Chapitre I
Être indien à Mexico au XXIe siècle
p. 35-63
Texte intégral
1Au Mexique aujourd’hui, on estime que plus d’un Indien sur trois vit dans une ville. Mexico serait d’ailleurs devenue le lieu d’Amérique latine où vivent concentrés le plus grand nombre d’Indiens (438750 en 2010), même si, en termes relatifs, les populations indiennes ne représentent qu’un faible pourcentage de la population totale de la capitale (5,2 % en 2010, selon l’INEGI). En soi, la présence des Indiens dans les villes n’est pas nouvelle : elle a amplement été documentée à des périodes antérieures (Gruzinski, 1996 ; Audefroy et al., 2004). Mais à la fin du xxe siècle, les populations indiennes y sont devenues visibles, allant même jusqu’à constituer des objets de l’action publique. Cette visibilité croissante contredit les théories du métissage puis de la modernisation, qui préconisaient que les villes étaient le creuset dans lequel l’indianité, associée à la tradition et au monde rural, se fondrait dans la modernité. Plus encore, d’après les derniers recensements mexicains, une personne sur deux qui s’identifie comme indienne à Mexico est née dans la capitale, ce qui témoigne du maintien de l’identité ethnique au-delà des générations. Que des populations indiennes continuent à s’identifier comme telles, parfois plusieurs générations après leur implantation dans la ville, constitue donc un renversement par rapport aux représentations dominantes de l’indianité. Il s’inscrit à la croisée de deux mouvements qui ont profondément transformé la société mexicaine et l’Amérique latine, plus largement, dans la seconde moitié du xxe siècle. Le premier, l’exode rural, est d’ordre démographique ; le second, la mise en place de politiques multiculturelles, est d’ordre politique et culturel1. À Mexico, de même que dans d’autres métropoles latino-américaines, ces deux dynamiques ont abouti à l’émergence de la figure de l’« Indien urbain », portée par des associations indiennes. Elle relève de l’oxymore dans un imaginaire national qui associe encore étroitement indianité et monde rural (Bonfil Batalla, 1972 ; Gruzinski, 1996).
2Qui sont ces populations qui s’identifient, et sont identifiées, comme indiennes, à Mexico ? Souscrivant aux approches relationnelles de l’indianité qui considèrent qu’être indien ne fait sens que dans une relation de pouvoir socialement, géographiquement et historiquement établie2, je propose, dans ce chapitre, d’analyser les dynamiques sociales et les acteurs qui construisent cette figure de l’altérité, en m’efforçant d’éclairer en parallèle l’expérience des Indiens eux-mêmes. Si l’on situe la focale dans les villes, les Indiens sont, d’abord, une figure de l’altérité. Comment se rencontrent les expériences de la migration de la campagne vers les villes, de la marginalisation urbaine et sociale, et des discriminations ? L’expérience du multiculturalisme politique mise en place à Mexico depuis le début des années 2000 mérite ensuite d’être observée. Elle relève du « multiculturalisme intégré » : l’ambition de promouvoir dans le cadre d’une même action mesures de reconnaissance culturelle et moyens de redistribution sociale et de lutte contre les inégalités (Wieviorka, 2005, p. 77). Dans quelle mesure le multiculturalisme transforme-t-il, à Mexico, l’expérience d’être Indien ? Quelles figures de l’indianité promeut-il ? Avec ce chapitre, il s’agit de comprendre comment, à l’échelle locale, se présentent et se renégocient les relations de pouvoir qui donnent sens à l’identification comme indien. En filigrane se dessine le quotidien des migrants otomis à Mexico. Ils font partie des groupes indiens identifiés comme « indiens du centre », leur insertion urbaine étant étroitement liée au quartier du centre historique et de la Roma. Éclairer le racisme, les discriminations, mais aussi les formes sociales et les espaces de résistance à ces mécanismes vise à mieux comprendre le contexte à l’origine de la migration vers les États-Unis.
Les « Indiens urbains », figures de l’altérité
L’expérience de la migration interne
3Même si des populations indiennes ont toujours résidé dans les villes mexicaines, l’installation massive de populations rurales – parmi lesquelles de nombreux Indiens – dans la seconde moitié du xxe siècle a définitivement changé le visage d’une métropole comme Mexico. Pour Laura Velasco, le bouleversement de la géographie des populations indiennes qui découle de l’exode rural, entre 1940 et 1980, est d’une importance comparable aux mouvements de populations qui ont eu lieu à la Conquête (Velasco Ortiz, 2007). Les villes deviennent alors le cadre d’un processus d’ethnicisation qui questionne les fondements de la théorie du métissage.
4Les années 1940 ont vu se mettre en place des mouvements de populations – indiennes et non-indiennes – d’une ampleur inégalée jusqu’alors. Ceux des populations indiennes se caractérisent par leur complexité et par la diversité des formes que prend le mouvement migratoire d’une région à l’autre, d’un village à l’autre, d’une période, enfin, à l’autre. Elles s’expliquent, d’abord, par la politique économique de modernisation de l’agriculture et d’industrialisation par substitution aux importations, menée par le Mexique de 1930 à 1970. Les zones urbaines sont devenues des bassins d’emplois attractifs, tandis que les campagnes entraient dans une crise encore accentuée, dans les années 1990, par les politiques de réajustement économique, puis par l’entrée du Mexique dans l’ALENA en 1994. La baisse de la mortalité et le maintien d’un taux de natalité élevé en milieu rural ont par ailleurs exercé une forte pression démographique sur les terres au milieu du xxe siècle, ce qui a précipité les départs. À Santiago Mexquititlán, le phénomène a été aggravé par le modèle de propriété de la terre : dans le village prime la propriété privée, schéma peu commun dans les villages indiens. La répartition des terres entre les enfants mâles, lors des héritages, a abouti à une très importante division des parcelles, compromettant la possibilité de réaliser une agriculture de subsistance sur des terrains réduits. Santiago se situe en outre en altitude (2550 mètres), avec un accès difficile à l’eau.
5Autre élément déterminant dans la seconde moitié du xxe siècle : le développement des transports et le désenclavement des campagnes. Sebastián, âgé d’une soixantaine d’années, se souvient d’un temps où les trajets entre Mexico et Santiago Mexquititlán se faisaient à pied et duraient deux jours entiers, avec une étape à Toluca. À présent, des bus relient toutes les heures Santiago et Mexico. Le trajet dure trois heures et coûte 90 pesos3.
6La généralisation de la scolarisation a également alimenté l’émigration des campagnes, soit qu’elle pousse les élèves à chercher de meilleures conditions d’études en ville, chez un proche, soit qu’elle génère des frais nouveaux, qui obligent les parents des élèves à trouver des revenus pour acheter les manuels scolaires ou les uniformes. En outre, parmi les jeunes générations indiennes, le refus des contraintes de l’organisation sociale communautaire peut conduire à laisser derrière soi certaines formes de vie. Les villes sont alors perçues comme source d’options nouvelles de travail et de modes de vie (Pérez Ruiz, 2006).
7À la fin du xxe siècle, le décalage entre villes et campagnes s’est atténué, grâce à la construction de routes, à la diffusion de l’électricité, de certains biens de consommation, de la télévision, ou encore par l’implantation d’écoles ou de centres de santé. Mais les campagnes, de façon générale, et en particulier les régions indiennes, restent marquées par une extrême pauvreté. Les familles y rencontrent des difficultés pour faire face à leurs besoins élémentaires en alimentation, vêtements, santé et éducation, sans même parler de l’accès à la sécurité sociale et à la retraite, aux études moyennes et supérieures, ou aux biens culturels (Uquillas et al., 2003 ; Vizcarra Bordi et Lutz, 2012). Les facteurs rendant compte de l’émigration vers les villes n’ont donc que peu évolué au fil des décennies, et les motivations économiques restent prépondérantes.
8Les formes des migrations se sont en revanche transformées, pour conduire à une diversification croissante des trajectoires et des profils des migrants.
9À Santiago Mexquititlán, la migration est si répandue qu’elle en vient à être considérée comme un trait caractéristique du village : toutes les familles comptent désormais des membres migrants. Les villes mexicaines dans lesquelles se sont établis les Santiaguenses se sont multipliées : aux destinations les plus proches (Amealco, Querétaro, Mexico), se sont progressivement ajoutées de nouvelles localités : Guadalajara, Monterrey, León, ou Tampico, mais aussi, à partir du début des années 2000, des destinations de l’autre côté de la frontière : champs agricoles de Californie ou région étendue de Chicago. Cette géographie migratoire reflète l’essor de nouveaux pôles économiques. Ainsi, des villes comme Guadalajara ou Monterrey accueillent depuis une dizaine d’années une population indienne en constante augmentation, de même que les villes frontières du nord du Mexique, ou encore les villes touristiques le long des côtes. Pour compléter ce tableau, il faut également mentionner l’existence d’une migration interurbaine qui se tisse entre ces différents pôles, et sur laquelle la recherche est encore balbutiante.
10Le rythme des migrations, ensuite, s’est modifié. Initialement organisées sur des cycles courts, les migrations se sont autonomisées du calendrier agricole. La fin des années 1980 marque une transition, en voyant une partie des populations indiennes s’installer durablement en ville. Comment expliquer cette stabilisation des trajectoires migratoires ? L’incorporation des femmes dans les migrations a joué un rôle essentiel. Longtemps invisible, la présence des femmes indiennes dans la migration est aujourd’hui notable. D’après les recensements, les femmes sont d’ailleurs plus nombreuses que les hommes dans les grandes villes mexicaines, y compris à Mexico. Cette sur-représentation féminine s’explique en partie par le fait que l’emploi domestique constitue une niche d’emploi, genrée et ethnicisée, pour de nombreuses jeunes filles indiennes. Avant les années 1990, la migration des femmes indiennes vers les villes tendait à être considérée à travers le prisme du regroupement familial ou de l’exil, ce qui construisait les migrantes comme des figures passives. Mais des études récentes ont mis en évidence leur part d’initiative dans le projet de mobilité (Arrieta, 2009). Or la présence des femmes dans les migrations favorise une installation durable (Delaunay, 1997). Pour les couples avec des enfants en âge d’être scolarisés, l’entrée des enfants à l’école peut également pousser les familles à se fixer en milieu urbain.
11Plusieurs facteurs contribuent ainsi à ce que se prolongent les séjours en ville des populations indiennes, et à ce que leur rythme se désolidarise de celui de l’économie rurale pour se calquer sur celui de l’économie urbaine. Progressivement, des formes de migration « établies » sont ainsi apparues, par opposition aux migrations saisonnières ou « temporaires ». Le caractère de plus en plus durable des migrations internes à destination des villes n’est pas spécifique au Mexique : il s’observe également dans les principaux centres urbains des pays andins et mésoaméricains (Uquillas et al., 2003).
12Migration « temporaire » et migration « définitive » ne devraient pourtant pas être opposées, comme si la première était supplantée par la seconde. À l’échelle individuelle autant que collective, diverses formes de migrations se superposent. La sédentarisation dans les villes, loin de freiner la migration saisonnière ou de s’y substituer, l’alimente au contraire, puisque chaque famille a désormais un pied à terre dans une ou plusieurs localités. Les familles installées à Mexico hébergent souvent des proches, en particulier lors des fêtes qui sont l’occasion de commercer. L’articulation de ces temporalités et de ces formes de migrations distinctes façonne des vies à cheval sur plusieurs lieux, sans qu’une linéarité ne structure les parcours migratoires.
Le parcours de Paulina
Le parcours de Paulina, permet de comprendre comment s’imbriquent des rythmes de migrations différents, en fonction de son cycle de vie, afin de s’adapter aux transformations de l’économie, des modes de consommation, et même, dans ce cas précis, aux aléas géologiques.
