Chapitre I. Genèse institutionnelle et conceptuelle : la démocratie américaine en propagande
Réticences historiques de Washington et urgence de la situation internationale, bien-fondé de la « campagne de vérité »
p. 31-56
Texte intégral
1Aux lendemains de la Première Guerre mondiale, Harold Lasswell, célèbre professeur en sciences politiques à l’université de Yale, prédisait que compte tenu de la manière dont les gouvernements impliqués dans la première guerre totale du xxe siècle avaient mobilisés les masses, la propagande deviendrait sans doute un des traits caractéristiques de la vie moderne :
« Les praticiens, les professeurs, les enseignants et les théories de la propagande sont en train de se développer. On peut s’attendre à ce qu’à l’avenir, les gouvernements s’en remettent de plus en plus aux professionnels de la propagande pour obtenir conseil et assistance1. »
2À la fin des années 1920, le professeur Lasswell faisait remarquer à juste titre que la propagande était à l’aube d’une nouvelle ère, celle des experts en relations publiques, des spécialistes de la guerre psychologique, des conseillers en images et autres mentors. Déjà, ces bouleversements observés par Lasswell s’inscrivaient dans une révolution des moyens, techniques et usages de la communication.
Les stratégies de la nouvelle diplomatie et de la guerre totale
3La concomitance de la Première Guerre mondiale et de la révolution de la communication internationale a en effet transformé les relations internationales, et les pratiques de la politique étrangère.
L’expérience de la Première Guerre mondiale : le CPI ou le Creel Committee
« If my
convictions have any validity, opinion ultimately governs the
world. »
Woodrow Wilson, 19152
4Avant la Première Guerre mondiale la diplomatie était avant tout considérée, et particulièrement par les États-Unis, comme la relation formelle existant entre les gouvernements. À quelques rares exceptions près, cela ne paraissait ni nécessaire ni approprié de tenter de rentrer en contact avec la population d’une autre nation sans passer par la voie officielle3.
5Les exceptions à la règle devinrent nécessaires au moment de la Première Guerre mondiale. Durant les premières années du conflit les États-Unis furent la cible privilégiée d’une guerre des propagandes entre les Britanniques et les Allemands, pour empêcher que toute forme d’assistance militaire ou financière venue d’outre-Atlantique ne soit accordée à l’adversaire. La supériorité des Britanniques en matière de réseaux de communication et de guerre de l’information conféra à Londres un avantage certain dans la lutte pour la conquête de l’opinion publique américaine. Pour Washington cela signifiait qu’une fois que les troupes américaines auraient rejoint le conflit, il faudrait être capable de rivaliser avec les moyens de communication britanniques pour assurer les intérêts américains4.
6Le président Wilson avait compris que pour mettre en œuvre sa vision d’un nouvel ordre mondial reposant sur des notions telles que : gouvernements démocratiques, libre-échange, diplomatie « ouverte » ou sécurité collective, il faudrait mettre fin au contrôle de l’information par les nations étrangères et plus particulièrement européennes. Le président américain devait d’ores et déjà faire de la communication une priorité nationale, et dans ce but il encouragea les industries du secteur privé à améliorer la puissance américaine en matière de transmissions télégraphiques, de services d’information, de production cinématographique, de transports aériens ou encore de communication par câble5. Si bien qu’une semaine à peine après que les États-Unis furent entrés en guerre, le président Wilson mit en place la première agence de propagande officielle du gouvernement américain, et nomma le journaliste progressiste George Creel pour la diriger.
7Son but, pour soutenir l’effort de guerre, était de faire connaître le plus largement possible les intentions des États-Unis dans le conflit en utilisant les techniques modernes d’information et en ayant recours, le cas échéant, à la propagande et à la censure6. George Creel, comme le président Woodrow Wilson, était particulièrement sensible aux connotations péjoratives attachées au terme de propagande (depuis la création, à Rome au xviie siècle, du Congregatio De Propaganda Fide7). Il mit un point d’honneur à ce que le mot « information » soit utilisé pour décrire ses activités ; de ce fait la structure institutionnelle qu’il était chargé de diriger prit le nom de Committee on Public Information, ce qui représentait à la fois un euphémisme et les prémices d’un développement d’activités nouvelles dans ce domaine.
8Le CPI sous la houlette de George Creel utilisa la majeure partie des ressources mises à sa disposition pour développer des activités de propagande sur le territoire national. Il s’agissait d’encourager les Américains à tout ce que pouvait représenter l’effort de guerre : le rationnement de certaines denrées et l’utilisation de bons alimentaires, la participation aux industries de guerre, ou, mieux encore, l’engagement militaire8.
9À l’étranger, les moyens mis en œuvre par le CPI pour développer des activités de propagande furent néanmoins particulièrement remarquables ; ses bureaux étaient alors installés dans une trentaine de pays sur l’ensemble de la planète, à l’exception du continent africain, qui du fait de la colonisation, était considéré alors comme une simple extension de l’Europe. Pour contrer la domination de certaines nations en matière d’information, George Creel créa une agence d’information gouvernementale, répondant au nom de Compub. Cette dernière permettait au CPI de transmettre très largement, auprès des différents canaux de diffusion étrangers (presse, radios), des informations concernant l’effort de guerre américain, des discours officiels, ainsi que des points de vue américains sur les actualités du moment. Par le truchement du CPI, le président Wilson fut le premier chef d’État à s’adresser au monde entier (la plupart de ses discours étaient traduits et transmis dans de nombreux pays en moins de vingt-quatre heures), ce qui fit de lui le porte-parole des Alliés9. Mais ce fut plus particulièrement au moment où les troupes américaines se joignirent au combat contre l’Allemagne sur le terrain que le dispositif mis en place par George Creel contribua à des opérations de guerre psychologique, appelées aussi par les Américains « propagande des tranchées ». Il s’agissait en plus des pamphlets et autres tracts anti-allemands, largués par avion, d’avoir recours à la désinformation en diffusant dans la presse étrangère, y compris allemande, des rumeurs et des contre-vérités destinées à atteindre le moral des troupes adverses10.
10Malgré les efforts considérables entrepris par le CPI à l’étranger et l’issue du conflit à l’avantage des Américains, le Congrès demeura très méfiant à l’égard de la collusion entre George Creel et le président Wilson11. George Creel fut d’ailleurs fréquemment soupçonné par les membres du Congrès de faire la publicité du président bien plus que celle de son pays. Malgré les démentis formels de Woodrow Wilson, une fois la guerre terminée, le Congrès estima que ce type d’activités ne pouvait être acceptable en temps de paix. En supprimant les financements du CPI, il démantela en 1919 ce que l’on appelait désormais le Creel Comittee12.
11Pourtant, la détermination du président Wilson à mettre en œuvre sa vision du monde de l’après Première Guerre mondiale13 en mobilisant les opinions publiques étrangères pour faire pression sur les gouvernements européens fut indéniablement le point de départ de la « diplomatie publique » telle qu’on peut l’entendre aujourd’hui. En brouillant le jeu des relations diplomatiques traditionnelles (fondé sur la négociation entre les gouvernements), Woodrow Wilson, président visionnaire, tenta de convaincre et de séduire l’opinion publique internationale pour servir les objectifs de la politique étrangère américaine. Le CPI devait être une arme redoutable en temps de guerre, mais également, selon la vision du président Wilson, le moyen de construire une paix durable au moment où la nature des relations internationales allait se trouver transformée par les révolutions en matière de techniques et de moyens de communication. Cependant, à l’évidence, ce point de vue ne fut pas partagé par le Congrès américain, trop inquiet à l’idée de confier l’exercice de la propagande au pouvoir exécutif14.
12À l’origine de polémiques et de comportements de défiance récurrents à l’égard de toute agence de propagande gouvernementale américaine, le Congrès empêcha la création d’une structure officielle dédiée à l’information internationale, pendant toute la période isolationniste de l’entre-deux-guerres. En revanche, comme le fait remarquer Edward Bernays, les succès manifestes remportés par la propagande durant le conflit « ouvrirent les yeux d’une classe de gens avisés, appartenant à toutes les sphères de la société, sur les nombreuses possibilités de gouverner l’opinion ». Pendant la période de l’entre-deux-guerres les métiers de publicitaire et de chargé de relations publiques se développèrent dans de nombreuses industries du secteur privé, tandis que l’on assistait à l’émergence de spécialistes de la propagande issus des sciences sociales ou des métiers du journalisme. Parmi eux Walter Lippmann ou Edward Bernays, tous deux ex-membres du CPI, peuvent être considérés comme des archétypes de cet essor de la propagande aux États-Unis pendant la période d’entre-deux-guerres15.
13Or, au début des années 1920 les dirigeants soviétiques engagés derrière Lénine, avaient une toute autre vision du monde. Leurs tentatives de séduction auprès des populations étrangères, grâce à des techniques de propagande de plus en plus sophistiquées, allaient bien au-delà des usages de la diplomatie traditionnelle16. Par ailleurs, les programmes de propagande nazis et fascistes développés durant cette même période pour consolider les positions de l’Allemagne ou de l’Italie ne furent pas considérés, dans un premier temps, par les États-Unis comme une véritable menace pour leurs intérêts17.
Le déploiement des diplomaties culturelles européennes comme vecteur d’influence
14Pourtant, pendant que l’Amérique s’attèle à panser les plaies de la crise de 1929 sur son territoire, les premières initiatives européennes en matière de diplomatie culturelle se développent fortement. Dans un premier temps, les instituts culturels allemands, italiens et surtout français ont prioritairement pour cible les élites, leur mission étant alors de promouvoir les intérêts d’une nation auprès de personnes susceptibles de fréquenter les ministères étrangers, les universités ou les chambres de commerce18.
15Cependant le développement croissant des idéologies de masse dans les années vingt et le recours à des moyens de communication de plus en plus performants entraînent de facto un élargissement du public visé par la diffusion culturelle européenne. Dès lors, la publicité, les courses d’automobiles, les rencontres scientifiques et sportives, les programmes radio et les films deviennent des moyens de consolider la réputation d’une nation, la radio étant évidemment le média privilégié. Conscients de ce pouvoir d’influence, les gouvernements européens mettent en place des services de diffusion radiophonique à l’étranger, et parmi eux l’Union soviétique fait, dès 1926, figure de précurseur ; puis les Pays-Bas en 1927, la France en 1931 et la Grande-Bretagne en 1932 se dotent d’un système de radiodiffusion à l’étranger19. L’exemple le plus abouti de cette nouvelle forme de propagande diffusée à grande échelle, demeure celui des nazis au cours des années trente, puis des « années de tourmente20 ».
