Chapitre III. Autochtones du Subarctique et des Prairies
p. 75-110
Texte intégral
1Ce nouveau chapitre doit permettre de dresser un panorama situant les populations nord-amérindiennes dans le contexte de cette recherche. Introduisant aux principes généraux de l’ethnologie de ces populations autochtones, ce chapitre se veut descriptif. Description qui concernera un état des lieux de l’anthropologie de cette région ainsi qu’une introduction contextuelle au sujet des populations nord-amérindiennes canadiennes : tant géographique qu’historique et culturelle. La région géographique principalement ici privilégiée emprunte à deux aires culturelles : l’aire Subarctique1 et les Plaines. De cette dernière, ne sera retenu que la partie septentrionale alors appelée Prairies2 (cahier couleur, pl. II, no 3). Cette zone centrale de recherche qui se trouve donc au croisement de deux « aires » forment un vaste ensemble au sein duquel plusieurs aspects de la vie autochtone apparaissent comme communs ou trouvent des points de correspondance dans un système transformationnel. Le choix de cette zone géographique résulte du contexte colonial des xixe et xxe siècles : cette région est un véritable vivier de réserves et de missions autochtones, et est également un haut lieu du renouveau culturel et identitaire depuis les années 1970. Cette zone d’étude a enfin été privilégiée afin de faire entrer en résonnance les ethnographies et les récits de vie recueillis lors des terrains d’enquêtes.
Questions d’aires
2L’émergence de la discipline anthropologique aux États-Unis est indissociable de la géologie et de la géographie3. Deux catégories d’« aires » se superposent pour catégoriser les populations autochtones d’Amérique du Nord : les aires linguistiques et les aires culturelles. Travailler par « aires » est avant tout une technique de découpage. Il s’agit de tracer des frontières, des limites, de dessiner des zones et des ensembles à échelle raisonnable pour rendre un terrain praticable pour l’ethnologue. Découpé ainsi en petites unités, l’objet d’étude est défini et ses marges sont fixées. Ce découpage n’est pas totalement artificiel, mais est de fait sujet aux critiques et ne cesse d’agiter la communauté scientifique.
3La question de la classification linguistique en Amérique fait débat depuis longtemps. Après les premières tentatives de catégorisation des langues amérindiennes menées par les missionnaires aux xviie et xviiie siècles, le problème perdure au xixe siècle4. Albert Gallatin (1761-1849), d’origine genevoise, fondateur de l’université de New York puis de la Société ethnologique américaine en 1842, proposa un inventaire des langues amérindiennes sur la base d’une lexicographie et distingua vingt-neuf familles selon une première classification en 1836 ; puis trente-deux selon une seconde, en 1848, avec une petite dizaine de groupes supplémentaires, non classifiés par manque de données les concernant5. En 1891, John Wesley Powell entreprendra à son tour de référencer et classifier les langues nord-amérindiennes. Le résultat donne cinquante-huit familles linguistiques distinctes6. Au début du xxe siècle Franz Boas, puis Edward Sapir, reprendront la classification établie par Powell. Sapir propose une réduction de la classification de Powell en seulement six « mégastocks7 » linguistiques sur lesquels il se basera pour postuler une adéquation entre langue, culture et milieu naturel8. Il faudra ensuite attendre 1964 et la Classification Conference qui se déroula à Bloomington (Indiana, États-Unis) pour aboutir à un consensus. La carte de la Classification consensuelle de Voegelin qui compte huit « mégastocks » linguistiques sera alors éditée en 1965. Cependant, cette classification consensuelle des langues nord-américaines est remise en cause dans les années 1980 par une nouvelle école de linguistique dont les représentants (entre autres Marianne Mithun et Ives Goddard) proposent une classification en soixante-deux familles. En un mot, la question de la classification des langues nord-américaines n’a pas fini de diviser la communauté scientifique. La difficulté de cette classification provient avant tout de la complexité d’un certain nombre de zones qui sont de véritables patchworks linguistiques (comme la côte Nord-Ouest ou encore le sud-est des États-Unis), ainsi que d’un nombre important d’isolats. Les déplacements de nombreux groupes lors des siècles derniers n’ont sans aucun doute pas facilité la tâche des linguistes. Pour ce qui est de la zone géographique privilégiée pour cette étude, la classification n’est pas particulièrement complexe. La zone est essentiellement partagée entre deux grandes familles linguistiques : la famille des langues Algonquiennes9 (au sud) et celle des Na-Dénés, anciennement appelées Athapascanes (au nord). Quelques groupes de langue salish et de langue sioux sont également présents.
4Les choses se complexifient légèrement lorsque l’on superpose les aires culturelles à ce premier découpage linguistique. En effet, la carte des aires linguistiques nord-amérindiennes et celle des aires culturelles ne se recoupent pas, ce qui interroge la relation entretenue entre langue et culture10. Sans pour autant s’attarder sur cette question ardue, il est possible de considérer la langue comme une sorte de stabilisateur culturel, tout du moins pour l’observateur. Claude Lévi-Strauss explique : « pour définir convenablement les relations entre langage et culture, il faut, me semble-t-il exclure d’emblée deux hypothèses. L’une selon laquelle il ne pourrait y avoir aucune relation entre les deux ordres ; et l’hypothèse inverse d’une corrélation totale à tous les niveaux. […] Mon hypothèse de travail se réclame donc d’une position moyenne : certaines corrélations sont probablement décelables, entre certains aspects et à certains niveaux […]11 ». Ainsi l’auteur soulève la question des niveaux de l’analyse. L’absence d’une multiplicité de micro-niveaux d’analyse (on ne peut classifier et catégoriser sans réduire) pour répondre au besoin classificatoire ne peut qu’entraîner un impossible recoupement des aires linguistiques et culturelles. Le problème du « niveau » d’analyse, soit celui de l’échelle retenue, se pose également irrémédiablement à propos du découpage des aires culturelles. La notion d’aires culturelles suppose le cloisonnement de celles-ci, alors que le propos de cette recherche tend à suggérer une perméabilité entre les micros-zones que sont les aires culturelles nord-amérindiennes face à de méga-aires culturelles, dont il a déjà été rapidement question.
5À l’image de la classification linguistique évoquée plus haut, les institutions canadiennes et états-uniennes ont également effectué un découpage géographique et culturel, tel qu’on le retrouve sur les cartes de la prestigieuse Smithsonian Institution et qui, par ailleurs, sous-tend l’organisation des volumes des Handbook of North American Indians. Ces subdivisions culturelles ont été établies à la suite des recherches d’Alfred Kroeber12 qui propose une classification en « aires culturelles » à l’intérieur même du sous-continent nord-américain selon une nécessité pratique de la recherche académique et muséale et s’appuie à cet égard sur la géographie physique13. Dans l’objectif de décrire les différentes cultures des populations autochtones nord-amérindiennes, l’anthropologie nord-américaine met en place un système d’aires culturelles. Si les aires linguistiques sont relativement bien établies (bien que leur classification pose toujours problème), les aires culturelles semblent plus perméables. Les leçons du structuralisme et les considérations précédentes au sujet des échelles d’analyse conduisent à problématiser cette notion d’aires culturelles.
6Pour Kroeber, la structure sociale est déterminante. Dans une démarche placée sous l’influence du fonctionnalisme, il propose le déploiement d’un écologisme culturel matérialisé par les « aires culturelles14 ». Le structuralisme, appliqué particulièrement au terrain nord-américain autochtone, propose de prendre en compte la multiplicité des éléments d’une culture et les divers « niveaux » d’analyse de ceux-ci. L’importance de la structure sociale telle que mise en avant par les courants fonctionnalistes et marxistes ne permet pas d’observer les différents éléments composant une culture. Au contraire, pour les disciples d’une anthropologie structuraliste, l’organisation sociale, les mythes, les rites, les arts et tout élément participant à l’identification d’une culture sont légitimement décrits comme étant des composants d’un système global où inversions et autres transformations permettent de mettre à jour de « nouvelles frontières », basées non pas sur la linguistique ou l’écologisme, mais sur une « géographie de la transformation15 ».
7Les aires culturelles kroberiennes ainsi mises en discussion incitent à penser en termes de « méga-aires culturelles » telles que le propose Emmanuel Désveaux :
« il convient, semble-t-il, pour l’anthropologue de passer au plus vite à une échelle de généralisation maximale : les règles du don, du mariage entre cousins croisés, de la dévolution du pouvoir, les formes prises par la matrilinéarité, la sorcellerie ou encore l’animisme, ont nécessairement une portée universelle au-delà du groupe où il les a observées et analysées. Toute comparaison entre les Cheyennes et les Touareg ou les Incas et les royautés khmères est censée être valide dès lors qu’on fasse appel aux mêmes concepts de description. […] Nous souhaitons défendre l’idée, à l’opposé, qu’il convient de prendre d’abord en considération, dans l’analyse de la diversité culturelle, un niveau intermédiaire, celui des méga-aires culturelles qui sont, selon nous, de larges zones géographiques ayant formé depuis des époques reculées des creusets séparés de développement culturel, à l’instar par exemple de l’Amérique. Sauf à être idéaliste, c’est dans ce cadre et seulement dans celui-ci que la comparaison, principe méthodologique majeur de la discipline, jouit d’une présomption de pertinence16 ».
8C’est en suivant ces enseignements d’une anthropologie néo-structuraliste et néo-culturaliste qu’il sera possible de mettre en confrontation et donc en comparaison deux cultures : ou plus exactement deux « méga-aires » culturelles dans le contexte de leur rencontre à travers les missions catholiques. Ainsi, il ne s’agira pas de se formaliser sur les aires culturelles telles que définies par Kroeber, puisque la zone de recherche ici privilégiée se situe justement à la croisée de deux aires culturelles et écologiques, le Subarctique et les Plaines. Ce vaste espace géographique permettra des points de comparaisons non seulement entre les groupes dont les langues sont issues d’une même famille (Algonquiens ou Dénés) ; entre ceux qui ne sont pas issus d’une même famille linguistique (Algonquiens et Dénés) ; mais également entre des zones écologiques et culturelles différentes : le Subarctique et les Prairies. Il s’agira d’abolir les frontières des aires culturelles, non pas pour définir un nouvel ensemble ou une nouvelle aire, mais pour démontrer la perméabilité de celles-ci, en suggérant qu’un ensemble plus vaste existe, faisant sens à grande échelle et plus adapté au cadre de cette recherche. S’il est attesté que les pratiques culturelles de ces deux aires sont sensiblement différentes17, il faudra retenir les leçons relevant de la transformationalité des mythes formulés par Lévi-Strauss18, ou celles de la transformation des rites mises en avant par Désveaux19, pour ainsi limiter l’influence de la notion des « aires culturelles » kroeberienne.
Nations autochtones, environnements et modes de vie traditionnels
9Avant d’en venir aux phénomènes religieux ayant cours dans ces régions et aux questions des sexes et des relations entre les sexes, il faut désormais présenter, inévitablement trop rapidement, les différents groupes autochtones dont les territoires se situent dans la zone d’étude ici privilégiée. Deux familles linguistiques se côtoient dans deux environnements écologiques dont cependant les modes de vie traditionnels ne sont pas si différents.
10Les groupes de langues Na-Dénés occupent la zone nord-ouest de l’aire culturelle du Subarctique. Il s’agit d’une famille linguistique complexe : plus d’une trentaine de sous-langues seraient des « ramifications » de cette famille20. L’environnement de cette zone géographique est doté d’un vaste réseau hydrographique21. L’écosystème est caractérisé par une vaste zone de taïga, ainsi que par une zone de toundra dans sa partie la plus septentrionale. Parmi les groupes de langues Na-Dénés de la zone d’étude choisie, se retrouvent les Dogrib, les Chipewyan, les Slavey, ou encore les Beaver. Leur position géographique, relativement isolée, a permis à ces groupes de n’entrer en contact avec les missionnaires qu’à partir de la seconde moitié du xixe siècle. Certes, les hommes des compagnies de commerce affluaient sur ces territoires dès le xviiie siècle, mais les premières descriptions de nature ethnographique restent assez tardives et sont essentiellement l’œuvre d’un missionnaire : Émile Petitot. Prêtre et missionnaire de la congrégation des oblats de Marie Immaculé, d’origine française, Petitot arrive à Fort Providence (Territoires du Nord-Ouest) sur les rives du Grand Lac des Esclaves en 1862. Il exerce ensuite sa mission dans le secteur Fort Résolution puis celui de Fort Good Hope, faisant alors plusieurs voyages dans la région du Grand Lac de l’Ours. Depuis ses postes de mission, il entreprend la rédaction de dictionnaires de plusieurs dialectes Na-Déné ; plusieurs ouvrages relatant ses voyages et notes ethnographiques au sujet des populations rencontrées ont été rapidement publiés, laissant ainsi derrière lui une riche ethnographie de ces groupes22.
11Les groupes de langues Algonquiennes du Subarctique occupent pour leur part une grande partie de cette zone écologique, comprenant entre autres les basses terres de la baie d’Hudson et le Bouclier canadien23. On retrouve dans cette zone à tendance marécageuse de nombreux cours d’eau et lacs. L’écosystème est clairement défini par la taïga et ses forêts boréales. Les Nations Cree (également orthographié « Cris » par les francophones) occupent une vaste portion du Subarctique, d’est en ouest, du Québec à l’Alberta. Subdivisés en quatre Nations, les Cree sont ainsi répartis : les Cree de l’Est – ceux du Québec – ; les Cree du grand Ouest – de l’Ontario et de l’est du Manitoba – ; les Cree des bois – qui occupent une grande moitié nord des provinces actuelles du Manitoba, de la Saskatchewan et de l’est de l’Alberta – ; et enfin les Cree des Plaines – situés dans la partie centrale et sud des provinces de la Saskatchewan et de l’Alberta.
12La présente recherche s’intéressera particulièrement aux Cree des bois de l’Ouest (ainsi qu’aux Cree des Plaines) qui ont été en contact avec des missionnaires et coureurs de bois dès le xviie siècle, puis rapidement avec des agents de la Compagnie de la baie d’Hudson. Les premières mentions de ce groupe proviennent des prêtres jésuites Albanel et Alouez qui, dans la Relations des Jésuites de 1640, mentionnent les « Kiristinons qui habitent sur les rives de la mer du Nord24 ». Il faut cependant attendre le xviiie siècle pour disposer des premières descriptions de ces populations, grâce aux explorateurs tels que Pierre Paul Gaultier de La Vérendrye qui traversa le continent dans les années 1730. Les recherches ethno-historiques concernant les Cree de l’Ouest sont relativement nombreuses, mais les premières descriptions ethnographiques ne datent que du xxe siècle25.
13La faune du Subarctique est très diversifiée malgré la difficulté apparente du climat. Le caribou et l’élan sont les plus gros mammifères chassés par les populations de ces territoires. Les wapitis, les bisons des bois, les lièvres d’Amérique, les castors, les marmottes, les écureuils et quelques variétés de cerfs sont également présents et forment la seconde source de subsistance mammifère. S’ajoutent les ours noirs et les grizzlis qui sont également chassés. Quelques mammifères marins tels que le phoque ou encore le béluga sont, eux aussi, une source de subsistance pour les populations côtières. Le poisson est très abondant dans cette région au réseau hydraulique dense. L’importation, par les Européens, de matériel de pêche et de techniques pour briser la glace des lacs gelés l’hiver a permis à ce mode d’approvisionnement de prendre de plus en plus d’importance au fil des siècles. Les oiseaux sont, quant à eux, des gibiers de première importance. Le piégeage et l’usage de lances, d’arcs et de flèches sont les techniques privilégiées pour la chasse. Les pointes de flèches et de lances étaient faites d’os ou de pierre avant que les Européens n’introduisent le fer. Se déplaçant au rythme des gros gibiers, les groupes autochtones de ces régions suivent un cycle annuel avec une alternance entre un regroupement estival pour de grandes chasses collectives et une dispersion en petites unités d’une poignée d’individus durant la période hivernale. Durant l’été, la vie est relativement sédentaire alors que l’hiver implique de nombreux déplacements pour suivre les troupeaux et ce, malgré les conditions climatiques. Le logement d’hiver est léger, fait d’éléments trouvés sur le lieu d’arrêt ou bien de matériaux facilement transportables. Différentes sortes de « maisons » peuvent être construites en fonction des conditions. On retrouve alors aussi bien des habitations coniques (tel que le tipi) que des habitations en forme de dôme érigées en bois et recouvertes de peaux. Il semble que les Salvey et quelques autres groupes de la région construisaient également des maisons avec des murs en bûches de bois26. Les peaux des animaux chassés étaient indispensables à l’habillement. Vêtements, chaussures et couvertures, confectionnés par les femmes, dépendaient exclusivement de la chasse des hommes.
