Chapitre VII. Réappropriations autochtones
p. 183-207
Texte intégral
1Dans ce dernier chapitre consacré aux populations autochtones du Subarctique et des Prairies, il conviendra de s’intéresser au monde contemporain en prenant comme point de départ les premiers mouvements de revendication et de revalorisation culturelle des années 19601. Le contexte nord-amérindien contemporain sera envisagé comme celui d’un temps de réapprentissage en considérant celui-ci comme la forme visible et contemporaine du principe d’adoption et d’incorporation qui occupait les chapitres précédents. Les liens immédiats entre appropriation et réappropriation, d’une part, et réapprentissage de la culture nord-amérindienne perdue, de l’autre, seront au centre du propos. Et émergera, à travers l’actualisation des mémoires de mission dans une perspective autochtone, la place du féminin. L’argumentaire positionnant le féminin du côté de l’intériorité, complétant ainsi le masculin, pour sa part en contact direct avec l’extériorité, sera poursuivi. Il sera alors postulé que la double dichotomie « intérieur/extérieur – féminin/masculin » qui guide la réflexion sur la complémentarité des sexes dans le monde autochtone est toujours opérante dans le processus de revitalisation contemporaine de l’identité autochtone.
Mémoires apprivoisées et réappropriées
2C’est autour de la question de la cession de terres et des différentes interprétations qui peuvent être faites des traités que les revendications des années 1960 se cristallisent. Dès lors, les populations autochtones du Canada s’unissent pour faire valoir leurs droits. Les revendications nord-amérindiennes, aussi politiques et identitaires qu’elles soient, comportent une importante dimension culturelle et spirituelle. Se dégage de leur unité affirmée face aux problèmes territoriaux une solidarité culturelle et religieuse. Dans cette veine, l’assimilation et les écoles résidentielles deviennent un nouveau sujet de crispation à l’échelle panindienne canadienne. Dans les années 2000, après les différentes églises chrétiennes, le gouvernement présente à son tour ses excuses et reconnaît les conséquences néfastes de cette politique désignée comme « un triste chapitre2 » de l’histoire. Les écoles résidentielles font partie intégrante de l’histoire des missions et des missionnaires au Canada. Les moyens par lesquels les populations autochtones se sont réapproprié cette période de leur histoire sont éclairants et seront ici explicités par l’exemple d’une école résidentielle, désormais réappropriée, qui guidera la réflexion vers le renouveau de la spiritualité nord-amérindienne. Le complexe adoption-incorporation, prenant ici la forme d’une réappropriation se fait clairement ressentir.
Le Blue Quills College (Alberta)
3Près de la réserve de Saddle Lake, à quelques kilomètres de la ville de Saint-Paul (Alberta), une ancienne école résidentielle, originellement administrée conjointement par les autorités gouvernementales et les oblats de Marie Immaculée, a été totalement réhabilitée en 1971 pour devenir le premier centre éducatif géré par les autochtones au Canada. Anciennement école-pensionnat, le « Blue Quills First Nation College », devenu université « University nuhelot’įne thaiyots’į nistameyimâkanak Blue Quills » depuis 2015, est aujourd’hui autogéré par un regroupement de sept communautés avoisinantes.
4L’école Blue Quills trouve son origine dans l’histoire des missions catholiques en Alberta avec la fondation, en 1898, d’une l’école résidentielle près de la mission lac La Selle (actuelle communauté de Saddle Lake) où une mission avait été fondée en 1873. En 1929, pour administrer au mieux l’école, un premier contrat est rédigé entre la congrégation des oblats de Marie Immaculée et celle des Sœurs Grises pour définir les rôles et devoirs respectifs des deux communautés. La direction administrative de l’école, les travaux de la ferme et l’éducation des grands garçons sont confiés à la congrégation masculine tandis que la régie interne de la maison et l’éducation des plus jeunes et des grandes filles sont laissées aux soins de la communauté féminine3. En 1931, pour des raisons pratiques telles que les facilités de ravitaillement, l’école est relocalisée à cinq kilomètres au nord-ouest de St-Paul-des-Métis, aux portes de la réserve de Saddle Lake. L’établissement sera alors nommé Blue Quills Indian Residential School. C’est à cette même période, en 1932, que le gouvernement fédéral renforce sa politique d’assimilation par l’éducation en imposant à tous les parents d’amener leurs enfants à l’école, faute de quoi la police s’en chargera4.
5Avec l’arrivée d’un corps professoral laïque au cours des années 1960, les Sœurs Grises quittent progressivement l’école pour s’en retirer définitivement au moment de la fermeture de l’établissement à la fin juin 1970. Dans cette période du « réveil indien5 », les revendications dans la région de Saddle Lake trouveront leur expression dans la fondation du Blue Quills Native Education Center. Profitant de la mise en marche d’un mouvement collectif impulsé à la suite de l’affaire du White Paper en 1969, les populations du district de Saddle Lake/Athabasca6 souhaitant le maintien de ce lieu d’éducation pour leurs adolescents7 s’organisent et forment le Blue Quills Native Education Council avec pour objectif de prendre le contrôle des opérations concernant cette école. Il est intéressant de souligner ici que ce premier conseil est composé de quatorze membres, sept hommes et sept femmes. Cette mainmise des autochtones sur leur propre système éducatif est inscrite dans le Citizen Plus (« Red Paper »), rédigé en réaction au White Paper. Le pamphlet insiste sur la nécessité de l’ouverture d’Indian Education Centres et d’un développement de programmes scolaires spécifiques8. À la fermeture de l’école résidentielle, fin juin 1970, les communautés du district organisent une occupation pacifiste pour prendre possession des lieux et démontrer au gouvernement fédéral leur volonté de prendre en main cette école. Jusqu’à la fermeture de l’école résidentielle, très peu d’autochtones y travaillaient : seuls deux hommes et deux femmes autochtones qui s’occupaient de la maintenance du bâtiment s’y trouvaient la dernière année ; le personnel était donc essentiellement blanc et la plupart d’entre eux étaient francophones9. Après plusieurs semaines d’occupation, le ministre des Affaires indiennes, Jean Chrétien, donne l’autorisation au Blue Quills Native Education Council de prendre pleine possession des lieux au 1er janvier 197110. La croix chrétienne surplombant le bâtiment est alors détruite et remplacée par le nouveau symbole de l’école : deux plumes qui se croisent (cahier couleur pl. VII, no 11). C’est ainsi que débute la nouvelle histoire de l’école Blue Quills. Dans un mouvement d’autodétermination, les populations autochtones du district Saddle Lake/Athabasca participent à la réappropriation d’une ancienne école résidentielle faisant de celle-ci un nouveau lieu d’apprentissage dans une mouvance traditionnelle.
6Le Blue Quills First Nations College offre dans un premier temps un enseignement primaire et secondaire avant d’évoluer pour devenir un établissement d’études postsecondaires, collaborant désormais avec les plus grandes universités de la province. Dès 1973, le centre d’enseignement Blue Quills signe un accord avec la province de l’Alberta pour le développement d’un cursus scolaire en langue cree. La direction de ce « comité de promotion de la langue cree » sera confiée à une femme, Roseanna Houle. Née en 1922 et ancienne élève de Blue Quills dans sa version école résidentielle, elle s’engagea pour le développement du cree en développant de nombreux ouvrages et outils d’apprentissage11.
7Si, au début des années 1970, les programmes scolaires sont toujours administrés par le département des Affaires indiennes, le personnel de l’école change progressivement. Les emplois liés à l’administration, à la maintenance générale du bâtiment et à la surveillance des étudiants, sont donnés aux membres des communautés autochtones participant au projet. À partir de 1975, plusieurs écoles primaires (niveau 4 à 8) sont construites dans les réserves alentour, ce qui permet à l’établissement Blue Quills de se concentrer sur les niveaux supérieurs. Cinq enseignants s’occupent alors de soixante-cinq étudiants des niveaux 9 à 12. En 1975 est inauguré le projet « Morning Star » en association avec l’université d’Alberta (Edmonton), projet destiné à fournir à la province un corps professoral autochtone. En 1977, un programme délivrant le Certificat d’administration publique est ouvert en partenariat avec l’Athabasca University. S’ensuivront l’ouverture de plusieurs formations telles que des diplômes en art, en études générales, en administration, en travail social, en soins à la petite enfance ou encore en commerce. En 1985, l’école se dote d’un nouveau bâtiment, le Blue Quills Health Science-Trade Center où sont enseignées la charpenterie, la plomberie, la soudure et la mécanique automobile. En 1988, après douze années d’existence, le Blue Quills High School avait permis à cent cinquante-deux étudiants de compléter leurs études et de recevoir alors une plume d’aigle en plus de leur diplôme lors des cérémonies de remise de ces mêmes diplômes.
8La particularité de cet établissement repose sur les bases traditionnelles autochtones dans lesquelles l’enseignement est donné. En 1984, un projet pilote intitulé « Lifes Value » est expérimenté à Blue Quills. Pendant deux années, une trentaine d’étudiants ayant auparavant abandonné le système scolaire apprennent à enseigner et à valoriser leur culture traditionnelle. La philosophie de l’enseignement donné dans ce nouvel établissement est ainsi décrite :
« Through its evolution, Blue Quills has walked full circle to return our people to the original teachings of, love, honesty, sharing, and determination. This basic law has been the driving force of our people since time immemorial and is the story of group process12. »
9La réappropriation de l’éducation se fait ainsi selon des principes amérindiens. Il s’agit de promouvoir la fierté de l’héritage autochtone et de réapprendre des savoirs et pratiques d’essences traditionnelles. « It gives people the opportunity to come back to the land, to learn the values of our grandparents13. » Ce discours est appuyé par des pratiques mises en œuvre à Blue Quills. Par exemple, tous les lundis matin, l’ensemble des membres du personnel du collège, accompagnés par les anciens de la communauté, sont invités à pratiquer une séance de purification (smudging) au moyen de la fumée dégagée par la sauge brûlée. Les cérémonies tiennent une place prépondérante aujourd’hui à Blue Quills. Dans le champ jouxtant l’école, séparée par un bosquet, se trouve une aire cérémonielle où sont implantées une dizaine de structures. Il s’agit des armatures d’édifices à vocation rituelle et culturelle : tipi, sweat lodge, chicken dance lodge, ghost dance lodge, etc. (cahier couleur pl. VII, no 12).