La montée des propagandes fascistes dans l’entre-deux-guerres
16Au cours des années trente, Washington a en effet rechigné à soutenir financièrement les activités culturelles à l’étranger ; le gouvernement américain a préféré laisser aux fondations le soin des échanges intellectuels et éducatifs, et à Hollywood celui de la diffusion des valeurs américaines. Pourtant, au milieu des années trente l’Administration Roosevelt prend conscience que la sécurité américaine dépend de sa capacité à savoir s’adresser aux autres nations et à gagner leur soutien. Comme le démontre Richard Pells21, comparant les systèmes de diffusion européens et américain, si les États-Unis voulaient concourir dans un monde où la culture devenait de plus en plus intimement liée à la politique étrangère et participait à l’élaboration de l’image nationale, alors Washington devait adopter des stratégies identiques.
17Or, ce qui amène l’Administration Roosevelt à poursuivre dans cette voie, est l’inquiétude face à l’influence grandissante des propagandes fascistes et nazies clairement anti-américaine, en Argentine, au Brésil ou au Chili où nombre d’immigrants italiens et allemands sont sympathisants de ces régimes. Dans ces pays d’Amérique latine, les bibliothèques publiques et universitaires regorgent alors de livres, de magazines et de journaux en provenance d’Italie ou d’Allemagne. La présence américaine, quant à elle, est cantonnée à quelques films hollywoodiens22.
18Ce n’est qu’en 1938, alors que la crise européenne est largement entamée et que la propagande fasciste s’étend ainsi aux États d’Amérique latine que le président Roosevelt se prononce en faveur de la création d’un comité inter-ministériel pour la coopération scientifique (Interdepartemental Committee for Scientific Cooperation) et d’une division destinée à la coopération culturelle au sein du département d’État (Division of Cultural Cooperation) ; celle-ci doit se consacrer dans l’immédiat à la mise en place de la politique dite de Good Neighbor (bon voisinage) avec l’Amérique latine.
19Ainsi, pour la première fois depuis le Creel Committee, Washington expérimente une autre dimension de ce qui deviendra la diplomatie publique, en lançant une série de programmes culturels et éducatifs pour s’assurer de la loyauté des nations sud-américaines. Ce processus, qui conduit à la création de la Division des relations culturelles en 1938, se concrétise rapidement sous l’impulsion de Nelson Rockefeller, nommé à la tête du Bureau de coordination des affaires culturelles entre les Amériques (Office of the Coordinator of Commercial and Cultural Affairs between the American Republics23) ; la première campagne de « propagande culturelle » américaine est alors lancée. Elle a pour but de combattre « les mensonges nazis » en utilisant, entre autres, les mêmes techniques que celles du CPI. Sur le terrain, cette campagne d’un nouveau genre se traduit par l’envoi de Cultural affairs officers (CAO) dans les ambassades, l’invitation de leaders d’opinion et de journalistes sud-américains à venir constater les avancées de la démocratie aux États-Unis et l’accueil d’étudiants dans les universités américaines ; ce sont les premiers programmes d’échanges éducatifs et culturels financés par le gouvernement américain, en plus des formations dispensées sur place dans les centres culturels, et de l’envoi de livres24.
20Forte de cette expérience, l’implication diplomatique et culturelle des États-Unis en Europe va s’accélérer avec leur entrée dans la Seconde Guerre mondiale. Cette initiative devait en effet marquer les débuts officiels des relations culturelles des États-Unis avec des nations étrangères. Le gouvernement américain fut ainsi la dernière grande puissance à entrer dans le jeu des relations culturelles intergouvernementales, dévolues jusqu’alors, en raison d’une forte volonté politique, au secteur privé. Les programmes lancés durant la politique dite « de bon voisinage » de l’Administration Roosevelt portaient en germe l’ensemble des efforts mis en œuvre bien plus tard en matière d’information et de relations culturelles. Ces programmes furent avant tout créés pour répondre, et contrer de manière pacifique la propagation d’une propagande devenue hostile aux États-Unis. Or, il semblerait que l’on ait pris grand soin que le mot « information » ne figure ni dans l’arsenal conceptuel de ces programmes ni dans ses intitulés, cette absence paraissant avec le recul particulièrement significative.
La nécessité de la guerre psychologique : de la Seconde Guerre mondiale à la guerre froide
Les organes précurseurs : l’OSS, VOA et l’OWI
21L’entrée en guerre des États-Unis changea radicalement la situation. Plusieurs mois avant les événements de Pearl Harbor, dès le mois de juillet 1941, le président Roosevelt avait mis en place un véritable arsenal institutionnel adapté à ces nouvelles formes de conflit. Il créa notamment une agence dédiée aux activités de renseignements et de propagande à l’étranger (Agency for Foreign Intelligence and Propaganda) – ce fut la première et la dernière fois que le mot « propagande » fut utilisé pour une agence gouvernementale américaine25 – et l’Office of the Coordinator of Information, dirigé par le colonel William J. Donovan, qui devait devenir le célèbre OSS (l’Office of Strategic Services) dès l’année suivante.
22Au lendemain de Pearl Harbor, l’efficacité de l’implication américaine dans le conflit mondial nécessita le recours et la mobilisation d’autres ressources culturelles et médiatiques. Par conséquent le 24 février 1942, le présentateur William Harlan Hale inaugura en ces termes, la première version en langue allemande d’une émission de radio sur ondes courtes, appelée Voice of America : « The Voice of America speaks26 ». En débutant ainsi chacun de ses programmes destinés tout d’abord à la France, à la Grande-Bretagne et à l’Italie, la Voix de l’Amérique, placée sous la direction de John Houseman, s’engage à guider les personnes devenues invisibles et privées de parole dans l’Europe occupée ; puis elle deviendra la voix officielle de la démocratie occidentale dans l’Europe de la guerre froide. Quelque temps auparavant, la première radio de propagande américaine qui émit en France, en Italie et en Allemagne fut celle mise en place par les Services d’information (FIS) de Robert Sherwood. Devenue la Voix de l’Amérique, la radio de propagande américaine dispose déjà de relations solides, ce qui lui permet d’engager des personnalités prestigieuses, comme André Breton ou Claude Lévi-Strauss pour sa division française (fondée par Pierre Lazareff)27. Créé sur le modèle de la BBC, cet organe de diffusion, dont la fréquence aisément captable lui permet d’être entendu quasiment partout, devient rapidement un moyen d’influence des plus puissants.
23Or, cette puissance médiatique se mesure d’ores et déjà à l’aune d’une arme majeure : la Vérité. Le directeur des programmes d’information à l’étranger, Robert E. Sherwood, est assez clair sur ce point lorsqu’il annonce l’ambition de VOA lors de son lancement : « Aujourd’hui, cela fait soixante-dix-neuf jours que l’Amérique est en guerre. Chaque jour, à cette heure-ci, nous vous dirons ce qu’il en est de l’Amérique et de ce conflit. Que les nouvelles soient bonnes ou mauvaises, nous vous dirons la vérité28. » L’impact de ce premier organe de propagande médiatique, se trouve bientôt renforcé par la création de l’Armed Forces Radio Network dont les programmes initialement destinés aux soldats américains, ont également pour mission de toucher les populations civiles. L’arsenal de cette « guerre psychologique », comprenant également des émissions de propagande radiophonique officieuses, est orchestré par l’OSS (Office of Strategic Services29).
24Enfin dans la lignée du Creel Committee et seulement six mois après l’entrée en guerre des États-Unis, l’Administration Roosevelt franchit une nouvelle étape en instituant, en juin 1942, l’OWI sous la responsabilité du célèbre journaliste et homme de radio, Elmer Davis. À l’instar du Creel Committee l’OWI opère à la fois sur le territoire américain et européen, où il est représenté dans de nombreux États par les USIS (United States Information Services) et la Voix de l’Amérique, qui est également placée sous sa direction ; sa mission consiste à coordonner les efforts américains mis en œuvre pour définir auprès du public national ou étranger les grandes lignes politiques de l’Amérique en guerre, ainsi que sa vision du monde de l’après-guerre.
25L’OWI, portant en germe la future USIA, est engagé dans de multiples activités devenues caractéristiques de la diplomatie publique contemporaine. En collaboration étroite avec les agences publicitaires de Madison Avenue, Hollywood, les plus grandes maisons d’éditions et les réseaux radiophoniques, l’OWI ouvre des bureaux d’information et des bibliothèques dans les pays de l’Europe non occupée ou en partie libérée ; il distribue ainsi des magazines, des exemplaires de livres américains traduits, et fait imprimer des extraits des discours de Roosevelt, ainsi que des résumés d’articles de journaux ou d’émissions de radio jugés pertinents ; il reste également en contact permanent avec les journaux étrangers et ne manque pas d’inviter les journalistes et les hommes politiques en exil à s’exprimer ; enfin le bureau américain pour l’information met en place des expositions artistiques, permet la projection de films documentaires et conduit des campagnes de publicité massives avec force affiches et tracts30.
26Particulièrement actif en Grande-Bretagne, l’OWI envoie des intellectuels américains, des chercheurs et des membres du gouvernement pour donner des conférences dans les universités, les lycées, les clubs féminins, les syndicats, et à la BBC31. Il s’agit en somme de s’adresser à tout public estimé insuffisamment informé. Ce déploiement d’efforts vise alors à mettre à jour les connaissances des Européens sur les dernières avancées américaines en matière scientifique, littéraire, artistique ou sociale.
27Parallèlement, l’OWI est amené à collaborer avec l’Office of Strategic Services (OSS) pour mener à bien la guerre psychologique32. Après l’invasion alliée en Italie et en France, l’OWI parachute 3 milliards de tracts et installe des haut-parleurs pour encourager les soldats allemands et italiens à se rendre. Les cinémas, les stations de radio, les journaux européens sont alors accaparés par les Américains qui mettent également en place des unités de propagande mobiles à proximité des lignes de front, dans le but d’affaiblir le moral des ennemis33.
28Ainsi, à mesure que les troupes américaines progressent en Europe, l’OWI établit des contacts avec les médias italiens, français et belges. Ces programmes d’information s’accompagnent de l’établissement de centres d’information ou de bibliothèques ; on en compte vingt-six en Europe à la fin de la guerre34.
29Alors que le conflit semble toucher à sa fin, l’OWI et la Voix de l’Amérique tournent leurs efforts vers l’élaboration d’une meilleure image des États-Unis en Europe. L’OWI se met à publier ses propres magazines et VOA lance des programmes visant à informer les Européens de l’état de la richesse et de la productivité américaine, ainsi que du bon fonctionnement de la démocratie aux États-Unis ; il s’agit avant tout de persuader l’opinion européenne de la capacité des États-Unis à conduire les destinées du monde de l’après-guerre, en privilégiant une image à la fois séduisante et rassurante. En encourageant les Européens à mieux comprendre et à mieux apprécier les institutions américaines, les faucons américains espèrent faire accepter leurs règles du jeu dans l’Europe de l’après-guerre. Pour la France, l’OWI édite le journal L’Amérique en guerre (sept millions d’exemplaires étaient largués par avion chaque semaine, au-dessus des plus grandes villes françaises, lors de la préparation du débarquement de Normandie), et au tout début de l’année 1945, il publie le premier magazine américain en langue russe, Amerika, pendant que l’on distribue dans toute l’Europe des brochures intitulées, Small Town U.S.A, qui dépeignent une ville américaine idéale35.
