malgré les urgences internationales, l’efficacité de l’USIA en sera entravée. Au cours des dix premières années d’activité de l’Agence le nombre de requêtes posées par les membres du Congrès et leurs équipes s’échelonnent de 2 à pas plus de 20 par an. Autrement dit, l’intérêt des parlementaires américains, qu’ils soient démocrates ou républicains, pour cette Agence d’information indépendante est plus que réduit. Le manque de personnel ne lui permettait pas de travailler suffisamment de concert avec les équipes parlementaires et de ce fait d’obtenir les budgets nécessaires à la réussite de ses activités39.
Les principales limites à l’efficacité de l’USIA : le poids de la Realpolitik sur les budgets de fonctionnement de l’Agence
36À l’instar des organes d’information qui l’ont précédée, et dont le Congrès votait directement le budget, l’USIA est tributaire des événements internationaux, des dissensions ou des conflits internes, et de ses plus ou moins bonnes relations avec le Congrès. En théorie, les comités des Affaires étrangères, au Sénat comme à la Chambre des représentants, devaient être concernés par les activités de l’USIA. Mais en réalité, pendant toutes ces années, c’est surtout la Commission des finances (House Appropriations Committee) qui exerce son contrôle dans chaque chambre, et notamment à la Chambre basse. C’est donc cette instance qui représente la principale structure de contrôle de l’agence d’information officielle et qui, par conséquent, possède les moyens d’une influence non négligeable sur les programmes. Mais ce comité qui effectue un choix entre les différents programmes relatifs à la sécurité internationale n’est pas vraiment favorable à l’USIA : il critique son organisation interne et cerne mal les véritables objectifs de l’information transnationale40.
37Dès sa création, en effet, l’USIA a vu ses finances tronquées, alors que les budgets des services d’information avaient été gonflés par la guerre de Corée et le lancement de « la Campagne de Vérité » jusqu’en 195141. Et à peine sortie de l’ouragan du maccarthysme, son directeur entre en conflit avec le Congrès, et son budget reste par conséquent limité42. Arthur Larson (directeur de l’USIA de 1956 à 1957), dénué des talents politiques de son prédécesseur, Theodore Streibert, est incapable de persuader le Congrès de soutenir les nouvelles activités de l’Agence. Il se heurte notamment à la verve du président de la commission des Finances, le sénateur du Texas, Lyndon Johnson43. Une fois qu’il aura perdu définitivement le soutien des républicains les plus conservateurs, ainsi que celui des démocrates, c’est le président lui-même qui devra tenter non sans mal de préserver les budgets de l’Agence.
38En effet malgré l’insistance du président Eisenhower sur les besoins croissants de services d’information en Asie et en Afrique, le Congrès, par l’intermédiaire de la commission des Finances, réduit de 26 % le budget de 144 millions de dollars requis pour l’année 1957. Pour le président de la commission, le démocrate, John J. Rooney, si la situation politique dans certaines régions du monde nécessite en effet un investissement plus grand des « propagandistes américains », il suffit de réduire les subsides d’autres programmes d’information dans des régions moins exposées44. Le budget des programmes d’information en Europe de l’Ouest est alors divisé par deux au grand dam des responsables de l’USIA, tel Abbott Washburn qui rappelle non sans mal que pendant ce temps les Soviétiques concentrent 60 % de la propagande à destination du monde libre dans cette zone cruciale45. Ce constat d’un danger idéologique plus que jamais présent dans les démocraties de l’Europe occidentale, où les informations circulent librement et où le vote communiste est toujours conséquent, est partagé par un certain nombre d’acteurs et d’observateurs du monde politique qui s’en font timidement l’écho dans les grands quotidiens nationaux46. Le Washington Post rappelle alors qu’avant de vouloir conquérir de nouveaux cœurs et de nouveaux esprits peut-être faut-il d’abord se donner les moyens de ne pas s’aliéner ceux de ses alliés de toujours47. Pour le président Eisenhower, prisonnier d’un Congrès démocrate, ces réductions drastiques, correspondant à presque un tiers du budget de l’Agence et représentent « la pire des économies48 ». Or, les activités de l’USIA demeurant inconnues sur le territoire américain, le grand public ne peut être à même d’exercer quelque pression que ce soit en sa faveur auprès du Congrès.
39Jusqu’aux années soixante, les fluctuations qui interviennent ne permettent pas à l’USIA d’acquérir une stabilité budgétaire nécessaire à son action, comme en témoigne le tableau présenté ci-dessous49.
Tableau 1. – Les budgets de l’USIA d’Eisenhower à Johnson (en millions de dollars).
1954 |
1955 |
1956 |
1957 |
1958 |
1959 |
1960 |
1961 |
1962 |
1963 |
1964 |
1965 |
1966 |
1967 |
|
M$ |
84.2 |
82.3 |
92.3 |
92.3 |
112.8 |
125.4 |
119.5 |
130.3 |
141.3 |
156.8 |
166.2 |
165.9 |
185.2 |
174.8 |
Source : USIA.
40L’arrivée en 1961, d’Edward Murrow, nommé par Kennedy, confortera pendant quelques années l’image de l’USIA et par conséquent ses finances. Cependant, les professionnels de l’Agence observent que de 1954 à 1963 les augmentations de son budget sont à peine indexées sur le coût de la vie. Et, si les budgets augmentent fortement à partir de 1966, ils sont en majeure partie absorbés par l’engagement de l’Agence au Vietnam.
41Durant la première décennie de son existence l’Agence d’information des États-Unis s’est trouvée confrontée à des contraintes financières majeures. Victime d’un manque de légitimité, elle a eu du mal à trouver sa place au sein des institutions de Washington. En revanche, son intégration dans les stratégies de la politique étrangère des administrations présidentielles successives s’est imposée en fonction des priorités idéologiques du moment (de la diplomatie de la démocratie, à la promotion d’une « société mondiale » ou encore à l’exportation de la culture nationale).
42La législation, les politiques et les programmes relatifs à la diplomatie publique ont été directement affectés par les différents directeurs de l’USIA ; leur personnalité, leurs idées, leur style de management, ainsi que leurs convictions politiques, et surtout leurs relations avec le président, ont en effet joué un rôle souvent méconnu dans l’élaboration de la politique étrangère de guerre froide. Désignés directement par le président, les directeurs successifs ont eu une influence sur la politique et les programmes de l’Agence dans leur contenu comme dans leur application, et ce de manière bien plus étendue que leurs homologues du département d’État. Les changements manifestes d’un directeur à l’autre qui en ont résulté au niveau des opérations sur le terrain sont sans doute dus au fait que l’USIA, contrairement à d’autres agences plus anciennes, a été pendant longtemps considérée comme provisoire et sans véritables règles ni cohérence interne. Or, d’Eisenhower à Reagan, l’intérêt fluctuant manifesté par le président des États-Unis pour l’USIA, permet de mesurer l’importance des relations inter-personnelles dans le rayonnement de la diplomatie publique.
Eisenhower et la « people-to-people communication » en Europe
43Déterminé à poursuivre « la Campagne de Vérité » engagée par son prédécesseur, Eisenhower s’engage dès le début de l’année 1953, et conformément à la mission de l’USIA, à « vendre l’Amérique au monde ». Particulièrement contrit de s’apercevoir que les Européens sont décidément trop immatures pour réaliser ce que représente à long terme l’aide prodiguée par le Plan Marshall, Eisenhower est persuadé que les gouvernements locaux ont insuffisamment informé les populations de l’ampleur du soutien américain.
44Aussi, dès son discours sur l’état de l’Union du 2 février 1953, le président redéfinit les priorités de la politique étrangère américaine au rang desquelles figure le renforcement de la coopération en Europe et du Conseil de sécurité nationale50. Cet organe joue un rôle majeur de conseil auprès du président durant toute la guerre froide et participe par-là même activement à l’élaboration de la politique étrangère. Or, pour Dwight Eisenhower la question de la sécurité nationale et internationale en cette période de tensions diplomatiques ne dépend pas seulement de la formulation de stratégies par les faucons de Washington ; il lui paraît indispensable d’expliciter les intentions de son pays auprès des populations locales51.
45Afin de pallier le manque d’implication des agents chargés de l’information dans l’élaboration de la politique étrangère, Eisenhower crée, suite aux recommandations du Jackson Committee, un bureau de coordination des activités à l’étranger (Operations Coordinating Board), officielles et secrètes. Il réunit une fois par semaine, sous la direction du sous-secrétaire d’État, Beedle Smith, le sous-secrétaire d’État à la Défense, le directeur de l’agence indépendante pour l’aide à l’étranger (Foreign Aid Agency), créée en même temps que l’USIA, ainsi que les directeurs de la CIA et de l’USIA52. Le directeur de la nouvelle agence d’information se voit donc attribuer une place de choix au sein de l’appareil décisionnel de la politique étrangère. Il est convié aux réunions du Conseil de sécurité nationale, qui se tient à la Maison-Blanche, et s’entretient au mois une fois par mois avec le président. L’implication du directeur de l’USIA dans le NSC marque une avancée notable en comparaison du peu de cas que les administrations précédentes faisaient du responsable de l’IIA. Les entretiens de Theodore Streibert et d’Eisenhower sont notamment à l’origine du vote par le Congrès de 3 millions de dollars supplémentaires (entre 1954 et 1955, voir infra) accordés à l’USIA pour participer activement aux expositions internationales, puis envoyer artistes et orchestres philharmoniques américains se produire à l’étranger53. Le général Eisenhower était en effet personnellement convaincu de l’importance des relations inter-personnelles, ce qu’il nommait, en matière de diplomatie la « people-to-people-communication ».
Theodore Streibert et la « people-to-people-campaign » en Europe (1953-1956)
46Theodore Streibert, ancien président influent de radio new-yorkaise54 est nommé directeur de l’USIA le 3 août 1953 ; du fait de sa présence au NSC et à l’OCB il devient un interlocuteur privilégié du président Eisenhower, position indispensable selon lui pour assurer l’efficacité des missions de l’Agence55. Cette confiance manifeste du président à son égard paraissait justifiée compte tenu des dernières fonctions qu’il avait précédemment occupées en Europe. Le premier directeur de l’USIA avait été en effet conseiller près l’ambassadeur américain Conant, en Allemagne, où il siégeait au bureau des Affaires culturelles (Office of Public Affairs) ; bureau qui avait pris le contrôle de la station de radio de Berlin RIAS (Rundfunk im Amerikanischen Sektor) et du quotidien Die Neue Zeitung. Par ailleurs durant le printemps 1953, Theodore Streibert avait participé à l’audit des services d’informations en Europe en vue des plans de réorganisation de l’aide à l’étranger, des affaires culturelles et des programmes d’information56.
47Lors de l’investiture de Theodore Streiber au Sénat, le 30 juillet 1953, le président, en accord avec la ligne de politique étrangère qu’il s’est fixée, spécifie quelle sera la mission de l’Agence d’information officielle responsable devant lui57 :
« Nos services d’information à l’étranger n’ont jamais eu une si lourde responsabilité qu’aujourd’hui. Ils ont pour mission d’exposer au monde avec clarté et précision les politiques et les objectifs des États-Unis. Le fait d’avoir des politiques élaborées dédiées à des objectifs de paix universelle, de liberté et de progrès, n’est pas suffisant. Ces politiques doivent être connues et comprises par les peuples du monde entier. Cette tâche incombe à la nouvelle Agence d’information des États-Unis58. »
Figure 6. – Théodore Streibert.

Source : National Archives II.
48Appliquant les préceptes de la « people-to-people communication », Theodore Streibert tient autant que possible à ne pas se couper du terrain et se rend régulièrement à l’étranger, à l’instar de ses collaborateurs les plus proches, les quatre sous-directeurs de l’USIA, qui administrent chacun une zone géographique (l’Amérique latine, l’Europe, l’Asie et l’Afrique). La volonté affichée du premier directeur de l’Agence est d’élaborer une politique d’information pour chacune des quatre grandes zones d’activité de l’Agence, qui regroupent 120 pays au total, non pas, depuis Washington, mais à partir des observations des agents sur le terrain59.
49À cette époque, le principal responsable de la zone Europe est William Clark, un professionnel des relations publiques débauché de la prestigieuse société Arthur Newmyer de Washington. Au milieu des années 1950, ce directeur adjoint de l’USIA qui se rend donc régulièrement sur le terrain, dresse un bilan plutôt positif de l’action des services d’information en Europe de l’Ouest60. Il constate qu’en effet deux évolutions majeures souhaitées par les États-Unis sont en cours dans cette zone, la reconstruction économique d’une part et l’intégration politique d’autre part. Dès lors, la mission des services d’information doit être centrée sur la préparation des populations européennes aux étapes suivantes, comme celle de la sécurité collective. Les USIS basés en Europe ont alors pour mission de préparer les populations européennes à un rapprochement militaire avec les États-Unis dans le cadre de l’OTAN61. Cependant, malgré cette satisfaction affichée, une inquiétude majeure demeure pour les agents de l’information américaine en poste sur le territoire européen, la nature et les formes de la propagande soviétique ont changé. Si les intentions des communistes restent les mêmes, à savoir détruire l’unité politique et économique du monde libre, leur approche est devenue plus sophistiquée ; ils exportent, à grand renfort de moyens financiers (le budget de la propagande soviétique est alors estimée à 1,2 million de dollars par les autorités de l’USIA), des équipes de « propagandistes » des plus efficaces. Pour William Clark, les communistes ont mis de côté les techniques grégaires et barbares de la guerre psychologique pour leur préférer celle de la culture. En projetant l’image d’une société civilisée et prospère à travers l’envoi de leurs musiciens, artistes et sportifs à l’étranger, les stratèges soviétiques ont su réorienter le terrain de la lutte pour gagner le cœur et les esprits des hommes. Désormais les agents de l’USIA devront les combattre plus efficacement dans ce domaine62.
50Dans un premier temps, sur le plan de l’action culturelle la jeune agence perpétue et développe avec un certain succès les activités entreprises en Allemagne, territoire que Theodore Streibert connaît bien63. Et à l’été 1954, en accord avec les convictions du président Eisenhower, selon lesquelles chaque citoyen américain peut être un ambassadeur des États-Unis à l’étranger, l’USIA lance la « people-to-people campaign ». Dans ce but, le président Eisenhower formule une requête exceptionnelle auprès du Congrès en demandant que compte tenu des circonstances internationales un fonds d’urgence spécial (President’s Special Emergency Fund) de 5 millions de dollars soit alloué au développement des échanges culturels et à la présence des États-Unis dans les foires internationales. L’année suivante le Congrès devait non seulement renouveler ce fonds d’urgence mais également voter le Cultural Exchange and Trade Fair Act légitimant le soutien permanent du gouvernement à ce type d’activités. Outre le financement de tournées d’artistes ou de participations à des rencontres sportives, il s’agissait d’encourager toute initiative émanent du secteur privé susceptible de promouvoir une image favorable des États-Unis à l’étranger64. Avec le soutien exceptionnel du Congrès, les programmes visant à promouvoir les échanges culturels sont alors particulièrement développés, il s’agit précisément d’encourager les artistes américains à concourir dans des compétitions internationales. L’aboutissement de cette politique est notamment illustré par la victoire, en 1958, au concours Tchaïkovski, de Van Cliburn, à Moscou65.
51Sur le plan de l’information, et assurément de la propagande, la seconde moitié des années 1950 est marquée en Europe par la participation des États-Unis aux foires internationales sur le thème principal du « Capitalisme du peuple » (People’s Capitalism), et par la campagne en faveur de la recherche nucléaire américaine, intitulée des « Atomes pour la Paix » (Atoms for Peace66). Lancé pour la première fois en 1956 par l’Administration Eisenhower lors d’une exposition pilote à Washington, puis lors de la foire internationale de Bruxelles en 1958, le programme d’information le « Capitalisme du peuple » avait pour but de persuader les populations étrangères qu’une nouvelle forme de capitalisme américain était à l’œuvre aux États-Unis, et que l’administration Eisenhower entendait bien vendre grâce aux nouveaux supports que constituaient les films, les foires internationales et les programmes d’échanges. Il s’agissait à l’évidence de promouvoir la société de consommation américaine tout en présentant une culture américaine estimée trop souvent inexistante par la majorité des populations européennes de l’Ouest comme de l’Est67. Quant à la campagne Atoms for Peace, elle fut lancée suite à un discours mémorable du président Eisenhower à la tribune des Nations-unies le 8 décembre 1953 ; ce discours fut largement relayé par VOA, et par l’USIA qui en envoya de nombreuses copies accompagnées de brochures explicatives et d’un court film à chacun de ses postes à l’étranger. Cette campagne émanait d’une décision du Conseil de sécurité nationale (NSC 151) invitant l’Administration Eisenhower à s’attirer le soutien des populations civiles dans la course au nucléaire qui s’était engagée avec l’URSS.
52Le but de l’Agence, sous contrôle du NSC, est alors de convaincre les Européens des intentions pacifiques des Américains. Là encore les efforts de l’USIA semblent couronnés de succès, du moins du point de vue de la fréquentation enregistrée dans ces manifestations, organisées en partenariat avec le ministère du Commerce. Les plus grandes expositions de la campagne Atoms for Peace sont tout d’abord organisées, avec le soutien de l’USIA, en Europe de l’Ouest, à Berlin, en Italie, ou encore en Belgique. Le plus grand succès quantitatif de ces premières campagnes est remporté en Italie où l’exposition itinérante aurait rassemblé plus de 2 millions de visiteurs68. Dès lors, l’expérience est étendue à l’ensemble des autres pays ouest-européens (la Grande-Bretagne, la France, l’Allemagne, les pays scandinaves), puis aux démocraties populaires à la fin des années 1950 dans le cadre des foires internationales69.
