Chapitre VII. L’engagement atlantique, 1948-1951
p. 163-184
Texte intégral
1Guerre ou paix en Europe ? Les circonstances de la paix belliqueuse imposaient d’inscrire le Vieux Continent dans un système d’équilibre des forces qui ne pouvait exister qu’à l’échelle mondiale, donc en incluant les États-Unis. Sans alliance américaine, la suprématie soviétique se serait imposée, avec ou sans invasion, à l’ensemble de l’Europe. À partir de la fin 1948, Raymond Aron prend donc résolument parti pour le pacte atlantique. Il s’engage ainsi contre la perspective d’une Europe neutre, qui se tiendrait à une égale distance des États-Unis et de l’Union soviétique. Cet engagement l’amène à des polémiques en France, contre les intellectuels qui défendent la neutralité, parce qu’ils estiment que le pacte atlantique conduirait inéluctablement à la guerre. Aron devient aussi un intellectuel d’envergure internationale ; il est présent sur la scène américaine à travers des articles dans lesquels il explique à l’opinion publique américaine le point de vue européen dans le contexte de la guerre froide. De même, il participe au lancement du Congrès pour la liberté de la culture, assumant ainsi un engagement sans ambiguïté contre le totalitarisme soviétique. Lorsque l’on apprit, bien plus tard, en 1967, que la CIA avait financé le congrès, la nouvelle fit scandale. Cependant, si le financement du congrès par des syndicats américains était connu, Raymond Aron ignorait que les services secrets américains fussent directement impliqués. D’autre part, les méthodes employées par le camp soviétique dans la lutte idéologique pouvaient justifier, à elles seules, une mobilisation équivalente du côté occidental, d’autant plus que le Congrès pour la liberté de la culture laissait les intellectuels qui s’exprimaient dans le cadre de ses réunions, de ses revues, entièrement libres de leurs propos. En somme, on pouvait faire œuvre de propagandiste, tout en maintenant l’exigence de l’honnêteté intellectuelle, comme cela avait été le cas dans les colonnes de La France Libre pendant la seconde guerre mondiale.
2Simultanément avec le lancement du Congrès pour la liberté de la culture, auquel Raymond Aron n’assista pas pour des raisons d’ordre privé, commençait la guerre de Corée. Celle-ci concernait directement l’Europe, qu’un sort semblable pouvait très bien menacer. D’où l’intérêt de Raymond Aron pour les affaires asiatiques, coréennes ou japonaises, en relation avec son interprétation de la paix belliqueuse : celle-ci risquait-elle, ou non, de dégénérer en guerre totale ? Par ailleurs, les États-Unis accorderaient-ils la priorité à l’Europe, comme ils l’avaient fait depuis 1945, ou, au contraire, pressés par les événements, se consacreraient-ils d’abord aux affaires d’Extrême-Orient ?
3La conjoncture du début des années cinquante présentait ainsi plusieurs difficultés. D’une part, elle amenait Raymond Aron à réfléchir sur la notion de trahison, qui était utilisée aussi bien par le sénateur McCarthy pour mener la chasse aux sorcières, dont Raymond Aron expliquait aux Américains qu’elle risquait de desservir leur cause, que par les intellectuels de gauche français vis-à-vis de ceux qui, comme lui, prenaient parti contre l’opinion majoritaire : on lui aurait pardonné d’être neutraliste, on ne lui pardonnait pas d’être atlantiste. Mais l’était-il vraiment ? En fait, Aron considérait qu’il existait une différence essentielle entre les modèles politiques américain et européen. Les États-Unis, sur ce point semblables à l’Union soviétique, étaient un État multinational. Aron remarquait par ailleurs que les atlantistes les plus fervents avaient souvent été, dans le passé, des collaborateurs1.
4Aussi son engagement pour l’alliance atlantique a-t-il été critique. Il ne s’est pas confondu avec un éloge sans réserve du modèle américain. Il n’a pas cédé à l’illusion des États-Unis d’Europe, formule dont il s’était approché dans Le Grand Schisme, sans toutefois l’étayer, et dont il s’abstint par la suite.
