Chapitre XI. Penser l’Europe, Clausewitz, 1969-1976
p. 283-310
Texte intégral
1Si l’œuvre d’Aron s’était achevée en 1975, sa réflexion sur Clausewitz serait une parmi d’autres, et il serait difficile d’en faire l’essentiel de sa pensée. Or, Aron a consacré en 1976 à Clausewitz ce qui fut son dernier grand livre, le troisième après l’Introduction à la philosophie de l’histoire en 1938 et Paix et guerre entre les nations en 19621. C’est Penser la guerre, Clausewitz, plutôt que le Plaidoyer pour l’Europe décadente de 1977, qui a été le grand livre d’Aron sur la question de l’Europe. Le Plaidoyer s’adressait au plus large public, mais l’auteur le mettait très en dessous de Penser la guerre.
2Depuis les années vingt, le problème de la guerre hantait Raymond Aron. Dans La Réforme intellectuelle et morale de la France, Renan avait médité sur la défaite de 1870. Pour sa part, Aron était parti de la méditation d’une victoire catastrophique. Il avait été pour cette raison pacifiste jusqu’en 1931, et antimunichois modéré en 1938. C’est ce qui éclaire ses réflexions ultérieures sur la guerre et sa lecture de Clausewitz, avec des formules telles que « la paix sans victoire » en 1951, ou « survivre, c’est vaincre », dans Paix et guerre entre les nations, où il écrit que, si « la France faillit périr de la victoire de 1918, elle fut sauvée tragiquement par sa défaite de 19402 ».
3À la fin des années 60, le temps des héros était fini. De Gaulle s’était retiré en 1969, Churchill était mort en 1965. Les hommes d’État pères fondateurs de l’Europe communautaire avaient eux aussi disparu : Robert Schuman en 1963, Adenauer en 1967. La génération 68 manifestait, aux yeux d’Aron, « un refus de l’historicité », en rupture avec la sienne, contemporaine d’Hitler et de Staline. Comme le Clausewitz des dernières années, de 1827 à 1832, sur lequel s’appuie l’interprétation aronienne du Traité, Aron avait atteint « le temps de la méditation3 ». Élu au Collège de France en 1970, Aron connaissait lui-même le début d’une consécration dans laquelle entrait une part d’ambiguïté : elle pouvait également signifier qu’il était devenu un monument historique, le survivant d’un passé révolu. Dans sa leçon inaugurale au Collège de France, Raymond Aron accordait une place centrale à Delbrück et à Clausewitz, en fonction de la situation historique de sa propre génération, mais aussi de sa vocation de sociologue des relations internationales4. Or, que l’on pût comprendre l’histoire de l’Europe contemporaine à travers Clausewitz n’était rien moins qu’évident au début des années soixante-dix.
4Aron a traité le sujet dans ses cours au Collège de France, celui de 1971-1972, intitulé Carl von Clausewitz en son temps et aujourd’hui, mais aussi les cours de 1972-1973, Théorie de l’action politique, De l’historicisme allemand à la philosophie analytique de l’histoire et, en 1973-1974, L’édification du monde historique5. Il s’agissait de compréhension de l’histoire, puisqu’il était question d’analyser les décisions des acteurs, d’élucider l’écart entre leurs intentions et les conséquences de leurs actions, d’où le parallèle entre « responsabilité parcellaire et déraison collective ». Parallèlement, Aron poursuivait son activité d’éditorialiste et reconnut en quel sens le monde qui s’organisait alors était différent de ce qu’il avait été depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Cette réflexion quotidienne aboutit en 1975 aux trois conférences de Bruxelles, L’Europe face à la crise des sociétés industrielles, du 28 au 30 avril, et à celle de Paris, le 13 mai 1975 au Sénat6. Aron y affirmait qu’en tant que mythe, l’idée européenne était morte, mais il n’en tirait pas moins de Delbrück et Clausewitz une sagesse et des perspectives politiques pour le Vieux Continent.
5Sur plusieurs plans, la période du début des années soixante-dix était nouvelle. Elle l’était sur le plan moral, avec l’évolution sociale et idéologique dont Mai 68 avait été le symbole. Elle l’était aussi sur le plan économique, avec les désordres monétaires, liés au financement de la guerre du Vietnam par le déficit plutôt que par l’impôt, puis à la crise énergétique, du fait de l’augmentation du prix du pétrole par les pays de l’OPEP lors de la guerre du Kippour, en octobre 1973. L’époque était également nouvelle pour la Communauté européenne, avec le projet d’élargissement. Dans le contexte de la Détente, forte de sa puissance économique, la RFA reprenait l’initiative : l’Ostpolitik de Willy Brandt, surtout telle qu’elle était conçue par son conseiller Egon Bahr, inquiétait Londres et Paris. En fait, la Détente, avec ses incertitudes, renvoyait à la réalité d’une Europe toujours divisée. Peut-être parce qu’il se souvenait de l’esprit de Genève, des illusions de Locarno et de la faillite de la sécurité collective, Aron a été l’adversaire déterminé de l’esprit d’Helsinki.
6Dès la fin des années soixante, il a suivi avec attention les problèmes monétaires, dominés par la question du dollar. Il redoute dès 1968 une déstabilisation du monde occidental par les problèmes monétaires. Ainsi, lorsqu’il commente le 26 novembre 1968 la décision prise par de Gaulle, contre toute attente, de ne pas dévaluer : « La puissance réelle d’un pays ne se mesure pas aux réserves d’or mais à la prospérité de l’économie et à l’unité politique et morale7. » Il jugeait souhaitable une réforme du système monétaire international, qui permettrait aux États de s’entendre sur la réponse à la spéculation et aux migrations de capitaux flottants8.
7Son approche des problèmes monétaires était éminemment politique. Peut-être parce qu’il se souvenait de la désastreuse politique de déflation des années trente, il répugnait à tout monétarisme. D’accord avec Jacques Rueff sur la critique de l’étalon de change-or, « autrement dit l’utilisation d’une monnaie nationale comme l’équivalent de l’or et comme monnaie de réserve », il ne le suivait pourtant pas sur l’idée d’un retour à l’étalon-or9. Il était donc assez proche de l’attitude pragmatique du ministre des Finances, Valéry Giscard d’Estaing. On devait, avant tout, préserver la vitalité des économies occidentales et sauvegarder la cohésion de l’ensemble atlantique. Un dollar fort, après tout, favorisait les exportations européennes, il ne portait pas atteinte aux intérêts vitaux de la France10. Aron observait par ailleurs que le Marché commun de 1968, après l’abolition des droits de douane intérieurs, n’était qu’une union commerciale. Ce n’était pas une unité économique, puisque les différentiels d’inflation entre pays membres restaient considérables, et que les politiques économiques n’étaient pas convergentes.
8Le tournant décisif fut le choc Nixon du 15 août 1971, la suspension unilatérale de la convertibilité du dollar en or. Aron avait envisagé dès le début des années soixante que le système de Bretton Woods fût remplacé par autre chose. Mais sa réaction à la décision prise par le président Nixon de suspendre la convertibilité du dollar exprimait une indignation à peine contenue. C’était la confiance dans le leadership américain qui était ébranlée11. Aron déplorait le cynisme de Nixon, mais il voyait aussi dans la désunion des Européens – ceux-ci ne concertaient nullement, malgré leurs velléités d’entente, leurs politiques économiques et monétaires – l’une des causes structurelles de la situation : « Tant que les Européens ne parleront pas d’une seule voix, les États-Unis n’auront pas en face d’eux d’interlocuteurs valables12. »
9Le choc Nixon était un Vae victis. L’Amérique imposait un fait accompli à ses alliés européens et japonais13. C’était donc non seulement le système monétaire international fondé à Bretton Woods qui avait disparu, mais aussi la bienveillance de l’Amérique envers la construction européenne, et cela alors que perdurait le conflit historique entre l’Est et l’Ouest. Raymond Aron, qui commençait alors au Collège de France son cours sur l’actualité de Clausewitz, recommandait, en des termes empruntés au stratège prussien14, de ne pas envenimer davantage les relations euro-américaines.
10Parallèlement, la construction européenne semblait marquer le pas. En avril 1969, au moment où de Gaulle allait se retirer, Raymond Aron écrivait : « L’idée européenne – au moins dans le cadre des “Six” – se meurt. Faute d’un renversement brusque et radical de la politique française – en tout état de cause improbable – l’unité allemande se substitue, dans l’imagination des dirigeants de Bonn, à l’unité européenne15. » La même année, dans le cadre de mélanges offerts à la comtesse Marion Dönhoff, l’éditorialiste du Zeit, il confiait que, s’il devait formuler un pronostic, il miserait « sur le rapprochement des deux Allemagnes plutôt que sur une intégration accrue de la République fédérale dans le Marché commun, élargi ou non16 ». L’hommage rendu à Marion Gräfin Dönhoff, grande journaliste, représentante de la veille noblesse de Prusse orientale, mais aussi associée au 20 juillet 1944, montre comment Aron se rapprochait alors des libéraux ouest-allemands, qui soutenaient résolument l’Ostpolitik de Willy Brandt, menée par la coalition sociale-libérale au pouvoir de 1969 à 1982. En fait, Aron avait toujours jugé légitime l’aspiration des Allemands à l’unité nationale ; il n’était pas du tout choqué par l’Ostpolitik17. Après tout, la politique du général de Gaulle, dans sa dernière manière, avec le voyage à Moscou de juin 1966, avait donné le mauvais exemple. Il en appréhendait pourtant les conséquences sur la cohésion de l’Alliance atlantique18.