53Or, bien que reconnaissant les compétences de dirigeant de Theodore Streibert, certains diplomates en poste en Europe lui reprochent précisément, de ne faire que peu de cas de la façon dont le message délivré par les États-Unis est susceptible d’être reçu par les publics étrangers. « Vendre le capitalisme » devient bientôt le slogan emblématique de l’Agence, sans trop se soucier de comment le terme « capitalisme » peut être perçu dans d’autres sociétés que la société américaine. Il faut signaler qu’à cette époque, le conseil publicitaire de l’industrie (The Advertising Council), joue un rôle d’importance dans la politique de management de l’Agence. Néanmoins, les premiers chantiers menés par l’USIA sur le territoire européen semblent satisfaire le président et consolider tant bien que mal sa légitimité auprès de ses détracteurs.
54Finalement à l’épreuve des tactiques adoptées par l’adversaire soviétique, la guerre psychologique, telle que voulue par le président Eisenhower, prend la forme sous les auspices de l’USIA de campagnes de propagande mêlant à la fois les techniques de l’information et celles de l’action culturelle. L’aboutissement de cette nouvelle forme de riposte à dimensions multiples s’apparente de plus en plus à ce qui devra bientôt prendre le nom de diplomatie publique visant à introduire les idées de l’Amérique jusque dans les brèches du rideau de fer de l’ère post-stalinienne. Ces premières campagnes des combattants de la guerre froide (cold warriors) conduits par le général Eisenhower sont concrétisées par l’élaboration des premiers accords culturels américano-soviétiques, signés le 27 janvier 195870.
George Van Allen et le choix de la croisade culturelle (1958-1961)
55Cependant, l’apparente volonté de Nikita Khrouchtchev d’engager un assouplissement dans les relations entre les « deux grands » va conduire l’USIA, désormais sous la direction de George Van Allen, à revoir ses stratégies. Succédant à la brève et difficile direction d’Arthur Larson en 195771, ce diplomate de carrière est fort estimé des milieux diplomatiques, ce qui constitue une exception parmi l’ensemble des directeurs de l’Agence d’information. Ses bonnes relations avec le corps diplomatique servent l’USIA à plusieurs reprises et notamment à l’occasion de la mise en œuvre de la première exposition nationale américaine à Moscou, en août 1959. Point culminant de la reprise des échanges culturels américano-soviétiques, les expositions de New York et Moscou de l’année 1959, sont marquées par le célèbre Kitchen Debate, le débat improvisé entre Khrouchtchev et Nixon au milieu d’une reproduction archétypique de la cuisine américaine des années 1950, symbole du modernisme et d’une certaine conception de l’American Way of life. Les relations inter-personnelles de Van Allen et de l’ambassadeur américain à Moscou, Llewellyn E.Thompson, font de cet événement un des premiers grands succès notables de la diplomatie publique, même si à l’époque aucun d’entre eux n’utilise encore cette appellation.
56Par ailleurs Van Allen se distingue par sa volonté de donner à VOA la légitimité qu’a pu acquérir au niveau international une radio d’informations telle que la BBC. En ce sens il tient à ce que les programmes de la Voix de l’Amérique soient diffusés en américain partout dans le monde et 24 heures sur 24. Persuadé que les Soviétiques sont en train de remporter la bataille des ondes, en investissant notamment largement dans les brouillages, le directeur de l’USIA plaide la cause de la Voix de l’Amérique en rappelant que malgré les efforts de Moscou, la parole venue de l’autre côté du rideau de fer représente une transgression de poids pour les dix millions d’auditeurs potentiels d’Europe de l’Est72. Or, dans ce combat pour accorder à la Voix de l’Amérique la dimension appropriée à une guerre psychologique de cette ampleur le directeur des services d’information fut largement soutenu par le président Eisenhower aussi bien officiellement qu’officieusement. Le président Eisenhower durant les deux dernières années de son mandat n’avait rien perdu de sa ferveur à défendre la guerre psychologique et ses principales armes, qu’elles soient officielles comme VOA ou officieuses comme Radio Free Europe ou Radio Liberty73.
57Cependant ce qui caractérise sans doute le mieux la politique de George Van Allen à la tête de l’USIA est sans doute l’aboutissement de la croisade culturelle lancée par son prédécesseur Ted Streibert. Pour faire face aux manifestations de plus en plus embarrassantes de la puissance soviétique sur le plan militaire (marquées par la répression hongroise de 1956) ou sur le plan technologique (entretenues par des réussites aussi spectaculaire que le lancement du Spoutnik en 195774), le directeur de l’USIA choisit de mettre l’accent sur ce qu’il considère comme les « activités culturelles » des programmes (enseignement de la langue anglaise, bibliothèques, traductions d’ouvrages, centres culturels proposant des activités inter-culturelles). La détente relative des relations bi-polaires consécutivement à la mort de Joseph Staline et à la fin de la guerre de Corée invitait en effet, selon lui, à favoriser les programmes d’information visant le long terme. Durant les trois années où George Van Allen fut à la tête de l’USIA, l’Agence mit en avant la culture et les idées dans le but de faire mieux faire connaître à l’opinion publique internationale les caractéristiques et les institutions de la société américaine. En 1958, pour le directeur de l’USIA, les principales réussites au compte des services d’information correspondent à cinq brèches dans le rideau de fer effectuées par la multiplication des échanges culturels vers l’URSS et en provenance de celle-ci, la Voix de l’Amérique, la popularité du magazine America Illustrated en Union soviétique, l’envoi de films américains à l’Est et la participation aux foires et expositions internationales préparant à celle de Moscou en 195975.
58Or, même durant ces années de relative accalmie, les programmes d’information n’échappèrent pas à la méfiance et à la surveillance accrue des parlementaires. La commission Rockefeller en particulier émit à l’intention du département d’État une série de recommandations entre novembre 1958 et l’été 1959. Elle préconisait qu’il dirige l’ensemble des domaines constitutifs des « affaires étrangères », qu’il soit politique, économique, touchant à l’information ou à la culture. Le but de cette démarche était de s’assurer que le département d’État aurait un contrôle suffisant sur l’ensemble de ces paramètres pour conduire les objectifs de la politique étrangère à court terme comme à long terme. Manifestement le sénateur Rockefeller et ses partisans avaient changé assez radicalement de position sur la place que devaient tenir l’information et la culture dans l’organisation des affaires étrangères ; et ce, à l’évidence, au grand dam de John Foster Dulles76.
59Le président Eisenhower se montra favorable à ces idées et son équipe travailla à l’élaboration d’une législation en ce sens. Cependant le projet d’une administration consacrée spécifiquement à l’information internationale et à la diffusion de la culture à l’étranger au sein du département d’État n’eut pas le temps de voir le jour. À la fin de son second mandat le président était plus encore préoccupé par la dégradation de l’image des États-Unis à l’étranger. Le président Eisenhower se montrait particulièrement sensible aux résultats défavorables des enquêtes d’opinion menées alors par l’USIA en particulier dans les pays alliés. Le leadership américain y était remis en cause y compris en Grande-Bretagne où les expressions trop manifestes de la puissance américaine n’étaient pas toujours perçues comme suffisamment justifiées77.
L’héritage du « P-factor » : de la commission Jackson à la commission Sprague
60Malgré l’intérêt manifeste du président pour la guerre psychologique certains de ses conseillers, comme C. D. Jackson, lui reprochèrent le manque d’intérêt de son administration, et de John Foster Dulles en particulier, pour « la guerre politique ». Dans un courrier exhaustif, daté du 10 juillet 1959, Charles Douglas Jackson faisait remarquer au président Eisenhower qu’en matière de « guerre politique » il existait un contraste patent entre sa maîtrise de ces questions et la désinvolture avérée d’administrations clés au sein du département d’État. Arguant du fait qu’était venu le moment de vérité quant à l’importance de la guerre psychologique, Jackson pressa instamment le président de réunir au plus vite une commission exceptionnelle pour pallier ces manques. Quinze hauts dignitaires des principales agences responsables de la sécurité nationale et de la Maison-Blanche furent conviés à un dîner officiel le 10 septembre 1959, au cours duquel C. D. Jackson souleva les principales problématiques liées à la guerre psychologique78.
61C’est au terme des discussions lancées par C. D. Jackson que le président Eisenhower nomma Mansfield Sprague79, ancien conseiller auprès du département de la Défense, à la tête d’une commission d’enquête spéciale dédiée aux activités d’information à l’étranger ; il s’agissait de mettre à jour l’enquête menée par la Commission Jackson en 1953. Industriel new-yorkais, Mansfield D. Sprague devait être secondé dans sa tâche par des responsables de la CIA, tels Allen, et William Dulles, de hauts dignitaires du département d’État, tel C. D. Jackson, ainsi que par des agents expérimentés de l’USIA ; parmi ceux-ci figurait Edmund Gullion, ancien Foreign Service Officer, qui devait être le premier à utiliser et à définir le terme de diplomatie publique pour décrire les activités de l’USIA, quelques années plus tard, en 196480.
62Pendant plus d’un an la commission auditionna les principaux responsables des services d’information et des activités de propagande de l’USIA et de la CIA. Et en janvier 1961, la Maison-Blanche rendit publique une version édulcorée des conclusions de la commission81. Les efforts entrepris par l’Agence d’information en particulier dans des régions du monde encore en développement comme en Afrique ou en Amérique latine devaient être développés en priorité. Des agents spécifiquement formés et sensibilisés à la guerre psychologique devaient être rapidement opérationnels pour l’ensemble des zones.
63En Europe, les programmes éducatifs et les échanges devaient s’amplifier y compris et surtout avec le bloc de l’Est. La commission recommanda de concentrer les efforts sur les leaders d’opinion susceptibles d’avoir une influence politique effective immédiate, ou à plus long terme. Pour atteindre cet objectif la commission alla même jusqu’à préconiser de faciliter les séjours des leaders d’extrême gauche sur le territoire américain en révisant le système d’obtention des visas. Parallèlement le rapport Sprague appela à une coordination accrue des efforts menés à plus long terme par les universités, l’USIA et le Bureau des affaires culturelles et des échanges éducatifs du département d’État.
64Enfin, la commission Sprague souligna l’importance non négligeable de l’impact sur les opinions publiques étrangères des programmes économiques, scientifiques ou militaires. En ce sens la commission suggéra que les actions diplomatiques entreprises par les États-Unis prennent d’avantage en considération les réactions des opinions publiques dans la conduite de négociations, la sélection des agents en poste à l’étranger, ou encore l’accueil des ressortissants étrangers82.
65La guerre froide perpétuelle qui semblait s’être engagée avec l’Union soviétique fut bien entendu la principale source de la légitimité accordée à la commission Sprague. Si elle manifesta un intérêt plus particulier à l’influence croissante de l’Union soviétique dans les pays en voie de développement, la commission ne négligea pas l’impact des programmes culturels et éducatifs dans les pays alliés. Bien que la commission fût réticente à l’idée de mobiliser trop largement les activités internationales du secteur privé, elle proposa d’étendre le rôle des fondations, et alla même jusqu’à proposer la création d’une fondation semi-indépendante dédié à l’éducation (Foundation for International Educational Development). En ce sens la contribution de la commission Sprague fut bien plus étendue que celle menée par William Jackson en 1953, attestant de l’importance désormais incontournable des politiques culturelles et d’information à l’étranger dans les stratégies de la politique étrangère américaine83.
66À la même époque les soubresauts de l’actualité internationale amenèrent le Congrès à s’intéresser de plus près aux programmes gouvernementaux. À la demande de la commission des Affaires étrangères, la Brookings Institution fut mandatée pour réaliser un audit dirigé par H. Field Haviland. Au terme de son étude la Brookings recommandait une révision complète du département d’État en le divisant en trois composantes essentielles : l’État, les Opérations économiques extérieures, et l’Information et les Affaires culturelles. Bien qu’information et affaires culturelles aient été regroupées au sein d’une même division pour plus de coordination, le rapport suggérait qu’une large autonomie devait être laissée à chacune de ces activités. Par ailleurs la Brookings faisait remarquer que les activités liées à l’information faisait souvent de l’ombre aux programmes culturels qui, moins controversés, étaient susceptibles d’avoir à plus long terme une influence décisive, il ne fallait donc pas les négliger dans cette restructuration mais au contraire leur accorder toute la latitude nécessaire84. Les suggestions de la Brookings Institution ne furent jamais mises en place comme telles, mais elles influencèrent néanmoins Christian Herter. En juin 1959, le secrétaire d’État décida en effet de fusionner les programmes culturels et les programmes éducatifs en leur accordant un statut plus élevé dans la hiérarchie du département d’État85.
67Cependant bien que ces études plus abouties aient tenté de faire la preuve du rôle incontournable des programmes d’information, éducatifs et culturels dans les stratégies de guerre froide, seule une partie des recommandations du rapport Sprague fut suivi d’effet lors de l’avènement de John Kennedy à la Maison-Blanche. L’héritage et la mémoire des réussites de la doctrine du « P-factor » furent en effet consignés et transmis grâce au travail de la commission Sprague ; sur le plan organisationnel la nouvelle Administration devait donner plus de poids à la diplomatie publique en l’associant d’avantage encore à l’élaboration, et pas seulement à la promotion, de la politique étrangère. Cette recommandation faisait plus particulièrement allusion à la maladroite mise à l’écart de l’USIA, quant à la mission de renseignement de l’avion Lockheed U-2 en zone soviétique (des avions de ce type survolaient les régions stratégiques de l’URSS depuis 1956). Lorsque l’avion espion fut abattu le 1er mai 1960, deux semaines à peine avant l’ouverture du sommet Est-Ouest à Paris, l’Administration Eisenhower fut particulièrement embarrassée ; sa seule stratégie fut de nier les faits, car elle n’avait pas su anticiper une telle situation et prévoir un programme de communication adapté en coordonnant les activités de la CIA et celles de l’USIA. Cette négligence fut lourde de conséquences pour l’équipe Eisenhower ; elle fut sommée de s’excuser par Khrouchtchev, et le sommet de Paris fut un véritable échec86.
« The Golden Years » : Kennedy-Murrow un « ticket » gagnant pour l’image du leadership américain (1961-1963)
« For USIA is the
new dimension of the new diplomacy. We occupy the only battle line
that engages this entire land. We seek to explain this country and all
it does. Our goal is the minds of men. But the war we wage is not the
war to capture men’s minds ; it is a war to free them. »
Edward Murrow, Conference of National Association of
Broadcasters, 3 février, 196287.
68Lorsque le très télégénique John Fitzgerald Kennedy est élu à la présidence des États-Unis, en novembre 1960, il ne fait pas de doute que l’image du nouveau président devra être utilisée comme un atout pour assurer le prestige des États-Unis à l’étranger. Or, à ce moment précis, l’Agence d’information officielle est encore incertaine quant à sa mission ; elle doit non seulement s’imposer face au Congrès et au département d’État, mais encore sortir d’une période quelque peu mouvementée où trop de directeurs successifs en peu de temps (Streibert, Larson et Van Allen), n’ont pu lui conférer un rôle et une structure d’importance. Cependant J. F. Kennedy, au fait du travail des commissions d’enquêtes successives, s’est toujours montré un fervent partisan des services d’information, en plaidant en faveur d’un renforcement de l’USIA au cours de sa campagne. Alors que le candidat John Kennedy s’apprêtait à affronter Richard Nixon lors de leur second débat télévisé d’octobre 1960, son équipe avait pris connaissance des rapports confidentiels de l’USIA alarmants sur l’état des opinions publiques européennes et le déclin du prestige des États-Unis à l’étranger. Le candidat démocrate, bientôt soutenu par le New York Times, se servit de ces informations pour attaquer le vice-président Nixon88. Pour compléter le rapport Sprague, John Kennedy demande, dès sa prise de fonctions, que soient entreprises des enquêtes complémentaires, ayant pour but de mieux définir le rôle que devra tenir l’Agence d’information pendant son mandat.
69La méfiance partisane sans doute conduisit cependant l’Administration Kennedy à abolir dans un premier temps l’OCB créé par Eisenhower et à réaliser ensuite un audit très scrupuleux de l’appareil de la politique étrangère. George Ball et John Sharon furent chargés de superviser cette opération de grande ampleur. Lloyd Free, un ancien agent de l’USIA, responsable de l’Institute for International Social Research et W. Pillip Davison dirigèrent l’équipe consacrée à l’USIA. Donald Wilson le directeur temporaire de l’agence et le diplomate Thomas Sorensen, le frère du conseiller spécial du président, prirent part à ces enquêtes, et interrogèrent de nombreuses personnalités en qualité d’experts, universitaires, diplomates ou journalistes, dont Edward Murrow89.