5L’autre difficulté concernait la réponse européenne à la question du réarmement. En effet, un réarmement européen n’était pas possible sans réarmement allemand. La période 1949-1955 est une époque de transition pour l’Allemagne. Après le blocus de Berlin, une souveraineté allemande est rétablie, mais à travers une partition de l’Allemagne entre deux États, solution qui est immédiatement apparue instable et précaire. Dès 1950, la question du réarmement de l’Allemagne était posée. Le Plan Schuman du 9 mai 1950 visait en partie à déplacer le problème pour gagner du temps face aux injonctions américaines. L’idée de la CECA était politiquement habile, non seulement parce qu’elle manifestait la bonne volonté de la France, qui prenait en même temps l’initiative, mais aussi parce qu’elle mêlait dimensions économique et politico-stratégique. Dans Les Guerres en chaîne, Raymond Aron a analysé les ambiguïtés qu’il voyait dans le Plan Schuman ; tout en reconnaissant le talent de l’homme d’État, il doutait de l’efficacité, et même de l’utilité pratique de la mesure, du moins sur le plan économique. L’essentiel était pourtant d’aboutir à une entente des nations d’Europe occidentale pour assurer la défense commune. D’où une attitude de soutien critique, justifiée par le scepticisme de fond, étant donné qu’il ne lui semblait pas possible de construire une unité politique à partir d’autre chose qu’une décision politique. Dès le début, c’est-à-dire avant même la création de la première communauté européenne, celle du charbon et de l’acier qui procédait du Plan Schuman, Raymond Aron pensait qu’il n’était pas possible de passer insensiblement de l’ordre économique à l’ordre politique, puisqu’il s’agit de deux domaines distincts.
6Le Congrès des États-Unis avait autorisé les alliances en temps de paix hors de l’hémisphère occidental par la résolution Vandenberg du 11 juin 1948. La réélection de Truman en novembre assurait la réalisation d’une alliance atlantique, rendue possible par le vote préalable de cette résolution. Aux yeux de Raymond Aron, les démocraties occidentales étaient responsables de la situation de l’Europe après 1945. Il critiquait « les illusions de l’héritage Roosevelt2 », et observait ironiquement que la plus forte armée d’Europe occidentale était alors, selon un général allemand, l’armée suisse. L’Armée rouge était capable d’occuper le continent européen jusqu’à l’Atlantique ; les Alliés occidentaux n’auraient pas eu grand-chose à lui opposer. Ce qui était en jeu était donc la liberté politique en Europe occidentale. Aron pensait que le plan Marshall était la priorité. À ses yeux, l’Alliance atlantique ne devrait donc pas s’orienter vers un réarmement illimité, car celui-ci « serait chargé de périls ». Ni l’Europe occidentale, dont les ruines n’étaient pas encore relevées, ni même les États-Unis, ne pourraient sans dommages pratiquer un réarmement massif. Aron proposait donc un réarmement limité. À cette date, les analyses de Raymond Aron préfigurent déjà ses réflexions ultérieures à partir de Clausewitz. Ainsi voit-il la guerre froide à l’inverse de la plupart de ses contemporains :
« Que l’on parvienne à prolonger cette paix incertaine : avec le temps les hostilités les plus inexpiables finissent par s’user. Des communismes nationaux peuvent affaiblir le bloc soviétique. Ayant relevé ses ruines, l’Europe retrouvera, par rapport à son protecteur, aujourd’hui indispensable, une certaine liberté d’action.
Comme le plan Marshall, le pacte atlantique n’a d’autre fin dernière que de se rendre lui-même inutile3. »
7Du Grand Schisme aux articles du Figaro, Raymond Aron a multiplié entre 1947 et 1953 les remarques amères sur l’héritage de Roosevelt. Il rejoignait ainsi les critiques américains de la politique menée par l’administration démocrate au cours de la guerre. Ainsi, il lut l’essai de Hanson W. Baldwin, Great mistakes of the war4, dans lequel l’éditorialiste du New York Times insistait sur le fait que les États-Unis, dans leur obsession d’une victoire militaire écrasante, n’avaient pas clairement défini leurs objectifs politiques.