Âgée d’une soixantaine d’année, Paulina est originaire d’un village otomi près de Toluca. Elle raconte que dans son enfance, dans les années 1950-1960, les gens de son village savaient tresser des chapeaux de palme. Un colporteur passait régulièrement au village, et distribuait la paille à chaque famille. Avec, on tressait un ou deux sombreros par jour, que l’on vendait entre 1 et 1,5 pesos selon la largeur du chapeau. L’argent ainsi gagné permettait de s’acheter le nécessaire. Lorsque les hommes ont cessé de porter des chapeaux, cette source de revenu a périclité.
Une seconde activité a alors pris le pas : la fabrication de pilons et de mortiers (molcajetes), qui servent à préparer la sauce qui accompagne les tortillas, grâce à l’exploitation d’une carrière de pierre située à proximité du village. À 15 ans, Paulina a épousé un homme de son village. Lorsque leur troisième enfant est né, l’argent a commencé à manquer, et elle et son mari ont dû quitter le village pour chercher de nouveaux débouchés. Ils ont d’abord reproduit l’activité traditionnelle, partant vendre pilons et mortiers sur le grand marché de Mexico, la Merced. Ils restaient une semaine ou deux en ville, logeant chez une femme du village, jusqu’à avoir écoulé leur stock, avant de rentrer chez eux. Mais rapidement, le mixer s’est imposé dans les cuisines mexicaines et a détrôné le molcajete.
Paulina et son mari se sont alors reconvertis à la vente de nappes brodées. Leur parcours et leur rythme migratoire s’est modifié pour mieux s’adapter à ce nouveau produit : le couple a commencé à sillonner les villes touristiques du centre du pays, faisant étape à Acapulco, Taxco ou Morelia. Ils allaient de marché en marché, emmenant leurs enfants avec eux ou les confiant à leurs grands-parents.
Le tremblement de terre de 1985 a modifié à nouveau ce schéma migratoire. Après le séisme, Paulina n’a plus souhaité laisser ses enfants derrière elle. Paradoxalement, la capitale ravagée par le désastre semblait la destination la plus appropriée, de par sa proximité avec le village, les débouchés qu’elle promettait pour la vente des nappes brodées et les opportunités scolaires qu’elle offrait aux enfants. Paulina et les siens se sont donc installés à Mexico. La commerçante a fini par s’approprier un espace informel de vente en plein centre de la ville.
Délogée de son point de vente en 2006, Paulina, désormais propriétaire d’un appartement au centre de Mexico, effectue des allers-retours entre la capitale et un site touristique à proximité de Toluca. Ses enfants sont adultes. L’un de ses fils vit au village, l’autre à Mexico, un troisième va-et-vient entre les deux, tandis que ses trois filles sont parties au Canada en 2007 (d’après plusieurs entretiens avec Paulina, Mexico, 2005, 2006, 2008).
13 La complexité des schémas migratoires et la coexistence de processus de sédentarisation avec des mobilités géographiques aux temporalités diverses, à l’échelle familiale, illustrent la capacité des communautés indiennes à s’adapter aux transformations économiques du pays, et celle des individus à modifier leurs trajectoires et rythmes migratoires pour faire face aux bouleversements économiques, culturels ou familiaux auxquels ils sont confrontés.
14L’importance des liens maintenus par les migrants avec leur lieu d’origine est considérée comme une caractéristique des migrations indiennes (Arizpe, 1975 ; Oehmichen, 2005 ; Sánchez, 2014). Pour les Santiaguenses résidant à Mexico, ce lien se manifeste par des visites aux membres de la famille qui vivent encore à Santiago ou par le projet, entretenu par beaucoup, de construire sa maison à proximité du terrain familial. Les enfants y sont envoyés en vacances ou lorsqu’il est estimé qu’ils s’écartent du droit chemin (problèmes de drogue, échec scolaire). Des moments de la vie collective rythment cette relation au lieu d’origine : la fête des morts le 1er novembre, la fête du saint patron, le 26 juillet, sont des moments privilégiés pour retourner au village. Même si le sentiment d’appartenance peut se manifester de façon différente, d’une génération à l’autre, Santiago reste un référent très fort même pour les jeunes nés en ville.
L’expérience de la marginalisation
15Au Mexique, classé au 56e rang mondial pour l’Indice de développement humain, 12 % de la population vivait en 2010 sous le seuil de pauvreté (moins de 3,10 $/jour) [PNUD, 2010 et Banque mondiale, 2010]. La pauvreté affecte tout particulièrement les populations indiennes et perdure dans les grandes villes mexicaines. La marginalisation qui s’observe dans le domaine du logement, de l’accès à l’emploi, de la santé ou de la justice, est l’une des traductions du racisme systémique en œuvre à Mexico. En parallèle, elle conforte les représentations stéréotypées et réactive, par des réactions de repli et de défense, des auto-identifications faisant référence à l’indianité.
Une installation dans les interstices de la ville
16Contrairement au modèle de l’enclave ethnique ou du ghetto qui caractérise l’insertion de certaines minorités dans l’espace urbain, dans l’histoire récente des villes mexicaines les populations indiennes n’ont pas été cantonnées à des quartiers spécifiques (Durin, 2010). Les employées domestiques résident encore souvent chez leurs employeurs : les recensements montrent que les femmes indiennes jeunes sont surreprésentées dans les quartiers résidentiels des classes moyennes ou aisées. Les aides-maçons sont ventilés dans toute la ville : ils louent des chambres qu’ils partagent avec des compagnons de travail, ou sont logés sur les chantiers. Même les zones où le recensement indique une forte proportion de personnes indiennes sont caractérisées par leur composition pluri-ethnique : des personnes issues de différents groupes ethniques ainsi que des non-indiens y cohabitent. Si l’on identifie sans peine dans la capitale mexicaine un quartier chinois, coréen ou français, rien ne marque en revanche un quartier comme nahuatl, otomi, mixtèque, zapotèque ou mazahua4. La dispersion des Indiens dans l’espace urbain s’accompagne d’une dilution des marqueurs identitaires les plus visibles.
17En dépit de cette présence diffuse, deux espaces urbains sont associés à la présence indienne : le centre et la périphérie. Cette représentation duale de la ville, qui dans le cas des populations indiennes a pu être renforcée par histoire de la construction urbaine à l’époque coloniale (Gruzinski, 1996), permet d’identifier différentes formes d’appropriation du territoire et de manifestations de l’indianité.
18Les populations indiennes, tout d’abord, sont identifiées parmi les résidents du centre historique de Mexico. Leur implantation dans ce quartier s’explique par plusieurs mécanismes. Le premier est propre au parcours migratoire de ces populations : jusqu’aux années 1970, la gare routière qui centralisait les arrivées dans la capitale se trouvait dans le centre de Mexico. À proximité se tenait le marché de fruits et légumes de la Merced, source d’innombrables petits emplois de manutention ou de commerce. Pour toute une génération, avant que la croissance de la ville n’entraîne la décentralisation de ces services, le centre de Mexico a donc représenté un point d’entrée dans la ville, ainsi qu’un pôle d’emploi. Bien desservi en transports en commun, doté d’hôtels bon marché, carrefour commercial sans équivalent, il est probable que le quartier accueille encore certains néo-arrivants dans la ville.
19Mais la présence des populations indiennes au cœur de la ville s’explique également par le développement de la mégalopole : au cours du xxe siècle et jusqu’aux politiques récentes d’investissements dans le centre historique, qui tentent de renverser ce phénomène, le centre de Mexico a progressivement perdu de son attractivité. Délaissé par les classes moyennes et supérieures, il s’est vidé peu à peu de ses habitants, les investissements dans le bâti et dans le mobilier urbain se sont réduits et, à l’exception de quelques rues, le centre historique est devenu une poche de pauvreté. Il a alors été réapproprié par une frange de la population qui trouvait son compte dans des logements vétustes mais bon marché, et dans le foisonnement du commerce populaire qui caractérise le quartier. Parmi ces populations, on compte de nombreux Indiens. Ils logent dans des chambres pour lesquelles ils paient un loyer modique, souvent dans des vecindades5. Le séisme de 1985 a renforcé cette dynamique, en faisant des dégâts particulièrement importants dans les quartiers centraux : des propriétaires ont délaissé leurs biens immobiliers en passe de s’effondrer, tandis que les plus fragiles, peinant à s’insérer sur le marché du logement, occupaient les immeubles ou les terrains à l’abandon. C’est le cas des Otomis de Santiago Mexquititlán. Dans le quartier de la Roma, au moins six terrains vagues sont occupés par entre 10 et 60 familles provenant de Santiago, selon les espaces. Elles y ont construit des bicoques en tôle ondulée et se sont regroupées en associations pour revendiquer de meilleures conditions de logement (Perraudin, 2008).
20Dans la périphérie, l’histoire de l’installation des populations indiennes est autre. Elle recoupe en effet fortement celle des ciudades perdidas, bidonvilles construits sur des terrains vagues, témoins de la croissance incontrôlable de la mégalopole, de l’exode rural, et défis à la planification urbaine. Ces quartiers se sont créés petit à petit, la ville s’étendant en tâche d’huile, repoussant toujours plus loin ses propres limites. Iztapalapa, Ciudad Nezahualcóyotl, Chalco Solidaridad, Ecatepec ou Naucalpan, et demain de nouveaux espaces, peut-être, même si le rythme d’extension de la ville a ralenti. Ils se forment par un mouvement qui conduit du désordre à l’ordre, de l’illégal à la régularisation, des sols boueux et des branchements électriques pirates au pavement des rues, à l’organisation politique et à l’installation par la municipalité des services essentiels. L’habitat s’y développe par couches successives, selon le principe de l’« auto construction » (Hiernaux, 2000).
21Populations du centre de Mexico comme des périphéries partagent une même stigmatisation liée à leur espace de vie, puisqu’est attaché à ces deux espaces un imaginaire du désordre, de la misère et de la marginalité6.
Les obstacles à l’emploi
22Dans les représentations dominantes, les Indiens sont vendeurs ambulants, journaliers, travailleurs domestiques7. Des travaux récents ont toutefois montré que la palette de leurs occupations était plus vaste : au début des années 2000, 17,9 % des Indiens à Mexico sont ouvriers et employés, 17,5 % propriétaires d’un commerce établi (Molina et Hernández, 2006, p. 41). Sans nier les succès de certains et la disparité des situations, force est toutefois de constater que les Indiens comptent, dans leur immense majorité, parmi les populations urbaines pauvres : 8 % seulement des Indiens, en milieu urbain, touchent un salaire égal ou supérieur à cinq salaire minimum, alors que 18 % des habitants du District fédéral dépassent ce montant8 (Gobierno del DF, 2007, p. 27). 62 % des Indiens perçoivent moins de deux salaire minimum, contre 40 % de la population totale. 15 % vivent avec moins d’un salaire minimum, contre 8,5 % de la population totale (ibid.). Enfin, même si les Indiens sont présents dans tous les secteurs d’activité, les indicateurs montrent que, pour les familles indiennes, les revenus par tête étaient en 2000 inférieurs de 30 % à ceux des foyers non-indiens (Molina et Hernández, 2006). La sous-représentation des Indiens parmi les populations à haut revenu, et leur surreprésentation parmi les populations urbaines les plus pauvres sont flagrantes.