14Les groupes algonquiens des Prairies, et particulièrement les Cree des Plaines retiendront également toute notre attention27. Cette nation a été en contact avec les missionnaires essentiellement à partir du xixe siècle. Les premiers ethnographes à s’intéresser à ce groupe sont Alason Skinner28 et David Mandelbaum29. Le découpage en aire culturelle pour lequel le consensus universitaire a opté a pour conséquence une division entre Cree des Plaines et autres Nations Cree susmentionnées. Si ces dernières disposent d’un article dans le volume 6 du Handbook of North American Indians concernant l’aire Subarctique, les Cree des Plaines sont pour leur part isolés dans le volume 13 consacré à l’aire des Plaines. Le fait que l’économie des Cree des Plaines repose principalement sur le bison, caractéristique des cultures des Plaines, a conduit les anthropologues à les placer dans la classification de l’aire culturelle des Plaines. Avec cet exemple il est de nouveau possible d’interroger la pertinence de la subdivision en aires culturelles. Si effectivement, la culture des Cree des Plaines emprunte largement aux cultures des Plaines, comment ne pas souligner leur attachement et appartenance aux autres groupes Cree, si ce n’est par leur langue et leur ethnonyme communs ? Ainsi, une zone du « Nord des Plaines » ici appelée Prairies, majoritairement occupée par des groupes de langue algonquienne (les Blackfoot de langue algonquienne s’y trouvent également) se positionne comme une zone de transition30. Cette situation géographique fait de la zone du Nord des Plaines, ou des Prairies, une aire à influences multiples, transitant alors entre la culture du Grand Nord des forêts boréales et celle des grandes Plaines états-uniennes.
15Le paysage des Prairies est caractérisé par les plaines boréales et constitue une parfaite transition entre le paysage des prairies caractérisé par l’horizon à perte de vue et les forêts boréales de conifères du Subarctique. Les deux types de paysages s’y entremêlent pour former une zone intermédiaire transitionnelle. Le climat est de type continental et sec. Au sud, à la frontière états-unienne de l’Alberta, dans la région communément appelée les badlands, le relief de canyons très secs, héritage de la période glaciaire, a contribué au développement d’une technique particulière pour la chasse aux bisons. Le Head-Smashed Buffalo Jump près de Fort MacLeod (Alberta) en est le meilleur exemple. Les Blackfoot occupant alors la région utilisaient la technique du « buffalo jump », obligeant les bisons à se déplacer et les canalisant vers le précipice. Dans leur empressement, les bisons chutaient de la falaise et les autochtones n’avaient plus qu’à rapatrier les dépouilles des animaux vers un campement voisin31. Le bison est le mammifère le plus répandu et le plus nécessaire à la survie, mais on trouve également des coyotes, des loups gris, des blaireaux, des chiens de prairies, ainsi que des dindes sauvages et de nombreuses autres espèces. La ressource halieutique n’est que secondaire. La région permet un régime végétal bien plus important que dans l’aire Subarctique. Navets, haricots sauvages, tournesols, artichauts, oignons, plusieurs variétés d’arachide, de baies et de nombreuses autres espèces végétales consommables poussent naturellement dans cette région. Il est important de souligner que le paysage des Prairies a été totalement bouleversé depuis cent cinquante ans, entre autres par l’agriculture intensive qui y est pratiquée. Tout comme dans le subarctique, la chasse était indispensable. Le bison fournissait nourriture, habillement et habitat. Le déplacement saisonnier des troupeaux conditionnait ici aussi le cycle annuel du déplacement des hommes. L’alternance saisonnière entre un regroupement d’hiver et une dispersion d’été rythmait également les déplacements des groupes. Les chevaux, introduits au xviiie siècle et participant à l’imaginaire commun de la culture des Indiens des Plaines, ont fondamentalement modifié leurs techniques de chasse et leurs modes de vie. Les déplacements ont ainsi été rendus plus aisés et les territoires de chasse ont été dès lors agrandis. L’habitat principal, maintes fois déplacé au cours de l’année, est le tipi. De nombreuses autres structures étaient aussi édifiées pour des occasions rituelles. Il semblerait que dans l’aire des Plaines l’activité rituelle soit, au regard des groupes du subarctique, d’une ampleur plus importante ou du moins plus visible pour les observateurs. Les rassemblements d’été sont l’occasion de grandes cérémonies telles que la danse du soleil. Dans l’aire des Plaines, c’est bien le bison, principal moyen de subsistance, qui rythme la vie autochtone et marque le trait caractéristique de ces cultures. Avec le bison, sa chasse et son utilisation, il est ici possible d’observer nettement la complémentarité des sexes dans la division des tâches : l’animal est tué par les hommes, puis les femmes s’en chargent. Une fois rapporté au camp, au centre du groupe, les femmes transforment le bison en nourriture, vêtements, couvertures, contenants, etc. L’ensemble de la carcasse de l’animal est transformé à toutes fins utiles. Les populations de langue algonquienne des Prairies canadiennes sont largement influencées par la vaste aire culturelle des Plaines, mais leur proximité géographique avec des groupes du Subarctique laisse envisager des interrelations (pacifique ou non) et la possible observation de liens transformationnels.
16Les zones géographiques et écologiques du Subarctique et des Prairies sont aisément définissables malgré la diversité de chacune d’entre elles. L’étendue géographique de ces aires écologiques et culturelles porte nécessairement en germe de nombreuses variations. Il ne fait aucun doute que les traits généraux des modes de vie précédemment décrits soient soumis à de multiples variations selon l’endroit où l’on se situe dans l’une ou l’autre de ces vastes régions. De plus, au sein de chacune d’elles, des subdivisions physiographiques peuvent être respectivement décrites, alors que c’est sur la base de constats de nature géographique et géologique que les aires culturelles nord-amérindiennes ont été fondées. C’est donc avec cette mosaïque de populations que les différentes instances gouvernementales du Canada doivent négocier pour établir leur souveraineté sur l’ensemble du territoire et que les missionnaires doivent composer pour instaurer le catholicisme dans ces régions.
Politiques assimilatrices
17Les considérations précédemment faites excluent totalement le contexte de rencontre et la politique coloniale menée en ces territoires depuis le xviiie siècle. Or, ce moment de rencontre entre monde occidental et monde autochtone est bien au cœur de cette recherche. Il est alors temps de reprendre un bref historique de ces relations administratives.
18Dès les premières décennies de la présence européenne dans le Nouveau-Monde, la politique de gestion des territoires et des populations autochtones qui les occupent est une question complexe. En 1763, le traité de Paris reconnaît la suprématie de l’Angleterre sur les nouveaux territoires d’Amérique du Nord. Pour organiser ses colonies, le roi George III d’Angleterre adopte la « Proclamation Royale » du 7 octobre 1763. Par cet édit royal, la mise sous tutelle des Amérindiens débute avec une certaine forme de reconnaissance de droits territoriaux32. Ainsi, commence progressivement la politique des « Traités » : des ententes cordiales signées entre « Sa Majesté » et ses sujets Indiens. Par ces traités, les Amérindiens cèdent leurs droits sur d’immenses territoires en échange d’argent, de quelques biens matériels et de parcelles de terre délimitées : les « réserves ». Il s’agit en outre pour la couronne d’Angleterre d’ouvrir le territoire nord-américain à la colonisation, sans être gêné par les populations locales alors contenues dans ces zones restreintes. En 1867, les différentes colonies britanniques du continent se fédèrent en Dominion du Canada et rapidement, la politique des traités prend une dimension systématique et fédérale. La nouvelle fédération poursuit la politique indienne entreprise le siècle précédent en établissant onze nouveaux traités, appelés les « Traités numérotés33 ». Les deux premiers seront signés en 1871 dans la province du Manitoba nouvellement créée (1870), et le dernier le sera dans les années 1920. Toutefois seules 59 % des bandes indiennes actuellement reconnues par le gouvernement canadien ont signé un traité. Les 41 % restants ne sont donc pas assujettis au régime des traités34.
19Parallèlement à la question des terres et à la politique des traités, le sujet du statut de l’Indien est également au cœur des préoccupations dans les années 1870 avec la promulgation de la première « loi sur les Indiens » de 1876, appelée aussi « Actes des Sauvages ». Il s’agit d’une mesure législative, dans la continuité de la Proclamation royale de 1763, visant à protéger les individus autochtones. Elle définit tous les aspects de la vie dans les réserves ainsi que l’appareil administratif et juridique dont dépendent les Amérindiens. Cette loi définit la condition qui détermine le statut d’Indien, spécifie la définition d’une bande indienne, régit la gestion des minéraux et du bois ainsi que les privilèges spéciaux tels que l’exemption d’impôts35. Un « Registre des Indiens » est alors créé dès les années 1850. Tout Indien pouvant être déclaré comme tel selon la loi sur les Indiens pouvait y être inscrit, ce qui permettait au gouvernement de déterminer à quels individus les privilèges précisés dans la loi pouvaient être accordés.
20La politique des traités et la création des réserves devaient permettre de définir et d’améliorer les conditions de vie des autochtones, la loi sur les Indiens devait donner un cadre juridique aux individus et leur éducation devait faire le reste, en l’occurrence les assimiler. Le « programme de civilisation » débute dès les années 1830 et se base sur trois principes : la protection des Indiens, l’amélioration de leurs conditions de vie et leur assimilation. Les deux premiers volets sont réglés par la loi sur les Indiens et le régime des traités, reste alors le dernier point : l’assimilation.
21L’assimilation des autochtones peut être définie comme leur transformation qui vise à les rendre semblables à la population dominante36. Pour ce faire, les Amérindiens se devaient d’acquérir les valeurs et le mode de vie de la population blanche. À terme, le département des Affaires indiennes n’aurait plus lieu d’être. En 1857, la politique assimilatrice est de nouveau encouragée par les autorités avec l’Acte pour encourager la civilisation graduelle des tribus sauvages en cette Province et pour modifier les lois relatives aux sauvages. En 1869, une nouvelle Loi pourvoyant à l’émancipation graduelle des Indiens, à la meilleure administration des affaires des Indiens et à l’extension des dispositions de la loi 31 est votée par le gouvernement canadien. Un changement du discours employé est décelable : au lieu de « civilisation graduelle » en 1857, les autorités préfèrent ensuite user du terme « émancipation », minorant ainsi l’idée d’assimilation pour laisser entrevoir une prise d’autonomie des Amérindiens par eux-mêmes, essentiellement d’un point de vue économique. La loi sur les Indiens de 1876 précédemment évoquée permet d’aller un peu plus loin dans le contrôle et l’administration des individus et des réserves. Cette loi, sans cesse retravaillée, a pour conséquence en 1884 l’interdiction des danses et cérémonies traditionnelles par l’amendement de l’article 3 et, en 1894, l’article 11 rend obligatoire la fréquentation des écoles et prévoit des sanctions à l’encontre de ceux qui s’y soustraient37.
22Au xixe siècle, l’éducation ne peut être dissociée de la présence de missionnaires. L’enseignement donné aux populations autochtones canadiennes est déjà depuis bien longtemps l’apanage des missionnaires. C’est par l’intermédiaire des hommes et femmes d’Église que l’assimilation souhaitée par le gouvernement prendra ancrage sur le terrain. Si des écoles de jour ont été les premiers lieux d’enseignements dès le xviie siècle, le xixe siècle voit apparaître le système des écoles résidentielles pour une meilleure prise en charge des enfants autochtones qui vont être instruits dans des pensionnats à l’écart de toute influence familiale38. Ces écoles-pensionnats, créées en dehors des réserves, sont gérées par le gouvernement canadien qui en délègue l’administration et l’activité d’enseignement aux institutions religieuses. Les subventions financières dont bénéficient ces écoles-pensionnats sont mixtes puisqu’elles proviennent à la fois du gouvernement canadien et des Églises39. Comme cela a déjà été évoqué, au sein de ces écoles résidentielles, les règles sont strictes ; l’objectif étant l’assimilation complète et donc la disparition des habitudes et traditions autochtones. Le système des écoles-pensionnats hors réserves se généralisa dans les années 1880 et dès cette période, l’ensemble de la gestion de l’éducation des enfants amérindiens est confié aux Églises chrétiennes40. De fait, l’assimilation par les institutions religieuses entraîne une transformation forcée des valeurs et pratiques religieuses autochtones. Dans les esprits des missionnaires et du gouvernement canadien de l’époque, la notion d’assimilation est indissociable de celle d’évangélisation41. On observe alors une articulation entre d’une part, le développement de l’administration et de l’encadrement juridique et fédéral des populations autochtones et d’autre part, le développement des missions chrétiennes dans l’ensemble du pays.
23Les dispositifs d’assimilation mis en place durant la seconde moitié du xixe siècle et les efforts continus poursuivis dans la première moitié du xxe siècle n’ont cependant pas fourni de résultats assez satisfaisants pour le gouvernement canadien. Cette politique prônant l’assimilation pour parvenir à terme à l’émancipation des populations nord-amérindiennes du Canada a en réalité produit l’effet inverse et a placé les communautés autochtones dans une situation de dépendance. Le régime protectionniste qui offrait de nombreuses compensations et certains privilèges en échange de la cession des territoires, a eu pour conséquence de laisser les Indiens inscrits dans le Registre dans la situation de pupilles de l’État42. Pour contrer cet effet néfaste de l’assimilation, une nouvelle politique tente de se mettre en place dans les années 1960. Jean Chrétien, alors ministre des Affaires indiennes, présente au parlement un document politique de vingt-cinq pages intitulé La politique indienne du gouvernement du Canada, 196943. Par ce document, communément nommé Livre Blanc (ou White Paper) car écrit sans réelle concertation avec les populations autochtones concernées, le ministre des Affaires indiennes souhaite l’abolition de toute législation antérieure, traités et loi sur les Indiens compris, pour une assimilation à part égale des autochtones à la société canadienne. La distinction entre Canadiens et autochtones n’aurait ainsi plus lieu d’être et l’objectif affiché depuis le xixe siècle arriverait finalement à son terme. L’opposition des communautés amérindiennes à cette nouvelle proposition de politique assimilatrice mènera à son annulation dès 1970, mais aura surtout pour conséquence de fédérer les autochtones du Canada dans une mouvance revendicatrice et activiste relevant de l’idée d’une unité amérindienne telle qu’elle s’exerce alors déjà aux États-Unis depuis quelques années.