8La propagande communiste répandait l’idée que le pacte atlantique entraînerait inéluctablement un nouveau conflit mondial. Elle était répercutée par les compagnons de route5. Aron entendait pour sa part soutenir le pacte atlantique, pour éviter la guerre. Dans son livre, Baldwin revenait sur la Seconde Guerre mondiale en insistant sur l’absurdité de la guerre totale : « We fought to win… we did not know what we were fighting for. » Certes, une telle représentation caricature la politique de l’administration Roosevelt. La conduite de la guerre était extrêmement complexe, et les études récentes montrent que le gouvernement de Franklin Roosevelt, à commencer par le président lui-même, n’a pas eu la naïveté que leur ont prêté de nombreux commentateurs, parmi lesquels Baldwin et Raymond Aron6. Il n’en est pas moins vrai que les positions d’Aron dans Le Figaro lors des négociations sur le pacte atlantique s’inspiraient de l’interprétation de Clausewitz élaborée par Delbrück. Selon celle-ci, il était préférable, dans certaines circonstances, de préférer une stratégie d’usure (Ermattung) à une stratégie d’anéantissement (Niederwerfung). Il était important qu’une alliance explicite fût conclue entre les États-Unis et l’Europe occidentale, précisément pour éviter la guerre, parce que la tension idéologique persisterait pour une durée indéterminée. La politique du containment répondait aux exigences de la paix possible. Le blocus de Berlin semblait confirmer son efficacité :
« En vain, quelques journalistes français, spécialistes du pacifisme, croient servir leur idéal en réclamant la fin de la guerre froide, sous prétexte que celle-ci ne saurait se poursuivre sans dégénérer en guerre totale. L’exemple du pont aérien de Berlin prouve, tout au contraire, que la paix n’est pas à la merci des accidents7. »
9À cette date, Raymond Aron observe que les progrès économiques de l’Europe occidentale sont modestes mais réels, et qu’un équilibre précaire se met en place en Europe. L’Union soviétique se consacrait avant tout à la consolidation des acquis, en poursuivant la soviétisation dans sa zone d’influence. Le coup de Prague de février 1948 apparaissait rétrospectivement comme un épisode de la soviétisation, non comme le prologue à une invasion de l’Europe occidentale par l’Armée rouge8. À Berlin, l’Occident maintenait ses positions grâce au pont aérien. Des négociations d’ensemble sur l’Europe, un nouveau Yalta ou un nouveau Potsdam, n’étaient ni possibles, ni souhaitables. En revanche, des négociations partielles étaient envisageables. En effet, ni l’Est, ni l’Ouest de l’Europe ne constituaient des blocs homogènes. À l’Est, la dissidence titiste suscitait un quasi-blocus de la part de l’Union soviétique et des autres démocraties populaires inféodées à Moscou. Il en était de même à l’ouest du Vieux Continent, du fait des divergences sur la question allemande, mais aussi sur la politique économique :
« Les progrès accomplis par les bénéficiaires du plan Marshall, chacun pour soi, sont substantiels, les progrès vers l’unité européenne le sont beaucoup moins.
Et pourtant, là serait la véritable victoire. Le barrage qu’opposeront à l’expansion soviétique des États nationaux, prisonniers de structures anachroniques, empêtrés dans des querelles médiocres, sera toujours fragile. Le barrage d’une Europe, prospère par l’unité, serait à toute épreuve9. »
10Or, toute perspective de règlement européen dépendait en dernier ressort de la réponse qui serait apportée à la question allemande. Raymond Aron ne croyait pas que la division de l’Allemagne pût durer : « un règlement européen, fondé sur le partage de l’Allemagne, sera toujours précaire. La volonté des Allemands d’être une nation s’affirmera de plus en plus. Ici et là, on redoutera que l’unité ne se fasse au profit du rival10 ».
11Selon Aron, l’essentiel était toujours de réussir le redressement économique. Par conséquent, il ne fallait pas procéder à un réarmement massif, probablement ruineux : « Accumuler les armes, alors que l’adversaire mise sur la décomposition interne des démocraties, équivaudrait à reproduire l’erreur des généraux qui concentrèrent les divisions derrière la ligne Maginot et dégarnirent la charnière des Ardennes. » Mais c’était l’alliance américaine qui rendait possible le relèvement des économies européennes : « La neutralité européenne, concluait-il, est peut-être la fin, elle n’est certes pas le moyen d’une politique de paix11. »
12Raymond Aron prit donc vigoureusement position contre les neutralistes comme Étienne Gilson, qui redoutait que le pacte ne conduisît inéluctablement à la guerre. Le cas de la Norvège montrait que la véritable alternative n’était pas entre la neutralité et le pacte atlantique, mais entre le pacte atlantique et la soumission à l’Union soviétique. La Norvège avait une frontière commune avec l’Union soviétique, et la seconde guerre mondiale lui avait montré que la neutralité n’offrait pas une garantie suffisante. La Norvège choisit donc l’Alliance atlantique, tandis que la Suède, qui n’avait pas de frontière avec l’Union soviétique, et qui disposait d’un potentiel militaire supérieur, fit le choix de la neutralité armée. « Les maîtres du Kremlin, observait Aron, ne semblaient guère plus favorables à la diplomatie suédoise du bloc scandinave qu’à la diplomatie norvégienne du pacte atlantique12. » La question était d’autant plus importante que certains commentateurs américains, parmi lesquels Walter Lippmann, envisageaient de limiter le pacte atlantique aux États du pacte de Bruxelles, c’est-à-dire à la frange la plus occidentale du Vieux continent, tandis que que les États au contact du bloc soviétique resteraient neutres. Les objections de Raymond Aron ne visaient donc pas seulement les neutralistes français et européens comme Gilson, mais aussi les Américains qui souhaitaient limiter l’engagement de leur pays sur le Vieux Continent.