30Par-delà les missions communes, l’OWI s’apparente à l’USIA en raison des dissensions qui l’oppose à l’OSS, dissensions qui annoncent les débats à venir relatifs à la diplomatie publique et qui renvoient dos à dos propagande et diplomatie culturelle. Il existait en effet, en principe, une différence de taille entre les deux organisations : l’OWI avait la responsabilité de toutes les activités de propagande officielle (incluant celles de VOA) dites « blanches » (correspondant à l’idée selon laquelle, de simples informations venues des Alliés suffiraient à anéantir les mensonges des nazis) ; l’OSS, en revanche, était chargée des activités de renseignements, incluant opérations secrètes, et activités de propagande dites « noires », essentiellement des activités de désinformation (consistant notamment à diffuser de fausses informations dans les lignes ennemies en faisant croire qu’elles émanaient de sources allemandes par exemple). La Division des opérations visant à atteindre le moral des troupes adverses comme des populations civiles au sein de l’OSS (Morale Operations Division) était plus particulièrement chargée de divulguer de fausses rumeurs par voie de presse. Ce sont plus précisément les stratèges militaires américains qui définissent alors le concept de « guerre psychologique » comme un auxiliaire aux opérations militaires. Il s’agit de « propagande stratégique » lorsque ces activités visent à démoraliser les populations ennemies comme les populations des nations occupées, de « propagande de combat » lorsqu’il s’agit de faciliter une opération militaire et d’amener l’ennemi à se rendre, et de « propagande de consolidation » lorsqu’il s’agit de s’assurer la coopération des populations des nations occupées36.
31Dans son ouvrage Premises for Propaganda, Leo Bogart rapporte le constat de ces différentes conceptions formulé, dès 1948, dans une étude de la Brookings Institution :
« Cette bataille impliquait de nombreuses personnalités, mais en réalité elle n’avait aucun caractère personnel. Elle reposait sur les différences d’opinion entre : ceux qui estimaient que la propagande devait faire partie intégrante des opérations subversives, et devait par conséquent être assimilée à toute action, vraie ou fausse, officielle ou officieuse, qui serait capable d’entraver efficacement les avancées de l’ennemi à un moment ou à un autre ; et ceux qui pensaient que la propagande devait être une activité publique assumée par le gouvernement, dont le but était de dire la vérité au sujet de la guerre, des positions des États-Unis et de ses alliés, en d’autres termes, un moyen de présenter la démocratie et la liberté, nos objectifs pour ce conflit, et notre détermination à remporter à la fois la guerre et la paix37. »
32Dans le conflit idéologique que représenta indéniablement la Seconde Guerre mondiale les partisans américains des activités de propagande prétendirent tout d’abord qu’il s’agissait d’une « stratégie reposant sur la vérité » (Strategy of Truth38), mais ils concédèrent bien vite que les mensonges, la manipulation des médias et la rétention de certaines informations étaient indispensables aux intérêts de la sécurité nationale, notamment pour maintenir le moral des troupes et l’unité des Alliés.
33Seulement quelques semaines après la capitulation du Japon en août 1945, et malgré les succès remportés par l’OWI, le gouvernement américain reste sceptique quant à la pertinence de garder une telle structure en temps de paix. Les succès remportés par l’OWI, avaient en particulier impressionné les membres de l’état-major américain, et parmi eux le général Dwight Eisenhower, à l’origine de la création de l’USIA quelques années plus tard. Cependant à la fin de la Seconde Guerre mondiale l’OWI, représentait une structure coûteuse, il employait plus de 13 000 personnes au total, réparties entre les services basés sur le territoire national et ceux situés outre-Atlantique ; son budget annuel atteignait les 70 millions de dollars39.
34Or, l’ancien diplomate des services d’information, Wilson P. Dizard, rapporte que pour les dirigeants en place la situation est tout à fait simple : « La guerre était terminée, il n’y avait rien de plus à expliquer40. » Les attaques les plus virulentes à l’encontre de l’OWI et des programmes d’information à l’étranger avaient, durant le conflit, concerné le coût financier d’une telle structure ; une coalition entre députés républicains conservateurs et démocrates du sud s’était en effet constituée pour dénoncer le gaspillage que cela pouvait représenter. Et à la fin de la guerre, la coalition conservatrice au Congrès s’interrogea sur le bien-fondé de conserver au sein du département d’État une division des relations culturelles. Manifestement représentants comme sénateurs n’étaient pas enclins à défendre des programmes gouvernementaux controversés, dont les activités étaient bien loin des préoccupations de leurs électeurs respectifs.
35Ainsi, le 31 août 1945, en réponse aux nombreuses attaques formulées en particulier par les membres du Congrès41, le nouveau président américain, Harry Truman ordonna le démantèlement des agences en activité pendant le conflit. Ce fut la fin de l’OWI et de l’Office of Inter-American Affairs. L’OSS, et l’ensemble de ses activités et services dédiés à la guerre psychologique et opérations subversives furent transférés au département de la Guerre, ce qui constitua un moyen de les protéger et de les conserver, en attendant qu’ils soient réutilisés « en temps de paix » par la CIA. L’arsenal des opérations d’information et de propagande officielles et officieuses, bien que mis hors d’atteinte du Congrès, et par conséquent privé de financement, était tout de même prêt à fonctionner. L’ensemble de ces précautions devaient prendre tout leur sens très rapidement, lors de l’édiction du National Security Act de 1947, autorisant la création d’un Conseil de sécurité nationale (NSC) à la Maison-Blanche, chargé de conseiller le président sur les orientations de la politique étrangère. L’avènement du NSC, fut accompagné de la création d’une nouvelle agence, la CIA, et du département de la Défense destiné à remplacer les départements de la Guerre et de la Marine42.
36La Voix de l’Amérique ne doit sa survie qu’à un comité du département d’État regroupant des intérêts privés, qui mit en garde le gouvernement américain en ces termes : « Il ne peut être indifférent à la manière dont notre société est dépeinte dans les autres pays43. » Néanmoins tronqués et diminués dans leurs fonctions et leurs missions, l’OWI et la Voix de l’Amérique44 sont adoubés au département d’État45. L’OWI, désormais dissout, et VOA, estimés indispensables aux pratiques diplomatiques durant le conflit ouvert de 1939-1945, seront officiellement délaissés jusqu’à ce qu’ils trouvent une nouvelle jeunesse dans l’avènement de la guerre froide. Néanmoins, lors de la dissolution par décret présidentiel de l’OWI, le président Truman précisa, dans une brève émise par la Maison-Blanche, que « la nature des relations étrangères actuelles est telle qu’il apparaît fondamental pour les États-Unis de maintenir des activités d’information à l’étranger comme partie intégrante de la conduite des affaires étrangères ». Il ajouta également, en substance, que les États-Unis n’essaieraient pas de s’opposer aux programmes d’information toujours plus nombreux des autres nations, mais « veilleraient à ce que les populations étrangères puissent se faire une idée exhaustive et juste des ambitions et des politiques du gouvernement des États-Unis46 ». En d’autres termes, pour la première fois, le président américain admettait que l’usage de la propagande en temps de paix pouvait être nécessaire.
37De la même façon que les autorités américaines avaient su s’adapter aux défis de la guerre psychologique durant la Seconde Guerre mondiale, elles furent rapidement contraintes de mettre en œuvre un arsenal approprié au conflit psychologique, idéologique et politique que devait représenter la guerre froide.
La « première guerre froide47 » : Harry Truman et les prémices de l’arsenal législatif et institutionnel de la diplomatie publique
38Les prémices de la guerre froide brouillant effectivement les distinctions entre guerre et paix, Truman mit en place, le 1er janvier 1946, au sein du département d’État, l’Office of Information and Cultural Affairs (OIC). Pour la première fois « information » et « culture » se trouvèrent rassemblées au sein d’une division des affaires étrangères américaines. Or, pour diriger des opérations aussi controversées, il avait fallu placer à leur tête un directeur crédible, à la renommée incontestée. Après avoir proposé ce poste à l’éditorialiste spécialiste de politique étrangère américaine Walter Lippman, puis au secrétaire d’État James Byrnes, le département d’État choisit William Benton, qui fut nommé sous-secrétaire d’État aux affaires publiques et culturelles (Undersecretary for Public and Cultural Affairs48), ayant la lourde tâche de diriger les programmes d’information aux États-Unis et à l’étranger. William Benton travailla énergiquement à la mise en œuvre d’opérations adaptées à une situation de paix en commençant par éliminer ce qui avait été mis en place durant le conflit et qui semblait être désormais inutile. Il s’agissait de réductions massives de personnel et de coupes budgétaires sévères, ainsi que de l’abandon de nombreuses activités, notamment de publication, puisque seul, le magazine en langue russe, Ameryka fut conservé49.
39Le nouveau sous-secrétaire d’État aux Affaires publiques et culturelles dévoila son projet dès le mois de janvier 1946, lors d’un discours où il appela à l’instauration d’un programme d’information « digne50 », autrement dit bien distinct de toute propagande. Il lança ainsi le premier programme culturel et d’information en temps de paix, programme désormais destiné aux autres peuples et non à leur gouvernement. Les intentions de William Benton étaient claires ; il s’agissait de présenter au monde cette image « exhaustive et juste » des États-Unis, que le président Truman avait évoquée. À cette intention, à l’étranger, les programmes d’information devaient être placés, de manière permanente, sous la responsabilité d’un agent de terrain voué entièrement aux activités culturelles et d’information, le Country Public Affairs Officer (CPAO), dans plus de 66 missions diplomatiques dans le monde, ou bien confiés occasionnellement à un Foreign Service Officer (FSO) dans les autres pays. Les États-Unis venaient de rentrer dans une nouvelle ère diplomatique : la conduite des affaires étrangères américaines ne devait plus dépendre uniquement des relations intergouvernementales.
40Malgré les efforts affichés de Willliam Benton, pour rendre les activités d’information les plus transparentes et les moins coûteuses possibles, ces dernières ne parvinrent pas à être légitimées par le Congrès51. Lors du vote pour l’année budgétaire 1948, le sous-secrétaire d’État aux Affaires publiques se vit tout bonnement refuser la totalité des financements demandés (il avait pourtant demandé seulement 25,6 millions de dollars de financement pour les programmes d’information l’année précédente, alors qu’en 1946, 45 millions de dollars au total avaient été accordés à ces programmes et aux activités culturelles à l’étranger). Sans l’intervention du président Truman et du secrétaire d’État George Marshall l’ensemble des activités culturelles et des programmes d’information à l’étranger n’aurait pu être sauvé ; contraint et forcé le Congrès finit par débloquer un total de financement d’à peine 20 millions de dollars pour l’année 194852.
