Clowns sans frontières Plus d’enfants sans sourires
p. 109-116
Texte intégral
1Mon propos sera quelque peu différent de celui de nombreux intervenants à ce colloque. En effet, je ne me propose pas de faire une analyse approfondie d’un sujet en particulier qu’il soit littéraire ou non. Je désire vous parler du clown en tant qu’être humain, en tant que personnage humanitaire. Rire ou dérision ? Le clown peut-il être, peut-il faire de l’humanitaire ?
2Je pense que pour chacun de nous l’image du clown est plus ou moins associée au cirque, à l’enfance et au rêve. Nous sommes déjà tous allés au cirque, nous avons tous ri aux maladresses du clown qui était d’une gaucherie telle que nous ne nous l’expliquions pas. Vêtu d’un costume bigarré, de bretelles, de chaussures trop grandes, d’un chapeau trop petit et surtout d’un nez rouge, il essaie de faire bien, mais il n’y arrive jamais. Quand il veut aider le clown blanc, son ami, il ne lui arrive que des malheurs. Il mime. Il chute. Il reçoit des gifles. Il est arrosé. Parfois, il joue d’un instrument de musique. Nous avons tous le souvenir d’une soirée au cirque. Il y avait les magiciens, les jongleurs, les dompteurs, les trapézistes, les écuyères, bien d’autres artistes et les clowns. En sortant, de qui se souvient-on le plus ? Quel artiste a laissé la plus forte impression dans notre souvenir d’enfant ? De qui parle-t-on ? Du clown, bien sûr ! Même s’il est maladroit, même s’il fait des gaffes, même s’il ne lui arrive que des malheurs, il y a de la magie en lui, une magie qui tient à sa simplicité. Pour l’artiste, la plus belle récompense, c’est le rire des enfants, la lumière qui brille au fond de leurs yeux. Être clown est un art, un métier difficile. Il n’est pas facile de faire le clown.
3Mais avant d’être clown, il est d’abord un homme, un être humain. Les clowns sont souvent des êtres sensibles. Ils s’intéressent aux autres et à leurs malheurs. Je voudrais ici rappeler à votre souvenir le travail de Howard Buten auprès des enfants autistiques, que le père du Téléthon (aux États-Unis, bien avant qu’il n’arrive en France) c’est Jerry Lewis, que l’association « Nez Rouges » en Belgique se déplace dans les hôpitaux pour enfants. Le travail de ces derniers se fait dans des pays en paix, des pays libres, des pays où il peut sembler facile d’aider les autres, des pays où les conditions de vie sont agréables et où aider est perçu de manière autre que dans un pays en guerre, un pays où la liberté d’actions et d’expression est bafouée ou encore dans un pays du Tiers-Monde. Même si le travail qu’ils accomplissent n’est pas considéré comme humanitaire – de part les lieux où il s’exerce –, c’est un travail extrêmement important. Le 9 décembre 1994, Howard Buten participait à l’émission « Faut Pas Rêver » sur France 3. Au journaliste qui l’interrogeait et lui demandait pourquoi il faisait tout cela. Il a répondu : « Pour consoler ! ». Les clowns consolent-ils ou sont-ils consolés ?
4Il y a quelques six mois, j’ai découvert une association toute jeune puisqu’elle a été fondée en janvier 1994. Il s’agit de « Clowns sans Frontières ». « Sans Frontières », cela m’intriguait. Il y a déjà tant d’associations à travers le monde qui se disent sans frontières. Elles ont toutes des buts humanitaires. Que pouvait donc offrir « Clowns sans Frontières » ? Peut-on être clown et en même temps faire de l’humanitaire ? N’est-ce pas de la dérision ? N’est-ce pas se moquer des gens que de dire qu’il est possible à la fois de faire le clown, de faire rire et de mener des actions humanitaires ? Rire et dérision ? Rire ou dérision ? Ma curiosité fut telle que je suis entrée en contact avec eux. Je suis allée à Paris pour les rencontrer. J’ai ainsi pu discuter, découvrir leur travail, le travail de ces clowns qui se disent sans frontières. J’ai été bien reçue. J’ai vu un film qu’ils avaient tourné. Ils m’ont montré des photos. J’ai été charmée, je dois le reconnaître. C’est de cette association dont je souhaite vous parler.