70Les recommandations formulées par l’équipe de Free et Davison témoignèrent de la subsistance d’une certaine confusion sémantique et de l’urgence de clarifier enfin les débats sur le rôle et les objectifs des politiques tant culturelles que d’information au sein de la politique étrangère. Parmi ces propositions trois d’entre elles retinrent particulièrement l’attention : l’appel à une plus grande coordination des objectifs dits « psychologiques » de l’ensemble des agences rattachées aux affaires étrangères sous l’égide du NSC, le transfert des programmes culturels et d’échanges à l’USIA, l’idée de rebaptiser l’USIA : International Exchange Agency ou United States Cultural Agency. C’est en ce sens que fut pris le second tournant législatif, depuis le Smith-Mundt Act, lors de l’adoption du Fullbright-Hays Act au printemps 196190. Ce dernier consolidait les programmes d’échanges, en y ajoutant notamment la traduction de livres et de périodiques, la représentation américaine dans les foires et expositions internationales, ainsi que la création de nouveaux centres culturels à l’étranger. Par ailleurs, bien que les programmes culturels dépendent toujours du département d’État91, l’ordonnance du 25 juin 1962, délègue au directeur de l’USIA la responsabilité de l’organisation de ces échanges qui sont menés à bien sur le terrain par ses agents.
71Le président Kennedy rejeta en effet l’idée d’une fusion entre le Bureau des Affaires culturelles et éducatives du département d’État et l’USIA, mais décida de valoriser les programmes culturels en créant un poste de sous-secrétaire d’État à la tête duquel il nomma Philip H. Coombs, économiste de Williams College ancien dignitaire de la prestigieuse Fondation Ford92.
72Cependant John Kennedy se montra d’avantage convaincu lorsque les membres de l’équipe Free et Davison insistèrent sur le rôle de l’USIA comme « instrument psychologique », véritable arme de persuasion au service de la politique étrangère américaine. Thomas Sorensen en particulier précisa que l’USIA se devait de persuader plus encore que d’informer. En ce sens les nouveaux conseillers du président appelèrent unanimement à la nomination à la tête de l’USIA d’un directeur ayant une certaine envergure dans le domaine médiatique. Quant à John Kennedy, il était lui-même conscient du rôle que devait jouer son discours en termes de propagande. C’est en ce sens qu’il souhaite une collaboration étroite avec le directeur de l’USIA ; Chester Bowles lui propose alors le nom d’Edward Murrow dont la réputation n’est plus à faire93.
73Soucieux d’intégrer l’Agence dans sa politique dite de la « nouvelle frontière », Kennedy publie un premier communiqué officiel établissant les nouvelles priorités de l’Agence. Cinq lignes principales sont à retenir : l’indépendance de l’USIA responsable directement et uniquement devant le président, la fonction du directeur de l’agence en tant que « conseiller psychologique » du président, l’élaboration d’une politique plus positive, pas simplement anticommuniste mais plus offensive aussi, un message qui soit plus proche des aspirations des jeunes nations, un effort accru en direction de l’est du rideau de fer et de Berlin94.
Ed Murrow et la renaissance de l’USIA
« The really
crucial link in the international communication chain is the last
three feet, which is best bridged by personal contact—one person
talking to another. »
Edward R.
Murrow95.
74Les crises internationales de la première moitié des années 1960 accélérèrent très rapidement le processus de clarification des objectifs de l’Agence d’information. L’épisode de la baie des Cochons, le durcissement de la politique nucléaire soviétique, la construction du mur de Berlin, et la crise des missiles de 1962, devaient en effet conduire l’Administration Kennedy à officialiser le rôle désormais incontournable de l’Agence en janvier 1963.
75Or, ce qu’on a pu considérer comme une « renaissance » de l’Agence d’information au début des années 1960, est à nouveau lié au poids des hommes et, en particulier, à Edward E. Murrow, directeur de l’USIA de 1961 à 1964. Journaliste reconnu, Ed Murrow est en effet considéré comme un modèle, faisant bénéficier l’agence de sa réputation d’honnêteté et d’intégrité ainsi que de ses talents d’orateurs auprès de la bureaucratie de Washington96. Durant la période où Ed Murrow est aux commandes de l’USIA l’ensemble des personnels de l’Agence retrouvent confiance en leur mission au service du gouvernement des États-Unis97 ; quant aux citoyens américains, ils découvrent et nourrissent une soudaine admiration pour leur machine de propagande. L’aura de l’ex-présentateur vedette de Person to Person sur CBS est notamment liée à son activisme à l’encontre du sénateur McCarthy ; fidèle à ses convictions, il recrute deux victimes de la chasse aux sorcières dans sa nouvelle équipe : Reed Harris obtient ainsi le poste de directeur administratif de l’USIA et William N. Robson rejoint les rangs de VOA98. Bénéficiant de ce climat de confiance les relations entre le Congrès et l’Agence d’information s’améliorent ce qui lui permet d’obtenir plus aisément les budgets demandés99.
76Sous la direction de ce professionnel de la télévision et de la communication, le cinéma, les documentaires et l’utilisation de l’image en général prennent une place jusqu’alors inégalée dans les activités de l’USIA. La période de 1962 à 1967 est considérée comme une sorte d’âge d’or des productions cinématographiques gouvernementales sous les auspices de l’USIA100. Dès la fin de l’été 1961, suite au voyage d’Ed Murrow en Allemagne, l’USIS de Berlin monte une exposition de photos-reportage, The Wall qui fera le tour du monde, dans le but d’attirer notamment l’attention des journalistes étrangers sur les méthodes radicales utilisées par les communistes. The Wall, comme son titre l’indique, illustre la construction du Mur de Berlin par les autorités de l’Allemagne de l’Est qui tentent par ce biais d’empêcher les réfugiés de fuir vers l’Ouest101.
77Si l’USIA sous la direction d’Ed Murrow ne doit pas manquer une occasion d’exposer aux yeux du monde les aspects les plus sombres des politiques de l’adversaire soviétique, à l’inverse elle doit veiller à ce que que l’image des États-Unis à l’étranger ne soit pas trop écornée, et ce en particulier par les productions hollywoodiennes. L’Europe d’après-guerre, en particulier, avait été en effet abreuvée par les films de gangsters venus d’Hollywood. La violence, le crime et la corruption qui caractérisaient ce genre du cinéma américain projetaient à l’étranger une image peu compatible avec la mission de l’USIA, qui était entre autre de promouvoir l’American Way of Life. Pour sensibiliser les professionnels de l’industrie cinématographique à cette question, Edward Murrow se rendit en personne à Los Angeles à l’automne 1961. Et dès la fin de l’année, l’USIA proposa de financer les thèses-documentaires ou les films des étudiants de UCLA (University of California Los Angeles) ou de USC (University of Southern California). En contrepartie d’une formation offerte par le gouvernement, ces étudiants des prestigieuses écoles de cinéma de Californie devaient devenir les cinéastes attitrés de l’USIA102.
78Par ailleurs la collaboration entre l’Agence et les milieux cinématographiques hollywoodiens afin d’encourager la production de films de « qualité », susceptibles d’être appréciés et reconnus par les populations étrangères, conduisit Evelyn Lincoln, alors responsable des relations médias pour l’agence, à proposer à Ed Murrow la création d’un festival du film international à Washington susceptible de rivaliser avec ceux de Cannes, de Venise ou de Moscou. Il était important de ne pas négliger le rayonnement que pouvait avoir l’organisation de ce type d’événement, et ce, particulièrement auprès des populations européennes. Un Festival international du Film à Washington devait être la manifestation de la puissance culturelle des États-Unis103.
79Dès lors, l’USIA réalise, sur commande de la Maison-Blanche, un grand nombre de documentaires de propagande, dont les plus remarquables furent sans doute The Five Cities of June de Bruce Herschensohn (1963)104, puis l’année suivante The March de James Blue (1964)105. Au début des années 1960, l’Agence d’information débaucha en effet les meilleurs réalisateurs de films documentaires d’Hollywood, et en particulier Bruce Herschenson, le réalisateur incontournable des films documentaires de l’USIA, qui, à travers ses films, réalise de véritables essais didactiques sur la politique étrangère des États-Unis106.
80Pour renforcer la créativité des productions de l’USIA, Ed Murrow parvient à convaincre le fils d’un des réalisateurs les plus respectés d’Hollywood, George Stevens Jr., de prendre la tête du service cinéma de l’agence ; il succède en novembre 1961 au très dévoué Turner B. Shelton. Sur le plan opérationnel, les agents du service cinéma à Washington étudient et parfois même corrigent de très nombreux scénarios de films ou de documentaires susceptibles d’être diffusés à l’étranger. Le contenu des films documentaires sur la question des droits civiques est à cette période scrupuleusement analysé et peut être soumis à des coupes sévères107. Lors de la préparation du documentaire sur les avancées de l’intégration raciale The Negro American-A Progress Report, en 1961, Turner B. Shelton avait rappelé à Ed Murrow qu’il aurait été mal venu d’inclure des scènes sur les Freedom Riders ou sur les événements de Little Rock, Birmingham108.
81Or, Edward Murrow fut lui-même soupçonné dès les premiers mois de sa prise de fonction d’avoir été soumis à une forme de censure de la part de l’Agence à la tête de laquelle il avait été nommé. En 1960 il avait réalisé un documentaire critique sur la condition des travailleurs agricoles, dont la plupart d’entre eux étaient noirs, dans le Sud des États-Unis, intitulé Harvest of Shame (Les moissons de la honte). Ce documentaire était destiné à CBS News, et avait été réalisé dans le ton de l’émission qui avait fait les heures de gloire d’Ed Murrow, See It Now, avant son intronisation en tant que directeur de l’USIA. Or, alors que la BBC en a acheté les droits, il tente d’en empêcher la diffusion en Grande-Bretagne, en invoquant le fait que Harvest of Shame était avant tout destiné au public américain (« It was produced for domestic consumption » extrait d’un discours d’Edward R. Murrow, daté du 4 avril 1961). Le documentaire avait déjà été salué par la presse britannique (en particulier le Daily Mirror voir « USIS Information Service in London, » 23 mars 1961), qui soupçonne alors Murrow d’être soumis à la censure. La polémique gagna rapidement de l’ampleur de part et d’autre de l’Atlantique, comme en témoigne les vives critiques émanant de l’American Civil Liberties Union, qui le 23 mars 1961 faisait remarquer que c’est justement en ne diffusant pas ce genre de documentaire montrant la diversité sociale de l’Amérique que l’image démocratique des États-Unis risquait d’être écornée109.
82Cependant, en règle générale, le personnage charismatique que représente Edward Murrow lui permet d’imposer très rapidement sa vision des programmes d’information à ses collaborateurs, qui ont un rôle plus opérationnel. Ed Murrow, contrairement à George Van Allen qui avait choisi de privilégier des objectifs de plus long terme, souhaite en effet synchroniser les différents médias sous sa responsabilité, pour instaurer des actions plus immédiates, usant d’un ton plus offensif. Lorsqu’il quittera l’agence, il se flattera d’ailleurs d’avoir été un propagandiste, revendication pour le moins originale compte tenu de la méfiance violemment exprimée à l’égard de la propagande tant dans le monde médiatique que politique110.
83Parmi ses proches collaborateurs deux figures de poids s’imposent dans l’ombre de l’ex-présentateur vedette : le manager de l’Agence, Donald M. Wilson, ancien correspondant du magazine Life, un proche de Robert F. Kennedy, et le diplomate de carrière Thomas H. Sorensen, frère de Ted, le proche conseiller du président (tous deux seront amener à occuper un poste de directeur adjoint111). Pour cet observateur privilégié la diplomatie publique acquiert véritablement ses lettres de noblesse au cours de cette période faste où Kennedy est à la Maison-Blanche et Ed. Murrow à la tête de l’USIA. Et, selon les témoignages de nombreux insiders, membres de l’USIA ou conseillers spéciaux du président, Donald Wilson et Tom Sorensen sont au même titre qu’Ed Murrow les principaux stratèges de l’USIA jusqu’à l’avènement de l’Administration Johnson, Donald Wilson remplacera Ed Murrow par intermittence à la tête de l’Agence lorsque celui-ci affaibli par un cancer du poumon ne pourra pas assurer ses fonctions. Le jeu des relations interpersonnelles ne semble plus faire de doute quant aux conditions de bon fonctionnement et de rayonnement de l’Agence d’information. En d’autres termes, pour s’imposer aux yeux de ses détracteurs à Washington en tant qu’agence de première importance, l’USIA doit s’appuyer sur un réseau d’influence resserré autour du président.
L’USIA une arme stratégique au service du pouvoir exécutif : l’affirmation de l’USIA comme conseiller stratégique de la Maison-Blanche à l’apogée de la guerre des mots et des images
L’intégration de l’USIA au processus de sécurité nationale
84Du fait des relations étroites entre le président et Edward Murrow, l’USIA acquiert le statut de « cabinet de conseil virtuel112 » qu’elle revendique depuis des années. Au même titre que le département d’État est l’arme diplomatique du gouvernement américain, l’USIA se voit officiellement attribuer le rôle d’arme psychologique, laissant les activités de renseignement à la CIA et l’assistance économique à l’USAID113.
85Cette nouvelle responsabilité de l’agence dans le fonctionnement des Affaires étrangères est prise particulièrement à cœur par son directeur, qui déclare : « I want to be in on the take-offs—not only on the landings » (« Je tiens à être de ceux qui pilotent, pour les décollages, pas seulement pour les atterrissages114 »). Très écouté du président, Ed Murrow est le premier directeur de l’Agence, et une des rares personnalités à Washington, à se voir attribuer une ligne directe avec le bureau ovale115. Convaincu que l’arsenal de persuasion de l’USIA doit être équivalent à l’arsenal nucléaire, Edward Murrow est le premier dans l’histoire de l’agence à formuler lui-même les directives destinées aux professionnels de la diplomatie de l’information. Par ailleurs, alors qu’il a été maladroitement tenu à l’écart de l’invasion de la baie des Cochons en septembre 1961, le directeur de l’USIA entend très rapidement améliorer ses relations avec la CIA. Il souhaite en effet travailler de concert avec Allen Dulles en favorisant la transparence des activités entre les deux agences. Les deux hommes sont convaincus du besoin ressenti quelques fois de frapper fort et de viser le court terme116. Et en octobre 1962, alors que l’avènement de la crise de Cuba ne fait plus de doute, il est finalement convié à l’Ex-Com (pour Executive Committee), le comité de la Maison-Blanche chargé de résoudre la crise117.
86Durant les quelques jours de tension intense précédant le retrait des fusées par les Soviétiques, le comité Ex-Com conçoit le rôle des opinions publiques étrangères comme une priorité et juge essentiel d’avoir la maîtrise des informations qui leur parviennent au sujet de la crise. Alors que les responsables du Pentagone et de la CIA s’opposent à ce que soient diffusées les photos satellites des fusées encore classées secret défense, Donald Wilson, qui représente l’USIA, fait valoir en revanche qu’il s’agit là de preuves irréfutables à l’avantage des États-Unis. Une fois les photos publiées, ce point de vue sera largement repris par la presse européenne. Dans le même temps, la Voix de l’Amérique, qui bénéficie de moyens exceptionnels, mis à sa disposition à cette occasion, tente de convaincre plus particulièrement les populations des pays satellites en diffusant 24 heures sur 24 des bulletins d’information au sujet de la crise. Ce dispositif médiatique est renforcé par l’utilisation inédite par le président Kennedy, le 23 octobre 1962, du satellite Telestar permettant une télédiffusion des images de son discours annonçant l’existence des fusées aux populations européennes. La Voix de l’Amérique, à la demande de Donald Wilson, est placée pour la première fois sous contrôle direct de l’USIA à cette occasion. À partir du 25 octobre, elle bénéficie de cinquante-deux émetteurs suffisamment puissants pour émettre dans plus de dix pays du bloc soviétique. En appui des images diffusées par satellite, l’USIA réalisa un film du discours du président et produisit un court-métrage de forme documentaire, qui fut transmis par les USIS à l’ensemble des télévisions étrangères118. Le soutien de Donald Wilson, tant stratégique que logistique, apporté par l’ensemble des services de l’USIA lors de cette crise internationale majeure, où le poids des opinions publiques étrangères s’affirma comme désormais incontournable dans le jeu des relations internationales, devait constituer un véritable cas d’école des réussites de l’USIA.
87Confortée dans ses positions, l’Agence se voit assigner un rôle encore mieux défini en 1963. McGeorge Bundy, conseiller du président pour les questions de sécurité nationale proposa à Ed Murrow de rédiger une nouvelle ébauche des missions et priorités de l’USIA, ce qu’il fit avec le concours de ses proches collaborateurs et en particulier une fois encore de Tom Sorensen119. L’USIA a désormais pour mission de concourir aux objectifs de politique étrangère des États-Unis en influençant les opinions publiques dans les autres pays, et en conseillant le président, ses représentants à l’étranger et les différents ministères. Établissant ainsi que l’élaboration de la politique étrangère ne peut se faire sans tenir compte des comportements à l’étranger, et que c’est la fonction de la diplomatie publique que d’influer sur ces comportements, le président reconnaît, également, la fonction de conseil que doivent jouer l’USIA et ses diplomates :
« La fonction de conseil doit être menée à plusieurs niveaux que ce soit à Washington ou au sein même des équipes responsables des missions diplomatiques pour les États-Unis à l’étranger. Alors que le directeur de l’Agence d’information des États-Unis devra prendre des initiatives en jouant ce rôle de conseil quand il le jugera nécessaire, l’ensemble des départements et agences devront tenir compte de cette expertise lorsqu’ils envisageront de mettre en œuvre des politiques ou des programmes susceptibles d’influencer ou bien d’être influencés effectivement par les opinions publiques étrangères120. »
Les nouvelles options stratégiques de la politique étrangère de guerre froide au début des années 1960 : l’influence des théories de la modernisation et la complémentarité de l’action culturelle et de l’aide économique à l’étranger
88Vis-à-vis du bloc communiste, l’USIA tente d’accélérer les échanges culturels avec les pays de l’Est et procède à une séparation de sa direction européenne pour aboutir à une approche plus spécifique des démocraties populaires et de l’URSS. Cependant sous la présidence de John Kennedy, à l’exception de Berlin, l’Europe ne sera pas « le terrain où le combat se livre121 », mais bien plutôt l’Amérique latine, délaissée depuis quelques années, l’Asie et l’Afrique. L’USIA prend alors une nouvelle dimension dans le rôle de porte-parole des États-Unis auprès du tiers-monde122. Cette nouvelle mission de l’USIA, au même titre que la création des Peace Corps123 ou de l’Alliance pour le progrès (Alliance for Progress) pour Amérique latine s’inspire des théories en sciences sociales, alors en vogue, dites de la Modernisation. Pour Martin Latham, auteur de Modernization as Ideology, ce concept se substituerait très commodément dans les années 1960 à celui de « destinée manifeste » ; l’Amérique de l’Administration Kennedy se serait alors donnée pour mission de guider les nations déshéritées et les peuples opprimés sur le chemin d’une société idéale et moderne régie par le capitalisme démocratique124.