10L’année à Blue Quills est rythmée par les cérémonies qui accompagnent les saisons14. L’hiver est le temps des mythes et légendes au coin du feu, à l’abri des tipis. La fin de l’année est la période durant laquelle se déroule la cérémonie du Give Away. Cette cérémonie du don au cours de laquelle chacun apporte des présents à partager est offerte par un leader cérémoniel de la région. La night lodge ceremony, tenue le dernier jour de l’année civile est l’occasion de souhaiter une vie et un avenir paisibles mais c’est également le moment de rendre hommage aux personnes décédées lors de l’année écoulée par des offrandes de nourriture.
11L’été est la période des grandes cérémonies en extérieur, à l’image des rassemblements estivaux traditionnels, et est tout particulièrement l’occasion du Cultural Camp15. Durant six jours, les participants sont conviés à se réapproprier leurs traditions perdues. Les objectifs sont clairement énoncés : il s’agit d’une expérience collective visant à rassembler les générations pour célébrer l’esprit de famille et favoriser les transmissions de savoirs. Les activités sociales et spirituelles qui s’y déroulent doivent permettre aux communautés de rompre les cycles néfastes des abus (sous-entendu alcool et drogue) et de contribuer au processus de guérison et de réappropriation de l’identité autochtone pour le bien-être des générations futures. Les journées aux Cultural Camp sont divisées en deux temps. Les matinées et débuts d’après-midi sont consacrés à l’apprentissage de savoirs, mais surtout de savoir-faire. Trois types d’ateliers sont proposés : construction d’un tipi ; cercles d’apprentissage concernant la médecine traditionnelle, rites de passage et cérémonies quotidiennes ; enfin, ateliers d’artisanat. Dans ce dernier type d’atelier, la confection de tambours et de hochets, la fabrication de pointes de flèche, mais aussi la couture et les activités de perlage, entre autres, sont enseignées. Les fins d’après-midi sont ensuite consacrées à une cérémonie spirituelle. En 2014, chaque jour à partir de 16 h, une cérémonie différente est organisée : Four Fires Ceremony, Bear Lodge Ceremony, Tea Dance ou encore Chicken Dance. Le dernier jour est également totalement dédié à la Chicken Dance16. Le Cultural Camp de Blue Quills est donc l’occasion de réapprendre les savoirs et pratiques traditionnels. Il est intéressant de noter que l’ensemble de ces savoirs, qu’ils soient techniques ou cérémoniels, rassemble les signes distinctifs les plus communs des Indiens d’Amérique du Nord : les tipis, les tambours, les flèches, les perles, les danses et les huttes à sudation. Soit, un apanage culturel qui correspond à celui des cultures autochtones des Plaines et qui est désormais promoteur de la reconnaissance identitaire et culturelle autochtone.
12L’exemple de l’établissement scolaire Blue Quills permet de constater que la réappropriation de la mémoire d’un temps de mission est cependant possible à travers le retour aux enseignements traditionnels. La période d’évangélisation des missions et des écoles résidentielles est loin d’être oubliée, mais à l’instar de ce qui se déroule à Blue Quills, les communautés autochtones trouvent des solutions de réapprentissage pour se réapproprier leur culture.
Une spiritualité renouvelée
13À la suite de la fermeture des dernières écoles résidentielles dans les années 1990 et pour tenter de réparer les torts causés par ces pensionnats, la mémoire d’un temps de mission commence à s’institutionnaliser avec pour principaux vecteurs la réconciliation et la guérison.
« La “réconciliation” consiste à établir et à maintenir une relation de respect réciproque entre les peuples autochtones et non autochtones dans ce pays. Pour y arriver, il faut prendre conscience du passé, reconnaître les torts qui ont été causés, expier les causes et agir pour changer les comportements17. »
« Le processus de réconciliation doit soutenir les Autochtones pendant la longue guérison qui leur permettra de panser les blessures directement associées à l’héritage de colonisation destructeur qui a complètement ravagé leurs vies18. »
14La guérison est alors le moyen employé pour contrer la mémoire d’un temps qui était celui de l’assimilation par les écoles résidentielles et se réapproprier des brides de l’identité autochtone. Les autochtones doivent se réapproprier leur unité, afin d’admettre et de digérer une période sombre où leurs valeurs et pratiques traditionnelles ont été mises à la marge. En 2014, lors d’un forum portant sur les gardiens du savoir traditionnel, organisé par la Commission de vérité et de réconciliation (CVR)19 il est rappelé que :
« Le travail de réconciliation devait se poursuivre de manière à honorer les ancêtres, à respecter la terre et à rééquilibrer les relations20. »
15L’expérience commune et l’héritage partagé se retrouvent dans les formes de la guérison. Le processus de guérison dont il est question au Canada est essentiellement constitué de la réappropriation des savoirs ancestraux. Il s’agit de retrouver des repères, de réapprendre, et l’objectif des Cultural Camps qui se déroulent à Blue Quills chaque printemps y répond.
16Un rapport compilé en 2008 pour la Fondation autochtone de guérison (FADG) mentionne un « mouvement de guérison » parallèle au « renouveau culturel21 ». Le lien est fait entre la revitalisation des identités autochtones largement exprimée à partir des années 1970 et la « guérison », processus institutionnel qui débute à la fin des années 1990. Si l’écart chronologique peut sembler important, c’est dans la notion d’héritage partagé qu’il faut y trouver une correspondance. En effet, le « renouveau indien22 » aux États-Unis, comme au Canada, se fonde sur une solidarité inter-nations autochtones qui a pour but de défendre les droits de ces dernières. S’appuyant sur ce sentiment d’une injustice commune, les communautés autochtones comptent faire-valoir leur existence et leurs particularismes23. Les autochtones sont soumis à un régime législatif différent de celui de la population canadienne, parce qu’ils sont membres des Premières nations autochtones. Le projet politique d’une assimilation totale a finalement échoué. Le traitement appliqué aux populations autochtones a plutôt eu pour effet de les unifier. De l’expérience et de l’héritage commun a surgi une identité amérindienne plus uniformisée ; bien que l’appartenance à telle ou telle nation soit toujours une fierté pour chaque autochtone24. De ces mouvements politico-identitaires émerge alors un « panindianisme », notion déjà évoquée. Le préfixe « pan- » introduit l’idée d’ensemble et de totalité, abolissant les frontières entre les différents groupes autochtones. Ce processus globalisant s’applique tant au domaine politique qu’au domaine spirituel.
17Au-delà de la reconnaissance des droits civiques et territoriaux, la revitalisation autochtone s’ouvre également aux pratiques spirituelles. La « spiritualité panindienne » renvoie ainsi à des pratiques spirituelles traditionnelles et ancestrales qui sont réactualisées dans un mouvement de revitalisation25. Prenant ses marques dans le grand Ouest canadien dès les années 1970, le mouvement panindien s’étend sur un mode diffusionniste et se fait ressentir au Québec dans le courant des années 1980. Ce qui est facilement constatable étant donné l’adoption progressive de croyances et de pratiques, telles que la danse du soleil ou encore les huttes à sudations, historiquement associées aux Amérindiens des Plaines et que l’on observe aujourd’hui dans l’ensemble du Canada (côte Nord-Ouest alors ici exclue)26. C’est dans la reconnaissance d’un héritage commun et par la réappropriation des savoirs autochtones que le processus de guérison se met en place.
18Pour ce faire, la FADG, entre autres, apporte un soutien financier à plusieurs projets de guérison basés sur le patrimoine traditionnel autochtone. Par exemple, en Ontario :
« L’équipe de guérison, Nimishomis-Nokomis Healing Group, […] est formée d’un consortium de guérisseurs traditionnels qui ont joint leurs forces, leurs savoirs et savoir-faire et leurs ressources traditionnelles pour dispenser des services de guérison et de thérapie à des personnes, sans distinction de sexe, de nationalité, d’âge ou de lieu de résidence27. »
19La spiritualité amérindienne, ici précédemment décrite comme reposant sur un substrat animo-totémique et dont le chamanisme est l’une des modalités, se trouve au cœur du processus de réappropriation qui s’exprime dans le renouveau culturel panindien. « La tente tremblante, les sueries, le calumet sacré et les tambours et chants traditionnels des Anishinaabe sont des éléments essentiels de la démarche de guérison28. » D’un point de vue personnel également, une identité est à reconstruire. Pour ce faire, la guérison peut passer par l’apprentissage (ou le réapprentissage) de la langue autochtone locale, la dotation d’un nouveau nom ou encore l’inscription d’une individualité dans un système clanique.
« Des noms peuvent être attribués pour des raisons d’affection, d’hommage, pour demander des forces et même le rétablissement d’une maladie. Dans un tel cas, un nom devient guérison, la cérémonie d’attribution du nom étant thérapeutique et partie intégrante d’un processus personnel de réconciliation […] Les Anishinaabe qui veulent parvenir à la guérison et à la réconciliation au niveau personnel doivent donc connaître leur clan. C’est un élément absolument vital lié à l’identité spirituelle29. »
20Si l’exemple du Nimishomis-Nokomis Healing Group est Anishinaabe30, de nombreux « healing group » ou « healing centre » ont émergé à travers tout le pays dans de nombreuses réserves : « Il est essentiel pour parvenir à la guérison de passer par l’affirmation culturelle31. »
21En un sens, le programme de guérison n’est rien de plus que celui d’un processus de réappropriation. Une réappropriation de l’identité autochtone qui se fait alors collectivement et à l’échelle continentale. Dans la réserve de Saddle Lake, toute une tranche d’âge de la communauté a été dans l’obligation de rejoindre l’école-pensionnat voisine de Blue Quills. La communauté est aujourd’hui dévastée par toutes sortes de maux consécutifs à une perte de repère : alcoolisme, drogues, suicides et grossesses précoces en sont les marques les plus visibles. Des rencontres sont régulièrement organisées pour partager les savoirs traditionnels entre jeunes et aînés de la communauté dans le centre de bien-être, l’« Eagle Healing Lodge ». De nombreuses conférences de prévention ponctuent également l’année. Le bâtiment peut accueillir des patients à plein-temps, sur une durée de quelques jours, voire de plusieurs semaines si nécessaire ; l’objectif étant d’aider les personnes en difficulté à se reconstruire en réapprenant leur identité autochtone32. Dans un bois tout près de l’« Eagle Healing Lodge » différentes structures cérémonielles ont été installées, essentiellement des huttes à sudation, où des sessions à caractères chamanistiques sont organisées très régulièrement pour guérir des maux de la colonisation33.