41À la suite de ces coupes claires, la direction des programmes d’information fut totalement réorganisée et prit le nom d’Office of International Information and Educational Exchange (OIE). William Benton, se sentit désavoué et démissionna en septembre 1947 ; son successeur, George Van Allen, ancien Foreign Service Officer (FSO), homme de terrain et professionnel de la diplomatie, allait bénéficier d’un contexte plus propice que son prédécesseur pour mener à bien sa mission et obtenir les financements adéquats53.
42La réorganisation de la direction des services d’information fut en effet une des conséquences de l’influence et du poids que pouvaient avoir les membres du Congrès ; mais en réalité, sur ce point, ce n’était plus en raison des réticences véhémentes exprimées par les députés républicains les plus conservateurs à l’égard de services d’information. Ce type de critiques avaient été, au cours de l’année 1947, éclipsé pour un temps par l’inquiétude grandissante exprimée à l’égard de la poussée de la propagande soviétique anti-américaine, notamment en Europe de l’Est et dans les Balkans54.
43Pour répondre à cette hostilité grandissante la Maison-Blanche avait, dès le mois de février 1947, renforcé son arsenal institutionnel dédié à la sécurité nationale en regroupant les activités de défense sous l’égide d’un unique département (les départements de la Guerre et de la Marine fusionnèrent à cette occasion), en créant une agence dédié au renseignement, la Central Intelligence Agency (CIA), et surtout en instituant un Conseil de sécurité nationale, le NSC, destiné à guider le président sur les orientations de la politique étrangère55. Puis, deux mois plus tard, le 12 mars 1947, le président Truman formula une requête extraordinaire auprès du Congrès en lui demandant de voter une aide militaire et économique exceptionnelle à la Grèce et à la Turquie confrontées à des mouvements révolutionnaires potentiellement soutenus par l’aide militaire soviétique. À cette occasion le président Truman dévoila sa célèbre doctrine, et les orientations de sa politique étrangère dite de containment. Les États-Unis devaient venir en aide aux nations étrangères mises en difficulté par toute forme de subversion intérieure ou extérieure. Il s’agissait de l’énonciation de la première politique défensive énoncée à l’encontre des velléités offensives de Moscou. Dès lors, le rôle de la propagande et des programmes d’information devait retenir de manière plus soutenue l’intérêt des membres du Congrès.
44Or, étonnamment, le soutien aux velléités du gouvernement Truman de relancer plus intensément la propagande vint de deux députés républicains, Karl Mundt, élu du Dakota du Sud, et Alexander Smith, élu du New Jersey. Bien que partageant la suspicion de leurs homologues du Parti républicain quant à d’éventuelles infiltrations du personnel de VOA par les communistes, ils étaient convaincus que dans la lutte idéologique qui s’était engagée contre les Soviétiques, la Voix de l’Amérique comme les programmes d’information représentaient des ressources indispensables56. En ce sens ils présentèrent un projet de loi (l’Informational and Education Exchange Bill) au mois de mai 1947, destiné à donner un statut permanent aux programmes culturels comme aux programmes d’information au sein du département d’État. Alors que les Soviétiques créaient leur propre organe de propagande officielle, le Kominform, l’enquête de terrain organisé par le Congrès, en septembre 1947, pour une douzaine de députés et de sénateurs démocrates et républicains, fut décisive pour l’adoption définitive de ce qui prendrait le nom de Smith-Mundt Act en janvier 194857. Cette commission bipartite fut chargée d’observer et d’évaluer les programmes et les services d’information américains dans une vingtaine de pays d’Europe. Au terme de ce voyage, députés et sénateurs furent forcés de constater que pour contrer l’influence menaçante des Soviétiques en Europe comme dans l’ensemble du monde, il leur faudrait adopter les armes de leurs adversaires.
45Ainsi, comme pendant la Seconde Guerre mondiale, l’appareil institutionnel américain de propagande, conçu pour faire face à ce conflit d’un nouveau genre que devait représenter la guerre froide, s’élabora autour de deux volets distincts, celui des activités officielles et celui des activités officieuses. Le Smith-Mundt Act légitima en effet les programmes d’information officiels, proches des activités de l’OWI, tandis que l’Administration Truman élabora secrètement un programme officieux de guerre psychologique, reposant sur un ensemble d’opérations subversives assignées à la CIA et organisées sur le modèle de celles menées par l’OSS. Les opérations clandestines en particulier offraient l’immense avantage d’échapper aux enquêtes du Congrès, tout en menant des actions de manipulation politique et en évitant de susciter à l’étranger des sentiments de rejet anti-américain58.
46Or, les premiers programmes officiels et officieux de cette nouvelle machine institutionnelle devaient concerner l’Europe de l’Ouest ; le gouvernement américain craignait en effet que le marasme économique et politique engendré par la Seconde Guerre mondiale, n’offre aux communistes une occasion sans précédent pour s’emparer du pouvoir dans des pays aussi fragilisés que la France ou l’Italie.
Les élites européennes enjeu de la guerre froide culturelle : le « grand schisme59 »
« We must accept
propaganda as a major weapon of policy, tactical as well as strategic,
and begin to conduct it on modern and realist lines. »
George F. Kennan,
194860
47En 1947, l’ensemble de l’Europe en ruine est en effet dans une situation économique catastrophique. Conscients du danger que représente cette fragilité européenne face aux velléités expansionnistes du communisme, George Marshall et le gouvernement américain tentent, tant bien que mal, de convaincre un Congrès réticent de voter l’aide économique indispensable à la reconstruction européenne61. Or, les actions répétées, jugées subversives, des partis communistes européens et le Coup de Prague (au début de l’année 1948) vont de facto convaincre les réfractaires libéraux (Henry Wallace) ou républicain (Robert Taft) de s’engager derrière Harry Truman et le plan de reconstruction européenne (European Recovery Program62).
48Cependant la loyauté de l’Europe du Plan Marshall, désormais dépendante financièrement des États-Unis, n’est pas acquise. De son côté l’Union soviétique a également les moyens de la courtiser sur d’autres terrains que celui de l’économie. Pour les États-Unis, l’Europe est bel et bien un enjeu, exigeant le recours à des stratégies de persuasion plus complexes.
Le Mouvement des partisans de la paix contre…
49À l’issue de la réunion de Szklarska-Poreba, le 28 septembre 1947, à l’origine du Kominform et du fameux discours de Jdanov évoquant la division du monde en deux camps, les partis communistes européens entrent dans la bataille sous la bannière de Moscou, amenant sur le terrain de la guerre froide culturelle une dimension incontournable, celle de la culture politique et de son cortège d’idéologie et de propagande. La réunion secrète des partis communistes au pouvoir qui se tient à Szlarska-Poreba, en Pologne, se déroule du 22 au 27 septembre 1947. Véritable contre-offensive du plan Marshall, la réunion préparée soigneusement par Staline, Molotov, Malenkov et Jdanov a pour but de renforcer la discipline au sein des différents partis communistes et de fixer une nouvelle stratégie, après la perte de tout espoir d’accroître progressivement et sans heurt l’influence soviétique sur l’ensemble de l’Europe à la faveur du désengagement américain. C’est à cette occasion que Jdanov (responsable au Politburo à la fois de l’idéologie et des rapports avec les autres partis communistes) présente son rapport « sur la situation internationale » exprimant les thèses fondamentales de la politique extérieure soviétique en vigueur jusqu’en 1956. En d’autres termes, la création du Kominform en 1947 devait accélérer le réalignement des PC de l’Europe de l’Est sur un modèle unique, le modèle stalinien, et empêcher tout rapprochement avec les pays occidentaux.
50Parmi eux le Parti communiste français de Maurice Thorez et le Parti communiste italien de Pietro Secchia ou de Palmiro Togliatti rivalisent d’ardeur pour se montrer les dignes disciples de Staline, qui « [est] plus que jamais leur maître63 ». Dès lors, la lutte contre une possible contagion communiste à partir de ces deux États qui comptent des communistes dans leur gouvernement devient pour les États-Unis une des priorités de la stratégie de l’endiguement. Depuis la fin de la guerre les partis communistes de l’Europe de l’Ouest avaient eu une influence plus ou moins forte, le prestige de l’URSS, pays vainqueur, avait certes eu un impact non négligeable ; mais c’est surtout l’action résistante de lutte contre l’occupant, dans les nations concernées, qui justifia la progression des effectifs communistes, dans de nombreux pays d’Europe du nord, comme la Norvège, le Danemark, ainsi qu’aux Pays-Bas ou en Belgique (où ils remportent environ 10 % des suffrages, progression remarquable, puisqu’avant guerre leur représentativité était quasiment nulle), mais c’est surtout en France et en Italie que ce renforcement fut le plus remarquable. À partir de 1944, le Parti communiste français recrute largement en passant de quelques milliers d’adhérents à 800 000 en 1946, provenant de toutes les couches sociales et plus seulement de la seule classe ouvrière. En 1946, le PCF remporte 28 % des suffrages. Cependant, en mai 1947, les communistes quittent le gouvernement français. Quant au Parti communiste italien, bien que n’ayant pas d’enracinement ancien et de positionnement hégémonique, à l’instar du PCF, il brigue derrière Palmiro Togliatti (de retour d’URSS) le statut de parti de masse susceptible de concurrencer le parti majoritaire de la Démocratie chrétienne. Lors des premières élections de 1946, le PCI remporte 20 % des suffrages derrière la Démocratie chrétienne et le Parti socialiste, réalisant une percée remarquable parmi les intellectuels et les artistes, écrivains ou cinéastes auprès desquels il obtient une aura durable64.