89Ces nouvelles orientations de la politique étrangère américaine furent menées en réaction à l’affirmation par Nikita Khrouchtchev, dans son discours du 6 janvier 1961, de la volonté de l’URSS à venir en aide aux mouvements de libération nationale dans les pays non alignés (les jeunes nations d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine125). À Washington, la réponse stratégique retenue fut menée par le frère du président, Robert Kennedy, dans les rangs mêmes du département d’État et des principales agences gouvernementales de la CIA et de l’USIA sous la forme de conférences, véritables prêches, ayant pour but de galvaniser les troupes de la contre-offensive idéologique126. Concernant plus spécifiquement le territoire européen, la présence auprès de Kennedy, de Clifford Clark, ancien conseiller de Truman qui avait affirmé dès 1946, que le meilleur moyen de pénétrer le système soviétique était de toucher « les cœurs et les esprits » des populations, laissait augurer d’un soutien tacite aux voix de la dissidence, et de la consolidation d’une stratégie favorisant les peuples contre le système. Ainsi John Kennedy, conjointement aux efforts de l’USIA, tente de se servir de l’assistance à l’étranger, comme des échanges commerciaux, pour exploiter les divergences qui peuvent se manifester derrière le rideau de fer. Il souhaite par ce biais, encourager les tendances nationalistes et centrifuges qui existent au sein de l’empire communiste.
90Alors que l’USIA paraît renforcée à la fois par les options choisies par le président Kennedy et par les directives plus cohérentes de son directeur, qui lui donnent un nouveau souffle, son porte-parole officiel, la Voix de l’Amérique, est toujours en butte aux critiques au début des années 1960. Les partisans de l’USIA, derrière Tom Sorensen, lui reprochent essentiellement de ne pas réussir à trouver le ton juste, notamment vis-à-vis des peuples d’Europe de l’Est, et surtout de ne pas arriver à se débarrasser de la phraséologie du département d’État, en émettant des chroniques sans réelle force de conviction, trop calquées sur le modèle du télégramme diplomatique. Par ailleurs, son directeur Henry Loomis, homme d’appareil expérimenté, est très soucieux de l’indépendance de ton et de ligne éditorial de VOA. Les conceptions du directeur de la Voix de l’Amérique se heurtent à plusieurs reprises à celles d’Ed. Murrow qui tient quant à lui à préserver les convictions de ses proches collaborateurs ; les relations entre les deux hommes sont difficiles durant toute la période de 1961 à 1963.
91Cependant si Ed. Murrow est favorable à l’utilisation d’un ton plus offensif, le recours à la persuasion et à la propagande prôné ouvertement par Tom Sorensen ne correspond pas au style du journaliste et du grand reporter qu’il s’est forgé. Durant les trois années où il dirige l’USIA, Murrow ne parviendra pourtant pas à faire fi de la rhétorique des Mad Men (des publicitaires de Madison Avenue), héritée d’Edward Bernays et imposée par ses proches collaborateurs pour séduire les populations dites cibles d’outre-Atlantique ; il donnera sa démission tout de suite après l’assassinat du président Kennedy. Malgré ces dissensions, de 1961 à 1963, la Voix de l’Amérique fut sans aucun doute celle d’Edward Murrow127.
92Conscient de ces voix discordantes, le président lui-même n’hésite pas à jouer de son image comme du pouvoir des mots sur l’opinion publique mondiale. Les plus grandes réussites des campagnes ponctuelles de l’USIA à l’étranger et plus particulièrement en Europe sont marquées durant l’ère Kennedy-Murrow par les voyages du président et de son épouse Jacqueline, notamment en Europe en 1961. Le soutien logistique de l’USIA consiste alors à mettre tout en œuvre pour promouvoir l’image séduisante de ce jeune président dynamique, dont les idées de la Nouvelle frontière paraissent indubitablement orientées vers l’avenir. Tout le travail de l’USIA consiste alors à gommer les difficultés intérieures (celles occasionnées par le mouvement des droits civiques en particulier), susceptibles de ternir l’image des États-Unis, et de promouvoir les objectifs de la politique étrangère d’abord auprès des populations alliées. Au terme de ses voyages en Europe, à l’apogée de la guerre des mots et des images, le discours du président Kennedy prononcé à Berlin en juin 1963 où il se présenta comme un citoyen du monde, Ich bin ein Berliner, devait sans aucun doute conquérir les cœurs et marquer fortement les esprits.
93Après sa brutale disparition en novembre 1963 et la démission d’Ed Murrow, la tendance en matière de diplomatie publique est au renouveau de la propagande officielle américaine128. Bruce Herschensohn réalise en effet immédiatement après l’assassinat de John Kennedy, The President, une introduction à la mandature de Johnson visant à rassurer le monde quant au bon fonctionnement de la démocratie américaine. Mais le plus bel héritage de la collaboration d’Ed. Murrow et de John Kennedy fut le grand succès remporté par le film hommage que Bruce Herschensohn réalisa au même moment, John F. Kennedy: Years of Lightening, Day of Drums. Le plus célèbre des réalisateurs de l’USIA tenta alors de faire le lien entre la personnalité du président assassiné et ses principales positions en matière de politique étrangère129 ; dans ce film il reprit notamment les images du discours de Kennedy à Berlin s’adressant à la foule en juin 1963, extraites de son précédent succès documentaire, The Fives Cities of June.
94Pour les principaux acteurs et observateurs de l’USIA, les années Eisenhower et Kennedy ont incontestablement représenté un âge d’or des relations entre la Maison-Blanche et la direction de l’Agence d’information et établi par-là même le caractère incontournable de la diplomatie publique.
Crises et défis de la diplomatie publique dans les années 1960 et 1970 : remises en cause du leadership et changements de stratégies diplomatiques
95Bien que l’on puisse considérer la première décennie d’existence de l’agence d’information comme faste en matière de reconnaissance au plus haut sommet de l’État, en 1964, la légitimité de l’USIA, taxée de « repère d’idéologues incompétents130 », était encore loin d’être acquise auprès du plus grand nombre. Et ce, d’autant plus qu’un certain nombre d’ambiguïtés persistait quant à la notion de diplomatie publique ; ce n’est en effet qu’en avril 1964 que le Congrès en donne une première définition :
« Il est possible d’atteindre des objectifs particuliers de la politique étrangère en se préoccupant d’avantage des populations des nations étrangères que de leurs gouvernements. Grâce à l’utilisation des instruments et des techniques modernes de communication, on peut aujourd’hui entrer en contact avec des groupes importants ou bien influents de certaines populations étrangères, dans le but de les informer, d’influencer leurs attitudes, et même parfois peut-être de les amener à prendre part à certaine cause. Ces groupes sont alors susceptibles à leur tour d’exercer une pression importante, voire même décisive sur leurs gouvernements131. »
96Les objectifs de la diplomatie publique et par extension de l’USIA sont alors très clairs, il s’agit de promouvoir une société mondiale, en adaptant les stratégies de persuasion, et non plus seulement d’information, à chaque type de population. Ainsi, l’ensemble des populations du globe doivent être persuadées que l’avenir de la planète est entre les mains des sociétés démocratiques, les pays sous développés doivent être assurés que les États-Unis ont l’intention d’améliorer leur potentiel technologique, et les peuples d’Europe de l’Est doivent être convaincus que l’exploitation capitaliste rendant le communisme incontournable est un mythe.
Lyndon Johnson et la remise en cause du leadership par les opinions publiques européennes
97À l’évidence, cet ambitieux travail de propagande, qui n’ose dire son nom, et qui consiste essentiellement à « vendre » les États-Unis à l’étranger, nécessitait avant tout d’être irréprochable sur le plan intérieur. Or, l’Amérique de la seconde moitié des années soixante, avec son cortège de violences urbaines et son enlisement dans la guerre du Vietnam, n’est plus en mesure de projeter au monde une image de modèle. Au cœur de la tourmente, l’Administration de Lyndon Johnson est en effet en butte aux plus vives critiques émanant de son propre camp, celui de la démocratie.
Carl T. Rowan et la révolution des droits civiques (1964-1965)132
« Well, Mr
Rowan is a Negro, the highest placed Negro ever in American
government. Whether that factor will make his job easier or
harder, we don’t know but it is certainly going to make it
interesting. »
Carl T. Rowan’s
Appearance on « Issues and Answsers », 2 février 1964133.
98Pour redorer le blason d’une Amérique manifestement divisée par la question des droits civiques, Lyndon Johnson nomme le premier Afro-Américain à la direction d’une agence fédérale, Carl T. Rowan134. Cet ancien reporter de l’Afro-American de Baltimore et du Tribune de Minneapolis avait déjà occupé des fonctions éminentes au sein du secrétariat d’État aux Affaires publiques de l’Administration Kennedy entre 1961 et 1963, puis en tant qu’ambassadeur des États-Unis en Finlande à partir du mois de mars 1963 ; c’est dans le cadre de cette dernière fonction que Carl Rowan avait accompagné le vice-président Johnson dans plusieurs de ses voyages et avait eu l’occasion de faire la preuve de ses talents de diplomate. Malgré la légitimité de son parcours au sein des affaires étrangères, compte tenu du contexte électrique dans lequel se fit sa nomination à la tête de l’USIA, une grande partie de la presse américaine souligna avant toute chose la couleur de sa peau et se montra plus que sceptique quant à la réalité de ses compétences pour diriger une telle structure institutionnelle135 :
« Nous ne sommes vraiment pas certains que monsieur Rowan, malgré ses nombreuses qualités, soit qualifié pour ce travail… Il ne nous donne pas l’impression d’un homme sur lequel on puisse se reposer pour raconter l’histoire de l’Amérique sous son meilleur jour en ces temps difficiles et compliqués. Monsieur Murrow mérite un successeur plus digne de confiance », The Washington Star, 22 janvier 1964.
99Or, cette méfiance caractéristique des dissensions raciales à l’œuvre dans l’Amérique du milieu des années 1960, devait être également exprimée à l’égard du nouveau directeur de l’USIA par certains membres de la commission des Affaires étrangères du Sénat. Les sénateurs très influents et désormais bien connus, George Aiken du Vermont et Bourke Hickenlooper de l’Iowa exprimèrent en effet ouvertement leurs doutes quant au fait qu’un homme noir puisse parler au nom de l’Amérique136. Ces remarques que l’ironie de l’Histoire fait apparaître d’autant plus déplacées, ou plus exactement « politiquement incorrectes » pour un observateur contemporain, témoignent de l’atmosphère propice à la polémique, qui devait entourer la diffusion du film documentaire The March, produit par Ed. Murrow l’année précédente. Carl Rowan qui avait à cœur de distribuer cette dernière production d’Ed Murrow, fut vivement pris à partie par les sénateurs de la Comission des affaires étrangères et en particulier une fois encore par Bourke Hickenlooper, convaincu que la diffusion de ce type de document renforcerait les préjugés de leurs détracteurs à l’étranger, selon lesquels les «- Nègres » étaient privés de libertés fondamentales aux États-Unis. Ce point de vue était diamétralement opposé aux conceptions et à l’expérience du nouveau directeur de l’USIA.
100Comme l’a brillamment démontré Mary Dudziak, dans son ouvrage consacré à l’impact de la guerre froide sur le mouvement des droits civiques (Cold War Civil Rights137), certains des événements de cette période épique ont en effet pu faire l’objet de campagnes spécifiques, menées par l’USIA, flatteuses pour le camp de la démocratie. C’est en ce sens que fut largement utilisée, par les USIS en Europe la célèbre marche de Washington conduite par Martin Luther King, en 1963, présentée comme le symbole du progrès démocratique aux États-Unis. Les services d’information en Europe de l’Ouest étaient particulièrement au fait de l’image extrêmement négative véhiculée par la discrimination raciale aux États-Unis, ce qui constitua pendant toute la période des années 1950 et 1960 un véritable poncif de la propagande soviétique anti-américaine en Europe. Dès lors, ils organisèrent, avec le concours de la télévision britannique, la diffusion télévisée d’un court document d’une quinzaine de minutes retraçant cette journée historique138. Quelque temps plus tard cet extrait devait servir de base au film de James Blue, The March, auquel l’USIA ajouta une introduction de son premier directeur afro-américain insistant sur les bienfaits de la démocratie américaine en matière de liberté d’expression139.
101The March remporta un franc succès auprès des populations étrangères, et fut rapidement suivi d’un autre film documentaire à succès revenant sur un des événements marquants de l’histoire de la déségrégation, Nine from Little Rock (1965). Ce succès fut le fruit du travail de la cellule de l’Agence d’information spécifiquement dédiée aux réactions des opinions publiques étrangères sur la question raciale aux États-Unis. Son principal responsable, William Gaussman avait établi depuis plusieurs années des relations privilégiées avec les principaux mouvements en faveur des droits civiques ; Nine from Little Rock, qui remporta l’Oscar du meilleur film documentaire en 1965, fut le résultat de cette collaboration. Avec l’aide de l’USIA et de Carl Rowan en particulier, l’Administration Johnson réussit là où ses prédécesseurs avaient échoué en parvenant à faire de la question des droits civiques un enjeu de la politique étrangère susceptible de projeter une image favorable de la démocratie américaine140.
102Par ailleurs, malgré les moyens enfin accordés à Carl Rowan, entre 1964 et 1965, les efforts remarquables de l’Agence ne peuvent porter légitimement que sur le territoire asiatique141, en négligeant pour un temps les opinions publiques européennes, qui deviennent de fait plus perméables à la propagande venue de l’URSS. À peine la propagande a-t-elle été acceptée comme outil indispensable, à défaut de respectable, que l’engagement américain dans le Sud-est asiatique lui impose de nouveau une activité de guerre.
103En accord avec les convictions de son prédécesseur Edward Murrow, le nouveau directeur de l’USIA, Carl Rowan entend « dire les choses telles qu’elles sont ». Or, le contexte tant national qu’international devait conduire les services d’information dans leur ensemble à changer de stratégie ; les faits concernant l’évolution de la question raciale ou la présence des troupes américaines au Vietnam ne pouvaient être tout à fait rapportés tels qu’ils étaient par les principaux organes de diffusion de l’USIA. Ce changement de ligne politique imposé par la Maison-Blanche ne fut pas accepté par l’ensemble des membres éminents de l’équipe constituée par Ed Murrow. Le directeur de VOA, Henry Loomis fut le premier à quitter les rangs de l’USIA en mars 1965 et à dénoncer la perte de crédibilité des services d’information, « muselés », selon lui, par l’Administration Johnson142. Don Wilson et George Stevens ne tardèrent pas à démissionner également et peu de temps après ce fut au tour de Carl Rowan lui-même de quitter l’USIA pour reprendre ses activités de journaliste. Les promesses faites par Johnson d’associer le directeur de l’Agence d’information aux décisions du NSC, lors du recrutement de Carl Rowan, ne furent absolument pas suivies d’effet. En choisissant de remplacer ce dernier par l’avocat, Leonard H. Marks, un ami texan de la famille Johnson, qui s’était spécialisé dans le droit de la communication. Leonard Harold Marks, avait occupé des fonctions de conseil pendant la Seconde Guerre mondiale auprès de la Federal Communications Commission, avant de rentrer comme associé dans une société juridique de Washington spécialisée dans le droit de la communication, Cohn & Marks, au sein de laquelle il représenta les intérêts de la société de diffusion texane de madame Lyndon Johnson pendant de nombreuses années. En 1962, Edward Murrow lui demanda de diriger et de superviser Books-USA, un programme de l’USIA financé par des fonds privés, et destiné à inonder le monde libre d’ouvrages américains. À la demande du président Kennedy, il rejoignit le comité de direction du groupe privé, mais néanmoins sous contrôle du gouvernement, COMSAT (Communication Satellite Corporation) qui avait pour mission de développer le réseau de communication par satellite des États-Unis. La même année Leonard Marks, ami fidèle de la famille Johnson, entra en campagne aux côtés de Lyndon B. Johnson en tant que trésorier de son comité de soutien, il dirigea également les opérations publicitaires radio et télévision du candidat à la présidence143. En nommant ce proche collaborateur, le président entendait certes diminuer encore davantage le rôle de conseil de l’USIA dans le processus décisionnel de la politique étrangère, mais sans pour autant négliger l’importance de services d’information performants dans le conflit vietnamien.