22La FADG a également largement contribué à mettre en place de nombreux projets centrés autour de savoir-faire artisanaux et artistiques. Le réapprentissage des techniques traditionnelles de perlage, broderie, vannerie, confection de tambour, participe pleinement au processus de guérison34. Avec ces initiatives, la guérison trouve ses assises dans les savoir-faire artisanaux, dans la médecine traditionnelle et dans la spiritualité, au travers de cérémonies telles que la hutte à sudation ou encore la tente tremblante. La création d’une mémoire collective autochtone est au fondement du processus de guérison. Cette mémoire collective concerne alors tant la reconnaissance des dommages causés par plusieurs décennies de politique assimilatrice qu’une réappropriation des savoirs et savoir-faire ancestraux qui peuvent être mis à profit dans le cadre de la guérison.
23La revitalisation de la culture autochtone nord-amérindienne est indissociable d’un mouvement panindianiste comme cela a été suggéré plus haut. Dans ce renouveau spirituel, la place du féminin et du masculin se laisse entrevoir. Le rôle des elders, ceux qui savent et qui ont la possibilité de transmettre des savoirs et techniques ayant une essences traditionnelles, est primordial dans ce renouvellement contemporain. Deux anciens rencontrés en Alberta ont essentiellement centré leur discours sur la notion de réapprentissage : « relearn ». Tous deux sont passés par les bancs des écoles résidentielles durant plusieurs années durant leur enfance et militent désormais pour faire valoir leurs traditions autochtones, qu’elles soient issues de la culture Cree ou bien de la culture Blackfoot.
24Le premier, Cree des Plaines, né à Saddle Lake (Alberta) en 1938, préfère être désigné comme « Aboriginal » et non pas comme « Amerindian », « Native », ou encore « First Nation ». Il considère sa culture comme une culture spirituelle, face à une culture occidentale matérielle qu’il tend à réprouver. Dans ce même jeu d’opposition, il compare « religion » et « spiritualité » selon ces termes :
« Dans la religion le prêtre te dit où et quand prier, alors que dans la spiritualité, c’est quand tu veux, où tu veux, comme tu veux35. »
25L’informateur poursuit en expliquant que le catholicisme dit ce qu’il ne faut pas faire, alors que la spiritualité apprend à vivre ensemble. Dans ces propos, une véritable confrontation s’instaure entre les religions importées de l’Occident européen et les croyances amérindiennes intimement liées aux principes de l’animisme. Pour la transmission des savoirs ancestraux, il insiste sur l’importance de « savoir qui tu es et d’où tu viens ». Il explique les difficultés conséquentes aux écoles résidentielles par le fait que ces dernières, durant une longue période, ont créé d’importantes césures au sein des communautés autochtones par la séparation totale de milliers de familles. Cette « coupure », comme il la nomme, a engendré une perte de repères et de savoir-être et c’est pourquoi, selon lui, la transmission est la chose la plus fondamentale dans le processus de réapprentissage de l’identité autochtone. En tant qu’elder ayant appris les fondamentaux de l’identité autochtone grâce à ses parents avant de rejoindre une école résidentielle, il a développé une importante sensibilité à la reconstruction intergénérationnelle. Cela l’a conduit dans sa vie d’adulte à parcourir la province de l’Alberta et les provinces voisines pour échanger et transmettre ses savoirs lors de réunions et de cercles d’apprentissages. Désormais retraité, c’est sa principale activité.
26Selon un second informateur, né dans la réserve Blackfoot de Piikani (Alberta), le réapprentissage est indissociable de la connaissance des croyances traditionnelles36. Après avoir passé plusieurs années à l’école résidentielle, lorsqu’il rentra chez lui (à l’adolescence), il jouit de la chance d’avoir sa grand-mère et plusieurs autres membres de sa famille toujours en vie. Ces personnes âgées lui ont permis de réapprendre les traditions et les croyances de sa communauté qu’il avait alors totalement perdues. Il souligne que la conscience individuelle de l’identité autochtone est primordiale pour le réapprentissage des savoirs spirituels. Il n’a cessé de rappeler l’importance pour lui-même, ainsi que pour l’ensemble des autochtones, de savoir qu’elle est sa propre identité personnelle en se réappropriant les savoirs concernant la filiation généalogique et mythique de chacun. Savoirs qui sont transmis oralement de génération en génération. Il apporte une précision importante sur la question du réapprentissage en ajoutant qu’il est avant tout nécessaire de « recreate in today’s context ». Ainsi, selon lui, réapprendre n’est pas suffisant ; la création d’une nouvelle forme de spiritualité et la capacité de situer la culture autochtone dans le monde contemporain sont indispensables pour extraire les populations nord-amérindiennes de la « confusion culturelle » dans laquelle elles sont plongées depuis l’introduction du christianisme et les politiques d’assimilation.
27Les femmes rencontrées et interrogées sont toujours restées très discrètes au sujet des questions de spiritualité, se reposant sur l’habileté de leur mari à parler de telles choses. Si les hommes disposent principalement des savoirs et savoir-faire rituels et de la parole qui permet la transmission, les femmes disposent, pour leur part, des savoir-faire artisanaux, pratiques et visibles qui accompagnent les cérémonies traditionnelles et/ou panindiennes. En ce sens, la broderie est l’un des meilleurs exemples sur lesquels nous aurons l’occasion de nous attarder. Par leurs savoir-faire artisanaux, les femmes permettent aux hommes de reproduire et de faire perdurer et évoluer les traditions cérémonielles. Ces savoir-faire féminins, conçus à l’intérieur, au sein des maisons, dans l’intimité des familles, s’affichent à l’extérieur par le biais du masculin. Ils sont transmis de génération de femmes en génération de femmes et là encore, les anciens et ici plus particulièrement les anciennes, jouent le rôle d’agents transmetteurs.
28Ces savoir-faire de l’intime, affichés à l’extérieur, sont également sollicités et soutenus par les institutions de la réconciliation pour valoriser la transmission des pratiques autochtones. Par exemple, la CVR a soutenu le projet Living Healing Quilt. D’anciennes élèves d’écoles résidentielles de tout le Canada ont confectionné des carrés de courtepointe représentant leurs souvenirs de la vie dans ces pensionnats. Ces carrés ont été ensuite assemblés pour former trois courtepointes intitulées respectivement : Schools of Shame, Child Prisoners et Crimes Against Humanity37. Ces savoirs artisanaux des couturières et des brodeuses sont partie intégrante de la spiritualité renouvelée. Les travaux d’aiguille féminins, représentent, tant un côté traditionnel qu’une pratique culturelle partagée et réapprise que l’on retrouve, entre autres, au programme des Cultural Camps annuels de Blue Quills. Ils sont la marque d’une transmission de savoirs et de pratiques renouvelée dans une période contemporaine où l’identité autochtone se définit avant tout par un processus de réapprentissage.
29Si le féminin est beaucoup plus discret lorsqu’il s’agit d’exprimer verbalement des aspects ayant trait à la spiritualité ou la religion, c’est par les pratiques que l’on pourrait caractériser d’internes et d’intimes que les femmes s’illustrent dans la transmission d’un phénomène religieux renouvelé. La pratique de la broderie traditionnelle nécessite d’utiliser des matériaux du monde animal (poils, peaux, coquillages, etc.). Il s’agit donc de rapporter de l’extérieur ces éléments vers l’intérieur du groupe, de les travailler, de les refaçonner et de leur redonner une nouvelle vie, un nouvel usage. La broderie est une pratique de l’entre-femmes qui donne une charge spirituelle à l’objet conçu dans l’intimité du groupe des brodeuses et dans l’activité de couture38. Les matériaux externes sont appropriés au cours de leur transformation dans les mains des femmes : un processus interne et intime donc. Le complexe adoption-incorporation, prenant ici la forme d’une réappropriation, se fait sous-jacent.
Ouvrages féminins, vecteurs du renouveau
30Qu’il s’agisse des pratiques artistiques contemporaines ou de l’artisanat traditionnel, l’art et l’artisanat sont ici considérés comme un vecteur du renouveau de l’identité. Si l’art contemporain exprime pleinement la réappropriation, les ouvrages d’essences traditionnelles comme la broderie permettent de poursuivre l’argumentation pour ce qui concerne le rôle de la dichotomie sexuelle dans l’appropriation des éléments exogènes. L’artisanat féminin en Amérique du Nord est généralement présenté sous deux formes : la vannerie et la broderie.
31En Amérique du Nord autochtone, il semble difficile de distinguer art et artisanat. L’artisanat pouvant être considéré comme le résultat des productions artistiques. Les productions artistiques traditionnelles nord-amérindiennes et les techniques employées ne manquent pas de subtilité et nécessitent un réel savoir-faire. Les peintures ornant les tipis des autochtones des Plaines sont une des premières formes artistiques qui s’offre aux yeux des colons et missionnaires de l’Ouest au xixe siècle. Cette forme artistique semble être une forme renouvelée de l’art rupestre qui représente graphiquement des visions, ou plutôt des sensations, reçues d’une entité surnaturelle lors d’un rêve et généralement obtenues grâce à un jeûne39. Ceci n’est pas sans rappeler la quête de vision déjà mentionnée. De ces visions, très souvent obtenues par des hommes, résulte un art figuratif. Des animaux, des végétaux et des êtres mythiques ornent couramment les tipis des Plaines. Nombre d’auteurs ont mis en avant la question de la division sexuelle des styles artistiques nord-américains et particulièrement dans l’aire culturelle des Plaines40. Une distinction s’établit entre le style géométrique des femmes et le style figuratif des hommes. Ces deux styles représentent un langage contextuel à charge spirituelle, car relevant d’expériences visionnaires. De plus, « le géométrique, dans les mains des femmes, semble revêtir une puissance sociologique importante41 ». À travers les deux techniques que sont la vannerie et la broderie, le rôle du féminin se révèle dans la transmission de ce langage spirituel.
