Chapitre II. Religieuses missionnaires dans l’Ouest
p. 39-73
Texte intégral
1Entreprendre une démarche ethnographique considérant les religieuses comme une altérité à part entière doit permettre d’établir une distanciation nécessaire à l’appréhension de cet objet d’étude. Il est possible, en décrivant le statut particulier qui va de pair avec cette catégorie sociale, d’ouvrir la perspective de la reconnaissance d’un groupe et des individualités qui le composent. La reconnaissance de ce statut permet de considérer les religieuses, et particulièrement les religieuses missionnaires, comme un objet d’étude distancié. En un sens, il s’agit ici de re-fabriquer une altérité. Pour ce faire, une description de la figure de la religieuse au Canada au xxe siècle sera proposée avant que ne soit interrogé le façonnage théologique de l’identité et du statut de ces femmes missionnaires. Ce qui débouchera ensuite sur une description du quotidien et des difficultés du travail en mission autochtone, ainsi que des activités principales réservées aux religieuses, lesquelles se concentrent autour de trois axes : l’enseignement scolaire, le soin aux personnes et l’instruction religieuse.
Devenir et être religieuse
2Les femmes missionnaires qui sont au cœur de ce premier chapitre sont des religieuses avant d’être des missionnaires. Être religieuse signifie se séparer du monde, physiquement et spirituellement. Cette séparation, parfois marquée par la clôture qui entoure le couvent dans le cas des congrégations contemplatives, s’exprime pleinement par un détachement du monde commun.
3Dans la riche étude dirigée par Nicole Laurin, Danielle Juteau et Lorraine Duchesne au sujet des congrégations de femmes au Québec de 1900 à 1970, on apprend que les religieuses du xxe siècle sont essentiellement issues de familles nombreuses (six enfants et plus) des classes populaires (paysannerie et travailleurs ouvriers)1. La classe paysanne fournit la plus grande part des religieuses jusqu’au début des années 1950, puis le milieu ouvrier prend la suite. « Dans tous les types de communautés, quelle que soit leur activité, on retrouve sans exception les traits caractéristiques relatifs à l’origine sociale […]. À savoir : (1) une majorité issue des classes populaires (entre 62,7 % et 95 % des religieuses) ; (2) au sein des classes populaires, une dominance du milieu paysan (entre 35,2 % et 73,9 % des religieuses) ; (3) parmi la minorité de religieuses qui ne sont pas issues des classes populaires, une dominance du milieu petit bourgeois sur le milieu bourgeois2. » Les origines sociales des religieuses du xxe siècle se distinguent de celles du siècle précédent. Au xixe siècle, l’exigence d’une dot ne semble pas permettre aux classes sociales les plus modestes d’accéder à la vie religieuse. On retrouve donc essentiellement dans les congrégations des jeunes filles issues des classes aisées3. Cette différence peut, au xxe siècle, s’expliquer tout d’abord par le fait que la demande croissante d’effectifs féminins nécessite l’ouverture des congrégations au plus grand nombre, mais également par le fait que cette augmentation des effectifs dans les congrégations de femmes permet à ces dernières d’exiger des dots moins importantes car plus nombreuses.
4Les informations concernant la scolarité des religieuses avant leur entrée dans la congrégation semblent plus fragmentaires. À partir des années 1920, on relève une hausse de la scolarisation des jeunes recrues : jusqu’à 36 % des nouvelles religieuses ont fait des études secondaires longues, c’est-à-dire dix ou onze années d’études4. Les femmes qui prononcent leurs vœux de religion au xxe siècle sont relativement jeunes ; « Avant vingt-cinq ans, les futures religieuses ne sont pas toutes entrées en communauté ou sont encore au noviciat. C’est donc entre vingt-cinq et trente-quatre ans que la très grande majorité des vocations religieuses sont actualisées, c’est-à-dire que les jeunes femmes recrutées par les communautés ont prononcé leurs vœux et sont devenues actives5. »
5Pour ce qui concerne particulièrement les missionnaires, l’exemple des quarante-quatre Sœurs de l’Enfant Jésus venues de France pour missionner au Canada entre 1896 et 1946, permet de constater qu’environ un tiers d’entre elles rejoignent le Canada l’année de leur entrée dans la congrégation ou bien l’année suivante6. Quant aux autres, elles sont envoyées au Canada au plus tard une dizaine d’années après leurs vœux de profession. Parmi les quatre premières religieuses arrivées en Colombie-Britannique en 1896, seule Marie Aimée Chaminade, désignée comme supérieure, est âgée de 37 ans. Ses trois compagnes ont à cette date entre 22 et 28 ans. En moyenne, les religieuses françaises de la congrégation de l’Enfant Jésus arrivant au Canada ont 27 ans, la plus jeune a été envoyée en 1901 à l’âge de 18 ans et la plus âgée en 1903 à l’âge de 40 ans. Elles vivent généralement en petits groupes, une religieuse plus âgée accompagnant des jeunes missionnaires d’une vingtaine d’années.
6Cette mise en activité rapide de jeunes religieuses est à mettre en parallèle avec la possibilité qui leur est donnée de commencer leur formation de religieuse dès l’âge de 14 ans avec, tout d’abord, la période du postulat7. Pour qu’elle soit admise au postulat, la jeune femme doit, au niveau de son profil, répondre à plusieurs exigences. L’hygiène, les bonnes manières, la modestie et la retenue sont des conditions indispensables à son acceptation. À cela s’ajoute la nécessité pour elles d’être « issues de familles honorables, autant que possible vraiment chrétiennes, et d’une réputation sans tache », d’avoir « une santé suffisante », ainsi qu’« un bon caractère, un grand fond de franchise et de docilité8 ». Tout ceci étant laissé à l’appréciation de la Supérieure de la congrégation où la jeune fille se présente. Après cette première admission, la période de postulat dure généralement six mois et constitue un temps de préparation qui permet de s’assurer notamment de la vocation de la jeune fille et de son aptitude à la vie religieuse. Si la jeune fille donne satisfaction, elle peut débuter ensuite son noviciat à condition que l’âge requis de quinze ans soit atteint. À cette condition, s’ajoute le fait que les aspirantes au noviciat « doivent présenter leurs certificats de baptême, et de confirmation, un certificat de bonne santé, de même qu’un certificat de bonne vie et mœurs, délivré par le curé de la paroisse ou par un autre, à moins que l’aspirante ne soit bien connue des Supérieures9 ». Le noviciat dure une année complète et continue. Au cours de cette période, les jeunes filles vivent dans l’enceinte du noviciat et étudient les règles et constitutions de leur congrégation. Elles étudient également des textes les préparant à la vie religieuse, étant exclues « les études proprement dites littéraires, scientifiques ou artistiques10 ». Après cette année préparatoire à la vie religieuse, la jeune fille devient professe en prononçant des vœux annuels et entre pleinement dans sa vie de religieuse (elle doit avoir au moins seize ans à ce moment-là)11.
7Ces périodes de préparation et de réflexion que sont le postulat et le noviciat peuvent être comparées à la période de fiançailles pour les femmes qui ont fait le choix du mariage plutôt que celui de l’entrée en communauté religieuse12. C’est à l’occasion des premiers vœux que la femme désormais religieuse s’engage pleinement dans la vie communautaire de la même façon qu’une femme s’engage par consentement mutuel dans le mariage. Poursuivant l’analogie, avant d’entrer au noviciat la jeune femme doit se préparer un trousseau comprenant ses effets personnels pour cette période. Au moment des premiers vœux, la dot auparavant constituée est versée à la congrégation. Être religieuse ou épouse résulte d’un choix. Celui-ci peut apparaître comme suivant un schéma similaire : futures épouses et futures religieuses se préparent à l’engagement définitif par une période de fiançailles ou par une période de postulat et de noviciat ; la consécration du choix est ensuite symbolisée par le mariage ou la prononciation des vœux. C’est à ce moment que la vocation des femmes mariées et des religieuses se distingue plus nettement : « se marier veut dire dépendre d’un conjoint pour assurer sa subsistance. Cela signifie aussi, la plupart du temps, avoir des enfants et s’occuper gratuitement du conjoint et des enfants13 », alors qu’« entrer en communauté, par contre, c’est se consacrer gratuitement au service de la collectivité, à temps plein […]14 ». Certes, dans les deux cas il s’agit d’un travail non rémunéré : la femme prend soin d’autrui (de sa famille ou de la collectivité) selon l’idée commune qui fait du féminin le sexe le plus apte à se soucier des autres par son potentiel maternel naturel. Mais entre soin des siens au centre du foyer familial et soin de tous au service de la communauté, la vie de religieuse et d’épouse n’est sensiblement pas la même. L’attention portée à tous et en toutes circonstances est bien l’un des principaux attributs des religieuses.
8C’est d’ailleurs cette caractéristique qui donne aux femmes religieuses un capital- valeur indispensable sur le terrain de l’évangélisation. En effet, les religieuses sont une main-d’œuvre non négligeable, et ce d’autant plus dans le Canada des xixe et xxe siècles où les écoles, hôpitaux, et orphelinats sont majoritairement dirigés par des congrégations de religieuses (et ce, jusque dans les années 1960)15 ; une main-d’œuvre importante donc par son nombre, par son champ d’action, mais surtout par sa gratuité. Le travail des religieuses n’étant pas rémunéré, « c’est toute la société qui va bénéficier du travail gratuit des religieuses dans les services offerts par les communautés16 ». Cependant, les religieuses ne sont pas une main-d’œuvre ordinaire, au même titre qu’elles ne sont pas des femmes ordinaires. Un texte décrivant l’esprit de la congrégation canadienne (d’origine française) des Sisters of Our Lady of the Missions précise :
« Elles se conduiront partout avec tant d’humilité, de pauvreté, de modestie, de simplicité de cœur, de mépris de toute vanité et d’ambition mondaine, que bien que disposées à remplir toutes les œuvres de zèle et de charité qui conviennent à leur vocation et à leur sexe, elles passent, cependant, inconnues et comme cachées dans le monde. Elles fuiront avec soin la recherche de leur propre gloire, pour ne travailler qu’à celle de Dieu, et aimeront toujours à être inconnues et comptées pour rien17. »
9Pour résumer, les religieuses doivent agir dans le monde commun, offrir leurs services à l’ensemble de la société, tout en restant invisibles. Actives dans l’ombre, les religieuses renoncent à leur corps pour privilégier leur âme intérieure. S’il est reconnu que les femmes catholiques sont plus pratiquantes que leurs homologues masculins18, il faut ajouter que les modalités de dévotions masculines et féminines sont différentes. À la différence des hommes saints, qui sont admirés pour ce qu’ils disent et pour ce qu’ils font, les femmes deviennent saintes pour ce qu’elles sont : des modèles de souffrance et de piété19. L’intériorité de la piété féminine, discrète, voire secrète, est le modèle de référence auquel les religieuses doivent se conformer pour accomplir leurs tâches sur le terrain. La transmission de ce modèle féminin de religiosité exemplaire se fait essentiellement par la lecture. Au-delà des différentes règles et constitutions de chaque congrégation, les religieuses nourrissent leur esprit par la littérature spirituelle.
10Les lectures des religieuses excluent tout ce qui peut avoir trait aux loisirs ou à l’apprentissage de savoirs n’ayant pas de lien avec la religion catholique. À travers la littérature spirituelle, les religieuses se font réceptacle d’une accumulation de « capital symbolique de reconnaissance20 » leur permettant ainsi d’accéder à leur statut et de s’inscrire par imitation dans la lignée des grandes figures modèles telles que Thérèse d’Ávila, Catherine de Sienne, ou plus récemment Thérèse de Lisieux. Dans le contexte missionnaire et canadien, plusieurs biographies dédiées aux pionnières de la Nouvelle-France sont éditées au xixe siècle et renouvellent la littérature spirituelle : le prêtre sulpicien français Étienne-Michel Faillon rédige entre 1852 et 1860 les biographies de Marguerite d’Youville, de Marguerite Bourgeois, de Jeanne Mance et de Jeanne Le Ber21. Les trois premières ont fondé des congrégations de religieuses au Canada et la dernière est reconnue pour avoir passé une grande partie de sa vie en réclusion au plus près du Saint Sacrement de la chapelle de l’Hôtel-Dieu de Montréal. S’opère donc, à partir des années 1850, une revalorisation de la figure de la religieuse, pionnière et fondatrice, sans omettre l’aspect intérieur de la foi de ces femmes. L’édition de ces biographies correspond justement au moment où la religieuse missionnaire est réhabilitée par les autorités religieuses et devient une véritable force dans la tâche d’évangélisation des populations autochtones. Dans le but de stimuler les vocations missionnaires, plusieurs types d’annales et de chroniques étaient également offerts à la lecture des religieuses. Décrivant les progrès de l’évangélisation dans les missions étrangères, les Annales de la Propagation de la Foi sont des lectures recommandées22.
11Les bibliothèques des congrégations de femmes sont de véritables outils permettant de façonner l’identité et les pratiques des religieuses. Les thématiques omniprésentes du cloître et de l’enfermement, du dévouement et de l’humilité font des lectures offertes aux religieuses des exemples de perfection qu’elles doivent suivre. Ce façonnage théologique se retrouve également lorsqu’il s’agit de définir la religieuse dans son activité de missionnaire.
Femme et missionnaire : un façonnage d’identités évolutives
12Jusqu’au xixe siècle, la Propagande, organisme qui administrait les missions depuis le xviie siècle23, s’était opposée à l’envoi de religieuses dans les pays colonisés, les jugeant de santé trop fragiles et pas assez constantes pour leur confier de telles tâches24. Le terme « missionnaire » fait avant tout référence au masculin : le soldat de Dieu25. Dans le Dictionnaire de théologie catholique (DTC) la définition de « mission » prend une tournure martiale26 : « expéditions », « conquérir », « s’en prendre à un peuple infidèle ». Pourtant, le féminin se fait lui aussi missionnaire.