Leonard Marks, la priorité vietnamienne et les échecs du bridge-building (1965-1968)
104Alors que le début des années 1960 avait permis la réhabilitation d’une propagande extérieure étendue à l’ensemble du monde, à partir de 1965 l’USIA a perdu de sa superbe. Malgré les brillants succès remportés notamment par les films documentaires de la fin de l’ère Kennedy, les programmes cinématographiques de l’USIA furent éclaboussés par quelques scandales retentissants et notamment celui d’un documentaire sur le conflit au Vietnam réalisé par une société privée de Saint Louis, Guggenheim Productions, au début de l’année 1965. Ce film à destination du monde libre comportait en effet des scènes de combats truquées, ce qui ternit considérablement la crédibilité de l’Agence auprès du Congrès144. Dès lors, les désillusions s’installent dans les rangs de l’Agence d’information, créée pour la paix et qui, entraînée dans la guerre perd ses certitudes145. De surcroît, l’Agence, depuis quelque temps déjà, ne fait plus l’objet d’attention, mais plutôt de méfiance de la part de la Maison-Blanche. Lyndon Johnson, qui a en effet combattu l’USIA lors de sa création en tant que sénateur, avait soupçonné dans un premier temps les principaux responsables de l’Agence de ne pas particulièrement favoriser son image à l’étranger. Alors qu’il était vice-président, Lyndon Johnson s’était senti ignoré voire méprisé par la brillante équipe mise en place par Ed. Murrow ; celle-ci aurait fait comprendre au vice-président texan qu’il n’appartenait pas au même sérail de brillants jeunes hommes originaires de la côte est146. En revanche, il entretient d’étroites relations avec le magnanime Leonard Marks, avec lequel il développe les activités de la Voix de l’Amérique au Vietnam147. Sur cette question le directeur de l’Agence d’information qui prétend développer des activités de « diplomatie publique » joue de ses bonnes relations avec le Congrès et parvient habilement à obtenir de la part de la Commission des finances, toujours dirigée par le républicain John Rooney, les budgets nécessaires pour les opérations de l’USIA dans le Sud-Est asiatique. En septembre 1965, Leonard Marks envoya trois éminents spécialistes des médias à Saïgon pour évaluer les activités de l’USIA au Vietnam ; au terme de cette enquête il demanda, avec l’appui du président, quelque 13 millions de dollars de budget supplémentaire au Congrès, dont plus de sept millions en faveur du Project Teak, pour la construction d’un radio-émetteur géant capable de diffuser les émissions de la Voix de l’Amérique dans l’ensemble du Sud-Est asiatique148.
105Cependant, pour les grandes lignes de la politique extérieure, le président préfère s’en remettre à Dean Rusk. Or, ce dernier reste persuadé que les États-Unis doivent demeurer « les honnêtes hommes » du système international ; il ne faut donc pas attendre du département d’État un renouveau de la ligne offensive pour l’Europe, au sein des organes officiels de l’information extérieure. D’ailleurs l’Europe n’est absolument plus la priorité du Congrès, qui procède une nouvelle fois à des réductions drastiques des budgets de l’USIA pour cette zone. Au grand dam des observateurs les plus avisés, et plus particulièrement de la Commission consultative sur l’information, qui recommande vivement que les financements destinés aux défis de la propagande à plus long terme ne soient pas abandonnés mais au contraire accrus149. Le développement du réseau de bibliothèques américaines gérées par les USIS en Europe de l’Ouest, et jusqu’alors jugé particulièrement efficace, est pourtant brutalement interrompu. Alors que les diplomates en poste sur le terrain estiment que leur influence sur la jeunesse européenne est un avantage certain sur les communistes, les bibliothèques américaines de Londres, Paris, Bordeaux, Lyon, Strasbourg, Marseille et Tours sont fermés150.
106Cependant le président Johnson tient malgré tout à la doctrine du bridge-building, à l’idée qu’il faut jeter des ponts entre les deux types de société, l’occidentale et la communiste, pour ramener la liberté ; aussi accorde-t-il son soutien aux activités culturelles clandestines de la CIA151. La libéralisation à l’Est s’organise donc avec la collaboration des deux agences gouvernementales engagées dans la guerre froide idéologique, l’USIA et la CIA152.
107D’un point de vue fonctionnel, pendant le mandat de Johnson, l’USIA accroît malgré tout sa légitimité et celle de ses agents en obtenant pour ces derniers le statut officiel de diplomates de carrière (Foreign Service Officers153) ; cette avancée notable est due aux efforts soutenus de Leonard Marks auprès du Congrès et de son ami le président Johnson. Les agents de l’USIA sur le terrain peuvent désormais viser plus sereinement des objectifs de long terme ; par ailleurs à la fin des années 1960, l’Agence d’information peut à nouveau diffuser au monde un message positif et porteur d’avenir avec la concrétisation du programme spatial Apollo et les images de Neil Armstrong, le premier homme à marcher sur la lune. L’expédition lunaire américaine de 1969 mit fin à la suprématie soviétique en matière de conquête spatiale, douze ans après le lancement du Spoutnik, en 1957, et huit ans après l’envoi de Youri Gagarine dans l’espace en 1961. Les USIS exploitèrent cette victoire dans le monde entier, en facilitant une tournée des astronautes de la mission Apollo XI, en particulier en Europe, où ces héros de l’espace rencontrèrent la reine d’Angleterre et le pape. Suite à l’engouement des populations étrangères pour ces avancées technologiques, très favorables au camp américain, les différents succès remportés par les missions Apollo jusqu’au milieu des années 1970, devaient faire l’objet de campagnes spécifiques de l’USIA qui pénétrèrent le bloc de l’Est. Les autorités soviétiques, tchèques ou polonaises tolérèrent en effet exceptionnellement ces manifestations dans le cadre d’expositions itinérantes comme « Education USA154 ».
108Cependant, à la fin du mandat du président Johnson, la mission de l’USIA en Europe a clairement failli. De retour d’un voyage en Europe de l’Ouest en 1967, le vice-président Hubert Humphrey rapporte que les États-Unis sont avant tout associés aux bombardements, aux émeutes, au crime et à la corruption. Les assassinats de Martin Luther King et de Robert Kennedy en 1968 ont alors un effet dévastateur sur les opinions publiques européennes, qui remettent en cause le « leadership » américain. Ces deux drames successifs, largement médiatisés, représentent alors une véritable aubaine pour les propagandistes soviétiques, qui entretiennent savamment les théories du complot depuis l’assassinat du président Kennedy. De plus, les images des ghettos noirs ont largement terni les représentations d’une Amérique tolérante et généreuse, et les démonstrations de force militaire autrefois synonymes de génie scientifique suscitent plus de crainte que d’envie. Or, la remise en cause du leadership américain la plus inquiétante pour les observateurs de l’USIA, sur le terrain comme à Washington vient de la jeunesse européenne. Particulièrement marquée par la guerre du Vietnam, dubitative quant aux bienfaits du capitalisme, alors que le vent de la réforme semble souffler à l’Est (en Pologne et en Tchécoslovaquie), elle ne semble plus considérer le communisme comme une menace155. À l’évidence, particulièrement en Europe, les années Johnson ont considérablement ralenti, le nouvel élan de l’USIA insufflé par le tandem Kennedy-Murrow.
La diplomatie publique en question (1969-1979)
109Alors que les dix premières années de l’USIA (1953-1963) ont permis l’élaboration et la reconnaissance par les institutions de Washington de la diplomatie publique comme une pratique spécifique de la politique étrangère américaine de guerre froide, malgré les crises, son rôle au plus haut sommet de l’État n’a pas été remis fondamentalement en cause par l’Administration Johnson. Les talents de Leonard Marks, véritable avocat de la diplomatie publique auprès de ses partenaires du département d’État, du Congrès et du NSC, auquel le directeur de l’USIA a été à nouveau invité à participer, ont permis à l’Agence de continuer à être un partenaire légitime dans la pratique de la politique étrangère156. En revanche la longue période des années 1970, représente pour l’USIA une véritable traversée du désert, durant laquelle les relations entre la Maison-Blanche et la direction des services d’information n’ont jamais été aussi troublées et distendues que depuis la présidence d’Harry Truman.
110Durant cette période où les directeurs successifs de l’USIA sont littéralement mis entre parenthèses, les conceptions et les stratégies de la diplomatie publique comme de la politique étrangère deviennent l’apanage du président. Le premier directeur de l’Agence à incarner ce schisme patent entre l’USIA et la Maison-Blanche est le conseiller en communication de la campagne présidentielle de Richard Nixon, Frank Shakespeare, digne héritier des premiers combattants de la guerre froide (cold warriors).
Richard Nixon et Henri Kissinger face à Frank J. Shakespeare : le choix de la « secret diplomacy » (1969-1973)
111Viscéralement opposé au communisme, le nouveau responsable de l’agence d’information de l’Administration Nixon, Frank Shakespeare est doté d’une personnalité qui contraste nettement avec celle de ses prédécesseurs. Fortement conscient de l’érosion sans précédent du pouvoir et de la crédibilité des États-Unis à l’étranger en raison de la guerre du Vietnam, il se montre particulièrement soucieux de sa mission. Après un parcours remarqué dans le monde des médias, en tant que dirigeant de CBS, Frank Shakespeare est nommé directeur de l’USIA (qu’il dirige de 1969 à 1973) en récompense de ses succès remportés en tant que conseiller en communication du candidat Nixon, qu’il a notamment préparé à ses apparitions télévisées. Selon ses détracteurs, ses convictions idéologiques extrêmement marquées sont une entrave à la participation de l’Agence dans la nouvelle politique diplomatique de « détente ». Conservateur convaincu, il est persuadé que la détente est une erreur et mène une politique agressive de lutte systématique contre l’impérialisme soviétique ; il encourage d’ailleurs ses agents tant à Washington que sur le territoire européen à maintenir fermement la ligne anti-soviétique dans leurs programmes d’information. Frank Shakespeare s’entoure en ce sens de conseillers emblématiques du mouvement conservateur, tel William Buckley ou Kenneth Towery qui partagent et entretiennent ses convictions157.
112Durant les années où Frank Shakespeare est à la tête de l’Agence d’information, le département d’État et la Maison-Blanche font peu de cas de ses activités. Les rumeurs qui circulent alors à Washington font apparaître qu’Henry Kissinger, le plus influent conseiller puis le secrétaire d’État du président Nixon, estime que le travail de l’USIA est tout à fait négligeable158. D’ailleurs, Richard Nixon, dès son élection, entendait que les grandes questions de la politique étrangère deviennent en quelque sorte « un domaine réservé » de la présidence, estimant même que le rôle du secrétaire d’État aux affaires étrangères était secondaire159.
113En inadéquation avec la diplomatie secrète (secret diplomacy) prônée par Henry Kissinger160, Franck Shakespeare est exclu des délibérations du Conseil de sécurité nationale, à son grand regret. Or, sous l’influence de Kissinger, comme le remarque à l’époque Raymond Aron, c’est la philosophie même de la politique étrangère américaine qui a changé161. Alors qu’avant lui, l’endiguement défini par George Kennan en 1947 avait pour objectif ultime de forcer l’URSS à une transformation intérieure qui en ferait un partenaire acceptable sur le plan international, il s’agit simplement désormais de maintenir l’équilibre entre les États-Unis et l’URSS sans plus attendre de transformation radicale de celle-ci162. D’un point de vue stratégique Richard Nixon et Henry Kissinger tentent de modifier l’équilibre des puissances ; ils ont choisi de « jouer la carte de la Chine163 » contre l’Union soviétique, s’engouffrant ainsi dans la brèche créée au sein du bloc communiste par les rivalités idéologiques et politiques entre les régimes de Moscou et de Pékin. Dans cette perspective, l’USIA et ses activités en Europe de l’Ouest comme de l’Est sont d’autant plus facilement reléguées au second plan dans la machine de la politique étrangère. Durant la première moitié des années 1970, les United States Services (USIS) en Europe sont considérablement réduits, au profit notamment des services d’information récemment créés en Afrique ou en Asie pour répondre aux priorités géo-stratégiques imposées par le développement économique et politiques des pays non-alignés164. L’Agence d’information a dès lors pour mission de promouvoir la politique étrangère et non de l’élaborer. À la fin des années 1970, l’USIA bénéficiera malgré tout du voyage secret de Kissinger en Chine, préparant notamment l’arrêt des brouillages de la Voix de l’Amérique.
114Frank Shakespeare, dont les priorités ne sont manifestement pas tout à fait les mêmes que celle de la Maison-Blanche, quitte la direction de l’USIA après la réélection triomphale de Richard Nixon. La fin de l’ère Shakespeare correspond alors, dans une certaine mesure, à la fin de la guerre idéologique systématique. Son successeur, James Keogh, un ancien rédacteur du magazine Time, puis de certains discours du président lors de son premier mandat, dirige l’USIA en toute discrétion pendant la période troublée de 1974 à 1977 où l’Administration Ford, succède brutalement à l’Administration Nixon165.
115Sur la fin du conflit au Vietnam et le scandale du Watergate, la ligne adoptée par l’USIA est à l’image de son directeur, sobre et professionnelle. Les faits relatifs au scandale impliquant le président et qui entraîneront sa chute sont rapportés dans leur totalité sans prise de position particulière par les différents médias de l’Agence. C’est en effet pendant la période où James Keogh dirige l’USIA que la Voix de l’Amérique acquiert une reconnaissance internationale. Fidèle à ses convictions d’ancien journaliste du magazine Time, il ne cède pas aux pressions exercées pour museler la Voix de l’Amérique, et son intégrité s’en trouve renforcée166. Finalement, pour les opinions publiques européennes en particulier, le coup sans précédent porté à la plus haute institution des États-Unis lors du scandale du Watergate n’aura pas autant entaché l’image du leader du monde libre que l’engagement des troupes américaines au Vietnam. Pour l’opinion publique européenne, telle qu’elle est sondée par les différents PAOs alors en poste en Europe, l’Administration Nixon est avant tout celle qui a signé en janvier 1973, le cessez-le-feu au Vietnam. Bien que le scandale du Watergate soit largement médiatisé en Europe et que le sujet puisse fasciner, il ne provoque pas la même indignation sur le plan moral, ni ne suscite les mêmes sentiments d’anti-américanisme167.
116Or, à l’automne 1976, l’organisation de l’USIA et les méthodes de la diplomatie publique devaient à nouveau être remises en question. Les conceptions de l’USIA telles que celles d’un Frank Shakespeare, parfait héritier des « guerriers de la désinformation » des années soixante, déjà mises à mal par la consolidation de la détente, sont totalement bouleversées par les ambiguïtés de la présidence Carter en matière de politique étrangère.
Carter et la parenthèse de l’USICA, fin de l’unilatéralisme culturel ? (1977-1981)
« we are now
struggling to enhance equality of opportunity. Our commitment to
human rights must be absolute, our laws fair. […] The powerful must
not persecute the weak and human dignity must be
enhanced ».
Extrait du discours
d’investiture du président Jimmy Carter cité par le directeur de
l’USIA, John E. Reinhardt, le 7 avril 1977168.
117Alors que la politique étrangère américaine traverse une crise sans précédent, l’approche des relations internationales du président Carter, moins expérimenté que son prédécesseur Richard Nixon, est jugée beaucoup trop idéaliste par ses détracteurs et en particulier par les agents de l’USIA, qui l’accuseront d’avoir accentué encore d’avantage les difficultés des services d’information169.
118Comme pour de nombreux autres organes de l’appareil gouvernemental, une réorganisation complète de l’USIA avait été recommandée dès 1974 par une commission dirigée par l’ancien président de CBS, Franck Stanton, sous les auspices du Centre d’études stratégiques et internationales (CSIS) de l’université Georgetown. Frank Stanton, qui dirigeait la commission consultative sur l’information (Advisory Commission on Information) depuis le milieu des années 1960, recommandait une étude approfondie des services d’information depuis 1968170. Apparemment convaincus qu’une nouvelle forme de diplomatie culturelle (cultural diplomacy171) est en train de voir le jour, les membres de la commission Stanton viennent préciser les premières définitions de la diplomatie publique, formulées dix ans auparavant à la fois par Edmund Gullion (qui participe activement aux débats) et par le Congrès172. Le terme de diplomatie publique, popularisé auprès des institutions de Washington par Leonard Marks, est désormais reconnu comme infiniment moins sujet à polémique pour désigner les activités d’information et de propagande d’une part et les activités culturelles d’autre part. Entre avril 1974 et janvier 1975 les débats soulevés par la commission Stanton déchaînent les passions des principaux acteurs de la diplomatie publique ; il s’agit d’établir la pertinence d’une séparation entre les actions menées par le département d’État au sein du CU (Bureau of Educational and Cultural Affairs), celles de l’USIA et même celles de VOA173. Sous l’œil indifférent de la Maison-Blanche, au terme d’affrontements mémorables entre Franck Stanton et James Keogh, la poursuite de la coopération entre l’action culturelle et les missions des services d’information voulue par l’USIA comme par le département d’État eut finalement gain de cause174. Cependant le rapport Stanton devait néanmoins influencer fortement les conceptions de la diplomatie publique au plus haut sommet de l’État. Entre autres recommandations, le Stanton Panel souligna qu’en cette nouvelle ère de détente internationale la mission d’information du gouvernement américain n’était plus la même que lors des premiers temps de la guerre froide idéologique systématique ; l’heure était à l’action culturelle et aux objectifs de long terme175.