32La vannerie est une technique principalement féminine. Les femmes vont cueillir les ressources végétales nécessaires, les font sécher et les tressent pour former, entre autres, des contenants et des pièces d’habillement. Du tressage résultent des motifs géométriques abstraits, dus à la répétition d’une multitude de manipulations similaires. S’intéressant à l’art de la vannerie Emmanuel Désveaux met en évidence le lien entre le féminin et le panier, c’est-à-dire la vannerie42. Tous deux sont des contenants : la femme contenant l’enfant à venir au monde, le panier contenant la récolte, les provisions, l’eau de cuisson, etc. Ensuite, par métonymie, l’auteur souligne que les paniers peuvent être considérés comme anthropophages : le panier percé « dévore par expulsion son contenu » et les tiges pointues renvoient au complexe mythique du vagin denté. Enfin, l’affinité entre la femme et la mort, déjà explorée au troisième chapitre, se retrouve ici avec la vannerie. En niant la nécessité du feu et de tout autre moyen technique « culturel », mais en demandant une réflexion et une technique précise, la vannerie se pose comme un intermédiaire entre la nature et la culture renvoyant ainsi au féminin, maître du traitement post-mortem. La vannerie est confusion, en témoigne le fait que le panier ne « meurt » jamais instantanément lorsqu’il se casse. Contrairement à la poterie qui se répand en mille morceaux, le panier se répare autant de fois que nécessaire troublant alors la conception bipartie « vie/mort ». Désveaux conçoit ainsi une « affinité entre la vannerie et une conception culturalisée (car propre à ménager des transitions) de la séparation entre vivants et morts43 ». Féminin et vannerie semblent se positionner dans un même ensemble dans le rapport à la mort, celui de l’intermédiaire, de la transition.
33Le féminin situé dans une position d’intermédiaire, comme vecteur de transition et de transmission se retrouve également dans les liens qu’entretiennent les femmes et la broderie. Marie Goyon décrit nettement la thématique du lien qu’établit la brodeuse avec différents éléments, tels que la tradition, les générations, le passé mythique ou encore entre les catégories du vivant44. S’attachant aux brodeuses des Prairies canadiennes qui travaillent les piquants de porc-épic, l’auteur propose de concevoir cette pratique comme métonymique et métaphorique. Cet art, transmis de génération en génération, est vecteur de transformation car il s’inscrit dans une tradition mouvante et évolutive en ayant la capacité d’incorporer de nouveaux aspects en fonction des contextes. Souvent apportés par un rêve, les motifs inspirés aux brodeuses sont des médiateurs dans la circulation des pouvoirs transmis par les entités surnaturelles. Les brodeuses sont alors elles aussi des médiatrices entre le monde des rêves et des esprits et celui des vivants. Par les motifs créés dans la broderie, les femmes « transfèrent des bénédictions accordées par les esprits45 ». De plus, dans les mythes relatifs au cycle des épouses des astres, les brodeuses représentent l’idéal féminin et sont de véritables héroïnes à la base des représentations féminines de la culture nord-amérindienne46. Les brodeuses sont ainsi considérées comme des « médiatrices aux dons d’une extrême portée symbolique et pratique, ouvrières d’un contexte sociologique global47 ». Par l’entremise de cet art de la broderie, les femmes aident à créer des passerelles, tout d’abord entre les humains eux-mêmes à travers la transmission d’un savoir-faire, mais également entre le monde des humains et celui des non-humains, par le transfert de « puissance ». Opérateur de lien, l’art de la broderie instaure le féminin comme médiateur et vecteur de transmission. Ces pratiques féminines peuvent donc être considérées comme un moyen d’expression sexué, un langage interne non verbal que les femmes expriment et extériorisent à travers la technique.
34Au-delà des considérations précédentes, l’artisanat autochtone féminin s’inscrit depuis le xviie siècle dans le paysage des missions catholiques. Avant même toutes les volontés officielles d’adaptation des missions et des missionnaires aux cultures locales, les travaux d’aiguille trouvent place dans l’éducation proposée par les religieuses aux jeunes filles amérindiennes. Le travail du fil, de la laine, de la soie puis, pour les plus avancées, de la broderie et de la dentelle, était enseigné. Déjà, dans le couvent des Ursulines de Québec au xviie siècle, les jeunes élèves confectionnaient des petits « agnus dei » : petites bourses formées de deux pièces de tissu taillées en forme de cœur et cousues ensemble à l’intérieur desquelles on introduisait un petit morceau de cire provenant du cierge pascal48. Savoir-faire indispensable de toutes les jeunes filles européennes49, le travail de la broderie est tout autant un attribut féminin essentiel dans le monde autochtone. Claude Lévi-Strauss notera à ce sujet :
« Les broderies ne représentent donc pas seulement un mode exceptionnel de la culture, dans des sociétés comme celle des Menomini où “bordé de piquants” se dit d’un mot qui signifie “enrichi”. C’est aussi le talent le plus relevé qu’on puisse souhaiter aux femmes, et qui démontre leur parfaite éducation50. »
35Au xxe siècle, l’artisanat dans son esthétisme autochtone se retrouve dans les écoles résidentielles. Tout comme les religieuses, les jeunes élèves étaient mises à contribution pour la confection ou la réparation des linges d’autel ou encore pour l’habillement de leurs camarades. L’artisanat autochtone était aussi un moyen de récolter des fonds pour faire quelques activités avec les enfants ou payer le trajet pour qu’ils retournent dans leurs familles à la période de Noël :
« On avait des sœurs qui étaient très habiles dans le travail des autochtones, avec les perles. C’est comme ça qu’on faisait nos levées de fonds, parce que les filles [religieuses et élèves] faisaient des colliers, des bracelets, des mocassins, toutes sortes de choses. Et on vendait tout ça et ça rapportait bien51. »
36C’est donc à partir de la seconde moitié du xxe siècle que la broderie dans son esthétisme autochtone s’insère dans les activités missionnaires. Un artisanat de mission semble alors se développer.
37Une religieuse infirmière ayant passé plus de quarante ans dans les Territoires du Nord-Ouest révèle, sous un autre aspect, l’importance de la couture et de la broderie dans le monde autochtone :
« À l’occasion de certaines fêtes comme à Pâques, les hommes allaient à l’église avec un nouveau manteau, nouvellement brodé, et puis éventuellement de nouveaux mocassins aussi. Alors là, ils avaient une fameuse bonne femme. Si l’homme arrive à l’église à Pâques ou à Noël et qu’il n’a pas de nouvelles affaires, alors ça signifie que sa femme ne vaut rien et qu’il n’a pas une bonne femme. Celui qui va avoir le manteau le plus brodé, le plus beau, lui il a une fameuse femme. Ça, c’était réellement très typique chez eux. Une fois j’avais tricoté pour eux autres et pour me remercier ils m’ont offert une paire de pantoufles avec des perles. Mais c’est sacré tout ça. Il y a quasiment une compétition, toutes les femmes vont faire leur ouvrage le plus beau possible. Elles vont travailler jour et nuit, car elles ne font pas ça quatre mois à l’avance. Mais c’est de toute beauté, c’est beaucoup d’ouvrage, c’est beau, c’est bien fait52. »
38Plusieurs points retiennent l’attention. Tout d’abord le fait que la religieuse mentionne que ces ouvrages de broderie sont « sacrés », c’est-à-dire qu’ils ne sont pas anodins mais emplis de significations, tel que cela a été suggéré plus haut. Ensuite, la religieuse ne mentionne pas d’ouvrages réalisés par les femmes pour elles-mêmes. C’est pour leurs hommes, leurs maris entre autres, qu’elles s’attardent avec tant de soin à confectionner un manteau brodé. Il semble que cela participe de la reconnaissance de leur statut de femme et de bonne épouse, comme le révélait Lévi-Strauss. En un mot, l’homme qui aura le plus beau manteau aura, de fait, la meilleure femme. À travers ces broderies destinées à leurs époux, les femmes autochtones expriment non seulement un savoir-faire, mais également une reconnaissance sociale. Et ce, sans compter de surcroît la signifiance des symboles brodés qui sont également gage d’une forme d’expression et de transmission entre les sphères humaines et non-humaines. Ici encore, on peut remarquer que la femme brode chez elle, dans l’intimité de sa maison un objet destiné à être montré à tous, à s’afficher à l’extérieur.
39Un dernier point retient l’attention dans l’extrait du discours de la religieuse susmentionné : l’aspect compétitif. La compétition pour le plus beau costume se retrouve dans l’une des variantes du pow-wow. Le pow-wow est une fête généralement profane rassemblant les autochtones (soit d’une même nation, soit de façon intertribale) autour de danses et de chants codifiés. Désormais pratiqués sur l’ensemble du continent nord-américain, les pow-wow sont des pratiques panindiennes qui trouvent un véritable écho à partir des années 1970. S’il existe des pow-wow à vocation cérémonielle et d’autres célébrés dans un but unique de divertissement, depuis 1987 des pow-wow compétitifs sont organisés53. Dans ce dernier cas, le danseur n’est pas uniquement jugé sur sa maîtrise et sa technique de danse, mais également sur son costume. Il ne fait alors aucun doute que les femmes sont directement impliquées dans la confection de ces costumes. C’est d’ailleurs le costume qui détermine toute l’expérience folklorique de tels événements pour les visiteurs de passage. Lors des pow-wow, les costumes, souvent de couleurs vives, sont les éléments les plus spectaculaires (cahier couleur pl. VIII, no 13). Ils sont marqueurs de l’identité amérindienne et le féminin et sa pratique des travaux d’aiguille en sont à l’origine. En effet, il est intéressant de revenir à l’ethnographie de David Mandelbaum qui, par l’intermédiaire d’un informateur, décrit l’origine du pow-wow, appelé également Moving Slowly dance par les Cree des Plaines :
« The moving slowly dance came from the south. A woman of the Mud House People (one village tribes of the Missouri, probably the Mandan) had four adopted children. She made feather bonnets for them and showed them how to dance. She said “this dance will be all over and everybody will dance in it”. So it is.
They would make a special feather bonnet which was worn by the woman leader of the dance. A different woman would wear the bonnet for each song. That is what I heard when I visited the Rocky Boy Reserve in Montana. The Moving Slowly dance as we do it now (without a bonneted leader) was the first danced by the Stoney. This was at the time of the rebellion (1885). They danced four times around and then would capture one of our men. That is how we got it54. »
40La plume (d’aigle) prend de l’importance dans ce récit en tant qu’élément à la charge spirituelle conséquente que l’on retrouve dans de nombreux costumes de pow-wow et qui est aujourd’hui un élément d’apparat distinctif de l’identité autochtone panindienne (cahier couleur pl. VIII nos 13 et 14). Mais c’est l’origine féminine de cette danse et la confection de bonnets en plumes d’une mère pour ses enfants adoptés à qui elle enseigne la pratique de cette danse qui retient toute notre attention. Les thèmes du féminin, de l’adoption et du captif se retrouvent, dans cette narration, alors directement associés à l’origine du pow-wow.