11Selon lui, l’Ostpolitik ne devait donc en aucun cas être comparée à la politique de Rapallo ou au pacte germano-soviétique19. Lorsqu’il se faisait l’avocat de l’Ostpolitik auprès de l’opinion publique et des dirigeants français, nombreux à voir ressurgir Rapallo en toute occasion, il maintenait en fait son opposition au statu quo géopolitique en Europe. Dans Paix et guerre, il avait écrit qu’on devrait choisir un jour, en Europe, entre la cristallisation militaire et des changements politiques20. Le moment était venu :
« Il ne suffit pas d’accepter le statu quo pour le surmonter. Mais la stratégie de mouvement passe par une acceptation des faits, par le dialogue avec les représentants de l’autre Allemagne – dialogue que M. Ulbricht a toutes les raisons de craindre plus que le chancelier Brandt. Celui-ci n’a nul besoin de la présence des divisions américaines pour bénéficier de la confiance des gouvernés ; M. Ulbricht se passerait moins volontiers de la présence des divisions soviétiques21. »
12La reconnaissance du statu quo eût été à ses yeux une capitulation morale, mais il ne rangeait pas dans cette catégorie les traités négociés par Willy Brandt. Le chancelier allemand ne faisait que tirer les conséquences du fait que l’Alleinvertretungsanspruch, la doctrine Hallstein selon laquelle la RFA était la représentante authentique et exclusive de l’Allemagne, était caduque. « Qu’on le veuille ou non, écrivait Aron le 14 juillet 1970, la DDR, la république de l’Allemagne de l’Est qui se baptise démocratique, existe22. » Il reconnaissait même en cette occasion que la RDA connaissait « une sorte de miracle économique », qu’elle était, du fait de l’efficacité des Allemands au travail, l’économie la plus performante dans l’ensemble composé des démocraties populaires et de l’URSS. Le commentaire d’Aron illustrait la primauté des vertus nationales :
13« Depuis 1961 et la construction du Mur de Berlin, les progrès industriels de la RDA ont prouvé que les Allemands arrivaient à s’accommoder de n’importe quel régime, même d’un régime qui paralyse les pays moins doués pour le travail, l’organisation, l’efficacité. » Les performances de la RDA devaient être mises au crédit, non du régime communiste de Walter Ulbricht, mais de la nation allemande. Aron montrait comment l’Ostpolitik correspondait à un retour de l’Allemagne comme sujet de la scène diplomatique : « Elle représente une initiative allemande, non pas européenne, non pas occidentale23. »
14Raymond Aron voyait pourtant les risques de l’Ostpolitik24. Ils tenaient d’abord au principe bien connu de la diplomatie soviétique : « Ce que je possède ne prête pas à négociation, ce qui vous appartient reste objet légitime de négociation25. » Brandt avait fait des concessions anticipées (Vorleistungen)26 à l’URSS, et Raymond Aron doutait du résultat27. Pour les mêmes raisons, il ne s’est pas réjoui de l’accord quadripartite sur Berlin qui consacrait le statu quo, donc le partage de l’Europe28.
15À l’automne 1971, il accueillait ainsi avec méfiance l’annonce d’une conférence sur la sécurité en Europe, qu’il qualifiait de « grande œuvre de la diplomatie soviétique29 ». Dès l’été 70, Aron évoqua le risque d’une finlandisation de l’Europe30. Dressant le bilan de l’après-guerre en janvier 1971, il présentait l’Ostpolitik comme un risque pour la stabilité de l’Europe31. Aron était alors toujours convaincu que la Communauté européenne présentait les meilleures chances d’intégrer la RFA, en lui offrant une structure d’accueil et des perspectives susceptibles de la retenir en Occident32.
16Tandis que l’Ostpolitik manifestait le retour de la RFA à une politique étrangère nationale, l’Europe communautaire, le règne gaullien achevé, cherchait un nouveau souffle. Le point de départ fut la Conférence de La Haye des 1er et 2 décembre 1969, lors de laquelle furent discutés non seulement l’élargissement de la Communauté, mais son approfondissement, avec la perspective d’une union économique et monétaire. À l’été 1969, Aron avait évoqué les perspectives grandioses, mais encore très incertaines, d’une telle union :
« L’union douanière appelle logiquement, nécessairement, une harmonisation des politiques économiques et, sinon une monnaie commune, incompatible avec le maintien des souverainetés, du moins une organisation monétaire des Six, condition et consécration d’une véritable communauté. M. Giscard d’Estaing a plusieurs fois suggéré que la mise au point d’une politique monétaire commune des Six représenterait une étape décisive, indispensable, de l’unification européenne.
Si les Six progressaient dans cette voie, la Grande-Bretagne accepterait-elle demain de se joindre à cette union européenne ? Sans la Grande-Bretagne, les Six ne disposeraient d’aucune grande place financière33. »
17En l’occurrence, Aron semblait céder à la logique de l’intégration fonctionnelle, mais il n’avait après tout cessé de dire que l’Europe était une idée d’intellectuels. Puisqu’il en était un, elle était donc la sienne. Cette Europe serait une Europe créée par le haut, à l’initiative des dirigeants. Enfin, elle comportait des contradictions puisqu’Aron semblait hésiter sur la monnaie commune – synonyme selon lui du sacrifice de la souveraineté, et considérer que la participation du Royaume-Uni serait quasiment indispensable, la grande place financière européenne ne pouvant, dans son esprit, être autre que Londres. Il était en effet difficile, voire impensable, d’obtenir à la fois la monnaie commune et la participation britannique, pour que Londres soit la place financière de la Communauté européenne.
18Alors que se développaient les discussions et les incertitudes sur l’avenir du Marché commun, il précisa sa pensée : on devait, quant à l’unification européenne, « distinguer le souhaitable et le probable ». Il jugeait ainsi une initiative française pour relancer l’entreprise à la fois souhaitable et improbable : « Souhaitable parce que, si personne ne lui rend une âme, l’entreprise s’enlise dans la gestion bureaucratique et les contradictions des intérêts ; improbable, parce que l’équipe actuelle, partagée entre le désir d’ouverture et la fidélité, hésite à s’engager sur une voie interdite par l’orthodoxie gaulliste. » La CEE de 1969 n’était pas ce dont avaient rêvé les militants de l’Europe unie vingt ans auparavant. L’unité des Six n’existait sur aucun des sujets essentiels. « La mystique européenne, avertissait Aron, aboutira à une politique commerciale34. »
19Ainsi vit-il dans la conférence de La Haye « un marchandage, camouflé par les bonnes manières de la diplomatie ». Les Cinq autres membres de la Communauté, en échange des garanties demandées par la France quant à la politique agricole commune, avaient obtenu que celle-ci ne s’opposerait pas à une nouvelle demande d’adhésion de la Grande-Bretagne35. Le projet d’union économique et monétaire devait permettre aux Six de créer un fonds de réserve européen, mais Raymond Aron n’y voyait pas de conception commune36. On ne savait rien des intentions des gouvernements : « Il faut le dire et le répéter : l’entrée de la Grande-Bretagne dans le Marché commun ne signifie rien en elle-même37. » Le bilan qu’il fit de l’année 1969 avait des accents burkiens : « Le temps de la grande politique s’achevait : celui des gestionnaires lui succédait. » Aron pensait alors au départ du général de Gaulle, « le dernier des chefs de guerre, le dernier des héros historiques ». Mais la conclusion de son article prolongeait en l’amplifiant le pessimisme de ses articles de 1966 sur la mort de l’idée européenne. En 1945, il avait décrit l’Europe comme un vide politique. Il la présentait désormais comme un vide spirituel :
« Si la jeunesse souffre d’un idéalisme sans emploi, si l’enthousiasme imaginaire pour Castro ou Mao révèle surtout un vide spirituel, l’idée européenne peut-elle encore remplir ce vide38 ? »
20La suite des événements n’incita pas davantage à l’optimisme. Ce fut, en 1970, l’échec du plan Werner visant à l’établissement d’une politique monétaire unique entre les Six. Cet échec renvoyait à la difficulté fondamentale de l’entreprise communautaire : « Peut-on, en matière monétaire, appliquer la méthode de “l’accouchement sans douleur”, de la supranationalité inaperçue39 ? » Les Six s’avéraient en fait incapables de mener une politique économique commune, qui requérait l’égalisation des taux d’inflation. L’union monétaire était impossible, parce qu’une telle politique économique commune était inconcevable pour les dirigeants européens.
21La phase suivante fut dominée par la candidature britannique à la CEE. L’éventuelle adhésion de la Grande-Bretagne recoupait cependant la question des politiques monétaires, puisque l’un des dossiers essentiels était la politique agricole commune, donc la question des prix agricoles, indissociable des parités monétaires. « Comment, et à quelles conditions le Marché commun peut-il s’insérer dans un système monétaire international qui, en fait, tend à le rendre impossible, au moins sous sa forme présente40 ? » Malgré les difficultés inhérentes à l’adhésion du Royaume-Uni, dont les intérêts économiques ne coïncidaient pas avec ceux des Six, Raymond Aron estima que Georges Pompidou avait eu raison de l’accepter41. On avait là, en fait, une constante de la pensée aronienne : la défense de l’Europe ne se concevait pas sans la participation de la Grande-Bretagne ; la portée qu’il reconnaissait à l’accord Heath-Pompidou ne concernait donc pas principalement la construction européenne, mais tout simplement les relations franco-britanniques : « En dépit des apparences, je ne vois pas dans les retrouvailles franco-britanniques un moyen de l’élargissement du Marché commun, je vois dans le succès des négociations de Bruxelles la condition indispensable à la restauration de l’entente, toujours difficile et jamais garantie, entre la France et la Grande-Bretagne42. »
22En mai, l’arrivée massive de dollars en RFA avait conduit le gouvernement de Bonn à laisser flotter le mark43. L’alternative était en effet une réévaluation que Paris avait refusée, car elle eût été l’équivalent d’un financement de l’inflation américaine par les Européens. Or, le mark flottant pénalisait l’économie française dont l’Allemagne était le principal partenaire commercial. Début juillet, la question fut donc l’objet d’entretiens entre les ministres des finances, Karl Schiller et Valéry Giscard d’Estaing. C’était, écrivait Aron, l’occasion historique de créer une monnaie européenne ou son équivalent sous la forme d’un système monétaire européen, par le fait de « souder les monnaies européennes les unes aux autres44 ». Raymond Aron insistait sur la contradiction entre des taux de change flexibles et l’idée même de communauté européenne. Il fallait trouver un moyen « de réduire les fluctuations de parité entre les monnaies européennes ». Aron apparaît comme un précurseur, si ce n’est de la monnaie unique, du moins d’une politique économique européenne.
23Aron acquiesçait aux critiques sur les conflits commerciaux entre les Six et l’Angleterre, mais il portait ensuite le débat au niveau mondial, pour insister sur la valeur essentielle de la Communauté européenne dans le nouveau contexte international :
« Oui ou non, les Européens de l’Ouest ont-ils encore la volonté, la clairvoyance de prendre en charge leur destin, de vivre à l’ombre de la puissance soviétique sans glisser vers une dépendance qui serait autrement lourde que l’hégémonie américaine, de négocier avec les États-Unis, en train de se replier sur eux-mêmes, de nouvelles relations indispensables à la prospérité commune ?