51Dans l’immédiat, l’Administration Truman doit assurer par tous les moyens, officiels comme officieux, la victoire des partis démocrates devant les communistes, lors des élections de 1948. En France la CIA tente de provoquer un schisme au sein des syndicats pour diminuer l’influence des communistes, tandis qu’en Italie le gouvernement américain n’hésite pas à dépenser des sommes colossales pour les activités de propagande anticommuniste et des pots de vin de toutes sortes65. Pendant ce temps les principaux responsables du Plan Marshall, les hommes d’affaires Paul Hoffman et W. Averell Harriman, s’affranchissent des contraintes budgétaires et bureaucratiques du Congrès et du département d’État, pour financer une campagne de publicité sans précédent, en particulier dans les pays européens les plus stratégiques. À Paris, les services d’information américains déploient en effet des trésors d’inventivité pour promouvoir le Plan Marshall, en produisant par exemple une série de films documentaires consacrés aux principales réussites du programme de reconstruction et réalisée par des cinéastes européens des plus prometteurs tels que Vittorio De Sica ou Roberto Rossellini66. Officieusement, face à l’influence croissante du PCF et du PCI en particulier, d’importantes sommes accordés au Plan Marshall servent à financer des opérations de propagande dites « noires » visant à influencer sensiblement l’orientation politique des principaux syndicats. Forts de ces expériences en France et en Italie, les faucons de Washington encouragés par George Kennan, alors directeur du Policy Planning Staff au sein du département d’État, ne tarderont pas à institutionnaliser cette forme d’ingérence dans la politique intérieure d’autres nations souveraines. Au début de l’année 1948, George Kennan, connu pour son implication dans le développement de la politique de containment, joua un rôle crucial auprès du NSC pour promouvoir les activités inhérentes à la guerre secrète des propagandes ; il est en effet à l’origine de la fameuse décision NSC 10/12, qui sera si décriée par la suite, car elle autorise sans distinction, toute forme d’opération occulte de la propagande « noire », en passant par le soutien aux mouvements de résistance au communisme, d’assistance aux réfugiés, jusqu’aux opérations de sabotage67.
52Effectivement très actif, le PCF inaugure le nouveau combat Est-Ouest derrière Maurice Thorez, dès le mois d’octobre 1947, lors d’un rassemblement au « Vel’d’Hiv ». Ce combat oppose, comme le rappelle Michel Winock dans un article consacré au « schisme idéologique68 », les communistes aux capitalistes, les partisans de la paix aux fauteurs de guerre, et nécessite l’engagement des intellectuels communistes auprès du bloc socialiste :
« Les discussions en apparence purement littéraires ou esthétiques ne sont pas simplement d’ordre idéologique, mais se rattachent aux problèmes politiques. Il ne faut jamais oublier que l’activité de l’ennemi se mène précisément dans tous les domaines : économique, politique, militaire […] et idéologique69. »
53Les intellectuels communistes ont alors recours en France, comme dans de nombreux autres pays européens à une arme non conventionnelle, la culture.
… le Congrès pour la liberté de la culture
54La prise de conscience que la culture est devenue un enjeu de la guerre froide ne tarde pas à se produire de l’autre côté de l’Atlantique, le 25 mars 1949, lors de la conférence, très mouvementée, réunissant, au Waldorf Astoria de New York, marxistes américains et européens. Initiative du Kominform, la conférence a pour but de tenter de manipuler l’opinion publique américaine sur son propre territoire. Or, comme le rapporte Frances Stonor Saunders, cet « événement catalytique » est interprété par les observateurs de la CIA comme « une indication qu’une énorme campagne était lancée à l’Ouest, fondée sur l’affirmation idéologique d’une influence au niveau politique. Elle lança un puissant message à ceux qui dans le gouvernement comprenaient que la nature fascinante de l’illusion communiste ne pourrait être combattue par les méthodes conventionnelles ». Une cinquantaine de personnalités du monde des arts et du spectacle participèrent à la Conférence et furent catalogués, en prévision des listes noires à venir comme sympathisants communistes. Parmi eux Dorothy Parker, Norman Mailer, Aaron Copland, Langston Hughes, Arthur Miller, Charlie Chaplin, Henry Wallace70.
55Parallèlement, confrontés aux dénigrements systématiques de leur politique sur le territoire européen, les dirigeants américains se doivent de trouver une réponse équivalente aux mouvements activistes pro-communistes, tel que le Mouvement de la paix. Le rassemblement des intellectuels européens, le 18 mars 1950, autour de l’appel de Stockholm pour protester contre les travaux américains sur la bombe H, apparaît comme un exemple criant du pouvoir de mobilisation de Moscou, via cette émanation du Parti communiste français.
56Le combat idéologique et culturel ne faisant plus de doute, la contre-attaque du monde libre conduite par les Américains prend la forme depuis Berlin, puis dans toute l’Europe de l’Ouest, du Congrès pour la liberté de la culture71.
57Les années précédant la création de l’USIA, entre 1950 et 1953, voient en effet la mise en place et la consolidation du Congrès pour la liberté de la culture, CCF (The Congress for Cultural Freedom), comme support d’une résistance intellectuelle au communisme. Pour soutenir cette organisation, la CIA recrute un protégé de Nelson Rockefeller, Tom Braden72. Le CCF est réuni pour la première fois, en juin 1950, sous le nom de Wroclaw Cultural Conference for Peace. Il rassemble de nombreux intellectuels en vue, dont l’historien A. J. P. Taylor, sous les auspices d’un comité d’organisation présidé par l’incontournable Ernst Reuter, le bourgmestre de la ville, Erust Redslob, recteur de l’université libre et d’Otto Suhr, directeur de l’Ecole supérieure de sciences politiques. Le secrétaire général de la manifestation est Melvin Lasky73, jeune rédacteur en chef de la revue mensuelle sponsorisée par les USIS, Der Monat, (créée deux ans plus tôt avec l’appui de l’OMGUS (Office of Military Government U.S.), dirigé par le général Lucius Clay) ; il est secondé par Michael Josselson, agent du bureau des affaires culturelles de l’USIS de Berlin. L’initiative est appuyée par un comité international, composé de personnalités du monde des lettres et de la politique, tels que Bertrand Russell, Julian Huxley, Arthur Koestler, Léon Blum, André Gide, Raymond Aron, François Mauriac, Karl Jaspers, Carlo Schmid, John Dewey, Sydney Hook, James Burnham, ou encore Arthur Schlessinger Jr. ; 118 participants, écrivains, journalistes, hommes politiques, sont venus principalement d’Allemagne et des États-Unis, mais aussi de toute l’Europe (Autriche, Belgique, Norvège, Suisse et même Espagne, Russie, Lettonie, Pologne, Tchécoslovaquie74).
58Outre l’importance géographique prise par le mouvement, c’est le consensus idéologique de ces membres de l’élite européenne qui est le plus frappant. L’enjeu du congrès ne fait en effet aucun doute : liberté contre totalitarisme. Il s’agit de faire face à l’urgence de trouver une réponse morale et politique à la menace soviétique, en affrontant tout d’abord le problème de la liberté scientifique menacée par Staline75 et celui posé par l’attraction exercée par le Mouvement des partisans de la paix du fait de sa présidence par Frédéric Joliot-Curie.
59Si les intellectuels semblent se mobiliser pour l’une ou l’autre des idéologies avancée par chacun des deux camps, à l’occasion du congrès de Berlin, certains émigrés russes ne manquent pas de souligner qu’en matière de lutte d’influence, l’avance prise par l’Union soviétique en Europe de l’Est est considérable. C’est en ce sens que Pierre Grémion relate les propos de Josef Czapski, préoccupé par la situation culturelle à l’Est :
« Si, écrivait-il, la situation de la culture en URSS est bien connue en Occident, il est un phénomène beaucoup moins connu à l’Ouest : c’est l’extraordinaire rapidité avec laquelle les Soviétiques ont été capables de greffer leur modèle sur leur zone d’influence. Devant la masse de traduction d’œuvres russes, la comparaison avec ce qui se fait en Occident deviendra bientôt impossible76. »
60Pour résister à cette poussée d’influence soviétique vers l’Ouest les intellectuels du Congrès s’exhortent mutuellement à préserver la créativité pour ne pas tomber dans une contre-attaque systématique qui se réduirait à un mouvement de propagande. Aussi dès le mois de mars 1951, et grâce aux fonds américains du Congrès pour la liberté de la culture77, des revues intellectuelles anticommunistes, dans la lignée de Der Monat en Allemagne, sont lancées dans les principales capitales européennes, telles que Forum en Autriche, Encounter en Grande-Bretagne, Tempo en Italie, et surtout, la plus célèbre, Preuves, à Paris.
61Enfin à cette occasion Raymond Aron expose ses concepts de guerre limitée et de guerre illimitée, en rappelant que, pour lui, si l’épreuve de force est inévitable, l’explosion, elle, ne l’est pas ; d’où sa formule devenue célèbre : « guerre impossible, paix improbable78 ».
62Dès le début des années 1950, la bataille pour la conquête des esprits est bel et bien engagée, pour assurer son efficacité en Europe, la future Agence d’information des États-Unis devra s’appuyer avant tout sur les expériences menées en zone d’occupation américaine à Berlin, point de résistance emblématique du bloc de l’Ouest.
L’Allemagne et l’Autriche : laboratoires d’expérimentation incontournables des stratégies de l’information
63Selon le point de vue de l’ancien diplomate et agent de l’USIA, Hans Tuch, « la diplomatie publique américaine d’après la Seconde Guerre mondiale trouve ses fondements d’une part dans la guerre froide et d’autre part dans l’occupation de l’Allemagne, de l’Autriche et du Japon79 ». Entre 1945 et 1949, l’Allemagne et l’Autriche, ont en effet constitué deux laboratoires de la nouvelle diplomatie américaine en offrant un véritable champ d’expérimentation des techniques et des programmes d’information américains pour le reste de l’Europe.
64Durant la période de l’immédiat après-guerre, la priorité absolue des Américains est Berlin. L’ambition des Américains est en effet de créer depuis leur zone d’occupation, une nouvelle Allemagne commandée depuis Washington et ayant pour relais le consul de Berlin. Et pour ce faire la culture et l’information prennent un rôle prépondérant. Pour les professionnels de la diplomatie publique, l’expérience menée par les services d’information en Allemagne et au Japon constitue un exemple de victoire idéologique sans précédent, puisque la campagne dite de « démocratisation80 » réalisée dans la zone américaine a conduit les ennemis d’hier à devenir des alliés de poids dans « la guerre de cinquante ans » qu’a représenté la guerre froide.
65C’est sous les auspices de l’Office of Military Government (OMGUS), que les premiers programmes d’information de la campagne de démocratisation sont mis en œuvre dans la zone américaine. Pour leur assurer une diffusion sans égal et éradiquer tout vestige de la période nazie, les responsables de l’OMGUS ordonnèrent la fermeture de toutes les institutions culturelles et de tous les organes d’information ; les théâtres, les cinémas, les maisons d’édition, ainsi que les grandes sociétés de presse, furent concernés par cette mesure jusqu’à ce que les autorités américaines aient placé à leur tête de nouveaux responsables. Par ailleurs, la présence des G.I.s permit de diffuser, par le biais des émissions radiophoniques de l’AFN (Armed Forces Network), à la fois les derniers morceaux de jazz à la mode et des informations sur la politique américaine. C’est à cette époque que l’armée américaine permit le lancement d’un nouveau quotidien, Die Neue Zeitung, dont le sous-titre était sans ambiguïté : « Un journal américain pour la population allemande81 ».