23Dans leur ensemble, les Indiens accèdent à l’emploi en ville, mais restent cantonnés au marché informel et à des emplois subalternes. Des obstacles spécifiques expliquent les difficultés à accéder à une ascension sociale par l’emploi. Même si le monolinguisme tend nettement à s’atténuer, le manque d’aisance en espagnol peut représenter une limite. Le faible accès à l’éducation pénalise par ailleurs des populations dont le taux d’analphabétisme ou d’illettrisme dépasse encore largement celui de la population nationale, et dont le niveau éducatif reste inférieur. Le phénomène s’explique par une offre éducative plus limitée dans les zones rurales. Il résulte aussi de l’incorporation précoce des jeunes Indiens dans le monde du travail, qui contribue à un fort taux d’abandon scolaire. Les inégalités d’accès aux services publics se traduisent dans d’autres domaines : nombre d’Indiens rencontrent des difficultés pour obtenir leur acte de naissance auprès des services municipaux de leur lieu d’origine, ce qui restreint leur possibilité d’être embauchés dans le secteur formel (Molina, 2010). Enfin et surtout, des préjugés vivaces tendent à cantonner les Indiens à des emplois sous-qualifiés. À l’heure où paraît ce livre, une enquête de l’INEGI, l’institution nationale de la statistique au Mexique, établit pour la première fois la corrélation entre freins à la mobilité sociale par l’emploi et couleur de peau (INEGI, 2017).
24Dans ce contexte général, les migrants originaires de Santiago Mexquititlán se situent parmi les plus démunies des populations indiennes à Mexico. La plupart des hommes travaillent comme journaliers dans la construction, à Mexico ou sur des chantiers itinérants. D’autres sont postés aux carrefours pour nettoyer les pare-brise des voitures à l’arrêt. Les femmes sont dans leur majorité commerçantes ambulantes, parfois après avoir été employées domestiques, à leur arrivée en ville. Elles exercent cette forme de commerce de la façon la plus précaire qui soit : sans place fixe, elles s’installent à même le sol et sont fréquemment délogées par les policiers qui confisquent leur marchandise. Elles vendent des poupées en chiffon, fabriquées par d’autres femmes originaires de Santiago et qui sont devenues leur marque de reconnaissance en ville. Face aux faibles revenus tirés de ce commerce d’artisanat, elles diversifient leurs produits, mais sans pouvoir investir dans des marchandises permettant de tirer une plus-value : certaines vendent des chewing-gums, des sodas, ou des fleurs, de façon itinérante. Il n’est pas rare que les enfants accompagnent leur mère dans la rue, et déambulent eux aussi de bar en bar pour participer au revenu de la famille, en proposant fleurs, sucreries et cigarettes à l’unité. Que certains des enfants travaillent stigmatise les Otomis et est source de tensions au sein du groupe, de même que la mendicité à laquelle s’adonnent certaines femmes, surtout les plus âgées. Si certains individus cherchent à échapper à ces niches d’emplois genrées, ethnicisées et précarisées, la plupart ne parviennent pas à trouver des alternatives satisfaisantes (Perraudin, 2014).
25La grande marginalité économique des Otomis n’est certes pas représentative d’une population indienne urbaine dont la principale caractéristique est justement son hétérogénéité. Mais le cas de ce groupe ne saurait pour autant être relégué au rang d’exception, tant cette pauvreté extrême est révélatrice des obstacles que rencontrent de nombreux Indiens, et tout particulièrement ceux qui résident dans les quartiers centraux de Mexico. Fruit des discriminations, directes et indirectes, elle les alimente également, en enfermant les Otomis dans des positions dévalorisantes. Confrontés à l’expérience du « mépris » de la société majoritaire, les Indiens mexicains représentent l’un de ces cas dans lesquels la différence culturelle se double de fortes inégalités sociales, et où les deux dimensions, sociale et culturelle, se renforcent mutuellement (Wieviorka, 2005 ; Honneth, 2013).
L’expérience du racisme
Indiens, migrants, pauvres : la triple discrimination
26Trois des principales composantes des représentations de l’indianité nourrissent le racisme que subissent les populations indiennes en ville : pauvreté, ruralité, et différence culturelle.
27La corrélation que l’on observe au Mexique entre pauvreté et ethnicité est indissociable d’un processus de racialisation qui s’enracine dans des structures de domination sociale héritées de la colonisation. On peut parler de racisme dans le sens où l’entend Michel Wieviorka, dans la mesure où la différence culturelle est naturalisée (en référence au phénotype, en particulier), et où se combinent une logique culturelle et une logique sociale d’infériorisation (1996, p. 32). Dès lors, le lien entre pauvreté et ethnicité est relayé et renforcé par des représentations sociales en partie auto-réalisatrices. En effet, inégalités socio-économiques et hiérarchies socio-culturelles s’alimentent fréquemment dans les mécanismes discriminatoires9.
28Il a fallu attendre les années 2000 pour que les études consacrées aux migrations indiennes mettent en évidence à quel point la discrimination raciale affecte l’insertion des populations indiennes dans la ville10. L’intégration culturelle ne dépend pas uniquement des efforts et des ressources des migrants ou du contexte macroéconomique, comme cela avait pu être mis en exergue auparavant, mais aussi de la disposition des « autres » à les reconnaître comme égaux. Or les représentations caricaturales, essentialisantes, méprisantes des Indiens demeurent amplement relayées par les media et rejaillissent dans la vie quotidienne des Indiens.
29C’est alors souvent en ville que les individus se découvrent indiens. Certes, dans les zones rurales, les relations entre Métis et Indiens sont caractérisées par une violence économique, symbolique et parfois physique, aiguë. Toutefois les rencontres entre les deux groupes sociaux y sont moins fréquentes qu’en ville où les confrontations interethniques relèvent des expériences quotidiennes et peuvent s’avérer tout aussi conflictuelles (Martínez Casas, 2007 ; Velasco Ortiz, 2007).
30La discrimination, entendue comme un traitement différencié dans divers domaines de la vie sociale (Wieviorka, 1991, p. 109), s’exerce différemment en fonction des espaces et des contextes d’interaction. En ville, les pratiques discriminatoires envers les Indiens transparaissent dans le domaine de la justice : les condamnations injustifiées d’Indiens pour des délits qu’ils n’ont pas commis sont monnaie courante, et l’accès à des droits spécifiques, comme celui de recourir à un traducteur, sont régulièrement bafoués (Igreja, 2005 ; Blenet, 2009). L’école est un lieu d’exclusion : les enfants indiens peuvent y souffrir de sarcasmes de la part des autres élèves, mais aussi de l’attitude de certains maîtres, prompts à qualifier de déficience mentale des incompréhensions liées au monolinguisme (Oehmichen, 2005 ; Martínez Casas et Rojas-Cortes, 2006). Dans l’espace public se manifeste la banalité du racisme et des discriminations quotidiennes. Les personnes identifiées comme indiennes sont tacitement exclues de quantité de lieux : supermarchés, cinémas, centres commerciaux, hôpitaux privés, chaînes de restauration, etc. Cette ségrégation urbaine implicite est suffisamment établie pour que les personnes indiennes ne s’aventurent pas dans ces lieux. Le paternalisme de certains habitants de la capitale illustre par ailleurs les relations de pouvoir : dans un pays où le vouvoiement est de mise, les Indiens sont fréquemment tutoyés. Enfin, les relations de voisinage peuvent être source de conflits, indépendamment du quartier et de la relation de classe qui existe entre les Indiens et leurs voisins métis. Lorsqu’un groupe d’Indiens triquis s’est installé dans la colonia11 Buenos Aires, un quartier populaire de Mexico réputé pour ses pratiques informelles, voire illégales (trafic de pièces de voitures volées), les Indiens ont retrouvé à plusieurs reprises leurs fenêtres brisées par des projectiles lancés depuis la rue.
31Une forme très courante de stigmatisation consiste à faire sentir aux Indiens que leurs attaches sont rurales, même après des générations de présence en ville. Isidro, âgé d’une trentaine d’années, ayant longtemps vécu à San Luis Potosí, témoigne du poids des étiquettes et des regards qui constituent le racisme ordinaire :
« Il y a des gens qui critiquent tout le temps, “il est du village”, ou “il est de la ville”… ces gens-là… Ça dépend du regard qu’ils posent, ça dépend de la personne. Il y a des gens bien intentionnés qui pourtant le disent, ils étiquettent, “celui-ci il a l’air d’être de la ville, celui-là il a l’air d’ici… Lui il vient d’un village, qui sait d’où…”. Un jour en ville, je travaillais, et un homme vient à moi et il me dit… Il a essayé de me faire comprendre que je n’étais pas de là, que je n’avais pas ma place en ville. C’est comme ça qu’ils critiquent, ils te regardent mal » (Wausau, 2007).
32Ces assignations au monde rural, qui cachent derrière leur banalité une extrême violence symbolique, sont souvent proférées sous couvert d’une bienveillance paternaliste. À Mexico, il m’a été donné d’entendre à plusieurs reprises des inconnus conseiller aux enquêtés de retourner dans leur village, allant jusqu’à proposer de les aider à acheter du matériel agricole, sans se demander s’ils savaient ou voulaient travailler la terre. L’anecdote dit combien la présence indienne reste problématique aux yeux de nombre d’habitants de la ville.
33Lors du travail de terrain, certains hommes ont affirmé ne pas se sentir discriminés en tant qu’Indiens, mais être traités de frijoleros ou nopaleros – « mangeurs d’haricots » et « mangeurs de feuilles de cactus » –, deux aliments qui constituent la base de l’alimentation des classes populaires. Pour Carlos, en colère, les rapports de domination qui sous-tendent ces identifications sont clairement liés à la classe sociale :
« Pourtant, les riches aussi ils mangent leurs frijoles (haricots). Peut-être qu’ils ne les mangent pas de la même façon que nous, ils les mangeront en soupe, en purée, je ne sais pas, mais qu’ils mangent des frijoles ça c’est sûr » (Mexico, 2007).
34D’après Silvia de Jesús Maya, représentante mazahua, l’image de l’Indien pauvre détermine les relations avec les institutions et les conditions à partir desquelles est possible la reconnaissance.
« Je sens que tout ce qui intéresse le gouvernement, c’est “Indiens, victimes, pauvres”. Maintenant [que la situation de mon groupe s’est améliorée], on ne les intéresse plus, on ne les intéresse que quand on est dans la pauvreté » (Mexico, 2007).
35Cet amalgame peut inciter des individus à occulter des situations d’ascension sociale pour continuer à bénéficier d’une visibilité et du soutien de certains acteurs sociaux (partis politiques, organisations non-gouvernementales, programmes d’État) [Pérez Ruiz, 2006].
36Les stéréotypes sont profondément intériorisés. Les Indiens eux-mêmes intègrent les représentations dominantes, et lorsqu’ils interprètent les discriminations dont ils sont victimes, assimilent la différence culturelle à la pauvreté. Ainsi, pour Alicia :
« La seule discrimination que j’ai sentie à Mexico, c’est les riches qui n’aiment pas les pauvres. Par exemple, ils ne veulent pas qu’ils parlent leur dialecte, certains. Ils n’aiment pas les sons que ça fait, ils veulent qu’ils parlent l’espagnol, et puis qu’ils changent de vêtements, qu’ils s’habillent comme eux » (Wausau, 2007).
37La jeune femme accole discrimination ethnique (« ils ne veulent pas qu’ils parlent leur dialecte ») et économique (« les riches qui n’aiment pas les pauvres »), soit que pour elle, les deux ne fassent qu’un, soit que la discrimination ethnique ne puisse être nommée et pensée en tant que telle.
38Le racisme prend aussi un visage différent en fonction du genre. Pour les femmes, porter le vêtement traditionnel, parler une langue indienne ou être accompagnée de ses enfants dans les rues renvoie à l’image méprisée de la « femme pauvre », ignorante, indigente, et mauvaise mère. Les hommes et les jeunes sont renvoyés au stigmate de la délinquance et de la dangerosité.