Comparées à ces défis historiques, les querelles de l’Europe verte se réduisent à leur dimension exacte, c’est-à-dire modeste45. »
24La question centrale était donc celle du rapport de forces à l’échelle mondiale. Du point de vue européen, l’enjeu de la guerre du Vietnam était qu’elle mettait en cause la crédibilité de l’Amérique auprès de ses alliés46. Or, L’Union soviétique accédait au même moment à la parité stratégique avec les États-Unis. Lorsqu’Aron avait publié Le Grand Débat en 1963, les États-Unis avaient une suprématie écrasante, qu’ils renforçaient encore avec le programme des mille Minutemen et des quarante et un sous-marins lance-missiles Polaris. L’URSS n’avait alors l’équivalent, ni en nombre, ni en qualité. Mais à l’orée des années soixante-dix, l’Union soviétique avait rattrapé son retard. Elle disposait désormais de missiles intercontinentaux lourds, de type SS-9, auxquels on attribuait une capacité antiforce : utilisés lors d’une première frappe, ils priveraient les États-Unis d’une grande partie de leurs bombardiers stratégiques et de leurs missiles Minuteman, alors même que l’URSS renforçait sa supériorité conventionnelle en Europe. Les pertes de l’aviation américaine au Vietnam, celles de l’aviation et des forces blindées israéliennes lors de la guerre du Kippour, montraient que les armements soviétiques ne devaient pas être sous-estimés. La question de la validité de l’engagement américain en Europe se posait donc plus que jamais.
25Comme Georges Pompidou le félicitait pour son élection au Collège de France, Aron fit part de ses préoccupations au président de la République : « Peut-être aurai-je l’occasion de vous transmettre certaines réflexions que me suggère la conjonction d’une tentation américaine de retrait et d’une tentative soviétique de progression47. Dans « Les ambiguïtés de la Détente48 », Aron évoquait le risque de découplage entre l’Amérique et l’Europe occidentale.
26Pour Raymond Aron, les ambiguïtés de la Détente se sont incarnées en Henry Kissinger. Celui-ci l’a fasciné. Il avait fait ce que Raymond Aron n’avait pas pu ou pas voulu faire : accéder aux responsabilités politiques, en l’occurrence pour prendre la tête de la diplomatie de la plus grande puissance mondiale. Raymond Aron était flatté de l’estime, voire de la déférence que lui portait Henry Kissinger qui lui avait offert un exemplaire de ses mémoires avec la dédicace « To my teacher49 ». Kissinger, écrit Aron dans les Mémoires, « n’étend pas jusqu’à moi la conscience de sa supériorité intellectuelle dont il tend à accabler, dit-on, le commun des mortels50. Né Européen, Kissinger était nourri de l’histoire politique et diplomatique du Vieux Continent, et avait accepté en 1962 la proposition de Raymond Aron d’établir un centre d’études européennes à Harvard51. Par ailleurs, Kissinger et Aron ont fait des choix politiques et éthiques différents : Kissinger, Juif allemand, est devenu américain. Aron est resté Français. Contrairement au sociologue français, l’homme d’État américain n’a pas été arrêté par les antinomies de la morale et de la politique.
27Aron était d’accord avec Kissinger sur l’idée que le système international était instable, parce qu’il était hétérogène. En revanche, la recherche d’une relation de puissance à puissance avec l’URSS sur la base de l’égalité stratégique ne pouvait pas ne pas faire problème pour un Européen. Elle ouvrait une voie aux soupçons de condominium. Aron qualifiait l’action politique des États-Unis en Europe de protectorat, dans l’acception littérale du mot, et d’hégémonie, dans le sens de « leadership militaire52 ». Une Europe privée du soutien américain risquerait la « finlandisation », mais Raymond Aron n’y mettait aucun mépris pour les Finlandais : « Si les Européens de l’Ouest se trouvaient dans une situation comparable à celle des Finlandais, je doute qu’ils montrent le même courage et sauvegardent une telle part de liberté53. »
28En fait, la perspective d’un retrait américain n’aurait pas été pour lui déplaire, à condition qu’elle pût réveiller chez les Européens le courage de défendre leurs patries, et peut-être susciter à partir de là le sentiment d’une communauté de destin d’où pourrait naître l’Europe politique. C’était une idée qu’il avait caressée au moins depuis 1956 : confrontés à la certitude d’un retrait des GIs, les Européens ne trouveraient-ils pas « en eux-mêmes et dans la conscience du danger le courage, l’initiative nécessaires pour surmonter leur condition d’États protégés54 » ?
29Après la conférence d’Helsinki sur la sécurité et la coopération en Europe, qui eut lieu du 3 au 7 juillet 1973, Aron revint à sa critique de la diplomatie de Kissinger, pour dénoncer les illusions de la Détente qui, selon lui, risquait fort de s’achever aux dépens des Européens, parce qu’elle ne fondait pas un ordre politique nouveau, mais consacrait le statu quo :
« Le congrès de Vienne, après les guerres de la Révolution et de l’Empire, avait fondé un ordre européen qui a duré, vaille que vaille, un siècle. La conférence d’Helsinki ne reconstruit pas un ordre, elle consacre les faits accomplis. Les États qui participent aujourd’hui à la conférence ne s’entendent pas sur le principe de la légitimité mais sur le partage de l’Europe entre des principes incompatibles55. »
30Dans les Mémoires, Aron interrogeait : avait-il été indulgent vis-à-vis de la politique américaine des années 1969-1975, en raison de ses relations personnelles avec Kissinger ? Il semble que non. Il fut indigné lorsqu’il comprit que Kissinger sacrifiait le Sud-Vietnam56. En septembre 1973, après le coup d’État au Chili qui émut toute l’Europe occidentale, il dit sa détestation des coups d’État militaire et son respect pour la vie et la mort du président Allende, sans pour autant ménager ses critiques envers l’expérience du gouvernement d’Unité populaire. Imprudente, la politique d’Allende avait conduit le Chili au bord de la guerre civile. Cette critique portait aussi sur la ligne politique du parti socialiste en France : François Mitterrand avait acclamé trop tôt une expérience qui se terminait en tragédie. Le PS était le seul parti socialiste d’Europe occidentale qui continuât d’opposer socialisme et économie de marché. Bref, les événements du Chili étaient une tragique leçon d’histoire pour une gauche irréaliste57.
31Près d’un an plus tard, Aron réagit à la suite du coup d’État à Chypre qui avait renversé le gouvernement de Mgr Makarios le 15 juillet. Ce coup de force avait été fomenté par le régime des colonels au pouvoir à Athènes, et l’intervention de Washington était probable. Le 19, la Turquie y avait répliqué par l’occupation du nord-est de l’île. Dans « La tragédie chilienne », Aron n’avait pas cité le nom de Kissinger et n’insistait pas sur l’implication des États-Unis. Il le fit au contraire dans l’affaire chypriote58, peut-être parce qu’il constatait avec horreur que les Américains se permettaient en Europe ce qu’ils avaient coutume de faire en Amérique latine. Le 19 septembre, Raymond Aron écrivit au Secrétaire d’État pour lui faire part de son trouble, non seulement à propos de Chypre, mais de la diplomatie américaine dans son ensemble :
« Les États-Unis doivent-ils, en raison de leurs responsabilités mondiales, ne jamais prendre de positions morales, ne jamais approuver ou blâmer pour des raisons autres que pragmatiques ? […] Une puissance dominante, comme les États-Unis, doit aussi incarner des idées. […]
Quand nous étions tous les deux professeurs, nous discutions des limites difficiles à tracer entre réalisme et cynisme. Vous avez d’autres chats à fouetter que de philosopher. Mais vous croyez comme moi que l’action créatrice, à un certain niveau, ne se sépare pas d’une philosophie. La conjonction du rapprochement avec l’Union soviétique et de l’argent donné aux adversaires d’Allende créent chez les meilleurs amis des États-Unis une interrogation lancinante59. »
32Au moment où le Secrétaire d’État quitta ses fonctions en janvier 1977, Aron rappelait les deux aspects de sa critique, celle d’un moraliste et celle d’un Européen60. « Henry Kissinger, écrivait Aron, accepte la domination russe sur l’Europe de l’Est. » Kissinger était donc celui qui avait consacré le statu quo en Europe, au risque « de désarmer moralement l’Occident ». Selon la remarque ironique d’un Polonais citée par Aron, Kissinger avait combattu le communisme ou ses sympathisants présumés, « là où ils bénéficient de quelque popularité », non là où ils se sont rendus odieux. Et Aron imaginait la réponse de Kissinger. : « Comment les chasser du pouvoir là où ils se sont rendus odieux ? »
33C’était une défaite morale. Lorsque Soljénitsyne, qui dénonçait dans le soviétisme l’idéologie du mensonge, idée qu’Aron avait lui aussi exprimée dans Paix et guerre, se rendit pour la première fois aux États-Unis, Kissinger conseilla à Gerald Ford de ne pas le recevoir61. Aron, au contraire, entreprenait de soutenir le Zek contre l’intelligentsia occidentale. Aron poursuivait donc, à travers la Détente, le combat idéologique contre le régime soviétique, ce dont témoigne sa préface au Court traité de soviétologie d’Alain Besançon, publié en janvier 197662. Alain Besançon y procédait à un rappel de l’histoire soviétique, montrant, selon une distinction qu’il empruntait à Raymond Aron, que l’URSS poursuivait depuis le début des buts d’expansion révolutionnaire illimitée, avec une alternance de phases de crispation et de détente, mais sans jamais renoncer au but initial.
34Il fallait néanmoins, en attendant l’hypothétique et improbable sursaut des Européens, assurer la cohésion de l’Europe occidentale. Comme Georges Pompidou63, Raymond Aron souhaitait associer les États méditerranéens à la Communauté européenne, parce qu’il redoutait, après les règnes de Franco et de Salazar, une subversion communiste, mais aussi pour étendre la démocratie libérale en Europe. En novembre 1970, il commenta les procès de Burgos, dans lesquels le régime franquiste jugeait seize nationalistes basques64. Il rappelait la difficulté de toute libéralisation d’un régime autoritaire, et son souhait que l’Espagne revînt dans la famille des démocraties d’Europe occidentale. Il n’avait jamais tenu les dictatures ibériques pour totalitaires :
« Le régime du général Franco, en Espagne, n’est pas non plus un régime de parti unique, comparable au modèle national-socialiste ou communiste. Il n’est pas non plus un régime de partis multiples, il est autoritaire en raison de l’idée qu’il se fait de l’Espagne et de la doctrine de légitimité qu’il proclame65. »
35Le régime de Salazar était à ses yeux un régime traditionaliste : « Le baptiser fasciste, le rapprocher d’Hitler, de Staline, ou même de Franco, c’est sacrifier à la démagogie ou jouer sur les mots. » Raymond Aron intervint avec succès auprès de Salazar pour obtenir la libération d’Alain Oulman, neveu de Robert Calmann-Lévy, qui avait été arrêté pour sa participation à un groupe communiste. Aron a reproduit dans les Mémoires la lettre de Salazar, dans laquelle le dictateur portugais lui disait qu’il l’avait écouté66. Raymond Aron n’en éprouva pas moins de la joie lors de la révolution des œillets67, il soutint Mario Soarès et le parti socialiste portugais, tout en multipliant les mises en garde, de 1974 à 1976, sur les dérapages possibles venant des éléments gauchistes du Mouvement des Forces Armées.