L’assimilation dans le discours des religieuses
24La politique d’assimilation qui s’intensifie dans la seconde moitié du xixe siècle et s’échelonne sur plusieurs décennies a inévitablement transformé le mode de vie des populations autochtones qui n’étaient jusqu’alors qu’en contact partiel avec le monde européen (coureurs de bois, employés des compagnies de commerces, missionnaires et quelques colons aventureux). La pression coloniale pousse le gouvernement et les Églises à contraindre les populations autochtones à acquérir le mode de vie euro-canadien. Pour cela, la sédentarisation de ces populations semi-nomades est la première étape et les écoles résidentielles répondent pleinement à cet objectif. Il s’agit pour les missionnaires de séparer les enfants de leurs milieux familiaux et naturels afin qu’ils ne puissent plus suivre leurs familles dans leurs déplacements réguliers. Sans transition, les enfants passent d’un rythme semi-nomade (suivant un cycle annuel caractérisé par un regroupement estival et une dispersion hivernale à la recherche constante de gibiers), à un rythme stable, quotidiennement prédéfini, avec des horaires fixes dans les écoles résidentielles.
25Deux religieuses enseignantes dans une école de jour en Alberta auprès de Cree des Plaines dans les années 1960 décrivent l’étape de l’assimilation :
« S. Aurore — Le gouvernement voulait l’assimilation des Indiens. Alors on avait tout le temps des documents de travail pour l’assimilation. Ils [les agents du gouvernement] voulaient que les enfants aillent à l’école. Alors il y avait beaucoup de pression sur nous autres pour débarrasser les écoles de jour, pour que les enfants soient assimilés dans les écoles comme les Blancs. Bon, je ne dis pas que leurs intentions étaient mauvaises, c’était leur apporter les mêmes opportunités que les Blancs. Mais ils oubliaient que ce n’était pas la même culture.
S. Louise — C’est ça.
S. Aurore — Ils avaient à faire un pas de cent ans que nous autres, notre culture, avait fait en sept cents, huit cents ans. De Charlemagne jusqu’à maintenant. On a fait du chemin pour arriver à une idée de démocratie. Alors eux autres [les populations autochtones] on leur demandait de faire un saut culturel dans cent ans. Parce que les premiers Blancs arrivaient en 1800 quelque chose, mais ça a été surtout vers 1840, 1850 que ça a été important. On ne réalise pas ce qu’on leur a demandé. Et puis ce qu’on demande aujourd’hui en Afrique, partout, c’est pareil.
S. Louise — Ils [les agents du gouvernement] venaient chercher les enfants pour aller à Blue Quills, à l’école indienne [école résidentielle].
S. Aurore — Ils les arrachaient à leur famille.
S. Louise — Les Sœurs de la Charité étaient là dans ce temps, elles ont fait pour le mieux, hein…
S. Aurore — Mais elles étaient sous les directives [du ministère] des Affaires indiennes tout le temps. Indian Affairs est en arrière de tout ça, ça, on le sait44. »
26Conscientes de leur statut d’auxiliaire, les deux religieuses ont ici tendance à rejeter les faits de l’assimilation sur la seule responsabilité du gouvernement fédéral. Pourtant, le processus assimilationniste ne peut être mené à bien sans le soutien des Églises. Les écoles résidentielles sont, dans ce discours, le moyen privilégié de ce processus, mais les religieuses en sont presque exclues. Il faut souligner que le détachement du discours de ces deux religieuses peut trouver une explication dans le fait qu’elles sont issues d’une congrégation qui a refusé de servir en écoles résidentielles pour se focaliser sur un apprentissage au sein des communautés, en écoles de jour. Seules les religieuses de la première congrégation à l’ouest de Saint-Boniface (les Sœurs de la Charité, soit les Sœurs Grises de Montréal) sont mentionnées dans ce discours qui se veut à portée historique et sont alors affranchies de toute force d’action et de responsabilité, contrairement aux agents du gouvernement.
27Au sujet de cette étape transitionnelle, et plus particulièrement de la sédentarisation, une religieuse surveillante en école résidentielle et animatrice pastorale durant une vingtaine d’années dans les Territoires du Nord-Ouest revient sur son expérience :
« Il y avait la tradition de rester sous des tentes qu’ils ne nettoyaient pas. Quand c’était rendu trop sale, de temps en temps ils la mettaient [la tente] là, puis là. Tandis que quand ils ont eu des maisons, il fallait qu’ils les lavent. Ils ne pouvaient pas déménager la maison. […] Ils n’aiment pas avoir chacun leur chambre à coucher comme nous autres. Il y a une chambre et puis tout le monde va coucher là. Quand on allait dans la chambre, il y avait le papa, la maman et toutes les petites têtes autour du lit. Ils couchent ensemble, c’est leur façon de faire à eux. Et puis quand ils ont eu des baignoires, qu’est-ce qu’ils ont mis dans les baignoires ? Ils y ont mis de la terre. On a essayé graduellement. Ils me disaient des fois, “ma sœur, tu vas user ma peau à me laver”45. »
28Au-delà des difficultés de l’adaptation à la sédentarisation, la question de l’hygiène est omniprésente dans ce discours. L’importance accordée à la propreté des enfants autochtones dans les écoles pensionnats où une inspection était réalisée chaque matin a déjà été soulignée. Les autochtones devaient donc se conformer aux pratiques d’hygiène du mode de vie euro-canadien. La bonne tenue des habitations faisait également partie de ces règles d’hygiène. Cette importance accordée à la propreté révèle l’imposition de la contrainte du corps. L’assimilation passe par une astreinte des corps : les individus en déplacements réguliers doivent s’établir de façon fixe (sédentarisation) et les corps individuels doivent prendre l’apparence de ceux de la population dominante (hygiène physique et habillement). À l’image de la religieuse qui contraint son corps dans le dévouement à Dieu et à la collectivité, il est demandé aux autochtones de contraindre leur corps pour répondre à l’objectif de leur assimilation. Cette assimilation des corps concerne également les pratiques sexuelles et les pratiques d’alliance. Il est, entre autres, demandé aux populations autochtones d’abandonner la polygamie au profit du mariage monogame et indissoluble ; nous y reviendrons.
29Les notions de classement, de catégorisation et donc d’identification pour la normalisation sont au centre des relations entre les autochtones et la population dominante. Qu’il s’agisse de la réglementation fédérale donnant un cadre et un statut aux groupes autochtones ou des universitaires les subdivisant en « aires », il semble d’une nécessité indépassable de caractériser les populations autochtones. Si la diversité des cultures nord-amérindiennes est incontestable, il est impossible d’omettre ce qu’elles comprennent de substrats communs concernant, entre autres, des fondements religieux basés sur un principe animique ainsi qu’une conception des relations entre les sexes placés sous le régime de la complémentarité.
Le phénomène religieux nord-amérindien
30Le fait religieux nord-amérindien, également appelé spiritualité amérindienne par mes informateurs, n’est pas issu d’une religion dogmatique institutionnalisée, il relève de l’expérience du monde sensible, d’une nature holistique46. Dans cet univers spirituel global, il est possible de trouver une grande variété de mythes, de rites et de croyances, dont les structures forment de vastes systèmes transformationnels47. Il est cependant possible d’extraire de cette variété quelques principes communs : l’animisme, le totémisme, le chamanisme, mais aussi un principe inclusif, qui semble résulter de ces fondements religieux.
Un substrat animo-totémique
31En opposition au terme de religion, défini par un dogme institutionnalisé, les autochtones rencontrés préfèrent parler de spiritualité pour décrire la forme de religiosité à laquelle ils s’adonnent. Ainsi, selon eux, « spiritualité » désigne plutôt une philosophie de vie, une voie à suivre, contrastant ainsi avec une croyance guidée par des règles. Deux principes de base semblent régir le phénomène religieux, autrement dit cette spiritualité, en Amérique du Nord autochtone : l’animisme et le totémisme.
32Les premiers missionnaires qui rencontrent les Amérindiens de l’est de l’Amérique du Nord au xviie siècle considèrent les populations autochtones comme sans religion au sens chrétien du terme. Le jésuite Pierre Biard écrit en 1612 : « ces sauvages n’ont point de religion formée48 ». Cependant, sans « religion formée » signifie sous la plume du missionnaire sans religion institutionnalisée, au dogme prescrit, mais ne veut pas dire pour autant sans croyance. En ce sens, Émile Petitot, missionnaire et ethnographe du xixe siècle, complète le propos au sujet des populations du Subarctique, dans la région du bassin du Mackenzie : « Nos Déné-Dindjié n’avaient aucune espèce de culte ni même de religion, si on excepte des pratiques et des prescriptions de leurs ancêtres ayant parmi eux force de loi49. » D’une façon générale, il est possible de définir le complexe religieux nord-amérindien comme un système de représentation considérant l’ensemble des éléments naturels comme animés d’une force, souvent appelée « âme » ou « esprit », dont les caractéristiques ne sont pas pleinement définies. Les éléments naturels disposant ainsi d’une même force d’action que les êtres humains, il serait possible d’entretenir avec les non-humains des rapports analogues à ceux entre humains ; ce qui s’apparente à une logique animiste50.
33L’une des dernières contributions au long et fastidieux débat sur la notion d’animisme revient à Philippe Descola. Celui-ci propose de décrire l’animisme comme une continuité entre les intériorités des humains et celles des autres existants et une discontinuité entre les physicalités de ceux-ci. Est alors entendu que la distinction physicalité/intériorité est universelle et que la physicalité constitue le dispositif matériel qui permet d’agir sur le monde, par le corps entre autres, et que l’intériorité concerne la part invisible, non matérielle, de l’existant humain ou non-humain c’est-à-dire sa conscience, son esprit51. Dans la pensée de Descola, l’animisme n’est pas considéré comme un simple système de représentation, mais comme un système de perception. Cette démarche permet alors d’opter pour une méthodologie considérant l’animisme comme un point de vue interchangeable, parmi d’autres52. Cette précision est tout à fait pertinente lorsqu’on en vient à l’ethnographie nord-amérindienne.
34Le point de vue animiste n’est pas le point de vue de l’individu, mais la capacité de ce dernier à modifier son point de vue en fonction des relations entretenues. Qu’elle ait lieu avec un humain ou avec une entité non-humaine, chaque interrelation est saisie selon un point de vue distinct et propre53. Pour exprimer cette « prise de point de vue », la relation chasseur/proie décrite par Robert Brightman chez les Cree est un exemple évocateur54. Dans la pensée Cree, les animaux seraient en mesure d’établir une relation de nature psychologique avec les hommes chasseurs, selon une force d’action qui leur est propre. Cette relation a pour conséquence un respect mutuel entre chasseurs et chassés. Ce respect, établi par une relation d’égal à égal (le chasseur comme sa proie étant chacun pour une part d’essence spirituelle), permet de concevoir le gibier non uniquement dans l’inertie de son statut de proie, mais agissant en tant que telle et s’offrant au chasseur. L’idée du respect étant la base de l’argument de l’auteur, l’irrespect envers les animaux aurait pour conséquence la mise en famine intentionnelle des hommes, les proies ne se laissant alors plus chasser. La base de cette interrelation est donc bien de nature animiste puisqu’une force d’action est conférée à l’animal, mais il s’agit également d’une question de point de vue : le chasseur ne se considérant pas comme prédateur, le gibier ne se considérant pas comme proie, la perception animiste opère depuis chacun des acteurs de cette relation.
35L’animisme comme système de perception permettrait de concevoir l’animation et l’intentionnalité des éléments naturels par le moyen d’une force de nature supranaturelle qui les positionnerait tous au même rang, humain et non-humain ; conception qui prévaut encore aujourd’hui dans le discours des informateurs interrogés55. La puissance d’action contenue dans le monde vivant a toujours été décrite par les ethnographes et informateurs des populations nord-amérindiennes. Les plus anciennes informations ethnographiques en font état. Par exemple, David Thompson écrivait au début du xixe siècle au sujet des Cree : « in times of distress and danger in their prayers to invisible powers56 ». Thompson poursuit en expliquant que, dans les traditions et croyances de ces populations Cree, l’ensemble du monde visible est fait d’une entité puissante et que chaque créature est sous la protection d’un « manito » (généralement traduit par esprit)57. Ivring Hallowell, en 1960, fait office de précurseur en consacrant un article uniquement à la question animiste et en affirmant que, dans la culture Ojibwa, les animaux sont considérés de la même façon que les hommes58. David Mandelbaum, dans son étude ethnographique comparative consacrée aux Cree des Plaines, étude réalisée dans les années 1930, décrit également les croyances des Cree et autres populations de langue algonquienne en des « forces incarnées dans les organismes vivants et phénomènes naturels59 ». Tous les observateurs semblent noter la reconnaissance de l’animation et de l’intentionnalité de l’ensemble des éléments naturels. Mandelbaum remarque que les humains Cree ne seraient pas guidés et aidés par tous les éléments, mais plutôt par certains plus particulièrement60. D’autres données, recueillies au début du xxe siècle chez les Cree du Montana par Frederick Peeso, décrivent également l’idée d’une force contenue dans les éléments naturels :
« They were not deified, but it was the power which these things represented, that the Indian invoked. Nearly, all creatures, objects and natural phenomena represent some particular power to the Indian, and to this power, which embodied the particular qualities, he was at that time most urgently in need of, whether the sun, the bear, the hawk, he prayed, seemingly invoking the object61. »
36Ici, l’idée d’une qualité particulière propre à chaque élément est mise en avant. Selon les besoins, les Amérindiens feraient appel à un élément spécifique. Il est bien sûr impossible de noter toutes les références à l’animisme, mais ces quelques exemples doivent permettent de saisir ce qu’est une conception du monde élaborée selon un point de vue animiste et tel que la pensent les autochtones nord-amérindiens.
37La relation homme-animal est centrale dans la conception animiste, même si elle n’est pas l’unique. Les relations entre les hommes et les végétaux ou encore les phénomènes météorologiques ont tendance à être laissées de côté par les ethnographes. L’attention portée de façon privilégiée à la relation homme-animal peut être expliquée par l’importance de la chasse dans ces vastes contrées, mais également par ce qui peut être décrit comme un prolongement de l’animisme en Amérique du Nord : le principe totémique.
38L’Australie est généralement désignée comme l’aire privilégiée pour l’étude du totémisme, mais l’origine du mot est nord-américaine. John Long, anglais impliqué dans la traite des fourrures et installé auprès des populations Ojibwa à la fin du xviiie siècle, façonna le terme de « dotémisme » (qui évoluera ensuite en « totémisme ») selon un mot de la langue autochtone Ojibwa : « dotem » signifiant « mon ami62 ». L’oblat Petitot, installé dans le Grand Nord auprès des populations Dénés dans la seconde moitié du xixe siècle, définit le totémisme dans sa Monographie des Dènè-Dindjié en ces termes :
« todémisme ou adoration de la bête, forme de fétichisme la plus abjecte et la plus matérielle qui se puisse trouver, puisqu’elle fait de l’animal un dieu ou un suppôt de la divinité, et de Dieu un animal ou une incarnation brutale63 ».
39Au-delà du propos radicalement orienté du missionnaire, Petitot n’en dit finalement pas plus sur le totémisme préférant s’attarder ensuite sur le sujet des esprits-gardiens. Très généralement, le totémisme est associé à l’idée d’une organisation sociale en clans, lesquels portent un nom ou un emblème animal ou végétal (le totem donc), et très souvent également à une croyance selon laquelle un lien de parenté est établi entre le clan et le totem. Il s’agit alors d’un thème complexe où religion, organisation sociale et parenté semblent, au premier abord, s’entremêler et recoupent des réalités ethnographiques diverses, correspondant à une forme de totémisme collectif. Cependant, dans la région du Subarctique et des Prairies, le totémisme collectif est peu présent, pour ne pas dire absent. Par exemple, dans le Handbook of North American Indians consacré au Subarctique, il n’en est fait aucune mention, contrairement aux questions de respect envers les proies et aux traitements particuliers qui leur sont réservés. De même, dans la monographie des Cree des Plaines de Mandelbaum, il n’y a aucune référence au totémisme collectif. La logique de l’esprit-gardien, que certains ont nommé totémisme individuel, prévaut sur le totémisme collectif en Amérique du Nord.