119Or, sur le chemin de la diplomatie des idées, les modifications de l’Agence d’information les plus notables se feront à l’initiative du président Carter. C’est en effet sous son Administration qu’en 1978 l’ensemble des activités de la diplomatie publique sont regroupées sous la seule direction de l’USIA. Les activités du département d’État concernant les échanges culturels et éducatifs, dont les programmes Fulbright, sont transférées à l’Agence qui prend le nom de l’USICA (United States International Communication Agency176). Par ailleurs, le directeur de l’USICA n’est plus seulement responsable devant le président, il doit également rendre compte de ses activités au responsable du département d’État. Ce bouleversement annonce en réalité l’absence de communication caractéristique qui présidera aux relations entre la Maison-Blanche et la direction de l’USICA, désormais sous la responsabilité de John Reinhardt. John Reinhardt est le premier agent de terrain (Information Officer) de l’Agence à en prendre la direction en janvier 1977 ; il avait en effet débuté sa carrière au sein de l’USIA en 1956, et, entre 1971 et 1975, il avait été le premier ambassadeur noir américain au Niger, depuis 1975 il occupait les fonctions de conseiller auprès du secrétaire d’État aux Affaires publiques177.
120Ces réorganisations traduisent nettement la volonté d’une nouvelle conception de la diplomatie publique qui, pour le président Carter et ses proches conseillers, ne doit plus se faire sur le mode de la projection unilatérale mais sur celui de la mutualité des échanges178. Conscient des enjeux que représente la nouvelle ère de communication globale dans laquelle la planète toute entière vient d’entrer, le président s’investit lui-même dans la politique que doit mener l’USICA. Le recul des idéologies survenu de facto doit entraîner selon lui un recul de la propagande et des activités officieuses voire occultes de l’agence d’information179. Pour la première fois de son histoire l’Agence est considérée comme un moyen d’informer à la fois à l’étranger et sur le territoire américain.
121Il va s’en dire que cette nouvelle ligne diplomatique est apparue difficilement acceptable aux partisans les plus fervents de la guerre froide idéologique. Et ces changements à la fois organisationnels et conceptuels devaient sans aucun doute marquer un tournant dans la courte histoire de la diplomatie publique ; il ne s’agissait alors plus seulement d’informer pour persuader, mais d’échanger.
Notes de bas de page
2 Les principaux services de presse nationaux (Associated Press et United Press) ne voulant pas voir leur crédibilité remise en cause en cautionnant une propagande officielle, avaient abandonné le département d’État, dès les débuts de « la Campagne de Vérité » lancée par Truman.
3 Walter Lippmann, Public Opinion, New York, Macmillan, 1922.
4 George Catlin, « Propaganda and the Cold War », The Yale Review, automne 1953, p. 104 et p. 106-107.
5 Bien que républicain, Wilson Compton, le nouveau responsable de l’IIA, déjà âgé, manqua du dynamisme nécessaire pour échapper aux vindictes du Congrès. FRUS 1952-1954, vol. 2, part 2, « Department of State announcement no 4, 16 january, 1952 », et Richard T. Arndt, The First Resort of Kings—American Cultural Diplomacy in the Twentieth Century, Washington, D.C., Potomac Books, avril 2005, p. 256.
6 Kenneth Osgood, Total Cold War, Eisenhower’s Secret Propaganda Battle at Home And Abroad, Kansas University Press, 2006, p. 46-47, et « Organizing for National Security », in Robert R. Bowie et Richard H. Immerman, Waging Peace: How Eisenhower Shaped an Enduring Cold War Strategy, New York, Oxford University Press, 1998, p. 83-95.
7 Président Dwight Eisenhower, « Annual Message to the Congress on the State of the Union », February 2nd 1953, in Congressional Record, vol. 99, p. 748.
8 La Commision consultative sur l’information, Advisory Commission on Information (qui de facto prendra le nom de Advisory Commission on Public Diplomacy en 1978), créée dès 1948, eut pour mission à l’origine de superviser l’ensemble des programmes culturels, d’information et d’échanges mis en œuvre par les États-Unis. À partir de 1953, la Commission est une institution bipartite permanente, créée par le Congrès pour proposer des missions et des programmes qui seront menés par l’USIA. « Report – United States Advisory Commission On Public Diplomacy », Washington, D.C., Advisory Commission On Public Diplomacy, 1980, p. 4.
9 Nelson Rockefeller avait été durant l’entre-deux-guerres en particulier, le « magnat » de la diplomatie culturelle en Amérique latine.
10 The President’s Advisory Committee on Government Organization fut créée le 29 janvier 1953.
11 « Committee on International Activities Report », p. 9, « Special Reports », Entry 1009, Record Group 306, Box 22, National Archives II, College Park, MD.
12 « President Eisenhower’s Statement of Mission for USIA », octobre 1953 et « Mission of the United States Information Agency », 13 mars 1954, Central Files, The Dwight D. Eisenhower Library, Digital Document Project, [http://www.eisenhower.archives.gov/dl/hd.htm](en erreur 2020, NDE).
13 L’Administration Eisenhower créa l’Operations Coordinating Board (OCB) en septembre 1953, en remplacement du Psychological Strategy Board (PSB) jugé inefficace car entravé par des rivalités bureaucratiques avec le département d’État. Scott Lucas, Freedom’s War: the US Crusade against the Soviet Union, 1945-1956, New York, New York University Press, 1999, p. 147.
14 « U.S. President’s Committee On Information Activities Abroad », Records, 1959-1961, Entry 83-10, Dwight D. Eisenhower Library Abilene, Kansas, et « Jackson Committee to Eisenhower », 30 juin 1953, FRUS 1952-1954, vol. 2, part 2, p. 1796.
15 Charles Douglas Jackson et William H. Jackson (banquier d’affaires et ancien directeur adjoint de la CIA, il donne son nom à la commission du même nom) n’ont aucun lien de parenté. H. W. Brands, « C.D. Jackson: Psychological Warriors Never Die », in H. W. Brands, Cold Warriors: Eisenhower’s Generation and American Foreign Policy, New York, Columbia University Press, p. 117-137.
16 Il s’agissait plus exactement du Sub-Committee on Overseas Information Programs of the United States of the Committee on Foreign Relations mis en place en juillet 1952. « Subcommittee on Overseas Information Programs of the United States, Staff Study nos 1, 2, 3 », 17 novembre 1952, Washington, D.C., USGPO ; et U.S. Senate, Committee On Foreign Relations, Overseas Information Programs of the United States (The « Hickenlooper Report »), Report no 406, 83rd Congress, 1st Session, 15 juin 1953, Washington, D.C., US GPO, 1953.
17 La commission consultative dirigée par Tracy S. Voorhees (ancien militaire, fondateur du groupe de pression et de vigilance sur les questions de menace idéologique, Committee on Present Danger [CPD]) comptait notamment parmi ses membres Theodore S. Streibert qui devait être le premier directeur de l’USIA. « Interview with Mr Theodore Streibert, by Don North », 10 décembre 1970, « Eisenhower Administration Project », Oral History Research Office, Columbia University, 1971, p. 6.
18 « Reorganizing the foreign affairs agencies of the federal government », p. 8, « Special “S” Reports », Record Group 306, Box 22, National Archives, College Park, MD.
19 « Records of President’s Committee of International Information Activities » (Jackson Committee), Box 1, file « Bearing on Report 4 », U.S. Advisory Commission on Information, 7th semi- annual report to Congress, January 1953, Dwight D. Eisenhower Library, Abilene, Kansas.
20 U.S. Advisory Commission on Information, 7th semi-annual report to Congress, January 1953, « Agency History 1943-2000 », Entry A1-1066 Subject Files 1953-2000, Record Group 306, Box 1, National Archives II, College Park, MD.
21 « Memorandum #14 on Foreign Affairs Organization », April 1953, « Agency History 1943-2000 », Subject Files, Entry A1-1066, Record Group 306, Box 1, National Archives II, College Park, MD.
22 « Interview with Mr Theodore Streibert, by Don North », 10 décembre 1970, « Eisenhower Administration Project », Oral History Research Office, Columbia University, 1971, p. 3, Biographic Files Relating to USIA Directors and Other Senior Officials 1953-2000, USIA Historical Collection, Entry 1069, Record Group 306, Box 29, National Archives II, College Park MD.
23 Les auditions menées par le Sub-Committee on Overseas Information Programs débutèrent en novembre 1952, mais en raison de la campagne menée par le sénateur McCarthy le rapport final de la commission ne fut remis qu’en février 1954. FRUS 1952-1954, vol. 2, part 2, p. 1627.
24 « Reorganizing the foreign affairs agencies of the federal government », p. 11, « Special “S” Reports », Entry 1009, Record Group 306, Box 22, National Archives II, College Park, MD.
25 Matin McGuire était à la fois membre de l’Advisory Commission on Educational Exchange et du Board of Foreign Scholarship. Ibid.
26 Maud Quessard, « Les Adminsitrations présidentielles et la diplomatie publique pendant la guerre froide : controverses autour de l’Agence d’information des États-Unis », in Pierre Melandri et Serge Ricard (dir.), La politique extérieure des États-Unis au xxe siècle : le poids des déterminants intérieurs, Paris, L’Harmattan, 2005, p. 145-166.
27 Wilson P. Dizard, The Strategy of Truth: the Story of the U.S Information Service, Washington, D.C., Public Affairs Press, p. 42.
28 Leo Bogart, Cool Words, Cold War: A New Look at U.S.I.A’s Premises for Propaganda, Washington, D.C., American University Press, 1995, p. xv.
29 McCarthy prétendit non sans un certain culot que les auditions qu’il avait menées auprès des personnels de l’IIA et de VOA avaient contribué à la création d’une agence d’information indépendante. Senate Permanent Subcommittee on Investigations, « Annual Report to the Committee on Government Operations », 83rd congress, 2nd session, Report no 881, Washington, D.C., USGPO, 1954.
30 Theodore Streibert, USIA, « A Commemoration: Telling America’s Story to the World, 1953-1999 », Washington, D.C., The United States Information Agency’s Office of Public Liaison, 1999, p. 20.
31 Au total 40 % du personnel du département d’État fut transféré à l’USIA.
32 Leo Bogart, Cool Words, Cold War: A New Look at U.S.I.A’s Premises for Propaganda, Washington, D.C., American University Press, 1995, p. 16.
33 Hans N. Tuch, Communicating with the world: U.S Public Diplomacy Overseas, New York, St. Martin’s Press, 1990, p. 20.
34 The Mutual Educational and Cultural Exchange Act ; Public Law 87-256, voir infra, note 94.
35 Le but de ce voyage était à l’évidence de tenter d’éradiquer les montées d’anti-américanisme en Europe, en conviant des correspondants de presse à se rendre sur le terrain et en tentant de les convaincre, « USIA Now Target of Senator, Fulbright Shifts His Attack », The San Diego Union, 27 août 1966, p. B2.
36 William Fulbright, The Pentagon Propaganda Machine, New York, Liveright Publishing Corporation, 1970.
37 John W. Finney, « Fulbright is not impressed by the arguments », The New York Times, 2 avril 1972, p. 4. William Fulbright reviendra sur ces accusations dans un ouvrage consacré à la politique extérieure américaine, William Fulbright, The Crippled Giant American Foreign Policy and its Domestic Consequences, New York, Vintage Books, 1972.
38 « USIA Says Programs Face Big Cuts », The New York Times, 25 avril 1972, p. 3 ; William Edwards, « Fulbright Seeks Revenge on USIA », Chicago Tribune, 29 avril 1972, p. W10.
39 Maud Quessard, « Les Adminsitrations présidentielles et la diplomatie publique pendant la guerre froide : controverses autour de l’Agence d’information des États-Unis », in Pierre Melandri et Serge Ricard (dir.), La politique extérieure des États-Unis au xxe siècle : le poids des déterminants intérieurs, Paris, L’Harmattan, 2005, p. 145-166.
40 Ronald I. Rubin, « The Legislative-Executive Relations Of The United States Information Agency », in Parliamentary Affairs, vol. XX, no 2, printemps 1967, p. 158-169.
41 « Senate Restores Propaganda Fund », The New York Times, 1er juin 1955, p. 19.
42 « USIA Activity Called Futile by Rep. Rooney », Chicago Tribune, 26 octobre 1955, « Rooney Criticizes Information Unit », The New York Times, 26 octobre 1955, « Congress Is Cold To USIA Boost », 15 décembre 1955, Winston-Salem (N.C) Twin City Sentinel.
43 Politicien aguerri, Lyndon Johnson a dès 1957 des ambitions présidentielles et n’hésite pas à se servir de la tribune qui lui est offerte pour critiquer ouvertement la politique de l’Administration Eisenhower. George H. Hall, « White House Suffers Sharp Defeat on Funds for USIA », St Louis Post-Dispatch, 19 mai 1957.
44 Les régions les plus touchées par ces réductions drastiques sont celles d’Europe de l’Ouest, la Grande-Bretagne (Leonard Ungalls, « USIA London Unit Dismisses 30 Britons », The New York Times, 26 mai 1957, p. 1), et l’Allemagne (« USIA Plans Cut For West Europe », The New York Times, 23 juillet 1957, p. 12).
45 Lee Nichols, « USIA Official Says Senate Fund Cuts Would Cripple Agency and Aid Russia », The Washington Post, 27 mai 1957, p. A2.
46 Ce type de mise en garde fut notamment formulé par le sénateur Paul J. Cotter, à son retour d’un voyage d’enquête de deux mois en Europe à l’hiver 1957, voir « Clearer Goals Urged for USIA », The Washington Post and Times Herald, 15 février 1957, p. A2.
47 « USIA in Europe », The Washington Post, 12 mai 1957, p. E4 ; Marquis Child, « Politics Jamming Voice of America? », The Washington Post and Times Herald, 22 mai 1957, p. A12.
48 « President Scores Cut Of 37 Million In U.S.I.A. Budget; Calls House Action “Worst Kind Of Economy” », The New York Times, 18 avril 1957, p. 1.
49 Ce tableau a été effectué à partir des chiffres fournis dans les rapports semi-annuels de l’USIA remis au Congrès de 1954 à 1967. Voir USIA, « Semi-annual reports to Congress », 32 vol., Washington, D.C., US Government Printing Office, 1954-1971.
50 Le président Eisenhower redéfinit les missions du National Security Council dans Department of State Bulletin, February 9, 1953, p. 209.
51 Président Dwight Eisenhower, « The State of the Union, Message of President Eisenhower to the Eighty-third Congress », The Department of State Bulletin, February 9, 1953, p. 210.
52 L’OCB sera placé sous la direction de Nelson Rockefeller entre 1954 et 1955. Les relations spécifiques entre l’USIA et le département d’État se font quant à elles par le biais de l’Office of Policy and Programs, en étroite relation avec le ministère de la Défense et les autres agences gouvernementales dont la CIA, voir USIA, « 1st Report to Congress », août-décembre 1953, p. 6.
53 NSC 165/1, « Mission of the United States Information Agency », 24 octobre 1953, FRUS 1952-1954, vol. 2, part 2, p. 1752 ; et NSC 5430, « Status of United States Programs for National Security as of June 30, 1954 », 18 août, 1954, ibid., p. 1777.
54 Ancien patron de la WOR de New York, Theodore Streibert est l’un des fondateurs du Mutual Broadcasting System. « Theodore Streibert, Biography, 1953-1987 », Biographic Files Relating to USIA Directors and Other Senior Officials 1953-2000, USIA Historical Collection, Record Group 306, Box 29, National Archives II, College Park MD.
55 « Interview with Mr Theodore Streibert, by Don North », 10 décembre 1970, « Eisenhower Administration Project », Oral History Research Office, Columbia University, 1971, p. 17-18, ibid.
56 Le plan de réorganisation des programmes d’information en vue de la création de l’USIA est présenté au Congrès par le président Eisenhower le 1er juin 1953, « Reorganisation Plan No. 8 ».
57 En réalité l’Agence est d’abord responsable devant le Conseil de sécurité nationale, lui-même responsable devant le président. C’est le NSC qui établit les missions de l’USIA à partir du 24 octobre 1953, « Mission of the United States Information Agency », NSC 165/1, FRUS 1952-1954, vol. 2, part 2, p. 1752.
58 Dwight Eisenhower, « White House press release July 30 », Department of State Bulletin, vol. 29, 24 août 1953, p. 238.
59 Theodore Streibert, « PR report from abroad », PR Journal, janvier 1955, vol. 11, no 1, p. 9-10.
60 Au milieu des années 1950, l’USIA compte 388 agents de terrain en Europe travaillant dans 66 postes répartis dans 20 pays. FRUS 1955-1957, vol. 9, p. 511.
61 Pour les USIS européens il s’agit d’assurer une promotion médiatique favorable aux activités de l’OTAN auprès des populations visées. Cela se traduit notamment par des articles dans la presse européenne relatant les avancées et l’efficacité du travail des 14 nations appartenant au traité de l’Atlantique nord. L’exemple le plus frappant de ces efforts orchestrés par les services d’information fut sans doute la couverture de la conférence des pays de l’OTAN réunie à Paris en décembre 1954. FRUS 1955-1957, vol. 9, p. 512.
62 William Clark, Deputy Director for Europe, cité dans « PR report from abroad », PR Journal, janvier 1955, vol. 11, no 1, p. 10-12.
63 L’image des États-Unis auprès de la population allemande aurait été en effet améliorée par les premières initiatives culturelles lancées après guerre. Voir Hans Tuch, Communicating with the World: U.S Public Diplomacy Overseas, New York, St. Martin’s Press, 1990, p. 23.