36De même, il salua chaleureusement le succès de Constantin Caramanlis68 qui restaurait la démocratie en Grèce après le régime des colonels. Les événements de Grèce lui inspiraient une comparaison avec le Portugal. Tandis qu’à Lisbonne, la longévité politique de Salazar avait quasiment effacé toute tradition démocratique libérale, les partis modérés de Grèce ne s’étaient pas compromis avec une dictature qu’ils avaient dénoncée dès le début69. Le retour de la démocratie en Grèce était une restauration. L’éloge passionné de Caramanlis, d’une ferveur rare sous la plume de Raymond Aron, montre ce qu’était à ses yeux un grand homme d’État européen. Aron retrouvait les accents des romantiques en faveur de la liberté des Grecs70, pour célébrer avec lyrisme la victoire de la majorité silencieuse71.
37Dans l’étude qu’il consacra en 1977 à la notion de libéralisation, Aron revint sur l’exemple de la Grèce. Il y persistait dans son éloge de Caramanlis, en saluant la dictature provisoire, au sens romain du terme, qu’il avait exercée pour accomplir la restauration de la démocratie, « chef-d’œuvre d’art politique ». Aron, probablement pour ne pas choquer ses lecteurs, n’avait pas employé le terme de dictature dans l’article écrit, à chaud, en novembre 197472. La liberté des Grecs n’avait pas été le résultat de l’engagement des intellectuels, ni proclamée comme un munus du protecteur américain ou de l’Europe communautaire, elle avait été, selon Aron, restaurée par les Grecs eux-mêmes, et par un homme d’État conservateur, autoritaire, mais respecté de ses concitoyens, et dont le but était de rétablir les libertés fondamentales.
38Quelle vocation restait-il pour l’Europe dans le contexte du milieu des années soixante-dix ? Quelles pouvaient être les perspectives et la signification de l’idée européenne d’une part et de la Communauté de l’autre ? Raymond Aron a traité de ces questions dans trois conférences ou séries de conférences entre avril 1974 et mai 1975, qui restent comme la version définitive de sa vision de l’Europe.
39Dans la conférence du 5 avril 1974 à la New York School of Social Research, « Une citoyenneté multinationale est-elle possible73 ? », Raymond Aron répondait négativement à la question. Selon lui, l’hypothétique création des États-Unis d’Europe ne créerait pas une citoyenneté multinationale, parce que la citoyenneté serait alors transférée au niveau de l’union.
40Aron rappelait ensuite ses objections à l’idée de l’unification politique de l’Europe. Aron observait surtout « le déclin de l’enthousiasme qu’éveillait, dans certains milieux, il y a un quart de siècle, l’idée européenne74 » : « L’Europe, déclarait-il, ne bénéficie pas d’un transfert d’attachement et de ferveur. Le transfert s’opère au bénéfice soit des groupes intérieurs, englobés dans la nation, soit au bénéfice d’idéologies, comme celle de la nouvelle gauche. » Les jeunesses européennes militantes de 1948 avaient quasiment disparu. On se mobilisait désormais pour les langues régionales, pour sauver l’environnement, ou pour combattre les multinationales. L’adhésion des opinions publiques était devenue passive. Aron mettait en garde : « Le citoyen sait de moins en moins qui prend les décisions, si elles sont prises à Bruxelles ou dans la capitale de la nation. » Le ressentiment contre la technocratie de Bruxelles risquait de croître.
41Raymond Aron situait l’erreur intellectuelle des pères fondateurs dans la confusion entre le citoyen et le sujet économique. Il montrait, en prenant l’exemple des travailleurs immigrés en Europe, que l’on pouvait très bien reconnaître les droits de l’homme sans accorder de droits politiques à une population : « L’histoire a donc confirmé la discrimination entre les droits de l’homme et ceux du citoyen. » Le souvenir des années d’exil inspirait à Raymond Aron la plus grande défiance vis-à-vis de l’idéologie des droits de l’homme :
« En fait, quiconque a connu l’expérience de la perte de sa collectivité politique a éprouvé l’angoisse existentielle (fût-elle temporaire) de la solitude ; que reste-t-il en fait à l’individu, dans les périodes de crise, de ses droits humains, quand il n’appartient plus à aucune collectivité politique ? Les juifs de ma génération ne peuvent oublier la précarité des droits de l’homme, dans le monde tel qu’il est, lorsqu’ils ne coïncident plus avec les droits du citoyen. Or les droits du citoyen impliquent aussi des devoirs et, le premier de tous, dans la tradition continentale de l’Europe, est le devoir de servir sous les drapeaux, si l’État ou les circonstances l’exigent75. »
42Cette critique de l’abstraction des droits de l’homme, commune avec Burke, conduisait Aron à remarquer que, si la Communauté européenne tendait certes à donner à tous les Européens des droits économiques et sociaux, la citoyenneté authentique ne se réalisait toujours que dans le cadre des États-nations : « Il n’y a pas de citoyens européens, il n’y a que des citoyens français, allemands ou italiens. » Pour Aron, les droits de l’homme ne sont réellement garantis que dans le cadre d’une communauté politique. Aron est un libéral, mais non un individualiste, d’où la place qu’a toujours eue dans sa philosophie la notion de citoyen.
43La conclusion de Raymond Aron à New York était sévère pour la construction européenne puisqu’il en montrait, une fois de plus, l’échec politique. Il manquait à l’Europe une authentique dimension politique, celle de la défense. D’où la formule : « le citoyen a vocation de soldat ». À New York, alors que les États-Unis venaient de se retirer du Vietnam, c’était une véritable provocation, mais Aron l’avait fondée sur l’expérience des Juifs de sa génération, déchus de leur citoyenneté dans l’Europe hitlérienne. La leçon sur laquelle Aron achevait sa conférence visait aussi bien les étudiants américains que les Européens : « Dispenser les citoyens du devoir de servir, ce n’est pas éliminer la guerre, c’est leur permettre de faire l’amour pendant que d’autres, des concitoyens, font la guerre à leur place. »
44Un an plus tard, lorsque Raymond Aron prononce à Bruxelles les trois conférences sur « L’Europe face à la crise des sociétés industrielles », la crise économique s’était amplifiée. L’inflation atteignit 16 % en France pour 1974. Elle n’était que de 7 % en Allemagne, mais de 26 % en Italie. Plus que jamais, le différentiel d’inflation menaçait donc le fonctionnement du Marché commun. L’adhésion du Royaume-Uni à la CEE était remise en cause. Edward Heath, depuis 1950 partisan de l’Europe communautaire, et qui avait négocié l’adhésion, avait perdu le pouvoir, et un referendum devait avoir lieu en Grande-Bretagne le 5 juin, pour décider si le royaume resterait, ou non, dans la CEE. « Jamais depuis vingt-cinq ans la Communauté européenne n’a été aussi faible, aussi déchirée », écrivit Aron dans Le Figaro du 7 mai 197576.
45Tel était le contexte des trois conférences prononcées dans la capitale de la Communauté, dans le cadre de la fondation Spaak. Ces circonstances, et ce lieu, permettent de comprendre l’intention d’Aron : il s’agissait d’éclairer une situation historique préoccupante, et d’encourager des décisions politiques susceptibles de l’améliorer. Ces conférences n’étaient pas seulement des exposés universitaires, elles étaient aussi et avant tout un acte politique.
46D’où la position adoptée par Aron dès le début : entouré d’artisans de l’Europe communautaire, il se présente comme l’un des leurs : « J’ai le sentiment, par instants, d’être un peu un grognard du mouvement européen, un ancien combattant. » Il rappelle ses titres : sa présence « à la Conférence de La Haye où Churchill a prononcé le discours de conclusion ». On sait, d’après le récit des Mémoires, ce qu’il en pensait en réalité. Ayant ainsi sacrifié aux mânes de l’Europe, il entamait alors son propos : « Crise de l’énergie, ou crise de civilisation ? »
47Aron rappelait les buts originels du mouvement européen : « limiter l’expansion du régime soviétique », créer un espace de prospérité telle qu’il pourrait résister seul à la pression éventuelle de partis communistes, ce pour quoi il fallait réconcilier les ennemis d’hier, au premier chef Français et Allemands. Depuis lors, le relèvement économique était spectaculaire, mais, ajoutait Aron, « rien n’échoue comme le succès ». La réussite économique était en fin de compte « la source d’une insatisfaction profonde. » La crise était donc une crise morale avant d’être une crise économique, et relevait de « l’autocritique des sociétés industrielles77 ». Aron admettait « une critique raisonnable du productivisme », dont il voyait l’exemple chez son ami Bertrand de Jouvenel78. En revanche, il n’avait pas de mots trop durs pour le rapport du Club de Rome, Les limites de la croissance : « Collection, sinon d’insanités, du moins d’idées fausses ou de demi-vérités, à prétention scientifique : la pire forme de propagande79. » Il y voyait un « millénarisme noir ». Membre du Club de Rome, dont il ne partageait pourtant pas les conclusions apocalyptiques80, Bertrand de Jouvenel a certainement discuté du sujet avec Raymond Aron. Pour le Spectateur engagé, la vocation de l’Europe, « immense usine de transformation », était de répondre aux défis du développement par la diffusion de son savoir.
48Raymond Aron était d’accord avec Pierre Chaunu contre René Dumont, candidat écologiste à l’élection présidentielle de 1974, lequel disait, ironisait Aron, qu’« il faudrait réduire le plus possible le nombre des Occidentaux […] êtres de luxe ». Aron ne voyait pas d’autre réponse au sous-développement que dans la croissance, mais il admettait les préoccupations environnementales : « La crise, disait-il, apprendra aux Occidentaux que les ressources de la planète ne sont pas inépuisables, et qu’il y a d’autres modèles de développement industriel que celui du gaspillage. » La première conférence s’achevait sur une idée d’ordre pédagogique : pour « entretenir la foi européenne » et « convertir les jeunes générations », il fallait « situer l’entreprise dans le monde qui [était] le leur » ; les arguments de 1948 ne convenaient plus. La réflexion sur la crise de civilisation permettait ainsi à Raymond Aron d’aboutir à l’idée que les thèmes européistes de l’après-guerre étaient caducs, et de proposer ensuite sa propre vision des perspectives européennes.