40De nombreuses grandes figures de l’anthropologie ont tenté de « démêler » le problème totémique64. Soulevant la complexité du thème, Claude Lévi-Strauss tentera de conclure : « Le prétendu totémisme échappe à tout effort de définition dans l’absolu. Il consiste, tout au plus, dans une disposition contingente d’éléments non spécifiques65. » Dans La pensée Sauvage ainsi que dans Le totémisme aujourd’hui, publiés à très bref intervalle, Lévi-Strauss s’attache à mettre en évidence le principe classificatoire des espèces animales et végétales par les populations autochtones66. Dans Le totémisme aujourd’hui, l’auteur démontre que le totémisme ne vaut pas pour institution ou règle d’organisation sociale, mais que le principe classificatoire des espèces est, dans les sociétés primitives, le modèle de conceptualisation de la différence entre les groupes sociaux. Par cette thèse, l’auteur relègue tous les débats théoriques au sujet du totémisme au rang d’illusions.
41L’apport de Lévi-Strauss à la discussion est particulièrement intéressant lorsqu’il s’agit de distinguer le totémisme collectif d’une forme de totémisme individuel :
« Ce système de dénomination collective [le clan portant un nom d’animal] ne doit pas être confondu avec la croyance entretenue par les mêmes Ojibwa, que chaque individu peut entrer en relation avec un animal qui deviendra son esprit gardien. […] En fait, les recherches sur les Ojibwa démontrent que la première description de la prétendue institution du “totémisme” […] résulte d’une confusion entre le vocabulaire clanique (où les noms animaux correspondent à des appellations collectives) et les croyances relatives aux esprits gardiens (qui sont des protecteurs individuels)67. »
42La question des esprits gardiens avait déjà été abordée à propos de l’Amérique par James Frazer dans Totemism et Exogamy, sans pour autant prendre d’importance dans son propos. John W. Powell, d’après ses matériaux nord-américains, reconnaissait également qu’il y avait plusieurs formes de totémisme : avec l’idée évolutionniste selon laquelle le totémisme collectif de clan trouvait ses origines dans un totémisme individuel, ce que Boas n’avait pas validé dans l’analyse du totémisme Kwakiutl68. Lévi-Strauss quant à lui démontre, mythe à l’appui et en une dizaine de pages, la distinction entre totémisme et esprit gardien chez les Ojibwa. Il affirme qu’il n’y a pas, dans cette population, de relation immédiate telle qu’une relation de parenté entre l’individu et son totem. Il relègue par la même occasion les questions de tabou alimentaire au principe des esprits gardiens et non plus à celle du totémisme69.
43Emmanuel Désveaux s’attachant à son tour, lui aussi, à la question du totémisme chez les populations de langue algonquienne70 conclut que le clan totémique patrilinéaire relève plutôt d’une logique de confrérie que d’un régime de filiation pur et que, s’il doit y avoir une logique totémique dans le cadre d’une « communauté de naissance », elle se trouve du côté matrilinéaire71. Poursuivant avec un retour aux données ethnographiques au sujet des Cree et des Ojibwa et dans la continuité de Lévi-Strauss, Désveaux démontre que totémisme collectif et totémisme individuel (logique de l’esprit gardien) font partie d’un même système qui « dans son ensemble équivaut en conséquence à une pétition de principe en faveur d’une ontologie animale immatérielle, littéralement désincarnée ; il revient en somme à un dispositif de négation de substance72 ». La négation de substance, concept central dans cet argument, sera particulièrement intéressante et mise à profit ici lorsqu’il s’agira d’en venir, dans un chapitre ultérieur au complexe d’adoption-appropriation à l’œuvre dans l’acceptation, par les Amérindiens, d’influences religieuses extérieures.
44Grâce aux apports de Lévi-Strauss et de Désveaux il est possible de brièvement définir le totémisme amérindien comme un système au sein duquel peuvent se distinguer les relations entretenues entre des forces supranaturelles et l’individuel d’une part, le collectif d’autre part. Ces relations métaphysiques entre entités spirituelles et humains ne sont pas à la base d’une organisation sociale particulière, mais plutôt d’une ontologie reposant sur un principe classificatoire, et mettant également en œuvre le principe de négation de substance, considéré ici comme fondamental dans la relation que les populations nord-amérindiennes entretiennent avec l’altérité.
45Ainsi, animisme et totémisme sont les deux principes d’essence religieuse qui régissent le système de représentation et de perception du monde des autochtones nord-amérindiens. L’un étant de surcroît corollaire à l’autre. En effet, l’animisme prêtant une intentionnalité aux choses naturelles, le totémisme, en plus d’être un principe classificatoire, est dans sa forme individuelle une résultante directe de l’animiste. Si un animal ou tout du moins la ou les forces qui l’animent peut avoir la capacité d’interagir avec les humains, alors cette intentionnalité peut être considérée comme un esprit gardien. En ce sens, il serait possible de parler d’un système animo-totémique pour décrire le substrat religieux en Amérique du Nord.
Chamanisme et temporalité
46Le phénomène religieux en Amérique autochtone se distingue alors par l’animisme défini par l’intentionnalité conférée au monde des non-humains et les rapports intersubjectifs ayant cours entre les humains et ce monde des non-humains. Cette métaphysique animiste figure au fondement du chamanisme amérindien : les rapports entre les mondes humains et non-humains impliquent dialogues et négociations constantes entre ces sphères pour préserver l’ordre socio-cosmique et naturel sur lequel se base également une temporalité cyclique. S’il est impossible de décrire précisément ici l’ensemble des pratiques chamaniques de chaque groupe de la zone de recherche privilégiée, il est possible d’en dresser un premier contour.
47Communément, les chamanes ou hommes-médecine (parfois également femme-médecine) sont les personnes ayant la capacité d’entrer en relations étroites avec une multitude d’entités spirituelles. Dans le contexte nord-amérindien animiste et totémique, tous les individus ont la faculté d’entrer en contact avec les forces supranaturelles du monde animé, soit par l’intermédiaire des rêves soit par une quête de vision. Les chamanes, à la différence des individus communs, sont ceux qui ont le plus d’expérience de la pratique des relations, amicales ou non, avec les entités spirituelles. Ils sont les interlocuteurs privilégiés de celles-ci. Leur quotidien est fait d’échanges et de jeux avec ces entités. Le terme de « jongleur » est très souvent employé par les missionnaires du xviie siècle : « J’ai déjà fait mention, comme les Charlatans, ou Jongleurs & Sorciers, sont ici obéis73. » Ainsi sont désignés ces individus particuliers qui, aux yeux des missionnaires du xviie siècle, usent de nombreux subterfuges et illusions pour duper le public et faire croire à un véritable contact avec une ou plusieurs entités spirituelles. Généralement, le ou la chamane dispose d’une panoplie qui l’accompagne dans ces activités, panoplie souvent appelée « sac médecine ». Celui-ci peut prendre la forme d’une simple amulette enfermant un petit objet symbolisant tant son rôle que son pouvoir ou bien d’un sac contenant de nombreux éléments.
48En Amérique du Nord, il est commun de distinguer deux types de chamanisme : un chamanisme curatif et un chamanisme de manipulation à visée néfaste et pouvant alors faire tort à autrui. Concernant les populations Dénés du Subarctique du xixe siècle, le missionnaire Petitot discerne quant à lui cinq formes de chamanisme :
« Ils [les Indiens] distinguent plusieurs sortes de magie. La plus inoffensive est la curative, c’est-à-dire celle qui est employée en cas de maladie. Son nom est elkkézin tsédjien (on chante l’un sur l’autre). La seconde est inquisitive, et se fait dans le dessein de recouvrer les objets perdus, de savoir ce qu’est devenue une personne absente, de hâter l’arrivée des barques. On l’appelle inkkpanzé, c’est-à-dire l’ombre, la silhouette. La troisième est opérative et n’a pour but que la gloire de faire des prestiges. Les Indiens avouent qu’elle n’est qu’un jeu, et pourtant ils la nomment la médecine forte, inkkpanzé tta natser (i. e. l’ombre qui est forte). La quatrième est maléfactive. C’est le sort ou le maléfice de nos sorciers du Moyen Âge. On l’appelle nanlyéli (ce qui se jette, ce qui tombe), et inkkpanzé déné kké olté (l’ombre qui tue l’homme) […] Enfin, ces mêmes Indiens ont une cinquième espèce de magie appelée ék’é-tayilté ou tayétlin (le jeune homme bondissant ou lié). Ils la pratiquent dans le double but de se procurer un grand nombre d’animaux à la chasse et de causer la mort de leurs ennemis74. »
49Si la médecine curative semble être quelque peu à part, les quatre autres formes de chamanisme, alors appelées magie par le missionnaire, relèvent d’un même principe de contact et de manipulation des entités spirituelles pour une action à longue distance. Le second type, décrit par Petitot comme inquisitif, induit une distance spatiale entre le chamane et le sujet. Par l’intermédiaire des esprits, des entités spirituelles avec lesquelles le chamane est en contact, le sujet se rapproche (qu’il soit objet perdu ou personne absente). Dans ce cas, le chamanisme permet de rompre la distance. Le même principe opératoire de suppression de la distance spatiale est à l’œuvre dans les trois formes de chamanisme présentées ensuite par le missionnaire. La distinction entre deux formes de chamanisme resurgit alors : le chamanisme curatif, au plus proche de la personne malade ; et le chamanisme de négation de la distance, grâce auquel des actions à distance sont menées par l’intermédiaire des entités spirituelles qui n’ont pas un ancrage territorial aussi fort que les humains. Ce chamanisme à distance peut être illustré avec l’exemple du rituel de la tente tremblante qui sera repris un peu plus loin. Au-delà de la distinction entre ces deux grands ensembles chamaniques évoqués, il faut être prudent quant à une éventuelle homogénéisation des pratiques chamaniques qui diffèrent d’une région à l’autre75.
50Chez les Dénés du Subarctique, le chamanisme semble être étroitement lié, peut-être plus qu’ailleurs, aux rêves76. Le rêve peut s’apparenter à un mode personnel du chamanisme77. Par l’intermédiaire des rêves, les individus peuvent entrer en contact avec les entités supranaturelles et particulièrement avec leurs esprits gardiens. La possibilité d’acquérir des forces chamanistiques est ainsi donnée à tout un chacun. L’acquisition de pouvoirs par le rêve est le moyen le plus commun de devenir chamane dans les populations Dénés, puisque c’est également par l’intermédiaire des rêves que les chamanes obtiennent leur statut, ce qui explique qu’ils soient souvent appelés « dream-doctor ».
51Chez les populations des Cree des Plaines, la notion de docteur revient également souvent. Il semble que le chamanisme de guérison est celui qui tient le rôle le plus important dans les communautés Cree des Plaines. L’ethnographe David Mandelbaum décrit avec précisions les pratiques d’un chamanisme avant tout curatif78. Dans la réserve de Saddle Lake où j’ai eu l’occasion d’enquêter en 2014, un homme détient toujours les connaissances relatives aux soins et particulièrement aux plantes curatives. Devant sa maison un petit panneau en bois indique « herbalist ». Son savoir, qui a été désigné comme chamanique et révélé par onirisme selon mes informateurs, est connu de tous dans la réserve et nombreux sont ceux qui n’hésitent pas à aller le voir lorsque nécessaire.
52Le chamanisme et l’animisme sont intimement liés et restent présents dans les communautés autochtones contemporaines. La pratique du chamanisme, d’une très grande diversité, s’impose comme nécessaire dans ces sociétés où la distinction nature/culture n’est pas fondamentale et où les mondes humains et non-humains doivent sans cesse communiquer et s’équilibrer. En témoignent la persistance et le renouveau chamanique à l’œuvre sur l’ensemble du continent américain79, ainsi que l’importance que revêtent les spiritualités d’essences traditionnelles au sein des communautés contemporaines80.
53Les principes religieux jusqu’à présent décrits, ainsi que la mise en action concrète de ceux-ci par le chamanisme, induisent ou supposent une temporalité spécifique, éloignée de la conception occidentale du temps linéaire. Les populations autochtones nord-amérindiennes n’ont pas la même notion de l’espace et du temps81. L’idée de cycle est prédominante dans le rapport à la temporalité.
54En ce sens, la création est suivie de destruction, qui est elle-même suivie de recréation82. Les mouvements qui animent le monde ne sont pas linéaires mais bien cycliques : succession des jours et des nuits, des saisons, cycle lunaire… Tout est animé selon une spirale sans fin. Une idée communément admise voudrait que les communautés amérindiennes ne vivent que dans le temps présent, sans se préoccuper du passé, et ce contrairement à l’occident. Cette considération de l’omniprésence du temps présent est mentionnée par une religieuse qui a travaillé comme enseignante en école de jour auprès des Cree de l’Alberta dans les années 1960 :
« Ils sont sur un cycle, c’est un cycle lunaire et encore je ne suis pas sûre. Lorsque j’essayais de montrer l’économie aux enfants, de mettre des petits sous de côté, l’un d’eux me disait : “Sister tu ne nous comprends pas, moi quand je vais à la chasse et que je reviens avec trois lièvres, je ne suis pas pour les mettre en dessous de la table pour plus tard, je vais les donner à d’autres parce que là sinon, ils vont se perdre.” Ils vivent beaucoup dans l’immédiat, beaucoup83. »
55Dans la pensée occidentale on évoque alors l’« Indian time » : une pensée axée sur le temps présent, qui ne se soucie pas du passé. Mais dans le monde amérindien, cette modalité temporelle s’exprimerait plutôt par le « temps juste », le bon moment. Alors que l’Occidental tente de contrôler le temps qui lui échappe, selon l’expression « le temps c’est de l’argent », l’Indien quant à lui se contente d’observer, de patienter et d’agir au moment propice. Cette force d’action dans le temps présent, basée sur l’observation, peut être mise en parallèle avec la temporalité cyclique qui s’exerce dans le monde naturel.
56Claude Lévi-Strauss s’est intéressé particulièrement à cette question de la temporalité dans le troisième tome des Mythologiques84. L’un des thèmes mythiques les plus importants et les plus communs du continent américain est celui de l’origine de la Lune et du Soleil, frère et sœur coupables d’une union incestueuse85. Ce mythe dispose de nombreuses variantes. Par exemple, dans l’aire méridionale du Subarctique, le thème prend généralement la forme d’une dispute entre ces deux astres, alors frères, au sujet de leurs épouses respectives86. Toutefois, ce mythe met notamment en œuvre deux principes fondamentaux : celui de la périodicité, et celui de la distanciation de l’union, c’est-à-dire l’exogamie, notions sur lesquelles il conviendra de revenir ultérieurement. Grâce à ce mythe et à ses différentes variantes, Lévi-Strauss établit un étalonnage des périodicités à travers les cycles astraux. Les constellations marquent le temps long : les périodicités annuelles et saisonnières ; la lune, quant à elle, indique les périodicités plus courtes : essentiellement les mois, mais aussi les jours ou plus exactement les nuits ; alors que le soleil se positionne tant du côté quotidien comme la lune, que du côté annuel comme les constellations87. Le temps court, le temps moyen et le temps long sont ainsi inscrits dans les cycles naturels. Un parallélisme entre périodicité moyenne et sexe féminin intervient ensuite : la périodicité des menstruations est basée sur le cycle lunaire qui compte approximativement vingt-neuf jours. S’appuyant sur cette étude des mythes, Lévi-Strauss conclut :
« Le passage de la nature à la culture exige que l’organisme féminin devienne périodique, car l’ordre social ainsi que l’ordre cosmique seraient compromis par un régime anarchique sous l’empire duquel l’alternance régulière du jour et de la nuit, les phases de la lune, les indispositions féminines, la durée fixe de la grossesse et le cours des saisons ne s’épauleraient pas mutuellement […] la nature physiologique atteste la solidarité qui unit les rythmes sociaux et cosmiques88. »
57En ce sens, l’ordre social des populations nord-amérindiennes est associé à celui de l’ordre naturel, ce qui peut être considéré comme un accomplissement sociologique de la pensée animiste. L’ajustement des temporalités et la conjonction des cycles sont des principes régisseurs du monde social. Au même titre que le principe totémique, la temporalité amérindienne prend son inspiration dans le monde naturel et codifie les rapports sociaux et particulièrement les rapports de sexes. De plus, l’ontologie amérindienne caractérisée donc par la périodicité cyclique qui régit l’ensemble du monde vivant permettrait, selon ce rapport particulier au temps, et par conséquent à l’histoire, une logique singulière d’inclusion de l’altérité.