5Je n’ai nullement l’intention de faire leur promotion, ni de vous faire adhérer, devenir membre. Ce n’est là ni mon rôle, ni mon propos. Il m’intéresse de m’interroger sur leur action, leur but, la mission qu’ils se sont donnée, la manière dont ils travaillent. La jeunesse de cette association (onze mois) ne me permettra pas de faire de longs discours, ni d’entrer dans tous les détails d’une telle aventure. Mais elle me permet aujourd’hui de soulever quelques questions : est-ce se moquer des gens que d’aller faire le clown et de présenter un spectacle dans des camps de réfugiés en ex-Yougoslavie, en Algérie ou dans les banlieues difficiles de notre hexagone ? Le clown est-il un personnage humanitaire ? A-t-il sa place aux côtés de « Médecins sans Frontières », de « Pharmaciens sans Frontières », de la Croix Rouge Internationale, du Haut Comité aux réfugiés (HRC) ou de la FORPRONU ? A-t-on le droit de faire le clown, a-t-on le droit de rire aux côtés de ces autres associations dont le rôle est d’apporter soins et médicaments, nourriture et vêtements, mais aussi de maintenir la paix ? Peut-on faire le clown dans des endroits où les gens survivent au lieu de vivre ? Là où l’on meurt de faim et de froid ? Là où l’on s’entre-tue ? Là où la liberté d’expression est menacée ? Là, dans nos banlieues, où les jeunes n’ont plus d’espoir ? Que peuvent apporter les « Clowns sans Frontières » à ces gens qui aspirent à une vie normale, à une vie libre et décente ; à ces gens qui ont besoin d’un minimum pour se loger, se vêtir, se soigner, se nourrir ; à ces gens, ces artistes en Algérie, par exemple, qui ne peuvent plus s’exprimer librement ?
6Avant d’essayer de répondre aux questions que je soulève, il me faut commencer par vous présenter l’association. Qui sont ses membres ? Comment est-elle née ? Quels buts s’est-elle fixés ? Comment travaille-t-elle ?
7Il n’est, je pense (et là je me répète), un secret pour personne que les clowns sont des êtres sensibles, des êtres qui s’intéressent au sort des autres, surtout si ces derniers sont dans la détresse et/ou le malheur. Mais ils ne sont ni médecins, ni infirmières, ni pharmaciens et ne se déplacent pas avec des armes. La naissance d’une association telle que « Clowns sans Frontières » en est une preuve, preuve que le clown n’est pas indifférent au monde dans lequel il vit. Son désir d’aider, de soulager, s’exprimera avec des moyens, des actions bien différents de ceux que possèdent d’autres associations. C’est au clown Tortell Poltrona qu’en revient la paternité. En janvier 1993, il fonde « Clowns sense Fronteres » à Barcelone. Pendant un an il commence à travailler et mène diverses actions. Il lui est vite paru indispensable qu’il fallait étendre son action et encourager la fondation d’organisations identiques dans d’autres pays.
8L’association française est née de la rencontre entre Antonin Maurel, clown-musicien, et Tortell Poltrona. Une première expédition franco-espagnole a eu lieu en Croatie. C’est après cette aventure que « Clowns sans Frontières » voit le jour en France. Elle se constitue avec le concours de comédiens, de danseurs, de musiciens, d’acrobates, et bien sûr de clowns. Antonin Maurel en prend la présidence. L’association compte de nombreux parrains parmi lesquels Howard Buten, Philippe Decouflé, Bernadette Lafond, Jérôme Savary pour n’en citer que quelques-uns, un comité de parrainage présidé par Monsieur le Professeur Alexandre Minkowski.