39Pauvreté, extranéité et différence culturelle sont donc étroitement entremêlées dans les représentations de l’indianité construites dans l’imaginaire national, sans pouvoir toujours être dissociées par les victimes du racisme elles-mêmes. La dimension racialisante de nombreux discours ou pratiques discriminatoires demeure ainsi largement voilée.
Ethnicité réactive et solidarité intra-communautaire
40En raison de ces difficultés à s’insérer en ville, les migrants font appel à des réseaux de solidarité dont les travaux ont par ailleurs montré l’importance au sein des classes populaires, pour l’organisation quotidienne (Lomnitz, 1975). Pour les Indiens, ils se tissent le plus souvent entre personnes originaires du même lieu.
41L’importance des réseaux communautaires se manifeste à travers la vitalité des organisations informelles, qui jouent un rôle essentiel pour de nombreux Indiens installés en ville. Elles ouvrent accès à des emplois ou au logement, et fournissent des appuis matériels. Elles facilitent le maintien de liens avec le lieu d’origine, et l’investissement dans des projets de développement local. Les modes d’organisation, l’objectif des associations et le type d’activités menées prennent des formes très diverses, selon la tradition culturelle des groupes indiens et selon le processus de migration et d’insertion urbaine dans lesquels ils sont engagés (Sánchez Piña, 2005 ; Durin, 2010). Dans certains cas, les migrants en ville se réorganisent autour d’une structure hiérarchique qui calque celle en vigueur dans le village, et qui bénéficie de l’aval des autorités du lieu d’origine. La vie communautaire peut également se mettre en place autour de projets politiques, de manifestations culturelles spécifiques ou de pratiques sportives. Ainsi, chaque samedi, des équipes de football composées par des hommes originaires de Santiago Mexquititlán s’affrontent sur le terrain du stade Deportivo Puebla, dans un tournoi qui a cours tout au long de l’année et connaît son moment d’apogée lors de la fête du village, lorsque les migrants otomis dispersés aux quatre coins de la République mexicaine rentrent au bercail pour y affronter l’équipe locale. Ces formes d’organisations, qui jouent un rôle essentiel dans le maintien et la reproduction de l’identité ethnique, sont auto-suffisantes ; elles ne dépendent pas des financements des institutions publiques.
42Le tequio et le système des charges12 jouent un rôle de marqueur et de mobilisateur de l’appartenance collective dans d’autres groupes indiens en migration. Mais ils sont presque tombés en désuétude à Santiago : seule une faible proportion des habitants de la bourgade sont impliqués dans ce système, surtout activé pour organiser la fête patronale. Peut-être la taille importante du village n’a-t-elle pas rendu nécessaire d’adapter le système des charges pour tenir compte de l’émigration, au contraire d’autres localités indiennes où même à distance les migrants sont contraints de jouer un rôle actif dans l’organisation et le financement de la vie quotidienne du lieu d’origine. Il faut toutefois rappeler que le système des charges est loin d’être une constante chez les Indiens mexicains (Lisbona, 2005). Le cas des Otomis, dont l’indianité ne se vit pas quotidiennement autour de cette pratique, ne doit donc pas être considéré comme une exception, même s’il tranche avec l’expérience des Indiens de Oaxaca, davantage commentée.
43Pour les Otomis, l’insertion résidentielle a été déterminante pour la mobilisation et la recomposition des réseaux communautaires. Les Santiaguenses occupent en effet six espaces situés à quelques rues d’intervalles, que je désignerai comme « squats » en référence à la forme d’occupation irrégulière qui les caractérise : cinq terrains vagues et un immeuble délabré. Sans revenir ici dans le détail sur la généalogie de ces occupations et la constitution de ces groupes, il est utile de préciser que l’installation sur les terrains découle à la fois des blocages rencontrés par la plupart des familles sur le marché du logement formel (loyers trop élevés, logements en lointaine périphérie, discriminations de la part de certains propriétaires) et du contexte d’opportunité ouvert par le séisme à Mexico (espaces vacants en plein cœur de la ville, à proximité des lieux de vente des Otomis) puis par la mise en place des politiques multiculturelles. Le bouche-à-oreille au sein des réseaux communautaires a fait le reste : entre 1995 et 1999, les squats se sont constitués. Dans chaque espace se sont installées des familles, souvent unies par des liens de parenté. Elles ont subdivisé l’espace en parcelles, et ont construit de petites bicoques en tôle ondulée et matériaux de récupération. Dans chaque squat, les points d’eau et les sanitaires sont partagés : au no 342 de l’avenue Chapultepec, trois robinets, une douche et un WC pour une quarantaine de familles, un ratio eau/habitant que l’on retrouve dans les autres squats. Les femmes font la queue pour laver le linge et la vaisselle, parfois dès l’aube. Les enfants jouent dans les espaces communs. Ces conditions de vie, caractérisées par une très forte promiscuité, amènent à ce que se recomposent les sentiments d’appartenance : avant de s’identifier au village de Santiago ou à la langue otomi, les résidents des squats se définissent par leur adresse. La vie communautaire se réagence en effet à l’échelle de chacun de ces micro-territoires. La mise en place d’un programme de logement par la municipalité de Mexico, au début des années 2000, a renforcé cette dynamique. Le projet vise à régulariser les squats en construisant, à leur place, des immeubles dont les résidents des terrains occupés deviendraient propriétaires. Pour y participer, les occupants se sont organisés en association, chaque association recoupant le périmètre d’un squat. Des réunions hebdomadaires pour le suivi du projet d’accès à la propriété scandent alors le quotidien des résidents, et contribuent à redensifier et à réorganiser la vie collective. Pour le dire autrement, la communauté otomi à Mexico se divise en autant de groupes que de terrains squattés. Entre les différents groupes, les relations sont parfois conflictuelles : bien qu’ils partagent le sentiment d’appartenance à Santiago Mexquititlán et une histoire d’insertion urbaine similaire, les groupes sont indirectement mis en concurrence par le programme de logement. En 2016, deux groupes avaient été relogés (l’un en 2003, l’autre en 2016), tandis que les quatre autres continuaient à occuper irrégulièrement les terrains, dans les conditions précaires et insalubres que l’on imagine. Cette configuration, qui découle de la situation juridique de chacun des terrains, de l’efficacité des représentants, mais aussi plus largement de la gestion des politiques à destination des Indiens décidée à Mexico, engendre donc de fortes inégalités et beaucoup d’envie entre les groupes.
44L’exemple des Otomis est révélateur de plusieurs mécanismes concernant la solidarité intra-communautaire. Il met d’abord en évidence l’inégale efficacité des réseaux de réciprocité en termes d’insertion urbaine. Pour le logement, ils contribuent en effet à maintenir de nombreuses familles dans des situations de précarité initialement considérées comme temporaires, mais qui se prolongent à mesure que l’horizon d’attente instauré par les politiques publiques s’éloigne. Pour l’emploi, s’ils sont efficaces dans certains domaines, comme le secteur du bâtiment ou l’emploi domestique, ils ont pour effet pervers de cantonner les travailleurs à des niches ethnicisées et genrées, et de contribuer à reproduire les segmentations qui caractérisent le marché de l’emploi à Mexico. Les réseaux de solidarité communautaire alimentent par ailleurs un fort contrôle social, qui passe par la diffusion de rumeurs et qui pèse lourdement sur la vie quotidienne des Santiaguenses. Enfin, il est essentiel d’observer que les réseaux communautaires sont non seulement mobilisés, mais aussi renforcés et réorganisés en ville, du fait des conditions d’insertion, des relations interethniques, et des interventions de l’État. La ville est ainsi le lieu d’un processus de ré-ethnicisation, selon le principe de l’« ethnicité réactive », produit de la « confrontation entre une société hostile et les identités défensives et solidaires qui y font face » (Portes et Rumbaut, 2005, p. 284), mais aussi de la saisie d’un contexte d’opportunités qui valorise des manifestations bien spécifiques de l’indianité.
45En dépit de la marginalisation et des discriminations auxquelles sont confrontées les populations indiennes en arrivant en ville, la figure de l’« Indien urbain » a fini par se diffuser, du fait de l’installation durable d’une partie des populations indiennes, de leur organisation en associations, et d’une identification ethnique qui perdure même après plusieurs générations. Sur ce processus de mise en visibilité se greffe le virage du multiculturalisme. Permet-il d’envisager un retournement du stigmate ?
Mexico, laboratoire de politiques multiculturelles
46La construction séculaire d’une définition de l’indianité qui repose sur l’exclusion des populations indiennes du monde urbain, dans l’imaginaire national, si ce n’est dans les faits, a longtemps conduit à occulter leur présence dans les villes mexicaines. Cette cécité s’est répercutée dans les politiques publiques. Ainsi, jusqu’aux années 1990, ni les politiques indigénistes, ni les politiques urbaines n’identifiaient les Indiens comme de potentielles cibles d’actions publiques dans les villes. Il faut attendre les années 1990 pour que l’Institut national indigéniste ouvre à Mexico les premiers programmes à destination des populations indiennes. L’idée se diffuse que ces populations ne sont pas seulement de passage dans les villes mexicaines mais ont vocation à y rester, et y rencontrent des difficultés spécifiques.
47À la fin des années 2000, le Mexique va plus loin en abordant, à l’instar d’autres pays latino-américain, la situation des populations indiennes au prisme des politiques multiculturelles. Le multiculturalisme peut être entendu, au sens large, comme « un projet de promotion équitable des différentes cultures dans l’espace public » (Doytcheva, 2005, p. 5). Il se décline dans le triple registre de la philosophie, de la théorie politique, et des politiques publiques (Wieviorka, 2001). En Amérique latine, la réflexion sur la dimension multiculturelle des sociétés nationales s’est essentiellement construite à partir du cas des populations indiennes et noires. Elle a inspiré des mesures politiques à l’égard de ces populations, guidées par le principe de la reconnaissance des membres de ces groupes minoritaires comme citoyens égaux et sujets politiques. En 1992, à la suite d’autres pays latino-américains (Nicaragua, Brésil, Colombie), le Mexique a donné un signal fort en modifiant sa Constitution pour reconnaître la dimension multiculturelle de sa société.
48Dans ce contexte international, la ville de Mexico fait office de laboratoire du multiculturalisme – même si les programmes mis en place depuis les années 2000 ne revendiquent pas le terme. L’arrivée au pouvoir dans la capitale, depuis 1997, du Parti de la révolution démocratique (PRD), parti de centre gauche, a fait de Mexico un terrain d’essai, en termes de politiques sociales et culturelles (Combes, 2011). Je m’intéresserai uniquement ici à la traduction locale d’un « tournant multiculturel » dont l’apparition et les manifestations en Amérique latine et au Mexique ont par ailleurs fait l’objet de nombreux travaux13. En observant sa mise en œuvre, il s’agit d’interroger le multiculturalisme « au concret », pour reprendre la proposition énoncée par Christian Gros et David Dumoulin (2011), en tâchant d’entrevoir son incidence sur la vie quotidienne de ses bénéficiaires, parmi lesquels les Santiaguenses.
L’émergence d’un espace institutionnel de reconnaissance de l’indianité, à Mexico
49Davantage que les politiques mises en place à l’égard des populations indiennes urbaines, c’est peut-être la multiplication des acteurs et des institutions dédiées à « la question indienne » qui marquent le changement le plus notable dans la vie des Indiens à Mexico depuis quelques dizaines d’années. Si, par souci de clarté, les institutions publiques et leurs propositions, les associations indiennes et le mouvement associatif non-indien sont présentées successivement, ils doivent de fait être considérés dans leurs interactions : l’espace institutionnel qui émerge autour de la présence indienne en ville est un microcosme. Les individus circulent, d’ailleurs, d’une structure à l’autre, certains représentants d’associations indiennes et travailleurs du monde associatif obtenant des postes dans des institutions.