Le principe d’incorporation
58L’adoption considérée dans son sens large comme une appropriation est un processus par lequel les Amérindiens font leur ce qui est autre. Ce complexe particulier relevant de l’adoption et de l’appropriation, qui occupera une partie importante du cinquième chapitre, sera ici simplement décrit dans un premier temps : de l’extérieur du monde (re)connu, l’altérité se retrouve à l’intérieur par une opération qui relèverait de l’appropriation en des termes lisibles par le groupe adoptant.
59Ce processus relevant d’une logique d’adoption-incorporation se retrouve dans le principe qui semble régir le chamanisme sur le continent américain. L’ethnographie du fait religieux des autochtones des Amériques est marquée par la capacité de ceux-ci à assembler et à bricoler diverses formes de spiritualité, provenant d’origines variées et généralement considérées comme incompatibles, en un système religieux équilibré. Dans un ouvrage de 2009, dirigé par Aparecida Vilaça et Robin Wright, les auteurs proposent de concevoir le chamanisme comme le domaine clé pour la compréhension de l’expérience du christianisme par les autochtones amérindiens89. Le chamanisme est alors placé au cœur de la réflexion sur le dynamisme et est positionné comme promoteur de l’acceptation des pratiques d’influences exogènes au sein des systèmes religieux autochtones américains. Dans un autre ouvrage collectif dirigé par Marie-Pierre Bousquet et Robert Crépeau et contribuant à l’ethnographie du fait religieux contemporain en Amérique, les auteurs proposent de mettre en lumière la vitalité transformative du fait religieux autochtone sur le continent90. La singularité du monde amérindien, exprimé par un schème de pensée à l’opposé de celui du modèle occidental imprégné par le rationalisme91, ainsi que par une temporalité spécifique précédemment décrite, se retrouve dans l’expérience religieuse vécue par les communautés autochtones contemporaines. Le chamanisme, par ces caractéristiques, touche avant tout à la vie locale en mobilisant des forces au profit de l’individu ou du groupe. Peu importe l’origine de ces forces et des entités spirituelles tant qu’elles peuvent être mises à profit pour rééquilibrer le monde92. L’animisme, par l’intermédiaire du chamanisme, permet ainsi l’inclusion de forces exogènes par la réinterprétation de celles-ci.
60Sur ce point, les exemples sont nombreux dans le Nouveau Monde du xviie siècle. Au nord-est du continent, Chrestien Leclerc, missionnaire récollet qui prend contact avec les Micmacs de Mirachimi en 1677, décrit le contenu d’un sac médecine, conservé par une vieille femme, lequel est rempli de petites amulettes dont l’une d’elles est faite des fragments d’un chapelet défilé93. Ici, un artefact européen prend place dans la panoplie chamanique. De la même façon, de nombreux Amérindiens de cette période des premiers contacts entre les deux mondes portaient des croix ou des agnus-dei94 autour du cou, de la même façon qu’ils portaient leurs amulettes protectrices95. Les objets européens sont alors totalement reconsidérés selon le modèle amérindien. Il semble également commun de trouver des crucifix complétant l’attirail des chamanes96. Les exemples, au fil des siècles, ne manquent pas. Les croyances ne fusionnent pas au sens strict tel que défini par la notion de syncrétisme, mais les apports du christianisme sont reconsidérés au sein du système de croyances autochtone selon un processus de transformation par l’appropriation.
61Ainsi, il est possible de parler d’une logique inclusive qui serait propre au chamanisme. Il serait même peut-être plus juste de ne pas parler uniquement de « logique inclusive », mais plus précisément d’une « épistémologie de l’appropriation » pour exprimer le fait qu’il n’y a aucune compromission dans la prise en considération d’éléments exogènes dans le système de représentation nord-amérindien. À ce titre, il ne s’agit pas d’une cohabitation idéologique, mais d’un effacement de la différence, d’une appropriation. Loin de coloniser la pensée amérindienne, ce sont les symboles des missionnaires qui sont colonisés par l’idéologie autochtone. Ce principe inclusif, qui est en fait plus exactement un « principe d’incorporation » dans le sens d’une absorption et d’une digestion, relève du même processus que celui qui sera ensuite détaillé au sujet de l’adoption-appropriation. Il se déploie selon un même mode de reconnaissance de l’altérité : par son incorporation selon des termes spécifiques au groupe adoptant. Ce qui permettrait de désigner ces sociétés comme froides selon la distinction de Claude Lévi-Strauss par opposition aux sociétés chaudes, comme les sociétés occidentales97. Ces dernières ont une capacité cumulative de l’expérience historique que n’ont pas les premières. À défaut de cette capacité d’accumulation, il semblerait que les sociétés amérindiennes aient la capacité d’intégrer l’événement historique par digestion, sans modifier la structure de la société ; en somme, un principe structurel d’incorporation.
62Le substrat du phénomène religieux en Amérique du Nord se dévoile alors comme basé avant tout sur l’observation de l’environnement naturel. Animisme et totémisme sont au fondement d’une relation à l’environnement qui s’exprime à travers le chamanisme et la temporalité cyclique régissant le monde social. Monde social qui, dans ce cas, englobe tant les différents individus que les forces supranaturelles qui y habitent. L’étude de l’ensemble des moyens permettant la manipulation des phénomènes religieux conduit ainsi à postuler un principe d’incorporation qui permettrait l’ajustement de tout élément nouveau, condition sine qua non pour son introduction dans cette même panoplie de moyens. En poursuivant l’analyse centrée sur ce système d’incorporation, il sera aisé de constater que la dichotomie des sexes n’y est pas étrangère.
Questions de sexes
63Il s’agit maintenant d’établir une esquisse du masculin et du féminin, et des relations qu’ils peuvent entretenir, au sein des communautés autochtones nord-amérindiennes. Grâce à plusieurs exemples ethnographiques, qu’ils soient de nature quotidienne ou plus exceptionnelle avec la présentation de certains rituels, et malgré les variations constatables dans la zone de recherche privilégiée, il est possible de relever certaines constantes. En empruntant des exemples tant chez des populations de langue algonquienne que chez celles de langue na-déné, des premières pistes de réflexion qui inscrivent masculin et féminin dans un équilibre où l’un et l’autre se complètent seront proposées.
Cycle de vie et dichotomie des sexes
64La dichotomie sexuée s’instaure de façon franche dès la période de la puberté. Dès lors, hommes et femmes s’occuperont de tâches relevant d’un sexe plus que de l’autre. Les rôles sont définis, tant pour les activités quotidiennes que pour les cérémonies rituelles, et s’inscrivent dans un équilibre socio-cosmique à l’image des phénomènes religieux décrits auparavant. Dès les premières années de la vie d’un individu l’apprentissage est sexué et c’est au moment de la puberté que la polarisation devient concrète. Les rites accompagnant les passages de l’enfance à l’âge adulte sont distincts pour les garçons et les filles.
65Il est temps pour les jeunes garçons de devenir complices et amis d’un esprit gardien et ce, au moyen de la quête de vision (vision quest) chez les populations des Prairies. Cet esprit gardien sera indispensable dans les futures activités de chasse et de guerre du jeune homme. Les jeunes filles y sont également parfois encouragées, mais moins systématiquement. À cette occasion, les jeunes hommes sont envoyés seuls en forêt ou dans la nature environnante. Durant plusieurs jours consécutifs (quatre jours pour les Saulteaux du lac Winnipeg98), ils se soumettent à un jeûne et doivent s’installer au sommet d’un arbre ou d’un relief naturel. Durant cet isolement, le jeune homme attend un contact avec une entité spirituelle naturelle, généralement un animal, qui deviendra son esprit gardien, le guidera et le protégera tout au long de sa vie. En ce sens, la quête de vision peut être considérée comme « l’avatar ultime du totémisme individuel99 ». C’est en observant une telle pratique chez les Ojibwa que les premières sources mentionnent la notion de « dotem ». Le principe de négation de substance, déjà soulevé pour exprimer la logique totémique, s’applique particulièrement ici au sujet de l’esprit gardien. L’obtention d’un esprit gardien se traduit parfois en un tabou de chasse et/ou alimentaire concernant l’espèce dont est issu l’esprit gardien en question. Si tuer ou manger un spécimen précis de cette espèce revient à le reconnaître et à le désigner comme tel, « s’abstenir, symétriquement, d’un tel acte vis-à-vis de tous les individus d’une espèce revient à lui conférer dans sa totalité une valeur représentative100 », le vidant alors de sa substance charnelle.
66Chez les populations plus septentrionales, la quête de vision ne semble pas aussi systématique. Relevant d’une même logique, les ethnographies mentionnent souvent, au moment de la puberté, une cérémonie ou un festin à visée initiatique organisé lors de la première chasse d’un gros gibier par un jeune homme101, ainsi que l’obtention d’un esprit gardien par l’intermédiaire d’un rêve. Le missionnaire Petitot décrit un ensemble de pratiques consécutives à l’obtention d’un esprit gardien chez les populations Dénés :
« Le culte dit Nagwalisme, si on peut appliquer le nom de culte à quelques vaines pratiques, consiste : 1° à porter sur soi une relique de l’animal-génie qui s’est révélé à l’indien dans le rêve ; 2° à se livrer à quelques pratiques secrètes dans le but de plaire à l’animal, parce que l’animal lui-même l’aura prescrite en rêve à l’individu qu’il veut bien posséder ; 3° à s’abstenir avec le plus grand soin d’injurier, de traquer, de tuer et surtout de manger la chair de nagwal102. »
67La notion d’esprit gardien, esprit gardien obtenu au moyen d’une quête de vision ou d’un rêve, complète alors les propos précédents concernant le totémisme en Amérique du Nord. L’esprit gardien est une réalité mentale immatérielle vide de substance, mais potentiellement matérialisée par le port d’une amulette ou par les tabous alimentaires. L’obtention d’un esprit gardien marque le début des relations entre un individu et les entités supranaturelles avec lesquelles il cohabite. Le masculin est ainsi en contact privilégié avec une forme d’extériorité.
68Pour les jeunes filles des groupes autochtones du Subarctique et des Prairies, les négociations avec l’extériorité débutent avec leurs premières menstruations. À ce moment, et lors des prochaines menstruations, les femmes s’installent dans une petite tente à l’extérieur du camp (une mise à distance similaire est pratiquée lors de l’accouchement)103. Pour les Cree des Plaines, cet isolement dure quatre nuits lors des premières menstruations104 et dix jours chez les Slavey105. Il n’y a pas alors de véritable rite de passage analogue à la quête de vision précédemment décrite que l’on pourrait définir ainsi ; il s’agit plutôt du commencement de nombreuses prescriptions qui, durant ces périodes d’isolement, suspendent alors l’alliance106. La jeune fille étant extraite de l’unité familiale, cette période d’isolement peut être considérée comme un ajustement de la temporalité et non pas, selon une conception occidentale, comme liée à l’impureté du sang menstruel. L’isolement, rompant l’alliance, relève de l’ordre de la conjonction des temporalités et de la médiation. Un principe de médiation est à l’œuvre dans les prescriptions imposées aux femmes menstruées : par exemple, elles sont accompagnées d’une vieille femme qui leur livre de la nourriture, elles utilisent un petit bâton pour se gratter107. Les premières périodes de réclusion sont les plus propices à la réception d’une vision, ou au moins d’un rêve dans lequel apparaît une entité qui leur donnera éventuellement des pouvoirs spirituels108. En ce sens, l’isolement menstruel est clairement l’équivalent féminin de la quête masculine d’esprits gardiens.
69Les menstruations sont aussi le moment où le féminin semble être au faîte de sa puissance, positive ou négative. Par exemple, les femmes doivent se tenir éloignées des objets rituels109, il leur est interdit de toucher les armes des chasseurs, de passer au-dessus des filets de pêche dans les canots ou même de marcher sur le même sentier que leurs compagnons de route et elles doivent alors emprunter un sentier parallèle110. Ces précautions prises sont nécessaires car les femmes en période de menstruation peuvent, semble-t-il, neutraliser les « médecines » de chasse (à savoir donc les vœux, offrandes et autres rituels que les chasseurs font pour s’assurer une chasse fructueuse). Une informatrice religieuse, infirmière durant dix-neuf années (entre 1971 et 1990) dans les Territoire du Nord-Ouest, a également connaissance de ces sujets :
« Il y avait quelque chose d’assez spécial aussi. Il ne fallait pas qu’une femme qui était menstruée passe sur le terrain, sur le chemin d’un chasseur, ça enlevait la chance. Il fallait qu’elle passe à côté, dans la neige. Et il ne fallait pas que, dans un bateau, elle passe au-dessus des nasses de pêches. Toutes ces affaires-là, ce n’est pas croyable. Mais en général ils [les Indiens] n’avaient pas tendance à dire beaucoup de ces choses-là. C’était plutôt caché. Elles ne voulaient pas trop nous dire pourquoi ? Mais, on en avait une, qui était une métisse et qui parlait français. Et elle, elle nous racontait des affaires111. »
70Les prescriptions et proscriptions concernent tant la période des premières menstruations des jeunes filles que les périodes cycliques mensuelles de chaque femme et la période post-partum. Durant l’ensemble de leur vie, jusqu’à la ménopause, les femmes suivent ces règles qui incitent le pouvoir féminin à transmuter cette période de menstruation signifiant la non-vie, en production de vie par l’enfantement.
71La quête de vision masculine et l’isolement menstruel féminin sont deux actes rituels ayant d’une part pour objet, pour le premier, la relation à l’autre, à l’altérité et d’autre part pour le second, la médiation et la temporisation de cette relation. Dans le premier cas, la quête de vision des jeunes adolescents signifie le début des relations entretenues avec les entités surnaturelles, alors que, dans le second cas, l’isolement menstruel des jeunes filles renvoie avant tout au principe de la relation affinale112.
72Une fois la dichotomie sexuelle mise en place à la puberté, le cycle de la vie se poursuit. L’exemple du noircissement du visage permet de continuer l’étude de la distinction entre les sexes en Amérique du Nord autochtone. Parmi les Ojibwas méridionaux et les Algonquiens centraux, les jeunes femmes menstruées, placées donc à l’écart dans une petite tente, se noircissent le visage en s’enduisant de charbon de bois113. Cet acte revient à plusieurs reprises chez les femmes, mais aussi parfois chez les hommes. Par exemple, lors de la quête de vision chez les Ojibwa : « Quelques garçons se noircissaient la figure pendant cette période, pour éveiller la pitié du grand esprit, ou simplement pour avertir les passants de leur état et de leur jeûne114. » Le missionnaire et ethnologue jésuite Joseph-François Lafitau, au xviiie siècle, avait lui aussi remarqué cette pratique du noircissement chez les Hurons, Iroquois et autres algonquiens de l’est115. Chez les Omaha116, c’était le meneur d’une expédition guerrière qui se colorait le visage en noir, tout comme les femmes isolées durant leur période de menstruations117.