13À l’image des premières religieuses, venues en Nouvelle-France au xviie siècle, nombre de religieuses missionnaires du xixe siècle se font pionnières de l’apostolat, cette fois-ci dans les terres isolées de l’Ouest et du Grand Nord canadien. Les premières missionnaires envoyées par leurs congrégations respectives sont considérées comme des précurseurs, de véritables aventurières. Les Sœurs Grises de Montréal (en 1844) et les Sœurs de Sainte-Anne (en 1858) sont les premières et principales congrégations à envoyer des femmes rejoindre les missionnaires masculins dans l’ouest du pays. Le façonnage de ce modèle de pionnière interviendra essentiellement durant la première moitié du xxe siècle. C’est a posteriori que les institutions ecclésiastiques mettent en valeur le courage de ces femmes, premières missionnaires de l’Ouest.
14L’ouvrage de référence au sujet de l’histoire des missions des Sœurs Grises de Montréal, rédigé en 1927 par l’oblat Pierre Duchaussois, prend le titre de Femmes Héroïques. Les Sœurs Grises canadiennes aux glaces polaires27. La désignation « femmes héroïques » démontre bien l’importance, à cette période, d’exposer le courage de ces religieuses missionnaires qui se sont rendues dans des territoires décrits comme hostiles. Les archives des congrégations de religieuses regorgent d’ailleurs de photographies qui mettent en scène les missionnaires dans des situations inédites (cahier couleur, pl. I, no 1). Dans ce même registre littéraire, l’imprimerie de l’Hôpital général des Sœurs Grises de Montréal édite de nombreux livrets au début du xxe siècle. En 1937, est imprimé Les premières Canadiennes missionnaires28, qui retrace l’histoire de ces femmes à partir de 1843, date à laquelle Mgr Provencher, omi., fait appel aux Sœurs Grises de Montréal pour l’évangélisation des Amérindiens de l’Ouest canadien. Une autre brochure, éditée en 1944, prend le titre de Sentinelles du Christ. Les Sœurs Grises de Montréal à la Baie d’Hudson29. Le terme de « sentinelles » renvoie au vocabulaire martial évoqué plus haut au sujet des missionnaires masculins, mais insiste de surcroît sur la place des femmes missionnaires : à la fois aux avant-postes et faisant le guet. Elles sont considérées comme les gardes du Grand Nord, surveillant et préservant les positions du catholicisme dans ces régions éloignées. Un autre livret, Un voyage au cercle polaire30, édité en 1937 présente en quatrième de couverture la reproduction d’une photographie montrant trois religieuses autour d’un tipi abritant une famille autochtone (cahier couleur, pl. I, no 2). La légende de cette photographie est explicite : « À la conquête des âmes en pays sauvage ». À l’image des colons et des premiers missionnaires de la conquête de l’Ouest, les religieuses se font exploratrices. Ces brochures sont signifiantes de l’image de la femme missionnaire diffusée au xxe siècle. Le voyage vers les territoires isolés et peu marqués par la christianisation est au fondement de l’identité collective des religieuses missionnaires canadiennes.
15Cette figure de pionnière n’est pas en contradiction avec les rôles traditionnels des femmes. Par leur nature féminine et leur aptitude à prendre soin de tous, les femmes missionnaires deviennent indispensables à l’évangélisation des autochtones canadiens. Comme souligné précédemment, les dévotions envers les figures féminines et familiales se renforcent dans la seconde moitié du xixe siècle. Ces formes de spiritualité sont largement encouragées par l’Église et font apparaître la femme comme la figure incontournable du foyer et du domaine domestique. C’est aux femmes que reviennent la charge d’instruire les enfants, de modérer les maris et de former les consciences au sein de la famille31. Dès lors, la mission du féminin est une mission privée qui ne semble pas avoir de lien avec le terme de missionnaire décrivant un soldat envoyé au front « pour dilater ses frontières [celle de l’Église] et répondre au programme du Maître : Docete omnes gentes [faire des disciples de toutes les nations]32 ». Pourtant, les exemples de femmes agissant pour la conversion de leur entourage, et peut-être plus particulièrement de leurs maris, sont nombreux. Un compte rendu de l’évangélisation du district Alberta-Saskatchewan rédigé par les Oblats en 1970 mentionne l’importance de l’influence des femmes au sein de leurs communautés :
« Au moins dans deux endroits de notre secteur, des catéchètes laïques indigènes bénévoles font un excellent travail : à Fort Chipewyan et à Fort McKay. Ces personnes ont une bonne influence dans leur milieu respectif, surtout sur les enfants. Elles sentent le besoin de bien vivre en donnant l’exemple et selon l’expression de l’une d’elles “en changeant de vie”33. »
16Dans cette même perspective, et dans un retour à la période de la Nouvelle-France, le cas de Marie Rouensa, de la Nation des Illinois34, née à la fin des années 1670, est évocateur35. Convertie très jeune par des missionnaires de passage, elle aurait été l’instrument d’une vaste stratégie d’évangélisation par son mariage avec Michel Accault, un marchand français s’ensauvageant dans les territoires Illinois. Cette instrumentalisation a conduit à la conversion non seulement de son époux, mais également de sa propre famille et de la famille de son époux. Gilles Havard, écrivant à ce sujet, note : « L’histoire d’Accault, sous la plume du jésuite, serait celle d’une rédemption : par la grâce de Marie, son épouse, Accault, l’homme débauché serait devenu un catholique zélé36. » Comme si le masculin (excluons ici les hommes d’Église ayant alors un statut à part), de soi-disant nature sauvage et impropre à la vie religieuse, devenait bon, modéré et chrétien par son entrée dans le mariage. Les épousailles seraient-elles des antidotes à la sauvagerie et à l’incroyance des hommes ?
17Appliqué aux femmes de l’Église, le terme de missionnaire peut être approprié si on les considère comme des intermédiaires, des agents transmetteurs du catholicisme. Une nouvelle analogie entre religieuses actives et femmes mariées peut ici être faite. À l’image de la mère et épouse qui instruit et convertit au sein de son foyer, la religieuse, épouse du christ, fait de même auprès des personnes dont elle se charge et prend soin. La vocation au souci de l’autre fait de la religieuse une mère pour tous qui se doit ainsi d’en former les esprits. Il serait alors possible de parler d’une forme de polymaternité – ou plus exactement de polymaternalité – des femmes religieuses. Il ne s’agit pas ici de la fonction reproductrice propre au sexe féminin, mais des fonctions maternelles : l’attitude, les devoirs, les sentiments d’une mère vis-à-vis de ces enfants. En se retirant du marché matrimonial et en annulant son capital en tant que force reproductrice, la religieuse se met au service de chacun et devient mère de tous.
18Cette vision du féminin comme agent transmetteur de la foi auprès de tous n’est pas nouvelle, l’exemple de Marie Rouensa précédemment mentionné est significatif. Au xviie siècle, cette conception se retrouvait dans la pensée des jésuites qui appelèrent en Nouvelle-France les Ursulines de Tours en renfort pour l’évangélisation des Amérindiennes et des filles de colons37. Sans la conversion des mères et des épouses, la conversion des autochtones était considérée comme impossible. Cette idée se retrouve au xixe siècle : sœur Félicien, pionnière de l’Ouest, rédigeant les chroniques de la mission de North Vancouver (Colombie-Britannique), écrit en janvier 1899, au sujet du peu d’admissions de jeunes filles amérindiennes les premiers mois de l’ouverture de l’école Saint-Paul, gérée par sa congrégation, les Sœurs de l’Enfant Jésus :
« Pendant plusieurs mois nous eûmes le même nombre d’élèves, Mgr refusant avec raison d’en admettre davantage “afin” disait-il, “de mieux former celles-ci qui dans la suite donneraient l’élan aux autres”38. »
19L’idée de la femme comme vecteur privilégié de la transmission du catholicisme auprès de sa famille et de sa communauté est toujours présente au xixe siècle et elle perdurera jusqu’au xxe siècle en étant réaffirmée lors du concile Vatican II. En un sens, toute femme est missionnaire en sa maison. La femme ayant des capacités rédemptrices et étant considérée comme un agent transmetteur indispensable parmi les siens est une conception relayée et soutenue par la pensée ultramontaine. Le façonnage idéologique des femmes missionnaires est indexé sur cette conception du féminin alors indispensable dans les missions.
20Depuis des siècles, les femmes missionnaires perpétuent la division sexuelle des tâches suivant le modèle chrétien occidental qui tend à contraindre les femmes, selon leurs caractéristiques physiques et physiologiques, à s’adonner à des activités dites de services39. S’occuper des enfants et de la tenue de la maison, soigner, éduquer et transmettre sont des prérogatives traditionnellement féminines. À l’opposé du statut spirituel attribué de façon privilégiée aux hommes, le statut des religieuses prend sens dans l’action directe qu’elles mènent au sein de la société. La vocation féminine des religieuses s’accomplit pleinement sur le terrain de l’évangélisation, au contact des populations. Cependant, le statut de femmes missionnaires en pays étranger reste celui de second. Le DTC précise au sujet des missions :
« Au sens rigoureux du mot, on réserve le nom de missionnaires [souligné ainsi dans le texte] aux seuls prêtres. Les frères, sœurs, médecins, catéchistes, etc. sont des auxiliaires40. »
21La présence de ces personnels auxiliaires est ensuite précisée :
« Les prêtres seuls, étrangers ou indigènes, ne suffiraient pas aux œuvres multiples et accablantes d’une entreprise comme celle des missions. Il leur faut des auxiliaires […]. Ils trouveront là une aide pour les besoins de la vie matérielle, pour les œuvres d’enseignement et d’assistance, pour les œuvres mêmes d’apostolat41. »
22Les religieuses, en tant qu’auxiliaires, soutiennent donc l’activité des prêtres missionnaires. Leurs fonctions peuvent être assimilables (enseignement, assistance sociale et apostolat), mais leur statut est amoindri par la désignation « auxiliaires ». Le texte du DTC à ce sujet poursuit :
« Les religieuses ne sont pas moins indispensables, et l’on se demande comment il se fait qu’on ne se soit pas avisé plus tôt des services qu’elles pouvaient rendre. Les anciennes missions les ont à peu près complètement ignorées42. »
23C’est en effet essentiellement dans les missions du xixe siècle que les religieuses ont été appelées en tant que force de travail supplémentaire. L’explication proposée dans les lignes suivantes du DTC au sujet de cette multiplication des départs de religieuses pour les pays de mission se résume au fait que les congrégations de religieuses sont généralement moins cloîtrées qu’elles ne l’étaient auparavant, car elles sont désormais sous l’administration d’une Supérieure générale43. Cet argument un peu rapide omet la situation précédemment évoquée relative à la féminisation généralisée du catholicisme à cette même période (augmentation du nombre de congrégations féminines, féminisation des thèmes de piété et affirmation du féminin comme vecteur de régulation et de transmission). Les religieuses devenant des collaboratrices indispensables, les missions se féminisent de fait au cours du xixe siècle.
24Un contrat rédigé entre la congrégation des Sœurs Grises de Montréal et les oblats de Marie Immaculée de la province Alberta-Saskatchewan en 1950 au sujet de l’administration de trois écoles résidentielles, expose la position de collaboratrices-auxiliaires des religieuses en ce lieu :
« Le rôle des Religieuses ne peut être que celui de collaboratrices en ce qui concerne l’instruction et l’éducation des enfants. Une entière collaboration est indispensable entre le Père Principal et la Sœur Supérieure, dans la régie interne de la maison44. »
25Un autre contrat signé en 1929 entre les oblats de Marie Immaculée et les Sœurs de Sainte-Anne pour la gestion de l’école Saint Mary (Mission, Colombie-Britannique) précise que les religieuses doivent s’occuper du ménage dans les bâtiments, qu’elles sont chargées de laver et de raccommoder le linge des enfants pensionnaires et des prêtres de la mission, ainsi que le linge de l’autel de l’église et qu’elles sont responsables de la cuisine pour tous45. Les religieuses s’occupent donc des tâches domestiques. À l’image des femmes au foyer, elles sont les femmes de l’Église, confirmant l’analogie évoquée entre la figure de la religieuse et celle de l’épouse.
26Le façonnage théologique de l’identité des religieuses repose sur une idée commune de la théorie du care : le féminin est prédestiné à s’occuper d’autrui par ses capacités maternelles relevant de la nature. Les activités et vocations des femmes religieuses et missionnaires s’accordent parfaitement à une définition donnée généralement du care qui désigne les activités destinées à « réparer notre “monde”, de sorte que nous puissions y vivre aussi bien que possible46 ». Selon Carol Gilligan, « la déférence des femmes prend sa source non seulement dans leur subordination sociale, mais également dans la substance de leur préoccupation morale. La sensibilité aux besoins des autres et le sentiment d’être responsables de leur bien-être poussent les femmes à tenir compte des voix autres que les leurs et à inclure dans leur jugement des points de vue différents47 ». Joan Tronto, poursuivant l’explicitation du care défini par Gilligan, insiste sur le fait que cette notion n’est pas uniquement assimilable au féminin. Dans ce cas, le care n’émane pas de la nature féminine, mais d’une activité. Ceci permet ensuite à Pascale Molinier de donner la définition suivante : « Le travail du care désigne ainsi des activités spécialisées où le souci des autres est explicitement au centre48. » Cependant, le catholicisme restreint les femmes à ces activités de services et dans ce contexte, le care y est alors presque exclusivement féminin. Le statut des religieuses, et peut-être plus particulièrement leurs fonctions d’auxiliaires, s’inscrit ainsi pleinement dans la théorie du care, recoupant à la fois l’attention portée à autrui et les pratiques du soin. Dans cette perspective qui tend à confiner le féminin dans son aptitude naturelle à prendre soin de l’autre, les religieuses se mettent au service du collectif, remplissant l’objectif donné par les congrégations de femmes. Les activités des religieuses sont alors ici désignées, à la suite de Liliane Voye49, comme des activités de services qui se définissent par leurs vocations à prendre soin des autres et à rendre service à la communauté : entre autres par l’enseignement, l’apport de soins médicaux ou encore par l’instruction catholique.
