Chapitre VIII
Quelle place dans le concert des nations ? Buts et destinataires de la diplomatie culturelle
p. 211-239
Texte intégral
« Un des aspects fondamentaux de la construction d’une nation réside dans
la définition de la place qu’elle prétend occuper sur la scène internationale. »
Alex Fortes1
1Il s’agit ici de voir comment, à travers la culture, Argentine, Brésil et Chili se positionnent sur la scène internationale, mais aussi comment, en fonction des destinataires, l’image qu’ils proposent d’eux-mêmes peut connaître des inflexions.
2Dans cette analyse des espaces où se déploient les initiatives argentines, brésiliennes et chiliennes dans le domaine des relations culturelles, nous consacrerons les deux premiers temps de ce chapitre à l’Europe et aux États-Unis, ce qui soulève un certain nombre d’interrogations. Y a-t-il, à proprement parler, une diplomatie culturelle argentine, brésilienne et chilienne à destination des pays européens ? La question se pose, quoiqu’en des termes qui ne sont pas tout à fait similaires, pour les États-Unis. Même si ces derniers ne se saisissent que tardivement de la culture comme arme diplomatique, ils ont néanmoins à leur disposition, surtout depuis la fin de la Première Guerre mondiale, un éventail assez large d’acteurs et d’organismes – dont, d’une certaine manière, l’Union panaméricaine – qui officient dans le domaine des relations culturelles avec le sous-continent. Plus généralement, nous nous demanderons si des pays comme l’Argentine, le Brésil et le Chili disposent d’une marge de manœuvre dans le domaine de la culture face à des pays autrement plus puissants qu’eux, dont le poids économique et l’influence culturelle sont tout sauf négligeables. Cette triple focale nous permet en outre d’observer de manière différente les (dés) équilibres internationaux de l’époque. Ces derniers représentent, pour les pays latino-américains, des enjeux économiques de taille, la crise de 1929 ayant entraîné une reconfiguration des échanges commerciaux et obligeant les gouvernements latino-américains à repenser leur insertion dans les circuits de l’économie mondiale.
3 Après une phase de chute des exportations de ces pays2 et de diminution d’un quart de leurs capacités d’importation, les dirigeants du sous-continent tentent de faire face à la stagnation du commerce extérieur en adoptant comme stratégie la signature d’accords bilatéraux contenant la clause de la nation la plus favorisée. Par la suite, sont mises en place des mesures protectionnistes visant à contrôler les importations, notamment par le biais d’accroissement des tarifs douaniers, et la plupart des pays latino-américains commencent à échanger leurs matières premières contre des machines et des biens d’équipement afin de développer leur industrie nationale. Dans cette perspective, ils font jouer la concurrence entre les différents pays fournisseurs, principalement la Grande-Bretagne, la France, l’Allemagne et les États-Unis. On ne saurait comprendre la politique extérieure des trois pays étudiés et leur action dans le domaine des relations culturelles internationales sans prendre en considération cette situation.
4L’équation apparaît toute différente lorsqu’on se penche sur les actions menées par ces trois États à destination de leurs voisins latino-américains, objet du troisième temps de ce chapitre. Les enjeux économiques comme géopolitiques ne sont en effet plus les mêmes. Ce qui se joue dans ce cadre est la place que chacun souhaite occuper dans la région, la manière de se positionner par rapport aux deux autres. L’étude de la diplomatie culturelle, dans cette perspective, offre un autre regard sur les rivalités croisées entre Argentine, Brésil et Chili ainsi que sur leur perception du reste du sous-continent.
5Moins qu’une étude systématique des destinataires des diplomaties culturelles argentine, brésilienne et chilienne, ce chapitre se propose d’analyser les différentes modalités selon lesquelles l’Autre, avec ses particularités, avec ce qu’il renvoie à chacun comme image, est appréhendé. Chaque pays destinataire considéré constitue ainsi une étude de cas permettant d’offrir un panorama du large spectre que recouvre la diplomatie culturelle.
L’Euro-Amérique au prisme de l’Argentine, du Brésil et du Chili
6Nous avons montré dans notre quatrième chapitre que l’Amérique latine était un objet de convoitises et de rivalités, entre pays européens, mais aussi entre ces derniers et les États-Unis. C’est un constat que la diplomatie française fait dès 1921, soulignant que l’Allemagne, les États-Unis et l’Angleterre sont les principaux rivaux de la France dans cette partie du monde et qu’il convient donc de s’adapter à cette conjoncture pour préserver les intérêts français3.
7Du côté argentin, brésilien et chilien, qu’en est-il ? Quels sont les destinataires privilégiés de l’effort de ces trois pays visant à présenter une image positive d’eux-mêmes ? Comment s’adaptent-ils à une conjoncture de plus en plus tendue qui voit l’Europe se diviser entre le camp des démocraties et celui des régimes autoritaires ? Nous procéderons ici à l’analyse des relations tissées par le biais des relations culturelles avec la Grande-Bretagne, la France et l’Allemagne. À travers ces trois cas, nous souhaitons montrer les modalités différenciées selon lesquelles Argentine, Brésil et Chili opèrent en vue de préserver et conforter leurs intérêts diplomatiques et économiques tout en construisant l’image de pays ayant pleinement leur place dans le concert des nations.
La Grande-Bretagne ou la grande absente
8On doit signaler d’emblée l’étrange absence de la Grande-Bretagne dans nos archives. Les relations économiques entre ce pays et nos trois États sud-américains sont pourtant une donnée capitale dans leur histoire économique – en particulier pour l’Argentine –, même si, depuis la Première Guerre mondiale et plus encore suite à la crise de 1929, la présence anglaise est bien moindre. Elle est en outre l’objet de critiques de plus en plus virulentes de la part de ceux que José Luis Bendicho Beired nomme, pour l’Argentine, les « nationalistes de droite » et pour lesquels la situation internationale du pays était celle d’une domination de la part de l’Angleterre4. En ce qui concerne les relations économiques entre le Chili et l’Angleterre, Joaquín Fermandois note que cette dernière « devenait de plus en plus une protagoniste secondaire des relations du Chili […]5 ». La fin de l’époque glorieuse du salpêtre rendait de toute manière le Chili moins prioritaire pour les Anglais.
9La présence de la Grande-Bretagne est également réduite au sein de l’OCI en général et de l’IICI en particulier, lequel est perçu dès le départ comme un instrument au service de la France. Or ces organismes et les réseaux qu’ils constituent sont à la fois un déclencheur et un outil des diplomaties culturelles argentine, brésilienne et chilienne. Une autre hypothèse d’explication est l’entrée tardive de la Grande-Bretagne sur la scène de la diplomatie culturelle. De fait, le British Council for Relations with Other Countries n’est créé qu’en 1934, à l’initiative du Foreign Office. Un certain nombre de diplomates et d’hommes d’État anglais s’inquiètent pourtant dès les années 1920 de l’absence de toute politique culturelle à destination de l’Amérique latine6.
10Le British Council encourage la création de British Institutes, dont le but est tout à la fois l’enseignement de l’anglais et la valorisation de la culture anglaise. Il s’appuie pour cela sur les entités de ce type qui existent déjà, à Paris, Florence, mais aussi à Buenos Aires. Entre 1934 et 1939, sont créés, en Amérique latine, les Cultural Institutes de São Paulo, Rio de Janeiro, Santiago et Lima. Ces initiatives sont le fruit de la collaboration, initiée en 1935, entre le British Council et l’Ibero-American Institute of Great Britain, organisme dépendant de financements privés. Ce dernier fait à partir de ce moment-là office d’Ibero-American Committee of the British Council.
11Une fois posé le cadre général dans lequel s’effectuent les relations entre la Grande-Bretagne d’une part et l’Argentine, le Brésil et le Chili d’autre part, on peut se demander s’il y a de la place pour le développement d’actions relevant de la diplomatie culturelle de ces trois pays. Nous disposons à cet égard de documents qui éclairent principalement les initiatives brésiliennes.
12En 1936, le Service de coopération intellectuelle envoie une collection de livres au King’s College de Londres, « établissement à la solide réputation », susceptible de « réaliser une œuvre de propagande intelligemment menée pour la culture, l’histoire et la géographie [du Brésil]7 ». Le but est de faire en sorte que se développent des cours de portugais et des enseignements ayant pour thème des « sujets brésiliens, surtout culturels et économiques8 ». Dans cette optique, le consul brésilien à Londres, Alfredo Polzin, s’est entretenu avec le recteur du King’s College, « afin d’échanger des idées sur la possibilité d’intensifier les cours de langue et de promouvoir une collaboration étroite, entre l’Itamaraty et ce centre d’enseignement9 ». De ces échanges, le diplomate brésilien tire plusieurs conclusions. La première a trait à la difficulté de développer les cours de langue, face au « peu d’intérêt manifesté aussi bien par les étudiants eux-mêmes que par le public en général10 ». Le gouvernement brésilien a pourtant subventionné, à hauteur de 300 livres sterling par an, le département de portugais du King’s College, de 1931 à 1936. Mais, s’il y a intérêt pour une langue étrangère, c’est principalement pour l’espagnol. Pour surmonter cet obstacle – et c’est l’objet de sa deuxième conclusion – Alfredo Polzin a convenu avec le recteur qu’il fallait organiser des conférences sur des sujets brésiliens, en profitant pour cela du passage de « Brésiliens illustres » à Londres, ce qui aurait pour conséquence d’« éveiller non seulement l’intérêt pour les choses du Brésil, en le rendant de plus en plus connu, surtout du point de vue culturel, mais aussi la curiosité pour la langue parlée dans la patrie brésilienne11 ». Ces conférences ne seraient pas nécessairement réalisées en anglais : le recteur propose qu’elles aient lieu soit en allemand, soit, de préférence, en français. Nous sommes alors en mai 1936. En septembre de la même année, le consul brésilien réaffirme sa conviction selon laquelle des conférences seraient un outil efficace de la diplomatie culturelle brésilienne, mais déplore le fait que peu de « Brésiliens illustres » visitent Londres, alors même que l’on a affaire à une « grande métropole », « où il n’est pas rare de voir les intérêts européens, impériaux et transcontinentaux se rencontrer, s’affronter et se superposer12 », constituant un cadre où « multiples sont les moyens qui peuvent être employés par un pays jeune comme [le Brésil] pour obtenir quelque chose d’efficace et de durable13 ».
13Ce qui précède révèle tout à la fois une certaine fascination pour l’Angleterre et pour Londres, capitale d’empire, mais aussi des failles qui contribuent à expliquer la faible importance des relations culturelles entre ce pays et l’Amérique latine. Si on n’ignore pas la production intellectuelle anglaise dans le sous-continent, celle-ci est surtout connue par le biais de traductions françaises, langue mieux maîtrisée par les élites latino-américaines. Proposer que les conférences soient faites en français – ou en allemand – c’est reconnaître que France et Allemagne possèdent un capital culturel important dans la région. Enfin, nous y reviendrons, Paris demeure l’un des pôles majeurs de la vie intellectuelle mondiale aux yeux des Latino-Américains.