9Tous les artistes – ils sont une trentaine – sont des bénévoles. Ils ne touchent donc aucun cachet et donnent de leur temps pour participer à des actions ponctuelles. Leur bénévolat sous-entend bien sûr qu’à chacune des expéditions les artistes changent et que les spectacles présentés sont chaque fois différents.
10À Paris, le bureau est chargé de diffuser le projet de l’association, prendre des contacts avec divers ministères, fondations et organismes, de coordonner les projets, de les médiatiser, de recruter de nouveaux membres, de suivre les relations entre les différents organismes humanitaires et « Clowns sans Frontières ». Il lui faut aussi recruter des artistes et des troupes pour des spectacles à leur profit. Les expéditions qu’ils entreprennent ne peuvent être mises en œuvre sans argent. Chaque expédition coûte cher. Pour aller en Croatie par exemple, il leur faut trouver environ 50 000 francs. Où et comment trouvent-ils cet argent ? Cette année, ils ont bénéficié de subventions de l’AFAA (Association Française d’Actions Artistiques) auxquelles se sont ajoutées les adhésions volontaires, la vente de T-shirts, les bénéfices de certains spectacles (notamment au Théâtre Chaillot où travaille Jérôme Savary), et la participation à un jeu télévisé (Fort Boyard.). Tout cet argent leur a permis de mener quatre actions au cours de l’année 1994.
11Où se déplacent les « Clowns sans Frontières » ? Ils mènent des actions dans des régions difficiles du monde. Là où les conditions de vie et d’existence ne sont pas aussi agréables que chez nous. Là où les gens semblent avoir perdu tout espoir et toute joie de vivre. Là où on ne fait pas et ne dit pas ce que l’on veut. Au cours de leur première année, l’association est allée trois fois en ex-Yougoslavie. Elle a joué dans des camps de « déplacés » (c’est ainsi que l’on appelle les Croates chassés par les Serbes) et des camps de « réfugiés » (c’est-à-dire de Bosniaques accueillis en Croatie). La quatrième de leur action a eu lieu à Paris, en collaboration avec l’association « France-Palestine », à l’occasion du séjour en France de jeunes Palestiniens de 10 à 13 ans. Elle projette de retourner en ex-Yougoslavie, à Sarajevo, mais aussi d’aller à Gaza, en Algérie (dans les camps sahraouis), en Amérique Centrale (auprès des réfugiés guatémaltèques, au Mexique), ainsi que dans les quartiers défavorisés en France.
12De quels moyens matériels disposent-ils ? un peu d’argent, des artistes bénévoles qui travaillent par roulement, ce sont là des moyens modestes. Quand ils se déplacent, ils transportent leur matériel dans une camionnette, leur malle au trésor. Elle contient tout ce dont ils ont besoin. Ils y enferment : des instruments de musique, quelques accessoires, le minimum nécessaire pour les numéros qu’ils présenteront, un portique multicolore (celui que l’on a vu aux Jeux Olympiques d’Albertville dans le spectacle de Philippe Decouflé), des costumes, et bien sûr, des nez rouges. Cette camionnette leur sert aussi de loge dans laquelle ils peuvent se costumer et se grimer. Les structures qu’ils emportent sont facilement démontables. Il leur faut environ deux heures pour s’installer et monter leur piste. Comme tous les cirques du monde, les « Clowns sans Frontières » vont d’un endroit à un autre, ils montent et ils démontent. Leur installation est la même que pour n’importe quel autre cirque, la même que pour n’importe quel autre spectacle, la même que s’ils jouaient à Paris. Pour les artistes, la préparation physique est également la même que pour n’importe quel autre de leurs spectacles. Pourtant, il y a des différences : les gradins sont des gradins de fortune ; il n’y a pas de box-office ; il n’y a pas de rideau rouge ; il n’y a pas non plus d’orchestre. Mais la plus grande de toutes ces différences : c’est le public. Il n’est pas le même que celui dont ils ont l’habitude. Il n’est pas n’importe quel public. Ce n’est pas le public qui est allé vers eux, un public qui aurait choisi de payer pour venir les voir et les applaudir. Non, ici, ce sont eux, les clowns, qui ont choisi leur public. Ce sont eux, les clowns, qui sont allés vers leur public, un public de gens qui ne connaissent plus une vie normale. Malgré cette différence, ils ont aussi, autant le trac ; la peur de se planter est la même que s’ils étaient en France. Je tiens à préciser ici que les « Clowns sans Frontières » respectent les règles de sécurité imposées dans les pays où ils se déplacent. C’est une condition importante de leur réussite et de leur autorisation de jouer.