64 « Hearings before the Subcommittee of the Committee on Appropriations », 84th Congress, 1st Session, 1955 ; et « Eisenhower’s Fund », in Naima Prevota, Dance for Export: Cultural Diplomacy and the Cold War, Hanovre/Londres, University Press of New England, 1998, p. 11-22.
65 George V. Allen devant le World Affairs Council de Philadelphie, « Holes in the Iron Curtain », 24 novembre, 1958 ; et « Every Man an Ambassador », in Kenneth Osgood, Total Cold War, p. 214-252.
66 « NSC 151 », 8 mai 1953, FRUS 1952-1954, vol. 2, part 2, p. 1150-1160.
67 Walter Hixson, Parting the Curtain: Propaganda, Culture and the Cold War, 1945-1961, New York, St Martin’s Press, 1997, p. 133-134 et p. 139-142.
68 FRUS 1955-1957, vol. 9, p. 512.
69 Les éditions du New York Times d’avril à juin 1959 rapportent que des centaines de visiteurs se sont précipités aux foires internationales américaines organisées en Tchécoslovaquie, en Pologne et en Yougoslavie, attirés par les principales attractions que représentaient l’exposition « Atoms for Peace », la reproduction d’une maison américaine grandeur nature, et Circarama (un écran à 360° projetant un film des Studios Disney sur les plus beaux sites touristiques américains, cette attraction avait déjà remporté un large succès lors de l’exposition universelle de Bruxelles en 1958).
70 À la suite du XXe Congrès du Parti communiste de l’Union soviétique en 1956, Nikita Khrouchtchev rompt avec la politique stalinienne et met en place la « coexistence pacifique » en relançant notamment les contacts et les échanges avec l’Ouest. Yale Richmond, « The Cultural Agreement », Cultural Exchange and the Cold War. Raising the Iron Curtain, Pennsylvania, The Pennsylvania State University Press, p. 14-20.
71 À la fin de son premier mandat, pour remplacer Ted Streibert qui avait de plus en plus de difficulté à négocier la place de l’USIA au sein des affaires étrangères, Eisenhower nomma pour le remplacer le professeur Arthur V. Larson. Cet ancien doyen de la faculté de droit à l’université de Pittsburgh, était un républicain convaincu. Au cours de l’année 1956, il avait rejoint l’équipe de campagne du président pour écrire un certain nombre de ses discours ; les proches de la Maison-Blanche avaient alors considéré qu’il avait largement contribué à la promotion du président sortant. William Benton voyait en lui un propagandiste avisé, mais c’était sans compter les inimitiés et les querelles partisanes affûtées du Congrès qui eurent rapidement raison du protégé de la Maison-Blanche. Voir « Egghead with troubles », The New York Times, 11 mai 1957, p. 11 ; « USIA as Scapegoat », Washington Post, 19 mai 1957 et Nicholas Cull, The Cold War and the United States Information Agency, American Propaganda and public diplomacy, 1945-1989, Cambridge/New York, Cambridge University Press, 2008, p. 135-149.
72 « U.S. Losing Broadcast War, “Voice Chief Says” », Washington Post, 23 septembre 1958, p. A2 ; « Report: Determining the Impact of Radio Broadcasting to the Soviet Orbit, 1957 », Radio, VOA Program Effectiveness 1942-1996, Entry A1-1066 Subject Files 1953-2000, Record Group 306, Box 81, National Archives II, College Park MD.
73 « Report: Results of Survey conducted in 1957 for the Voice of America by FNS correspondents in the field regarding radio listening habits behind the iron curtain », Radio, Broadcasting to USSR and Eastern Europe 1946-1997, Entry A1-1066 Subject Files 1953-2000, Record Group 306, Box 71, National Archives II, College Park MD.
74 Il va sans dire que l’USIA fut particulièrement attentive aux réactions suscitées outre-Atlantique par cette première technologique. Voir « World Opinion and the Soviet Satellite », 17 octobre 1957, « The Impact of Sputnik upon the Press on Western Europe », 18 octobre 1957, « Special “S” Reports of the Office of Research », Entry 1009 A, Record Group 306, National Archives II, College Park, MD.
75 George V. Allen, « Education: The Best Road to Freedom », 19 octobre 1958, et « Holes in the Iron Curtain », 24 novembre 1958, Biographic Files Relating to USIA Directors and Other Senior Officials 1953-2000, USIA Historical Collection, Record Group 306, Box 3, National Archives II, College Park MD.
76 « The Contribution of Long-Range Programs to foreign Policy Objectives », Robert Payne, Special Assistant to the Director, memorandum for USIA employees, 22 décembre 1959, Biographic Files Relating to USIA Directors and Other Senior Officials 1953-2000, USIA Historical Collection, Record Group 306, Box 1, National Archives II, College Park MD.
77 « Opinions Trends Among America’s European Allies. 1956 », « Special “S” Reports of the Office of Research 1953-63 », Entry 1009 A, Record Group 306, Box 12, National Archives II, College Park, MD.
78 « Reorganizing the foreign affairs agencies of the federal government », p. 14, « Special “S” Reports of the Office of Research », Entry 1009A, Record Group 306, Box 22, National Archives II, College Park, MD.
79 Voir John W. Henderson, The United States Information Agency, New York/Washington, D.C./Londres, Praeger, 1969, p. 56-57.
80 « U.S. President’s Committee On Information Activities Abroad » (Sprague Committee), Records, 1959-1961, Entry 83-10, Dwight D. Eisenhower Library Abilene, Kansas.
81 Le rapport de la commission Sprague fut remis le 23 décembre 1960, après l’élection de John Fitzgerald Kennedy à la Maison-Blanche. À la demande de l’administration sortante l’intégralité du rapport demeura longtemps confidentielle. « Extracts from the Conclusions and Recommendations of the President’s Committee on Information Activities Abroad », p. 3-4, Sprague Committee, file 1, Jackson papers, Box 104, Dwight D. Eisenhower Library Abilene, Kansas.
82 « U.S. Ressources for Foreign Communication and Political Warfare », 9 mai 1960, « People-to-People Activities », 20 juin 1960, Records of the President’s Committee on Information Activities Abroad (Sprague Committee), « Special “S” Reports », Entry 1009 A, Record Group 306, Box 22, National Archives II, College Park, MD.
83 « U.S. President’s Committee On Information Activities Abroad » (Sprague Committee), Records, 1959-1961, Entry 83-10, Dwight D. Eisenhower Library Abilene, Kansas.
84 « Study prepared at the request of the committee on Foreign Relations United States Senate by the Brookings Institution », no 9, 13 janvier 1960, « Agency History 1943-2000 », Subject Files, Entry A1-1066, Record Group 306, Box 1, National Archives II, College Park, MD.
85 Le Service des échanges internationaux (International Exchange Service) fut remplacé par le bureau des Affaires culturelles et éducatives (Bureau of Educational and Cultural Affairs), « Reorganizing the foreign affairs agencies of the federal government », p. 14, « Special “S” Reports », Entry 1009 A, Record Group 306, Box 22, National Archives II, College Park, MD.
86 Voir Fitzhugh Green, American Propaganda Abroad, New York, Hippocrene Books, 1988, p. 35 et Michael R. Beschloss, Mayday: Eisenhower, Khrushchev and the U-2 Affair, New York, Harper & Row.
87 « Edward R. Murrow, Speeches, 1961-1967 », Biographic Files Relating to USIA Directors and Other Senior Officials, 1953-2000, USIA Historical Collection, Record Group 306, Box 20 National Archives II, College Park, MD.
88 Dans ces éditions des 25 et 27 octobre et du 2 novembre 1960 (voir en particulier l’article intitulé « Partial Text of Information Agency’s Report of August 29 on U.S. Prestige ») le New York Times corrobora les allégations de John Kennedy. L’ensemble de ces rapports fut consigné sous l’appellation « Special “S” Reports of the Office of Research », et sont désormais consultables pour partie, pour la période de 1953 à 1963, aux Archives nationales II de College Park, Record Group 306, Box 10.
89 Connu sous le nom de « Ball/Sharon: Report to the Honorable J.F. Kennedy by the Task Force on USIA », 31 décembre 1960, Mission and Policy Directions, Agency History 1943-2000, Subject Files, Entry A1-1066, Record Group 306, Box 1, National Archives II, College Park, MD.
90 « The Mutual Educational and Cultural Exchange Act », Public Law 87-256.
91 Les programmes du sénateur Fulbright sont placés au sein du département d’État, sous l’égide du Bureau of Cultural and Educational Affairs (CU). Voir Philip H. Coombs, The Fourth Dimension of Foreign Policy: Educational and Cultural Affairs and Foreign Relations, New York, Haper & Row, 1964.
92 Philipp H. Coombs est un proche d’Ed Murrow nommé quant à lui à la tête de l’USIA, malgré cette amitié, les relations entre l’Agence d’information et le Bureau des affaires culturelles appelé également CU, ne seront pas idéales entre 1961 et 1964. Les deux structures trop souvent en concurrence chercheront à s’imposer constamment l’une par rapport à l’autre. Richard T. Arndt, The First Resort of King—American Cultural Diplomacy in the TwentiethCentury, Washington, D.C., Potomac Books, avril 2005, p. 288 sq.
93 Voir l’interview de Tom Sorensen par Larry Hall, le 25 juillet 1990, The Foreign Affairs History Collection, Arlington, VA, ADST, 2001.
94 Thomas Sorensen, « New Directions Under The Kennedy Administration », in John Whitton (dir.), Propaganda and the Cold War, A Princeton University Symposium, Washington, D.C., Public Affairs Press, 1963, p. 65.
95 Edward R. Murrow, « A Commemoration: Telling America’s Story to the World, 1953-1999 », Washington, D.C., The United States Information Agency’s Office of Public Liaison, 1999, p. 27.
96 Pour diriger l’Agence d’information Ed Murrow accepte notamment de voir son salaire de présentateur vedette tronqué de 220 000 dollars. « A Startingly Decent Man: He Symbolized Integrity », Washington Star, 28 avril 1965, p. 1.
97 Le personnel de l’USIA est composé alors d’un total de 1 500 agents à l’étranger et de 2 500 sur le territoire national (essentiellement à Washington). Voir « USIA, Facts and Figures, 1962 », « Edward R. Murrow Memorandum and Correspondance, 1961-1965 », Biographic Files Relating to USIA Directors and Other Senior Officials, 1953-2000, USIA Historical Collection, Record Group 306, Box 18, National Archives II, College Park, MD.
98 Thomas Sorensen, « New Directions Under The Kennedy Administration », in John Whitton (dir.), Propaganda and the Cold War, A Princeton University Symposium, Washington, D.C., Public Affairs Press, 1963, p. 67.
99 Le budget de l’agence pour l’année 1962 représentait 131,6 millions de dollars. « USIA, Facts and Figures, 1962 », « Edward R. Murrow Memorandum and Correspondence, 1961-1965 », Biographic Files Relating to USIA Directors and Other Senior Officials, 1953-2000, USIA Historical Collection, Record Group 306, Box 18, National Archives II, College Park, MD.
100 En 1962, selon les estimations de l’USIA, 600 millions de personnes de par le monde voit chaque mois un film américain (ce qui correspond à une diffusion en 52 langues différentes). Richard Dyer MacCann, Film and Foreign Policy: The USIA 1962-1967, Cinema Journal, automne 1969, p. 23-42.
101 Quelques jours après le début de la construction du Mur de Berlin, le 13 août 1961, Ed Murrow s’était rendu dans la ville symbole de la déchirure entre l’Est et l’Ouest. Voir USIA, 17th Review of Operations, 1 July-31 December 1961, p. 5-7.
102 « Edward R. Murrow, Speech to Representatives of Film Industry in Hollywood, 5 November 1961 », « Edward R. Murrow, Announcements, 1961 », Biographic Files Relating to USIA Directors and Other Senior Officials, 1953-2000, USIA Historical Collection, Record Group 306, Box 18, National Archives II, College Park, MD.
103 « Evelyn Lincoln Memorandum to Ed Murrow », 4 mai 1962, « Edward R. Murrow Memorandum and Correspondance, 1961-1965 », Biographic Files Relating to USIA Directors and Other Senior Officials, 1953-2000, USIA Historical Collection, Record Group 306, Box 18, National Archives II, College Park, MD.
104 The Five Cities of June, commenté par Charlton Heston, présente en miroir l’histoire, en juin 1963, de cinq villes, théâtres d’événements exceptionnels ou caractéristiques de la période du début des années 1960 : la ville du Vatican lors du décès du pape Jean XXIII et de la nomination de son successeur Paul VI à la basilique Saint-Pierre, une ville inconnue d’Union soviétique depuis laquelle la première femme cosmonaute fut envoyée dans l’espace, Valentina Tereshkova, la ville de Binh Thuy au Sud-Vietnam qui fut totalement détruite par les communistes en juin 1963, la ville de Tuscaloosa, Alabama où le 11 juin 1963 deux étudiants noirs, Vivian Malone et James Hood furent escortés par les autorités fédérales pour entrer à l’université d’Alabama, la ville de Berlin Ouest où JFK se rendit en juin 1963 et prononça son célèbre discours intitulé « Let them come to Berlin » (dont la formule la plus célèbre fut « Ich bin ein Berliner »), et la ville de Berlin Est défigurée par le Mur. Documentaire disponible aux Archives nationales II de College Park, MD.
105 Nicholas J. Cull, « Auteurs of Ideology: USIA Documentary Film Propaganda in the Kennedy Era », Film History, no 10, 1998, p. 298-310.
106 Richard D. McCann, op. cit., p. 23-42.
107 Après le premier contrôle exercé par les responsables du service cinéma, chaque direction responsable d’une zone régionale (correspondant à une des cinq aires géographiques sus-nommées) devait se prononcer à son tour. La diffusion d’un film ou d’un documentaire à l’étranger obtenait son aval si et seulement si le sujet et/ou son traitement était jugé recevable auprès des populations ciblées. Au début des années 1960, les agents de la zone Europe de l’Ouest estimèrent par exemple qu’un film intitulé Island of Promise devait sans doute être adapté pour le continent sud-américain mais certainement pas pour le public européen. Voir Anthony Guarco, « Film Entitled the Island of Promise », 30 août 1962, « Edward R. Murrow, Announcements », Biographic Files Relating to USIA Directors and Other Senior Officials, 1953-2000, USIA Historical Collection, Record Group 306, Box 18, National Archives II, College Park, MD.
108 Voir Edward R. Murrow, « Memorandum and Correspondance, 1961-1965 », Biographic Files Relating to USIA Directors and Other Senior Officials, 1953-2000, USIA Historical Collection, Record Group 306, Box 18, National Archives II, College Park, MD.
109 Le scandale fut rapporté dans l’édition du jeudi 23 mars 1961 de The Evening Star, « Murrow failed to bar his TV film in Britain », p. 14 ; pour l’ensemble de ces références voir : « Edward R. Murrow Harvest of Shame, 1961 », et « Edward R. Murrow, Press Coverage, 1961-1987 », Biographic Files Relating to USIA Directors and Other Senior Officials, 1953-2000, USIA Historical Collection, Record Group 306, Boxes 18 et 20, National Archives II, College Park, MD.
110 Cette revendication contrasta également avec la ligne adoptée par George Allen, dont la devise pour l’USIA était « de l’information et rien que de l’information », Fitzhugh Green, American Propaganda Abroad, New York, Hippocrene Books, 1988, p. 37.
111 Thomas H. Sorensen est l’auteur de The Word War: the Story of American Propaganda, New York, Harper and Row, 1968, compte tenu de son experience passée au service de l’USIA, Ed Murrow lui offrit très rapidement le poste de Deputy Director for Policy and Plans.
112 Jusque alors ce rôle de conseil auprès des institutions sur les politiques d’information avait été tenu officiellement par la Commission consultative sur l’information, l’Advisory Commission on Information, voir John W. Henderson, The United States Information Agency, New York/Washington, D.C./Londres, Praeger Library of U.S Government Departments and Agencies, 1969, p. 57.
113 Thomas Sorensen, « New Directions Under The Kennedy Administration », in John Whitton (dir.), Propaganda and the Cold War, A Princeton University Symposium, Washington, D.C., Public Affairs Press, 1963, p. 66.
114 William S. Paley, As It Happened, Garden City, New York, Doubleday and Co., 1979, p. 296.
115 Mark Haefele, « John F. Kennedy, USIA, and the World Public Opinion », Diplomatic History, vol. 25, no 1, hiver 2001, Boston MA/Oxford U.K, Blackwell Publishers, p. 61-84.
116 Leur relation n’est que de courte durée, puisque A. Dulles quitte la CIA en novembre 1961, mais le directeur de l’USIA mettra un point d’honneur à conserver une relation constructive avec l’agence de Langley. Ann M. Sperber, Murrow: His Life and Times, New York, Fordham University Press, 1986, p. 636.
117 C’est son sous-directeur Donald Wilson qui le remplacera dans cette tâche, Murrow souffrant d’une pneumonie liée à son cancer était alors hospitalisé.
118 Michael Nelson, War of the Black Heavens, The Battle of Western Broadcasting in the Cold War, Syracuse/New York, Syracuse University Press, 1997, p. 103.
119 Interview de Tom Sorensen par Larry Hall, le 25 juillet 1990, The Foreign Affairs History Collection, Arlington, VA, ADST, 2001.