41Mes informateurs en Alberta ne tarissaient pas d’éloges sur leurs femmes en matière de couture, broderie et perlage. Les informatrices féminines, quant à elles, répondaient en toute modestie qu’il s’agissait d’un passe-temps comme les autres, qu’elles tenaient ce savoir-faire de leur mère ou de leur grand-mère (aucune d’entre elles n’a mentionné avoir appris cette pratique en école résidentielle) et que cela leur faisait plaisir de partager cet art et de faire de tels ouvrages pour leurs maris, surtout lorsqu’ils étaient remarqués par les autres membres de la communauté. Outre les costumes de danse préparés pour les pow-wow, le sac cérémoniel de l’un de nos informateurs, également confectionné par sa femme, a été mentionné dans un chapitre précédent. Orné de broderies ce petit sac contient tout le nécessaire pour les cérémonies spirituelles d’essences traditionnelles. Parmi les objets qui s’y trouvaient, il y avait également une roue de médecine faite de tissus de différentes couleurs également assemblés par la femme de l’utilisateur. La charge spirituelle transmise par les femmes brodeuses est explicite.
42En un mot, les femmes se doivent d’être de bonnes brodeuses. Il en va de leur statut social ainsi que de celui de leur famille. Une bonne brodeuse sera donc une bonne épouse qui contribuera au prestige de sa famille par la maîtrise de cet art55. Sans s’éloigner du centre du propos, il faut mentionner l’importance de l’artisanat dans le tourisme contemporain. Les petits mocassins faits de cuir tanné et brodé sont sans doute l’exemple le plus commun de souvenirs rapportés d’un détour touristique dans une réserve autochtone. Une fois de plus, c’est à travers le savoir-faire féminin que l’esthétisme autochtone, et par son intermédiaire l’identité autochtone, se donnent à voir à l’altérité. L’art, et ici particulièrement la broderie, sont bien un langage féminin qui s’exprime entre autres par la manipulation et les savoir-faire. Cet aspect a été postulé et il est possible de le réaffirmer : le féminin refaçonne des éléments extérieurs (peaux et poils d’animaux, perles, coquillages, etc.) à travers le savoir-faire des travaux d’aiguille avant de remettre ces éléments transformés au contact de tous et de l’altérité avec les costumes cérémoniels, les sacs médecines, les amulettes ou encore les souvenirs pour touristes. Le traitement post-mortem évoqué plus haut est ici une nouvelle fois à l’œuvre : prélevés à l’extérieur et désincarnés, les différents éléments d’un ouvrage d’aiguille reprennent vie dans les mains des femmes. Ceci permet d’établir un nouveau lien avec le thème du captif et donc avec le principe d’adoption par l’appropriation et l’incorporation.
Féminin contemporain, rapport à soi et à l’autre
43Ce dernier sous-chapitre consacré aux populations autochtones canadiennes dans leur confrontation à l’altérité missionnaire sera l’occasion de poursuivre l’argumentation autour de la double dichotomie jusqu’à présent décrite (intérieur/extérieur – féminin/masculin) en l’introduisant dans le contexte du xxie siècle. Le renouveau amérindien précédemment décrit sous la forme d’un panindianisme et qui est clairement ressenti par les missionnaires à partir des années 1970 se trouve empreint d’une dimension sexuée non négligeable.
De l’oral à l’écrit : un féminin médiateur et médiatisé
44Les sociétés nord-amérindiennes font partie des cultures de l’oralité. La culture autochtone, grâce à sa capacité d’adaptation et d’appropriation qui a été décrire au long de cet ouvrage, a su adopter les codes de la culture occidentale et de fait, l’écriture. Ce maniement incontestable de l’oralité combiné à l’appropriation des codes de l’écriture permet désormais aux autochtones d’être représentés sur la scène publique nationale et internationale, particulièrement dans le domaine du politique56. L’Amérindien s’affirme progressivement sur la place publique57. Dans le contexte contemporain, contexte de réconciliation qui plus est, la parole est donnée à tous : hommes et femmes indifférenciés. En effet, le féminin que l’on pourrait penser laisser de côté, occulté par le masculin surexposé sur la place publique, se retrouve de temps à autre affirmé. Les enquêtes de terrain ont permis de mesurer la pudeur des femmes et leur réticence à s’exprimer de sorte qu’elles préfèrent laisser la parole à leurs maris qui selon elles « s’expriment bien mieux58 ». En ce sens, les hommes sauraient mieux parler que les femmes, ils seraient plus doués pour la prise de parole en public. Se différencie alors la parole publique – offerte à tous sur le sujet de grandes thématiques relevant souvent de l’ordre des revendications politiques et identitaires autochtones – et la parole privée – celle plus intime, de l’entre-soi dont les sujets concernent avant tout l’individuel.
45Les archives ont révélé plusieurs dossiers consacrés aux femmes autochtones de l’Ouest. Par exemple, le Ten Grand-Mother Project réalisé en 2002 regroupe les témoignages d’une dizaine de grands-mères de la Nation Blackfoot59. Sous forme d’entretiens, cette collection de témoignages s’articule autour des thèmes de la famille, de la place des femmes dans la communauté autochtone, des cérémonies traditionnelles et de la transmission de ces savoirs cérémoniels aux jeunes générations. Dans le cadre de ce recueil de témoignages, trois femmes interrogées se sentaient plus à l’aise pour répondre en langue autochtone et la présence d’une interprète a donc été nécessaire. À la question « what did she think the woman should do to carry on in life? », l’une d’entre elles, par l’intermédiaire de l’interprète, répond :
« The woman is the root of the family. The woman has to be strong to encourage her husband to go out and support the family and she has to be strong to give guidance to her family60. »
46Selon ce témoignage, et divers autres recueillis dans le cadre de ce projet confirmé par les propos de plusieurs informatrices61, le féminin autochtone est considéré comme un pilier central de la famille et de la communauté. Le féminin, représentant l’intériorité de la communauté, est modeleur de la société autochtone. C’est par ce travail interne que le féminin agit. Si les paroles féminines se font entendre, c’est généralement parce qu’on leur donne la parole. Contrairement aux hommes, rares sont les traces de prise de parole spontanée des femmes. S’il est complexe d’expliquer cette différence, il est cependant possible d’avancer la piste de réflexion selon laquelle le féminin agissant de l’intérieur n’est pas au contact direct de l’altérité, de l’extériorité. La nécessité de la parole publique est, de fait, moindre. Les femmes ont pour rôle de modeler et de façonner selon le schéma de l’adoption-incorporation, et pour ce faire, le féminin n’a pas nécessairement besoin de s’exposer directement à l’extérieur. Elles sont médiatrices entre l’intérieur et l’extérieur et donc médiatisées. C’est par l’intermédiaire d’un ou d’une interviewer que le témoignage féminin se formule62.
47Progressivement, à partir des années 1970, certaines femmes prennent d’elles-mêmes la parole, ou plus exactement la plume dans l’exemple à venir, pour livrer leurs savoirs autochtones : l’écriture peut alors être ici considérée comme un nouveau médiateur. Dans la région sud des provinces de la Saskatchewan et de l’Alberta, majoritairement territoires des Cree et des Blackfoot, une figure autochtone féminine s’est fait connaître à travers ses écrits : Eleanor Brass. Auteur de nombreux articles dans les journaux et magazines locaux, deux de ses ouvrages ont retenu l’attention du public, autochtone ou non : Medecine Boy and other Cree Tales (1979) et une autobiographie I walk in two worlds (1987)63. Personnalité engagée, Eleanor Brass a été la première femme à entrer au bureau de l’Association of Indians of Saskatchewan au poste de secrétaire et trésorière en 1944. Son autobiographie dépeint la situation autochtone du xxe siècle, entre acculturation, résistance et résilience. Si, dans le monde contemporain, le mode d’expression écrit semble avoir pris le pas sur l’oralité afin d’être pris en considération par l’altérité non autochtone, les femmes ont, elles aussi, su progressivement s’approprier ce moyen d’être médiatisées et donc de s’exposer.
De l’intériorité du féminin dans son lien au collectif
48Il a été souligné jusqu’à présent que le féminin nord-amérindien est un genre de l’intérieur, ou plutôt de l’intériorité. Il ne s’agit pas uniquement de l’intérieur domestique comme pourrait le rappeler la conception traditionnelle occidentale du féminin, mais d’un positionnement au sein d’un processus de réappropriation et de transformation interne à la société autochtone. Si le masculin, guerrier et chasseur, est au contact de l’extérieur, le féminin est, quant à lui, force d’adoption et de reconfiguration interne. Cependant, il peut sembler que le contexte contemporain fait de revendications et d’homogénéisation des pratiques entraîne progressivement le féminin autochtone dans un féminin du care tel que conçu dans la pensée occidentale.
49Allant de pair avec la revitalisation, la réconciliation permet une réappropriation de la position de la culture autochtone dans le contexte politique canadien et plus généralement dans un monde qui tend à se globaliser. Ce qui apparaît tout d’abord dans le renouvellement du leadership qui s’ouvre peu à peu aux femmes, ainsi que dans la création d’associations de femmes issues des Premières nations. Au niveau national, l’Association des femmes autochtones du Canada est fondée en 1974 avec pour objectif de « favoriser, promouvoir et encourager le bien-être social, économique, culturel et politique des femmes » autochtones et métisses64. Cette association regroupe en réalité treize organismes et associations disséminés à travers le pays et ayant les mêmes intentions quant à la défense des lois ancestrales, des croyances spirituelles, des langues ainsi que des traditions autochtones. Il est d’ores et déjà intéressant de soulever l’aspect collectif porté par ces associations. Une voix unificatrice ressort de la lecture des objectifs présentés par l’association. Comme si, ensemble, toutes les femmes autochtones devaient faire front pour promouvoir leur propre identité féminine, mais plus généralement l’identité autochtone. Les aspects régionaux semblent gommés au profit d’un collectif qui, porté par des voix nombreuses et multiples, paraît plus fort et plus audible.