14Il n’en reste pas moins qu’il existe, notamment du côté brésilien, une volonté de développer la diplomatie culturelle de ce pays en Grande-Bretagne et ce en dépit des obstacles identifiés. Les archives diplomatiques brésiliennes offrent à cet égard un document édifiant : un rapport sur la vie culturelle et intellectuelle britannique et les possibilités qu’elle offre aux initiatives brésiliennes. Signé par Paschoal Carlos Magno14, ce texte montre le souci d’adaptation au public visé et donc la nécessité de le connaître pour garantir l’efficacité d’une telle politique. L’auteur commence son exposé sur l’image que les Anglais ont du Brésil, point de départ de toute action. Or cette image est bien peu flatteuse :
« Même chez les classes les plus cultivées, on n’a qu’une connaissance limitée du Brésil et cette dernière est, la plupart du temps, défigurée ou faisant de celui-ci un quasi-continent, peuplé de sauvages et d’animaux féroces, affaibli par des guerres intestines et dirigé par des caudillos15. »
15Pour Paschoal Carlos Magno, il faut identifier les sources de ces représentations pour mieux les combattre. Selon lui, elles sont le « reflet de livres et de chroniques qui ont eu et qui ont encore une large répercussion ». Il met ainsi en avant le rôle de la presse britannique et des journalistes, ces « observateurs sans scrupules », qui font du tort au Brésil, car il constitue pour eux un sujet qui leur permet de privilégier le sensationnalisme et l’exotisme. Il existe pourtant d’autres écrits sur le Brésil qui sont le fait d’auteurs reconnus et qui ont donné à voir « un peu de la civilisation [brésilienne] et des vertus de son peuple », mais leur voix demeure trop faible. Il faut pourtant prendre en considération les goûts du public anglais, son horizon d’attente. Si ce dernier « ne cesse de rechercher des livres de voyages, d’aventures », de récits « qui se passent dans des contrées lointaines, écrasées par le soleil et balayées par les vents », si, au théâtre16, il prise les « pièces aux sujets singuliers, qui lui parlent de pays éloignés et de civilisations inconnues », et s’il « s’intéresse vivement au destin des têtes couronnées, à la pompe de la cour et aux cérémoniaux de palais », alors il convient de proposer des choses susceptibles de le satisfaire. Ainsi le Service de coopération intellectuelle pourrait-il faire traduire des récits de voyage, écrits par des auteurs brésiliens, ce qui aurait également l’avantage de « détruire tout le mal qu’ont pu faire [au Brésil] des voyageurs sans scrupules munis d’un stylo et d’un appareil photographique ». Dans le même ordre d’idée, il s’agirait de contacter des maisons d’édition anglaises pour leur proposer de publier des biographies, là aussi écrites par des auteurs brésiliens, sur les empereurs du Brésil et les grands personnages de l’histoire brésilienne.
16Le rapport de Paschoal Carlos Magno présente un exemple concret de la manière dont on appréhende l’Autre en fonction des objectifs d’une diplomatie culturelle. En tentant de cerner l’horizon d’attente des Anglais, le diplomate met à jour un certain nombre de clichés au sujet du Brésil, s’essayant à dessiner les contours de l’imaginaire britannique et à en identifier les acteurs décisifs. Ce faisant, il fait le point sur les représentations sur lesquelles il faut agir, sur la perception que la Grande-Bretagne a du Brésil et, plus largement, de l’Amérique latine.
17Pour mener à bien une entreprise de promotion du Brésil dans ce pays, il faut que ceux qui en ont la charge aient pleinement conscience de l’existence d’un tel imaginaire, de tels stéréotypes, afin de mieux le remodeler. Cette démarche implique elle-même la construction d’un imaginaire autour du pays destinataire. Lorsque Paschoal Carlos Magno, toujours au sujet de la langue, pose que « l’Anglais n’est que rarement un linguiste » ou lorsqu’il décrit les goûts intellectuels et artistiques du public anglais, il procède lui-même à une généralisation qui n’est pas si éloignée des représentations simplificatrices qu’il dénonce pour le Brésil, renforçant de la sorte le jeu de miroirs déformants qui est à l’œuvre dans toute entreprise de connaissance réciproque. Qu’en est-il des relations avec la France, beaucoup plus présentes dans les archives que nous avons consultées ?
La France, caution incontournable ?
18La France ne dispose pas, à l’inverse de l’Allemagne et de l’Italie, d’importantes communautés d’émigrés dans les pays étudiés. D’un autre côté, si le poids de la France dans les échanges économiques de l’Amérique latine est loin d’atteindre celui de la Grande-Bretagne, des États-Unis ou de l’Allemagne, elle demeure un partenaire important. On n’est d’ailleurs pas insensible, en France, au potentiel que représente la région. La place de la France en Amérique latine est aussi – surtout ? – fonction d’un rayonnement intellectuel et culturel qui se consolide au lendemain des indépendances.
19Le texte de Paschoal Carlos Magno au sujet de la Grande-Bretagne traduit le poids de représentations qui se sédimentent au fil du temps. Son analyse peut être transposée à l’étude d’un imaginaire français de l’Amérique latine, longtemps nourri des récits de Jean de Léry (v. 1536-v. 1613) ou d’André Thevet (1516-1590), mais aussi à l’imaginaire latino-américain de la France. Plusieurs ouvrages17 sont venus montrer que l’on a affaire à une circulation qui se fait dans les deux sens. Pourtant, sauf quelques exceptions, les intellectuels et diplomates français, convaincus de la prééminence culturelle de leur pays, restent longtemps prisonniers d’un schéma de relations asymétriques en leur faveur.
20La période étudiée est celle de la montée en puissance de la contestation, dans le sous-continent, de ce genre de vision. Le magistère français, incontesté jusqu’au début du xxe siècle, s’effrite, remis en cause par la Première Guerre mondiale et ses atrocités, disputé par l’Allemagne et par l’Italie, écorné par la vision pessimiste qu’offrent certains intellectuels français d’une nation en pleine décadence. La France reste néanmoins une référence et, à des degrés divers, un passage obligé dans l’élaboration d’une image positive sur la scène internationale, notamment parce qu’elle demeure active en termes de diplomatie culturelle à destination de l’Amérique latine18.
21Dans le cas de l’Argentine, il convient de mentionner la création en 1922 de l’Institut de l’université de Paris à Buenos Aires, puis, en 1924, celle de l’Institut des universités argentines à Paris, allant ainsi dans le sens d’une réciprocité des échanges. Ce dernier permet en outre à l’Argentine de disposer d’une sorte d’ambassade culturelle à Paris.
22Être présent, culturellement, intellectuellement, dans cette ville continue d’être considéré comme un précieux sésame pour appartenir aux « nations civilisées ». La capitale française est en effet toujours, aux yeux des acteurs des diplomaties culturelles argentine, brésilienne et chilienne, un « lieu de création et de légitimation internationale19 ». Que l’on songe au plaidoyer du Brésilien Elyseu Montarroyos pour convaincre le ministre des Relations extérieures de débloquer des crédits afin que le Brésil soit représenté dans la Galerie des Nations, qui devait être installée au Palais Royal20.
23L’organisation, par la Commission argentine de coopération intellectuelle, d’une exposition de livres dans cette ville est un autre exemple de son statut de métropole intellectuelle et de « capitale internationale du livre21 ». Cet événement est l’occasion de rassembler, autour de livres argentins, un certain nombre de personnalités du monde français de la culture. Paul Valéry est en charge de la conférence d’inauguration, dont nous reproduisons ici un extrait :
« Cette exposition […] a constitué pour moi une complète révélation. Devant ces vitrines pleines de livres […] j’eus la pleine sensation d’un effort et de résultats dont on n’a pas la moindre idée. […] Pour moi, un beau livre signifie beaucoup de choses. Je confesse que je n’espérais pas trouver dans cette exposition des œuvres si nettement significatives, non seulement d’une culture, mais aussi des raffinements de cette culture. […] Toutes ces observations concourent pour donner au visiteur peu informé une idée extrêmement favorable sur l’activité intellectuelle de ce pays22. »
24Ce discours, prononcé par un intellectuel français mondialement reconnu, acteur central de la CICI, représente une consécration pour l’Argentine. Consciente de cela, et de son probable impact en Amérique latine, la Commission argentine de coopération intellectuelle publie, en espagnol23, le texte de la conférence de Paul Valéry, mais aussi celui des discours prononcés ou des textes écrits pour l’occasion par Paul Morand ou Jules Romains. La contribution de Paul Morand est particulièrement intéressante pour notre étude dans la mesure où il procède à une critique sévère de l’ignorance et de la désinvolture de la France vis-à-vis de l’Argentine et de ses productions intellectuelles24. On assiste ainsi à un renversement de position : les ignorants, dans le discours de Paul Morand, sont les Français et ce sont eux qui ont finalement beaucoup à apprendre de l’Argentine.
25Un tel succès n’est pas sans interpeller le consul du Brésil au Havre, qui en rend compte25 à son ministre de tutelle : il note ainsi qu’à cette occasion les journaux français ont relevé la situation privilégiée des ouvrages français dans les librairies, les bibliothèques publiques et particulières de Buenos Aires, tissant de cette manière par le biais du livre un lien privilégié avec la France. Il reproduit également un extrait du discours de Paul Valéry :
« L’exemple donné dans cette ville par l’Argentine me paraît précieux et d’un intérêt international. Vous ne travaillez pas que pour vous mêmes, messieurs les Argentins, mais aussi pour nous, pour que nous puissions survivre ; et, présentement, pour que nous sentions l’existence, de l’autre côté de l’horizon, d’une pensée, d’une compréhension, d’une similitude, d’une force qui se prolonge et se développe, ou, en un mot qui résume tout, la certitude de salvation par la liberté d’esprit et par l’expansion dans toutes les dimensions de la connaissance humaine26. »
26Grâce à cette exposition, la Commission argentine de coopération intellectuelle est donc parvenue à présenter la culture argentine comme faisant pleinement partie de la culture universelle, ce qui signifie ici, comme le suggère la citation précédente, qu’elle apparaît comme le prolongement de la culture européenne de l’autre côté de l’Atlantique.
27La remise en question de l’hégémonie intellectuelle de l’Europe n’est par conséquent, dans le cadre de la diplomatie culturelle argentine, que partielle et on s’en accommode quand elle peut servir la renommée du pays qui sait la tourner à son avantage. Il en est de même pour le Brésil, puisque le consul brésilien suggère qu’une initiative similaire soit organisée par le ministère, à Paris, « révélant ainsi à la France le progrès et la culture [du Brésil] dans les domaines des lettres, des arts et des sciences ». Selon lui, une exposition de livres brésiliens « serait reçue avec un plaisir spécial ». De fait, le Brésil, pour reprendre les termes du consul, dispose alors en France d’un « contexte magnifique », c’est-à-dire un réseau solide constitué en premier lieu par Henri Bonnet, directeur de l’IICI, mais aussi par de « fidèles amis » que sont Georges Duhamel, Abel Bonnard, André Siegfried, Georges Dumas, Valéry Radot, Manoel Gahisto, Robert Garric et « tant de noms illustres ».
28Les suggestions du diplomate brésilien révèlent tout un réseau de sociabilités intellectuelles, qui a été en grande partie constitué depuis les années 1920 dans le cadre du Groupement des universités et grandes écoles pour les relations avec l’Amérique latine, instrument au service de la diplomatie culturelle française27. En retraçant le parcours de Miguel Osório de Almeida, pionnier de la science brésilienne moderne, ayant d’importantes responsabilités scientifiques dans son pays, qui est aussi intégré à un cercle d’intellectuels et d’hommes politiques français de premier plan28, Patrick Petitjean met à jour les fils de la toile tissés entre les deux pays29. Ce sont précisément sur de tels réseaux que peut s’appuyer la diplomatie culturelle brésilienne et que la Commission argentine de coopération intellectuelle peut faire fructifier. On a là l’un des éléments majeurs pour expliquer la place relativement privilégiée de la France parmi les destinataires des initiatives de ces deux nations. Cela est moins vrai pour le Chili dont l’action vis-à-vis de la France relève plus du discours.