73À partir des corrélations qui peuvent être établies autour de la question du noircissement du visage, commence alors à se dessiner un rapport entre féminin et contact avec la mort. Cette action se retrouve également lors des périodes de deuil, dans plusieurs groupes de la moitié est du Subarctique, lorsque les veufs, et particulièrement les veuves, se couvrent le visage d’une substance noirâtre118. Un même acte donc, pour deux occasions particulières : le deuil et les menstruations. Ceci fournit un nouvel indice plaçant le féminin du côté du traitement post-mortem. Dans de nombreux groupes, les femmes en deuil observent une période de réclusion à l’image de l’isolement rituel remarqué en période de menstruations ou lorsqu’elles sont parturientes. De plus, si l’on considère le sang des règles féminines comme une non-vie (puisqu’en cas de grossesse le cycle féminin est interrompu), la relation spécifique entre féminin et procédés funéraires ou contact avec la mort se renforce. Cette proximité entre féminin et mort est mise en avant par Claude Lévi-Strauss, lorsqu’il s’attache au couple formé par le scalp prélevé à l’ennemi externe et le sang menstruel correspondant à la fécondité interne119 ; proximité déjà presque suggérée par le missionnaire récollet du xviie siècle Gabriel Sagard dans sa description de la fête des morts traditionnelle chez les Hurons où les femmes ont un rôle prépondérant120.
74Se dégage alors une triple dichotomie complémentaire à l’égard des sexes : masculin/féminin – mort/vie – extérieur/intérieur. Si le féminin n’est pas directement assigné au côté de la mort, la femme amérindienne a néanmoins un rôle à jouer dans la transmutation de la mort en vie. En tant que maîtresses du traitement post-mortem, les femmes amérindiennes transforment la mort en production de vie, renouvelant inlassablement le schéma cyclique amérindien. Il incombe donc au féminin d’inscrire dans l’espace et dans le temps ce qui est du domaine de la vie et ce qui est du domaine de la mort et du néant. En d’autres termes, ce qui doit être considéré et ce qui ne doit pas l’être ou encore ce qui est intérieur et ce qui est extérieur.
Masculin et féminin dans un quotidien ritualisé
75La position des sexes dans le cycle naturel de la vie, de la mort et du recommencement, selon une double dichotomie vie/mort – intérieur/extérieur alors associée au féminin et au masculin, trouve un écho dans les activités quotidiennes, en particulier dans les activités de subsistance. Dans la répartition des tâches, le masculin est alors directement situé du côté de la mort (car guerrier et chasseur), alors que le féminin pour sa part transforme la mort en vie ou du moins en production.
76L’exploration de la double dichotomie, vie/mort – féminin/masculin peut donc être poursuivie par l’exploration des activités quotidiennes et de la répartition sexuée des tâches. La chasse est sans aucun doute à positionner du côté du masculin. Si le piégeage du petit gibier est aussi parfois pratiqué par les femmes, les gros gibiers sont traqués et tués par les hommes qui fabriquent eux-mêmes leurs outils et armes de chasse. Reprenons le texte du missionnaire Petitot à propos des différentes formes de chamanisme qu’il relève chez les populations Dénés du Subarctique :
« Enfin, ces mêmes Indiens ont une cinquième espèce de magie appelée ék’é-tayilté ou tayétlin (le jeune homme bondissant ou lié). Ils la pratiquent dans le double but de se procurer un grand nombre d’animaux à la chasse et de causer la mort de leurs ennemis121. »
77Cet extrait donne ici un premier indice quant au lien qui peut être fait entre la chasse et la mise à mort de l’ennemi, soit, en un mot, entre la chasse et la guerre. Claude Lévi-Strauss établit lui aussi un rapport de proximité entre chasse et guerre à travers les mythes, au sujet de la transgression des « règles normales de l’alliance » :
« Un groupe social où l’on transgresse les règles normales de l’alliance pour s’adonner à l’inceste (M255, M366, M392), à la bestialité (M370c et nombreuses versions nord-américaines de M150-159 non numérotées), ou parce que ses filles (M394) ou ses garçons (M367-370) persistent à demeurer célibataires, n’a plus d’autre recours que la guerre pour régler ses rapports avec les étrangers (M255, M393). Même ses rapports avec la nature se manifesteront par des excès à la chasse (M391) ou à la pêche (M354), comparables aux excès guerriers. En traitant le gibier comme s’il était un ennemi, et en abusant donc des ressources naturelles (M391), les chasseurs se rendront coupables d’un déni de périodicité122. »
78Chasser et faire la guerre, activités principales des hommes amérindiens, forment alors un même complexe relatif à l’action de tuer et place ainsi directement le masculin du côté de la mort. Du point de vue des activités de subsistance, de chasse principalement, l’homme tue le gibier alors que la femme va le chercher, dépouille l’animal, le cuisine, tanne sa peau et confectionne quelque chose avec celle-ci. En ce sens encore, le féminin prend en charge le traitement post-mortem du gibier tué et d’une certaine façon elle lui fait reprendre vie, sous une autre forme. Dans le cas des autochtones des Plaines par exemple, chaque partie du bison tué est utilisée pour se nourrir, mais aussi pour confectionner tipis, vêtements, couvertures, contenants, objets rituels, outils, etc. Toute partie de l’animal chassé se doit d’être transformée et utilisée et ce, dans quelque région que ce soit. Si ce n’est pas le cas, les restes de l’animal en question doivent être manipulés avec le plus grand soin selon les croyances animistes123. D’une façon générale, dans les populations du Subarctique et des Plaines, l’habitat est un domaine féminin. La construction des structures d’habitats, qu’il s’agisse de tipi ou autres huttes de matériaux naturels bruts, revient aux femmes. Lors des déplacements réguliers des campements, les femmes sont chargées du portage des biens et de la reconstruction de l’habitat. Là encore, la femme est à positionner du côté de la vie ; c’est à elle que revient la tâche d’abriter sa famille du climat potentiellement fatal de ces régions.
79Dans ce quotidien, parsemé de prescriptions et de proscriptions pour maintenir l’équilibre socio-cosmique, il est donc possible de distinguer le rôle prépondérant du féminin dans tout ce qui a trait à la production de vie, et celui du masculin dans les affaires de guerre et de chasse, soit de mort. Le féminin, comme exprimé plus haut, est du côté du contact avec la mort, mais d’un contact cette fois vide de substance ; à l’opposé du masculin tueur en contact direct avec celle-ci. En ce sens, masculin et féminin s’opposent de façon complémentaire, d’un côté, un processus naturel relevant de la périodicité pour le féminin et, de l’autre, une action humaine, culturelle et apériodique pour le masculin124. Les rituels similaires imposés aux femmes menstruées, aux chasseurs, aux guerriers et au moment de la naissance d’un enfant indiquent également cette complémentarité des sexes125, mais également leur confusion dans ce domaine.
80Ce qui nous amène à déceler dans des formes rituelles l’expression de la triple dichotomie évoquée plus haut ; dichotomie où vie, intériorité et féminin se confrontent de façon complémentaire à un second axe formé par mort, extériorité et masculin. Pour ce faire, l’une des cérémonies les plus caractéristiques des Indiens d’Amérique du Nord – la danse du soleil – servira d’exemple.
81Grande cérémonie estivale de l’aire culturelle des Plaines, la danse du soleil s’articule pour former un vaste complexe rituel pouvant durer jusqu’à plusieurs jours. Au xixe siècle, avant d’être interdite, la danse du soleil était le plus important rituel observable en territoires autochtones, car donnée en public126. Comprenant de nombreuses variantes, la danse du soleil est nommée Thirst-dance par les Ojibwa des Plaines et par les Cree des Plaines, faisant ainsi référence à la torture par la soif dont relève l’un des principes de cette cérémonie. En effet, la danse du soleil peut être considérée comme une bataille rituelle livrée contre l’astre solaire. Malgré les variantes, quelques points récurrents permettent d’identifier la cérémonie dans sa composition diurne. Une loge circulaire avec une large ouverture sur le ciel est construite pour l’occasion, puis vient le temps de la recherche de l’arbre dont le tronc formera le mât central qui sera alors symboliquement capturé et traité comme un ennemi. Une fois rapporté dans la loge, il sera l’axe autour duquel l’ensemble de la cérémonie se déroulera. Un vœu est généralement à l’initiative du volontariat des danseurs. Pendant plusieurs heures, voire plusieurs jours, les danseurs doivent fixer du regard le sommet de ce mât central (et donc, par son intermédiaire, le soleil). Dans certains cas, la cérémonie est associée à une forme d’auto-torture lorsque les danseurs se lient physiquement au mât central grâce à des liens qui leur transpercent la chair au niveau de la poitrine ou sous les yeux127. Système rituel complexe, avec une partie nocturne qui est l’occasion d’un coït rituel, la danse du soleil implique plusieurs aspects : « In short ; a number of ritual element involving trial unity, midsummer celebration, fertility, warfare, and individuals’ suffering and sacrifices of their bodies coalesced in various patterns among the Plains tribes128. »
82Interprétant, dans une perspective transformationnelle, la cérémonie de la danse du soleil, Klaus Hamberger décèle l’essence de celle-ci dans le transfert de la puissance de prédateurs surnaturels aux humains129. Dans son article, Hamberger propose de concevoir la différence sexuée non pas selon la dichotomie nature/culture, mais plutôt « comme une différence entre deux modes d’entrée en relation avec l’Autre, ce qui implique une configuration relationnelle au moins triangulaire130 ». Cette remarque est pertinente pour la suite du propos. Il faut alors garder en mémoire qu’il est possible, et nécessaire, de concevoir la relation à l’Autre à travers le prisme de la différence sexuée. Hamberger retient de la danse du soleil (et de son équivalent sur la côte Nord-Ouest – la « cérémonie d’hiver ») une distinction dans la relation à l’altérité : le masculin poursuit ; le féminin attire l’Autre à soi. Il est alors possible de souligner ici une tendance à calquer un schéma comparable à celui de la culture occidentale : le masculin prédateur et la femme qui piège par séduction. Si cette double combinaison ne sera pas retenue, ou tout du moins pas dans un schéma aussi figé, il faut admettre qu’elle permet tout de même d’illustrer une nouvelle complémentarité des sexes. En effet, poursuivre et attirer relèvent de deux actions distinctes, mais pouvant être complémentaires à l’image d’une partie de chasse répartie en fonction des sexes : l’homme chasseur en position de prédateur poursuit sa proie, alors que le féminin aura tendance à pratiquer le piégeage, parfois à l’aide d’un appât. Poussant le raisonnement, on pourrait alors imaginer le masculin guidant la proie qu’il poursuit vers le piège du féminin. Quoi qu’il en soit, dans l’interprétation donnée par Hamberger, la confusion entre les sexes, bien que ceux-ci puissent potentiellement être considérés comme complémentaires, ne peut prendre forme. Or, la confusion entre les sexes lors de la danse du soleil est bien mise en évidence par Claude Lévi-Strauss lorsqu’il s’attarde sur les astres, lune et soleil, en jeu dans cette cérémonie.
83Selon Lévi-Strauss, « les rites de la danse du soleil confirment cette instabilité du sexe et de la parenté des astres131 ». À propos de la séquence nocturne du rituel, impliquant un coït rituel où lune prend tantôt le sexe masculin, tantôt le sexe féminin, l’auteur conclut en caractérisant la nature de l’astre alors décrit comme hermaphrodite. Hamberger n’envisage pas une telle confusion entre les sexes dans les domaines du rite et du mythe ; le rapport à une tierce entité (l’altérité supranaturelle) fait obstacle à cette considération. Pourtant, dans cette interaction avec l’altérité, le régime de la confusion des sexes semble prévaloir. Comme si le rite permettait de perforer la complémentarité des sexes au quotidien. Une autre forme rituelle peut expliciter le propos. La couvade est une période durant laquelle le père se contraint au même interdit rituel que la femme enceinte, où « l’attitude de l’homme traduit une imitation culturelle de la condition naturelle de la femme132 ». Attitudes masculines et féminines se confondent alors dans un même procédé rituel.
84Cette possible confusion entre les sexes dans la mythologie nord-amérindienne, confusion exprimée par les rites, peut se retrouver à travers deux figures : celle du berdache133 et celle du chamane (souvent un vieil homme qui ne chasse plus ou une femme ménopausée). S’il n’est pas ici opportun d’entrer dans les détails au sujet de la figure du berdache sur laquelle nous reviendrons, il faut retenir la figure du chamane déjà évoquée, mais cette fois-ci à travers le rituel de la tente tremblante que l’on trouve chez les populations de langue algonquienne et donc également dans le nord des Plaines. Ce rituel est de surcroît présenté par Emmanuel Désveaux comme une inversion septentrionale de la danse du soleil134.
85Lors du rituel de la tente tremblante, le maître de cérémonie fait appel aux entités surnaturelles pour mener une action à distance. Il s’agit d’un rituel de prestidigitation public pratiqué d’est en ouest, des Montagnais aux Blackfoot135. L’officiant se retrouve pieds et mains liés, caché dans une petite loge construite pour l’occasion ou bien dissimulé dernière un rideau à l’intérieur du tipi. Il entre en contact avec les entités supranaturelles ce qui est visuellement manifesté par l’agitation, le tremblement, de l’édifice. Le rituel a plusieurs motivations selon les populations : thérapeutique, recherche d’objet égaré, obtention d’information, tentative d’attirer le gibier. L’essence même du rituel tient en la communication inter-espace, la notion de distance étant au cœur du processus. L’agitation de l’édifice où se déroule le rituel marque l’arrivée des entités auprès de celui qui a demandé leur intercession : le chamane, très souvent masculin, sauf dans le cadre du rituel de la tente tremblante Blackfoot où l’officiant est généralement une femme136.
86À plusieurs égards, ce rite joue de la confusion des sexes. Cette cérémonie est d’aspect masculin puisqu’il s’agit d’une cérémonie publique pratiquée majoritairement par des hommes pour entrer en contact avec l’altérité (supranaturelle) située à distance, à l’extérieur donc. Pourtant, le rituel de la tente tremblante comporte de nombreux éléments qui font référence au féminin. Deux éléments rappellent les femmes menstruées et/ou en deuil que nous mentionnons plus haut : l’officiant de la cérémonie de la tente tremblante se recouvre parfois le visage d’une substance noirâtre et la petite loge cérémonielle conçue pour l’occasion renvoie directement à la loge menstruelle. Une corrélation s’établit alors entre femme, mort et rituel en question137. De plus, dans le cadre de cette cérémonie, ce sont les entités qui viennent au chamane ; il les attire à lui. Le chamane, généralement un individu d’un âge avancé, ne sollicite plus les entités surnaturelles comme le ferait un jeune homme lors de sa quête de vision ; il leur ordonne expressément d’agir pour lui. « Le phénomène [du chamanisme] renvoie au caractère foncièrement gérontocratique de ces sociétés de chasseurs. D’une façon générale, on entre dans la carrière du chamane lorsqu’on quitte celle des chasseurs. Après avoir traqué les espèces animales dans la réalité, on les attire désormais à soi dans l’ordre du spirituel138. » Ainsi, le chamane attire à lui l’altérité surnaturelle comme le ferait le féminin dans la relation à l’autre selon Hamberger qui, de surcroît, positionne le féminin des Plaines dans la position de médiateur139.