La multiplication des institutions publiques destinées aux Indiens
50Au cours des vingt dernières années, les institutions en charge des populations indiennes à Mexico se sont multipliées. Dix ans après l’inauguration de l’Área metropolitana de l’INI, au niveau fédéral, en 1988, le PRD arrive à la tête de Mexico et le gouvernement municipal se dote à son tour d’une section destinée aux populations indiennes, la Dirección de Atención a Poblaciones Indígenas (DAI). Jusqu’à sa création, les Indiens ressortaient de la même institution que les « populations vulnérables » : (personnes âgées, handicapés, enfants de la rue), une situation dénoncée par les associations indiennes. À partir de 1998, les Indiens à Mexico obtiennent donc que leur problématique soit traitée dans sa spécificité.
51Avec l’arrivée au pouvoir d’Andrés Manuel López Obrador (fréquemment désigné par son acronyme, AMLO), l’équipe locale franchit un pas supplémentaire en créant, conformément aux préconisations de la Convention 169 de l’OIT, le Conseil de consultation et de participation indienne du DF (Consejo de consulta y participación indígena del DF). Cet espace de discussion entre universitaires, associations indiennes et gouvernants, a un rôle consultatif.
52En 2006, Marcelo Ebrard, candidat au gouvernement local, propose que soit institué un ministère pour la question indienne, qui remplacerait la DAI. Le projet est retoqué par l’Assemblée générale du DF qui crée à la place le Secrétariat du développement rural et de l’équité pour les communautés (Secretaría de Desarrollo Rural y Equidad para las Comunidades, ou Sederec), encore en place en 2018. Bien moins ambitieuse que le projet initial, cette structure est destinée à la fois aux agriculteurs installés aux franges de la zone métropolitaine, aux immigrants et émigrants internationaux, et aux populations indiennes. Elle est considérée comme une régression par certaines associations indiennes, qui regrettent de ne plus avoir d’interlocuteur institutionnel spécifique et d’être ramenées à la figure de migrants.
53Enfin, au niveau inférieur de gouvernance, certaines delegaciones (subdivisions administratives du DF que l’on pourrait rapprocher des arrondissements parisiens) ont également créé des sections spéciales pour les populations indiennes. La delegación Cuauhtémoc, qui administre le quartier central du centre historique, vitrine de la politique urbaine à Mexico, a ouvert le pas en 2004 en inaugurant le Servicio de Atención para Poblaciones Indígenas (Service d’attention aux populations indiennes).
54La superposition des niveaux institutionnels, à l’échelle de l’État fédéral, du DF ou des delegaciones, reflète le mouvement de décentralisation à l’œuvre au Mexique. On peut également voir dans ce relatif éclatement des structures le symptôme d’un nouveau modèle de gestion étatique de l’ethnicité qui marque le passage d’une gestion populiste des champs sociaux à une approche néo-libérale : l’État « privatise, mais aussi il déconcentre, décentralise, régionalise, renvoyant partout à la base des compétences qu’il n’est plus en mesure d’exercer, notamment dans le domaine de l’éducation, de la santé et même de la justice » (Favre, 1996, p. 121). La transformation de l’Institut national indigéniste (INI), créé en 1948 et maître d’œuvre de l’indigénisme intégrateur, en CDI (ou Conadepi : Comisión Nacional para el Desarrollo de los Pueblos Indígenas) entérine le changement de paradigme. Par ailleurs, le développement de ces institutions ne s’accompagne pas de la mise à disposition de moyens conséquents. Le cas du Service d’attention aux populations indiennes de la delegación Cuauhtemoc était particulièrement criant, en 2009 : l’équipe, composée de trois personnes, était logée dans un stade à quelques rues de l’unité centrale de l’administration. Elle occupait un pré-fabriqué, coincé entre deux autres modules qui servaient de vestiaires aux usagers des équipements sportifs, et ne possédait qu’un ordinateur. Si la multiplication des institutions peut laisser dubitatif quant à leur marge d’action, elle ne laisse en revanche aucun doute quant à l’importance symbolique, au début des années 2000, d’accorder une visibilité aux populations indiennes dans la structure administrative de la capitale.
Les politiques mises en place à l’échelle de la municipalité : entre traitement différencié et accès aux droits
55Il est impossible de présenter sans schématisme les politiques publiques à destination des populations indiennes mises en place à Mexico, pour plusieurs raisons. D’abord, elles évoluent sur la période considérée, d’un gouvernement municipal à l’autre. Ensuite, elles ne sont pas toujours visibles, les actions mises en place par la municipalité se caractérisant par une double ambition : celle de créer des programmes répondant à des besoins jugés spécifiques aux populations indiennes, portés par les institutions en charge de cette population (DAI puis Sederec à l’échelle municipale ; branche métropolitaine de l’INI puis de la CDI à l’échelle fédérale) ; celle de permettre l’accès aux droits communs des populations indiennes, en sensibilisant les autres services du gouvernement municipal aux problématiques de ces populations, ou en diffusant auprès des groupes indiens des informations sur ces programmes.
56Les actions destinées à promouvoir la présence indienne sont diverses, à l’échelle de la municipalité : financement de fêtes comme la Guelaguetza, qui réunit les traditions de danse et de musique de sept régions indiennes de l’État de Oaxaca ; promotion de ferias artisanales ; expérimentations d’écoles bilingues, comme l’école Alberto Correa, dans le quartier de la Roma, où sont scolarisés une partie des enfants otomis ; traduction de certains documents officiels en nahuatl, la première langue indienne parlée dans la ville de Mexico ; financement de monographies et d’initiatives destinées à préserver la mémoire et le patrimoine des « villages originaires », comme Xochimilco ; recension de plantes médicinales. Ces initiatives favorisent les individus ou groupes qui se rattachent à des figures identifiables de l’indianité : l’indien folklorique de la Guelaguetza, l’Indien artisan, l’Indien proche de la nature, ou encore le « néo-Indien », qui renvoie à la grandeur du passé aztèque. Ces idéaux-types incarnent des facettes d’une indianité conventionnelle, aisément qualifiée d’« authentique », et valorisable tant auprès d’un public mexicain, dans la continuité du processus de construction de l’identité nationale, que d’un public étranger, dans le cadre d’un projet touristique de mise en valeur de la ville et du patrimoine culturel national (Cunin et Rinaudo, 2009)14.
57Les actions qui relèvent de la redistribution sociale s’inscrivent dans trois principaux domaines : l’emploi, la justice et le logement, en réponse aux revendications des associations indiennes à Mexico. Pour l’emploi, les gouvernements successifs ont peiné à proposer d’autres mesures qu’un appui aux vendeurs d’artisanat, en partie en raison des résistances d’une partie des populations indiennes à délaisser le commerce ambulant, en partie aussi à cause des blocages récurrents et des inégalités sur le marché de l’emploi au Mexique. L’accès à la justice a fait l’objet de la mise en place de mesures spécifiques, concernant par exemple le droit à un traducteur en langue indienne lors des procès. Leur mise en œuvre s’avère toutefois problématique et se heurte à la mauvaise volonté de certains agents de l’État, qui refusent de reconnaître comme Indiens leurs interlocuteurs ou de leur accorder le traitement spécifique auquel ils ont droit (Igreja, 2005 ; Blenet, 2009). Une réflexion ambitieuse a aussi été menée dans le courant des années 2000 sur la possibilité de tolérer en ville certaines manifestations d’une justice communautaire, spécifique aux divers groupes indiens, aux côtés de la justice de droit commun (Molina et al., 2005 ; Igreja, 2010). L’Instituto de Vivienda (Institut du logement) du DF, enfin, a inauguré en 2003 un premier immeuble dans le cadre d’un programme d’accès au logement social par la propriété à destination des populations indiennes, déjà évoqué plus haut. Le dispositif élaboré permettait aux familles indiennes, sous certaines conditions, d’avoir accès au programme de logement social général dont elles se trouvaient sinon exclues, faute de ressources et de moyens d’attester de leurs revenus. Dans l’ensemble, les Indiens se voyaient attribuer des appartements dans des immeubles occupés par d’autres familles indiennes, avec une architecture particulière (pièces plus grandes que dans les autres logements sociaux pour tenir compte des familles indiennes élargies, salle dédiée à des activités collectives). Très important sur le plan symbolique, en permettant à des familles migrantes, indiennes et pauvres de devenir propriétaires, et qui plus est, souvent dans les quartiers convoités du centre historique, le programme de logement a toutefois pâti de blocages liés, justement, à la centralité (spéculation foncière), à la lourdeur administrative du programme et au manque de moyens financiers. Au final, environ 1000 familles indiennes en auront bénéficié entre 2003 et 2015. Le programme de logement a structuré très fortement la vie quotidienne en ville de nombreuses familles indiennes candidates, en générant de nombreuses interactions avec les pouvoirs publics et les divers acteurs gravitant autour de ce programme (militants du Mouvement urbain populaire, associations caritatives, chercheurs, etc.), et en encourageant des formes communautaires de résidence en ville, occuper un terrain avec d’autres familles indiennes étant posé comme pré-requis, plus ou moins explicitement, pour pouvoir entrer dans le programme (Perraudin, 2008).
58On peut estimer que ces politiques ont, dans leur ensemble, échoué à accomplir leur objectif de redistribution sociale. En revanche, en rendant visibles et légitimes diverses facettes de l’indianité en ville, elles ont une portée symbolique conséquente. Mais leur principale implication sur le quotidien des populations indiennes urbaines tient certainement aux structures de la vie associative qu’elles les ont amenées à adopter et à la multiplicité des interactions nouées autour de ces associations avec des acteurs du monde urbain.
Structure et revendications du mouvement indien en ville : le rôle des associations
59Afin de pouvoir bénéficier de la plupart des programmes à destination des Indiens, les candidats à ces aides résidant à Mexico doivent appartenir à des organisations enregistrées auprès des institutions. L’État mexicain est donc moteur dans la structuration des populations indiennes en associations civiles (Igreja, 2005 ; Sánchez Piña, 2005).
60Une telle impulsion reflète le virage qui a eu lieu dans la conception des politiques à mettre en œuvre pour les Indiens à la fin des années 1980. L’indigénisme qui primait depuis les années 1920 est alors vigoureusement remis en cause, dans un contexte de crise généralisée du pays et d’échec patent du modèle de développement mené jusqu’alors. On lui reproche d’être la « manifestation non d’une pensée indienne mais d’une réflexion métisse et créole sur l’Indien », paternaliste et assistantialiste (Favre, 1996, p. 6). Un nouveau modèle de gestion de l’ethnicité est annoncé : l’indianisme. L’objectif et le mode opératoire changent : il ne s’agit plus d’établir depuis la sphère étatique des politiques pour des populations indiennes conçues comme des victimes d’injustices à défendre, mais de renforcer les capacités de la société civile indienne à exprimer ses besoins, et de mettre en place des politiques de participation.
61La formalisation de la vie associative exigée par les institutions répond à une autre logique que celle des organisations informelles mobilisant les réseaux communautaires. Elle a trait à la nécessité d’acquérir une visibilité auprès des institutions, que ce soit dans le but d’obtenir des fonds, de bénéficier de programmes sociaux, ou de défendre des idées et des programmes. Les associations de migrants permettent également d’établir un rapport de force avec les institutions (Quiminal, 2000). Ainsi, si le degré d’organisation formelle dont fait montre un groupe linguistique ne saurait être un indicateur de l’intensité de sa vie communautaire ou de sa présence numérique à Mexico15, il est en revanche révélateur de l’intensité des rapports noués avec les institutions.