29Malgré l’impact négatif de la défaite française de 1940 et de l’avènement d’un régime s’employant à renier l’héritage qui représente, aux yeux des Latino-Américains, la grandeur de la France, on observe chez certains le maintien d’une rhétorique insistant sur l’exemplarité de la patrie des droits de l’Homme et d’un discours valorisant la « latinité » des nations du sous-continent. Le Chilien Francisco Walker Linares, qui préside l’Institut de culture franco-chilien, s’emploie ainsi à perpétuer le culte de la France telle qu’elle est fantasmée en Amérique latine, la « France de toujours30 », celle que Vichy et l’occupation allemande n’ont pas avilie, et ce par le biais d’un rituel, celui des commémorations du 14 juillet. Dans le discours qu’il prononce le 14 juillet 1942, la vocation universelle de la France est abondamment soulignée. L’année suivante, le 14 juillet 1943, il insiste, entre autres, sur son rôle de gardienne de la latinité :
« L’institut Franco-Chilien de Culture, convaincu de l’immortalité de la pensée française et de son influence bénéfique sur les terres d’Amérique, travaille à sa diffusion dans la mesure de ses moyens ; guidé par une foi inébranlable, il essaie de maintenir le feu sacré, et de démontrer que malgré les événements, l’esprit français ne s’éteint pas, et qu’il est nécessaire qu’il continue à illuminer les nations latines de notre continent qui sont ses filles culturelles […]31. »
30 L’invocation de la latinité renvoie aux débats identitaires analysés dans notre chapitre « Comment être (latino)-américain ? » et devient dans cette perspective un « concept opératoire32 » permettant de penser l’identité de la région, d’une part en assimilant l’héritage culturel et migratoire de l’Europe (l’Espagne et l’Italie sont également mentionnées), d’autre part en se distinguant des États-Unis. La rhétorique de Francisco Walker Linares, également déclinée lors du discours qu’il prononce en 1941 à La Havane à l’occasion de la IIe Conférence des commissions nationales américaines, pose comme équation que la France et la latinité sont essentielles aux cultures et identités latino-américaine et que le Chili, par le biais notamment de l’Institut franco-chilien de culture, en entretient le « feu sacré ». Le procédé est identique lorsqu’il rappelle à La Havane ce qu’a accompli l’IICI ainsi que le rôle de la France dans l’institutionnalisation d’une coopération intellectuelle internationale et qu’il enjoint l’Amérique à préserver leur œuvre ; il conclut de la sorte : « Le Chili, depuis les premiers moments de son indépendance, a démontré qu’il possédait à un haut degré la notion de la coopération internationale et de l’hospitalité […]33. » Il pose de cette manière son pays en digne héritier d’une France qu’il s’emploie à magnifier. La défense et illustration de la « vocation universelle » de la France à laquelle se livre Francisco Walker Linares est sans nul doute une manifestation sincère de sa francophilie, mais on peut aussi l’analyser à l’aune de la naissante diplomatie chilienne et de ses liens avec l’IICI.
31L’utilisation de l’image d’une culture française présentée comme éternelle et universelle, de même que la valorisation de la latinité, sont symptomatiques du fait que, malgré la « crise du modèle français », celui-ci demeure opératoire dans le domaine des relations culturelles internationales : s’en réclamer constitue encore, en dépit de la défaite et du régime de Vichy, un gage de visibilité et de légitimité.
L’Allemagne : les liaisons dangereuses ?
32La Commission brésilienne et son président, Miguel Osório de Almeida, qui n’a jamais caché ses sentiments pro-alliés, n’ont pas cessé de recevoir le soutien du régime de Getúlio Vargas qui a tenté de maintenir le plus longtemps possible des relations avec l’Allemagne nazie et l’Italie fasciste. Cet état de fait n’a pas empêché le gouvernement brésilien d’appuyer les initiatives d’un intellectuel qui en décembre 1941 a participé à la IIe conférence des Commissions nationales américaines (La Havane, 1941), réunion ayant abouti à une déclaration condamnant les régimes totalitaires. On est là face à l’une des nombreuses illustrations de ce que Gerson Moura a qualifié d’« équidistance pragmatique » pour analyser la politique extérieure brésilienne dans les années 1930. Le gouvernement de Vargas a en effet joué de la concurrence entre les États-Unis d’une part et l’Allemagne d’autre part, « explorant les possibilités offertes par chacun des deux centres, sans s’aligner sur aucun d’eux34 ». Ces possibilités sont d’abord de nature économique et se traduisent par un renforcement des liens diplomatiques. De fait, en 1936, les légations allemande et brésilienne sont élevées au rang d’ambassades et les liens économiques se renforcent considérablement. Entre 1933 et 1938, les exportations vers l’Allemagne font plus que quadrupler et les importations quintuplent. Tout en restant le principal partenaire commercial du Brésil, les États-Unis subissent une sévère érosion de leur influence et, entre 1936 et 1938, Berlin les supplante même comme premier fournisseur.
33Le Brésil n’est pas le seul dans ce cas : le Chili voit aussi ses relations économiques augmenter de manière significative avec le Reich. Ces résultats sont à mettre sur le compte du traité commercial qui a été signé le 26 septembre 1934 et sont à l’origine de sa prorogation jusqu’au 30 juin 1938. Alors que le Chili tente de faire face aux conséquences de la crise de 1929, le partenariat allemand représente la possibilité de diversifier ses relations, de ne pas dépendre uniquement des échanges avec les États-Unis, la Grande-Bretagne étant de moins en moins présente. On est là dans un système d’intérêts bien compris, l’Allemagne cherchant à assurer son approvisionnement en matières premières, dont les pays latino-américains étaient producteurs, concurrençant ainsi ouvertement les Nord-Américains. Le Chili quant à lui essaie de la sorte de sauvegarder l’un des principes fondateurs de sa politique extérieure, à savoir la préservation de son indépendance par rapport aux grandes puissances.
34C’est à partir de ce contexte qu’il faut envisager les relations de type culturel qui ont existé entre le Brésil et le Chili d’une part et l’Allemagne d’autre part. Nous ne pouvons ici étendre nos analyses au cas argentin dans la mesure où les sources que nous avons consultées ne nous le permettent pas. Néanmoins, l’existence d’une politique allemande d’investissements en Argentine, la présence dans ce pays, comme au Brésil et au Chili, d’une importante communauté allemande, mais aussi le fait d’avoir vu se développer, dans les années 1930, des mouvements d’inspiration nazie et fasciste, nous permettent de faire l’hypothèse que de telles relations ont existé. Ces liens se doublent, dans les cas argentin et chilien, de relations étroites entre les armées de ces deux pays et celle de l’Allemagne. Cette proximité dans le domaine militaire est toujours à l’ordre du jour à la veille de la Seconde Guerre mondiale, ainsi que le souligne dans un discours prononcé en 1937 l’ambassadeur chilien à Berlin.
35Le diplomate souligne en outre le fait que, contrairement à ses voisins, le Chili maintient une politique migratoire ouverte, dont les ressortissants allemands peuvent bénéficier :
« Malgré la politique nationaliste menée actuellement par tous les pays du monde, pour garantir le bien-être de leurs enfants, il m’est agréable de témoigner que le Chili n’a pas fermé ses portes à l’immigration allemande, parce qu’il reconnaît les résultats positifs qu’elle entraîne dans l’accroissement de notre progrès35. »
36 Cette dimension est mise en valeur en Allemagne comme le montre ce passage d’un article du journal Deutsche Allgemeine Zeitung également paru en 1937 :
« Les relations chiléno-allemandes sont anciennes. Les résultats obtenus au Chili par le travail des colons allemands ont partout recueilli la reconnaissance qu’ils méritent, et ont eu comme écho, au sein du gouvernement chilien, le recrutement de médecins et d’hommes de science allemands. L’influence de la culture germanique a surtout été évidente dans le domaine éducatif. Les relations commerciales montrent ces derniers temps une augmentation très flatteuse, l’Allemagne occupant en 1936 la première place pour les importations. Elle coopère de cette manière aussi à la création de l’industrie nationale. Il ne faut pas oublier de mentionner la contribution allemande dans l’essor de la construction, qui va plus loin qu’une simple fourniture de matériaux de constructions, en faisant appel à des architectes allemands pour l’embellissement de la capitale chilienne36. »
37Ces différentes citations font partie d’une rhétorique qui met en scène, de façon idyllique, les relations entre les deux pays. Stefan Rinke offre une vision bien plus nuancée, soulignant les difficultés qu’ont connues les échanges commerciaux chiléno-allemands et le fait que la crise économique a, des deux côtés, portée atteinte aux ambitions en termes de politique culturelle37.
38Celle-ci ne cesse pas pour autant d’exister. Là aussi, que ce soit au Chili, en Argentine ou au Brésil, les relations sont anciennes, en particulier dans le domaine scientifique. Une nouvelle impulsion est donnée avec la création, en 1930, de l’Institut ibéro-américain de Berlin, même si le contexte économique conduit à une action plus modeste que celle qui était envisagée au départ. Alors que l’on déplore l’ignorance des Européens quant aux réalités latino-américaines, l’existence d’un tel organisme est plutôt bien perçue. Un partenariat visant à accroître les échanges universitaires entre l’Allemagne et le Chili est ainsi mis en place conjointement par cet Institut et l’université du Chili.
39Les liens avec l’Allemagne et leur mise en valeur ne sont pas tant le reflet d’une intense politique culturelle que le moyen, pour le Chili, de se positionner comme une nation au prestige reconnu. C’est le sens de la fin du discours de l’ambassadeur chilien :
« J’ai la satisfaction de noter […] les sentiments d’affection et de considération que le peuple allemand et ses illustres représentants, à tout moment, témoignent à notre pays et à son gouvernement, manifestant ainsi, de manière irréfutable, que le Chili, en Allemagne, est paré du prestige d’être une des nations les plus progressistes du Continent Américain38. »
40Il faut noter ici que ce discours est non seulement retransmis en Allemagne, mais également « dans toute l’Amérique ». Une fois de plus, les relations avec un pays européen, quelle que soit leur importance réelle, sont mises au service d’un rayonnement qui se joue au niveau régional.
41 La partition jouée par le Brésil diffère quelque peu de celle du Chili. Il y a néanmoins des similitudes : les intérêts économiques ne sont jamais loin et le rappel des liens créés par l’émigration est également présent. Ces deux dimensions sont visibles dans le plaidoyer que fait Ildefonso Falcão, alors consul du Brésil à Cologne, pour que l’Itamaraty participe au financement de l’Institut d’études luso-brésiliennes de l’université de cette ville, créé en 1933. Il insiste sur le fait que cet organisme est appelé à contribuer puissamment aux intérêts du Brésil en Allemagne, reprenant les arguments développés par Fritz Lejeune, chargé de l’organisation de cet Institut :
« Que le Brésil soit peu connu en Allemagne est déplorable. Et c’est pour cela que l’Institut a comme objectif de remédier à cette situation au moyen de conférences et articles dans les journaux par lesquels on peut faire connaître au peuple allemand la grande valeur culturelle d’un pays si important. En même temps notre intention est de resserrer le plus possible les liens commerciaux entre les deux grandes nations39. »
42Pour le consul brésilien, contribuer au développement de l’Institut permettrait de renforcer encore plus l’attraction que suscite le Brésil auprès des candidats allemands à l’émigration. C’est aussi, à l’instar du projet de Galerie des Nations porté par le directeur de l’IICI, une occasion de travailler au rayonnement du Brésil et ce à peu de frais, tout en stimulant les échanges universitaires entre les deux pays.
43Le Brésil, comme le Chili, ne sont donc pas à l’origine des relations culturelles avec l’Allemagne, qui impulse, elle, des projets visant à les renforcer. Néanmoins, ces projets constituent des opportunités intéressantes dans une démarche visant à insérer ces deux nations dans les circuits intellectuels allemands, ceux-ci continuant à bénéficier d’une aura certaine en Amérique du Sud. La différence entre les deux cas se joue sur le fait que, pour le Chili, il s’agit moins de travailler au prestige du Chili en Allemagne, que d’utiliser les liens avec ce pays d’une part pour permettre à ses ressortissants de bénéficier de formations reconnues internationalement, et d’autre part pour se présenter comme un pôle intellectuel de premier ordre sur le continent américain. Dans la perspective brésilienne, il s’agit, une fois de plus, de favoriser à l’étranger l’apprentissage du portugais ainsi que toute initiative allant dans le sens d’une meilleure connaissance de la réalité du Brésil.