27Depuis la première période coloniale de l’est du continent, avec les jésuites du xviie siècle, en passant par le xixe siècle et les femmes missionnaires pionnière de l’Ouest, le féminin considéré comme agent transmetteur est une constante. Le concile Vatican II (1962-1965) confirme ce positionnement du féminin chargé de transmettre et d’instruire dans les maisons et le réaffirme selon le Message du pape Paul VI aux femmes prononcé en clôture du concile :
« Épouses, mères de famille, premières éducatrices du genre humain dans le secret des foyers, transmettez à vos fils et à vos filles les traditions de vos pères50. »
28Le sujet de la femme rédemptrice du masculin et régulateur de celui-ci se retrouve également dans ce discours : « Réconciliez les hommes avec la vie51 ». Une nouvelle idéologie du féminin n’est pas façonnée lors du concile Vatican II, au contraire, celle qui a toujours été, celle de la théorie du care, de la femme comme instrument de soin, est confirmée. Ce même discours est alors ainsi conclu :
« Femmes de tout l’univers, chrétiennes ou incroyantes, vous à qui la vie est confiée en ce moment si grave de l’histoire, à vous de sauver la paix du monde52 ! »
29Le féminin doit donc, dans la conception catholique de la différenciation sexuelle, transmettre, jouer le rôle de modérateur et panser les maux de la société : une réelle continuité s’instaure à travers les siècles.
30Dans les textes issus du concile Vatican II, les mentions concernant les religieuses sont rares. Hormis le fait qu’elles ont l’autorisation de quitter leurs costumes53 et que les clôtures des couvents sont abolies pour les congrégations apostoliques54, les religieuses sont quasiment absentes. Ce qui change concerne plutôt les missions et la possibilité pour les religieux et les religieuses d’accepter les croyances et traditions autochtones et d’admettre que celles-ci ne sont pas toujours en totale contradiction avec le catholicisme. Le texte Ad Gentes, Décret sur l’activité missionnaire de l’Église remet en question la conception qu’ont les religieux et les religieuses des autres religions et encourage l’adaptation aux cultures locales55. En tant que femmes et missionnaires, l’autorité vaticane ne fait que réaffirmer à leur sujet la tendance naturelle des femmes à prendre soin de tous, à réguler et transmettre.
31La féminisation du catholicisme, très marquée dans le nouveau terrain d’évangélisation qu’est l’Ouest canadien, dresse la toile de fond de cette recherche. Par la description de l’identité et du statut des femmes missionnaires et en dessinant les contours de cette catégorie sociale particulière, contours dictés par l’autorité catholique, une altérité se construit autour de cette figure de la religieuse, missionnaire par son obédience auprès des populations nord-amérindiennes et non par sa congrégation. Femmes dans un contexte de féminisation, religieuses extraites du monde commun, porteuses d’un modèle de perfection et missionnaires grâce à leur nature féminine, l’identité des religieuses de l’Ouest canadien se dessine. Les femmes missionnaires du xxe siècle, rencontrées lors des enquêtes de terrain, ont été éduquées et instruites dans l’imaginaire des femmes de la fin du xixe siècle, pionnières du Grand Nord, bravant les glaces pour aller à la rencontre des populations les plus reculées. Auxiliaire par leur nature féminine et pionnière par circonstance historique et nécessité stratégique (occuper un maximum le territoire pour faire face à la concurrence anglicane), la construction de la figure de la femme missionnaire canadienne se poursuit.
Difficultés du travail de missionnaire
Un départ précipité
32Le départ en mission est, pour les religieuses, généralement précipité. L’exemple des religieuses de la congrégation des Sœurs de l’Enfant Jésus de Paris parties pour la Colombie-Britannique très peu de temps après avoir prononcé leurs vœux a été mentionné plus haut. Habituellement jeunes lorsqu’elles arrivent en mission, les religieuses n’ont que peu d’expérience. Une missionnaire infirmière arrivée dans les Territoires du Nord-Ouest en 1950 mentionne :
« Le lendemain de mes vœux, je suis partie pour le Nord. On s’en allait à l’aventure, on ne savait pas ce qui nous arriverait. J’avais vingt-cinq ans quand je suis partie56. »
33Une autre religieuse, enseignante puis animatrice pastorale, ayant passé vingt années, à partir de la fin des années 1960, dans les Territoires du Nord-Ouest, souligne :
« Je suis partie pour le Nord tout de suite après ma formation de disciple donc ma première année de temporaire57. »
34Ce manque d’expérience, associé à une préparation préalable faible, ajoute une dose de complexité au terrain missionnaire comme l’explique une enseignante en école résidentielle ayant travaillé à Barrows (Manitoba) durant une vingtaine d’années :
« Une année, l’après-midi j’avais “kindergarten”, la maternelle. Bon dieu, je disais qu’est-ce que je vais faire de la maternelle, d’habitude je suis avec les plus grands. J’ai dit qu’est-ce que je vais faire avec ces petits-là58. »
35Il faut dès lors rappeler que les religieuses rencontrées lors des enquêtes de terrains ne sont pas issues de congrégations de missionnaires. Il s’agit de congrégations d’enseignantes et/ou de services sociaux et hospitaliers qui acceptent d’envoyer plusieurs de leurs religieuses pour soutenir l’effort d’évangélisation qui s’adresse aux populations autochtones de l’Ouest. De fait, ces religieuses ne sont pas formées de la même façon qu’elles le seraient dans des congrégations de missionnaires.
36La formation des religieuses à l’activité pour laquelle elles sont employées est un sujet sur lequel elles sont peu loquaces. Seules les infirmières ont accepté d’en dire plus à propos de leur diplôme et des formations qu’elles ont reçues avant leur départ en mission. Cette absence de prise de parole sur la préparation au terrain missionnaire, ainsi que quelques phrases échappées lors de digressions dans leurs discours, laissent penser qu’une formation les préparant à leurs futures activités avec les autochtones fait réellement défaut à ces religieuses. La question de la formation des religieuses semble d’ailleurs être particulièrement problématique pour les congrégations françaises venues prêter main-forte au Canada. Jusqu’en 1952, les maîtresses des novices des Sœurs de l’Enfant Jésus installées au Canada venaient de France pour former les nouvelles postulantes canadiennes. Ces dernières trouvaient très stricte la façon de faire des maîtresses françaises. Par exemple, selon les dires d’une ancienne postulante, par souci de pureté, elles apprenaient qu’il était interdit de toucher les enfants59. L’idée d’une séparation entre la religieuse et le monde commun est une nouvelle fois marquée. Faire venir des formatrices de France révèle, au-delà d’un « esprit français60 » préservé, un problème de stratégie de formation dans cette congrégation pourtant bien implantée au Canada depuis 1896 et qui, jusque dans la seconde moitié du xxe siècle, se donne pour principale activité l’enseignement auprès des enfants autochtones.
37Dans la congrégation des Sœurs oblates, fondée au Canada pour fournir une main-d’œuvre féminine aux oblats de Marie Immaculée, le constat semble similaire. En effet, les formations des religieuses au sujet des populations autochtones ne sont intervenues que très tardivement, comme le révèle une ancienne enseignante qui a également été surveillante à l’école résidentielle de Whiskey Jack puis de McIntosh en Ontario :
« On n’a pas eu de formation pour aller chez les Indiens. Quand on a eu une formation, c’est quand j’ai été un an à Vancouver durant mon année sabbatique [en 2001]. Je t’assure que j’en ai appris des choses, mais j’avais soixante-cinq ans. Déjà ma carrière était presque finie61. »
38Le choix des mots – « formation », « année sabbatique », « carrière » – plonge le discours de cette religieuse dans le monde du travail, faisant ainsi référence à la qualité de main-d’œuvre précédemment évoquée lorsqu’il était question de suggérer que les religieuses sont de véritables professionnelles des services à la personne. Si elles sont plus ou moins formées à leur métier, la préparation aux particularités des populations autochtones auprès desquelles elles sont envoyées leur manque. Dans cette période de la première moitié du xxe siècle où l’Église catholique est associée au gouvernement fédéral pour l’assimilation des Amérindiens, il n’y a pas d’espace pour la formation des religieuses à la culture autochtone locale. Elles sont envoyées en mission pour évangéliser les populations autochtones dans l’objectif d’assimiler celles-ci à la population dominante62. Qu’elles connaissent la culture locale ne présente donc pas d’intérêt. Ceci est d’ailleurs explicite lorsque les religieuses mentionnent l’apprentissage des langues autochtones.
39Aucune des religieuses missionnaires interrogées ne semblait avoir appris une langue autochtone avant son départ en mission. C’est par l’expérience de terrain qu’elles acquièrent des notions en langue vernaculaire.
« Quand je suis arrivée, je ne parlais pas l’anglais, mais j’ai appris. Et après j’ai appris cinq dialectes. […] J’ai appris les langues. J’ai appris le cree, le chipewyan, le dogrib, l’esclave [langue de la population Slavey] et puis le rabbit skin. Mais très peu le rabbit skin. Puis aussi l’eskimo de l’Ouest, mais ils disent aujourd’hui Inuit. J’ai appris l’inuit de l’Ouest. Je ne connais pas celui de l’Est. Quand on change de village, on change de langue, ce n’est pas facile. Et puis ce n’est pas une langue écrite, c’est une langue parlée alors l’apprentissage est difficile et prend du temps63. »
40Cette religieuse, déjà mentionnée, présente dans les Territoires du Nord-Ouest à partir des années 1950, a donc appris des langues différentes sur le terrain. Ceci doit être envisagé au regard de son activité d’infirmière durant quarante-six années dans ces Territoires du Grand Nord. À propos de cette expérience dans le domaine des soins médicaux apportés aux populations autochtones, de nombreuses religieuses ont indiqué qu’il était nécessaire pour elles d’avoir des rudiments de la langue vernaculaire en usage dans leur terrain de mission ou bien d’avoir un interprète. Une autre infirmière de la même congrégation présente dans ces territoires entre 1971 et 1989 précise :
« Les gens de plus quarante ans, à moins qu’ils aient été à l’école à Fort Providence avec les Sœurs Grises, ils parlaient dogrib uniquement. Alors comme infirmière, il fallait qu’on ait un traducteur. J’étais triste quand il n’y avait pas de traducteur, il fallait que je fasse attention pour essayer de comprendre ce qu’ils voulaient64. »
41Pour mener à bien leur mission qui consistait à soigner les autochtones, elles devaient interagir et comprendre leurs patients. Si elles n’avaient pas été formées aux langues locales avant leur départ, l’expérience de terrain nécessitait cet apprentissage.
42Il en va cependant fort différemment dans les écoles, particulièrement dans les écoles résidentielles où il était interdit aux enfants de parler leur langue maternelle. Une enseignante qui a travaillé en école résidentielle durant une vingtaine d’années, à partir de la fin des années 1960, dans les Territoires du Nord-Ouest explique :
« Les enfants devaient parler anglais. On voulait qu’ils parlent anglais, c’était les directives. Pour les tout-petits, c’était un vrai bouleversement. Ils ne parlaient ni français ni anglais. Et puis, il y avait aussi des problèmes de langue entre les sœurs elles-mêmes65. »
43En signalant les difficultés d’échanges entre les religieuses d’une même mission, cet extrait renvoie à la déclaration de l’infirmière citée plus haut qui mentionnait qu’elle ne parlait pas l’anglais en arrivant dans l’Ouest canadien. Outre la complexité de l’interaction avec diverses langues autochtones, les religieuses francophones et anglophones semblaient avoir elles-mêmes des problèmes de compréhension. Si l’Ouest canadien est majoritairement anglophone, le Québec francophone est le principal foyer de missionnaires. Le fait que les religieuses ne soient pas bilingues pose réellement la question de la préparation au terrain missionnaire. Des religieuses d’une même congrégation pouvaient, semble-t-il, ne pas se comprendre entre elles lorsqu’elles se retrouvaient ensemble en mission avec les autochtones. Il est alors aisé d’imaginer les difficultés, pour les enfants autochtones ne parlant ni le français ni l’anglais, de comprendre les consignes données par des interlocuteurs qui eux-mêmes ne se comprenaient pas, ainsi que les potentiels malentendus que ces incompréhensions pouvaient entraîner.
44Dans les écoles de jour de l’Ouest canadien, c’est-à-dire les écoles situées au cœur des réserves où les enfants rentraient dans leurs familles chaque soir après la classe, les consignes gouvernementales étaient également de faire apprendre l’anglais aux enfants autochtones. Dans ce contexte, les religieuses étaient entourées d’individus qui ne parlaient pas anglais comme le remarque cette enseignante qui a travaillé à l’école de Goodfish Lake (Alberta) durant quatre années :
« J’ai appris le cree. J’ai pris des cours du soir à Blue Quills, une école indienne66. Je prenais des cours du soir parce qu’il n’y avait pas la permission de parler. Quand je suis arrivée en 1961, les Indiens n’avaient pas la permission de parler leur langue, parce qu’il fallait qu’ils apprennent l’anglais. Alors moi, la première année que je suis arrivée, j’avais une trentaine d’élèves et il y en a seulement quatre qui sont passés en deuxième année l’année suivante, les autres ne savaient pas assez l’anglais. Ils parlaient juste le cree à la maison. Et on disait à eux autres “pas de cree dans la classe”67. »
45En immersion totale, les religieuses missionnaires sont confrontées au monde autochtone tout d’abord à travers le langage. Ici, la religieuse interroge la façon dont il est possible d’enseigner lorsque l’enfant et le professeur ne partagent pas une langue commune. Pour contrer cette difficulté, la religieuse prend le parti d’apprendre la langue, non pas pour enseigner dans cette langue vernaculaire, mais pour un meilleur apprentissage de l’anglais par ses élèves. Ainsi, une préparation avant le départ en mission à travers, entre autres, l’apprentissage des langues autochtones se révèle indispensable et n’est pourtant pas offerte aux religieuses.