13Sans piste réelle, sans gradin, avec des moyens modestes et des artistes bénévoles, le spectacle que proposent les « Clowns sans Frontières » fait penser au Théâtre de Rue, au « Bread and Puppet, à l’agit-prop. Certains journalistes ont dit de leur spectacle qu’il est un spectacle clownesque à mi-chemin entre le théâtre de rue et le cirque moderne. Il s’agit en fait d’une représentation en extérieur qui dure une heure. Comme à chaque expédition, les artistes changent, les spectacles ne sont jamais les mêmes. De plus, chacun d’entre eux a sa spécialité, il peut donc y avoir de numéros de trapézistes, de musiciens, de mimes, mais ce sont bien sûr les numéros de clowns qui dominent. C’est ce mélange des disciplines, des numéros présentés qui peut faire penser au cirque. Les conditions dans lesquelles ils travaillent ne leur permettent pas d’emporter beaucoup d’accessoires, ils jouent donc avec un minimum. Ils n’ont pas non plus le temps de répéter. Le style du spectacle est donc des plus simples. Comme dans le Théâtre de Rue, ils jouent dehors ; ils jouent avec leur public ; ils jouent avec le bruit. Laissez-moi vous raconter l’une de leurs anecdotes : un jour, les policiers leur ont interdit de jouer ; pourtant, ils avaient obtenu l’autorisation préalable. Qu’ont-ils fait ? Ils ont tiré profit de cette interruption et ont inclus les policiers dans leur spectacle. Une manière de faire rire et de jouer. Les « Clowns sans Frontières » ne cherchent pas à proposer une représentation de clowns intellectuels, ils ne souhaitent pas moraliser ou enseigner. Non, ils ne sont là que pour distraire, divertir les gens. Ils veulent les amuser, leur changer les idées. Ils offrent un spectacle qui est facile à accepter.
14Pour l’instant, ils ne se sont déplacés qu’en ex-Yougoslavie. Je ne dispose donc que des réactions sur ce qu’ils ont vécu dans cette région du monde. C’est avec ces quelques réactions que je vais essayer d’étudier le clown en tant que personnage humanitaire. Il y a de nombreux camps dans ce pays, que ce soient des camps de « déplacés » ou des camps de « réfugiés ». Dans la seule région de Split par exemple, il a 148 camps abritant environ 6 000 personnes. Ces camps sont soit d’anciens immeubles ou hôtels, soit ce que j’appellerais de « vrais » camps, à savoir des cabanes, des usines désaffectées dans lesquelles les gens vivent entassés les uns sur les autres. Tout le monde, dans un journal télévisé, a vu des images sur les conditions de vie des gens dans ce pays déchiré, je ne me m’y attarderai donc pas. Les expéditions durent environ une semaine. En 7 jours, les « Clowns sans Frontières » présentent 12 fois leur spectacle dans 12 camps différents. C’est un véritable marathon.
15Ces camps sont surtout peuplés d’enfants et de femmes dont beaucoup sont veuves. Il y a très peu d’hommes car ils sont à la guerre – ces camps donc sont un peu des prisons, des lieux inanimés. Il ne s’y passe pas grand-chose. Les gens n’en sortent pour ainsi dire jamais. Ils y vivent enfermés dans leurs souvenirs et leurs traumatismes. Les enfants – et il y a beaucoup d’orphelins – y survivent dans un abandon physique et moral. Ils y grandissent trop vite et perdent un peu de leur enfance et leur innocence. Sur des photos que j’ai pu voir, les enfants ont un visage fort, marqué par l’expérience qu’ils vivent et qu’ils ne pourront pas oublier. Antonin Maurel me racontait que dans certains camps, ils sont organisés en bande, en mafia, avec un chef et qu’ils ont les gestes et les attitudes des adultes dans ce genre de groupe. La guerre a imprimé des stigmates douloureux sur ces enfants qui n’en sont déjà plus vraiment.