87Dans la cérémonie de la tente tremblante, l’officiant est également médiateur : en menant une action à distance il maintient des relations entre groupes géographiques à distance, il est médiateur avec le gibier, c’est par son intermédiaire que l’entité aide à retrouver l’objet perdu. Par de nombreux aspects, la cérémonie de la tente tremblante renvoie à la confusion entre les sexes. Le rituel de la tente tremblante, moyen de vaincre la distanciation, rappelle alors la notion de distance qui peut également être appliquée à la différence entre les sexes. Le mythe, le rite, tout comme l’âge avancé (homme chamane et femme ménopausée140) semblent suspendre la différence sexuelle. À la suite de Lévi-Strauss, « on conviendra que les mythes et les rites n’assignent pas de valences sémantiques aux êtres et aux choses dans l’absolu, mais que la signification de chaque terme résulte de la position qu’il occupe dans des systèmes qui se transforment141 ».
88Mythes et rituels sont donc du côté de la confusion des sexes, là où pour les hommes et les femmes, que l’on pourrait dire du commun, la complémentarité s’applique au quotidien. En somme, mythes et rites permettent une confusion au sein de la distanciation réelle de la nature sexuée hommes/femmes. En s’intéressant au phénomène religieux et aux questions de la relation entre les sexes chez ces populations nord-amérindiennes, on touche du doigt un complexe général permettant l’incorporation des influences exogènes où les sexes, dans leurs rapports complémentaires, mettent en œuvre une relation particulière à l’altérité. Avant de prolonger la réflexion sur ces questions abordées dans le versant nord-amérindien de cette recherche, le prochain chapitre sera l’occasion de poursuivre l’itinéraire de recherche du côté des religieuses missionnaires en interrogeant les formes de confrontation et d’adaptabilité de celles-ci vis-à-vis de l’altérité autochtone.
Notes de bas de page
1 Dans son acception large, telle que définie selon la division des aires culturelles des Handbook of North American Indians et donc à la suite d’A. Kroeber, l’aire Subarctique s’étend depuis l’Est des côtes de l’Atlantique de la région du Labrador au Québec jusqu’au golfe de Cook en Alaska, englobant alors la partie canadienne de la cordillère montagneuse des Rocheuses, le vaste bassin bordant la rivière Mackenzie et les basses-terres du Bouclier canadien autour de la baie d’Hudson : Helm June (dir.), Handbook of North American Indians vol. 6, Washington, Smithsonian Institution, 1981. La côte Nord-Ouest du Pacifique ainsi que les populations inuites au nord sont exclues de cette division pour constituer deux autres aires culturelles distinctes. La frontière méridionale de l’aire Subarctique se définit quant à elle par la limite de l’aire des Plaines à l’Ouest et par la région des Grands Lacs à l’Est et correspond alors à l’extrémité sud des forêts boréales.
2 Les Prairies, telles que désignées ici, correspondent à la partie septentrionale de l’aire culturelle des Plaines définie dans le Handbook of North American Indians vol. 13. Cette dernière s’étend depuis le Rio Grande au sud jusqu’à la rivière Saskatchewan au nord : Demallie Raymond J., Handbook of North American Indians vol. 13, Washington, Smithsonian Institution, 2001. Les Prairies sont alors une subdivision au sein de l’aire des Plaines qui correspond à la partie canadienne. Cette région s’étend essentiellement sur deux provinces canadiennes : la moitié sud de la Saskatchewan (la moitié nord étant occupée par la zone Subarctique) et une majeure partie de la province de l’Alberta (son extrémité nord faisant elle aussi partie de l’aire Subarctique à partir du lac Athabasca).
3 Blanckaert Claude, « Géographie et anthropologie : une rencontre nécessaire (xviiie-xixe siècles) », Ethnologie française, no 34, 2004/4, p. 661-669.
4 Koerner Konrad, « Notes on missionary linguistics in North America », in Otto Zwartjes et Even Hovdhaugen (dir.), Missionary linguistics/Lingüistica misionera: selected papers from the First International Conference on Missionary Linguistics (2003 Oslo, Norway), Amsterdam, Philadelphia, John Benjamin publishing company, 2004, p. 47-80.
5 Goddard Ives, « The classification of the Native Languages of North America », in Ives Goddard (dir.), Handbook of North American Indians vol. 17, Washington, Smithsonian Institution, 1996, p. 290-323, p. 291.
6 Ibid., p. 290-308.
7 Ibid., p. 312-313.
8 Sapir Edward, Language: An introduction to the Study of Speech, chapitre 10 : « Language, Race and Culture », New York, Harcourt, Brace & Co, 1921, p. 221-235.
9 Nous utilisons les termes « Algonquiens » et langue « Algonquienne » pour bien distinguer la famille linguistique du groupe autochtone occupant la vallée de l’Outaouais et identifié sous le terme d’« Algonquin ».
10 Nous pensons ici entre autres à l’hypothèse Sapir-Whorf selon laquelle langue et culture (ou plus précisément représentations mentales) sont intimement liées. Voir Sapir Edward, Culture, Language and Personality, Berkeley, University of California Press, 1958 ; Whorf Benjamin Lee, « Science and linguistics », MIT Technology Review, no 42, 1940, p. 229-231. Voir également Lévi-Strauss Claude, Anthropologie structurale, Paris, Éditions Presses Pocket, 1985 (1958), chapitre iv : « Linguistique et anthropologie », p. 83-97.
11 Ibid., p. 96-97.
12 Kroeber Alfred, Cultural and natural Areas of Native North American, Berkeley, University of California Press, 1939.
13 Herskovits Melville J., Les bases de l’anthropologie culturelle, Paris, François Maspero éditeur, 1967 ; Désveaux Emmanuel, Spectres de l’anthropologie, suite nord-américaine, Paris, Éditions Aux-lieux-d’être, 2007, p. 71-72.
14 Kroeber Alfred, Cultural and natural Areas of Native North American, op. cit.
15 Désveaux Emmanuel, Spectres de l’anthropologie, suite nord-américaine, op. cit., p. 288.
16 Ibid., p. 10.
17 Par exemple, la danse du soleil est traditionnellement pratiquée dans les Plaines et pas dans le Subarctique ; alors que le rite de la tente tremblante est pratiqué dans la zone du Subarctique, mais pas dans celle des Plaines.
18 Lévi-Strauss Claude, Mythologiques *, Mythologiques **, Mythologiques ***, Mythologiques ****, Paris, Plon, 1964-1971. Le tome 3 (1968) est celui qui s’attache pleinement à l’Amérique du Nord.
19 Désveaux Emmanuel, Quadratura Americana. Essai d’anthropologie Lévi-straussienne, Genève, Éditions Georg, 2001. Voir spécifiquement le chapitre 4 « La secousse et le lien », p. 87-114 au sujet des liens transformationnels entretenus entre la danse du soleil et le rite de la tente tremblante.
20 Foster Michael K., « Language and the Culture History of North America », in Ives Goddard (dir.), Handbook of North American Indians vol. 17, Washington, Smithsonian Institution, 1996, p. 64-110, p. 74.
21 Les groupes de langues Na-Déné du nord-ouest du Subarctique se situent dans le bassin du Mackenzie qui correspond à la région nord des plaines intérieures du Canada. Le bassin du Mackenzie est marqué par le plus long fleuve canadien, le Mackenzie, qui s’étend sur 4 241 kilomètres et prend sa source dans le Grand Lac de l’Ours avant de se jeter dans l’océan Arctique. Deux des plus grands lacs canadiens s’y trouvent : le Grand Lac de l’Ours et le Grand Lac des Esclaves. À cet ensemble hydrographique il faut également rajouter le lac Athabasca et bien plus au sud, le lac Winnipeg, qui définit la limite méridionale de la région Subarctique.
22 Petitot Émile, Monographie des Dènè-Dindjié, Paris, Éditions Ernest Leroux, 1876 ; Les Grands Esquimaux, Paris, Plon, 1887 ; Traditions indiennes du Canada nord-ouest, Paris, Éditions Maisonneuve Frères et Ch. Leclerc, 1886 ; La Femme Aux Métaux : Légende Nationale Des Dénés-Couteaux-Jaunes du Grand Lac des Esclaves, Meaux, Imprimerie Marguerith-Dupré, 1888 ; Quinze ans sous le cercle polaire, Paris, Éditions Dentu, 1889 ; Explorations de la région du Grand lac des Ours, Paris, Éditions Téqui, 1893.
23 Mentionnons également qu’à l’est du Subarctique se trouvent les territoires des Nations Innus (anciennement nommés Montagnais), Attikameks et Micmacs.
24 Thwaites Reuben Gold, The Jesuit Relations and Allied Documents: Travels and explorations of the Jesuit missionaries in New France, 1610-1791, 73 vol., Cleveland, Burrows Bros. Co., 1896-1901, vol. 18, p. 228.
25 Notons, entre autres, les recherches du missionnaire Marius Rossignol : Rossignol Marius, omi., « Cross-cousin marriage among the Saskatchewan Cree », Primitive Man, no 11, 1938/2, p. 26-28 ; « Religion of the Saskatchewan and western Manitoba Cree », Primitive Man, no 11, 1938/3-4, p. 67-71 ; « Property concepts among the Cree of the Rocks », Primitive Man, no 12, 1939/3, p. 61-70.
26 Mason John Alden, « Notes on the Indians of the Great Slave Lake Area », Yales University Publications in Anthropology, no 34, New Haven, Yales University Press, 1946.
27 Il faut rappeler que notre principal terrain d’enquête a été mené auprès de la population Cree de Saddle Lake, se définissant elle-même comme une Nation Cree des Plaines.
28 Skinner Alanson B., « Notes on the Eastern Cree and Northern Saulteaux », Anthropological Papers of the American Museum of Natural History, vol. 9, part. 1, 1912 ; « Political organization, cults, and ceremonies of the Plains-Ojibway and Plains-Cree Indians », Anthropological Papers of the American Museum of Natural History, vol. 11, part. 6, 1914 ; « Notes on Plains Cree », American Anthropologist, no 16, 1914/1, p. 68-87 ; « Plains Cree Tales », Journal of American Folklore, no 29, 1916, p. 341-367.
29 Mandelbaum David G., The Plains Cree: an Ethnographic, Historical, and Comparative study, Regina, University of Regina, 2012 (1940).
30 L’exemple des Ojibwa des Plaines appuie également cette incohérence : positionnés par le découpage scientifique dans l’aire des Plaines, ils conservent une grande influence venant de leurs voisins septentrionaux. Dans la zone d’étude ici privilégiée se situent également les Nations Ojibwa. Subdivisée entre les Ojibwa septentrionaux et les Ojibwa des Plaines, cette Nation prend alors son influence culturelle tant auprès de groupes du Subarctique qu’auprès de groupes des Plaines. Les Ojibwa septentrionaux et les Saulteaux du lac Winnipeg occupant les terres dénommées du « Haut-Canada » à l’époque de la Nouvelle-France (entre les Grands Lacs et le lac Winnipeg) ont entretenu des rapports avec les Européens dès le xviie siècle et étaient des intermédiaires de premier ordre dans la traite des fourrures.
31 Dempsey Hugh A., « Blackfoot », in Raymond Demallie (dir.), Handbook of North American Indians, vol. 13, Washington, Smithsonian Institution, 2001, p. 604-628, p. 605-606.
32 Dupuis Renée, La question indienne au Canada, Montréal, Boréal, 1991, p. 15-17.
33 Concernant par exemple le traité le no 6 conclu en 1876 voir Taylor John Leonard, Rapport de recherche sur les traités. Traité no 6 (1876), Ottawa, Centre de la recherche historique et de l’étude des traités, Affaires indiennes et du nord Canada, 1985.
34 Affaires autochtones et développement du nord Canada, Les Traités pré-1975 et les Premières Nations signataires de traités au Canada, 2013 [en ligne].
35 Leslie John, « La Loi sur les Indiens : perspective historique », Revue parlementaire canadienne, no 25, 2002/2, p. 23-27.
36 Pour une discussion autour de la notion d’assimilation voir Teske Raymond H. C. et Nelson Bardin H., « Acculturation and assimilation: a clarification », American Ethnologist, nos 1-2, 1974, p. 351-367.
37 Leslie John, op. cit.
38 Dès le xviie siècle, les jésuites mettent en place le système des « réductions » (voir à ce sujet Jetten Marc, Enclaves amérindiennes, les « réductions » du Canada, 1637-1701, Sillery, Septentrion, 1994) et sont convaincus de l’importance de la sédentarisation pour la conversion puis l’assimilation des Amérindiens. Ceci sera confirmé en 1844, au Canada, par la commission Bagot qui encourage la poursuite de l’évangélisation, de la sédentarisation et de l’ouverture d’écoles dédiées aux travaux manuels et à l’industrie pour les Amérindiens. C’est dans les années 1890 que se met en place ce qui sera connu sous le nom de « système Durieu », en référence à l’évêque de New Westminster (Colombie-Britannique) Paul Durieu qui propose d’éduquer les Amérindiens au sein d’écoles résidentielles et industrielles avec le soutien financier du gouvernement fédéral canadien. Au sujet des origines du « système Durieu ». Grant John W., Moon of Wintertime: missionaries and the Indians of Canada in Encounter since 1534, Toronto, University of Toronto Press, 1984, p. 125-126.
39 Concernant le financement des écoles-pensionnats hors réserves voir Leforestier Charlotte, L’assimilation des Indiens d’Amérique du Nord par l’éducation : une étude comparative, thèse de doctorat, université de Bordeaux III, 2012, p. 144-147.
40 Au sujet du rôle des Églises chrétiennes pour la civilisation par l’éducation et l’évangélisation des populations autochtones canadiennes durant la fin du xixe siècle voir Grant J. W., op. cit., chapitre 8, p. 167-188. Plus particulièrement au sujet du catholicisme dans l’Ouest canadien voir les articles de synthèse suivants : Down Edith E., ssa., « The History of Catholic Education in British Columbia, 1847-1900 », CCHA, Study Sessions, no 50, 1983, p. 569-590 ; Champagne Claude, « Mission et civilisation dans l’Ouest canadien : Vidal Grandin 1829-1902 », Sessions d’étude – Société canadienne d’histoire de l’Église catholique, no 50, 1983/1, p. 341-359.
41 Champagne Claude, art. cité, p. 341-342.
42 Dupuis Renée, op. cit., p. 53-55 et p. 64-66.
43 Chrétien Jean, La politique indienne du gouvernement du Canada, 1969, présentée à la première session du 28e parlement par l’honorable Jean Chrétien, ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien [en ligne].
44 S. Louise et S. Aurore, op-dma., entretien réalisé le 18 juin 2013 à Beauport (Québec).
45 S. Cécile, sgm., entretien réalisé le 13 juin 2013 à Montréal (Québec).
46 Peelman Achiel, « Danser avec les esprits : explorations de l’univers amérindien », Théologiques, no 2, 1994/2, p. 73-90.
47 Il faut ici bien sûr faire référence à un structuralisme Lévi-Straussien qui s’attache à démontrer le caractère transformationnel de certaines données ethnographiques au sein d’une même aire culturelle, ici considérée à une vaste échelle telle que le continent américain (nord et sud confondus). À ce sujet voir Lévi-Strauss Claude, Mythologiques *, Mythologiques **, Mythologiques ***, Mythologiques ****, op. cit. ; Désveaux Emmanuel, Quadratura Americana…, op. cit. ; Désveaux E., Spectres de l’anthropologie, suite nord-américaine, op. cit.