62 Le nom des associations fait souvent mention du lieu d’origine ou du groupe ethnique auquel est rattaché le groupe. Le Grupo Otomí Guanajuato, A.C. et le Grupo Otomí Zona Rosa, A.C., sont deux des associations civiles de Santiaguenses les plus actives à Mexico. D’autres associations regroupent des personnes issues de plusieurs villages et groupes ethniques, qui s’organisent autour d’une activité ou de revendications communes. C’est le cas de l’Asamblea de Migrantes Indígenas, ou de l’association Artesanos del Centro Histórico Catedral A.C.
63Dans ce contexte d’interaction entre État et populations indiennes, les revendications varient mais s’articulent autour d’une exigence d’inclusion, d’égalité, et de dignité que l’on retrouve dans la majorité des mouvements indiens en Amérique latine (Le Bot, 2004 ; Gros et Dumoulin, 2011). Elles ont généralement pour point commun de rappeler la légitimité de la présence des populations indiennes en ville, et leur droit à être considérées comme des citadins à part entière.
64Si certaines associations formulent des attentes d’ordre culturel (organisation de danses ou de chants traditionnels, promotion des « racines indiennes »), de nombreuses revendications tournent autour de l’accès concret à des droits sociaux : droit à l’éducation, à la santé, à la justice ou au logement. Ce pragmatisme domine dans les organisations des populations indiennes du centre historique de Mexico, dont celles des Santiaguenses, pour au moins deux raisons. Premièrement, les populations indiennes y connaissent des difficultés aigües en termes d’accès au logement et à l’emploi. L’espace y est convoité, et sa répartition se négocie âprement, par l’intermédiaire d’organisations – les plus puissantes étant celles qui fédèrent les commerçants ambulants. Se structurer en association est donc un mode d’action commun dans ce quartier. Deuxièmement, dans le centre, les Indiens sont particulièrement visibles à cause du commerce ambulant. C’est donc vers ces populations que les institutions se sont d’abord tournées lorsqu’il a été décidé que les groupes indiens devaient se doter de structures formelles. Anciennes, ces associations sont rompues aux négociations avec le gouvernement et particulièrement combatives.
65Lors d’un atelier avec les hommes du groupe otomi de la rue Chapultepec 342, Juan explique l’existence de l’association qu’il dirige par la nécessité de gagner une place dans la ville, au sens symbolique, mais aussi matériel.
« Donc presque tous les gens de Santiago s’organisent dans les villes où ils s’installent. Pourquoi, à votre avis ?
— Parce qu’il leur faut batailler avec les autorités pour obtenir une place dans la ville, surtout qu’on est beaucoup à être commerçants. C’est très rare qu’il y en ait qui s’unissent parce qu’ils sont conscients d’être dans une ville où… on est une minorité. Et qui le font parce que “il faut qu’on soit unis parce qu’on est loin de notre village”. Non, ils s’organisent plutôt à cause des besoins qu’ils ont. Parce qu’ils sont confrontés à des problèmes d’usage de la voie publique, de logement. »
66Selon Juan, l’organisation des habitants de Santiago en associations civiles n’a pas pour fondement, en premier lieu, une solidarité intracommunautaire ou la volonté d’exprimer ou de défendre une identité particulière. Les organisations des Santiaguenses ont d’abord pour objectif d’obtenir une amélioration concrète des modes de vie de leurs membres. Le langage de l’identité est celui qui permet de se faire entendre.
67 La diversité des revendications, mais aussi la compétition pour des ressources publiques limitées, a accentué une conflictualité latente entre des associations indiennes dont les membres sont souvent, par ailleurs, en concurrence quotidienne pour l’occupation des rues de Mexico. Ainsi, les organisations d’Indiens mazahuas ou otomis présentent une unité de façade pour avoir plus de poids face au gouvernement lors de certaines négociations, mais sont rivales lorsqu’elles se trouvent en compétition pour l’accès à l’espace de vente ou pour entrer dans des programmes spécifiques. En favorisant certaines associations, le gouvernement entretient la lutte pour l’accès à un statut d’interlocuteur privilégié, qui divise les associations.
68Dès lors, à Mexico, les organisations indiennes sont relativement atomisées, et malgré une série de tentatives pour coordonner les actions des différents groupes indiens et formuler un discours commun, on ne saurait parler de « mouvement indien ». En revanche, le mouvement zapatiste, né dans les montagnes du Chiapas, mais dont la portée s’est répercutée sur les scènes locale, nationale et globale, a constitué pour mes enquêtés une source d’inspiration pour penser leur condition et leur rapport à l’État. Plusieurs d’entre eux étaient présents sur le Zócalo le 8 mars, aux côtés des 200000 autres auditeurs, lors de l’arrivée dans la capitale de la caravane de la « Marche de la dignité indienne16 ». La plupart des représentants indiens se sont en outre rendus au Chiapas pour y visiter des communautés zapatistes, dans le cadre de visites organisées par Cáritas ou par l’Assemblée des populations indiennes du DF. Beaucoup en sont revenus ébranlés et fascinés. C’est le cas notamment parmi les groupes otomis. Une fresque représentant Marcos fumant la pipe illustre l’un des murs de l’espace collectif du logement du 342, avenue Chapultepec, tandis que l’immeuble de Guanajuato s’est proclamé « premier caracol de la Roma ». Même si le mouvement zapatiste ne s’est intéressé que de façon marginale aux problèmes spécifiques rencontrés par les Indiens urbains, il a contribué à ce que s’ouvre un espace de reconnaissance de ces populations à Mexico, en donnant un visage et une voix à des populations jusqu’alors ignorées ou stigmatisées.
Les représentants indiens, des intermédiaires
69Les leaders des organisations indiennes sont devenus des acteurs incontournables pour les institutions, les organisations non-gouvernementales, les chercheurs et les journalistes. Ils sont constamment sollicités, pour défendre des projets particuliers auprès des institutions, siéger dans les assemblées consultatives qui se sont multipliées à Mexico, ou communiquer auprès des médias.
70Dans le centre historique, les représentants indiens ont la particularité d’être issus du milieu populaire, très loin du profil sociologique que dessine Favre des leaders associatifs de l’indianisme, « urbanisés, éduqués et occidentalisés » (1996, p. 108). Juan Ventura vendait des fleurs dans la rue lorsqu’il était enfant, avant de devenir représentant du groupe otomi Zona Rosa A.C. Tout comme lui, nombre de représentants des organisations du centre n’ont été que peu scolarisés. Beaucoup ont été alphabétisés dans des ateliers organisés par les institutions publiques à leur intention. Ils y ont appris à s’exprimer, à discerner et défendre leurs droits, à se confronter aux autorités de la ville. Leurs parcours personnels sont remarquables.
71Le manque de renouvellement de ces leaders indiens, qui évoquent parfois la figure du cacique, est un effet pervers de ce système. Selon Guillermo de la Peña, le cacique est « l’ambigu représentant des classes populaires. Ce rôle lui permet d’accumuler pouvoir et richesse […]. Le secret de son succès et de sa durabilité réside dans son rôle de médiateur » (1993, p. 29). Les correspondances sont nombreuses avec la situation de certains représentants en ville : position d’intermédiaire entre les diverses institutions et le reste du groupe, pouvoir politique et économique découlant de cette situation privilégiée.
72Ainsi, à Mexico, la plupart des représentants sont à la tête de leurs organisations depuis la création de celles-ci, il y a désormais une ou deux décennies. Diriger une association civile demande certes un fort investissement personnel, et nécessite de mobiliser des compétences bien particulières. Les difficultés qu’ont eues à surpasser les représentants, les apprentissages et l’engagement dont ils font preuve expliquent, d’après eux, le manque d’intérêt des autres membres de leur groupe pour les soulager et prendre la relève. Mais sans renouvellement des instances dirigeantes, la base de la légitimité des représentants devient contestable, et des privilèges de position pour les représentants et leur famille se constituent. Même si le niveau de vie de ces derniers ne s’éloigne guère de celui des autres membres du groupe qu’ils représentent, l’asymétrie se creuse notamment au niveau de l’accès aux informations.
La société civile en appui aux populations indiennes
73Des organisations non-gouvernementales jouent aussi un rôle important d’appui aux populations indiennes. Certaines ont un rôle caritatif, comme Cáritas, ou servent d’intermédiaires avec les institutions gouvernementales. D’autres ont une action davantage politique, comme certaines associations rattachées au zapatisme ou au Mouvement urbain populaire.
74On observe néanmoins, au cours des dernières années, un net retrait de la société civile et l’effondrement de nombre de structures qui dispensaient une aide directe aux Indiens, si bien que contrairement au schéma qui primait dans les années 1990, l’État est prééminent en matière d’aide aux populations indiennes. En dehors des initiatives publiques, les structures ouvertes aux Indiens sont peu diversifiées. Elles prennent peu de risques dans le choix de leurs bénéficiaires et dans l’élaboration de projets qui doivent être rentables sur le court terme. Pour des raisons pragmatiques, les ONG gravitent donc surtout autour des Indiens les plus visibles, ceux qui sont organisés en associations. Ceci explique que se soient créés à Mexico, parmi les Indiens, des groupes « sur-institutionnalisés », comme le reconnaissent volontiers les différents acteurs locaux – et dont font partie les Otomis.
75Plus spécifiquement, les Santiaguenses ont accès à certains programmes menés par Cáritas. L’organisation les sensibilise aux discriminations, les informe sur leurs droits, et peut apporter une aide financière ponctuelle en cas de grave difficulté – d’accès aux soins, par exemple. Mais l’association la plus présente auprès de ce groupe indien est une association locale, le centre Colibri. Ses locaux sont situés dans le quartier de la Roma, à quelques pâtés de maison des logements indiens. L’association avait pour projet initial d’accueillir les enfants de la rue (qui ne sont pas spécifiquement indiens), dont beaucoup gravitent à proximité du métro Insurgentes. Au fil du temps, la fondatrice de l’association a pris connaissance de la situation de précarité des Otomis et a commencé à travailler avec les enfants indiens, puis avec les femmes. L’association est constituée de trois ou quatre travailleurs sociaux, et d’une kyrielle d’étudiants, stagiaires ou bénévoles. Certaines femmes indiennes vont quotidiennement faire un peu de ménage dans le centre. L’une d’elles surtout, Adelia, la seule à être salariée par l’association, d’abord comme cuisinière puis comme travailleuse sociale, joue un rôle essentiel en faisant le lien entre le public otomi et les autres employés de l’association, tous métis.
76La grande maison dans laquelle est installée l’association s’est peu à peu transformée en un point nodal pour de nombreux enfants et femmes otomis. Les enfants sont accueillis dans le centre quotidiennement, avant ou après l’école (les cours ayant lieu sur une demi-journée). Ils y bénéficient d’un repas équilibré par jour, y font leurs devoirs et participent à des activités : jeux, initiation à l’informatique, ateliers sur la violence, etc. L’association organise également depuis plusieurs années des ateliers destinés aux femmes, dans les lieux d’habitat des différents groupes indiens. Ils traitent de l’accès aux droits, de la santé, de la violence domestique, ou des addictions. Enfin, l’association joue un rôle d’intermédiaire avec d’autres institutions, aidant à résoudre certains problèmes rencontrés par les familles.