46Cette non-préparation aux langues vernaculaires rend la mission des religieuses plus complexe. Pourtant les prêtres catholiques missionnaires du xixe siècle, comme leurs prédécesseurs de l’Est du continent au xviie siècle, ont reconnu l’importance de la connaissance des cultures locales et des langues pour mener à bien l’évangélisation des populations autochtones. En témoignent alors les nombreux dictionnaires ou bibles traduites, devenus des outils précieux pour les missionnaires. L’un des premiers articles de la revue Anthropos (revue fondée en 1906 par Wilhelm Schmidt, prêtre allemand, linguiste, ethnologue et membre fondateur de l’école diffusionniste de Vienne) intitulé « Le rôle scientifique des missionnaires » est explicite à ce sujet :
« Il faut que le missionnaire – le chef de mission surtout – se fasse comme un plan de campagne, impliquant avant tout l’étude et la connaissance du pays et de ses habitants, des mœurs indigènes, des lois, des religions, des langues, etc. Cette étude n’est pas étrangère à l’accomplissement de sa mission : elle lui est nécessaire, et mieux il connaîtra le milieu dans lequel il travaille, moins il s’exposera à faire des fautes, plus il se donnera des chances humaines de succès68. »
47Ce conseil se contextualise avec l’intérêt que présente cette revue anthropologique et ce courant de pensée qu’est l’école de Vienne qui, bien que prenant appui sur de nombreux savoirs missionnaires, souhaite s’inscrire dans une démarche scientifique en se distanciant des positions trop théologiques. Cette recommandation est formulée pour tout missionnaire, mais c’est principalement au chef de mission de la mettre en œuvre pour agir (et évangéliser) de l’intérieur – ceci n’est pas sans rappeler les conseils donnés suite au concile Vatican II, près de soixante années plus tard. En s’adressant particulièrement aux chefs de mission, l’auteur semble suggérer une hiérarchie des savoirs allant de pair avec une hiérarchie des statuts en mission. En ce qui concerne plus précisément la connaissance des langues en contexte missionnaire l’article poursuit :
« De fait, cette étude, pour les missionnaires, n’est plus facultative […] elle est obligatoire. Nul ne peut se dire vraiment missionnaire, s’il n’est pas en état d’instruire l’indigène dans sa propre langue69. »
48Suivant ce commentaire, il serait possible d’affirmer que les religieuses interrogées ne deviennent missionnaires qu’après l’apprentissage des langues locales : donc par l’expérience et la pratique de terrain. Contrairement aux hommes missionnaires qui se font ethnographes, la nature féminine des religieuses les contraint à se focaliser sur leur rôle d’auxiliaires apportant théoriquement à la mission uniquement un soutien lié à leurs compétences dans les activités de services.
En contrées lointaines
49Le manque de formation et la méconnaissance des langues, ne sont pas les seules difficultés pour les femmes missionnaires. Les vastes contrées canadiennes, les distances, le froid, les longues nuits d’hiver, l’isolement et le rythme de travail ne facilitent pas les conditions de vie en mission. La religieuse infirmière qui a passé quarante-six années en différents lieux de missions dans les Territoires du Nord-Ouest raconte :
« On partait pour vingt ans. L’avion nous déposait là et puis il n’y avait pas de routes pour sortir. Il n’y a pas de routes pour aller visiter vos copains qui sont à 200, 250 milles, 500 milles [unité de distance]. Alors on est fermé70. »
50Ce premier extrait indique l’isolement des religieuses dans le Grand Nord canadien. Mentionnant l’arrivée en avion, l’absence de route, la religieuse infirmière conclut par « on est fermé » marquant ainsi l’isolement de sa mission. Enfermée dans ce lieu de mission, la religieuse ne côtoie que ses compagnes, le prêtre local et les habitants du village. Le lieu de mission devient en quelque sorte le nouveau couvent des religieuses. Cette religieuse infirmière qui a passé la grande majorité de sa carrière dans le Nord canadien poursuit son récit et le tempère :
« J’y étais entre 1950 et 1996, mais je suis revenue entre-temps. On est venu faire une vacance, visiter mes parents, mais pas tous les ans. J’ai travaillé pour le fédéral, et le fédéral me payait un voyage en dehors tous les ans. Mais je ne suis pas venue tous les ans parce que le règlement n’était pas de venir à Montréal tous les ans71. »
51Le statut de religieuse régit la vie de cette missionnaire. Le règlement, c’est-à-dire les Règles imposées par sa congrégation, est ici une contrainte : des moyens sont accordés par le gouvernement pour qu’elle ne reste pas isolée dans sa mission du Nord, mais, ayant fait vœu d’obéissance, la religieuse doit respecter les règles et demeurer dans le Nord, telle est sa mission. La mention « un voyage en dehors », permet une nouvelle fois de constater l’analogie possible, toutes proportions gardées, entre le lieu de mission de ces religieuses et le cloître conventuel. Certes, durant ses quarante-six années passées dans le Grand Nord, la religieuse est quelquefois revenue dans la région de Québec pendant quelques semaines. Mais ces semaines cumulées de congé ne sont rien comparées aux mois et aux années passés en continu dans la mission. Elle poursuit au sujet de son isolement dans ses missions du Nord canadien :
« C’est dur, dans le sens où l’on n’avait pas de radio, pas de télévision. Le divertissement, il fallait le faire soi-même. Pour le courrier, on avait une règle qui était sévère, on avait une règle de carmélite. D’abord il y avait des heures de silences et puis des heures de prières très marquées. On était dans notre chambre et puis on restait là. Après la récréation du soir, c’était le “grand silence” comme on l’appelait. Ce sont des choses… Comme à l’avent et au carême, on ne recevait pas de courrier. Le courrier arrivait et s’empilait dans l’office de la supérieure et le jour de Noël on avait notre courrier. C’était notre règlement. Un drôle de règlement parce que dans le Nord, l’été est court. On avait de la neige au mois d’août, fin août, septembre, et l’hydravion ne venait pas porter le courrier quand ça commence à geler. Alors on n’avait pas de courrier pendant un mois, un mois et demi, le temps que ça gèle complètement. Et quand c’était assez gelé, c’était l’avent qui commençait. Alors on faisait un double avent et un double carême [période de dégel]. Et le carême, c’est quarante jours, puis l’avent, c’est un mois. Et puis c’était les choses comme ça, on doublait tout ça. Après des années, ils ont commencé à dire “bah ça n’a pas de bon sens… pourquoi tout ça ?” […] Mais c’était cette façon-là, et avant que ça change, ça prend un peu de temps72. »
52Dans le Nord, les conditions météorologiques difficiles s’ajoutent aux règles de la congrégation. Ces situations induisent un redoublement des contraintes imposées. La mission devient lieu d’enfermement. Sans contact avec l’extérieur pendant plusieurs mois, les religieuses sont livrées à elles-mêmes dans des conditions matérielles précaires. Une autre missionnaire infirmière du Nord confirme ce manque de moyen permettant d’accéder au monde extérieur :
« Ils avaient le téléphone, ils avaient des autos, mais il n’y en avait pas beaucoup. Je me souviens en 1971, il n’y avait pas beaucoup de téléphones et on n’avait pas d’ambulance73. »
53Les communications extérieures sont donc rares et l’éloignement dû à la situation géographique de leur mission ne favorise pas les conditions de travail. Entre enfermement dans un lieu physiquement restreint (les religieuses infirmières faisaient de leur mieux pour visiter les villages aux alentours de leur mission, mais le champ des possibilités de déplacement restait restreint) et échange avec l’extérieur limité, le spectre conventuel semblait toujours planer sur ces religieuses missionnaires.
54L’aspect communautaire est également caractéristique chez les femmes en mission. La religieuse infirmière qui a passé quarante-six années dans les Territoires du Nord-Ouest précise à ce sujet :
« Quand j’étais dans la maison provinciale à Fort Smith, on était, disons, vingt-cinq. À Résolution on était quatre, cinq. À Aklavik on était quatre, cinq aussi. À Providence on était deux. Il y avait des infirmières, des enseignantes et des personnes âgées qui gardaient la maison. Elles avaient fait leur carrière dans le Nord, mais elles restaient cuisinières ou un truc comme ça. Les premières années, les maisons étaient un peu plus grosses, et puis graduellement les sœurs étaient âgées et s’en revenaient à Montréal. Elles n’étaient pas remplacées par les jeunes parce qu’il n’y en avait pas beaucoup74. »
55Fidèle à l’esprit de fondation d’une mission où une religieuse plus âgée accompagne des jeunes missionnaires d’une vingtaine d’années, la mission au féminin s’accomplit en petit groupe. L’une de ces religieuses, arrivée dans le Grand Nord à 19 ans en 1971 confirme :
« Au début quand je suis arrivée [à Fort Rae] il y avait quatre ou cinq religieuses, ensuite les plus vieilles s’en sont allées, ce qui fait qu’on était deux ou trois. […] Pour nous les sœurs, il fallait être cinq à peu près. Mais on était juste trois en tout, ça c’était dur75. »
56La diminution progressive des effectifs des religieuses a inévitablement des répercussions sur le nombre de missionnaires présentes dans le Nord. Les deux religieuses précédemment citées mentionnent des groupes très étroits : cinq, quatre, trois, voire deux religieuses. Ce sont alors des micro-communautés de religieuses qui se trouvent isolées en territoire autochtone. Des effectifs restreints signifient une charge de travail plus conséquente pour les religieuses, mais aussi une large part d’autonomie sur laquelle nous aurons l’occasion de revenir. Une enseignante en école résidentielle, toujours dans les Territoires du Nord-Ouest mentionne :
« Sept jours par semaine, les journées de congé ça a commencé sur le tard pour nous76. »
57La petite communauté de religieuses, isolée dans sa mission, est totalement dévouée à la tâche qui lui est confiée. Notamment pour ce qui concerne les infirmières et les enseignantes en école résidentielle qui se doivent d’être disponibles vingt-quatre heures sur vingt-quatre.
58Si, au cours du xxe siècle, les missions catholiques ont subi de nombreux changements, entre autres suite à la réunion du concile Vatican II qui encourage l’adaptation aux cultures locales et donc l’ouverture des missionnaires sur le monde autochtone, les religieuses installées en mission dans l’Ouest canadien forment une petite communauté à part entière. Catégorie séparée de la société commune par leur statut de religieuse, ces femmes missionnaires se trouvent une seconde fois extirpées de la marche ordinaire du monde dans leur lieu de mission. L’isolement d’un groupe très restreint de femmes dans la mission où elles sont affectées permet de focaliser l’attention de celles-ci uniquement sur l’offre de services qu’elles doivent apporter. Une religieuse enseignante et surveillante en école résidentielle durant les années 1950 revient sur ses difficultés :
« Ce n’est pas facile quand tu as le soin d’une cinquantaine d’enfants le soir à McIntosh, ma toute première mission. J’étais assez à bout à la fin de l’année-là, je criais après les enfants, ce n’était pas bien beau. J’étais rendue à bout de fatigue, à bout de nerfs, tu sais77. »
59Les conséquences des effectifs trop peu nombreux et du dévouement constant semblent se faire ressentir dès la première année de mission pour cette religieuse surveillante et enseignante en école résidentielle dans la province de l’Ontario. La question de la préparation à la mission et de la formation à la culture autochtone où elles étaient envoyées resurgit du constat établi par cette missionnaire.
60La mission est donc un cadre de travail particulier pour ces femmes qui se mettent au service de l’autre. Isolées en petits groupes, sous l’autorité des prêtres locaux, coupées du monde commun et pas totalement intégrées dans la communauté autochtone où elles sont envoyées, c’est par leur activité au service du collectif que les religieuses se distinguent comme telles. La religieuse active dans le monde (ayant donc intégré une congrégation active et non uniquement contemplative) s’accomplit dans l’attention portée à autrui. La perfection vers laquelle toutes les religieuses doivent tendre semble pouvoir être atteinte par l’action et le service rendu à l’autre, lesquels, auprès des populations autochtones nord-amérindiennes, peut prendre trois formes : l’enseignement, l’animation pastorale et le soin infirmier.
Des religieuses enseignantes
61L’éducation des enfants canadiens amérindiens au xxe siècle est proposée selon deux versions : l’éducation au sein d’écoles résidentielles avec un pensionnat et l’éducation dans des écoles de jour, où les enfants rentrent dans leur famille chaque soir après la classe. Dans les deux cas, le rôle premier des religieuses est de faire apprendre l’anglais aux enfants amérindiens selon les directives du gouvernement fédéral et du ministère des Affaires indiennes par lequel elles sont employées. Les autorités prônent alors un programme scolaire hérité de la volonté assimilatrice gouvernementale née au xixe siècle, selon laquelle le seul moyen d’intégrer les Amérindiens à la société canadienne est de les faire devenir des Blancs en les sédentarisant et les christianisant.
Enseignantes en écoles résidentielles
62Les écoles résidentielles sont aujourd’hui un sujet de crispations au Canada. Les dégâts causés par une assimilation forcée et rapide sont désormais admis par l’ensemble des acteurs – personnels politiques, Églises chrétiennes et autochtones – mais suscitent encore de nombreuses tensions. Il ne s’agira pas ici d’entrer dans les débats, mais de simplement décrire les activités de ces religieuses en mission auprès des Amérindiens.
63C’est au sein des écoles résidentielles, ouvertes depuis le milieu du xixe siècle, que l’on retrouve le plus de religieuses enseignantes. Le statut d’auxiliaire et les tâches qui sont dévolues aux religieuses en mission concernent, dans le cas des écoles résidentielles, tant l’éducation des jeunes enfants que la tenue du pensionnat. Dans ces écoles, les religieuses sont directement placées sous la tutelle de la congrégation masculine ayant en charge l’institution. Très généralement, au Canada, dans la seconde moitié du xixe siècle et au xxe siècle, cette congrégation est celle des oblats de Marie Immaculée78. Afin d’administrer ces pensionnats et de préciser les rôles et les devoirs des congrégations masculines et des congrégations féminines en présence, des contrats sont rédigés entre les deux congrégations co-gestionnaires, comme déjà évoqué79. Le contrat signé par « la communauté des Sœurs Grises de Montréal et les Pères oblats de Marie Immaculée de la province Alberta-Saskatchewan » en 1950 établit les relations suivantes :
« 1. Comme l’entente entre les RR. Pères Oblats de l’Alberta-Saskatchewan et le Gouvernement fédéral, établit dans les écoles indiennes le Révérend Père Principal comme seul responsable, tant au point de vue de l’administration que de l’instruction et de l’éducation des enfants, c’est au Père Principal seul que revient l’entière direction de la maison. […]
6. Le personnel Oblat et celui des religieuses auront des locaux séparés et distincts, conformément aux saints Canons. Là où la chose s’imposera, après le jugement des Supérieurs majeurs des deux Communautés concernées, l’on devra avoir des résidences séparées. […]
8. En tout ce qui regarde leur vie religieuse, les sœurs relèveront uniquement de leur Supérieure. En tout ce qui regarde l’instruction et l’éducation des enfants, elles seront sous la direction du Révérend Père Principal. Les Sœurs ont la surveillance des filles de tout âge et celle des garçons jusqu’à l’âge de douze ans80. »
64Les règles sont donc définies pour les religieuses. Il est possible de faire de nouveau ici un parallèle entre le cloître traditionnel des religieuses et l’école résidentielle qui prend la forme d’un pensionnat pour jeunes amérindiens. Ce qui a été décrit des comportements et des pratiques des religieuses postulantes est reproduit, avec le niveau de nuances nécessaire, au sein des écoles résidentielles. Un soin tout particulier est attaché à la propreté81 (une inspection se déroulait chaque matin), ainsi qu’à la bonne santé et à la bonne tenue des élèves qui devaient éviter tout élément rappelant leur origine autochtone et s’habiller selon la coutume européenne (robes pour les filles et pantalons – chemises pour les garçons). Les horaires étaient stricts, les lever et coucher des enfants devaient se faire en prière et le silence devait régner. En témoignent les emplois du temps journaliers de deux écoles résidentielles à la fin du xixe siècle ici reproduits (tableaux 1 et 2).