48 Thwaites Reuben Gold, op. cit., vol. 2, p. 8.
49 Petitot Émile, Monographie des Dènè-Dindjié, op. cit., p. 36.
50 Le terme d’animisme trouve son origine dans la discipline anthropologique en 1871 dans l’ouvrage d’E. B. Tylor, Primitive culture. Selon Tylor, l’animisme est commun à toutes les religions (Tylor Edward B., Primitive culture: researches into the development of mythology, philosophy, religion, language, art, and custom, 6e édition, Londres, John Murray editions, 1920). De plus, dans une démarche relevant de l’anthropologie évolutionnisme, l’animisme serait non seulement l’une des premières formes de religion, mais également à la base de toute définition du phénomène religieux. Entre autres, J. Frazer et E. Durkheim ont également contribué aux débats (Frazer James, Le rameau d’Or, Paris, Robert Laffont, 1981-1984 ; Durkheim Émile, Les formes élémentaires de la vie religieuse. Le système totémique en Australie, Paris, PUF, 2008 [1912], voir entre autres p. 67-99). Pour un paysage des discussions scientifiques autour de la notion d’animisme, voir Harvey Graham, Animism: Respecting the Living World, Londres, Hurst & Co, 2005, chapitre 1 : « From Primitves to Persons », p. 3-29.
51 Pour une synthèse de la théorie de Ph. Descola proposée ensuite dans l’ouvrage Descola Philippe, Par-delà nature et culture, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des Sciences humaines », 2005 ; voir Descola Philippe, « Par-delà la nature et la culture », Le Débat, no 114, 2001/2, p. 86-101.
52 Keck Frédéric, « Le point de vue de l’animisme. À propos de Par-delà nature et culture de Philippe Descola », Esprit, no 8, 2006, p. 30-43.
53 Cette thèse est proche de celle du perspectivisme proposé par Viveiros de Castro. Viveiros de Castro Eduardo, From the Enemy’s Point of View, Humanity and Divinity in an Amazonian Society, Chicago, The University of Chicago Press, 1992 ; Métaphysiques cannibales, Paris, PUF, 2009.
54 Brightman Robert A., Grateful Prey: Rock Cree Human-Animal Relationships, Berkeley, University of California Press, 1993.
55 Laugrand Frédéric et Oosten Jarich (dir.), La nature des esprits dans les cosmologies autochtones, Québec, Presses de l’université Laval, 2007. Cet ouvrage collectif propose une comparaison à l’échelle du continent américain au sujet de la thématique animiste. Ce panorama des ontologies et cosmologies amérindiennes, qui plus est actualisé grâce à des données contemporaines, permet de prendre la mesure de l’importance des relations entre humains et entités spirituelles pour les communautés autochtones.
56 Tyrrell Joseph Burr, David Thompson’s narrative of his explorations in western America, 1784-1812, Toronto, The Champlain society, 1916, p. 82.
57 Ibid., p. 83.
58 Hallowell Irving A., « Ojibwa Ontology, Behavior and World View », in Stanley Diamond (dir.), Culture in History: Essays in Honor of Paul Radin, New York, Columbia University Press, 1960, p. 19-52.
59 Mandelbaum David G., op. cit., p. 304.
60 Ibid., p. 301-304.
61 GMA, fond Frederick E. Peeso : Frederick E. Peeso Papers, dossier M-4404, p. 8.
62 Désveaux Emmanuel, « Nouvelles considérations sur les Algonquins et le totémisme », Journal de la société des américanistes, no 90, 2004/1, p. 7-24. L’origine du terme est également précisée par J. Frazer, épelé avec de légères variations : « toodaim » ou encore « dodaim ». Frazer James, Totemism and Exogamy: A Treatise on certain Early Forms of Superstition and Society, 4 vol., Londres, Macmillan and Co, 1910, p. 3.
63 Petitot Émile, Monographie des Dènè-Dindjié, op. cit., p. 36.
64 Pour une vue d’ensemble sur les discussions au sujet du totémisme, voir l’ouvrage de F. Rosa, qui retrace l’histoire des discussions anthropologique au sujet de la notion depuis la fin du xixe siècle, jusqu’aux années 1920. Rosa Frederico, L’âge d’or du totémisme. Histoire d’un débat anthropologique (1887-1929), Paris, La Maison des sciences de l’homme, 2003. Parmi d’autres, il est possible de mentionner les références suivantes : Powell John Wesley, « An American view of totemism », Man, no 2, 1902, p. 101-106 ; Frazer James, Totemism and Exogamy: A Treatise on certain Early Forms of Superstition and Society, op. cit. ; Van Gennep Arnold, L’État actuel du problème totémique, Paris, Éditions E. Leroux, 1920 ; Goldenweiser Alexander, « Totemism, an analytical study », Journal of American Folklore, no 23, 1910, p. 179-293.
65 Lévi-Strauss Claude, Le totémisme aujourd’hui, Paris, PUF, 2002 (1962), p. 11.
66 Lévi-Strauss Claude, La pensée sauvage, Paris, Plon, 1990 (1962) ; Lévi-Strauss Claude, Le totémisme aujourd’hui, op. cit.
67 Lévi-Strauss Claude, Le totémisme aujourd’hui, op. cit. p. 30.
68 Boas Franz, « The Origin of Totemism », American Anthropologist, no 18, 1916/3, p. 319-326.
69 Lévi-Strauss Claude, Le totémisme aujourd’hui, op. cit., p. 29-37.
70 Désveaux Emmanuel, Quadratura Americana…, op. cit., chapitre 24 : « les voies de la filiation I. Le régime totémique », p. 562-586.
71 Ibid., p. 584-585.
72 Désveaux Emmanuel, « Nouvelles considérations sur les Algonquins et le totémisme », art. cité, p. 24.
73 Thwaites Reuben Gold, op. cit., vol. 9, p. 113.
74 Petitot Émile, Monographie des Dènè-Dindjié, op. cit., p. 38.
75 Guédon Marie-Françoise, « Le chamanisme et les chamanismes dans les traditions du Pacifique Nord », Religiologiques, no 6, 1992, p. 183-198.
76 Guédon Marie-Françoise, « La pratique du rêve chez les Dénés septentrionaux », Anthropologie et Sociétés, no 18, 1994/2, p. 75-89. Au sujet spécifiquement de la Nation Beaver voir Ridington Robin, « Beaver Dreaming and Singing », Anthropologica, no 13, 1971/1-2, p. 115-128.
77 Guédon Marie-Françoise, « Du rêve à l’ethnographie. Exploration sur le mode personnel du chamanisme nabesna », Recherches amérindiennes au Québec, no 18, 1988/2-3, p. 5-18.
78 Mandelbaum David G., op. cit., p. 161-165.
79 Bousquet Marie-Pierre et Crépeau Robert R. (dir.), Dynamiques religieuses des autochtones des Amériques, Paris, Karthala, 2012.
80 Laugrand Frédéric et Oosten Jarich (dir.), op. cit.
81 Deloria Vine, God is red: A native view of religion, 30th Anniversary Edition, Golden, Fulcrum publishing, 2003 (1973), chapitre 4, p. 61-75 et les chapitres 6 et 7, p. 97-132.
82 Navet Éric, Le cercle et la ligne. L’occident barbare et la philosophie sauvage : l’impossible rencontre. Exemples amérindiens : les Ojibwa du Canada et les Émerillons de guyane française, thèse de doctorat d’état, 4 tomes, EHESS, centre d’études arctiques, 1988, p. 14 et 380-381.
83 S. Aurore, op-dma., entretien personnel réalisé le 18 juin 2013 à Beauport (Québec).
84 Lévi-Strauss Claude, Mythologiques ***, L’Origine des manières de table, Paris, Plon, 1968.
85 Ibid., p. 73.
86 Ibid., p. 163-224.
87 Ibid., p. 91.
88 Ibid., p. 182.
89 Vilaça Aparecida et Wright Robin M. (dir.), Native Christians. Modes and effects of Christianity among Indigenous Peoples of the Americas, Farnham, Ashgate, 2009.
90 Bousquet Marie-Pierre et Crépeau Robert R. (dir.), op. cit.
91 À ce sujet voir entre autres Descola Philippe, Par-delà nature et culture, op. cit. ; Viveiros de Castro Eduardo, Métaphysiques cannibales, op. cit.
92 Pour illustrer cette non-importance de l’origine des forces voir Colpron Anne-Marie, « Fluctuations et persistances chamaniques parmi les Shipibo-Conibo de l’Amazonie occidentale », in Marie-Pierre Bousquet et Robert R. Crépeau (dir.), Dynamiques religieuses des autochtones des Amériques, Paris, Karthala, 2012, p. 391-420 ; voir également pour un exemple nord-américain Laugrand Frédéric, « “Ni vainqueurs, ni vaincus”. Les premières rencontres entre les chamanes inuit (angakkuit) et les missionnaires dans trois régions de l’Arctique canadien », Anthropologie et Sociétés, no 21, 1997/2-3, p. 99-123.
93 Déléage Pierre, La croix et les hiéroglyphes. Écriture et objets rituels chez les Amérindiens de Nouvelle-France (xviie-xviiie siècles), Paris, Éditions rue d’Ulm/musée du quai Branly, 2009, p. 28.
94 Agnus Dei : petite bourse faite en tissu renfermant un morceau de cire provenant du cierge pascal.
95 Déléage Pierre, op. cit.
96 Navet Éric, op. cit., note no 9 de la p. 180.
97 Lévi-Strauss Claude, Race et histoire, Paris, Gallimard-Folio, 1987 (1952), voir particulièrement le chapitre « Histoire stationnaire et histoire cumulative », p. 41-50 ; Charbonnier Georges, Entretiens avec Claude Lévi-Strauss, Paris, Union générale d’éditions, 1969.
98 Steinbring Jack H., « Saulteaux of lake Winnipeg », in June Helm (dir.), Handbook of North American Indians vol. 6, Washington, Smithsonian Institution, 1981, p. 244-255, p. 251.
99 Lévi-Strauss Claude, Le totémisme aujourd’hui, op. cit., p. 24, cité dans Désveaux Emmanuel, Quadratura Americana…, op. cit., p. 126. Ajoutons que c’est à cette forme de totémisme individuel faisant référence à l’esprit gardien qu’est consacrée la majeure partie du tome 3 de l’ouvrage de Frazer James, Totemism and Exogamy, op. cit.
100 Désveaux Emmanuel, « Nouvelles considérations sur les Algonquins et le totémisme », art. cité.
101 Voir par exemple Asch Michael I., « Slavey », in June Helm (dir.), Handbook of North American Indians vol. 6, Washington, Smithsonian Institution, 1981, p. 338-349, p. 344.
102 Petitot Émile, Monographie des Dènè-Dindjié, op. cit., p. 36.
103 Helm June (dir.) Handbook of North American Indians vol. 6, op. cit., p. 30 ; Smith James G. E., « Chipewyan », in June Helm (dir.), Handbook of North American Indians vol. 6, Washington, Smithsonian Institution, 1981, p. 271-284 p. 277.
104 Mandelbaum David G., op. cit., p. 145.
105 Asch Michael I., art. cité, p. 344.
106 Désveaux Emmanuel, Quadratura Americana…, op. cit., p. 171-175.
107 Mandelbaum David G, op. cit., p. 145.
108 Ibid., p. 145 ; Smith James G. E., « Western Wood Cree », in June Helm (dir.), Handbook of North American Indians vol. 6, Washington, Smithsonian Institution, 1981, p. 256-270, p. 261.
109 Mandelbaum David G, op. cit., p. 145.
110 Smith James G. E., « Chipewyan », art. cité, p. 277.
111 S. Juliette, sgm., entretien réalisé le 12 juin 2013, Montréal (Québec).
112 Dans cette réflexion sur la relation avec l’affin, celui-ci est autre, étranger ou du moins extérieur à la parenté proche tant qu’il n’est pas inscrit dans le cercle sociologique restreint par l’alliance. Le chapitre v sera l’occasion de revenir sur cette conception de l’altérité hors de tout système de parenté.
113 Désveaux Emmanuel, Quadratura Americana…, op. cit., p. 70. L’auteur y voit ici une résurgence de la vulgate américaine du mythe des deux astres, frère-sœur, ayant une relation de nature incestueuse.
114 Navet Éric, op. cit., p. 174. Cette remarque est suivie d’une note de bas de page de l’auteur précisant que les informateurs de Jenness duquel il tirait ces informations ne purent trancher entre ces deux interprétations, peut-être complémentaires.
115 Lafitau Joseph-François, Mœurs des sauvages Amériquains, comparées aux mœurs des premiers temps, 4 vol., Paris, imprimé chez Saugrain l’aîné et Charles-Estienne Hochéreau, 1724, vol. 2, p. 50.
116 Les Omaha sont un groupe de l’aire culturelle des Plaines. Leurs territoires se situent dans les états du Nebraska et de l’Iowa, soit dans la région du Midwest états-unien (Haut-Missouri). Leur langue est issue de la famille linguistique siouan.
117 Désveaux Emmanuel, Quadratura Americana…, op. cit., p. 175.
118 Au sujet des Ojibwas se recouvrant le visage de peinture noire voir Navet Éric, op. cit., p. 266-267. Fait déjà observé par Lafitau au xviiie siècle chez les Iroquois. Lafitau Joseph-François, op. cit., vol. 4, p. 149.
119 Lévi-Strauss Claude, Mythologiques ***, L’Origine des manières de table, op. cit., p. 325-332.
120 Sagard Gabriel, Le grand voyage du pays des Hurons, Montréal, Éditions Bibliothèque québécoise, 2007, p. 303-306.
121 Petitot Émile, Monographie des Dènè-Dindjié, op. cit., p. 38.
122 Lévi-Strauss Claude, Mythologiques ***, L’Origine des manières de table, op. cit., p. 87.
123 Jenness Diamond, « The Ojibwa of Parry Island, Their Social and Religious Life », Bulletin du Musée National du Canada, no 78, Anthropological Series, no 17, 1935, cité dans Navet Éric, op. cit., p. 221-224.
124 Désveaux Emmanuel, Quadratura Americana…, op. cit., p. 179.
125 Ibid., p. 175.
126 Archambault JoAllyn, « Sun Dance », in Raymond Demallie (dir.), Handbook of North American Indians vol. 13, Washington, Smithsonian Institution, 2001, p. 983-995.
127 Hamberger Klaus, « Perspectives rituelles dans les Plaines et sur la Côte Nord-Ouest », Journal de la Société des Américanistes, no 102, 2016/1, p. 43-78.
128 Archambault JoAllyn, op. cit., p. 987.
129 Hamberger Klaus, op. cit.
130 Ibid., p. 46.
131 Lévi-Strauss Claude, Mythologiques ***, L’Origine des manières de table, op. cit., p. 183-184.
132 Désveaux Emmanuel, Quadratura Americana…, op. cit., p. 177 et suivantes.
133 Les berdaches sont des individus qui se caractérisent par une confusion des sexes (biologiques) et des rôles et attributs culturellement associés. Voir à ce sujet Jacobs Sue-Ellen, Thomas Wesley et Lang Sabine, Two-spirit people: Native American gender identity, sexuality, and spirituality, Chicago, University of Illinois Press, 1997 ; Désy Pierrette, « L’homme-femme. (Les berdaches en Amérique du Nord) », Libre – politique, anthropologie, philosophie, no 78, 1978/3, p. 57-102 ; Saladin d’Anglure Bernard, « Le “troisième sexe” », La Recherche, 1992, no 245, p. 836-844.
134 Désveaux Emmanuel, Quadratura Americana…, op. cit., p. 110.
135 Ibid., p. 63-86.
136 Ibid., p. 79.
137 Ibid., p. 70.
138 Ibid., note de bas de page no 17, p. 76 – renvoi à Désveaux Emmanuel, « Secrets et pouvoirs des vieux », Autrement, Terre Indienne, un Peuple écrasé, une culture retrouvée, série monde – hors-série no 54, 1991, p. 208-229.
139 Hamberger Klaus, op. cit.
140 Périodes physiologiques qui peuvent certainement s’étendre aux femmes menstruées ou enceintes, périodes qui marquent une pause dans l’alliance.
141 Lévi-Strauss Claude, Mythologiques ***, L’Origine des manières de table, op. cit., p. 184.
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