16Le Clown est-il un personnage humanitaire ? A-t-il un rôle dans ces pays auprès des gens en détresse ? Agir, faire de l’humanitaire, motive les clowns, mais souvent ils ne se sentent pas une âme de médecins, d’infirmières. De plus, ils n’ont pas non plus les compétences médicales ou autres nécessaires pour travailler avec la Croix Rouge, le Haut Comité aux Réfugiés ou « Médecins sans Frontières ». Pourtant l’envie, le désir profond de faire quelque chose, de ne pas rester inactif les tenaillent. Le Clown ne peut pas rester insensible au malheur d’autrui. Les « Clowns sans Frontières » se sont donc donnés pour mission d’améliorer le quotidien des enfants dans les camps par le rire et l’humour. Ils ne se veulent pas une association qui aide, mais une association qui fait plaisir. Ils n’apportent ni nourriture, ni médicaments, mais des moments de fête à des gens qui subissent la monotonie de leur vie. Ils souhaitent aussi redonner courage aux artistes locaux pour que ces derniers continuent ou re-commencent à s’exprimer et à faire leur métier d’artistes. Les « Clowns sans Frontières » se veulent une association humanitaire, mais ils tiennent à souligner – car cela leur a été reproché – qu’ils ne font pas de « tourisme humanitaire » (la preuve en est le rythme marathon de leurs expéditions.). En aucune façon, ils ne remplacent les Organisations Non-Gouvernementales (ONG) qui apportent et assurent les premiers besoins (vêtements, nourriture, médicaments). Ils passent après ces dernières, mais leurs actions sont quand même des actions humanitaires. Ils ont bien sûr été critiqués, car certains pensent que la place du clown n’est pas dans de tels endroits du monde. D’autres affirment qu’il est déplacé de faire le clown, d’offrir un spectacle dans les lieux où ils se rendent. Et pourtant, le rire n’est-il pas thérapeutique ? Ne permet-il pas, même si ce n’est que pour quelque temps, d’oublier les misères que l’on vit ? Ne peut-on pas soigner certaines blessures grâce au rire ? Je pense qu’il est prouvé que le rire et l’humour sont extrêmement importants dans la vie. Ils sont thérapeutiquement importants. Selon Freud, le père de la psychanalyse, l’humour est essentiellement un moyen de défense contre des situations qui provoquent tensions et angoisses. C’est une manière de faire face au monde qui paraît menaçant. Qu’il ait un nez rouge, qu’il soit mime ou musicien, le clown fait donc rire et oublier. Il apporte un peu de lumière, de féerie dans le quotidien. N’est-ce pas là quelque chose d’essentiel, de vital ? Les « Clowns sans Frontières » peuvent rendre un peu d’espoir à des populations dont l’ordinaire n’est que cris, larmes et peur. Quand ils arrivent, c’est le temps de l’espoir, celui des sourires après le temps de l’urgence. Ils apportent le superflu, ce dont on peut se passer. Mais qui de nous vit sans superflu ? Ils procurent ce qui n’est pas vital à l’existence. Ils arrivent avec du rêve, un rêve qu’ils donnent à ceux qui n’ont que le strict minimum pour vivre. N’a-t-on pas besoin du rêve pour vivre ? Les « Clowns sans Frontières » sont extrêmement conscients de l’éphémère de leurs actions. Ils savent que quand ils seront repartis le terrible quotidien sera de retour. Mais l’art, le spectacle, le rêve, le rire peuvent faire oublier le temps d’un coup de baguette magique le souvenir des morts, le bruit de la guerre, la présence des armes, la faim, l’interdiction de s’exprimer librement. Les « Clowns sans Frontières » sont des colporteurs de bonheur. Ils sèment un peu d’espoir. Ils offrent une heure de rire et de bonheur. Le spectacle permet aux gens de s’échapper de la prison que représentent les camps, d’oublier la vie qu’ils mènent. Les Clowns apportent un peu d’amour et de réconfort. C’est une nourriture mentale indispensable à l’équilibre de l’être humain. Le rire est humanitaire. Il peut faire accepter beaucoup. Son effet est psychologique, car au-delà des peurs et de toute détresse, le rire est une nécessité vitale. Ne dit-on pas parfois qu’une journée sans rire est une journée perdue ?