49La deuxième conférence, « l’Europe entre les grands », traitait du conflit historique Est-Ouest et en précisait la nature : « La guerre froide a été, en une large mesure, un débat homérique ; nous avons échangé des injures81. » Ainsi, la guerre froide n’était pas, comme la lutte contre le IIIe Reich, « une lutte à mort ». Le combat principal de Raymond Aron n’a pas été celui contre le communisme – pourtant le plus long –, mais celui contre le nazisme. Mais parallèlement, le but du mouvement européen de l’après-guerre, de mettre sur pied une Europe qui serait sujet de l’histoire, n’avait pas été atteint. C’était finalement l’enseignement de Paix et guerre, mais placé sous le signe de Clausewitz, cité deux fois dans les conférences de Bruxelles. Les Européens d’Occident devaient écouter Soljénitsyne et ne pas céder au mensonge82. Raymond Aron était consterné du fait que, lors de l’entrée des forces nord-vietnamiennes à Saïgon, les media français les avaient qualifiées de forces révolutionnaires, d’abord avec, puis sans guillemets. Le fait de reprendre les termes imposés par la propagande communiste « équivaut, écrivait-il, à une capitulation morale83 ».
50La suite de cette deuxième conférence était consacrée aux relations euro-américaines. Raymond Aron y répétait que les États-Unis n’avaient plus la bienveillance dont ils avaient témoigné au début en faveur de l’unification de l’Europe, mais il montrait aussi les torts des Européens. Il reprochait aux Européens leur refus d’accueillir le pont aérien américain vers Israël lors de la guerre du Kippour. Alors qu’Israël – qu’Aron n’évoque qu’incidemment – luttait dangereusement pour son existence même, les Européens voulaient dire adieu aux armes et privilégiaient leurs intérêts pétroliers. Dans Le Figaro, le 7 novembre 1973 Aron avait été beaucoup plus incisif, dans un article où perçait l’intérêt passionné qu’il prenait au sort incertain d’Israël, mais qui reflétait aussi son irritation devant l’attitude des Européens :
« Les Européens ont choisi le rôle de spectateurs au balcon de l’Histoire. […] Pendant les quelques heures de crise aiguë ou apparemment aiguë, les Européens prirent conscience de leur néant en même temps que de l’éventuelle contradiction entre leur neutralité occasionnelle et leur alliance permanente84. »
51Dépourvu d’autonomie stratégique, l’Europe occidentale restait « un protectorat85 » américain. L’autonomie stratégique de l’Europe était impossible, parce qu’il n’existait pas de gouvernement européen. De même, une diplomatie européenne commune était impossible, car elle aurait supposé l’acceptation préalable du fait majoritaire à la place des décisions à l’unanimité86.
52La dernière conférence de Bruxelles, le 30 avril 1975, comme la conférence au Sénat du 13 mai suivant, développent le même thème : la fin de l’idée européenne comme mythe politique, thème annoncé dès les articles de novembre 1966, « L’idée européenne est-elle en train de mourir ? ». Dans l’un et l’autre cas, Raymond Aron prenait l’idée de mythe politique telle que l’avait définie Georges Sorel : « une représentation vague d’un avenir passionnément souhaité, avenir peut-être inaccessible mais source d’inspiration et de volonté87 ». À Bruxelles comme un peu plus tard à Paris, le ton était donc pessimiste. Le 30 avril, Aron précisait :
« En tant que mythe, je pense effectivement que l’idée européenne est morte. La vraie question n’est pas de savoir si l’idée européenne a gardé sur l’esprit des Européens l’ascendant qu’elle possédait il y a trente ans, mais si une part suffisante de l’idée est passée dans la réalité pour que les hommes d’État et les gouvernants, avec le consentement de l’opinion, poursuivent l’entreprise88. »
53L’initiative incombait donc aux dirigeants européens. Dans l’un et l’autre texte, Raymond Aron a fait référence au petit livre de Hans Delbrück, La Stratégie de Périclès justifiée d’après l’exemple de Frédéric le Grand, dans lequel l’historien allemand démontrait la validité de la stratégie de l’Ermattung, que Clausewitz n’avait pas développée dans le Traité, mais qu’il avait évoquée comme la « deuxième sorte de stratégie89 ». Dans La stratégie de Périclès, Delbrück s’ingéniait à mettre en évidence l’absurdité des critiques militaires de son temps, qui réduisaient la doctrine de Clausewitz à la première sorte de guerre, celle qui vise à terrasser l’ennemi. Il montrait d’abord que, dans cette perspective, le Grand Frédéric ne pouvait en aucun cas apparaître comme un grand capitaine, car il avait fréquemment évité l’ascension aux extrêmes. Ce qui était de la prudence dans le cadre d’une stratégie d’usure serait en effet indécision, voire lâcheté, dans l’optique de la guerre totale. Par l’absurde, Delbrück démontrait donc que Frédéric II avait mis en œuvre la deuxième sorte de stratégie : son génie proprement politique se révélait dans l’intelligence de la situation, qui commandait le choix d’une stratégie d’usure, alors qu’une stratégie d’écrasement eût vraisemblablement conduit à la catastrophe. Delbrück étudiait ensuite le début de la guerre du Péloponnèse pour montrer que Périclès avait agi de manière similaire : Athènes eût risqué un désastre dans une bataille terrestre contre les hoplites lacédémoniens, sur mer, au contraire, la cité attique pouvait faire durer la guerre, et user la volonté de vaincre de l’ennemi.
54En Delbrück, Aron avait trouvé le lien entre Thucydide, Clausewitz, et l’époque des guerres en chaîne. Dans les conférences du 30 avril et du 13 mai, Aron expliquait que Delbrück avait plaidé pour une stratégie prudente afin de préserver l’œuvre de Bismarck. Delbrück avait essayé de faire prévaloir la stratégie d’usure au cours de la Grande Guerre, mais il n’avait pas été écouté90.
55On serait tenté d’attribuer à l’Ermattungsstrategie un caractère défensif. Ce serait commettre un contresens. Dans le Traité de Clausewitz, elle est présentée dans un chapitre qui traite de l’offensive, et Delbrück, dans La Stratégie de Périclès, insiste sur son égale dignité par rapport à la première sorte de stratégie. C’est tout le propos du livre. Dans la situation de 75, Aron a voulu convaincre ses auditeurs que le conflit historique avec l’Est se poursuivait, et qu’il fallait continuer à penser la guerre pour préserver la paix. Il ne se faisait aucune illusion sur l’état d’esprit des Européens, sur l’ampleur d’une crise qui ébranlait les plus vieilles institutions, de l’Église aux universités. Peut-être pensait-il que le sentiment d’une communauté de destin ne pourrait sortir que du sentiment d’une commune menace ? Or, dans le contexte de la Détente, on risquait d’oublier l’existence de celle-ci. Pour Aron, la Communauté était avant tout l’un des piliers de l’alliance occidentale :
« Peut-être faut-il mesurer la valeur de la Communauté non pas seulement à ce qu’elle accomplit, mais aussi à ce qu’elle évite. Or la Communauté, en conjonction avec les États-Unis, a permis aux pays de l’ensemble atlantique de traverser la première année de crise sérieuse sans que le système mis en place au cours des vingt-cinq dernières années fût bouleversé91. »
56La question de l’identité européenne avait été avancée lors du sommet de Copenhague les 14 et 15 décembre 1973. Les Neuf avaient alors publié la Déclaration sur l’identité européenne. Sans y faire explicitement référence, Aron en traita dans la deuxième conférence de Bruxelles, en distinguant identité culturelle, économique et politique. L’existence d’une identité culturelle ne faisant pas de doute, il jugeait inutile d’en disserter. Le thème de la culture européenne menacée par l’américanisation lui semblait une idée vaine, à laisser aux journalistes en mal d’inspiration. De l’identité économique, il notait qu’elle était partiellement réalisée avec le marché commun – mais il ne tenait pas cette communauté commerciale pour l’unité économique elle-même : celle-ci restait à faire. De plus, l’ensemble économique auquel appartenait l’Europe occidentale était, de par le rôle des firmes américaines en Europe, l’espace euratlantique.
57L’identité politique dépendait de la volonté des dirigeants européens. Il en avait souvent signalé la principale lacune : « Il n’y a pas “d’identité européenne” en matière de défense92. » L’exemple des pays ibériques montrait toutefois où et comment l’Europe, dépourvue de moyens militaires, pouvait exercer une influence non négligeable, dans son propre intérêt stratégique. Il citait en exemple l’internationale socialiste, le rôle des partis sociaux-démocrates pour favoriser la transition démocratique en Espagne et au Portugal. La Communauté devait accueillir dans la démocratie libérale Espagnols, Portugais et Grecs comme elle y avait accueilli les Allemands de l’Ouest93.
58Dans la conférence de Paris, il revint sur la nécessité d’intégrer l’Espagne et le Portugal. Par ailleurs, il répéta des idées qu’il avait déjà exprimées : on pourrait prendre des décisions symboliques comme l’élection de l’Assemblée européenne au suffrage universel. On pouvait aussi envisager que le Conseil des ministres européens prît certaines décisions à la majorité, développer la politique régionale. Mais on devait aussi être conscient des limites : l’incapacité à s’entendre sur une politique économique compromettait à ses yeux la possibilité d’une monnaie commune ; les Européens semblaient avoir renoncé à tenir une place dans l’histoire, « celle qui s’écrit avec le sang des hommes ». Il n’en était pas moins possible pour l’Europe d’utiliser l’influence potentielle que lui conférait sa puissance économique, afin de mener une grande politique. La mort du mythe de l’unité européenne ne privait pas l’Europe de sa vocation dans le monde. L’expérience vécue témoignait d’une certaine réussite en dépit de l’échec politique.