44Cette orientation se heurte, à partir d’avril 1938, à l’interdiction faite aux étrangers de participer à toute activité politique et surtout à la campagne de nationalisation impulsée à ce moment-là par le gouvernement de Getúlio Vargas. Dans l’optique de créer une culture nationale unique, partagée par l’ensemble de la population brésilienne, l’existence de communautés d’origine étrangère entretenant leur singularité au sein de la nation devient intolérable. Les communautés allemandes, qui disposent de journaux et d’écoles cultivant leur langue, se retrouvent ainsi dans la ligne de mire de l’Estado Novo qui, en novembre 1938, interdit l’enseignement dispensé dans une autre langue que le portugais. Ces mesures provoquent de fortes tensions diplomatiques entre les deux pays, mettant à mal toutes les activités de type culturel qui les liaient. On est là face à une configuration où l’affirmation de la nation et de sa culture devient antinomique avec la poursuite d’une diplomatie culturelle. Celle-ci prend alors tout son sens en tant qu’instrument de préservation de la culture qu’elle est censée promouvoir : lorsque les conditions de l’échange mettent en péril cette dernière, l’échange devient une menace, la culture de l’Autre une atteinte à son intégrité. La politique d’équidistance pragmatique menée par le gouvernement de Getúlio Vargas trouve donc ici une de ses limites. Le choix de mesures allant frontalement à l’encontre des intérêts d’un pays avec lequel sont entretenues des relations économiques importantes montre que ces dernières s’effacent parfois devant des considérations de type culturel. En agissant de la sorte, le Brésil affirme l’inaliénabilité de son identité nationale et pose comme fondamentale dans son rapport aux autres nations la préservation de sa culture.
Enjeux et limites de la partition européenne de l’Argentine, du Brésil et du Chili
45Antonio Aita, dans sa préface à Regards sur l’Argentine, réaffirme la volonté de l’Argentine de ne pas limiter ses échanges au seul continent américain, de continuer à cultiver les liens avec l’Europe, tout en mettant en garde cette dernière quant à sa désinvolture vis-à-vis de l’Amérique latine40. Par ses mots, l’Argentin se fait le porte-parole non seulement de son pays, mais aussi de ceux qui, comme le Brésil ou le Chili, aspirent à être reconnus sur la scène internationale. Il résume également les principes qui ont guidé les acteurs de leur diplomatie culturelle : il ne s’agit pas de mettre en place une politique d’influence, mais une entreprise de connaissance. Celle-ci est pensée en fonction de considérations qui sont tout à la fois géopolitiques, économiques et identitaires. Le renforcement des liens intellectuels et culturels avec l’Europe n’est pas tant le résultat d’un choix que la prise en compte d’une réalité qu’on ne peut nier : l’histoire de la colonisation ibérique, les flux migratoires, l’importance des références culturelles européennes dans la vie de ces nations, les relations commerciales et financières… sont autant de faits que les politiques extérieures argentine, brésilienne et chilienne ne peuvent occulter, sans compter leur volonté d’offrir un contrepoids à l’influence croissante des États-Unis.
46Le cas allemand est particulier dans cette perspective : les relations entretenues avec ce pays s’appuient, elles aussi, sur une immigration importante, sur des liens intellectuels qui remontent à la fin du xixe siècle et sur des échanges économiques opportuns dans le contexte de crise économique des années 1930. Néanmoins, alors que la Grande-Bretagne ou la France ont peu ou prou abandonné toute velléité hégémoniste et toute prétention impérialiste dans le sous-continent, l’Allemagne du Troisième Reich, tout en flattant le désir d’autonomie et d’affirmation de leur souveraineté de l’Argentine, du Brésil et du Chili, constitue, par l’idéologie qui est la sienne, une menace pour l’intégrité nationale que ces trois pays cherchent à consolider. La référence à la latinité et aux valeurs de la France immortelle au cœur d’un conflit qui signifie une perte de prestige sans précédent pour cette dernière apparaît dès lors comme un rempart contre ce type de péril, également incarné par les États-Unis dont la culture de masse gagne le sud du continent. Nous reprenons ici les analyses de Pierre Milza qui pose la question suivante : « Face à l’action conquérante des puissances dominantes, de quels moyens les pays dominés disposent-ils pour préserver leur identité culturelle ? ». L’exemple de l’Amérique latine lui semble à cet égard particulièrement pertinent car il
« nous montre comment, dans une situation de forte dépendance à l’égard des grandes puissances du moment, les États latino-américains, ou plus précisément les bourgeoisies créoles qui les dirigent, fondent leur identité culturelle sur les concepts de latinité et de panlatinisme et jouent dans cette perspective les impérialismes faibles que sont, dans cette région du monde, ceux de l’Italie et de la France contre les impérialismes forts et en particulier contre celui, tout proche, du grand voisin nord-américain41 ».
Face aux États-Unis, une diplomatie culturelle est-elle possible ?
47Face aux actions nord-américaines, que ces dernières soient impulsées ou non par le gouvernement, Argentine, Brésil et Chili apparaissent plus dans une position de réponse que comme sujets d’initiatives propres. Il y a bien des actions menées par les organismes argentin, brésilien et chilien en charge de la diplomatie culturelle vers les États-Unis, mais elles constituent des réactions à des demandes faites par un pays qui mène de façon de plus en plus systématique sa propre politique culturelle à destination du sous-continent.
48La force des États-Unis par rapport à ces pays est non seulement économique, mais aussi intellectuelle dans le sens où les universités nord-américaines attirent de plus en plus étudiants et professeurs, dans une dynamique où l’Europe se fait moins présente. Universités et établissements d’enseignement sont d’ailleurs les principaux destinataires des envois de livres effectués par le Service brésilien de coopération intellectuelle (devenu Division en 1938), soit à la demande de ces dernières soit par l’initiative d’un diplomate brésilien qui a noué des liens dans le milieu académique.
49En 1945, le Brésilien Osório Dutra, alors chef de la Division de coopération intellectuelle de l’Itamaraty, constate, notamment pour les échanges universitaires, le déséquilibre flagrant des relations entre la grande république du Nord et ses voisines latino-américaines dont aucune ne possède les ressources financières susceptibles de mener à bien une telle diplomatie universitaire. Comment, dès lors, ne pas apparaître comme étant des « vassaux », pour reprendre l’expression du ministre chilien Ernesto Barros Jarpa42, par rapport à ce pays et à sa culture ? Que faire pour équilibrer les échanges ? Ce sont les questions que se pose Osório Dutra, qui appelle à trouver au plus vite des solutions à ce qui peut apparaître comme une menace pour le rayonnement de la culture brésilienne :
« Tout ceci met en évidence, de façon éloquente l’intérêt croissant que les États-Unis d’Amérique montrent pour le Brésil, ce qui rend impératif une attitude plus active de notre part, pour affirmer face à la grande nation amie, la valeur de notre culture. Peu de choses, cependant, peuvent être faites en vue de donner au peuple nord-américain une véritable connaissance du Brésil. En vérité la diffusion de la culture brésilienne aux États-Unis reste embryonnaire. Il est urgent qu’on établisse un programme de diffusion de la culture brésilienne dans la grande république du Nord, dont les dirigeants ont consacré une grande partie de leurs efforts à faire en sorte que notre peuple s’intéresse à leur culture et à toutes les manifestations de la vie américaine43. »
50Il suggère notamment de nommer au plus vite un attaché culturel à l’ambassade du Brésil à Washington, ce qui serait « la première étape d’une intense propagande de diffusion de la langue [du Brésil] et de nos réalités aux États-Unis44 ». On retrouve dans le champ des relations culturelles entre ces deux nations les ambiguïtés et ambivalences de la politique extérieure brésilienne à destination d’un pays dont on souhaite gagner les faveurs sans pour autant lui être subordonné45.
51Dans l’affirmation d’un lien privilégié avec les États-Unis, le Brésil tente d’affirmer, face à une Argentine qui ne cesse de leur tenir tête, sa vocation au leadership du sous-continent. Ainsi, même si les échanges culturels entre les deux pays sont déséquilibrés, ils ont néanmoins le mérite de donner du Brésil l’image d’un partenaire privilégié des Nord-Américains aux yeux du reste du sous-continent et de rassurer ces derniers, inquiets des relations entretenues par le gouvernement de Getúlio Vargas avec l’Allemagne nazie et l’Italie fasciste. Au-delà des échanges universitaires et des envois de livre, le Brésil construit l’image d’un héraut du panaméricanisme. C’est tout l’objet du travail d’Alvaro Artur Guedes de Melo intitulé O Pan-Americanismo e o Estado Novo que de montrer comment Vargas, par le biais de la propagande, se pose en chantre de la solidarité américaine. Il exploite pour cela des articles de presse, qui portent souvent la marque du Département de l’information et de la propagande. Il cite notamment un article paru en septembre 1941 dans la revue Dois Jornais dont le titre suggestif est « De Simon Bolívar à Getúlio Vargas46 ». Auparavant, il s’était penché sur un autre article intitulé « Le Brésil et le début de la politique de Bon Voisinage » où Vargas et Roosevelt sont présentés comme des « partenaires dans la construction d’une diplomatie américaine47 ». Au passage, l’auteur de l’article met sur le même plan un président élu démocratiquement et un autre porté au pouvoir par un coup d’État. Il ne s’agit pas de s’aligner totalement sur les États-Unis : l’idée est de brésilianiser le panaméricanisme.
52Le panaméricanisme devient donc un élément à part entière de la rhétorique brésilienne, à destination des États-Unis, mais aussi en direction des autres nations latino-américaines, nous y reviendrons. Il l’est aussi, de manière tout à fait ponctuelle, dans l’Argentine de Perón. De fait, en 1946, à l’occasion du Día de las Américas, une cérémonie a eu lieu dans le Salón Dorado du ministère des Relations extérieures et a été retransmise en espagnol, en anglais et en portugais, « à tous les pays du monde ». Le ministre des Relations extérieures, Juan Atilio Bramuglia ainsi qu’Eva Perón ont prononcé des discours qui s’accompagnent de tout un rituel, décrit dans les Memorias de 1946-1947 :
« Par référence avec la cérémonie symbolique, de valeur historique, consistant à arroser avec de l’eau des fleuves américains l’Arbre de la Fraternité, planté à La Havane, à l’occasion de la célébration de la VIe Conférence Interaméricaine, une Délégation a été envoyée pour puiser de l’eau dans le fleuve Luján, pour ainsi acter les sentiments indéfectibles du pays envers la communauté américaine. L’eau ainsi puisée a été déposée dans un vase artistique, décoré avec des motifs américains par le sculpteur D. Luis Perlotti, qui fut envoyé avec un message émouvant de S. E.Dr. Bramuglia, Ministre des Affaires Étrangères48. »
53Alors que les relations entre les États-Unis et l’Argentine péroniste sont particulièrement tendues et que cette dernière, par sa neutralité au cours de la Seconde Guerre mondiale, apparaît suspecte sur la scène internationale, la mise en scène d’une adhésion à un panaméricanisme que l’Argentine a toujours considéré avec défiance devient un instrument au service de son image à l’extérieur.
54On voit donc comment le discours sur la solidarité américaine essentiellement promue par le gouvernement nord-américain pour préserver des intérêts aussi bien économiques que diplomatiques en Amérique latine peut être instrumentalisé par des pays comme le Brésil, et dans une moindre mesure par l’Argentine, afin de tracer leur propre voie.