77L’influence du Colibri est déterminante au sein des groupes otomis, et permet de comprendre les relations qui se nouent entre les groupes otomis et le « monde urbain », mais aussi certaines dynamiques au sein des groupes indiens, notamment parmi les femmes. Le Colibri oriente en effet son action autour du rejet du travail infantile. Il véhicule de ce fait une vision normative de ce qu’est la place d’un enfant, ou le rôle d’une « bonne mère ». Le Colibri intervient aussi dans la requalification de certaines activités culturelles. En 2006, par exemple, des travailleurs sociaux ont construit dans les squats des autels pour la fête des morts, avec les enfants. On peut alors se demander dans quelle mesure ce qui se présente comme protection du patrimoine culturel ne devient pas imposition d’un folklore : les traditions autour de la fête des morts prennent des formes très différentes d’une région à l’autre ; il s’agit, par ailleurs, d’une fête familiale, intime. L’action du Colibri dans le domaine culturel est donc fortement intrusive et normative.
78En dépit de ce biais, le Colibri est plutôt estimé au sein des groupes otomis. Les locaux de l’association sont un lieu de socialisation pour la plupart des enfants otomis, et un point de référence pour tous.
Des identifications problématiques
79Un cadre émerge donc à Mexico pour la reconnaissance des populations indiennes, constitué par des espaces institutionnels, des associations indiennes, et des organisations de la société civile. Face à la grande diversité des populations indiennes en ville (une cinquantaine de langues indiennes sont parlées à Mexico, sans mentionner la prétention des néo-aztèques, qui se réclament héritiers des fondateurs de Teotihuacán, à être également reconnus comme indiens), l’opération de reconnaissance est aussi une opération d’identification, de légitimation et de classement des formes de l’indianité. Comment ces opérations interagissent-elles avec les stratégies d’ (auto)-identification des populations indiennes, collectivement et individuellement ?
Identifications et classements implicites
80Selon G. De la Peña :
« Un des attributs de l’hégémonie de l’État en Amérique Latine a toujours reposé sur la capacité des gouvernants de définir ce qu’est être indien, et de générer les conditions pour qu’une identité politique indienne spécifique émerge au sein de la nation » (De la Peña, 2005, p. 719).
81Ce processus de catégorisation, « par la coercition et le consensus » (loc. cit.) génère des stratégies de redéfinition et de légitimation de l’identification au sein des populations indiennes. L’accès à la reconnaissance passe d’abord par une compétition pour l’accès à la visibilité et l’adéquation aux indianités légitimes.
82Comment se joue ce processus en ville ? Même si le recensement mexicain repose sur l’auto-déclaration des individus comme indiens, dans les faits, pour bénéficier des aides spécifiques de la municipalité, les individus sont invités à faire preuve de leur indianité. Dans la mesure où de nombreuses personnes sont bilingues ou ne parlent plus de langue indienne, appartenir à une association indienne est alors un élément discriminant aux yeux des institutions. Si elle fait reposer l’identification comme indien sur les pairs, l’adhésion à un groupe indien réactive deux critères à partir desquels l’indianité est conçue dans les représentations dominantes au Mexique : une socialisation communautaire, et l’attachement à un lieu d’origine qui fonderait l’identité ethnique.
83Des distinctions entre les groupes indiens sont par ailleurs établies à partir des catégorisations de « migrants », « originaires », et « résidents », co-produites par les fonctionnaires, les travailleurs sociaux et les associations indiennes. Les populations originaires (pueblos originarios), qui n’ont pas migré mais sont devenues urbaines en raison de l’extension territoriale de la ville, ont fait l’objet d’un intérêt particulièrement aigu des chercheurs et des institutions publiques en charge de la question indienne à Mexico, au cours des dix dernières années17. Une telle attention atteste du fait que les populations originaires bénéficient d’une forme de légitimité particulière : elles résident sur leur territoire ancestral ; elles apparaissent comme les emblèmes d’une culture traditionnelle en proie à la menace de la globalisation, concrétisée par l’expansion urbaine ; enfin, à travers les populations originaires réapparaît le palimpseste de la ruralité sous la « tâche urbaine ». À cet égard, l’agenda de travail de l’actuel organe de gouvernement en charge des populations indiennes à Mexico est significatif. À l’occasion du renouvellement de l’équipe municipale en 2007, la Dirección de Atención a Indígenas (Direction d’attention aux Indiens) est devenue Secretaría de Desarrollo Rural y Equidad para las Comunidades, Secrétariat de développement rural et d’équité pour les communautés : la référence à l’indianité a disparu derrière une référence à la ruralité, comme si les deux étaient équivalentes.
84La possibilité de projeter sur les populations originaires des images conventionnelles de l’indianité explique sans doute leur attractivité auprès des institutions urbaines, mais elle n’est pas sans soulever des objections, en particulier au sein des groupes indiens qui luttent au contraire pour que soit pleinement reconnue leur appartenance urbaine. Silvia, une représentante mazahua, s’agace :
« Le Secrétariat de je-ne-sais-quoi rural m’a contactée. Rural ? Et où je vais les mettre mes poules ? (Silvia montre la salle en ciment dans laquelle nous discutons). Où je vais semer ma milpa18 ? Qu’est-ce qu’il faut qu’on fasse pour qu’ils s’intéressent à nous ? Il faut que je plante ma milpa sur le toit de mon immeuble pour qu’ils me voient19 ? »
85L’emploi des concepts « originaires » et « migrants » révèle à quel point la dimension spatiale demeure fondamentale pour penser l’indianité aujourd’hui à Mexico. L’identification comme « migrant » renvoie implicitement à une extériorité et à une présence transitoire en milieu urbain. Elle interroge, par ailleurs, la légitimité à se revendiquer comme indien, puisque le territoire reste perçu comme foyer culturel, support de mémoire. Dans cette perspective, puisque les Indiens « migrants » ne vivent plus sur la terre de leurs ancêtres, il leur incombe de produire une autre forme de légitimation de leur appartenance ethnique20.
86Parmi les représentants indiens issus de la migration, il existe en outre un désaccord sur l’opportunité d’être désignés comme « migrants ». Si certaines associations, comme l’Asamblea de Migrantes Indígenas, par exemple, s’approprient ce terme, la majorité exigent qu’il soit abandonné, le jugeant discriminatoire. Elles lui préfèrent celui de « résidents » (residentes ou radicados). En exigeant d’être désignés comme résidents, en s’auto-définissant, les organisations indiennes prennent place dans l’espace public et s’affirment comme acteurs incontournables des politiques locales. En invoquant la continuité de leur présence dans la ville, ces associations, dont font partie les groupes otomis, s’inscrivent par ailleurs contre un imaginaire collectif qui les renvoie constamment au monde rural et à leurs villages d’origine, et exigent que soit entièrement reconnu leur droit à la ville. Mais, en anticipant sur une analyse qui sera développée ultérieurement, on observe que la migration internationale qui se met en place au sein des groupes indiens depuis la ville de Mexico vient questionner à nouveau l’identification comme migrants ou résidents : à première vue, en partant vers les États-Unis, les candidats à la migration endossent à nouveau pleinement une identité de migrants. Comment les groupes perçoivent-ils la réactivation d’une catégorie qu’ils ont été amenés à contester ?
87 L’application du multiculturalisme en Amérique latine repose par ailleurs sur le principe selon lequel les Indiens sont porteurs d’une culture spécifique, qui justifie que soient mis en place des politiques particulières. L’obtention d’un statut à part est plus aisément légitimé si cette spécificité culturelle s’exprime sous des formes visibles, clairement identifiables. La culture au sens étroit, entendue comme manifestation artistique ou artisanale, est alors garante de la culture au sens large, qui renvoie aux modes de vie et de pensée.
88Sous couvert de la mise en place de politiques et d’espaces de reconnaissance, la ville s’avère donc un espace de forte compétition pour la visibilité entre les groupes indiens. Certaines formes d’indianité y sont davantage encouragées que d’autres. Les individus ont conscience de ces logiques de classement. Ainsi, lors d’un atelier avec les hommes otomis du terrain de Chapultepec 342, Benito, 40 ans, affirme :
« C’est sûr, la langue otomi va se perdre, elle ne peut pas se battre contre l’espagnol. Pour l’instant on parle encore otomi, mais dans 5 ans, dans 10 ans, je ne crois pas. Certaines petites coutumes, certaines traditions, oui, on va les sauver. Mais nous les Otomis on n’a pas tellement de coutumes, on n’est pas comme ceux de Oaxaca ou ceux de Michoacan » (Mexico, 2007).
89Les interactions constantes qui ont lieu en ville entre différents groupes indiens et les modes de légitimation mis en place, plus ou moins explicitement, par les institutions dans le cadre du processus de reconnaissance, débouchent sur des comparaisons qui peuvent s’avérer dévalorisantes. L’inquiétude de Benito exprime bien sa perception : une forme d’indianité qui peut être identifiée avec des coutumes visibles, attractives, conformes aux représentations dominantes et légitimes de l’indianité, trouve plus facilement sa place en ville que d’autres.
Espaces d’hyper visibilité, espaces d’occultation : les scènes de l’indianité
90En conséquent, la mise en place de politiques multiculturelles ne résout ni la question du racisme, ni celle de la redistribution matérielle en faveur des populations indiennes. La ville dans son ensemble n’est pas soudain devenue accueillante et intégratrice. On peut en revanche considérer que le multiculturalisme a multiplié les espaces – sociaux et géographiques – dans lesquels certaines manifestations de l’indianité sont tolérées ou valorisées. Tous les espaces urbains ne sont donc pas propices à un processus de renversement du stigmate, et les espaces d’hyper visibilité jouxtent ceux où l’indianité gagne encore à être occultée. La notion de « scènes de l’ethnicité », développée par Élizabeth Cunin, est alors utile pour analyser la façon dont l’ethnicité peut être performée en fonction des contextes d’interaction (Cunin, 2006 ; Goffman, 1973).
91Dans les quartiers périphériques, l’identité ethnique des populations indiennes ne se manifeste pas de l’extérieur : ni l’architecture des habitations ni, généralement, l’apparence extérieure des occupants ne traduisent ouvertement l’origine indienne d’une grande partie des habitants (Hiernaux, 2000). La vitalité, dans ces quartiers, de la présence indienne transparaît par d’autres éléments : le dynamisme d’associations qui organisent des projets de développement locaux dans les villages indiens, ou qui maintiennent les danses traditionnelles et la musique de bandas caractéristiques des peuples indiens de l’État de Oaxaca ; les célébrations dans ces quartiers des fêtes des Saints patrons honorés dans les villages (par exemple la Vierge de Juquila) ; ou encore l’élection à la tête de Ciudad Nezahualcóyotl d’un maire qui met en avant son origine de l’État de Oaxaca.
92En revanche, peut-être parce que le centre historique demeure un lieu de passage, peut-être aussi en raison de son fort capital touristique, l’indianité y est plus visible que dans d’autres espaces urbains. Femmes indiennes venues pour la journée afin de faire quelques emplettes ou de vendre leur production artisanale, vêtues de leur costume traditionnel, campesinos (paysans) mobilisés dans un sitting en face du Palais national pour protester contre l’abus de pouvoir d’une autorité locale ou artisans ayant compris l’attractivité, pour des touristes en quête de folklore, de leurs huipiles (blouses) barriolés, le centre historique peut s’avérer le lieu d’une manifestation, et parfois d’une mise en scène, d’une indianité dont les marqueurs sont davantage dilués dans d’autres contextes urbains.
93Dans les institutions dédiées aux populations indiennes, il est également bon de marquer clairement son appartenance ethnique. Dans d’autres espaces institutionnels en revanche, comme ceux ayant trait à la santé, mieux vaut éviter d’être identifié comme indien, de même que dans la plupart des interactions quotidiennes.