59Raymond Aron, peut-être parce qu’il s’était imposé une certaine retenue à Bruxelles, fut cependant plus incisif à Paris qu’il ne l’avait été en Belgique. Le 13 mai, il eut des formules pour montrer une Europe communautaire sclérosée : « En réalité, la Communauté ne fonctionne plus, elle ne progresse que grâce à la volonté des gouvernants. Que cette volonté s’affaiblisse et les obstacles deviennent insurmontables. Qu’elle disparaisse et il ne reste plus qu’une bureaucratie internationale94. » Aron distinguait le projet raisonnable, réalisé – « le travail en commun de tous les Européens qui se trouveraient d’un côté de la barricade » –, du projet paradoxal : « profiter de la fin de la grandeur européenne pour créer une unité politique que les nations avaient toujours refusée au temps de leur gloire ». Celui-ci ne s’était pas concrétisé. La conclusion qui fut prononcée à Paris insistait sur la nécessité de dépasser la politique de puissance et de penser au-delà du partage de l’Europe. Cette conclusion fut jugée trop pessimiste par Alfred Toepfer, industriel allemand et militant européen, fondateur de la FVS-Stiftung, la plus grosse fondation privée allemande, et mécène de la cérémonie de remise des prix Montaigne et Gœthe qui était l’occasion du discours. Dans la courte lettre qui accompagnait la rétribution du conférencier, Alfred Toepfer ne cachait pas sa déception95. Raymond Aron lui répondit en justifiant ainsi ses positions :
« Peut-être en effet mon exposé n’a-t-il pas répondu à l’attente d’une partie de l’auditoire, engagé dans l’entreprise de l’unité européenne et porté à confondre ses désirs avec des réalités prochaines.
Quant à moi, je me suis efforcé de présenter le monde tel que je le vois. À supposer que je pèche par excès de scepticisme, d’autres s’abandonnent à des illusions. Dans la situation actuelle, mieux vaut avoir le courage de regarder en face une situation qui, à beaucoup d’égards, nous déçoit. Aussi bien la déception est-elle un motif non de découragement mais d’efforts nouveaux96. »
60Une version abrégée de la conférence fut publiée dans les Cahiers européens. Raymond Aron en avait modifié la fin, probablement pour tenir compte des reproches d’Alfred Toepfer. La CEE y recevait un hommage appuyé qu’elle n’obtenait pas dans le texte originel. Cette seconde version fut pendant longtemps la seule éditée, avant que la revue Cités ne publiât le texte authentique dans sa version intégrale en 2005. Au Sénat, Aron avait prononcé une conclusion assez triste, dans laquelle il résumait les conséquences catastrophiques de la politique de puissance. S’il offrait une perspective d’espoir pour le Vieux Continent, c’était en réaffirmant sa conviction que le rideau de fer ne pouvait être qu’une coupure transitoire, et qu’un jour, mais dans un avenir indéterminé, l’Europe serait réunifiée, non dans le sens où elle constituerait une entité politique, mais parce qu’elle recouvrerait la liberté :
« L’Europe a péri de n’avoir pas une politique digne de sa culture. Revenue de ses folies impériales, elle doit garder les moyens politiques de sauvegarder les idées historiques qu’elle incarne jusqu’au jour où s’effacera la ligne, accident de l’Histoire, qui sépare Varsovie et Budapest de Paris et de Rome. Ce jour-là, le jour des retrouvailles européennes, nos enfants ou nos petits-enfants le vivront. Il leur incombera de donner à l’Europe unie de la culture une politique digne d’elle. »
61En revanche, le texte publié dans Les Cahiers européens97 exaltait la Communauté européenne en tant que telle, qui devenait l’incarnation de la liberté. Ce n’était pas ce qu’Aron avait dit au Sénat. Cette réécriture, à l’usage des lecteurs des Cahiers européens, représentait une concession, après les reproches d’Alfred Toepfer :
« Car la Communauté européenne plus encore qu’une entité économique, incarne une tradition et une idée : c’est pour protéger leurs libertés, celles des personnes et de l’esprit, que les Européens ont décidé de s’unir. Toute victoire de la liberté est une victoire pour l’Europe. »
62L’année suivante, en 1976, parut Penser la guerre, Clausewitz, qui fut le dernier grand livre d’Aron. Penser la guerre est en fait le grand livre d’Aron sur la question européenne. Il ramène en effet à la question centrale de l’œuvre : le problème de l’Europe est celui de la guerre. Clausewitz a pris conscience de la fin de l’équilibre européen à la suite de la défaite d’Iéna en 1806, de même qu’Aron, sur les traces d’Arnold Toynbee et d’Albert Thibaudet, a rapproché la Grande Guerre de la guerre du Péloponnèse.
63L’affinité élective entre Aron et Clausewitz a certes pu surprendre dans la mesure où le stratège prussien est souvent identifié avec l’ascension aux extrêmes, donc avec la démesure propre au Zeitgeist de son époque, celle du romantisme. L’entreprise de Clausewitz a cependant été de construire une théorie ou un système ; réciproquement, Raymond Aron n’a pas manifesté dans son engagement moins de passion que Clausewitz, et c’est en découvrant l’homme Clausewitz dans la correspondance de celui-ci avec sa femme Marie, où s’expriment à la fois son amour conjugal et son patriotisme blessé par la défaite, que Raymond Aron s’est passionné pour cet être passionné. Dans un article consacré au livre de Peter Paret, Clausewitz et l’État, Raymond Aron a précisé en quoi il faisait un parallèle entre sa propre expérience historique et celle de Clausewitz :
« Pour comprendre l’état d’esprit de Clausewitz, entre 1806 et 1813, probablement faut-il avoir subi un traumatisme comparable à celui que subit Clausewitz : l’effondrement de l’État, la perte de la patrie.
Clausewitz écrit que désormais, n’étant plus le Bürger d’un État respecté, il devra le respect, au dehors, à la compassion des étrangers, il n’en jouira plus comme d’un droit : il m’a suffi de me rappeler mes expériences de 1940, mon arrivée en Angleterre sans rien d’autre que l’uniforme que je portais sur moi, pour sympathiser avec les sentiments contradictoires qui agitent le prisonnier en France, puis le réformateur revenu en Prusse, où il existait un parti qu’au XXe siècle on appellerait celui des collaborateurs98. »
64Les deux situations historiques opposent, d’une manière inversée, nation et empire : Clausewitz a été un officier prussien, adversaire acharné de l’empire napoléonien, Aron un patriote français, ennemi non moins tenace de l’empire hitlérien. À travers Clausewitz, abordé de cette manière, il était donc possible d’aller plus loin dans la réconciliation franco-allemande, d’opérer une réconciliation intellectuelle, l’équivalent dans la République des Lettres de ce qu’avait été la construction européenne à travers l’idée européenne en tant que mythe. Or, une telle œuvre restait à faire. La réputation de Clausewitz semblait irréparablement compromise, puisque les nazis s’en étaient réclamés. Certes, en 1955, la traduction de Denise Naville, préfacée par Camille Rougeron, et l’article d’Éric Weil, « Guerre et politique selon Clausewitz99 », avaient suscité un intérêt renouvelé pour l’œuvre du stratège prussien. C’est alors, dans le sillage de ces publications, que Raymond Aron procéda à sa première lecture exhaustive du Traité100.
65Raymond Aron ne se contenta pas de modifier le portrait de l’homme, il renversa les idées reçues quant à la doctrine de Clausewitz. Il a en effet ramené vers la modération le théoricien de l’ascension aux extrêmes, en montrant que Clausewitz affirmait le primat du politique dans l’acte de guerre, et que cette prépondérance du politique tendait le plus souvent à limiter l’emploi de la force101.
66Cette interprétation se fonde sur l’idée, empruntée à l’avertissement de 1827 et à la note finale, que le chapitre 1 du livre I du Traité inachevé représente l’état définitif de la pensée de Clausewitz, ce qu’Aron appelle « la synthèse finale ». Raymond Aron s’est donc efforcé de reconstituer la pensée de Clausewitz telle qu’elle aurait pu être si l’auteur avait eu le temps de réécrire le livre selon ses dernières intentions, à partir du chapitre 1 du livre I102. Selon celui-ci, il faut distinguer les guerres réelles de la guerre selon son concept, à laquelle correspond l’ascension aux extrêmes. La guerre a sa propre grammaire, non sa propre logique, qui ne peut venir que du politique. Clausewitz distingue l’étonnante trinité du phénomène guerrier : la « pulsion naturelle aveugle », qu’il associe au peuple, la « libre activité de l’âme » (le calcul des chefs militaires), et le « pur entendement », ou intelligence personnifiée de l’État, qui relève du politique. De même, il oppose deux sortes de guerre et de stratégie, stratégie de renversement (Niederwerfung) ou d’usure (Ermattung), mais le terme d’Ermattung, résultat de l’interprétation logique de Clausewitz par Delbrück, n’apparaît pas dans le Traité103. Le livre de Raymond Aron incluait donc une deuxième identification, avec Hans Delbrück : « un professeur, un civil, [qui] se permettait, et sur quel ton, de critiquer des militaires104 ».
67Via Delbrück, Raymond Aron se faisait l’avocat d’une autre période de l’histoire prussienne, celle de l’époque bismarckienne. Delbrück avait voulu préserver l’héritage de Bismarck. Il considérait que l’Allemagne, comme Athènes au temps de Périclès, ne devait pas chercher à écraser ses ennemis, mais décourager la volonté de vaincre de l’adversaire. Delbrück, dans la seconde partie de la Grande Guerre, agit de toutes ses forces pour qu’une telle stratégie fût choisie, mais ce fut Ludendorff qui fit prévaloir ses conceptions : « Confondue avec Verdun, avec le massacre mutuel sans idée et sans manœuvre, la stratégie d’usure de Delbrück tomba dans un discrédit total et injuste105. » Les idées de Ludendorff inversaient la formule de Clausewitz, exaltaient la guerre totale, et conduisirent le IIe Reich à la catastrophe de 1918106. La polémique entre Delbrück et Ludendorff permettait de faire le lien avec l’époque du Spectateur engagé. Delbrück mourut en 1929 mais dans l’intervalle, Ludendorff était devenu l’un des compagnons d’Hitler. L’enjeu était donc, en poursuivant le combat de Delbrück, d’arracher Clausewitz à l’idéologie nazie, et ainsi de réhabiliter la Prusse, du moins la Prusse intellectuelle dans la République européenne des Lettres.