55Telle était l’ambition du Chili avant la crise de 1929. Ce n’est pas tant le panaméricanisme qui devient un élément stratégique dans la configuration des relations de ce pays avec les États-Unis, mais l’affirmation par ces derniers de leur vocation à incarner la liberté et la démocratie dans le monde et plus particulièrement en Amérique. Ainsi, dans un éditorial de la revue Chile paru à l’occasion de la tournée latino-américaine d’Herbert Hoover, tout juste élu président, figure un appel à des relations placées sous le signe de l’égalité :
« Le Chili ne croit pas à la menace de l’impérialisme nord-américain et, mieux encore, est enclin à comprendre les impératifs de la morale élevée qu’ont toujours proclamés les Présidents de la Grande République. Et s’il a cette opinion, c’est parce qu’il est sûr de sa valeur morale, de la stabilité de ses institutions publiques, peut-être les plus anciennes de l’Amérique du Sud, de sa noblesse dans la défense de ses droits, toutes circonstances qui interdiront l’idée même d’un abus de la part d’un pays qui se vante d’être le champion de la justice dans le monde et le protecteur de l’Amérique du Sud49. »
56Véritable illustration d’un discours qui se veut performatif, cet extrait reflète le positionnement d’un pays dont la boussole diplomatique et économique oscille encore entre l’Europe et les États-Unis. Actif à la SDN, sur le point de résoudre la question de Tacna et Arica, terrain d’une prospérité économique qui fait encore illusion, le Chili souhaite apparaître, dans le regard du puissant voisin du Nord, comme une nation pleinement souveraine et maîtresse de son destin, capable de faire entendre et respecter ses intérêts.
57Dans la décennie suivante, la situation n’est plus la même : le Chili ne peut plus poursuivre une politique de prestige et la priorité principale de ses dirigeants comme de ses diplomates est de reconstruire le commerce extérieur du pays. Les mesures (moratoire sur la dette extérieure, renoncement au standard or, contrôle des importations) prises par Gustavo Ross (1932-1937), ministre de la Hacienda, vont dans ce sens et heurtent dans un premier temps les intérêts nord-américains, entraînant des tensions entre les deux pays. Malgré tout, les États-Unis deviennent au cours des années 1930 le principal destinataire des exportations chiliennes et l’aviation militaire chilienne, mise en place par Carlos Ibañez en 1929, doit en grande partie son équipement aux importations de matériel nord-américain. Sur le terrain de la coopération intellectuelle, le rôle de plus en plus central de l’université du Chili, l’accent mis sur les échanges universitaires et la place d’acteurs tels qu’Amanda Labarca, qui a effectué plusieurs séjours aux États-Unis, conduisent à un rapprochement que la politique de bon voisinage vient consolider. Le secrétaire de l’Instituto chileno-norteamericano de cultura ne déclare-t-il pas, en 1940 :
« La politique de Bon Voisinage inaugurée et soutenue avec tant d’enthousiasme par le Président Roosevelt, a permis la venue dans le pays de précieux éléments intellectuels qui ont par leur présence consolidé les liens spirituels entre des pays frères50 » ?
58La même année, un article consacré aux relations culturelles entre les deux nations paru dans le Boletín bimestral de février 1940 offre une nouvelle vision de leurs rapports, dans une réécriture de l’histoire effaçant toute trace d’une défiance qui remontait au xixe siècle :
« Très précieuse est la contribution des États-Unis dans le développement de la culture chilienne, et considérable la dette d’ordre spirituel que nous avons contractée auprès de cette grande nation. Se souvenir de cette dette, et la reconnaître publiquement, est le plus grand hommage que nous pouvons rendre à notre sœur du Nord le jour anniversaire de son indépendance, et le meilleur moyen à la fois de stimuler la continuité et l’intensification des relations culturelles entre les deux peuples, si brillamment initiées à l’aube de notre indépendance, et si solidement maintenues pendant plus d’un siècle51. »
59Le contexte international n’est pas étranger à la formulation d’un discours entremêlant le destin des deux nations et valorisant l’apport des États-Unis à la construction de l’État chilien. Les Memorias de 1941 en offrent une illustration significative :
« À cause des restrictions qu’impose l’actuel conflit armé, les travaux de rapprochement et de coopération intellectuelle ont dû se développer plus particulièrement avec les pays d’Amérique, où le resserrement des liens déjà opéré se fonde sur des bases solides. En ce domaine on peut souligner l’effort de rapprochement avec les États-Unis d’Amérique, république avec laquelle nous avons accru nos relations culturelles, grâce à l’intérêt montré par les deux pays52. »
60Le renforcement des relations culturelles, dans la perspective du gouvernement nord-américain, doit permettre de conduire les nations latino-américaines à suivre la ligne adoptée par celui-ci face au conflit européen. Jusqu’à l’attaque de Pearl Harbor, le maintien de la neutralité de l’ensemble des pays du sous-continent est conforme aux attentes de Washington, le Chili ne faisant pas exception. En revanche, le fait que ce dernier reste neutre alors que les États-Unis sont entrés en guerre représente un échec. Le Chili, comme l’Argentine qui adopte la même ligne de conduite que son voisin, sont donc l’objet de pressions importantes de la part des États-Unis. Néanmoins, dans le cas chilien, elles ne s’accompagnent pas d’autant de tensions. Cet état de fait est certes à mettre en lien avec la rhétorique anti-impérialiste et anti-américaine qui est celle du gouvernement argentin à partir de 1943, mais nous pouvons également avancer l’argument selon lequel la multiplication des échanges culturels entre le Chili et les États-Unis a permis d’amenuiser, sans l’effacer toutefois, ce différend de taille.
61Les États-Unis constituent un pôle incontournable de la politique extérieure de l’Argentine, du Brésil et du Chili dont les priorités sont, dans les années 1930, extrêmement liées aux considérations de type économique. En termes de relations culturelles, ils deviennent également de plus en plus présents, disposant d’un éventail d’actions et de moyens financiers qui apparaissent considérables au regard des budgets souvent restreints que les trois pays étudiés peuvent consacrer à leur entreprise de diplomatie culturelle. Cela explique, outre l’absence d’archives consultables pour l’Argentine au moment où ont été menées nos recherches, la relative pauvreté des éléments qui ont été ici mobilisés, notamment si on les met en regard avec ceux que nous avons pu identifier pour la France ou pour le reste de l’Amérique latine. Cette donnée indique qu’une diplomatie culturelle n’est réellement possible que face à un destinataire avec lequel une certaine égalité de relations est susceptible d’être établie. La dépendance croissante des économies latino-américaines vis-à-vis des États-Unis laisse en effet peu de marge de manœuvre au « pas-de-côté » que peut représenter la diplomatie culturelle par rapport à la diplomatie traditionnelle.
L’Amérique latine, terrain privilégié des diplomaties culturelles argentine, brésilienne et chilienne
62Alors que le MERCOSUR culturel peine à exister, que le discours sur la méconnaissance réciproque des pays du sous-continent continue d’être très présent aujourd’hui, les années 1930 et 1940 offrent à l’observateur la preuve que cette situation n’est pas une fatalité. L’importance croissante accordée alors par les Argentins, les Brésiliens et les Chiliens à la région doit se lire à l’aune d’un contexte international marqué par la crise économique et par la montée des périls en Europe. Elle est également le résultat des diverses dynamiques de coopération intellectuelle, qu’elles soient d’origine européenne, latino-américaine ou panaméricaine, qui traversent cet espace depuis la fin du xixe siècle. La troisième décennie du xxe siècle marque une rupture dans le sens où ces échanges et ces circulations sont désormais clairement identifiés comme des opportunités pour consolider ou mettre en place des alliances, qu’elles soient diplomatiques ou économiques, et pour promouvoir le rayonnement de chacun. Les années 1920 apparaissent dans ce cadre comme une phase de maturation et d’apprentissage dans le domaine des relations culturelles internationales, l’IICI et l’Union panaméricaine offrant un registre d’actions et de méthodes dans lequel Argentine, Brésil et Chili peuvent puiser pour se positionner au sein du continent, en fonction des intérêts et des enjeux qui leur sont propres. La diplomatie culturelle, appuyée sur les réseaux et les pratiques d’une coopération intellectuelle née et consolidée au cours des trente premières années du siècle, est dès lors à la fois l’auxiliaire d’une politique extérieure réorientée vers la région et l’un de ses moteurs.
La relation Argentine-Brésil dans les années 1930 : l’entente cordiale
63Il ne s’agit pas ici de nier la rivalité entre ces deux géants de l’Amérique du Sud. Cependant, il faut souligner que si la compétition qu’ils se livrent pour assurer le leadership de la région est une constante de leurs rapports, les années 1930-1940 représentent un tournant dans le sens où la coopération en devient l’une des modalités. Faisant face à des défis communs, qu’ils soient économiques, politiques ou identitaires, ces deux nations se tournent de plus en plus l’une vers l’autre. Chacune connaît par ailleurs une intervention croissante de l’État dans tous les domaines, notamment celui de la culture et leur politique extérieure est marquée par ce qu’Amado Cervo a nommé le « paradigme développementiste53 ».
64C’est dans ce contexte qu’ont lieu les visites présidentielles effectuées par Agustín P. Justo à Rio de Janeiro en 1933 et par Getúlio Vargas à Buenos Aires en 1935. Pour Raquel Paz dos Santos, ces visites et la signature des accords et traités54 sur laquelle elles ont débouché constituent une rupture majeure dans les relations entre les deux pays55. Les archives argentines permettent d’appréhender leur importance dans la mesure où elles révèlent le grand soin apporté à la préparation du séjour du président brésilien, comme le montre notamment la citation suivante :
« La visite du président du Brésil, Dr Getúlio Vargas, à la République Argentine, aura sans doute une grande signification, parce qu’elle montrera la cordialité existant entre les deux nations les plus puissantes de l’Amérique du Sud. Faire ressortir cette réalité et la faire connaître dans tous ses détails sera une œuvre louable et hautement patriotique56. »
65 L’auteur de cette lettre au président de la Commission en charge de la réception, Manuel Domecq, suggère que celle-ci fasse l’objet de mesures visant à lui donner la plus grande projection possible sur la scène internationale. Manuel Domecq écrit quant à lui au président du Cercle de la presse argentine afin de s’assurer de la collaboration des journalistes pour donner à cet événement la résonnance qu’il mérite. Le recteur de l’université de Buenos Aires est lui aussi sollicité pour que les hommages rendus au président brésilien « atteignent le plus grand relief possible, sur le plan intellectuel comme sur le plan populaire ». Enfin, un hymne d’« Hommage de l’Argentine au Brésil » est composé. Ainsi, rien ne semble laissé au hasard et la mobilisation entreprise par la Commission de réception est bien révélatrice de la volonté d’initier une nouvelle ère dans les relations entre les deux pays.
66Les échanges de discours prononcés lors du séjour de Getúlio Vargas confirment ce constat. Si les considérations économiques apparaissent comme un facteur de premier plan dans le rapprochement des deux anciens rivaux, elles ne sont pas les uniques moteurs et les seules forces agissantes d’une coopération que l’on souhaite plus forte ; dans son discours, José Carlos de Macedo Soares, ministre brésilien des Relations extérieures, lie en effet échanges commerciaux et culturels :
« L’intensification des échanges de produits […] s’impose comme une nécessité impérieuse, conséquence de la situation géographique des deux pays, aussi indispensable que le développement d’échanges d’idées entre eux, objet de l’accord qui aujourd’hui se conclut pour l’échange de professeurs et d’élèves57. »
67L’ensemble de ces déclarations n’efface certes pas la compétition que se livrent les deux pays. Elles témoignent néanmoins d’une véritable volonté de coopération, se traduisant par une projection commune sur la scène internationale. Les accords concernant la coopération intellectuelle entre les deux nations, prévoyant échanges de livres, de professeurs et d’étudiants, mais aussi révision des textes d’enseignement en histoire sont une manifestation de ce désir mutuel, faisant du rapprochement entre les deux nations bien autre chose qu’une simple entente aux niveaux économique et diplomatique. Ils manifestent en outre des préoccupations similaires quant au rôle de la culture et de l’éducation dans la définition de leur identité nationale.