120 « Presidential Statement J.F Kennedy, “Memorandum for the Director, United States Information Agency” », The White House, 25 janvier 1963, cité dans USIA, « A Commemoration: Telling America’s Story to the World, 1953-1999 », Washington, D.C., The United States Information Agency’s Office of Public Liaison, 1999, p. 25.
121 Traduction des mots de Kennedy à P. H. Speak, cité dans Arthur M. Schlesinger, Les milles jours de Kennedy, Paris, Denoël, 1966, p. 459.
122 Voir Yves Eudes, La Conquête des esprits : l’appareil d’exportation culturelle des États-Unis vers le tiers-monde, Paris, F. Maspero, 1982.
123 Sur le terrain, l’action des Peace Corps est alors considéré comme complémentaire de celle des agents de l’information. Voir « Edward R. Murrow Memorandum and Correspondance, 1961-1965 », Biographic Files Relating to USIA Directors and Other Senior Officials, 1953-2000, USIA Historical Collection, Record Group 306, Box 18, National Archives II, College Park, MD.
124 Michael E. Latham, Modernization as Ideology: American Social Science and « Nation Building » in the Kennedy Era, Chapel Hill, University of North Carolina Press, 2000, p. 166-167.
125 Depuis 1955 l’URSS s’intéressait de près à l’émancipation des nations africaines en particulier, comme celle du Congo belge en 1960 qui représenta une occasion pour Moscou de tenter de s’infiltrer sur le continent africain. Voir « La politique soviétique à l’égard des pays non alignés », in Georges-Henri Soutou, La Guerre de cinquante ans, p. 365-367.
126 Wilson P. Dizard, Inventing Public Diplomacy. The Story of the United States Information Agency, op. cit., p. 91.
127 Concernant les divergences de point de vue et de ton entre les principaux responsables de VOA et de l’USIA, voir Richard T. Arndt, The First Resort of Kings, op. cit., p. 320 et p. 324.
128 Ed Murrow donna sa démission immédiatement après l’assassinat du président Kenendy à Dallas le 22 octobre 1963 ; Lyndon Johnson le persuada de rester encore quelques mois, ce qu’il fit avant de se retirer dans sa ferme près de New York où il décéda en avril 1965. Immédiatement après sa disparition, ses plus brillants collaborateurs, notamment Don Wilson et George Stevens, qui avaient fait les heures de gloire de l’USIA, abandonnèrent les services d’information. Parmi les nombreux hommages qui furent rendus à cette figure incontournable de l’histoire du journalisme et de la diplomatie publique, le plus significatif fut sans doute la création, l’année suivant sa disparition, d’un centre de recherches dédié à la diplomatie publique au sein de l’université de Tufts. « Edward R. Murrow, Obituaries and Tributes, 1965-1996 » et « Edward R. Murrow, Center for Public Diplomacy, 1966-2000 », Biographic Files Relating to USIA Directors and Other Senior Officials, 1953-2000, USIA Historical Collection, Record Group 306, Box 23, National Archives II, College Park, MD.
129 Ce documentaire de 88 minutes commenté par Gregory Preck et produit par l’USIA retrace les 1 000 jours de la présidence de John Fitzgerald Kennedy, de la cérémonie d’investiture en 1961 à l’assassinat de Dallas le 22 novembre 1963 ; il a pour ambition de montrer « six visages de la Nouvelle frontière » : les Peace Corps, l’Alliance pour le progrès (The Alliance for Progress), les droits civiques, le programme spatial, la politique de désarmement et de recherche de la paix, la crise de Cuba, la crise de Berlin, son voyage au Costa Rica, son discours devant le Mur de Berlin et son séjour dans la maison de famille des Kennedy en Irlande. Documentaire disponible aux Archives nationales II de College Park, MD.
130 Alvin Snyder, Warriors of Disinformation, American Propaganda, Soviet Lies and the Winning of the Cold War, New York, Arcade Publishing, Inc., 1995, p. 18.
131 House Subcommittee on International Organizations and Movements of the Committee on Foreign Affairs, Ideological Operations and Foreign Policy: Winning the Cold War: The U.S. Ideological Offensive, Report no 2, 27 avril 1964.
132 Voir Carl T. Rowan, « LBJ and the Civil Rights Revolution », Breaking Barriers, A Memoir, Boston/Toronto/Londres, Little, Brown and Co., 1991, p. 236-252.
133 Interview réalisée par Howard K. Smith, présentateur de ABC News, « Transcript of Carl T. Rowan’s Appearance on “Issues and Answsers” », 2 février 1964, « Carl T. Rowan, 1957-1998 », Biographic Files Relating to USIA Directors and Other Senior Officials, 1953-2000, USIA Historical Collection, Record Group 306, Box 26, National Archives II, College Park, MD.
134 Pour le nouveau président en quête de légitimité il s’agissait également de contrevenir aux rumeurs le décrivant comme un démocrate Texan qui, sur la question raciale, n’aurait été progressiste que dans ses discours (voir l’article de Maggie Higgins dans le Washington Daily News, 22 janvier 1964). Le premier choix de Lyndon Johnson pour remplacer le très regretté Eward Murrow s’était en réalité porté sur son ami, le directeur de CBS, Frank Stanton. Ce dernier, déjà courtisé à plusieurs reprises par l’Administration précédente, déclina l’offre, mais s’engagea à diriger la Commission consultative sur l’information (Advisory Commission on Information). Voir Freedom of Information Center Report no 208, « USIA: From Murrow to Marks, School of Journalism », University of Missouri at Columbia, septembre 1968, p. 1.
135 Le Washington Star, le Miami Herald, le Northern Virginia Sun ou encore le Chicago Daily News, se montrèrent particulièrement critiques décrivant Carl Rowan comme « un éléphant dans un magasin de porcelaine ». « USIA in the Nation’s News », no 185, 3 février, 1964, p. 2, « Carl T. Rowan, 1957-1998 », Biographic Files Relating to USIA Directors and Other Senior Officials, 1953-2000, USIA Historical Collection, Record Group 306, Box 26, National Archives II, College Park, MD.
136 Voir Carl T. Rowan, « LBJ and the Civil Rights Revolution », Breaking Barriers, A Memoir, Boston/Toronto/Londres, Little, Brown and Co., 1991, p. 240-242.
137 Mary L. Dudziak, Cold War Civil Rights: Race, Resistance and the Image of American Democracy, Princeton, Princeton UP, 2000.
138 Mary L. Dudziak, « The 1963 March on Washington: At Home and Abroad », Revue française d’études américaines, no 107, mars 2006, p. 61-76.
139 Carl T. Rowan, op. cit., p. 253-268.
140 Nine from Little Rock retraçait la mémorable entrée de neuf élèves noirs, en 1957, dans un lycée réservé jusqu’alors exclusivement aux Blancs. Pour faire appliquer la décision de la Cour suprême de 1954 déclarant la ségrégation anticonstitutionnelle, le président Eisenhower avait été contraint d’envoyer l’armée dans la ville de Little Rock ; cet événement avait été relayé à loisir par la presse européenne à la télévision et dans les journaux. Bien qu’averti par les sondages d’opinion et les rapports alarmants des USIS européens sur les réactions anti-américaines suscitées par un tel événement, à l’époque le département d’État dirigé par John Foster Dulles n’avait pas jugé utile de faire de la question des droits civiques un véritable enjeu de la politique étrangère. Voir Wilson P. Dizard, op. cit., p. 119-120.
141 Face à l’urgence que représente le bourbier vietnamien, le personnel de l’USIA en Europe est considérablement réduit, et les agents se voient assignés de nouvelles missions essentiellement au Vietnam, mais aussi en Égypte où le président Nasser est entré en croisade contre l’Amérique et favorise l’influence soviétique au Moyen-Orient menaçant fortement les intérêts américains. Ces remaniements se font au détriment des politiques mises en œuvre jusqu’alors pour consolider les avancées de l’Europe de l’Ouest et accentuer les fissures à l’Est. Voir Fitzhugh Green, op. cit., p. 145-158.
142 Voir les éditions du New York Times, 14 juillet 1965 et du The Washington Post, 10 juillet 1965.
143 Voir « Marks Leonard Harold Current Biography, June 1966 », « Leonard H. Marks Biography, 1965-1993 », Biographic Files Relating to USIA Directors and Other Senior Officials 1953-2000, USIA Historical Collection, Record Group 306, Box 12, National Archives II, College Park MD.
144 « USIA in the Nation’s News », no 185, 3 février, 1964, p. 4, « Carl T. Rowan, 1957-1998 », Biographic Files Relating to USIA Directors and Other Senior Officials, 1953-2000, USIA Historical Collection, Record Group 306, Box 26, National Archives II, College Park, MD.
145 Fitzhugh Green, op. cit., chapitre 12, « Crisis Posts-Vietnam Included », p. 145-158.
146 Voir « The Murrow Years », in Wilson P. Dizard, op. cit., p. 96.
147 John Mecklin, Mission in Torment, Garden City, N.J., Doubleday & Co., 1965.
148 Pour l’année 1965, le président Johnson avait demandé 171 millions de dollars pour les services d’information, il en demanda 8 millions supplémentaires l’année suivante. Voir Congressional Quaterly, 7 octobre, 1966, p. 2401, « Leonard H. Marks Directives, 1964-1968 », Biographic Files Relating to USIA Directors and Other Senior Officials 1953-2000, USIA Historical Collection, Record Group 306, Box 11, National Archives II, College Park MD.
149 United States Advisory Commission on Information 22nd Annual Report, Washington, D.C., United States Advisory Commission on Information, mars 1966.
150 Tad Szulc, The New York Times, 28 janvier 1965.
151 Il s’agit alors essentiellement des radios dites « de Munich », Radio Liberty et Radio Free Europe.
152 V. Shimanovsky, « U.S. Overseas propaganda », International Affairs, juin 1967, p. 16-18.
153 Le 2 août 1968, le Congrès vote le Pell-Hays Bill créant ainsi le Foreign Service Information Officer Corps.
154 Voir « A Space Age USIA », Foreign Service Journal, mars 1968, p. 30-32 ; « Effect of the Moon Landing On Opinions in Six Countries », 12 septembre 1969, « Special “S” Reports » of the Office of Research », Entry 1009 A, Record Group 306, National Archives II, College Park, MD.
155 Voir « The American Image abroad », 11 décembre 1967, p. 15, et « Violence in American Cities », 28 juillet 1968, « Leonard H. Marks Papers », Biographic Files Relating to USIA Directors and Other Senior Officials, 1953-2000, Record Group 306, Box 14, National Archives II, College Park, MD.
156 Pour l’historien Nicholas Cull, Leonard Marks fut le chantre privilégié de la diplomatie publique pour avoir largement diffusé et revendiqué ce terme auprès des institutions de Washington, « Public Diplomacy and A Public Diplomat: Leonard Marks at the USIA », op. cit., p. 256-266.
157 Robert Keatley, « Playing It Straight. New USIA Head Talks Conservatively, but He Vows to Seek Balance », The Wall Street Journal, 23 décembre, 1969, p. 7 ; et « The Change Is Discernible Under New Regime at USIA », The Washington Post, lundi 12 janvier 1970, p. A3.
158 Hans Tuch, op. cit., p. 31.
159 William Howard Anthony, « Public Diplomacy and the Nixon Doctrine, Reaction by the Foreign and American Media and the U.S. Information Agency’s Role », Ph.D Dissertation, George Washington University, février 1976.
160 « Memorandum for the President from Henry Kissinger Subject: Your Talk with Frank Shakespeare », 25 novembre, 1970, FG 230: US Information Agency (1969-1970), Subject Files: Confidential Files 1969-1974, Nixon Presidential Material Staff, White House Special Files, White House Central Files, Box 25, National Archives II, College Park MD.
161 Raymond Aron, « Richard Nixon and the Future of American Foreign Policy »,The Atlantic Community Quaterly, hiver 1972-1973, vol. 10, p. 437-445 ; et Georges-Henri Soutou, La guerre de cinquante ans, les relations Est-Ouest 1943-1990, Paris, Fayard, 2001, p. 585.
162 Helmut Sonnenfeldt, Staff Report, « Issues in US-Soviet Relations Requiring Early Decision », 14 janvier 1969, Staff Reports folder 4, HAK Administrative and Staff Files-Transition, Box 3, Nixon Presidential Materials Project, National Security Council Files, Henry A. Kissinger Office Files, National Archives II, College Park, MD (2006).
163 L’expression « playing the China card » est empruntée à Henry Kissinger ; elle fait notamment référence aux pourparlers secrets entamés à la fois avec Moscou et Pékin en 1971, dans le but d’instaurer une « diplomatie triangulaire » et de créer ainsi un nouvel équilibre des relations internationales. Henry Kissinger (dir.), Kissinger Transcripts: The Top Secret Talks with Beijing and Moscow, New York, New Press, 1999 ; et Evelyn Goh, « Nixon, Kissinger, and the “Soviet Card” in the U.S. Opening to China, 1971-1974 », Diplomatic History, vol. 29, juin 2005, p. 475-502.
164 Voir Wilson P. Dizard, op. cit., p. 103.
165 « Memorandum for Henry Kissinger from James Keogh Subject: New Statement of Mission for the United States Information Agency », 9 avril, 1973, US Information Agency (1971-1974), Box 25, Subject Files: Confidential Files 1969-1974, FG 230: Nixon Presidential Material Staff, White House Special Files, White House Central Files, National Archives II, College Park MD.
166 Voir « The Voice of America », in Hans Tuch, op. cit., p. 88-89.
167 USIA, Office of the Director, « Memorandum Jim Keogh to President », 20 juillet 1973, US Information Agency (1971-1974), Box 25, Subject Files: Confidential Files 1969-1974, FG 230: Nixon Presidential Material Staff, White House Special Files, White House Central Files, National Archives II, College Park MD (2006).
168 Incipit du plan d’action annuel du directeur de l’USIA adressé à tous les personnels de l’Agence pour l’année 1977. USIA, Office of the Director, « John E. Reinhardt, Director to All Employees in Washington, All Americans Overseas », 7 avril 1977, « John E. Reinhardt Papers, 1968-1978 », Biographic Files Relating to USIA Directors and Other Senior Officials, 1953-2000, Record Group 306, Box 24, National Archives II, College Park, MD.
169 La taille et le nombre des USIS à l’étranger sont considérablement réduits, notamment en Europe. Durant cette période, les agents des services d’information ne sont plus que 8 500, alors qu’ils étaient 12 500 lors de la création de l’USIA en 1953. Voir chapitre 3, « Changes under Carter », in Fitzugh Green, op. cit., p. 41-48.
170 Voir « American Leaders’ Reaction to the Report on “The Future of U.S. Public Diplomacy” » et « Urge Bipartisan Commission to Review U.S. Information Policy », Committee on Foreign Affairs, 22 décembre 1968, USIA information folder 7, HAK Administrative and Staff Files-Transition, Box 3, Nixon Presidential Materials Project, National Security Council Files, Henry A. Kissinger Office Files, National Archives II, College Park, MD (2006).
171 L’occurrence du terme de cultural diplomacy était si peu fréquente dans la littérature des affaires étrangères américaine, que l’on considère que le rapport Stanton est le premier document officiel à en donner une définition.
172 Les membres de la commission Stanton sont essentiellement issus des commissions parlementaires sus-nommées consacrées à l’information et aux échanges culturels et éducatifs internationaux. Parmi les personnalités les plus connues et les plus influentes, Walter Roberts et W. Philips Davidson furent réunis au comité directeur, Leonard Marks représenta la commission consultative sur les affaires culturelles et les échanges internationaux, George Gallup la commission consultative sur l’information, et Edmund E. Gullion la Fletcher School de l’université de Tufts. « Stanton Panel Report: International Information Education and Cultural Relations: Recommendations for the Future », Washington, D.C., CSIS, Georgetown University, 1975.
173 Voir Malone Gifford, Political Advocacy and Cultural Diplomacy : Organizing the Nation’s Public Diplomacy, Lanham, MD, University Press of America, 1988, p. 100-101.
174 Voir Nicholas Cull, The Cold War and the United States Information Agency, American Propaganda and public diplomacy, 1945-1989, Cambridge/New York, Cambridge University Press, 2008, p. 340-341.
175 Léo Bogart, op. cit., p. 15.
176 Ces modifications furent annoncées par le président Carter dans le Reorganization Plan no 2, du 11 octobre 1977. L’agence reprendra le nom d’USIA sous la présidence de Ronald Reagan, en 1982, à la grande satisfaction de ses agents de terrain, qui supportent mal la confusion liée à ces modifications sémantiques. Les services de l’agence, USIS, étaient en effet plus reconnaissables pour leurs interlocuteurs étrangers, sous leur nom d’origine ; en Europe, l’ICA (International Communication Agency) était souvent confondue avec la CIA. Fitzugh Green, op. cit., p. 42-43.
177 Voir « Black Diplomat Held Carter USIA », The Washington Post, 4 janvier 1977, p. A5.
178 « USIA Director Seeks New Consensus on Public Diplomacy », United States Information Agency News Release, 28 mai 1977, p. 1, « John E. Reinhardt Papers, 1968-1978 », Biographic Files Relating to USIA Directors and Other Senior Officials, 1953-2000, Record Group 306, Box 24, National Archives II, College Park, MD.
179 « Carter directed the Agency to undertake no activities which are covert, manipulative, or propagandistic », Allen C. Hansen, USIA: Public Diplomacy in the Computer Age, New York, Praeger, 1984, p. 7.
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