Tableau 1. – Emploi du temps journalier de l’école résidentielle de High River en 1887.
Commission de vérité et de réconciliation du Canada, Pensionnats du Canada : La réconciliation. Rapport final de la Commission de vérité et réconciliation du Canada, vol. 1, Montréal, McGill-Queen’s University Press, 2015, p. 328-333.
5 h 30 | Lever |
6 h | Prières et messe |
6 h 30 | Les élèves font leur lit et leur toilette pour l’inspection |
7 h | Déjeuner |
7 h 30 | Corvées (pour les plus jeunes), enseignement des métiers (pour les autres) |
9 h | École |
11 h 30 | Récréation |
11 h 45 | Les élèves se mettent en rang et se préparent au dîner |
12 h | Dîner, récréation |
13 h | École et enseignement des métiers |
15 h 30 | Classe de chant |
16 h | Corvées |
17 h 45 | En rang, préparatifs pour le souper |
18 h | Souper, récréation |
20 h | Prière, les élèves se rendent en rang au dortoir |
20 h 30 | Les lumières sont éteintes |
Tableau 2. – Emploi du temps journalier à l’école résidentielle de Qu’Appelle en 1893.
Commission de vérité et de réconciliation du Canada, Pensionnats du Canada : La réconciliation. Rapport final de la Commission de vérité et réconciliation du Canada, vol. 1, Montréal, McGill-Queen’s University Press, 2015, p. 328-333.
5 h 30 | Lever des élèves |
6 h | Chapelle |
6 h 30 à 7 h 15 | Faire les lits, lavage, traire les vaches, et pomper de l’eau |
7 h 15 à 7 h 30 | Inspection des élèves dans les salles de classe pour voir s’ils sont propres et convenablement habillés, vérifier leur condition, leur santé, etc. |
7 h 30 | Déjeuner |
8 h à 9 h | Corvées pour les petits garçons |
8 h | Les garçons de métier vont à l’ouvrage |
9 h à 12 h | Classe, avec 15 minutes de récréation |
12 h à 12 h 10 | Préparatifs pour le dîner |
12 h 10 à 12 h 40 | Dîner |
12 h 40 à 14 h | Récréation |
14 h à 16 h | Classe et métiers |
16 h 45 à 18 h | Corvées, telles que traire les vaches, transporter le charbon, les cendres, remplir les réservoirs, les boîtes à bois, pomper l’eau, balayer |
18 h à 18 h 10 | Préparatifs pour le souper |
18 h 10 à 18 h 40 | Souper |
18 h 40 à 20 h | Récréation |
20 h | Prière et coucher |
65Si les enfants étaient autorisés à discuter entre eux durant les périodes de récréation, seule la langue anglaise était autorisée. Les règles étaient mises en place pour former les Indiens aux habitudes des Blancs, de la même façon que les règles et constitutions des congrégations de religieuses, applicables au sens strict dans les couvents, devaient élever les jeunes filles au statut inflexible de religieuse. Au regard de ces emplois du temps, il est possible de remarquer que les enfants prennent part activement à la tenue de la partie résidence du pensionnat avec des créneaux horaires de « corvées » matin et soir. Ces emplois du temps de la fin du xixe siècle indiquent également « enseignement des métiers » ou « classe des métiers ». Jusque dans les années 1960, la grande majorité des écoles résidentielles proposaient aux élèves d’apprendre un métier manuel. Une religieuse enseignante présente dans la province de l’Ontario dans les années 1950, décrit ainsi les journées et apprentissages au pensionnat où elle enseignait :
« Les enfants allaient à l’école juste une demi-journée, l’autre temps de la journée ils faisaient de la cuisine, ils faisaient de la couture, ils aidaient à la boulangerie. Et puis les travaux de la maison. Ces filles ont appris à garder une maison, comment tenir une maison. Et surtout comment être cuisinière. Ces femmes-là sont devenues de vraies bonnes cuisinières. Les garçons, eux, ils travaillaient le bois, ils travaillaient dehors, il y avait toutes sortes de travail. Il y avait donc école juste la moitié d’une journée. Excepté pour une. Je trouvais qu’elle était tellement intelligente, alors j’ai dit “tiens, elle, elle pourra peut-être faire des études”. Alors je la gardais toute la journée en classe. Et elle est devenue maîtresse d’école et elle a même en charge des groupes de maîtresses pour les Indiens. […] Mais quand je suis revenue en 1961, ça avait changé. Les enfants étaient en classe toute la journée et des Indiens avaient été engagés pour faire le travail de la maison82. »
66À chaque sexe ses activités : les jeunes filles apprennent la couture, la cuisine et les tâches domestiques, alors que les garçons apprennent la menuiserie, la charpente et toutes autres activités qui se déroulent en extérieur. La division sexuelle des tâches, telle que conçue de manière très nette par l’Occident chrétien au xixe et au xxe siècle, est reproduite au sein des pensionnats autochtones. L’exemple que cette religieuse met en avant, celui d’une jeune Amériendienne qu’elle garde toute la journée en classe, renforce le propos sur les activités qui incombent aux hommes et aux femmes. Cette jeune fille est ensuite devenue enseignante et participe ainsi à la transmission des savoirs parmi les siens – l’un des attributs privilégiés du féminin, comme vu précédemment. La suite du récit de cette informatrice au sujet de son activité se poursuit :
« Dans ce temps-là, j’enseignais de la troisième année jusqu’à la huitième année. Et puis il y avait une autre sœur qui enseignait les années une et deux aux garçons et aux filles. Mais, moi j’avais juste les filles et il y avait une autre sœur qui enseignait juste les garçons. Tu sais, il fallait être avec les enfants vingt-quatre heures par jour, ces enfants-là avaient été amenés à l’école en avion83. »
67Les enfants, eux aussi isolés car extraits de leur milieu familial, sont alors sous la responsabilité des religieuses. En tant que femmes, elles devaient non seulement transmettre leur savoir, mais également prendre soin de ces enfants.
Mères de tous
68Au-delà de leur activité d’enseignement, les religieuses en école résidentielle deviennent des mères de substitution. Le schéma de la femme protectrice des siens est alors reproduit à tous les niveaux. Dans chaque établissement (comme dans toutes missions) une religieuse est désignée comme la supérieure de ses compagnes, elle est la référente et rend compte des activités auprès de la supérieure générale de la congrégation. À l’image de cette dernière, mère supérieure des religieuses de sa congrégation par son statut, la hiérarchie maternelle est déplacée dans les lieux de missions. Si une religieuse joue le rôle de référente, toutes doivent jouer ce rôle auprès des enfants autochtones. La fonction maternelle, déjà évoquée comme attribut inaliénable de la religieuse et de sa nature féminine, se retrouve dans chacune de ses activités et particulièrement dans les écoles résidentielles où les enfants sont séparés de leurs familles. Toutes les enseignantes prenaient cette tâche à leur charge durant les week-ends, mais cette attribution apparaît plus clairement dans le cadre de la fonction de surveillante, où les religieuses prenaient en charge les garçons de moins de douze ans et les filles de tout âge en dehors des heures de classe. La religieuse enseignant en Ontario, précédemment évoquée, poursuit ainsi la description de son activité dans les années 1950 :
« Je suis devenue maîtresse de cours. Maîtresse de cours c’est quand ils étaient hors de classe, il fallait quelqu’un pour en avoir soin, les voir à leurs linges, les voir à leurs dortoirs, partout. […] Même pendant les vacances et après que l’année scolaire ait été finie, moi je gardais les dortoirs, je gardais les repas, j’étais avec eux presque continuellement. Alors on était à peu près dix religieuses, je crois, pour avoir le ratio. Il y avait soixante filles et soixante garçons. Les garçons étaient d’un bord et puis les filles de l’autre. […] Le samedi, parfois on partait. On prenait une grande boîte et on mettait du pain, de la graisse et ce qu’il fallait. On allait faire un pique-nique. On leur trouvait du feu. Le bois, c’était leur vie. Et puis aussi, ce qu’on faisait avec les grandes surtout, on partait pour deux, trois jours. Il y avait un petit camp à Whiskey Jack, une maison, et on passait deux jours là84. »
69Les maîtresses de cours ou surveillantes, dans ces établissements résidentiels, prennent soin des enfants vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Elles sont continuellement présentes pour s’assurer du bon fonctionnement du pensionnat : inspection des dortoirs et de l’hygiène des enfants, aide et surveillance des tâches quotidiennes confiées aux pensionnaires, etc. Les pique-niques et autres sorties organisés sont l’occasion pour les enfants, comme pour elles-mêmes, de quitter l’enceinte du pensionnat où tous sont reclus.
70Une seconde religieuse ayant occupé la fonction de surveillante en école résidentielle dans les Territoires du Nord-Ouest est encore plus explicite sur sa situation :
« Mon rôle, c’était comme une mère de groupe. On avait les élèves quand ils n’étaient pas à l’école. Donc on avait à assumer le rôle de parents85. »
71La religieuse dépeint ici nettement ce rôle de substitution parental. En l’absence d’un cadre familial, ces enfants extirpés de leurs communautés autochtones de naissance se retrouvent sous l’autorité directe des religieuses. Les termes employés par cette dernière au cours de l’entretien « mère de groupe », « rôle de parents » font directement référence à la parenté qu’elles doivent « assumer » et à laquelle leur action se substitue.
72Tout comme les parents, les religieuses (avec l’aide financière du gouvernement) devaient fournir l’habillement des enfants :
« En début d’année, on regardait les catalogues de Sears et les filles avaient le droit de choisir. C’était la fête. Tout était fourni à l’école. Tu arrivais avec un petit sac et puis après ça, tout était fourni86. »
73En fournissant un logement, la nourriture et les vêtements, les écoles pensionnats – par l’intermédiaire des missionnaires et particulièrement des religieuses – ont vocation à supplanter totalement la communauté de naissance des enfants autochtones, répondant ainsi au projet d’assimilation souhaité par le gouvernement canadien. Dans ce mécanisme de remplacement, les religieuses deviennent mères.
74Assumer le rôle de parent lorsqu’on est une religieuse ayant fait vœu de chasteté semble contradictoire. Cependant, c’est en prenant soin de tous, ici particulièrement des enfants que les religieuses se réalisent. La contradiction s’efface ; la maternité n’est ici en réalité qu’une maternalité ; soit non pas la capacité naturelle des femmes à enfanter (maternité), mais les attributs culturels qui découlent de cette capacité et qui correspondent donc aux pratiques de la prise en charge du soin de l’enfant. C’est alors une maternalité de substitution, prenant la forme d’une polymaternalité déjà brièvement évoquée, qui se met en place dans ces écoles-pensionnats où les religieuses sont responsables de plusieurs enfants (plus d’une dizaine d’enfants par religieuse selon le ratio évoqué plus haut par l’une d’entre elles). La maternité des religieuses n’est plus simplement spirituelle (« mères de tous »), mais elle prend une forme physique et matérielle : celle d’une attitude maternelle. Dans les écoles résidentielles, les religieuses sont les seules femmes et donc les seuls modèles féminins. Certains enfants, arrachés très jeunes à leurs familles pour être placés dans ces écoles, n’ont pour unique modèle maternel que celui des religieuses. Dans ces lieux, les religieuses sont donc non seulement les femmes au foyer des missionnaires masculins, chargées de la tenue de la résidence, mais également les mères des enfants autochtones.
75Parler de polymaternalité et de maternité de substitution, conduit à interroger la place laissée aux mères et parents biologiques de ces enfants. Le témoignage de la religieuse surveillante précédemment citée donne quelques pistes de réflexion :
« Les choses commencent à changer dans les pensionnats, dans les écoles résidentielles où c’était devenu plus ouvert. […] On faisait des levées de fonds pour que les élèves puissent aller chez eux à Noël et ça, c’était du nouveau. Parce qu’avant, quand les enfants arrivaient, ils restaient au pensionnat pendant dix mois d’école. Mais dans les années où j’y suis allée, ça commençait à changer, ça s’ouvrait. On faisait de gros efforts pour que les parents et les enfants puissent se rencontrer. Et puis on a institué une célébration de fin d’année où les parents venaient. On offrait des prix de toutes sortes : de personnalité, de bonne conduite, etc.87. »
76Dans la temporalité du discours, ce changement s’opère à la fin des années 1960 et plus particulièrement dans les années 1970. Il est ici réaffirmé que les enfants autochtones restaient au pensionnat durant l’ensemble de l’année scolaire. Aucun financement et soutien matériel n’était prévu pour que les enfants retrouvent leur environnement familial durant les périodes de vacances. Jusqu’alors, aucune place n’était laissée aux parents biologiques. L’influence de l’environnement autochtone était considérée par les autorités (gouvernementales et ecclésiastiques) comme néfaste et faisant obstacle au bon déroulement du projet d’assimilation. Ce n’est donc que tardivement que les retours en famille ont été instaurés ; les religieuses restant des mères de substitution la majeure partie de l’année. L’adoption, principe sociologique fondamental dans les sociétés autochtones nord-amérindiennes qui sera développé plus loin, pourrait alors être mise en regard avec cette polymaternalité exercée par les religieuses. Si la pratique de l’adoption est courante en Amérique du Nord, en quoi la prise en charge des enfants par les religieuses est-elle différente ? Il conviendra de revenir sur ce point, mais il est dès lors possible de suggérer que les religieuses sont, pour les autochtones, une altérité à part entière. Celle-ci ne peut être considérée comme adoptante dans un système d’adoption tel que pratiqué en Amérique du Nord autochtone. En effet, pour les autochtones, l’altérité peut être adoptée selon un mécanisme complexe qui sera défini ultérieurement, mais elle ne peut adopter. Le processus d’adoption étant régi de l’intérieur par les adoptants, les religieuses représentant l’altérité (l’extériorité sociologique), elles ne peuvent être à l’initiative de ce mécanisme. C’est ainsi qu’il est possible d’affirmer que les religieuses sont, dans les écoles-pensionnats, des mères de substitution en ce sens qu’elles prennent soin des enfants selon leurs attributs féminins et maternels, mais ne se positionnent pas – et ne sont ainsi pas positionnées par les schémas traditionnels de l’adoption autochtone – dans un réseau de parenté vis-à-vis de l’enfant.