68Les relations culturelles entre les deux pays se traduisent par ailleurs, dès 1934, par la fondation d’un Institut de civilisation argentino-brésilienne à Rio de Janeiro, présidé par Rodrigo Octavio, membre fondateur de l’Académie brésilienne de lettres, et constitué par des « personnalités de la vie intellectuelle brésilienne » et « des membres du corps diplomatique argentin ». Cet Institut « organisera des conférences, des expositions sur l’Argentine, encouragera l’échange de conférenciers, de livres et de renseignements et s’efforcera de créer d’autres centres d’échanges intellectuels entre les deux pays58 ». Un Institut du même nom est créé à Buenos Aires. Enfin, il convient de signaler que les accords signés en 1933 et 1935 sur les échanges de professeurs et d’étudiants ne restent pas lettre morte : les volumineux et nombreux dossiers qui s’y réfèrent dans les archives de l’Itamaraty apportent la preuve qu’ils ont connu une application bien réelle.
69D’où vient, dès lors, le discours récurrent sur l’absence de relations solides entre ces deux nations, dont on ne retient souvent que la rivalité ? Gustavo Sorá apporte un élément de réponse. Selon lui,
« la négation des échanges culturels entre le Brésil et l’Argentine n’est pas autre chose que la confirmation de leur présence dans la construction réciproque de chacune des cultures nationales, c’est une manifestation du caractère international de leur formation et des structures de domination qui les opposent59. »
70Cette opposition et sa mise en scène peuvent dès lors être considérées autant comme le reflet de la réalité que comme une dimension constitutive de l’identité de chacune de ces deux nations, chacune offrant à l’autre un miroir tantôt déformant tantôt étrangement fidèle de ce qu’elles sont ou voudraient être.
Le Chili : cesser d’être un « fin de mundo » en Amérique
71En 1928, les lignes suivantes figurent dans la revue Chile :
« Une des plus grandes préoccupations de l’actuel chancelier de la République, M. don Conrado Ríos Gallardo, a été de faire connaître notre pays dans les centres mondiaux, vu que jusqu’à présent le nom du Chili est pratiquement ignoré dans les grands cercles d’opinion européens60. »
72L’Europe, notamment par le biais de la SDN où les diplomates chiliens sont actifs, est alors la destinataire privilégiée de la politique extérieure chilienne dont les objectifs sont à la fois économiques et géopolitiques. Il s’agit en effet, concernant ces derniers, de faire en sorte que les revendications territoriales de la Bolivie et du Pérou ne soient pas satisfaites. La couverture de la revue Chile de janvier 1928 constitue une illustration éloquente de cette préoccupation, la conservation de la province de Tacna étant présentée comme un impératif national61.
73La signature, en juin 1929, d’un traité avec le Pérou apportant une solution à ce différend qui empoisonnait les relations des deux pays marque un tournant pour le positionnement du Chili en Amérique du Sud. La crise de 1929 et la forte contraction des échanges avec l’Europe viennent consacrer cette redéfinition.
74 Le traité de 1929 représente « un chapitre-clé de l’histoire diplomatique du Chili62 », mettant en grande partie fin à l’insécurité née de cette dispute frontalière. Le renouveau des relations avec la « nation-sœur » qu’est le Pérou va être ainsi l’objet d’une mise en scène importante, en particulier dans les pages de la revue Chile. C’est pour ce pays l’occasion de se présenter comme un héraut des solutions pacifiques en cas de conflit, d’affirmer son rôle au sein du sous-continent, mais aussi de disqualifier les éventuelles réclamations de la Bolivie, dont il n’est jamais question dans la publication du ministère des Relations extérieures. L’orientation de plus en plus américaniste de la politique extérieure chilienne, à partir du milieu des années 1930, trouve dans la coopération intellectuelle un instrument des plus précieux.
75La Commission chilienne est de fait une de celles qui a le plus orienté son action en direction des pays voisins, comme le souligne, en 1940, son président, Juvenal Hernández :
« Inspirée par les mêmes principes que ceux de l’IICI, notre commission prétend apporter sa pierre à la construction spirituelle de la conscience des 21 peuples frères ; elle essaie de débarrasser des mauvaises herbes les chemins de l’entente réciproque, de mettre en place les bases pour l’éducation des enfants dans une perspective américaniste, d’élever partout des monuments qui montreront aux générations futures le patrimoine commun de la race […]63. »
76Le Chili essaie en effet de plus en plus de se positionner comme un carrefour au sein de la région, mais aussi, à partir de l’arrivée au pouvoir du Front populaire en 1938, comme une terre d’accueil.
77Cet esprit de coopération est particulièrement visible dans les relations du Chili avec l’Argentine, alors même que ces dernières ont été caractérisées, depuis la fin du xixe siècle, par une méfiance réciproque basée sur des litiges frontaliers, chacun voyant dans l’autre une menace expansionniste64. L’inauguration, en 1910, du Ferrocarril Trasandino rend possible le renforcement des relations politiques, sociales, économiques et culturelles entre les deux pays. À partir des années 1920, les économies chilienne et argentine deviennent de plus en plus complémentaires. L’aboutissement de cette dynamique est la signature, en 1933, d’un traité de libre commerce, puis d’une première série de conventions et d’accords de type culturel signés en 1935. Il est notamment question de corriger les perceptions négatives que chaque pays a sur l’autre, comme le montrent les considérants de l’accord sur les films :
« Dans le désir d’accroître, par tous les moyens, les relations d’amitié entre les deux Peuples, il a été décidé de conclure un Accord pour éviter, autant que possible, dans l’un ou l’autre pays, des représentations cinématographiques ayant trait à l’autre pouvant aller à l’encontre de ces sentiments […]. Les deux Gouvernements conviennent d’interdire, par les moyens dont ils disposent, […] la projection sur leur territoire de tout film portant sur l’autre pays que le Gouvernement de ce dernier jugerait offensant65. »
78Il ne s’agit pas d’un rapprochement ponctuel : trois ans plus tard, en 1938, une nouvelle série de textes vient compléter ceux de 1935. Ils sont l’objet d’un article dans la revue Informaciones Argentinas66, dans laquelle paraît également un texte intitulé « Un nouveau lien d’amitié avec le Chili » en janvier 193967.
79Comme dans le cas du Brésil et de l’Argentine, bien qu’à un degré moindre, la coopération intellectuelle est étroitement entremêlée aux objectifs de politique extérieure, montrant à quel point elle constitue un aspect fondamental du développement des diplomaties culturelles argentine, brésilienne et chilienne.
Un panaméricanisme à la brésilienne
80Dans sa volonté de rompre l’isolement du Brésil au sein du sous-continent et d’y occuper une place prépondérante, le gouvernement de Getúlio Vargas mène sa propre politique de bon voisinage, définissant un panaméricanisme à la brésilienne. La visite de José Maria Cantilo, ministre argentin des Relations extérieures, à Rio de Janeiro en avril 1938 est l’occasion pour le président brésilien d’affirmer la vocation américaniste du Brésil :
« Le Brésil a toujours désiré vivre en paix avec ses voisins et a tout fait pour concrétiser cette noble aspiration. Aujourd’hui, avec plus d’expérience et de confiance, il reconnaît la nécessité d’amplifier et de renforcer la bonne et féconde politique de coopération et solidarité continentale, grâce à laquelle il sera possible pour toutes les nations américaines de vivre sous un régime d’ordre et de travail, en développant en même temps leurs richesses et en réalisant pacifiquement leurs idéaux communs68. »
81À la fin de la période que nous étudions, Osório Dutra, alors chef de la Division de coopération intellectuelle, dresse le bilan des actions de l’Itamaraty en appui à cette politique :
« Le ministère des Relations extérieures déploie un intense effort de rapprochement culturel avec les républiques-sœurs du continent, en promouvant, avec l’appui fervent de M. Le président de la République, la conclusion d’accords culturels, l’installation à l’extérieur d’instituts brésiliens, l’échange de professeurs, la création de bourses d’études et l’envoi ou l’accueil de caravanes étudiantes69. »
82Là encore nous pouvons constater que le discours s’est accompagné de mesures très concrètes, les échanges universitaires apparaissant ici comme le principal instrument de la diplomatie culturelle brésilienne. Ils n’ont cependant pas été le seul levier d’action du régime de Vargas. Ce dernier s’est également appuyé sur une revue, Pensamento da América, publiée d’août 1941 à février 194870, et sur les réseaux du ministère de l’Éducation dirigé par Gustavo Capanema.
83 Pensamento da América est une revue visant à mieux faire connaître l’Amérique (dans son ensemble) au Brésil, tout en se basant sur la conception nationale de l’identité brésilienne défendue par le régime de Vargas. L’utilisation d’une revue dans le but de construire l’image d’un Brésil pouvant légitimement aspirer à une place et un rôle de choix dans le concert des nations américaines n’est pas inédite. En effet, a été publiée, entre 1909 et 1919, une Revista Americana qui relevait des mêmes objectifs71. Le contenu, cependant, n’est pas le même. Si Pensamento da América participe pleinement au discours panaméricaniste de Getúlio Vargas, c’est parce que cette publication reflète l’« option brésilienne72 » dont celui-ci est porteur. Aux armes de la séduction hollywoodienne employées par le gouvernement nord-américain, le Brésil oppose la vision d’une Amérique où peuvent être conjuguées solidarité continentale et valorisation des particularités propres à chaque pays. Comme le souligne Ana Beraba, c’est l’« Amérique de la terre », celle où s’enracine des nationalités singulières, que donnent à voir les pages de la revue. Ce faisant, elles présentent le Brésil comme un terrain d’expériences susceptibles d’intéresser les nations voisines dans un contexte où les débats et questionnements autour de l’identité nationale sont une donnée fondamentale de la vie politique, intellectuelle et culturelle dans la région.
84C’est dans ce cadre que Gustavo Capanema confie à Gilberto Freyre une mission qui doit se dérouler en Argentine, en Uruguay et au Paraguay, afin de
« réaliser une enquête élargie sur le contexte psychologique, intellectuel et culturel des pays visités, dans la mesure où ces facteurs renseignent sur la possibilité de la diffusion de [la] langue [brésilienne] et de valeurs culturelles [du Brésil] dans ces républiques d’Amérique et dans d’autres et la réciprocité de l’échange culturel entre le Brésil et ces mêmes républiques73. »
85Le but d’une telle mission est l’élaboration d’une image du Brésil, loin des clichés réducteurs et susceptible de constituer un exemple à suivre par les autres nations latino-américaines.