66Pour lutter efficacement contre les idées toutes faites sur une Amérique paradoxale, à la fois légère et opprimante, celle du jazz et de la ségrégation, que diffusaient largement les communistes dans le reste de l’Europe, les autorités américaines souhaitent informer et éduquer les populations de la zone Ouest en réformant le système éducatif. Si les Américains surestiment leur pouvoir d’influence en croyant pouvoir supplanter des siècles de tradition et se heurtent à un échec sur le plan de la réforme, la création de l’université libre de Berlin (Free University of Berlin) à l’initiative des Allemands, mais financée par les Américains, est caractéristique des rapports de force qui s’installent avec l’Union soviétique pour contrôler les élites.
67Lors de la partition de Berlin, les Soviétiques ont hérité dans leur zone d’occupation de la première université d’Allemagne dont ils sont susceptibles de déterminer l’avenir. Dès 1946, ils tentent en effet d’imposer leur version de la « démocratisation » par une réforme impliquant l’élimination de toute école privée et la révision des politiques d’admission à l’université. Le panel d’étudiants doit s’en trouver élargi, la préférence étant donnée aux enfants issus des classes laborieuses, aux paysans et aux familles antifascistes. L’administration de l’université se trouve rapidement investie par les membres du PC et des cours de marxisme obligatoires sont créés pour convertir les étudiants au nouvel ordre socialiste émergant dans la zone Est. Étant donné la puissance des autorités soviétiques et de l’Armée rouge garantes de ce projet, des prolongements en zone Ouest sont à craindre.
68Or, après le coup de Prague de 1948, Berlin devenant le centre des tensions de la guerre froide, les Soviétiques resserrent leur contrôle sur les étudiants de la faculté de Humboldt et la situation devient explosive. Les étudiants se révoltent contre les conditions d’admission favorisant les sympathisants communistes, et les meneurs sont très vite exclus ou arrêtés. Ceux-ci vont alors chercher du soutien auprès des médias de l’Ouest, des hommes d’affaires, des universitaires susceptibles de leur permettre de créer une université véritablement démocratique. Les seuls capables de répondre financièrement à leurs attentes sont évidemment les responsables américains de la zone Ouest. L’urgence d’opposer aux Soviétiques un contre-modèle prend alors la forme, au moment du Blocus de Berlin, d’une université libre, premier bastion de résistance intellectuelle à cheval entre l’Est et l’Ouest.
69Or, pour une plus large part des populations locales, cette lutte contre l’idéologie soviétique est relayée en Allemagne comme en Autriche par les maisons de la culture américaine (Amerika Haüser). Mises en œuvre par les resident officers, civils et militaires américains qui participent à la campagne de démocratisation menée dans les villes et les villages, ces centres culturels serviront de relais aux activités de l’USIA à partir de 195382. L’aide financière, souvent considérée comme le principe essentiel de l’influence américaine, est en effet coordonnée dans ces deux pays avec un système de « séduction culturelle » ; ce qui marque, pour l’historien autrichien Reinhold Wagnleiter, l’avènement d’une nouvelle Pax Americana : « de la Doctrine Monroe à la Doctrine Marylin Monroe83 ».
Figure 4. – Amerika Haus de Berlin Ouest, 1963.

Source : Still Pictures, Archives nationales II, College Park, MD.
70Seule nation du « monde libre » à avoir les moyens de développer une politique culturelle après guerre, les États-Unis, créent la première agence de diplomatie culturelle en Autriche, sous le nom de l’ISB (Information Services Branch), dont la mission se résume en ces termes : « Avoir recours à tous les moyens possibles, matériels ou psychologiques pour créer, si ce n’est de l’admiration du moins du respect pour les positions et les objectifs américains, et par là même éradiquer la propagande des idéologies concurrentes84. »
71Dès lors, il s’agit pour les autorités américaines de contrôler dans leur zone d’occupation tous les organes de diffusion de la culture et de l’information, de l’opéra aux stations de radio, en passant par le célèbre journal Wiener Kurier, dans le but de promouvoir la démocratie, même en ayant recours à des moyens d’apparence peu démocratiques. Le pouvoir grandissant de l’influence américaine est alors très vite mesurable au regard de l’accroissement des effectifs de l’ISB, qui passe de 140 en 1945, à plus de 730 en 194785. L’action des services d’information américains consiste dès lors à diffuser la propagande américaine auprès de groupes de populations très ciblées, par le biais de journaux tels que le Gewerkschafliche Narichten aus den USA, vantant les conditions de vie des travailleurs américains, ou par celui des très populaires émissions de la radio américaine en Autriche, Rot-Weiss-Rot, qui entre deux morceaux de jazz, proposent des « informations politiques86 ».
72Conjointement, les Amerika Haüser, en Autriche comme en Allemagne se font les luxueuses vitrines de la culture américaine et préfigurent pour le reste de l’Europe le rôle tenu par les USIS (United States Information Services) après la création de l’USIA en 1953. Les bibliothèques de ces « Maisons de l’Amérique » offrent la possibilité de consulter la presse américaine au sens large, à Vienne, plus de 400 titres sont mis à disposition des lecteurs, de Life à Housekeeping. Ces centres culturels organisent également en leur sein, de nombreuses manifestations, essentiellement des projections de films documentaires ou de fiction tel que Gone with the Wind, assorties de « petits films de propagande », et des concerts, en particulier de gospel, visant à faire ressortir la bonne intégration des Afro-Américains dans « la société d’opulence du melting-pot ».
73Et pour que tous aient accès à la bonne parole les services d’information armés de leurs ouvrages, disques et matériel de projection forment des unités mobiles de diffusion culturelle et sillonnent les provinces les plus reculées de l’Autriche, en assurant la publicité de leur venue par un slogan bien connu, élaboré depuis Washington, celui de « la campagne de vérité » (Campaign of Truth). Dans l’attente d’une véritable politique étatique, les zones d’occupation américaines ont permis, dès la fin de la guerre, non seulement de mesurer l’urgence des moyens à engager dans la contre-offensive idéologique, mais aussi de mettre en place un modèle de diffusion de l’information efficace pour l’ensemble de l’Europe.
74Pendant ce temps, au Congrès, les démocrates s’étaient montrés particulièrement concernés par le développement d’une solide politique d’information à l’étranger. Nonobstant le poids des déterminants extérieurs (le Coup de Prague, la défaite des nationalistes en Chine, le blocus de Berlin ou l’explosion de la première bombe atomique soviétique à la fin de l’année 1949), les velléités du Parti démocrate sur cette question étaient également liées à la fronde de leurs adversaires républicains, qui les accusaient tout simplement de faire preuve de laxisme face à la vigueur de la propagande soviétique. Au début de l’année 1950, dans un discours, jugé quelque peu ambitieux et grandiloquent par ses contemporains87, l’ex-directeur des programmes d’information, William Benton, désormais sénateur démocrate du Connecticut, proposa de lancer un « Plan Marshall des idées » (Marshall Plan of ideas) en guise de contre-offensive88. L’idée centrale de ce discours fut reprise quelques mois plus tard, en avril 1950, par le président Truman qui déclara que le combat contre l’impérialisme communiste était avant tout un combat pour les esprits des hommes. À cette occasion il proposa une « campagne de vérité » (terme préféré à celui de propagande), qui coordonnerait les efforts des nations du monde libre pour promouvoir la liberté contre la propagande89.
75Peu de temps après, à l’été 1950, alors que la désinformation soviétique redoublait de vigueur suite à l’invasion sud-coréenne, le Congrès multiplia par trois la dotation budgétaire des programmes d’information à l’étranger (soit une augmentation un peu moindre que celle de 89 millions demandée par la Maison-Blanche90), tandis que la Voix de l’Amérique bénéficiant de nouveaux financements devait étendre ses activités en émettant désormais en 46 langues au lieu de 2391. Bientôt, en janvier 1952, les services d’information du département d’État furent rebaptisés International Information Administration (IIA) ; cette division semi-autonome, libérée de ses activités de communication sur le territoire national, devint la seule structure responsable des programmes d’information à l’étranger, ce qui incluait à ce moment-là, les programmes d’échanges éducatifs. Cette organisation devait demeurer intacte jusqu’en août 1953, lorsque fut créée l’Agence d’information des États-Unis (l’USIA). Or, jusqu’à l’avènement de l’Agence, les services d’information sous les auspices de l’IIA, furent plus sujets à critiques et à polémiques que jamais auparavant.
Notes de bas de page
1 Harold Lasswell, Propaganda Technique in the World War, New York, Alfred A. Knopf, 1927, p. 34.
2 Le président Wilson cité dans Frank Ninkovich, The Wilsonian Century: U.S. Foreign Policy Since 1900, Chicago, University of Chicago Press, 1999, p. 67-68.
3 Ronald I. Rubin, « Reorganizing the foreign affairs agencies of the federal government », p. 1, « Special “S” Reports 1980-1982 », Entry 1009, Record Group 306, Box 22, National Archives II, College Park, MD.
4 Une des premières initiatives de la Royal Navy au moment de l’entrée en guerre de la Grande-Bretagne dans le conflit, fut de sectionner les câbles allemands vers les États-Unis afin de s’assurer que Londres représenterait la source d’informations essentielle sur le conflit. Philip Taylor, Munitions of the Mind: War Propaganda from the Ancient World to the Nuclear Age, Glasgow, Patrick Stephens, 1990, p. 163-179.
5 Emily Rosenberg, Spreading the American Dream: American Economic and Cultural Expansion, 1890-1945, New York, Hill and Wang, 1982, p. 79.
6 Le Committee on Public Information (CPI) devint rapidement une organisation d’envergure comprenant une vingtaine d’unités dont les bureaux ou services étaient répartis sur le territoire américain comme à l’étranger. Il employait des centaines de professionnels issus du monde de la publicité, du journalisme, des relations publiques, et parfois même du personnel diplomatique à l’étranger. George Creel, How We Advertised America, New York, Harper & Brothers, 1920, p. 227-232.
7 Congregatio De Propaganda Fide ou la Congrégation pour l’évangélisation des peuples (en anglais connue sous le nom de Sacred Congregation of Propaganda), fut fondée par Grégoire XV en 1622 ; il s’agissait à l’origine d’un comité de cardinaux chargés d’observer la propagation du christianisme par les missionnaires dans les pays non chrétiens. Catholic Encyclopedia, [http://www.newadvent.org/cathen/12456a.htm].
8 Fitzhugh Green, American Propaganda Abroad, New York, Hippocrene Books, 1988, p. 12.
9 Frank Ninkovich, The Wilsonian century: U.S. Foreign Policy Since 1900, Chicago, University of Chicago Press, 1999, p. 69.
10 L’agence d’information créée par George Creel comprenait trois services principaux : The Wireless Cable Service (pour la diffusion des messages radio à destination des pays amis), The Foreign Press Bureau (pour de la transmission des textes et photos à la presse étrangère) et The Foreign Film Division (pour diffuser les films de propagande du CPI auprès des mêmes distributeurs étrangers friands des productions hollywoodiennes, dont ils auraient été privés s’ils refusaient de diffuser également les productions de George Creel). Fitzhugh Green, op. cit., p. 13-14.