68Le Clausewitz d’Aron présente en effet très clairement le IIIe Reich comme l’ennemi principal, non seulement coupable de crimes sans précédent, mais coupable aussi d’avoir inversé la Formule, abolissant ainsi la distinction très nette que faisait Clausewitz entre l’état de guerre et l’état de paix107. Dans le second volume de Penser la guerre, Aron accuse Hitler et Ludendorff d’avoir donné un sens concret à la notion d’hostilité absolue, théorisée par Carl Schmitt :
« Ludendorff et Hitler posent la communauté raciale en sujet de l’histoire et les ennemis de cette communauté raciale en ennemis transhistoriques du peuple allemand, voire de tous les peuples. Je dis que cette hostilité, et elle seule, mérite le terme d’absolue parce qu’elle conduit logiquement au massacre ou au génocide108. »
69« Les erreurs conceptuelles de Schmitt, écrivait Aron dans le manuscrit de Penser la guerre, se manifestent avec évidence dans ses comparaisons historiques109. » Dans les Mémoires, Aron explique pourtant qu’il avait écrit le Clausewitz à l’intention du public allemand, et qu’il accordait beaucoup d’importance à l’avis de Carl Schmitt. Celui-ci salua « une performance inouïe110 ». Cependant, Aron fit l’objet d’une attaque virulente de la part d’un jeune universitaire allemand nationaliste, disciple de Schmitt. L’article de Hepp, « Le Clausewitz inoffensif », reprochait à Aron d’avoir édulcoré la pensée du général prussien111.
70En fait, le but même que s’était fixé Aron, ramener Clausewitz vers le versant libéral-conservateur de sa pensée, afin de parachever la réconciliation franco-allemande, était insupportable à ceux pour qui le véritable Clausewitz était celui qui, dans les Professions de foi (Bekenntnisse), en 1812, avait juré de combattre jusqu’au bout l’ennemi français en lui déclarant sa haine. Aron n’accordait pas beaucoup d’importance aux Professions de foi. C’était cependant, dans l’œuvre de Clausewitz, la référence exclusive d’Hitler, qui les a citées à deux reprises, la première fois dans Mein Kampf et la seconde fois dans son Testament politique112. Carl Schmitt, en 1967, dans son article « Clausewitz als politischer Denker », avait fait l’éloge des Bekenntnisse. La réconciliation intellectuelle qu’espérait Aron n’eut pas lieu.
71En témoigne l’article que Günther Maschke publia quelques années plus tard dans Elemente, revue de la Nouvelle droite en Allemagne, à propos de l’ouvrage posthume de Raymond Aron, Les dernières années du siècle113. La recension prit la forme d’une exécution. Maschke écrivait qu’en lieu et place de la fameuse lucidité aronienne, on n’avait plus qu’« un atlantisme du juste milieu, bon pour les discussions au coin du feu ». Cette vindicte prolongeait directement l’interprétation schmittienne de Clausewitz, fondée sur les Bekenntnisse. Maschke reprochait en effet à Aron de se satisfaire du statu quo en Europe, donc de la division de l’Allemagne. Pour Maschke, l’alternative à la Nachrüstung – le déploiement des 572 Pershing et cruise missiles par l’OTAN –, était une négociation avec l’Union soviétique. On retrouvait donc, sous la plume du disciple de Schmitt, l’esprit de Clausewitz et de Yorck lors de la convention de Tauroggen en 1812. Maschke accusait Aron de considérer que l’histoire était terminée. C’était au moins commettre un contresens, puisque Aron n’avait jamais cessé de contester le statu quo. Mais l’hypothèse la plus probable est celle du mensonge : Maschke s’en prenait en effet à la République fédérale en tant que telle, qu’il accusait d’oublier la nation allemande, et dont il stigmatisait la « peur panique de toute grande politique ». Günther Maschke poursuivait le fantôme de Raymond Aron, parce que celui-ci avait apporté un soutien décisif à un État et à un gouvernement qu’il avait toujours abhorrés.
72Maschke, qui était passé du gauchisme au castrisme, avait finalement été expulsé de La Havane pour finir du côté de Plettenberg114. Il haïssait en Aron l’intellectuel libéral. Il regrettait que, plutôt que Les Dernières Années du siècle, on n’eût pas réédité l’Introduction à la philosophie de l’histoire, livre qui trouvait grâce à ses yeux, parce qu’il en appréciait la dimension décisionniste. Mais, entre-temps, l’auteur de l’Introduction avait, du point de vue de Maschke, renié ce qui avait fait la grandeur de sa philosophie. Il était devenu l’ennemi des véritables nationalistes allemands. La recension des Dernières Années du siècle attestait ainsi l’irréductible haine qu’éveillait chez des schmittiens patentés le libéralisme de Raymond Aron.
73Que celui-ci, dans les Mémoires, ait affirmé que Schmitt n’avait jamais été nazi115, ne pouvait pas l’être, est certainement une erreur, peut-être une faute. Aron manifestait ainsi son respect pour l’œuvre, accordait aux compromissions de l’homme la grâce de l’oubli.
74Pourtant, le Clausewitz fut très bien accueilli en RFA. Il venait en effet à point pour soutenir l’Allemagne fédérale, alors que le chancelier Schmidt devait affronter simultanément la crise économique, le terrorisme d’extrême gauche et les difficultés de la Détente. Penser la guerre fut reçu comme une importante contribution à la réconciliation franco-allemande. Son auteur fut récompensé par le prix Gœthe en 1979, puis l’année suivante par une promotion dans le Verdienstorden de la République fédérale.
75Mais au-delà de la réconciliation franco-allemande, Penser la guerre contenait aussi une leçon pour les Européens. C’était un rappel de l’idée exprimée à New York en 1974 : « Le citoyen a vocation de soldat. » Ainsi, Aron rapprochait l’expérience de Clausewitz exilé de celle des Juifs européens, devenus apatrides, qui allaient fonder l’État d’Israël116. Aron n’en visait pas moins particulièrement les Européens, tentés de dire « adieu aux armes117 ». Il estimait que sa responsabilité était de rappeler les réalités politiques, même contre le pacifisme, et sans dissimuler son dégoût pour l’apologie de la violence qu’il avait trouvée, sous les concepts du groupe en fusion et de la fraternité-terreur, dans la Critique de la raison dialectique de Sartre118. L’avant-dernière phrase de Penser la guerre est donc fort logiquement une ultime invocation du devoir civique contre le refus de la conscience historique :
« Français, d’origine juive, comment pourrais-je oublier que la France doit sa libération à la force de ses alliés, Israël l’existence à ses armes, une chance de survie à sa résolution et à la résolution américaine de combattre, si besoin est. »
76Le Clausewitz d’Aron était donc bien avant tout un citoyen. L’Européen, s’il voulait vivre libre, en sécurité, devait se souvenir de ses devoirs de Bürger, notion qui, pour les Allemands, renvoie d’abord aux devoirs alors que les Français, éduqués dans les droits de l’homme, pensent d’abord aux droits, sans clairement distinguer les droits civiques des droits de l’homme en général. Dans le contexte de la Détente, l’éditorialiste du Figaro qualifiait la conférence d’Helsinki sur la sécurité et la coopération en Europe de « foire aux diplomates119 ». À travers le Clausewitz se manifestait aussi le refus des illusions liées à un nouveau modèle de sécurité collective.
Notes de bas de page
1 Raymond Aron, Penser la guerre, Clausewitz, t. I, L’âge européen, t. II L’âge planétaire, Paris, Gallimard, 1976, 472 p. (t. I) et 365 p. (t. II).
2 Raymond Aron, Paix et guerre, p. 228.
3 Raymond Aron, Penser la guerre, I, p. 118.
4 Raymond Aron, De la condition historique du sociologue, Paris, Gallimard, 1971, 65 p. Réédité in Les Sociétés modernes, Paris, PUF, janvier 2006, 1174 p. Voyez p. 1089.
5 NAF 28060, boîtes 23 à 26. Les cours de 1972-1973 et 1973-1974 ont été publiés sous le titre Leçons sur l’histoire, Paris, de Fallois, 1989, 455 p.
6 Raymond Aron, L’Europe face à la crise des sociétés industrielles, in L’Europe des crises, Bruxelles, Bruylant, Bibliothèque de la Fondation Paul-Henri Spaak, 1976, p. 77 à 142 ; L’Europe, avenir d’un mythe, Cahiers européens, 3, p. 8-10 (avec une conclusion remaniée) ; le texte réellement prononcé a été publié en 2005 dans Cités, no 24, novembre 2005, p. 164-179. Voyez aussi NAF 28060, boîte 92.
7 Raymond Aron, « Le Franc et le Verbe », Le Figaro, 26 novembre 1968.
8 Raymond Aron, « Crise française, crise internationale ? », Le Figaro, 5 décembre 1968.
9 Raymond Aron, « L’étalon-or n’est pas une panacée », Le Figaro, 21 février 1965.
10 Raymond Aron, Mémoires, p. 613.
11 Raymond Aron, « Comment dévaluer le dollar ? », Le Figaro, 26 août 1971.
12 Ibid.
13 Raymond Aron, « La crise monétaire, III. Fin des parités fixes ? », Le Figaro, 7 septembre 1971.
14 Raymond Aron, « La crise monétaire, IV. Éviter l’ascension aux extrêmes », Le Figaro, 8 septembre 1971.
15 Raymond Aron, « Le Marché commun en question », Le Figaro, 26-27 avril 1969.
16 Raymond Aron, « Zukunft des Friedens », in Das 198. Jahrzehnt. Eine Team-Prognose für 1970 bis 1980., Hambourg, Christian Wegner Verlag, p. 163-176. Rééd. DTV, Munich, 1972, 580 p. ; p. 185-186. Voyez aussi NAF 28060, boîte 161.
17 Matthias Oppermann, op. cit., p. 520-535.
18 Raymond Aron, « L’idée européenne est-elle en train de mourir ? », III.
19 Il réfute ce genre d’interprétation dans les articles du 5 janvier 1970 « Vingt-cinq ans après, II. La nouvelle diplomatie de Bonn », et, le 11 août, à la suite du traité germano-soviétique, dans l’article « La Nouvelle Europe ».
20 Raymond Aron, Paix et guerre, p. 497.
21 Raymond Aron, « L’ère des négociations, II. Les objectifs de Bonn », Le Figaro, 19 mars 1970.
22 Raymond Aron, « Guerres et négociations, II. Ouverture à l’Est et à Berlin », Le Figaro, 14 juillet 1970.
23 Raymond Aron, « L’ère des négociations, II. Les objectifs de Bonn », Le Figaro, 19 mars 1970.
24 Raymond Aron, « la crise de l’Europe, I. L’impasse française », Le Figaro, 18 septembre 1973.
25 Art. cit., 14 juillet 1970.
26 Raymond Aron, « Berlin, Enjeu et symbole », Le Figaro, 10 décembre 1970.
27 Raymond Aron, « L’ambiguïté de la Détente », Le Figaro, 11 décembre 1970.
28 Raymond Aron, « Après l’après-guerre, II. Vers un nouvel ordre européen », Le Figaro, 6 octobre 1971.
29 Raymond Aron, « Conférence européenne. Pour quoi faire ? », Le Figaro, 25 novembre 1971.
30 Raymond Aron, « Guerres et négociations, III. Entre Européens », Le Figaro, 16 juillet 1970.
31 Raymond Aron, « L’héritage diplomatique de l’après-guerre, II. la dissociation de l’unité planétaire », Le Figaro, 13 janvier 1971.