94Le risque d’être discriminé, plus ou moins latent selon les contextes ou les interlocuteurs, pousse donc certains individus à occulter les marqueurs identitaires de l’indianité. De nombreuses personnes abandonnent le vêtement traditionnel pour s’habiller, selon leurs propres termes, « comme les citadins » : jeans, chemisiers ou tee-shirts moulants pour les femmes jeunes, jupes droites à mi-genoux pour les plus âgées ; pantalons baggy et tee-shirts amples pour les hommes, mocassins ou baskets. Les styles capillaires suivent la mode, les tresses autrefois d’usage dans les zones rurales étant délaissées par les femmes au profit de simples queues de cheval, avec des franges savamment élaborées (dégradées, ou bien bombées à l’aide d’une brosse et de gel), tandis que les jeunes garçons se lancent dans des coiffures sophistiquées, figeant leurs mèches en piques ou en forme de cornes, à grand renfort de gel. Les codes urbains sont également adoptés dans le langage : il s’agit non seulement d’éviter de s’exprimer en langue indienne dans les lieux publics, mais aussi de maîtriser, en espagnol, les expressions, les modismes, l’intonation et les jeux de mots marquant le parler chilango21, propre aux classes populaires de la capitale. Par ailleurs, certains parents ne souhaitent plus enseigner la langue indienne à leurs enfants, par peur qu’elle ne les handicape (Durin, 2003).
95Les limites de ce phénomène d’occultation de l’indianité et d’appropriation de marqueurs culturels urbains doivent être soulignées. En premier lieu, comme l’indique Séverine Durin, « occulter ne signifie pas nécessairement nier » (2003, p. 72). Ce processus d’évitement de l’identification comme indien doit être entendu en relation à des situations d’interactions. Il ne signifie pas que se perd l’usage de la culture dans l’espace familial. Par ailleurs, on peut questionner l’efficacité d’une telle stratégie d’occultation. La catégorie « indien » est fortement racialisée (Castellanos, 2003). Dès lors, dans le processus de (dé) codage de la différence, le phénotype peut dénoter l’origine indienne de la personne : la taille, la couleur de la peau, la forme du visage, constituent des critères d’identification. Seuls, ils ne suffisent pas à désigner une personne comme indienne, mais se couplent avec d’autres indices pour amener à ce qu’une personne soit identifiée comme telle : un léger accent ou une hésitation sur certains mots de vocabulaire, pour ceux qui n’ont appris l’espagnol que tardivement ; l’adoption d’un style vestimentaire qui renvoie à un groupe social fortement ethnicisé, comme par exemple celui des employées domestiques ; le manque de maîtrise de certains codes culturels ; une attitude corporelle qui trahit le malaise ou le manque d’assurance dans un milieu auquel la personne ne se sent pas appartenir, etc. Ainsi, en dépit des efforts des acteurs pour occulter leur appartenance à un groupe indien, l’habitus incorporé, qui englobe les habitudes alimentaires, la façon de s’exprimer, les gestes corporels, tout ce qui fonctionne en dehors de la conscience et du langage, se manifeste (Bourdieu, 1998). Les tentatives, même infructueuses, pour adopter les codes urbains sont cependant souvent valorisées par la société dominante. Sont surtout rejetés les individus qui refusent manifestement les codes ostensibles de l’acculturation, leur attitude étant interprétée comme une provocation à l’encontre de l’idéologie fondatrice du pacte national (Molina et al., 2005).
Conclusion
96Au cours de la seconde moitié du xxe siècle, la présence de populations identifiées comme indiennes a augmenté dans une proportion inédite dans les villes mexicaines. Du fait de la construction historique du « régime d’altérité » au Mexique, qui associe les Indiens au monde rural et à la tradition, et qui considère la ville comme le creuset de l’assimilation des Indiens à la société majoritaire, les Indiens urbains ont longtemps fait figure d’oxymore. Considérés comme étant de passage, exposés à un racisme qui se manifeste dans les interactions quotidiennes et dans des structures de discriminations traversant la société mexicaine, ils ont pour la plupart vu leur projet de migration vers les villes mexicaines se heurter à un mécanisme de marginalisation économique et sociale. C’est à ce processus qu’a cherché à répondre l’implantation du multiculturalisme à Mexico au début des années 2000, à travers des programmes visant à reconnaître la présence des Indiens en ville sur le plan symbolique et culturel, sans occulter la dimension sociale et économique de la marginalisation urbaine. Les politiques publiques à destination des Indiens à Mexico s’inscrivent donc dans la veine du multiculturalisme intégré, et accordent une part aux droits sociaux. Dans leur mise en œuvre, et malgré les efforts des concepteurs des politiques publiques pour limiter un biais qui fait désormais partie des critiques récurrentes opposées aux politiques multiculturelles, les programmes ont toutefois sélectionné et consolidé des définitions et représentations de l’indianité bien plus restrictives que la grande variété des profils, histoires et trajectoires des populations indiennes en ville. Le lien avec un lieu d’origine rural, l’organisation communautaire, la mise en avant de certaines pratiques culturelles, constituent les critères, plus ou moins explicites, à partir desquels est reconnue l’indianité en ville.
97 Dans ce contexte, l’inscription urbaine des Otomis à Mexico repose sur une mise en visibilité très nette de l’indianité et sur une forme d’organisation qui est celle de la communauté ethnique : constituée autour de la référence à Santiago Mexquititlán, activée au quotidien à travers des sociabilités organisées autour de l’origine ethnique et géographique partagée, elle est matérialisée par l’insertion résidentielle sous la forme de squats dans lesquels ne résident que des familles originaires de Santiago. La solidarité intra-ethnique est une réaction face aux obstacles à l’insertion urbaine et au racisme. Mais les formes spécifiques qu’elle emprunte (habitat collectif, commerce d’artisanat), doivent également être mises en rapport avec une structure d’opportunités en ville liée à la globalisation et aux politiques multiculturelles. La mise en visibilité de la différence culturelle, dans les circonstances adéquates et en endossant les marqueurs identitaires requis en fonction des contextes d’interaction, s’apparente donc à une stratégie individuelle et collective de distinction au sein des couches populaires, à lire comme une tentative de sortie de la pauvreté et d’insertion urbaine. Sur la mobilisation de la solidarité fondée sur l’origine, une stratégie d’adaptation fréquente en migration, se greffe alors une stratégie de saisie des opportunités offertes par une ville qui prétend valoriser la différence culturelle.
98La reconnaissance institutionnelle qui s’expérimente à Mexico depuis une dizaine d’années s’avère, à l’issue de l’analyse, emblématique mais limitée. Si les programmes menés paraissent efficaces sur un plan symbolique, ils n’ont jusqu’à présent modifié qu’à la marge les conditions matérielles des populations qui y sont candidates, renvoyant à la tension énoncée par Nancy Fraser entre reconnaissance et redistribution (2005). Y compris pour les populations bénéficiaires d’aides matérielles spécifiques, comme celles qui ont pu devenir propriétaires d’un appartement en plein centre-ville dans le cadre du programme de logement développé depuis 2000, l’absence d’un volet solide d’aide à l’accès à l’emploi nuit à la création d’une dynamique de mobilité sociale (Perraudin, 2008). Par ailleurs, pour devenir visibles, les populations indiennes doivent « performer » l’indianité en fonction des contextes d’interaction, afin de mettre en avant ou en retrait des marqueurs identitaires qui peuvent s’avérer porteurs de stigmate ou sources de distinction positive. En définitive, pour les Otomis, l’expérience de l’insertion à Mexico est limitée aux interstices de la ville, circonscrite par les réseaux communautaires et saturée par l’identification, pour soi et par autrui, à l’indianité.
Notes de bas de page
1 Voir Lestage, 2001 ; Gros et Dumoulin, 2011 ; Agudelo et Boullosa-Joly, 2015.
2 Entre autres, Lestage, 2001 ; Le Bot, 2009 ; López-Caballero, 2012.
3 L’équivalent de 7 euros. La somme est cependant jugée trop élevée par de nombreux Santiaguenses installés à Mexico, qui ne retournent au village que de façon épisodique et au prix d’efforts économiques.
4 Ce sont les groupes indiens les plus nombreux à Mexico, cités ici dans l’ordre décroissant de leur importance numérique (INEGI, 2000).
5 Forme d’habitat collectif populaire, correspondant souvent à un immeuble construit autour d’un patio central.
6 Même si cet imaginaire est en passe de changer pour le centre historique (Hiernaux et Rivière d’Arc, 2003 ; Díaz, 2014).
7 Voir Castellanos, 2003 ; Albaet al., 2007 ; DURIN, 2010.
8 Le salaire minimum, au Mexique, est un montant journalier, réévalué chaque année. En 2000, pour la région de Mexico, il correspondait à 37,90 pesos/jour, soit entre 2 et 3 euros, approximativement.
9 Voir De Rudderet al., 2000 ; Fassin, 2009.
10 Voir entre autres Hiernaux, 2000 ; Castellanos, 2003 ; Igreja, 2005 ; Oehmichen, 2005 ; Velasco Ortiz, 2007 ; Durin, 2010.
11 Une colonia est une subdivision administrative territoriale qui désigne l’équivalent d’un quartier.
12 Le tequio désigne un travail d’utilité collective, et le système des charges (cargos) un mode d’organisation traditionnel, en fonction dans de nombreux groupes indiens, reposant sur une rotation de la fonction publique.
13 Entre autres Gros, 2000 ; Gros et Dumoulin, 2011 ; Wade, 2011 ; Boccara et Ayala, 2012 ; Agudelo et Boullosa-Joly, 2015.
14 Il y aurait beaucoup à dire sur les figures de l’indianité valorisées par ces politiques de reconnaissance culturelle, et sur les lieux dans lesquels elles sont admises. Je renvoie sur ce point à ma thèse doctorale, mais aussi aux travaux sur les peuples originaires et sur les « néo-indiens » (Moraet al., 2004 ; Galinier et Molinie, 2006 ; López-Caballero, 2012).
15 Les Indiens nahuatls, par exemple, premiers par le nombre dans la capitale, se greffent de préférence sur des organisations portées par d’autres groupes. Jonathan Fox observe le même phénomène aux États-Unis : en dépit de l’ancienneté de leur migration, les Nahuatls n’y créent pas d’organisations spécifiques mais participent aux organisations dirigées par d’autres Indiens ou des métis (Fox et Rivera-Salgado, 2004).
16 La « Marche de la dignité indigène » a été conduite par 24 représentants de l’Armée nationale de libération nationale (EZLN) de la forêt lacandone (Chiapas) jusqu’à Mexico, du 25 février au 5 avril 2001. Elle avait pour objectif de faire entrer dans la Constitution les accords de San Andrés et de faire pression sur le gouvernement avant d’initier une nouvelle étape du dialogue pour la paix (Tamayo et Cruz, 2003).
17 Entre autres, Moraet al., 2004 ; Molinaet al., 2005 ; Yaneset al., 2006 ; López-Caballero, 2012.
18 La milpa désigne une parcelle cultivée.
19 Silvia de Jesús Maya, représentante de l’association La Mansión Mazahua, Mexico, 2006.
20 La question est d’autant plus délicate que les migrations indiennes demeurent un point aveugle des principaux textes de loi qui font référence à l’indianité et aux droits qu’elle comporte. Ni la Convention 169 de l’OIT sur les peuples autochtones, ni la réforme constitutionnelle de 1992 qui reconnaît légalement la diversité culturelle à Mexico, ni les accords de San Andrés, n’évoquent la situation et le statut des Indiens migrants, en dépit de leur importance numérique.
21 Cet adjectif désigne les habitants de ville de Mexico, mais aussi plus spécifiquement, dans le langage commun, les personnes des classes populaires de la capitale et leur culture spécifique. Les chilangos se caractériseraient par un esprit débrouillard, voire roublard, ainsi que par un parler truffé d’argot, marqué par un type d’humour paillard qui joue sur le double sens de certains mots.
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