11 Outre le fait que la femme de George Creel était en effet une amie d’enfance du président Wilson, alors considéré comme « le grand général en chef sur le front de la propagande ». Harold D. Lasswell, Propaganda Techniques in the World War, New York, Alfred A. Knopf, 1927, p. 216-217.
12 James R. Mock et Cedric Larson, Words that Won the War: The Story of the Committee on Public Information, 1917-1919, Princeton, NJ, Princeton University Press, 1939, p. 235-247.
13 Il s’agissait pour le président Wilson de mettre en œuvre un nouvel ordre mondial basé sur les notions de sécurité collective ou de « diplomatie ouverte », ambitions qui risquaient à l’évidence de se heurter aux nationalismes européens.
14 Frank Ninkovich, The Wilsonian Century: U.S. Foreign Policy Since 1900, Chicago, University of Chicago Press, 1999, p. 48-76 ; Emily Rosenberg, Spreading the American Dream: American Economic and Cultural Expansion, 1890-1945, New York, Hill and Wang, 1982, p. 63-95.
15 Edward L. Bernays, Propaganda, New York, Liveright Publishing, 1928, p. 27 ; et Ronald Steel, Walter Lippmann and the American Century, New York, Vintage Books, 1981, p. 172.
16 Dès 1925, les Soviétiques développent leur système de projection culturelle en créant la Société de l’Union pour les relations culturelles avec les pays étrangers (VOKS, 1925-1958). Cette organisation implantée dans plusieurs nations en Europe comme aux États-Unis, sera rendue célèbre bien plus tard, en 1954, au moment du maccarthysme.
17 « Reorganizing the foreign affairs agencies of the federal government », p. 2, « Special “S” Reports 1980-1982 », Entry 1009, Record Group 306, Box 22, National Archives II, College Park, MD.
18 Les premiers programmes culturels français à destination de l’étranger sont lancés en 1923, tandis que l’Italie fasciste ouvre son premier centre culturel à l’étranger en 1926. Pour répondre aux initiatives nazies débutées en 1933, les Britanniques créent en 1943 le British Council. Philip M. Taylor, The Projection of Britain British Overseas Publicity and Propaganda, 1919-39, Cambridge, Cambridge University Press, 1981, p. 136-152.
19 Richard Pells, Not Like US: How Europeans Have Loved, Hated and Transformed American Culture Since World War II, New York, Basic Books, 1997, p. 32.
20 Jean-Pierre Azéma et François Bédarida, 1938-1948 : Les Années de Tourmente de Munich à Prague, Paris, Flammarion, 1995.
21 Richard Pells, op. cit., p. 32-33.
22 Ibid.
23 Cet organisme, dirigé par Nelson Rockefeller (petit fils du magnat du pétrole, homme d’affaires, homme politique et futur vice-président des États-Unis), prend le nom d’Office of the Coordinator of Inter-American Affairs (CIAA), en juillet 1941, et en mars 1945, il devient l’Office of Inter-American Affairs (OII) ; il sera dès lors plus simplement connu sous le nom de Rockefeller Office. Ses activités seront après guerre dispersées au sein des nombreux bureaux du département d’État. Archives nationales, Record Group 229, 812 cu. ft.
24 Richard T. Arndt, The First Resort of Kings—American Cultural Diplomacy in the Twentieth Century, Washington, D.C., Potomac Books, 2005, p. 49-74 ; USIA, « A Commemoration: Telling America’s Story to the World, 1953-1999 », Washington, D.C., The United States Information Agency’s Office of Public Liaison, 1999, p. 7.
25 « Reorganizing the foreign affairs agencies of the federal government », p. 2, « Special “S” Reports 1980-1982 », Entry 1009, Record Group 306, Box 22, National Archives II, College Park, MD.
26 USIA, « A Commemoration: Telling America’s Story to the World, 1953-1999 », Washington, D.C., The United States Information Agency’s Office of Public Liaison, 1999, p. 9.
27 Robert Pirsein, The Voice of America: an History of the International Broadcasting Activities of the United States Government: 1940-1962, New York, Arno Press, 1979, p. 25-29.
28 Robert E. Sherwood, «The Voice of America speaks», 24 février 1942, cité dans Wilson P. Dizard, The Strategy of Truth: the story of the U.S Information Service, Washington, D.C., Public Affairs Press, 1961, p. 33.
29 L’OSS qui est alors officiellement chargée d’orchestrer les opérations de propagande et de renseignement en Europe, servira de modèle pour la future Central Intelligence Agency (CIA).
30 En plus des productions hollywoodiennes plusieurs films documentaires furent produits par le Bureau of Motion Pictures de l’OWI, comme : Autobiography of a Jeep (1943) et The True Glory, Academy Award du meilleur documentaire en 1946. Nicholas Cull, The Cold War and the United States Information Agency, Cambridge/New York, Cambridge University Press, 2008, p. 16-17.
31 Le plus grand USIS d’Europe pendant le conflit fut celui de Londres, avec 1 600 employés. Il servit de relais aux opérations d’information et de propagande élaborées depuis New York et de centre de production de pamphlets et magazines spécifiquement conçus pour l’Europe. En préparation du D-Day l’OWI créa à Londres, dès 1943, une station de radio dédiée aux opérations de guerre psychologique, American Broadcasting Station in Europe (ABSIE). Robert A. Bauer, in USIA, « A Commemoration: Telling America’s Story to the World, 1953-1999 », Washington, D.C., The United States Information Agency’s Office of Public Liaison, 1999, p. 7.
32 Cette collaboration se fit sur le modèle du PWB, Psychological Warfare Branch, créé par le général Eisenhower, en 1942, au moment de l’invasion de l’Afrique du Nord par les Alliés. Le PWB était un organisme anglo-américain, co-dirigé par Robert McClure et C. D. Jackson, comprenant une quarantaine de journalistes, publicitaires, officiers britanniques, et agents de l’OWI et de l’OSS. Voir Kenneth Osgood, Total Cold War: Eisenhower’s Secret Propaganda Battle at Home And Abroad, Lawrence, KS, Kansas University Press, 2006, p. 29-31.
33 D’après le témoignage de Denise Abbey, agent du War Information Program à partir de 1944 (en Italie), recueilli par G. Lewis Schmidt le 16 mai 1988, The Association for Diplomatic Studies and Training, Foreign Affairs Oral History Project Information Series, CD-rom, Arlington, VA, ADST, 1998.
34 Ibid.
35 Frank Ninkovich, The Diplomacy of Ideas, p. 117 ; et Wilson P. Dizard, Inventing Public Diplomacy. The Story of the U.S. Information Agency, Boulder/Colorado, Lynne Rienner Publishers, 2004, p. 28-29.
36 Kenneth Osgood, Total Cold War: Eisenhower’s Secret Propaganda Battle at Home And Abroad, Lawrence, KS, Kansas University Press, 2006, p. 30.
37 Charles A. H. Thompson, in Leo Bogart, Cool Words, Cold War. A New Look at USIA’s Premises for Propaganda, New York/Londres, Free Press/Collier Macmillan, 1976, p. 13.
38 Allusion notamment à Robert Sherwood, à la tête du FIS (Foreign Information Service), qui s’inspira et se réclama de la théorie mise en avant par les Britanniques, selon laquelle la meilleure des propagandes était celle qui reposait sur des faits avérés. Nicholas Cull, Selling War: British Propaganda and American Neutrality in World War II, New York, Oxford University Press, 1995, p. 144.
39 John W. Anderson, The United States Information Agency, New York/Washington, D.C./Londres, Praeger Library of U.S Government Departments and Agencies, 1969, p. 33-35.
40 « The War was over there was nothing more to explain », Wilson P. Dizard, The Strategy of Truth: the Story of the U.S Information Service, Washington, D.C., Public Affairs Press, 1961, p. 36.
41 Wilson P. Dizard, Inventing Public Diplomacy. The Story of the U.S. Information Agency, Londres, Boulder Colo, Lynne Rienner Publishers, 2004, p. 37-38.
42 Michael W. Dravis, « The Cadre Strategy of Covert Action: Preserving U.S. Secret Operations Capability, 1945-1947 », Intelligence and National Security, vol. 13, issue 4, hiver 1998, Londres, Routledge, Taylor & Francis Group, p. 208-230.
43 « The United States Information Agency, A Commemoration: Telling America’s Story to the World », p. 9.
44 La Voix de l’Amérique, qui diffusait 3 200 programmes par semaine dans plus de quarante langues différentes, voit ses effectifs diminuer de moitié. Robert William Piresein, The Voice of America: An History of the International Broadcasting Activities of the United States Government: 1940-1962, New York, Arno Press, 1979, p. 32.
45 À l’automne 1947 ces deux divisions prennent le nom d’Office of International Information and Educational Exchange. « Reorganizing the foreign affairs agencies of the federal government », p. 2, « Special “S” Reports 1980-1982 », Entry 1009, Record Group 306, Box 22, National Archives II, College Park, MD.
46 « Statement by the President Upon Signing Order Concerning Government Information Programs », Executive Order, no 9608, 31 août 1945.
47 Expression désignant majoritairement dans l’historiographie de la guerre froide la période de 1947 à 1953 (du plan Marshall à la mort de Staline, et aux tentatives de coexistence pacifique).
48 Alors que le personnel et les dirigeants de l’OWI avaient été choisis parmi des professionnels du journalisme, William Benton, quant à lui était un publicitaire de renom, qui avait fondé en 1929 sa propre agence avec Chester Bowles, Benton & Bowles (B&B). Ses relations dans le monde des médias, l’amenèrent à demander conseil ou soutien à des personnalités influentes ou en vue telles que Henry Luce (fondateur entre autres de Fortune, Life et Time Magazine) ou Ed Murrow (CBS), déjà pressenti pour diriger un service du département d’État voulu par Benton, l’Office of Public Information plus connu sous le nom d’Office of Public Affairs. Nicholas Cull, The Cold War and the United States Information Agency, p. 23-26.
49 En l’espace de quelques mois seulement le personnel de l’ex OWI, qui avait atteint les 13 000 employés, fut réduit de 90 %, les émissions de VOA furent réduites de manière drastique, notamment parce que les émetteurs radio, empruntés à des sociétés privées pendant la guerre, furent rendus à leurs propriétaires, ce qui ramena le temps de diffusion des programmes à seulement quelques heures par jour. Wilson P. Dizard, Inventing Public Diplomacy. The Story of the U.S. Information Agency, op. cit., p. 39, et John W. Henderson, The United States Information Agency, p. 37.