50C’est également par le biais de la politique fédérale que les femmes autochtones s’intègrent dans ce contexte renouvelé, notamment lorsqu’une loi les touche directement. Ce fut le cas dans les années 1980 avec la remise en question de la loi sur les Indiens (1876) consacrée au sujet du statut des femmes autochtones ayant épousé un non-Indien. Jusqu’en 1985, date à laquelle la loi C-31 modifie la loi sur les Indiens, les femmes autochtones qui épousaient un homme n’ayant pas le statut d’autochtone étaient dès lors privées de leur statut légal d’autochtone. Elles ne pouvaient donc plus juridiquement appartenir à leur communauté de naissance et ne pouvaient plus hériter des biens familiaux, de même que les enfants issus de cette union. Après des années de luttes et des mois de travail législatif et juridique, les femmes autochtones ayant épousé un non-Indien ont obtenu, en 1985, la possibilité de retrouver leur statut d’Indienne65.
51En 2012, ce sont également des femmes, au nombre de quatre, qui s’organisent pour former un mouvement de protestation nommé « Idle No More » pour dénoncer l’adoption des lois C-38 et C-45 par le Parlement canadien66. Originaires de la province de la Saskatchewan dans les Prairies canadiennes, ces quatre femmes ont forgé les bases d’un mouvement national dont les revendications ne concernent pas uniquement des questions touchant aux femmes autochtones et à leurs statuts. La loi C-45 de 2012 est un nouvel amendement apporté à la loi sur les Indiens qui donne désormais l’autorisation à l’État de louer les terres d’une réserve sans avoir l’accord préalable du Conseil de bande concerné. La loi C-38 quant à elle, amoindrit les dispositions prises par une loi antérieure concernant la protection des eaux navigables. Ces deux lois visaient à permettre aux investisseurs du secteur industriel un accès aux terres des réserves, souvent extrêmement riches en sables bitumineux. S’élevant contre cette privation de la terre, le mouvement créé trouve écho sur l’ensemble du territoire canadien et s’élargit à d’autres revendications, entendant alors dénoncer la situation globale des communautés autochtones. Theresa Spence, chef de la réserve Cree d’Attawapiskat (Ontario) devient l’emblème médiatique de ce mouvement en débutant une grève de la faim le 11 décembre 2012. L’exemple de ce mouvement de protestation permet d’insister sur la place du féminin, porteur du bien-être collectif de la communauté nord-amérindienne.
52Le souci du bien-être des communautés autochtones s’exerce en pratique quotidiennement dans les healing centres déjà mentionnés. Le féminin protecteur des siens trouve un parfait exemple dans ces centres communautaires de bien-être où la très grande majorité des employées sont des femmes. Pour donner un ordre d’idée chiffré concernant la région centre de l’Alberta : à Saddle Lake, l’administration du centre « Eagle Healing Lodge » est aux mains de deux femmes (l’une est directrice des services de bien-être, l’autre est responsable des bureaux administratifs) et tous les employés croisés lors de ma visite en 2014 étaient des femmes ; dans la réserve voisine de Whitefish Lake, les trois emplois à plein-temps dans le centre de bien-être sont occupés par des femmes (la directrice, une réceptionniste et une assistante de vie) ; au « Morning Sky Health and Wellness Centre » de la réserve de Froglake, plus de 90 % des employés sont également des femmes67. Les exemples pourraient être ainsi multipliés à travers toute la province et même à l’échelle du pays ; la conclusion resterait la même : ce sont les femmes qui occupent désormais les postes relevant du bien-être social dans les communautés autochtones.
53Cette place du féminin dans les communautés autochtones, à travers les centres de bien-être, peut ainsi faire écho aux propos de Carol Gilligan lorsqu’elle exprime le positionnement du féminin dans sa relation à l’autre pour construire une définition du care : « La sensibilité aux besoins des autres et le sentiment d’être responsables de leur bien-être poussent les femmes à tenir compte des voix autres que les leurs et à inclure dans leur jugement des points de vue différents68. » Ce serait donc par le biais de leur sexe féminin que les femmes auraient tendance à s’ouvrir à l’altérité. La définition du care a ensuite évolué comme cela a été commenté au second chapitre : le care n’est en réalité pas tant une question de sexe, qu’une question d’activité. Quoi qu’il en soit, dans cet ouvrage, le masculin autochtone a été situé comme une figure de l’extérieur, représentative de celui-ci ; parallèlement au féminin qui, pour sa part, a été situé du côté de l’intériorité selon la complémentarité sexuelle de la culture nord-amérindienne décrite au troisième chapitre. La théorie du care dans les propos de Gilligan (ou de ses successeurs) ne remet pas en question cette double dichotomie « intérieur/extérieur – féminin/masculin », mais ne vaut pas valeur universelle. En privilégiant « la sensibilité » et « le sentiment » personnel, les théories du care ne sont pas des outils applicables tels quels dans le monde autochtone. En effet, l’aspect collectif sous-jacent au processus à l’œuvre en Amérique du nord autochtone serait alors laissé de côté.
54Un informateur Blackfoot interrogé sur la question des sexes dans la culture autochtone révèle que « dans nos structures, dans nos pratiques, les femmes ont la responsabilité des valeurs morales, et ce, quel que soit le contexte69 ». Les principales valeurs désignées sont l’honneur et le respect. « Les femmes donnent ces valeurs aux hommes qui eux, leur donnent le concept physique70. » Les pratiques des hommes sont alors égales aux valeurs apportées par les femmes et les deux sexes sont ainsi nécessaires. Ce commentaire de notre interlocuteur autochtone permet de poursuivre le raisonnement concernant l’intériorité du féminin complétant l’extériorité du masculin.
Sexes de l’autre
55Il est difficile de mesurer, dans la période contemporaine, l’éventuel passage, chez les autochtones, d’une conception de la relation traditionnelle entre les sexes à une conception imposée des « genres à l’Occidentale ». Tentons de refermer la boucle en nous positionnant du point de vue des autochtones évangélisés quant aux questions de la relation entre les sexes promue par le catholicisme.
56L’imposition du mariage chrétien, associé à la sédentarisation, n’a pas fondamentalement bouleversé l’organisation socio-familiale amérindienne, les formes contemporaines d’adoption coutumière ici évoquées en témoignent. L’institutionnalisation du mariage, impliquant également de façon sous-jacente l’idée que l’homme est un prédateur que le mariage doit éduquer par le biais du féminin, s’est, selon le ressenti des missionnaires, progressivement introduite dans la pensée autochtone contemporaine. Ainsi, poussé à son paroxysme, le féminin deviendrait un nouveau moteur dans les sociétés autochtones contemporaines, au même titre que le mouvement féministe occidental. Elles portent sur leurs épaules les maux de leur société et il leur est enjoint de les soigner, comme si l’avenir de leur communauté dépendait d’elles seules71. L’émergence des associations de femmes autochtones et l’importance du féminin dans la dénonciation de la situation amérindienne contemporaine en serait le résultat. S’il est admis que la position du féminin soumis et celle du masculin prédateur est une construction culturelle de l’occident chrétien, il faut souligner que les conditions actuelles des autochtones ne sont que très récentes au regard de leur histoire et coïncident justement avec l’arrivée des colons européens et la politique assimilationniste et évangélisatrice menée depuis cent cinquante ans. S’il n’est pas question de contester les bouleversements ayant eu lieu dans les communautés nord-amérindiennes ces derniers siècles, il est ici possible d’avancer l’idée selon laquelle la manière de penser le masculin et le féminin dans une interrelation complémentaire n’a pas, pour sa part, été fondamentalement modifiée. Fait qui s’exprime dans le discours des autochtones au sujet des missionnaires.
57En effet, dans les propos des autochtones de l’Ouest canadien rencontrés, la distinction entre missionnaires masculins et missionnaires féminins n’est pas flagrante. Certains osent s’aventurer à dire que les missionnaires hommes étaient plus stricts que les religieuses, tout en précisant qu’il s’agit de leur propre expérience qui n’est sans doute pas généralisable72. D’une façon plus générale, les Amérindiens ne distinguent pas le sexe des missionnaires. La répartition des tâches entre hommes et femmes missionnaires au sein des missions est parfois explicitée, mais les sexes se confondent sous la bannière du « missionnaire ». Il faut remarquer que la langue anglaise n’aide pas à déterminer le genre lorsque l’on parle d’un sujet pluriel. La description de la présence missionnaire en territoire autochtone est regroupée par un they (« ils ») totalement généralisant. Mais savoir si c’est d’un homme missionnaire ou d’une femme missionnaire qu’il est question ne semble absolument pas intéresser les informateurs autochtones. Il s’agit simplement pour eux d’individus portant une forme de religiosité extérieure.
58Cette remarque est intéressante car replaçant le masculin et le féminin dans la sphère du mythe. Il a été précédemment révélé qu’une confusion entre les sexes s’opérait dans le régime mythique. Une réflexion similaire s’était également instaurée au sujet des chamanes, ainsi qu’à propos des berdaches alors laissés de côté. En revenant sur la figure du berdache, il est possible de soulever une piste de réflexion concernant la non-distinction des sexes des missionnaires par les autochtones. Les berdaches (également appelés Two Spirits), personnages singuliers dans les communautés autochtones se caractérisent par une confusion des sexes (biologiques) et des rôles et attributs culturellement associés. Il s’agit d’individus de sexe masculin agissant comme des femmes, ou des individus de sexe féminin agissant comme des hommes73. Les berdaches sont souvent désignés comme porteurs d’une force spirituelle importante et peuvent être à ce propos rapprochés des chamanes. Un lien s’établit ici entre individus hors du commun, charge spirituelle (et donc, contact avec l’altérité supranaturelle) et confusion des genres sexués. Il serait alors possible d’inclure les missionnaires dans ce même régime en soulignant de surcroît qu’ils sont eux-mêmes une altérité (issue du monde euro-canadien) en contact avec des forces supranaturelles. Ces analogies permettraient ainsi d’expliquer la non-distinction des genres des missionnaires par les autochtones.
59L’argumentation peut se poursuivre avec la thématique de la filiation. Décrite comme l’un des principes premiers de la parenté autochtone, la filiation reste incontournable dans le contexte contemporain. Il n’est pas rare de pouvoir déceler que le principe de l’adoption, caractérisant une filiation hors sang, est encore actif dans les communautés autochtones. Pour preuve, depuis la fin des années 1990, diverses provinces du pays promulguent des lois tendant vers la reconnaissance de l’adoption coutumière au sein des communautés autochtones. Si la Colombie-Britannique est la première province à établir la reconnaissance formelle et générale de l’adoption coutumière autochtone, la province de Québec quant à elle étudie les moyens par lesquels cette reconnaissance peut s’intégrer à la législation déjà en vigueur concernant l’adoption (projet de loi 113). Outre l’aspect législatif permettant la reconnaissance de l’adoption autochtone qui, comme le souligne le « Rapport sur l’adoption coutumière en milieu autochtone » de 201274, n’a pas la même signification dans le monde amérindien et le monde occidental, quelques autres exemples permettent de saisir le principe de filiation établi par ce complexe d’adoption.