32 Ibid.
33 Raymond Aron, « La Grande-Bretagne et le Marché commun, III. Les Six et l’intégration monétaire », Le Figaro, 19-20 juillet 1969.
34 Raymond Aron, « Le Marché commun en question, II. De la mystique à la politique », Le Figaro, 11-12 octobre 1969.
35 Raymond Aron, « Relance européenne ? I. Le sursis », Le Figaro, 8 décembre 1969.
36 Raymond Aron, « Relance européenne ? II. Vers l’union économique et monétaire », Le Figaro, 9 décembre 1969.
37 Raymond Aron, « Relance européenne ? III. De l’idéologie à la volonté », 10 décembre 1969.
38 Raymond Aron, « 1969 : De la continuité à l’ouverture… », Le Figaro, 30 décembre 1969.
39 Raymond Aron, « Unité monétaire européenne. Un pas en avant, deux pas en arrière », Le Figaro, 27 novembre 1970.
40 Raymond Aron, « Problèmes de la Communauté européenne, II. Que faire ? », Le Figaro, 17 mai 1971.
41 Raymond Aron, « La Grande-Bretagne dans le Marché commun, I. La France a dit oui », Le Figaro, 29-30 mai 1971.
42 Ibid.
43 Le Point de vue de Raymond Aron, Europe 1, émission du 9 mai 1971, NAF 28060, boîte 184.
44 Raymond Aron, « Conversations franco-allemandes », II. Les taux de change, Le Figaro, 5 juillet 1971.
45 Raymond Aron, « Le pari sur l’Angleterre », Le Figaro, 12 novembre 1971.
46 Raymond Aron, « Comment terminer la guerre au Vietnam ? (I) », Le Figaro, 30 octobre 1969. Voyez aussi Mémoires, p. 624.
47 NAF 28060, boîte 208, lettre de Raymond Aron à Georges Pompidou du 30 septembre 1970.
48 Le Figaro, 11 décembre 1970.
49 Raymond Aron, Mémoires, p. 742.
50 Ibid., p. 608.
51 NAF 28060, boîte 207, lettre de Henry Kissinger à Raymond Aron du 8 novembre 1962.
52 Raymond Aron, République impériale, p. 264.
53 Ibid., p. 160, note 1.
54 Ibid., p. 321.
55 Raymond Aron, « Les Européens et les deux grands. De quoi avez-vous peur ? », Le Figaro, 17 août 1973.
56 Raymond Aron, « les obscures clartés de Kissinger », Le Figaro, 20 décembre 1972.
57 Raymond Aron, « La tragédie chilienne », Le Figaro, 14 septembre 1973. Voyez aussi Mémoires, p. 594-596.
58 Raymond Aron, « Les pièges du destin », Le Figaro, 29 août 1974.
59 NAF 28060, boîte 207, lettre de Raymond Aron à Henry Kissinger du 19 septembre 1974. La réponse de Kissinger, datée du 9 octobre, fut conforme à ce qui séparait le philosophe de l’homme d’État :
« Mon cher Raymond,
Merci pour votre lettre attentionnée du 19 septembre,
Vous avez soulevé une question importante quant à l’action comme expression d’une philosophie. Il est malheureux que l’aspect apparent de l’action diplomatique ne reflète pas toujours correctement ses véritables intentions. C’est une source de malentendus. C’est un fardeau, aussi bien pour moi en tant qu’homme d’État que pour vous en tant qu’observateur compatissant. La prochaine fois que nous nous verrons, je serais très heureux de discuter avec vous des sujets politiques que vous avez évoqués, ainsi que de la question plus profonde que vous avez posée. Je vous sais toujours gré de vos critiques amicales. N’ayez aucun doute quant à leur influence. »
60 Raymond Aron, « Henry Kissinger : bilan et héritage », Le Figaro, 12 janvier 1977.
61 Raymond Aron, « Détente et dissidence », Le Figaro, 24 février 1977.
62 Alain Besançon, Court traité de soviétologie à l’usage des autorités civiles, militaires et religieuses, Paris, Hachette, 1976, 125 p.
63 Éric Roussel, Georges Pompidou, p. 438.
64 Raymond Aron, « Le procès et les émeutes (I) », Le Figaro, 22 décembre 1970.
65 Raymond Aron, Démocratie et totalitarisme (première édition 1965, cours de l’année 1957-1958 à la Sorbonne), réédité in Raymond Aron, Penser la liberté, penser la démocratie, Paris, Gallimard, Quarto, 2005, 1815 p. Voyez p. 1279.
66 Raymond Aron, Mémoires, p. 597.
67 Ibid., p. 598.
68 Ibid., p. 594.
69 Raymond Aron, « La victoire de Caramanlis. De l’exil à l’investiture », Le Figaro, 20 novembre 1974.
70 Dans « Les pièges du destin », en août 1974, à propos de Chypre, il reprit la formule de Hugo dans Les Orientales en 1829 : « tout est ruine et deuil ».
71 Raymond Aron, « La victoire de Caramanlis ».
72 Raymond Aron, « De la libéralisation », in Penser dans le temps. Mélanges offerts à Jeanne Hersch, Lausanne, L’âge d’homme, 1977, p. 189-205. Voyez p. 201-202.
73 Raymond Aron, « Une citoyenneté multinationale est-elle possible ? », Commentaire, no 56, hiver 1991, p. 695-704. Réédité in Les Sociétés modernes, p. 781-797.
74 Ibid., p. 700.
75 Ibid., p. 702.
76 Raymond Aron, « L’Europe aussi est en crise », Le Figaro, 7 mai 1975.
77 Raymond Aron, L’Europe des crises, p. 85.
78 Ibid., p. 88.
79 Ibid., p. 97. Voyez aussi Halte à la croissance ? Enquête sur le Club de Rome et Rapport sur les limites de la croissance par Donnelle H. Meadows, Paris, Fayard, 1972, 304 p.
80 Voyez Olivier Dard, Bertrand de Jouvenel, p. 348.
81 Raymond Aron, L’Europe des crises, p. 104.
82 Ibid., p. 108.
83 Ibid., p. 110.
84 Raymond Aron, « la guerre du Kippour, III. Neutralité ou nullité de l’Europe », Le Figaro, 7 novembre 1973.
85 Raymond Aron, L’Europe des crises, p. 119.
86 Ibid., p. 121.
87 Raymond Aron, « L’Europe, avenir d’un mythe ».
88 Raymond Aron, « La fin d’un mythe ? », Bruxelles, 30 avril 1975, in L’Europe des crises, p. 123.
89 Delbrück, Die Strategie des Perikles erläutert durch die Friedrichs des Großen, p. 6.
90 Raymond Aron, L’Europe des crises, p. 126.
91 Ibid., p. 133.
92 Raymond Aron, « Détente et condominium, III. Partenaires ou rivaux ? », Le Figaro, 8 janvier 1974.
93 Raymond Aron, L’Europe des crises, p. 141.
94 Raymond Aron, « L’Europe, avenir d’un mythe ».
95 NAF 28060, boîte 92. Lettre d’Alfred Toepfer à Raymond Aron, 21 mai 1975.
96 Ibid., lettre de Raymond Aron à Alfred Toepfer du 3 juin 1975.
97 Raymond Aron, L’Europe, avenir d’un mythe, Les Cahiers européens, 1975, 3, p. 8-10.
98 Raymond Aron, « Clausewitz et l’État », Annales. Histoire, Sciences Sociales, 1977, vol. 32, no 6, p. 1255-1267, voyez p. 1262.
99 Éric Weil, « Guerre et politique selon Clausewitz », Revue française de science politique, 1955, vol. 5, no 2, p. 291-314.
100 Penser la guerre, I, p. 10.
101 Si cette analyse est exacte, René Girard, dans Achever Clausewitz, n’a pas compris la pensée de Raymond Aron et, si celui-ci a raison, l’interprétation de Clausewitz que propose René Girard est fausse. Voyez René Girard, Achever Clausewitz, Paris, Carnets Nord, 2007, 365 p. Notamment p. 27.
102 Raymond Aron, Penser la guerre, I, 109.
103 Ibid., I, 122, 134.
104 Raymond Aron, Penser la guerre, I, p. 413 (note XX).
105 Ibid., II, 51.
106 Ibid., I, 123.
107 Ibid., I, 109.
108 Ibid., II, 217.
109 NAF 28060, boîte 225, manuscrit du chap. 2 de Penser la guerre, t. II, fo 19. Cette remarque ne figure pas dans le texte publié.
110 Raymond Aron, Mémoires, p. 650.
111 Robert Hepp, « Der harmlose Clausewitz », Zeitschrift für Politik, 1978, p. 303-318 et 390-429.
112 Adolf Hitler, Mein Kampf, début du chap. 15, p. 759-760 de l’édition Eher. Quant au Testament politique, voyez Fabrice Bouthillon, Et le Bunker était vide : une lecture du Testament politique d’Adolf Hitler, Paris, Hermann, 2007, 96 p.
113 Raymond Aron, Les Dernières années du siècle, Paris, Julliard, 1984, 248 p. Voyez aussi Günther Maschke, « Das Post-Histoire des Raymond Aron », in Elemente, 3, juin-septembre 1987, p. 42-43.
114 Sur les tribulations de Günther Maschke, voyez Jan-Werner Müller, A Dangerous mind. Carl Schmitt in post-war European thought, p. 153-154.
115 Voyez Tristan Storme, op. cit., qui montre que Schmitt fut on ne peut plus nazi, et combien le réprouvé de Plettenberg restait impénitent.
116 Raymond Aron, Penser la guerre, II, 226.
117 Ibid., II, 285.
118 Jean-Paul Sartre, Critique de la raison dialectique, Paris, Gallimard, 1960, 2 volumes. Raymond Aron, Histoire et dialectique de la violence, Paris, Gallimard, 1973, 270 p. Penser la guerre, II, 285.
119 Raymond Aron, « La foire aux diplomates », Le Figaro, 30 juillet 1975.
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