17« Plus d’enfants sans sourires », l’association veut aussi et surtout toucher les enfants, l’avenir de notre planète. Les artistes qui participent aux expéditions sont toujours surpris par l’accueil que leur font les enfants, car même s’ils ont grandi trop vite, ils ont encore un peu d’innocence en eux. Ils sont pris pas la magie des paillettes et la féerie du spectacle. L’arrivée des Clowns est un changement dans la vie de ces enfants. La construction de la piste, la musique, le spectacle brisent le train-train, la monotonie. Les Clowns leur donnent un peu d’imaginaire, un petit morceau d’enfance. Et puis, le clown devient parfois aussi un objet pédagogique dans les écoles qui n’ont pas fermé leurs portes. C’est de la couleur dans la vie terne et triste, de la poésie ; les instituteurs peuvent se servir du passage des clowns pour faire faire des dessins qui ne seront pas des dessins de militaires avec des armes, pour faire raconter des histoires... On parle du clown qui est passé, de celui qui a reçu un seau de paillettes sur la tête, des maladresses de cet autre clown, comme tous les enfants du monde quand ils sortent du cirque. La grande différence, c’est que ce sont les clowns qui sont venus vers eux, eux qu’ils vivent une situation de guerre. Ce sont des souvenirs pour toujours. Jamais ces enfants n’oublieront le passage des clowns, même quand ils seront adultes, ils se souviendront.
18À travers les enfants, les « Clowns sans Frontières » touchent aussi les adultes qui les entourent. Certes, dans quelques camps, le spectacle ne réussit pas toujours à détendre leurs visages crispés. Il leur est parfois bien difficile de faire rire certains adultes. Pour les « Clowns sans Frontières », c’est alors un échec. Dans d’autres camps, les adultes oublient, et entrent dans la magie du spectacle. Ils retrouvent un peu le bonheur des bals et commencent à danser, ce qu’ils n’avaient pas fait depuis longtemps. A la fin du spectacle, les Clowns sont souvent invités à partager une tasse de café et quelques biscuits. Même s’ils regrettent de ne pas pouvoir mieux communiquer à cause de la barrière de la langue, les Clowns se réjouissent de voir des visages souriants, des gens qui ont l’air heureux. Ce qui compte ce sont ces sourires. Les gens sont heureux de voir qu’ils ne sont pas oubliés, qu’il n’y a pas que les ONG et la FORPRONU qui s’intéressent à leur sort. Les témoignages sont nombreux. Une grand-mère « déplacée » de Kostajnica en Croatie dira qu’elle n’avait jamais rien vu d’aussi beau et d’aussi professionnel. Une belle récompense pour les Clowns, à qui des gens diront un jour que grâce à eux, grâce à ce petit spectacle, ils ont eu le sentiment d’être normaux. Mais c’est la lumière qui brille dans les yeux des enfants qui fait le plus plaisir au cœur de ces artistes-clowns bénévoles qui, avant de repartir, distribuent ballons, jouets et nez rouges.
19Peut-on vraiment apporter le rire dans certaines régions du monde ? Rire ou dérision ? Le clown est-il un personnage humanitaire ? Peut-on et doit-on faire le clown là où on meurt de faim, faire le clown dans les endroits difficiles du monde ? Je vous en laisse juge.
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