60Relevant directement de la pratique du terrain de recherche, il me semble intéressant de rappeler l’épisode suivant ; lorsque j’ai passé une semaine auprès d’une famille Cree de la réserve de Saddle Lake, le chef de famille m’a déclaré que je faisais partie de la famille seulement quelques jours après mon arrivée, m’expliquant qu’en venant prendre le temps de connaître leur famille, en les écoutant, en passant du temps dans leur maison et en partageant les moments de vie quotidienne, je ne me comportais plus en étrangère : « tu fais désormais partie de la famille, je te considère comme ma petite fille, et je t’aiderai comme j’aiderai l’un des miens75 ». Voici donc, qu’en peu de temps un lien de filiation, non pas biologique, mais symbolique selon les habitudes autochtones, se crée entre l’étrangère et la famille autochtone nord-amérindienne. Les cas d’adoption et/ou de dation de noms aux anthropologues sur le terrain semblent communs76. Un missionnaire, le P. Peter Guthneck a également été adopté en 1996 par un membre de la communauté Chipewyan-Cree de la réserve Rocky Boy dans le Montana (États-Unis) où il vivait77. L’exemple de la religieuse enseignante en école de jour durant plus de trente ans dans la réserve Cree de Saddle Lake (Alberta) à qui la communauté a donné le nom de « Wapanatak », évoquée dans un précédent chapitre, semble relever d’un même mécanisme. Il a été jusqu’à présent supposé que l’acceptation de la sœur Wapanatak n’était pas réellement une adoption complète du fait qu’elle n’était pas inscrite dans un système de parenté, et que la dation de ce nom en langue vernaculaire n’était que reconnaissance de son dévouement envers la communauté. Ceci doit être maintenant nuancé du fait du surnom donné à cette même religieuse : Kokom, signifiant grand-mère dans la langue cree, terme alors sexué78. Par ce surnom, l’idée d’une filiation et donc d’une adoption peut prendre forme. Entre la dimension générationnelle (la religieuse était déjà âgée lorsque les autochtones de la réserve ont commencé à la désigner ainsi), la présence durable et l’aspect maternel dû à son activité, la religieuse a progressivement été incluse dans le régime de filiation de la communauté et donc dotée d’un terme générationnel et genré : Kokom.
61Certaines individualités ont pu alors être intégrées au système de filiation amérindien par l’adoption ou la réappropriation (par la dation d’un nom et/ou d’un surnom). Le statut des femmes missionnaires qui les invite à s’inscrire dans une relation de parenté (se faire mères de tous) n’est pas suffisant pour que le principe de filiation par l’adoption autochtone se propage à l’ensemble du corps des missionnaires. La question de l’altérité reste cruciale. Selon de nombreux indices ethnographiques auparavant mentionnés, l’individu qui n’est pas inscrit dans le système de parenté d’un groupe est rejeté à la périphérie de celui-ci et n’est pas considéré, il est vidé de sa substance et représente le néant. Seul le système de parenté (par la filiation ou l’affinité) permet d’inclure l’altérité en son sein. C’est d’ailleurs également à travers la parenté que la distinction des sexes s’exprime : les cousins croisés et parallèles sont définis par le sexe des parents et des oncles et tantes d’Ego. C’est également grâce à cette distinction des sexes au sein de la parenté que les potentialités d’alliances se forment à travers la notion de distance. En dehors du réseau de parenté, le néant n’est pas sexuellement différencié. La figure du berdache et le domaine du mythe semblent se situer dans le régime de la confusion des sexes. Les missionnaires, altérité de fait au contact du supranaturel, sont alors potentiellement placés non seulement dans le régime de la confusion, mais plus encore dans celui de la néantisation et donc de la négation de leur valeur sexuée (ce qui est par ailleurs le modèle à atteindre dans le catholicisme où le féminin doté du statut de religieuse renonce à sa valeur reproductrice). Ces hypothèses permettent ainsi de concevoir la non-distinction des genres des missionnaires aux yeux des communautés autochtones. Les missionnaires sont l’altérité, parfois adoptée et intégrée au système de parenté à l’image du captif, souvent rejetée à la périphérie où le genre ne compte pas.
62Dans ce dernier chapitre, il a été possible de mettre en lumière la nature du masculin et du féminin autochtone dans la période contemporaine. À travers la question des écoles résidentielles et surtout des mémoires réappropriées, la vivacité de la culture nord-amérindienne se révèle dans sa capacité de réapprentissage ; la réappropriation d’un temps de mission où masculin et féminin ont chacun un rôle à jouer. Si le masculin semble résolument tourné vers l’extérieur (dans la pratique et le réapprentissage des relations avec les entités surnaturelles ou encore dans l’expression publique d’une affirmation de l’identité autochtone), le féminin se situe pour sa part du côté de l’intérieur. Intériorité qui se manifeste d’une part, par la pratique d’arts de longue haleine que sont la vannerie et la broderie, positionnant du même coup le féminin dans une temporalité longue et continue (à l’image de la gestation ou de la temporalité moyenne imposée par le rythme biologique féminin) et d’autre part, par une intériorité manifestée par le rôle des femmes dans les affaires ayant trait à la communauté. Une fois encore, intériorité et extériorité sont les corollaires de la distinction du masculin et du féminin qui s’exprime à travers les processus d’adoption et d’appropriation.
Notes de bas de page
1 Voir à ce sujet Wallace Anthony F. C., « Revitalization Movements », American Anthropologist, no 58, 1956/2, p. 264-281 ; Rostkowski Joëlle, Le renouveau indien aux États-Unis. Un siècle de reconquêtes, Paris, Albin Michel, 2001 ; Bousquet Marie-Pierre et Crépeau Robert R. (dir.), Dynamiques religieuses des autochtones des Amériques, Paris, Karthala, 2012. Il faut ajouter que suite à la publication du Livre Blanc par le ministre des Affaires indiennes en 1969 qui a pour objet la modification du statut des autochtones, ceux-ci répondent en juin 1970 par un pamphlet d’une centaine de pages : le Citizens Plus, cosigné par les « Indians Chiefs of Alberta ». La totalité du document a été reproduite dans Indian chiefs of Alberta, « Foundational Document: Citizens Plus », Aboriginal policy studies, no 1, 2011/2, p. 188-281. Communément appelé Red Paper cette réponse souhaite faire valoir les promesses inscrites dans les Traités numérotés signés entre 1871 et 1920. La question des possessions territoriales est au cœur des discussions entre le gouvernement canadien et les autochtones depuis les premières heures des négociations des traités, jusqu’aux revendications les plus contemporaines. La notion de « cession » n’avait pas été clairement définie lors de la signature des Traités et est désormais l’origine de nombreux désaccords. Voir à ce sujet Taylor John Leonard, Rapport de recherche sur les traités. Traité no 6 (1876), Ottawa, Centre de la recherche historique et de l’étude des traités, Affaires indiennes et du nord Canada, 1985, p. 36-45.
2 Harper Stephen, Premier ministre, Présentation d’excuses aux anciens élèves des pensionnats indiens, discours prononcé le 11 juin 2008 à Ottawa [en ligne].
3 Ces contrats seront régulièrement renouvelés jusqu’à ce que la congrégation des Sœurs Grises quitte l’école en 1970. ASGM, fond L022 Blue Quills Residential School, A.3-01: Contrats avec les Pères Oblats.
4 Leforestier Charlotte, L’assimilation des Indiens d’Amérique du Nord par l’éducation : une étude comparative, thèse de doctorat, université de Bordeaux III, 2012.
5 Rostkowski Joëlle, op. cit.
6 Le district Saddle Lake/Athabasca correspond, à cette période, à une population d’environ 6 000 personnes dispersées dans une douzaine de réserves.
7 Une école de jour où enseignaient des religieuses de la congrégation des Dominicaines missionnaires adoratrices était toujours ouverte à ce moment au centre de la réserve de Saddle Lake, mais les religieuses ne se chargeaient que des plus jeunes.
8 Indian chiefs of alberta, art. cité.
9 Informateur no 2, Saddle Lake (Alberta), juillet 2014.
10 S. Redcrow, directeur du Blue Quills Native Education Council, dans une interview de 1972 pour le Saskatchewan Indian, dont des extraits sont reproduits dans Pimohteskanaw, 1971-2001, Commemorative Edition, 30th Anniversary Blue Quills First Nations College, 2001, p. 2-3.
11 Pimohteskanaw, 1971-2001, Commemorative Edition, 30th Anniversary Blue Quills First Nations College, 2001, p. 9.
12 Ibid., p. v.
13 Stevens Laura, « Cultural camp keeps traditions alive at Blue Quills College », Alberta Sweetgrass, vol. 12, no 7, 2005, p. 5.
14 Informateurs nos 1 et 2 Saddle Lake (Alberta), juillet 2014.
15 Les informations suivantes concernant le Cultural Camp de Blue Quills proviennent entre autres du recoupement des entretiens réalisés avec les informateurs nos 1, 2 et 4, Saddle Lake (Alberta), juillet 2014.
16 Cette cérémonie est issue d’un mythe ayant donné naissance à la Prairie Chicken Society, société qui exerce encore aujourd’hui. Ce mythe raconte comment les tétras des prairies ont pris leur envol et évoque l’origine de la danse des costumes associés. PMAA, dossier IH-AA.036, Blackfoot reserve, One Gun, how the prairie chicken society originated.
17 Commission de vérité et de réconciliation du Canada, Pensionnats du Canada : La réconciliation. Rapport final de la Commission de vérité et réconciliation du Canada, vol. 6, Montréal, McGill-Queen’s University Press, 2015, p. 3.