86Dans les textes écrits à l’occasion de son périple, Gilberto Freyre étend à l’Amérique, et plus particulièrement à l’Amérique latine, l’analyse et la caractérisation du Brésil comme archipel sociologique formé d’un ensemble d’îles culturelles. Gilberto Freyre parvient ainsi à une généalogie commune qui, sans nier les différences, les insère dans un schéma propre à l’ensemble du continent américain. Ce faisant, il rompt notamment avec l’idée d’un Brésil isolé et à part au sein du sous-continent. Il balaie dans le même temps la possibilité de « balkanisation74 » que la « prédisposition à la diversité régionale ou provinciale de la culture […] qui caractérise l’Amérique75 » pourrait laisser présager. Les « îles » décrites par le Brésilien ne sont pas destinées à demeurer isolées les unes des autres mais à former « une combinaison interaméricaine d’énergies régionales et de qualités provinciales », renforcée par les similitudes « si fortes, si naturelles, si prometteuses76 ». Celles-ci sont le fruit de deux facteurs, selon l’auteur : l’histoire et le fond commun amérindien. De fait, si la différence entre colonisation portugaise et espagnole n’est pas niée, couplée à la question des amérindiens, elle se trouve englobée dans une identité hispano-amérindienne. La péninsule ibérique retrouve ainsi son unité. Pour ce qui est de l’Amérindien, il est le dénominateur commun aux Latino-Américains, l’élément qui a agi comme un facteur de « déseuropéanisation du colon et de son américanisation77 ». La conception de la culture développée par Gilberto Freyre – et la métaphore des îles et des archipels en est un exemple – est celle d’une culture qui s’entend comme territoire. D’où la référence à la « terre américaine » comme socle et racine de l’« américanité authentique78 ». Et cette terre américaine, c’est d’abord, chronologiquement, celle des Amérindiens. Il ne s’agit pas de défendre une conception de la culture et de l’identité américaine comme « phénomène ou situation biologique : sang et race ». L’élément amérindien est un facteur psycho-social, c’est un ensemble de valeurs, c’est une « meilleure intégration à la nature américaine ». Ceux des peuples latino-américains parmi lesquels la « racine amérindienne » a été respectée sont « écologiquement plus américains que les autres ». Cette affirmation constitue une critique à peine voilée des États-Unis, de l’Argentine ou de l’Uruguay, pays où les Amérindiens ont été largement exterminés.
87Il peut paraître étrange de trouver cette interprétation sous la plume de Gilberto Freyre. Alors que l’élément noir était fondamental dans Casa Grande e Senzala (1933), il est ici moins présent, même s’il n’est pas oublié. Lorsqu’il est évoqué, il est cependant mis sur le même pied que l’élément européen : « Les provinces d’Amérique ont des affinités culturelles particulières avec des régions européennes ou africaines qui ont joué un rôle maternel dans le développement du continent américain79. » Mais l’élément amérindien, lui, est ce qui permet de créer un lien entre les différentes nations américaines car, si on le prend en compte,
« les frontières nationales perdent leurs couleurs les plus vives pour pâlir selon des caractérisations plus ou moins régionales de zones de plus ou moins grande influence européenne ou africaine sur une base commune qui est indigène80 ».
88À l’aune de ces constats, Gilberto Freyre propose à Gustavo Capanema de valoriser auprès des nations latino-américaines une « expertise » brésilienne, le Brésil étant le pays le plus à même, par son histoire, par sa composition démographique, par la richesse de ses traditions, de montrer la voie vers une modernité qui ne soit pas la négation des singularités du continent américain ; une voie qui soit proprement américaine et qui prenne en compte la diversité caractéristique de la région.
89Nous avons ici sans doute à faire au plus ambitieux projet de diplomatie culturelle ayant été formulé pendant la période étudiée. Le fait que ce soit l’œuvre d’un Brésilien n’est pas anodin. Ce pays connaît en effet des années 1930 aux années 1940 une conjoncture particulière, celle d’un pouvoir politique se maintenant pendant quinze ans, offrant aux initiatives et programmes qu’il met en place une continuité que l’on ne retrouve ni en Argentine ni au Chili. Cela permet une plus grande perméabilité entre la politique culturelle menée à l’intérieur des frontières nationales d’une part et la formulation d’une diplomatie culturelle d’autre part, même s’il y a parfois des hiatus entre ce qui est valorisé sur la scène nationale et ce qui est exposé au regard de l’étranger.
Conclusion
90Plutôt que de procéder à une recension exhaustive des destinataires des diplomaties culturelles argentine, brésilienne et chilienne, nous avons fait le choix de limiter notre analyse à un ensemble restreint de cas afin de pouvoir dégager un certain nombre de lignes directrices dans la formulation et l’application de celles-ci.
91Une première remarque a trait à l’importance de la mise en scène de la proximité et des relations entretenues avec tel ou tel pays considérées comme valorisantes. Dans cette perspective, ce n’est pas tant la réalité des échanges et des liens qui importe que la possibilité de les faire valoir auprès d’un tiers. La démarche argentine consistant à organiser en Europe des expositions de livres pour ensuite en tirer un ouvrage publié en espagnol et distribué en Amérique latine en est l’illustration la plus remarquable. Dans les trois cas étudiés, la France revêt encore le caractère de caution pour légitimer sur la scène internationale, et plus particulièrement régionale, les productions culturelles de ces pays. Elle apparaît ainsi comme désincarnée, devenant une référence que l’on invoque pour garantir la solidité du discours. Elle est enfin ce fragile rempart discursif résumé par le terme de « latinité » qui permet de contrebalancer le déploiement de la politique culturelle des États-Unis ou les visées impérialistes de l’Allemagne nazie.
92Le mot « destinataire », employé tout au long de ce chapitre, est donc porteur d’une ambivalence. Dans le cas des relations culturelles entre le Chili et l’Allemagne, peut-on réellement dire que cette dernière est la destinataire d’une diplomatie culturelle chilienne ? La valorisation, par ce pays et par le Brésil, des échanges avec les États-Unis fait-elle de ceux-ci l’objet d’une politique de rayonnement de leur part ? Y a-t-il, finalement, diplomatie culturelle lorsque le discours dépasse de loin la réalité ? Ces interrogations interdisent toute réponse tranchée. Dans la mesure où la diplomatie culturelle a pour principal but d’agir sur des représentations, celles de soi à l’extérieur, le discours devient un outil de premier plan, réorganisant le réel en fonction des intérêts et des enjeux qui conduisent à sa formulation. Il doit toutefois, pour être un tant soit peu crédible, s’appuyer sur des éléments tangibles. En ce qui concerne la Grande-Bretagne, ils sont plus que fugaces et c’est toujours comme partenaire économique qu’elle est évoquée, notamment par l’Argentine, et non comme une interlocutrice ou une référence dans le domaine intellectuel et culturel. La conclusion que nous pouvons tirer de l’analyse des relations entre ce pays, la France, l’Allemagne et les États-Unis d’une part et l’Argentine, le Brésil et le Chili d’autre part, est que pour que ces nations s’engagent dans une dynamique de diplomatie culturelle à l’égard de pays plus puissants, il faut que ces derniers aient eux-mêmes développé une politique semblable. Nous sommes en effet dans une période de mise en place, donc de tâtonnements, d’essais, où l’on cherche ailleurs les recettes qui marchent. La Grande-Bretagne arrive trop tard sur la scène de la diplomatie culturelle pour offrir à ces trois pays la possibilité d’étendre et de consolider à son contact leur propre répertoire d’action.
93Celui-ci paraît relativement solide et diversifié dès lors que ce sont les autres nations latino-américaines qui sont visées : échanges universitaires, multiplication des accords et conventions de coopération intellectuelle, missions culturelles, publications, etc. participent d’une politique extérieure de plus en plus tournée vers le sous-continent. Le registre des initiatives se différencie également de celui qui est employé à destination de l’Europe. Dans les deux cas les élites sont le public privilégié, selon l’idée exprimée par un diplomate brésilien insistant sur le fait qu’elles constituent l’intermédiaire le plus efficace pour la divulgation d’une image positive81. Néanmoins, en ce qui concerne les destinataires latino-américains, l’audience est élargie : les accords ayant trait aux films ou ceux qui prévoient la réforme de textes d’enseignement visent de fait plus que les cénacles d’érudits.
94Le déploiement plus large et plus affirmé des diplomaties culturelles argentine, brésilienne et chilienne dans le sous-continent renvoie enfin à des défis et préoccupations semblables, relevant tout à la fois des domaines politique, économique et identitaire. Dans ce contexte-là chacun peut prétendre à incarner une possible voie à suivre, l’étoile de l’Europe étant de plus en plus pâle et la modernité une affaire qui ne se limite plus à l’imitation de cette dernière. Les trois pays jouent à cet égard une partition qui leur est propre, l’Argentine tentant de conjuguer sa vocation universelle à son désir de leadership régional ; le Chili jouant la carte de l’éducation et de l’apaisement avec ses voisins ; et le Brésil essayant d’être reconnu dans sa puissante individualité en même temps qu’accepté par ses pairs régionaux. Ces différentes ambitions ont en commun de ne pas signifier une fermeture de principe aux apports extérieurs, malgré l’affirmation croissante de leur nationalisme. Cette ouverture a cependant des limites, comme nous avons pu le constater pour les relations entre le Brésil et l’Allemagne. Là réside sans doute l’un des principaux enjeux de la diplomatie culturelle, chargée de promouvoir la culture d’un pays tout en l’exposant sans cesse au contact de celle des autres nations.
Notes de bas de page
1 Alex Fortes, préface à Vizentini Paulo Fagundes, Relações internacionais do Brasil : de Vargas a Lula, São Paulo, Ed. Fundação Perseu Abramo, 2003, p. 3.
2 Le Chili étant sans doute le pays le plus durement touché.
3 MAE, SDN no 55, Buenos Aires, 12-01-1921, lettre de M. Clausse, ministre de France en Argentine à M. le président du Conseil, ministre des Affaires étrangères.
4 Beired José Luis Bendicho, « “A grande Argentina” : um sonho nacionalista para a construção de uma potência na América latina », Revista brasileira de história, vol. 21, no 42, 2001, p. 42.
5 Fermandois Joaquín, Mundo y fin de mundo. Chile en la política mundial 1900-2004, op. cit.
6 Taylor Philip M., The Projection of Britain. British Overseas Publicity and Propaganda, 1919-1939, Cambridge, Cambridge University Press, 1981, p. 155.
7 AHI, 542,6, 1043/18360, Intercambio intelectual entre o Brasil e a Grã-Bretanha, Londres, octobre 1936, rapport de Paschoal Carlos Magno, consul auxiliaire.
8 AHI, 542,6, 1043/18360, Intercambio intelectual entre o Brasil e a Grã-Bretanha, 1935-1938, Rio de Janeiro, 29-01-1936, lettre d’Oliveira Alves, pour le ministre des Relations extérieures, à Alfredo Polzin, consul du Brésil à Londres.
9 AHI, 542,6, 1043/18360, Intercambio intelectual entre o Brasil e a Grã-Bretanha, 1935-1938, Londres, 08-05-1936, lettre d’Alfredo Polzin à José Carlos de Macedo Soares.
10 Ibid.
11 Ibid.
12 AHI, 542,6, 1043/18360, Intercambio intelectual entre o Brasil e a Grã-Bretanha, Londres, 29-10-1936, lettre d’Alfredo Polzin au ministre des Relations extérieures.
13 Ibid.
14 Paschoal Carlos Magno (1906-1980), poète, auteur de théâtre et diplomate, a notamment participé à la campagne de collecte de fonds visant à créer la Casa do Estudante do Brasil, inaugurée en 1937.
15 AHI, 542,6, 1043/18360, Intercambio intelectual entre o Brasil e a Grã-Bretanha, Londres, octobre 1936, rapport de Paschoal Carlos Magno, consul auxiliaire.
16 Paschoal Carlos Magno insiste en effet sur la nécessité de privilégier ce mode d’expression car « le théâtre représente, en Angleterre, un outil généreux pour la publicité. L’Anglais va au théâtre avec la même facilité qu’un Brésilien boit du café. » (Ibid.)
17 Voir notamment Carelli Mario, Cultures croisées. Histoire des échanges culturels entre la France et le Brésil de la découverte aux temps modernes, Paris, Nathan, 1993 ; Chonchol Jacques et Martinière Guy, L’Amérique latine et le latino-américanisme en France, Paris, L’Harmattan, 1985 et Leenhardt Jacques et Kalfon Pierre, Les Amériques latines en France, Paris, Gallimard, 1992.
18 Cf. chapitre « L’Amérique latine entre deux rives ».
19 Voir à ce sujet Ory Pascal, « Paris, lieu de création et de légitimation internationale », in Antoine Marès et Pierre Milza (org.), Le Paris des étrangers depuis 1945, Paris, Presses de la Sorbonne, 1994, p. 359-372.