Enseignantes en écoles de jour
77Les écoles de jour (ou day school ) sont les écoles installées au sein des réserves où les enfants sont scolarisés uniquement la journée. S’il est difficile de dater l’apparition des écoles de jour, puisqu’il s’agit simplement d’un lieu dédié à l’éducation des autochtones par les missionnaires et que cela existe dans l’Est du continent depuis le xviie siècle, il semble que le terme soit apparu à la fin des années 1870 pour les distinguer des écoles résidentielles88. Comme à l’école résidentielle, les élèves devaient apprendre l’anglais, la lecture, l’écriture, le calcul et les principes de la religion chrétienne. Les travaux manuels avaient, ici aussi, une grande importance et plusieurs heures d’enseignements quotidiens leur étaient consacrées. L’objectif était tout autant d’éduquer, d’instruire et d’assimiler les Amérindiens que dans les écoles résidentielles. Cependant, dans les écoles de jour, le statut des religieuses n’est pas le même qu’au sein des écoles résidentielles : elles ne sont pas placées sous la supervision directe des missionnaires masculins, font moins office d’auxiliaires et n’assument pas le rôle de mère auprès des enfants. Même si elles restent en seconde position par leur statut de femmes missionnaires, elles n’ont pas en charge la gouvernance totale de l’établissement et doivent seulement faire le ménage dans leurs salles de classe respectives. Leur rôle d’enseignante est au premier plan. L’éloignement, ou du moins la non-proximité directe, des missionnaires masculins permet une certaine forme d’autonomie dans l’enseignement donné. Certaines peuvent alors se permettre, si elles le souhaitent, de déroger légèrement à l’enseignement classique. Une Dominicaine missionnaire adoratrice travaillant à l’école de Goodfish Lake Alberta dans les années 1960 proposa des moments d’enseignements consacrés à la culture locale :
« Je faisais venir le chef de la réserve pour raconter en cree des légendes aux enfants. C’était important pour moi. C’est une des choses que j’ai beaucoup faites. J’essayais de faire des projets sur des thèmes culturels amérindiens, parce que je me disais, c’est leur histoire, alors bon. Ils montaient des tentes et puis là ils racontaient. On essayait dans le cadre des cours qu’on avait à donner, on essayait autant que possible de valoriser leur culture et leur histoire. Ça, c’est un aspect que j’ai beaucoup aimé89. »
78Ici, un écart important au niveau des pratiques d’enseignements se révèle par rapport aux écoles résidentielles. Dans ces dernières, tout élément de la culture autochtone était formellement interdit ; alors qu’il semblerait qu’une certaine liberté pédagogique soit laissée aux religieuses dans les écoles de jour. En invitant le chef de la réserve à narrer des mythes en langue vernaculaire, la religieuse s’inscrit dans la culture locale de sa mission. Si une formation à la culture autochtone fait défaut et qu’elles ne maîtrisent pas parfaitement la langue cree, ces moments d’apprentissages spécifiques sont l’occasion pour les religieuses de cette congrégation de ne pas se positionner comme un obstacle à la culture locale. Elles favorisent ainsi un double enseignement : celui des « Blancs » et celui des autochtones. Cet aspect est fondamental pour les religieuses de cette congrégation qui se sont refusées à servir en écoles résidentielles avec pour argument de ne pas vouloir se substituer à la culture locale, mais également de la mettre en valeur90. La marge d’autonomie des religieuses isolées en missions précédemment évoquée se dévoile un peu plus.
79Autre différence notable avec les écoles résidentielles : dans ces écoles de jour les religieuses n’ont pas à jouer le rôle de mère de substitution ; en effet, les enfants rejoignent leur famille chaque soir, il n’y a pas de rôle réservé aux religieuses surveillantes. Seule la nature de l’activité d’enseignement fait référence à leur statut de femme responsable de l’éducation et de l’instruction des enfants de la société. Les religieuses dans les écoles de jour sont, comme toutes les femmes, des vecteurs privilégiés de la transmission des savoirs.
Des animatrices pastorales
80Le rôle des religieuses animatrices pastorales est lié à l’instruction religieuse. Auprès de tous, elles enseignent la religion catholique en faisant étudier la Bible et en expliquant les dogmes. Si certaines d’entre elles sont affectées dans un seul et même lieu, nombre des animatrices pastorales sont mobiles : ayant souvent à charge plusieurs villages, elles vont de place en place comme le faisaient les missionnaires des siècles précédents. Les animatrices pastorales font la catéchèse tant auprès des enfants, qu’auprès des adultes.
81L’une d’entre elles décrit son activité dans les Territoires du Nord-Ouest à la fin des années 1960 :
« On faisait des visites aux villages. Dans les dernières années, on allait beaucoup visiter à domicile, on allait beaucoup rencontrer les parents. Dans le Nord, il fallait souvent faire plusieurs milles pour rencontrer d’autres communautés91. »
82Une autre animatrice pastorale, basée au Manitoba, à Roseau River, durant six années, puis à Fisher River pendant vingt et une années, explique à son tour son activité :
« J’ai voyagé beaucoup à aller trouver des groupes dans certains settlement, comme on appelle ça, des endroits. C’étaient des petits groupes pour parler de la Bible. J’ai fait ça pendant quinze ans à peu près. J’allais dans toutes les places. Alors là, on visitait beaucoup de gens92. »
83Visites à domicile et voyages de village en village caractérisent l’activité des animatrices pastorales. Décrivant son travail avec les enfants amérindiens de Fisher River, l’animatrice pastorale précise :
« Avec les petits, les jeunes, jusqu’à treize, quatorze ans, il faut mettre beaucoup d’activités. Pour eux, rester tranquille c’est trop ! Alors par exemple, lorsqu’on parlait de Jésus en croix, je leur donnais un petit crucifix, puis ils mettaient ce petit crucifix à terre puis je leur disais “lève Jésus plus haut, lève Jésus plus haut”. Ils le levaient aussi haut qu’ils pouvaient, puis ils sautaient partout sur les bancs. Il fallait l’élever ! […] Et puis, ils aiment bien acter l’évangile. Alors ils prennent des rôles. Ils imitent quelque chose. Alors je leur disais : “toi tu peux faire ça, toi tu peux faire ça, écrivez quelque chose et puis après ça on va mettre tout ça ensemble”. Ils sont contents de faire quelque chose93. »
84C’est par le jeu que les religieuses enseignent le catholicisme aux enfants. La mise en acte de scènes de l’Évangile est une pratique commune des missionnaires auprès des jeunes Amérindiens94 et représente une activité ludique privilégiée par les animatrices pastorales.
85La catéchèse des adultes se fait sous la forme de réunions régulières, jusqu’à plusieurs fois par semaine. Ces réunions sont parfois mixtes. En 2014, dans la réserve de Saddle Lake (Alberta), les femmes catholiques de la réserve se retrouvaient les jeudis soir avec deux animatrices pastorales de la congrégation des Sisters of the Missionaries of Charity venues de la ville voisine de Saint-Paul. Aujourd’hui, l’animation pastorale reste souvent la dernière forme de présence du catholicisme en réserve amérindienne. Cette activité pastorale hebdomadaire à Saddle Lake ne s’est mise en place qu’après le départ complet des Dominicaines missionnaires adoratrices en 199495. Lors des enquêtes de terrain, il a été aisé de constater que la présence constante de prêtres ou de religieuses était désormais très rare dans les communautés autochtones. L’animation pastorale, même ponctuelle, permet à l’Église catholique de garder un lien avec ses fidèles. Les religieuses sont alors des personnels supplémentaires non négligeables qui permettent d’occuper le terrain.
86En ce début du xxie siècle, des animatrices pastorales de la congrégation des Sœurs de l’Enfant Jésus sont encore présentes dans plusieurs communautés nord-amérindiennes. Dans le nord du Manitoba, pour compenser l’absence de prêtre dans la communauté de Linn Lake, une religieuse a été nommée responsable de la pastorale et est chargée d’assurer les baptêmes, les mariages, la catéchèse, ainsi que l’administration de la paroisse96. Il s’agit de responsabilités importantes et relativement exceptionnelles pour une religieuse. Ici encore, une femme missionnaire fait office de pionnière au vu de ces nouvelles responsabilités. En Colombie-Britannique, en 2013, deux religieuses vivaient auprès de deux groupes de la nation Sto:lo au sein des réserves des Chehalis et de Seabird Island, sur la rive nord de la rivière Fraser. La congrégation des Sœurs de l’Enfant Jésus est l’une des rares congrégations féminines ayant encore des membres vivant à plein-temps au cœur de réserves autochtones. L’une d’entre elles décrit son rôle comme celui d’une animatrice pastorale, mais également comme celui d’une assistance sociale. Elle se doit d’être présente si quelqu’un a besoin de se confier ou a besoin de quelque chose en particulier97. L’animation pastorale est alors avant tout une activité de présence. Présence pour maintenir avec régularité les liens entre le catholicisme et les communautés autochtones locales, mais aussi présence d’écoute et d’attention envers les membres de ces communautés parfois très isolées. D’une certaine manière, les animatrices pastorales sont les religieuses qui sont les plus proches des autochtones. Allant de maison en maison, elles s’infiltrent au cœur des communautés. Cependant, si certaines d’entre elles assurent une présence constante dans une même communauté, elles n’en sont pas membres pour autant. Leur statut de religieuse instaure une certaine distanciation au sein même de cette proximité géographique. Par exemple, à Chehalis, la maison de la religieuse est attenante à l’église locale, elle-même légèrement excentrée du centre du village. Les animatrices pastorales sont alors en quelque sorte l’altérité située au plus proche de la communauté.
87En tant qu’animatrices pastorales, les religieuses jouent un rôle important. Si elles demeurent auxiliaires, elles n’en sont pas moins indispensables. Tout comme l’activité d’enseignante, les animatrices pastorales sont, par leur nature féminine, les plus à même d’instruire les enfants et les femmes des communautés amérindiennes. Et, rappelons-le, le féminin est le vecteur privilégié de la diffusion, mais aussi de la réception des savoirs. Les religieuses sont alors en mesure de transmettre les enseignements catholiques aux femmes des communautés qui elles-mêmes seront les plus aptes, selon la pensée occidentale évoquée plus haut, à les transmettre en retour au sein de leurs familles et de leur communauté.
Des religieuses infirmières
88L’attention portée à autrui trouve son expression la plus concrète dans les activités de soin à la personne et donc dans celles des infirmières. Les missionnaires infirmières ne sont pas plus formées à la culture locale des lieux où elles sont envoyées en mission que les autres religieuses, mais pour prendre en charge les soins médicaux, les infirmières suivent une formation conséquente les préparant à leur fonction. Une religieuse infirmière ayant exercé durant dix-neuf ans dans les Territoires du Nord-Ouest, de 1971 à 1990, décrit sa formation et ses expériences avant d’arriver en mission autochtone :
« Alors ils m’ont demandé [pour aller en mission dans le Nord], j’avais donné mon nom ça faisait déjà quelques années. Ils m’ont demandé parce que j’avais la formation, le baccalauréat et puis parce que j’avais déjà assez étudié l’anglais. Avant de m’en aller dans le Nord, j’ai travaillé chez les Sœurs Chroniques durant quelques mois. Ensuite je suis allée à Maisonneuve, un hôpital où j’avais fait mon entraînement. J’ai étudié pendant deux ans après le cours de base. Ensuite, je suis allée travailler six ans à l’Institut de cardiologie qui ouvrait à ce moment-là98. »
89D’après le discours de cette religieuse, c’est son expérience préalable qui lui a permis d’être envoyée en mission dans le Nord canadien. Son souhait de mission était affirmé : « j’avais donné mon nom », mais la préparation et l’expérience ont été déterminantes dans la temporalité de son départ, en 1971. Contrairement aux nombreuses religieuses précédemment citées, enseignantes et animatrices pastorales parties en mission très peu de temps après leurs vœux, avec une formation minime et sans expérience, les missionnaires infirmières ne sont envoyées auprès des communautés autochtones qu’après avoir fait leurs preuves et acquis une solide connaissance de leur activité. Cette expérience nécessaire doit être évaluée au regard de la situation sanitaire dans ces régions isolées.
90La présence de religieuses infirmières est indispensable dans le Grand Nord canadien ravagé par les épidémies de tuberculose. Dans chaque mission, des religieuses infirmières employées par le gouvernement fédéral sont présentes pour assurer les soins médicaux aux populations autochtones. Les activités quotidiennes des infirmières missionnaires, diplômées ou spécialisées en « hygiène sociale99 », consistent non seulement en traitements contre la tuberculose, mais aussi à faire de la prévention, à veiller à l’immunisation des nouveaux-nés, l’administration des vaccins, le suivi des femmes enceintes et les cours prénataux, etc. Souvent seules, en l’absence de personnel médical, les religieuses doivent faire face aux urgences et veiller aux soins et traitements quotidiens. Les soins proposés par les religieuses infirmières en mission sont administrés sous deux formes : soit dans une structure de type hôpital local, soit en visite à domicile.