18 Ibid., p. 4.
19 Une commission parlementaire est mise en place en 2008 : la Commission de vérité et de réconciliation (CVR). L’un des principaux objectifs de cette commission est de recueillir des témoignages de personnes ayant été scolarisées dans ces établissements pensionnats. Ce type d’institution nommé commission de vérité et de réconciliation est commun à travers le monde. Suite à diverses périodes de troubles, ces commissions se donnent pour rôle d’identifier les parties en conflits et de déterminer les responsabilités de chacun, l’objectif étant d’aider les communautés à faire face à leur passé en témoignant. Au Canada, la CVR est partie constituante d’une organisation plus large : la Convention de règlement relative aux pensionnats indiens (CRRPI) qui, depuis 2007, permet le règlement des torts infligés par les pensionnats autochtones. La CRRPI comporte quatre volets supplémentaires à la CVR : le paiement d’expérience commune qui consiste en un dédommagement financier pour les anciens élèves ; le processus d’évaluation indépendant qui prend en charge les réclamations particulières, notamment celles concernant les abus sexuels subits ; la commémoration avec un budget conséquent alloué aux projets honorant la mémoire de cette période ; et enfin les services de santé et de guérison avec une dotation importante de la Fondation de guérison autochtone (FADG).
20 Ibid., p. 38.
21 Brant Castellano Marlène, Archibald Linda et Degagné Mike, De la vérité à la réconciliation. Transformer l’héritage des pensionnats, Canada, Fondation autochtone de guérison, Ottawa, 2008.
22 Expression empruntée à Rostkowski Joëlle, op. cit.
23 Bousquet Marie-Pierre, « La spiritualité amérindienne sur la place publique : à la recherche d’un statut », in Solange Lefebvre (dir.), La religion dans la sphère publique, Montréal, Presses de l’université de Montréal, 2005, p. 171-196.
24 Informateur no 3, Saddle Lake (Alberta), juillet 2014 ; Informateur no 5, Piikani (Alberta), juillet 2015.
25 Wallace Anthony F. C., art. cité.
26 Prins Harald, « Neo-traditions in native communities: sweat lodge and sun dance among the Micmac today », Algonquian Conference Papers 25, 1994, p. 383-394.
27 Brant Castellano Marlène, Archibald Linda et Degagné Mike, op. cit., p. 34.
28 Ibid., p. 37.
29 Ibid., p. 45-46.
30 Nations algonquiennes de l’Est comprenant, entre autres, les Algonquins, les Nipissing, les Ojibwa et les Cree.
31 Brant Castellano Marlène, Archibald Linda et Degagné Mike, op. cit., p. 67. Voir également à ce sujet Duran Eduardo et Duran Bonnie, Native American Postcolonial Psychology, Albany, University of New York Press, 1995.
32 Informateur no 4, Saddle Lake (Alberta), juillet 2014.
33 Informateurs nos 1 et 4, Saddle Lake (Alberta), juillet 2014.
34 Commission de vérité et de réconciliation du Canada, Honorer la vérité, réconcilier pour l’avenir : Sommaire du rapport final de la Commission de vérité et réconciliation du Canada, Montréal, McGill-Queen’s University Press, 2015, p. 305.
35 Informateur no 1, Saddle Lake (Alberta), juillet 2014.
36 Informateur no 5, Piikani (Alberta), juillet 2015.
37 Commission de vérité et de réconciliation du Canada, Honorer la vérité, réconcilier pour l’avenir : Sommaire du rapport final de la Commission de vérité et réconciliation du Canada, op. cit., p. 306.
38 Goyon Marie, « La logique du lien dans l’art du “travail aux piquants” des Amérindiens des Prairies », Recherches amérindiennes au Québec, no 36, 2006/1, p. 37-47.
39 Désveaux Emmanuel, Spectres de l’anthropologie, suite nord-américaine, Paris, Éditions Aux-lieux-d’être, 2007, p. 140.
40 Entre autres, parmi les francophones, Désveaux Emmanuel, « Les Grands Lacs et les Plaines, le figuratif et le géométrique, les hommes et les femmes », Papers of the 24th Algonquian Conference, 1993, p. 104-111 ; Goyon Marie, « La logique du lien dans l’art du “travail aux piquants” des Amérindiens des Prairies », art. cité.
41 Goyon Marie, « La logique du lien dans l’art du “travail aux piquants” des Amérindiens des Prairies », art. cité.
42 Désveaux Emmanuel, Quadratura Americana. Essai d’anthropologie Lévi-straussienne, Genève, Éditions Georg, 2001, p. 25-35.
43 Ibid., p. 32.
44 Goyon Marie, « La logique du lien dans l’art du “travail aux piquants” des Amérindiens des Prairies », art. cité.
45 Ibid.
46 Lévi-Strauss Claude, Mythologiques ***, L’Origine des manières de table, Paris, Plon, 1968, p. 203-206.
47 Goyon Marie, « La logique du lien dans l’art du “travail aux piquants” des Amérindiens des Prairies », art. cité.
48 Gourdeau Claire, Les délices de nos cœurs, Marie de l’Incarnation et ses pensionnaires amérindiennes, 1632-1672, Québec, Septentrion, 1994.
49 Verdier Yvonne, Façons de dire, façons de faire. La laveuse, la couturière, la cuisinière, Paris, Gallimard, 1979.
50 Lévi-Strauss Claude, Mythologiques ***, L’Origine des manières de table, op. cit., p. 205.
51 S. Cécile, sgm., entretien réalisé le 13 juin 2013, Montréal (Québec).
52 S. Agnès, sgm., entretien réalisé le 13 juin 2013, Montréal (Québec).
53 Garrait-Bourrier Anne, « Spiritualité et foi amérindiennes : Résurgence d’une identité perdue », Cercles, no 15, 2006, p. 68-95.
54 Mandelbaum David G., The Plains Cree: an Ethnographic, Historical, and Comparative study, Regina, University of Regina, 2012 (1940), p. 215.
55 De véritables sociétés féminines de brodeuses existaient dans la période précoloniale dans l’aire culturelle des Plaines et des Prairies. L’habileté des femmes et leur participation à des sociétés de brodeuses leur assuraient reconnaissance sociale et prestige, de la même façon que dans les sociétés guerrières masculines. Voir Goyon Marie, « Réappropriations contemporaines d’une figure mythologique : les multiples visages de la Femme double », Recherches amérindiennes au Québec, no 38, 2008/2-3, p. 33-44.
56 Pour le cas des Inuit du Nunavut, voir Laugrand Frédéric, « Écrire pour prendre la parole ; Conscience historique, mémoires d’aînés et régimes d’historicité au Nunavut », Anthropologie et Sociétés, no 26, 2002/2-3, p. 91-116.
57 Bousquet Marie-Pierre, « La spiritualité amérindienne sur la place publique : à la recherche d’un statut », art. cité.
58 Informateur no 3, Saddle Lake (Alberta), juillet 2014 ; Informateur no 7, Piikani (Alberta), août 2015.
59 GMA, fond Ten Grandmother Project, 2002, dossier M-8871.
60 Interview de Margaret Bad Boy, Siksika, Alberta. GMA, Fond Ten Grandmother Project, 2002, dossier M-8871.
61 Informateur no 3, Saddle Lake (Alberta), juillet 2014 ; Informateur no 7, Piikani (Alberta), août 2015.
62 Le Ten Grandmother project en est un exemple, mais il existe également divers ouvrages de compilation de témoignages tels que ceux regroupés par J. Perreault et S. Vance (Perreault Jeanne et Vance Sylvia, Writing the Circle, Native Women of Western Canada, Edmonton, NeWest Publishers, 1990).
63 Brass Eleanor, I walk in two worlds, Calgary, Glenbow Museum, 1987 ; Medicine Boy and other Cree Tales, Calgary, Glenbow-Alberta Institute, 1979.
64 Association des femmes autochtones du Canada : [https://nwac.ca/].
65 GMA, fond Everett Scoop, dossier M-7959 : Indian women and the Indian Act.
66 Au sujet du mouvement « Idle no more » voir Pataud Celerier Philippe, « Au Canada, la fin de la résignation pour les peuples autochtones », Le Monde Diplomatique, mai 2014, p. 20-21 ; Duplassie Ryan, « “Idle No More” Indigenous People’s coordinated reaction to the twin forces of colonialism and neo-colonialism in Canada », in Sophie Croisy (dir.), Globalization and “Minority’’ Culture. The role of the “minor” cultural group in shaping our global future, Leyde/Boston, Brill Nihoff, 2015, p. 185-204 ; McMillan Jane L., Young Janelle et Peters Molly, « Commentary: The “Idle No More” Movement in Eastern Canada », Canadian Journal of Law and Society/Revue Canadienne Droit et Société, no 28, 2013/3, p. 429-431.
67 Informateur no 4, Saddle Lake (Alberta), juillet 2014.
68 Gilligan Carol, Une voix différente. Pour une éthique du care, Paris, Flammarion, 2008, p. 36.
69 Informateur no 5, Piikani (Alberta), juillet 2015.
70 Ibid.
71 Ce rôle du féminin, figure centrale pour résoudre les problèmes sociaux dans les réserves, est très présent dans les discours des religieuses rencontrées lors des enquêtes de terrain.
72 Il faut préciser que ces propos provenaient en grande majorité d’informateurs masculins qui ont donc passé plus de temps avec les prêtres durant leur éducation ; les religieuses s’occupant d’eux lorsqu’ils étaient plus jeunes, avec ensuite pour charge principale de les « materner » en dehors des heures de classe.
73 À ce sujet voir entre autres, Jacobs Sue-Ellen, Thomas Wesley et Lang Sabine, Two-spirit people: Native American gender identity, sexuality, and spirituality, Chicago, University of Illinois Press, 1997 ; Désy Pierrette, « L’homme-femme. (Les berdaches en Amérique du Nord) », Libre – politique, anthropologie, philosophie, no 78, 1978/3, p. 57-102 ; Saladin d’Anglure Bernard, « Le “troisième sexe” », La Recherche, 1992, no 245, p. 836-844.
74 Ministère de la justice du Québec, Rapport du groupe de travail sur l’adoption coutumière en milieu autochtone, 16 juin 2012, Bibliothèque et Archives nationales du Québec, gouvernement du Québec.
75 Informateur no 1, Saddle Lake (Alberta), juillet 2014.
76 Kan Sergei A. (dir.), Strangers to Relatives. The Adoption and Naming of Anthropologists in Native North America, Lincoln, University of Nebraska Press, 2001.
77 Clatterbuck Mark S., « Sweet grass mass and pow wows for Jesus: catholic and pentecostal mission on Rocky Boy’s reservation », U.S. Catholic historian, no 27, 2009/1, p. 89-112.
78 S. Louise, op-dma., entretien réalisé le 18 juin 2013, Beauport (Québec).
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