50 Benton dévoila son programme en janvier 1946 dans un discours appelant à la mise en œuvre d’un « dignified information program as distinguished from propaganda », cité dans « Reorganizing the foreign affairs agencies of the federal government », p. 3, « Special “S” Reports 1980-1982 », Entry 1009, Record Group 306, Box 22, National Archives II, College Park, MD.
51 Il faut préciser que l’intérêt pour les programmes d’information à l’étranger était empêché par des dissensions de politique intérieure. Les élections de 1946 avaient offert au Parti républicain, pour la première fois depuis 1920, la majorité à la chambre haute comme à la chambre basse, et les programmes d’information semblaient offrir une merveilleuse occasion de s’opposer à la politique du président démocrate, Harry Truman. Harry Krugler, The Voice of America and the Domestic Propaganda Battles, 1945-1953, Columbia, University of Missouri Press, 2000, p. 42-54.
52 Robert David Johnson, « Congress and the Cold War », in Journal of Cold War Studies, vol. 3, no 2, printemps 2001, p. 76-100, et John W. Henderson, The United States Information Agency, p. 37.
53 George Van Allen ne devait prendre officiellement ses fonctions qu’en mars 1948.
54 « The Soviet Union », in FRUS 1947, vol. IV, Eastern Europe, p. 562-564. Voir également « Les PC prennent le pouvoir à l’Est, 1944-1948 », in Michel Dreyfus, Bruno Groppo, Claudio Ingerflom, Roland Lew, Claude Pennetier, Bernard Pudal et Serge Wolikow (dir.), Le siècle des communismes, Paris, Les Éditions de l’Atelier, 2000, p. 224-226.
55 « The National Security Act of 1947 », docs 196-200, et « National Security Council Intelligence Directives, 1947-1950 », docs 422-435, in FRUS 1945-1950, Emergence of the Intelligence Establishment, Washington, D.C., Department of State, U.S. GPO, 1996.
56 Wilson P. Dizard, Inventing Public Diplomacy, The Story of the U.S. Information Agency, op. cit., p. 45.
57 Laura Ann Belmonte, « Defending a Way of Life: American Propaganda and the Cold War, 1945-59 », Ph.D., Universty of Virginia, 1996, p. 63-67.
58 Les premières réunions du Conseil de sécurité nationale à l’automne 1947 furent en effet consacrées à la guerre psychologique, et en décembre, le NSC vota la première résolution (NSC-4) approuvant le bien-fondé des activités des services d’information et appelant au renforcement de tout programme visant à influencer les opinions publiques étrangères. Le département d’État devait d’après la résolution NSC-4 coordonner l’ensemble des activités déjà existantes au sein du gouvernement, et la CIA fut chargée de mettre en œuvre les opérations officieuses de la contre-offensive psychologique. « NSC-4, Report by the National Security Council on Coordination of Foreign Information Measures, December 9, 1947 », doc. 252, et « NSC4-A, Psychological Operations, December 9, 1947 », doc. 253, in FRUS 1945-1950, Emergence of the Intelligence Establishment, Washington, D.C., Department of State, U.S. GPO, 1996.
59 Raymond Aron, Le grand schisme, Paris, Gallimard, 1948.
60 George F. Kennan, cité dans Scott Lucas, Freedom’s War: the US Crusade against the Soviet Union, 1945-1956, New York, New York University Press, 1999, p. 63.
61 L’initiative la plus audacieuse était en effet venue du secrétaire d’État George Marshall, qui avait annoncé le 5 juin 1947, la mise en place d’un gigantesque programme d’aide économique destiné à soutenir la reconstruction européenne. Le « Plan Marshall », qui fut définitivement adopté par le Congrès en octobre 1949 (connu également sous le nom de European Recovery Program [ERP]) incluait des activités d’information et de propagande qui devait incomber à l’Economic Cooperation Agency (ECA). Il s’agit tout d’abord d’expliquer le rôle des États-Unis dans la reconstruction européenne, puis progressivement de convertir les populations visées aux vertus de la libre entreprise et de l’American way of life. Reinhold Wagnleitner, Coca-Colonization and the Cold War: The Cultural Mission of the United States in Austria After the Second World War, Chapel Hill, NC, University of North Carolina Press, 1994, p. 57.
62 Pierre Melandri, « Bienvenue, M. Marshall ! », L’Histoire, no 151, p. 20-25.
63 Marc Lazar, « Les Partis communistes dans la Bataille », in L’Histoire, no 151, p. 41.
64 « L’élargissement de l’influence communiste à l’Ouest » et « Les partis communistes français et italien », in Michel Dreyfus, Bruno Groppo, Claudio Ingerflom, Roland Lew, Claude Pennetier, Bernard Pudal et Serge Wolikow (dir.), op. cit., p. 221-224 et p. 289-299.
65 Sallie Pisani, The CIA and the Marshall Plan, Lawrence, University Press of Kansas, 1991, et Trevor Barnes, « The Secret Cold War: The CIA and American Foreign Policy in Europe, 1946-1956. Part I », Historical Journal, no 24, juin 1981, p. 399-415.
66 Waldemar A. Neilson, « Information to Win Public Support and Sustain Morale », in Contantine Menges (dir.), The Marshall Plan from Those Who Made It Succeed, Lanham, MD, University Press of America, 2000, p. 199-212.
67 « Policy Planning Staff Memorandum, May 4, 1948 », doc. 269, FRUS 1945-1950, Emergence of the Intelligence Establishment, Washington, D.C., Department of State, U.S. GPO, 1996.
68 Michel Winock, « Le Schisme idéologique », in L’Histoire, no 151, p. 50-58.
69 Maurice Thorez, « Comité central de Gentilly, 9 juillet 1948 », in L’Histoire, no 151, p. 51.
70 Frances Stonor Saunders, Qui mène la Danse ? La CIA et la Guerre Froide Culturelle, Paris, Denoël, 2003, trad. de l’anglais, Who Paid the Piper?, Londres, Granta Books, 1999, p. 67.
71 Véritable pierre angulaire des activités culturelles menées par la CIA dans l’Europe de la guerre froide de 1950 à 1967, le Congrès pour la liberté de la culture (CCF) bénéficie d’une historiographie relativement prolixe, voir par exemple : Peter Coleman, The Liberal Conspiracy: the Congress for Cultural Freedom and the Struggle for the Minds of Postwar Europe, Londres/New York, Collier Macmillan/Free Press, 1989 ; Volker Berghahn, America and the Intellectual Cold Wars in Europe: Shepard Stone between Philanthropy, Academy and Diplomacy, Princeton, Princeton University press, 2001 ; Giles Scott-Smith, The Politics of Apolitical Culture, The Congress for Cultural Freedom, the CIA and Post-war American Hegemony, Londres/New York, Routledge, PSA, 2002.
72 Tom Braden avait précédemment dirigé le Comité pour une Europe unie (Committee for a United Europe) avant de laisser la place à Cord Meyer. Richard T. Arndt, The First Resort of Kings—American Cultural Diplomacy in the Twentieth Century, Washington, D.C., Potomac Books, avril 2005, p. 222.
73 Melvin Lasky, s’était rendu à New York quelques mois auparavant en observateur particulièrement attentif de la conférence du Waldorf Astoria.
74 Pierre Grémion, L’Intelligence et l’anticommunisme : le Congrès pour la liberté de la culture à Paris, 1950-1975, Paris, Fayard, 1995, p. 32.
75 Staline tente alors d’imposer à la communauté scientifique, les théories contestées de Lyssenko en biologie.
76 Pierre Grémion, « Le Congrès pour la Liberté de la Culture. Origine, Contraintes, Orientations », in S. Dockrill, R. Frank, G.-H. Soutou et A. Varsori (dir.), L’Europe de l’Est et de l’Ouest dans la guerre froide 1948-1953, Paris, Presses universitaires de Paris-Sorbonne, 2002, p. 252.
77 Pour les stratèges américains les plus avisés, Byrnes, Marshall ou Kennan, cette forme de résistance des intellectuels appartenant notamment à la gauche non communiste (Non Communist Left, NCL) à toute incursion des Soviétiques, devait incontestablement être soutenue. En ce sens Cord Meyer, qui travailla à la tête de l’organisation rapporte que le CCF fut largement financé par le gouvernement américain, jusqu’à 2 millions de dollars en 1966. Richard T. Arndt, The First Resort of Kings, op. cit., p. 222.
78 Raymond Aron, Le grand schisme, Paris, Gallimard, 1948, 348 p.
79 Hans Tuch, Communicating with the World. U.S Public Diplomacy Overseas, New York, St. Martin’s Press, 1990, p. 14.
80 La campagne de démocratistation, ou encore appelée de dénazification, menée par les Américains dans leur zone d’occupation avait commencé bien avant la fin de la guerre, notamment dans les camps de prisonniers militaires sous la forme de conférences et de lectures imposées par le département de la Guerre.
81 Claus Jacobi, « A New German Press, Foreign Affairs, January 1954 », p. 323-330, cité dans Wilson P. Dizard, Inventing Public Diplomacy. The Story of the U.S. Information Agency, op. cit., p. 41 ; Jessica C. E. Gienow-Hecht, Transmission Impossible: American Journalism as Cultural Diplomacy in Post War Germany, 1945-1955, Baton Rouge, LA, Louisiana State University Press, 1999.
82 Yale Richmond in USIA, « A Commemoration », p. 10.
83 Reinhold Wagnleiter, « The Irony of American Culture Abroad », in Lary May, Recasting America. Culture and Politics in the Age of the Cold War, Chicago/Londres, The University of Chicago Press, 1989, p. 286.
84 Ibid.
85 D’après le témoignage de Denise Abbey, agent de l’OWI, ayant contribué à la création de la station américaine Radio Austria dès le 6 juin 1944 et au développement à Vienne de l’Institute of Education austro-américain, 16 mai 1988, Foreign Affairs Oral History Project Information Series, CD-rom, Arlington, VA, ADST, 1998.
86 Reinhold Wagnleiter, Coca-Colonization and the Cold War: The Cultural Mission of the United States in Austria After the Second World War, Chapel Hill, NC, University of North Carolina Press, 1994.
87 Richard T. Arndt, The First Resort of Kings, op. cit., p. 258-259.
88 Ronald I. Rubin, « Reorganizing the foreign affairs agencies of the federal government », p. 4, « Special “S” Reports 1980-1982 », Entry 1009, Record Group 306, Box 22, National Archives II, College Park, MD.
89 « Going Forward with the Campaign of Truth, » in Department of State Bulletin, 2 septembre 1950, p. 699.
90 Wilson P. Dizard, Inventing Public Diplomacy. The Story of the U.S. Information Agency, op. cit., p. 48.
91 David F. Krugker, The Voice of America and the Domestic Propaganda Battles, 1945-1953, Columbia, University of Missouri Press, 2000, p. 139.
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