91La religieuses infirmière susmentionnée qui a passé une année à l’hôpital d’Inuvik (Territoires du Nord-Ouest) définit son activité en termes d’horaire et de ratio :
« J’étais à la clinique de 8 h du matin à 7 h le soir et je devais avoir cent cinquante cas100. »
92Dans un second lieu de mission, à Fort Rae, également situé dans l’extrême nord-ouest du Canada où elle avait auparavant passé dix-huit ans, le rythme était différent :
« On travaillait douze heures, pendant quatre jours. Ensuite on avait trois jours ou quatre jours, je me souviens plus. Je me suis ennuyée à mourir là101. »
93La solitude évoquée plus haut revient dans le discours de cette religieuse. Le rythme imposant plusieurs jours de repos laisse les religieuses confrontées à l’isolement lié à l’environnement de leur mission. Sans charge de travail constante confortant la raison de leur présence, les religieuses ne s’épanouissent pas et « s’ennuient » dans ce contexte de missions isolées.
94À Fort Rae, cette même missionnaire infirmière fut également responsable des soins donnés en itinérance dans la région :
« Où j’étais, on allait visiter trois villages dans le bois. […] Il y avait un endroit dont j’étais chargée et j’allais là pendant six, sept ans. J’y allais tous les dix jours et je restais deux jours à peu près. Et c’était en avion tout ça. De temps en temps, on allait dans d’autres petits villages, mais c’était plus souvent une autre infirmière qui allait là. On était deux, trois infirmières102. »
95Le petit groupe de religieuses se répartit les villages environnants de la région, satellites de la mission principale. Lors de ces visites des villages, elles sont chargées de faire la tournée des maisons. Parfois, une centaine de maisons sont visitées chaque jour afin de veiller à ce que les personnes atteintes de tuberculose prennent leur traitement sous les yeux de la religieuse, seule façon pour elle de s’assurer que le traitement est bien suivi et qu’il sera efficace103. En effet, il semblerait que, pour les autochtones, il soit difficilement compréhensible de devoir suivre un traitement sur plusieurs jours ou plusieurs semaines. Ils avaient, en effet, tendance à arrêter le traitement dès les premiers signes d’amélioration de leur santé ou bien si les médicaments n’avaient pas d’effets immédiats104. Les tournées quotidiennes des religieuses infirmières étaient alors nécessaires pour le bon déroulement du traitement.
96Pour faire face aux distances et à la présence irrégulière des missionnaires dans les villages satellites, les infirmières forment au niveau local des femmes amérindiennes qui vont être amenées à promulguer les premiers soins et à donner les médicaments. Ainsi, depuis Fort Smith (Territoires du Nord-Ouest), dans les années soixante, une religieuse infirmière prit l’initiative de mettre en place une « armoire à carreaux » dans chacun des villages dont elle avait la charge et qu’elle ne pouvait pas visiter régulièrement105. Chaque ligne correspondait à un chiffre et chaque colonne à une lettre. Par radiotéléphone, son auxiliaire autochtone pouvait l’informer des symptômes d’un malade et la religieuse indiquait l’emplacement du médicament dans l’armoire alors annotée, ainsi que la posologie. Cette initiative personnelle s’est avérée être un succès et a été reprise par nombre de ses compagnes actives dans le Grand Nord. La formation de femmes autochtones ne se faisait pas uniquement dans les lieux les plus reculés. Dans la ville de Fort Smith, qui commence à se développer dans les années 1970, un centre médical a été ouvert et du personnel médical supplémentaire s’est avéré indispensable pour seconder les religieuses infirmières. La religieuse infirmière précédemment évoquée a formé plusieurs Amérindiennes au travail d’infirmière, de garde-malade, de secrétaire médicale ou encore de manipulatrice en radiologie.
97Ces micro-communautés de religieuses infirmières isolées doivent de fait s’adapter et composer avec le monde autochtone qui les entoure, sans pour autant y être préparées. Ce manque se constate immédiatement lorsqu’elles sont confrontées à la présence d’une médecine autochtone. Les religieuses infirmières ont dû s’adapter à des communautés qui disposaient déjà de leur propre médecine pratiquée par des medicine men et des medicine women, communément appelés chamanes. Il sera intéressant de revenir sur la particularité du chamanisme en Amérique du Nord et sur les considérations des religieuses au sujet de ces croyances autochtones, mais il est bon de noter d’ores et déjà l’expérience de cette confrontation. La religieuse infirmière ayant passé quarante-six années dans les Territoires du Nord-Ouest entre 1950 et 1996 décrit sa relation avec un medicine man local :
« Je respectais beaucoup la médecine traditionnelle et puis il y avait le chamane, le guérisseur. C’était un homme âgé. Il guérissait les gens, il était très respecté des populations. Moi j’allais le voir surtout pour les cas psychiatriques un peu. […] Des fois, j’avais quelques hommes très difficiles alors j’allais le chercher, puis je lui disais “occupe-t’en”. […] Nous, dans notre culture il faut aller vite. Alors que pour l’Indien que ça prenne cinq heures ou cinq minutes, ils vont être très patients. Et lui était très patient et il avait le temps de faire. Parce que comme garde-malade on n’a pas le temps de passer des heures et des heures. Alors je m’arrangeais très bien avec lui. […] C’était de travailler ensemble qui aidait. Une fois, il était dans le bois et puis il s’était coupé, alors il a pris la gomme d’un arbre et la plaie s’était infectée. Alors je comprends que ça peut être bon des fois la gomme, je n’ai rien contre. Mais pas sur une plaie vive. Alors on fait comprendre que pour reprendre des forces on faisait comme nos mères avec des tisanes de toute sorte. C’est bien et il ne faut pas toujours le condamner. Tu sais, dire “ça ne vaut rien ça” non. Il faut dire c’est bien, pour des cas c’est très bon, mais pour le moment c’est mieux de prendre ça et puis jeter ça. Il fallait les respecter106. »
98Une autre religieuse infirmière raconte également son expérience avec le medicine man de la communauté Fort Rae (Territoires du Nord-Ouest) où elle était en mission entre 1971 et 1989 :
« Une fois je suis allée avec la mère dans un village […]. Un jeune homme vient me chercher, “grand-maman Adèle, elle est malade. Ça fait deux jours qu’elle n’est pas capable de manger” […]. J’y suis allée. La madame était toute en transpiration, sa belle-fille avait remarqué qu’elle prenait du thé, mais qu’elle le rendait. C’était un drôle de vomissement. Elle n’avait pas de douleurs particulières. Moi je pensais que surtout les personnes âgées coupent leur viande avec un couteau et mangent de gros morceaux et des fois quand t’es plus vieux il y a un endroit si tu manges un gros morceau ça te donne un spasme […] Alors je lui ai donné un médicament. Quand je suis sortie, le petit-fils dit “vous savez ma Sœur, je pense bien que ce n’est pas ça. Le problème, c’est qu’il y a deux jours, on est allé à la chasse, on est allé à la pêche, on a tué un ours et on a mangé de l’ours. Et grand-maman Adèle pense que le poisson qu’elle a mangé a touché à la viande d’ours”. Mais s’il ne me l’avait pas dit, j’aurais fait des pieds et des mains ! Alors je me suis dit, si c’est comme ça, il va falloir aller voir le medicine man. Le bon medicine man, il n’est pas dans le village. Il est parti à Yellowknife. Il y en a un autre, mais il fait des mauvais sorts, c’est le vieux Rouny. Ça, je me souviens, il n’avait pas une bonne réputation Monsieur Rouny. […] Alors on a décidé d’attendre le lendemain matin, de faire venir l’avion et de l’évacuer. Et puis peut-être qu’elle va trouver son medicine man à Yellowknife. Mais elle ne voulait pas s’en aller. Elle ne voulait pas s’en aller à la capitale, prendre l’avion et laisser son petit village. Alors ils se sont décidés à aller voir le vieux Rouny. Ils l’ont payé et puis il lui a fait des “caracarabolopatsi” et puis elle était correcte le lendemain matin. Et il fallait… il faut y croire. […] Dans ce groupe-là, c’était tabou de toucher aux ours. L’ours a une très bonne peau, c’est une très bonne viande. Mais c’était tabou d’y toucher. Alors l’esprit se… alors c’est pour ça qu’elle avait mal au foie, parce qu’elle avait mangé du foie d’ours. Comprenez-vous l’affaire107 ? »
99L’adaptation des religieuses à la culture locale fera l’objet d’un chapitre ultérieur, mais grâce à ces témoignages il est déjà possible d’avancer l’argument selon lequel l’interaction individuelle est fondamentale dans cette confrontation culturelle. Cette interaction place inévitablement les religieuses dans une situation de confrontation qui nécessite pour elles d’entrer activement dans un processus de reconnaissance de l’altérité108.
100Si les religieuses, par leurs vœux de profession, se retirent du monde commun, les missionnaires s’y retrouvent pleinement confrontées par l’interaction avec l’altérité culturelle. Bien qu’elles forment une micro-communauté à part entière dans leur lieu de mission qui s’apparente à une nouvelle forme de cloître, elles sont tout de même au contact de l’altérité autochtone et y trouvent quelques marges d’autonomie. Elles se retrouvent alors prises en étau entre la figure classique de la religieuse (catégorie sociale aux règles de vies strictement définies qui s’appliquent autant que possible dans le contexte des missions) et le monde commun, en l’occurrence le monde nord-amérindien, avec lequel elles doivent composer quotidiennement en mission. C’est dans leur offre de service à autrui que les religieuses se définissent. Ainsi, la mission en territoire autochtone semble être une parfaite illustration de cette identité. C’est en se faisant mères de tous et en s’adonnant à leurs activités de services que les religieuses s’accomplissent. Comme tout don, le don de soi dans le service rendu nécessite un vis-à-vis. La capacité des religieuses missionnaires à se donner au service de l’autre implique l’échange ou plus précisément l’établissement d’un lien entre elles et l’autre. À partir de cette capacité à établir un lien, une relation de vis-à-vis dans le contexte des missions, il semble possible d’analyser l’identité des religieuses comme le ferait « l’anthropologie de Ricœur, qui place en son centre la puissance d’agir, lie le sort de la “reconnaissance de soi-même en termes d’identité personnelle” à un certain nombre de capacités dont celle de se reconnaître comme l’auteur de ses propres actions (imputabilité) et celle de se raconter109 ». C’est en établissant une reconnaissance mutuelle avec l’autre dans un processus d’interaction qui lui-même se caractérise par l’adaptation, que les religieuses agissent dans le contexte des missions et livrent le récit de leur vie.
101Les activités des religieuses en mission confortent donc l’image de la femme occidentale développée par la « théorie du care » : elles prennent soin d’autrui. L’apostolat direct se réalise uniquement dans le cadre de l’activité d’animatrice pastorale où le catéchisme est enseigné à tous, qui représente la seule activité précédemment évoquée qui ne soit pas financée par le gouvernement fédéral. Pour les autres activités, c’est par le truchement de l’institutionnalisation gouvernementale de ces régions que le catholicisme s’infiltre dans une grande majorité des communautés autochtones souvent situées dans des territoires reculés, permettant ainsi de conserver une large présence sur le territoire. Le féminin, représenté par les femmes missionnaires et leurs activités, est sans aucun doute en ce contexte un outil indispensable à l’évangélisation des autochtones canadiens.
Notes de bas de page
1 Laurin Nicole, Juteau Danielle et Duchesne Lorraine, À la recherche d’un monde oublié. Les communautés religieuses de femmes au Québec de 1900 à 1970, Montréal, Éditions Le Jour, 1991, p. 301, 317-326. Si les données suivantes correspondent au Québec du xxe siècle, n’oublions pas que la majorité des religieuses rencontrées lors de nos études de terrains dans l’Ouest sont d’origine québécoise francophone et que la plupart des congrégations ont été fondées au Québec, voire en France. Les données susmentionnées nous donnent alors un indicateur fiable pour décrire les tendances concernant les origines sociales des religieuses, au Canada, à cette période.
2 Ibid., p. 325.
3 Arnold Odile, Le corps et l’âme. La vie des religieuses au xixe siècle, Paris, Le Seuil, 1984, p. 82.
4 Laurin Nicole, Juteau Danielle et Duchesne Lorraine, op. cit., p. 366-367.
5 Ibid., p. 257.
6 Données issues des ASEJ, dossier 9-E : sœurs de l’Enfant Jésus (du Puy), Missionnaires au Canada.
7 Les conditions et étapes pour rejoindre une congrégation féminine sont inscrites dans les Constitutions des congrégations. Les règles et constitutions informent quant aux buts, usages et esprits de la congrégation. Nous utilisons ici principalement la réédition de la Constitution de la Congrégation des Sœurs de l’Enfant Jésus du Puy de 1925 (ASCJ, dossier 207), ainsi que Règle et Constitutions des Filles de Notre-Dame des Missions de 1937 (ASOLM, dossier B01-02 : 10) ; complétées par l’entrée « Religieux et religieuses » du Dictionnaire de Théologie Catholique (Vacant Alfred, Mangenot Eugène et Amann Émile [dir.], Dictionnaire de Théologie Catholique, Paris, Librairie Letouzey et Ané, 1899-1950).
8 ASOLM, Dossier B01-02 : 10 : Règle et Constitutions des Filles de Notre-Dame des Missions de 1937, p. 55.
9 Ibid., p. 57.
10 Archives of Sisters of the Child Jesus, Coquitlam (Colombie-Britannique) dossier 207 : Constitution de la Congrégation des Sœurs de l’Enfant Jésus du Puy de 1925, p. 11.
11 Lors de la cérémonie de profession des vœux annuels sont prononcés, ils seront renouvelés annuellement durant trois années. Ensuite des vœux de trois ans seront formulés. Enfin, les vœux perpétuels viennent inscrire définitivement la professe dans sa vie de religieuse.
12 Laurin Nicole, Juteau Danielle et Duchesne Lorraine, op. cit., p. 245 et 260.
13 Ibid., p. 242.
14 Ibid., p. 242, voir également p. 245 ; 257-267.
15 Duchesne Lorraine et Laurin Nicole, « Les trajectoires professionnelles des religieuses au Québec de 1922 à 1971 », Population, no 50, 1995/2, p. 385-413.