20 Cf. notre chapitre précédent.
21 Mollier Jean-Yves, Une capitale internationale du livre : Paris, xviie-xxe siècles, Genève, Droz, 2009.
22 MRE Argentine, División de Publicidad y Propaganda, año 1938, caja 4168, article du journal La Nación, 22-11-1938, « Paul Valéry habló en el acto inaugural de la exposición del libro argentino abierta en París ».
23 Comisión argentina de cooperación intelectual, La vida y la cultura en Argentina, Buenos Aires, 1939.
24 Morand Paul, « La Argentina y nosotros », in Comisión argentina de cooperación intelectual, La vida y la cultura en Argentina, op. cit., p. 57-78.
25 AHI, 542,6, 1043/18350, Intercâmbio intelectual Brasil/França, 1931-1940, Le Havre, 25-11-1938, lettre du consul brésilien au ministre des Relations extérieures.
26 Ibid.
27 Voir Petitjean Patrick, « Le Groupement des Universités et Grandes Écoles pour les relations avec l’Amérique latine et la création d’instituts à Rio de Janeiro, São Paulo et Buenos Aires (1907-1940 », in Ubiratan d’Ambrosio (coord.), Anais do secundo congresso latino-americano. História da ciencia e da tecnologia, São Paulo, Nova Stella editora, 1989, p. 428-442.
28 Il s’agit notamment de Paul Rivet, d’Henri Laugier et d’Henri bonnet.
29 Petitjean Patrick, « Miguel, Paul, Henri et les autres. Les réseaux scientifiques franco-brésiliens dans les années 1930 », in Antonio Augusto Passos Videira et Silvio R. A. Salinas (org.), A cultura da física : contribuições em homenagem a Amelia Imperio Hamburger, São Paulo, Editora Livraria da USP, 2001, p. 59-94.
30 « La Francia de siempre » est le titre d’une conférence prononcée par Francisco Walker Linares, en tant que président de l’Institut culturel franco-chilien, au théâtre municipal de Santiago le 14 juillet 1942. Ce discours est reproduit dans Boletín bimestral, avril-sept. 1942, no 30-31.
31 « Aniversario de Francia », Palabras pronunciadas por don Francisco Walker Linares, Presidente del Instituto Chileno-Francés de Cultura, en la velada del Teatro Municipal de Santiago, del 14 de julio de 1943, organizada por aquel Instituto para conmemorar el aniversario nacional de Francia, Boletín bimestral, juillet-septembre 1943, no 35, p. 40-41.
32 Sur la latinité de l’Amérique comme concept opératoire, voir Martinière Guy, Aspects de la coopération franco-brésilienne : transplantation culturelle et stratégie de la modernité, Grenoble/Paris, Presses universitaires de Grenoble/Éditions de la Maison des Sciences de l’Homme, 1982, p. 25-38.
33 Boletín bimestral, oct.-déc. 1941, no 28, p. 64.
34 Moura Gerson, « A Revolução de 1930 e a política exterior brasileira : ruptura ou continuidade ? », dans A Revolução de 1930, Seminário internacional, Brasília, Ed. Universidade de Brasilia, 1983, p. 580.
35 MRE Chili, Embajada de Chile en Alemania, 1937, dossier 1562A, texte du discours prononcé par l’ambassadeur chilien Luis V. de Porto Seguro à la radio officielle du gouvernement allemand, le 18-09-1937, à l’occasion d’un hommage au Chili.
36 MRE Chili, Embajada de Chile en Alemania, 1937, dossier 1562A, traduction en espagnol d’un article sur la sortie de crise du Chili paru à Berlin le 18-09-1937 dans le journal Deutsche Allgemeine Zeitung.
37 Voir Rinke Stefan, « Las relaciones germano-chilenas, 1918-1933 », Historia, vol. 31, 1998, p. 217-308.
38 MRE Chili, Embajada de Chile en Alemania, 1937, dossier 1562A, texte du discours prononcé par l’ambassadeur chilien Luis V. de Porto Seguro.
39 AHI, 1043/18363 : Intercambio intelectual entre o Brasil e a Alemânia, 1929-1938, Cologne, 02-12-1933, lettre de Fritz Lejeune, chargé de l’organisation de l’Institut d’études luso-brésiliennes de l’université de Cologne, à Ildefonso Falcão, consul du Brésil à Cologne.
40 Comisión nacional de cooperación intelectual, Regards sur l’Argentine, Buenos Aires, 1939, p. 10.
41 Milza Pierre, « Cultures et relations internationales », Relations internationales, no 24, Paris, 1980, p. 365.
42 Voir chapitre précédent notre partie sur les échanges universitaires comme instrument de la diplomatie culturelle chilienne.
43 AHI, Divisão de cooperação Intelectual, 135/5/7, Rio de Janeiro, 22-02-1945, « Relatório sobre as atividades da Divisão de Cooperação Intelectual no ano 1944 », par Osório Dutra, chef de la Division.
44 Ibid.
45 Voir chapitre « La scène panaméricaine ».
46 Melo Alvaro Guedes de, O Pan-Americanismo no Estado Novo : midia e relações internacionais, Dissertação de mestrado, Instituto de Filosofia e Ciências humanas, Programa de pós-graduação em história, Orlando de Barros (dir.), UERJ, Rio de Janeiro, 2005, p. 77.
47 Article de la revue Cultura Política, fondée par le régime, cité par Melo Alvaro Guedes de, op. cit., p. 76.
48 MRE Argentine, Memorias, 1946-1947, p. 485.
49 Chile, novembre 1928, año III, vol. 3, no 45.
50 Boletín bimestral, no 16, fév. 1940, p. 35, « Instituto chileno-norteamericano de cultura. Memoria leída por el Secretario, don Eugenio Pereira Salas ».
51 Ibid., « Las relaciones culturales entre Chile y Estados Unidos », p. 17-18.
52 MRE Chili, Memorias, 1941, p. 368.
53 Cervo Amado Luis, Relações internacionais da América Latina : velhos e novos paradigmas, Brasília, Ibri, 2001, p. 23-61.
54 10 de ces accords se réfèrent à des questions économiques et commerciales (navigation maritime, tourisme, mesures sanitaires, etc.) ; les thèmes politiques sont l’objet de 4 traités, tandis que 5 traités sont consacrés aux domaines éducatif et culturel.
55 Santos Raquel Paz dos, « Relações Brasil-Argentina : a cooperação cultural como instrumento de integração regional », Estudos Históricos, Rio de Janeiro, vol. 22, no 44, julho-dezembro 2009, p. 358-359.
56 MRE Argentine, División de política, Visita del presidente de Brasil a Buenos Aires, 1935, Buenos Aires, 07-05-1935, lettre de Marcelo Echevarrieta à Almirante Manuel Domeq García, président de la Commission de réception du président du Brésil.
57 MRE Argentine, Memorias, 1935-1936, tomo I, p. 50.
58 La Coopération Intellectuelle, Paris, IICI, 1934, p. 352.
59 Sorá Gustavo, Traducir el Brasil. Una antropología de la circulación internacional de ideas, Buenos Aires, Libros del Zorzal, 2003, p. 29
60 Chile. Boletín consular del Ministerio de Relaciones Exteriores, año III, vol. 3, no 43, septembre 1928, p. 12, « La propaganda del país en el extranjero ».
61 Chile, janvier 1928, año III, vol. 3, no 35, Légende : « Province la plus septentrionale du Chili et sa frontière naturelle, petite par son territoire (23050 km2) et par la richesse qu’elle contient, grande par son histoire et par les efforts héroïques qu’elle a coûtés pour être incorporée à la nation chilienne. Ses enfants, héritiers du sang généreux qui a arrosé son sable et ses rochers sauront la conserver et la faire progresser pour le bénéfice et la paix de la République. ». Voir cahier couleur, planche I.
62 Fermandois Joaquín, Mundo y fin de mundo…, op. cit., p. 108.
63 Discours de Juvenal Hernández reproduit dans Hernández Juvenal et Walker Linares Francisco, La Cooperación intelectual. Sus antecedentes, su fundación en Chile, su acción, Santiago, Ediciones de las prensas de la Universidad de Chile, 1940, p. 11-12.
64 Voir à ce sujet Lacoste Pablo, La imagen del otro en las relaciones Argentina-Chile (1534-2000), Santiago/ Buenos Aires, Universidad Santiago de Chile/Fondo de Cultura Económica de Argentina, 2003 et Scenna Miguel Angel, Argentina, Chile : una frontera caliente, Buenos Aires, Ed. De Belgrano, 1981.
65 MRE Argentine, Memorias, 1935-1936, tomo I, p. 436.
66 Informaciones argentinas, no 2, 15 juin 1938, « Tres convenios y un acta sobre intercambio intelectual con Chile ».
67 Informaciones argentinas, no 17, 15 janvier 1939, « Un nuevo vínculo de amistad intelectual con Chile ».
68 MRE Argentine, Memorias, 1937-1938, tomo I, p. 216.
69 AHI, Divisão Cultural, 135/5/7, Rio de Janeiro, 19-10-1945, Rapport d’Osório Dutra au secrétaire général de l’Itamaraty.
70 Pensamento da América est un supplément du journal A Manhã, présenté par Ana Beraba comme la voix de l’Estado Novo. Beraba Ana Luz Segala, Teias culturais interamericanas nos anos 40. Um estudo de caso : Pensamento da América, Monografia de graduação, Rio de Janeiro, UFRJ/IFCS, 2005.
71 Cette revue a fait l’objet de plusieurs travaux, dont : Castro Fernando Luiz Vale, Pensando um continente : a Revista Americana e a criação de um projeto cultural para a América do Sul, Tese de doutorado em História social da cultura, Marco Antonio Villela Pamplona (dir.), Pontífica Universidade Católica do Rio de Janeiro, 2007 et Baggio Kátia Gerab, « A Revista Americana (1909-1919) e as relações entre as Américas », in Eliana de Freitas Dutra et Jean-Yves Mollier (éd.), Política, nação e edição : o lugar dos impressos na construção da vida política. Brasil, Europa e Américas nos séculos XVIII-XX, São Paulo, Annablume, 2006, p. 447-463.
72 Expression employée par Beraba Ana Luz Segala, op. cit., p. 133.
73 CPDOC, Arquivo Gustavo Capanema, rolo 17, 12-03-1942, lettre de Gilberto Freyre à Gustavo Capanema.
74 Article « Interamericanismo », publié dans La Nación, 08-02-1942, reproduit dans Americanidade e latinidade da América Latina e outros textos afins, São Paulo, Editora Universidade de Brasília, 2003, p. 49.
75 Ibid., p. 48.
76 Ibid., p. 50.
77 Cette citation est extraite d’un texte qui fut d’abord celui d’une conférence prononcée par Gilberto Freyre à Montevideo en décembre 1941 à l’Institut de culture uruguayo-brésilien. Nous utilisons ici la version publiée dans Americanidade e latinidade da América Latina e outros textos afins, São Paulo, Editora Universidade de Brasília, 2003 et intitulée « A propósito da política cultural do Brasil na América ».
78 « A propósito da política cultural do Brasil na América », art. cité, p. 38.
79 Article « Interamericanismo », art. cité, p. 49.
80 Ibid., p. 41.
81 AHI, 542,6, 1043/18360, Intercambio intelectual entre o Brasil e a Grã-Bretanha, Londres, 29-10-1936, lettre d’Alfredo Polzin au ministre des Relations extérieures. Le diplomate brésilien s’appuie, pour conforter ses dires, sur un exemple précis, celui de Stefan Zweig qui, de retour du Brésil, ne cesse de s’exprimer avec exaltation sur ce pays auparavant inconnu de lui.
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