16 Laurin Nicole, Juteau Danielle et Duchesne Lorraine, op. cit., p. 311.
17 ASOLM, Dossier B03-02 : De l’esprit de la congrégation.
18 Langlois Claude, Le catholicisme au féminin. Les congrégations françaises à supérieure générale au xixe siècle, Paris, Le Cerf, 1984 ; Langlois Claude, « “Toujours plus pratiquantes”. La permanence du dimorphisme sexuel dans le catholicisme français contemporain », Clio. Histoire‚ femmes et sociétés, no 2, 1995, p. 229-260. De plus, les entretiens réalisés avec plusieurs religieuses ayant travaillé auprès de communautés amérindiennes révèlent ce même fait : les femmes amérindiennes sont généralement plus pratiquantes, « la femme exprime plus » (S. Cécile, sgm., entretien réalisé le 13 juin 2013 à Montréal).
19 Voir à ce sujet Greer Allan, « Colonial Saints: gender, race and hagiography in New France », The William and Mary Quarterly, no 57, 2000/2, p. 323-348.
20 Bourdieu Pierre, 1997, cité dans Lizé Wenceslas, « Reconnaissance, sociologie », Encyclopædia Universalis [en ligne].
21 Hudon Christine, « Des dames chrétiennes. La spiritualité des catholiques québécoises au xixe », Revue d’histoire de l’Amérique française, no 49, 1995/2, p. 169-194.
22 Publiées entre 1823 et 1974, les Annales de la Propagation de la Foi sont constituées de lettres envoyées par les évêques et missionnaires des quatre coins du monde pour faire état de leurs activités dans les différentes missions.
23 Ici, la Propagande n’est pas à confondre avec la Propagande de la foi. Cette dernière, directement rattachée à la première, a été établie à Lyon en 1821.
24 Nédoncelle Maurice, Les Leçons spirituelles du xixe siècle, Paris, Éditions Bloud et Gay, 1936, p. 208.
25 Curtis Sarah A. et Chifflot Dorothée, « À la découverte de la femme missionnaire », Histoire, monde et cultures religieuses, Karthala, no 16, 2010/4, p. 5-18.
26 Vacant Alfred, Mangenot Eugène et Amann Émile (dir.), op. cit., vol. 10, p. 1865-1866.
27 Duchaussois Pierre, omi., Femmes héroïques : les sœurs grises canadiennes aux glaces polaires, Paris, Éditions SPES, 1927.
28 Ferland Angers Albertine, Les premières canadiennes missionnaires, Montréal, Imprimerie de l’Hôpital général des Sœurs Grises de Montréal, 1937.
29 Ferland Sr. Léonie, sgm., Sentinelles du Christ, Les sœurs Grises de Montréal à la Baie d’Hudson, Montréal, Imprimerie de l’Hôpital général des Sœurs Grises de Montréal, 1944.
30 Ferland Sr. Léonie, sgm., Un voyage au cercle polaire, Montréal, Imprimerie de l’Hôpital général des Sœurs Grises de Montréal, 1937.
31 Hudon Christine, op. cit.
32 Vacant Alfred, Mangenot Eugène et Amann Émile (dir.), op. cit., vol. 10, entrée « Missions », p. 1865.
33 ASGM, dossier L032 Fort Chipewyan – Couvent Sainte-Ange : A.1-05, compte rendu de la réunion des Pères Oblats du district Alberta-Saskatchewan, tenue à la Misson de la Nativité – Fort Chipewyan, Alberta, les 24-25 novembre 1970.
34 Nation autochtone dont le territoire se situe dans la partie nord du bassin du Mississippi.
35 Ekberg Carl J., et Pregaldin Anton. J., « Marie Rouensa and the origins of French Illinois », Journal of the Illinois State Historical Society, no 84, 1991/3, p. 140-160.
36 Havard Gilles, Empire et Métissages : Indiens et Français Dans Le Pays D’en Haut, 1660-1715, Sillery/Paris, Septentrion/Presses de l’Université Paris-Sorbonne, 2003, p. 661.
37 Curtis Sarah A. et Chifflot Dorothée, op. cit.
38 ASCJ, Journal de Sœur Félicien, 1899.
39 Voyé Liliane, « Femmes et Église Catholique. Une histoire de contradictions et d’ambiguïtés. » Archives des sciences sociales des religions, no 95, 1996, p. 11-28.
40 Vacant Alfred, Mangenot Eugène et Amann Émile (dir.), op. cit., vol. 10, entrée « Missions », p. 1878.
41 Ibid., p. 1893.
42 Ibid., p. 1894.
43 Le nouveau modèle d’organisation des congrégations féminines dominant au xixe siècle, dit « à supérieures générales », permet aux communautés de religieuses séculières de s’affranchir de l’enfermement conventuel et donc de travailler auprès des populations. Les congrégations féminines présentes dans l’Ouest canadien au xixe et xxe siècle sont des congrégations à supérieures générales, c’est-à-dire des congrégations qui possèdent plusieurs maisons (succursales) dans différentes régions géographiques et qui sont toutes regroupées entre elles par l’administration de la Maison mère où siège la supérieure générale. Ceci les distingue des communautés autonomes où l’enfermement conventuel est la condition nécessaire à la reconnaissance du statut de religieuses. Le modèle des congrégations à supérieure générale, dominant depuis le xixe siècle, permet une vie de religieuse active, hors du cloître, auprès des populations. En France, suite à la Révolution, durant la période du Consulat et de l’Empire, seules les congrégations actives dédiées aux activités éducatives, de soin et de charité étaient autorisées. Les congrégations contemplatives n’avaient plus de légitimité. Si ceci ne concerne que la France, l’essor généralisé des congrégations actives au xixe siècle peut y trouver une explication. Le vieux continent, et la France particulièrement, ayant une grande influence sur les congrégations religieuses canadiennes, il n’est pas étonnant de remarquer que les religieuses missionnaires reproduisent auprès des populations autochtones nord-américaines les fonctions qu’elles ont eues de tout temps : elles enseignent, instruisent et soignent les populations locales. Voir Langlois Claude, Le catholicisme au féminin. Les congrégations françaises à supérieure générale au xixe siècle, op. cit.
44 ASGM, fond L022 Blue Quills residential school, A.3-01 Contrats avec les Pères Oblats.
45 ASSA, série 55 : St May’s Mission Convent and Indian Residential School 1869-1984.
46 Tronto Joan, Un monde vulnérable, pour une politique du care, Paris, La Découverte, 2009, p. 143.
47 Gilligan Carol, Une voix différente. Pour une éthique du care, Paris, Flammarion, 2008, p. 36.
48 Molinier Pascale, « Au-delà de la féminité et du maternel, le travail du care », L’Esprit du temps – « Champ psy », no 58, 2010, p. 161-174, p. 162.
49 Voyé Liliane, op. cit.
50 Message du pape Paul VI aux femmes, mercredi 8 décembre 1965.
51 Ibid.
52 Ibid.
53 Perfectae Caritate, Décret sur la rénovation et l’adaptation de la vie religieuse, 17, concile Vatican II, le 28 octobre 1965, Rome.
54 Ibid.
55 Voir particulièrement Ad Gentes, Décret sur l’activité missionnaire de l’Église, chap. 3. 22, concile Vatican II, le 7 décembre 1965, Rome.
56 S. Agnès, sgm., entretien réalisé le 13 juin 2013, Montréal (Québec).
57 S. Cécile, sgm., entretien réalisé le 13 juin 2013, Montréal (Québec).
58 S. Germaine, mo., entretien réalisé le 3 juillet 2013, Winnipeg (Manitoba).
59 S. Mary Finn, sej., entretien réalisé le 8 juillet 2013, Coquitlam (Colombie-Britannique).
60 Aristide Briand, ministre des Affaires étrangères emploie cette terminologie dans un discours : « Les Dames de l’Enfant Jésus du Puy qui éduquent en Colombie-Britannique les petits enfants de race rouge. Elle compte sans doute dans ses rangs des dames irlandaises, anglo- et franco-canadiennes, mais elle a toujours été fidèle à l’esprit Français et elle s’est toujours employée à le faire aimer. » Discours prononcé en mars 1929 à la Chambre des députés pour la reconnaissance, par le gouvernement français, de la Congrégation comme missionnaires. ASCJ, dossier 55 : History of the Sisters of the Child Jesus.
61 S. Marie-Anne, mo., entretien réalisé le 2 juillet 2013, Winnipeg (Manitoba).
62 Au sujet de l’assimilation des populations autochtones au Canada, voir le chapitre iii.
63 S. Agnès, sgm., entretien réalisé le 13 juin 2013, Montréal (Québec).
64 S. Juliette, sgm., entretien réalisé le 12 juin 2013, Montréal (Québec).
65 S. Cécile, sgm., entretien réalisé le 13 juin 2013, Montréal (Québec).
66 Ce sera l’occasion de revenir sur cette « école indienne », à cette période école-résidentielle, au chapitre v.
67 S. Aurore, op-dma., entretien réalisé le 18 juin 2013, Beauport (Québec).
68 Le Roy Alexandre, « Le rôle scientifique des missionnaires », Anthropos, no 1, 1906/1, p. 3-10.
69 Ibid., p. 9.
70 S. Agnès, sgm., entretien réalisé le 13 juin 2013, Montréal (Québec).
71 Ibid.
72 S. Agnès, sgm., entretien réalisé le 13 juin 2013, Montréal (Québec).
73 S. Juliette, sgm., entretien réalisé le 12 juin 2013, Montréal (Quebec).
74 S. Agnès, sgm., entretien réalisé le 13 juin 2013, Montréal (Québec).
75 S. Juliette, sgm., entretien réalisé le 12 juin 2013, Montréal (Québec).
76 S. Cécile, sgm., entretien réalisé le 13 juin 2013, Montréal (Québec).
77 S. Marie-Anne, mo., entretien réalisé le 2 juillet 2013, Winnipeg (Manitoba).
78 Si la présente recherche s’inscrit dans le cadre du catholicisme, notons que de nombreuses écoles d’autres confessions, anglicane et méthodiste entre autres, ont été également mises en place pour l’éducation des Amérindiens.
79 Dans les archives des Sœurs Grises de Montréal (Montréal, QC), les fonds de chaque école résidentielle comprennent des contrats signés avec les oblats de Marie Immaculée. Ceux-ci sont régulièrement renouvelés. Ces contrats se retrouvent également dans les archives des Sœurs de Sainte-Anne (Victoria, BC).
80 ASGM, fond L022 Blue Quills residential school, A.3-01 Contrats avec les Pères Oblats.
81 La question de la propreté des Amérindiens a toujours été, depuis le xviie siècle, une grande préoccupation pour les missionnaires. La société occidentale, figée dans la dichotomie du propre et du sale, du pur et de l’impur, a reporté cette préoccupation auprès des Amérindiens. Ceux-ci avaient l’habitude de s’enduire le corps de graisse animale pour protéger leur peau du soleil et des moustiques. Ce mode d’hygiène, dégageant alors une forte odeur et rendant la peau grasse, était intolérable pour les missionnaires qui s’empressaient de laver les jeunes amérindiens dès leur arrivée à l’école. Voir entre autres pour le xviie siècle, Oury Guy-Marie, Marie de l’Incarnation (1599-1672), Québec, Presses de l’université Laval, 1973, p. 346.
82 S. Marie-Anne, mo., entretien réalisé le 2 juillet 2013, Winnipeg (Manitoba).
83 Ibid.
84 Ibid.
85 S. Cécile, sgm., entretien réalisé le 13 juin 2013, Montréal (Québec).
86 Ibid.
87 Ibid.
88 Leforestier Charlotte, L’assimilation des Indiens d’Amérique du Nord par l’éducation : une étude comparative, thèse de doctorat, université de Bordeaux III, 2012.
89 S. Aurore, op-dma., entretien réalisé le 18 juin 2013, Beauport (Québec).
90 Ibid.
91 S. Cécile, sgm., entretien réalisé le 13 juin 2013, Montréal (Québec).
92 S. Archange, mo., entretien réalisé le 3 juillet 2013, Winnipeg (Manitoba).
93 Ibid.
94 L’idée d’imiter, de faire acter des scènes de l’évangile par les autochtones n’est pas nouvelle. Dans les archives des Sœurs de Sainte-Anne à Victoria (Colombie-Britannique) Les Chroniques, rédigées par S. M. Lumena (1868-1892) au sujet de la mission Sainte-Marie, indiquent qu’en 1885 « Elles [les élèves amérindiennes] ont joué des pièces et fait des tableaux vivants » à l’occasion d’une visite des Sœurs de New Westminster (Colombie-Britannique). Voir également au sujet du mimétisme durant la période de la Nouvelle-France, Havard Gilles, « Le rire des jésuites. Une archéologie du mimétisme dans la rencontre franco-amérindienne (xviie-xviiie siècle) », Annales HSS, no 3, mai-juin 2007, p. 539-573.
95 Jusqu’en 1990, les Dominicaines missionnaires adoratrices vivaient dans la réserve et s’occupaient, entre autres, de l’école de jour. Ensuite elles y venaient plusieurs fois par semaine faire l’animation pastorale. Les religieuses Sisters of the Missionaries of Charity ont pris le relais lors de leur retrait définitif de cette réserve en 1994.
96 S. Mary, sej., entretien réalisé le 8 juillet 2013, Coquitlam (Colombie-Britannique).
97 S. Ethel, sej., entretien réalisé le 12 juillet 2013, Chehalis (Colombie-Britannique).
98 S. Juliette, sgm., entretien réalisé le 12 juin 2013, Montréal (Québec).
99 S. Agnès, sgm., entretien réalisé le 13 juin 2013, Montréal (Québec).
100 S. Juliette, sgm., entretien réalisé le 12 juin 2013 à Montréal (Québec).
101 Ibid.
102 Ibid.
103 Depuis les années 1950, le traitement de la tuberculose nécessite une prise quotidienne d’antibiotiques. Les antibiotiques remplaçant les cures « hygiénodiététiques » et la chirurgie collapsothérapique proposées auparavant.
104 S. Agnès, sgm., entretien réalisé le 13 juin 2013, Montréal (Québec).
105 Ibid.
106 S. Agnès, sgm., entretien réalisé le 13 juin 2013, Montréal (Québec).
107 S. Juliette, sgm., entretien réalisé le 12 juin 2013, Montréal (Québec).
108 Ricœur Paul, Parcours de la reconnaissance, Paris, Stock, 2004.
109 Lamouche Fabien, « Paul Ricœur et les « clairières » de la reconnaissance », Esprit, no 7, 2008, p. 76-87, p. 79.
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