13Au-delà du pacte atlantique, la question allemande restait l’élément central. On était alors en train de mettre sur pied la République fédérale. Le pacte atlantique fut signé à Washington par Robert Schuman le 4 avril 1949. La loi fondamentale de la République Fédérale d’Allemagne fut publiée 8 mai 1949. Le 30 mars, Aron constatait dans les colonnes du Figaro que les Alliés occidentaux n’étaient toujours pas capables de s’entendre sur la question allemande. Il soulignait que la France aurait tout intérêt à accepter le relèvement des plafonds de production imposés à l’Allemagne depuis 1945, puisque de toute manière il faudrait au bout du compte accepter cette mesure. Il recommandait, avant tout, de donner des perspectives à l’Allemagne :
« Nous finissons par oublier l’essentiel. L’effort indispensable en vue de la réconciliation des deux peuples. Je sais que certains de mes lecteurs seront surpris et choqués. Et pourtant, si Français et Allemands doivent jamais liquider un conflit séculaire, que la transformation du monde rend anachronique, quel moment pourrait être plus favorable que celui-ci ? L’Allemagne sera-t-elle jamais plus affaiblie, plus disponible qu’elle ne l’est aujourd’hui ?
Je ne prétends certes pas que les Allemands aient définitivement renié le nationalisme agressif, ni qu’ils soient devenus de bons démocrates. Mais ce que sera l’Allemagne demain dépend pour une part de ce que nous ferons13. »
14Sur ce point, Aron était parfaitement fidèle à l’inspiration qui était la sienne lorsqu’il soutenait les accords de Locarno. Depuis 1945, s’offrait une nouvelle occasion historique qu’il ne voulait pas manquer. Cependant, la réconciliation dont il s’agissait n’était pas une réconciliation entre égaux. Il fallait mettre à profit et la menace soviétique, et l’affaiblissement provisoire de l’Allemagne. Pour construire en Europe, il était indispensable d’intégrer l’Allemagne occidentale, en espérant à terme y inclure toute l’Allemagne. C’est pourquoi Berlin-Ouest était d’une si grande importance stratégique. Sinon, l’Europe ne serait qu’une caricature d’Europe, une « Europe-croupion14 ». Après l’expérience du blocus de Berlin, il était évident que la population des zones occidentales ne voulait pas du communisme. Les Soviétiques avaient donc peu de chances d’imposer leur vision d’une Allemagne unifiée et soviétisée. En revanche, ils pouvaient jouer sur le sentiment national allemand pour empêcher l’intégration de l’Allemagne occidentale à l’Europe atlantique. Raymond Aron voulait tenir compte du « désir des Allemands d’éviter la coupure définitive de leur pays » ; il importait donc « que les Occidentaux aient, eux aussi, une conception de l’unité allemande15 ».
15C’est alors, en avril 1949, que Raymond Aron publie son premier essai spécialement destiné aux élites américaines. Dans France and Europe16, il partait du constat énoncé par le maréchal Smuts en 1942 : « La France a disparu, pour une génération au moins, en tant que grande puissance. » La défaite de 1940 avait fait baisser la France dans l’estime des Américains. Aron arguait qu’en 1945, la France était pourtant le seul pays du continent européen, entre l’Atlantique et la Vistule, à pouvoir prétendre au statut de vainqueur, et qu’on avait besoin d’elle, comme représentant des États-nations européens. Telle était, aux yeux de Raymond Aron, sa légitimité. Le destin de la France était désormais indissolublement lié à celui de l’Europe : elles se sauveraient ensemble, ou périraient ensemble17.
16Aron justifiait auprès des Américains la diplomatie de la France depuis 1945. Elle n’avait pas voulu prendre parti entre les deux grandes puissances, et cette prudence était bien compréhensible. La diplomatie française n’avait été intransigeante que sur la question allemande. Cependant, désavouée par l’Union soviétique sur la question du fédéralisme, ou du rattachement économique de la Sarre au marché français, contredite par les Anglo-Américains sur ses propositions concernant la Ruhr, la France, isolée, avait fini par s’abstenir. Cette première période, écrivait Aron, avait pris fin en 1947, lorsque le Kominform s’était mis en campagne contre le plan Marshall. La France dut alors choisir. Depuis lors, les dirigeants français s’étaient résolument engagés en faveur de l’organisation de l’Europe. Ils devaient, simultanément, faire face aux grèves, liées à la pauvreté de la population ouvrière, mais fomentées par Moscou.
17L’argumentation que proposait Aron en faveur de l’unité européenne était simple : « Isolés les pays européens sont faibles et impuissants. » Au contraire, poursuivait-il : « Unis, ils s’élèveraient au niveau des plus forts18. » Comme Renan, plaidant lui aussi pour l’Europe unie19, avait considéré que la situation de 1871 scellait l’alliance franco-anglaise, Aron jugeait que 1945 liait la France et Allemagne dans une communauté de destin, puisque, si l’Allemagne dans son ensemble était soviétisée, la France n’échapperait pas au même sort. Mais, ajoutait-il, « il serait plus approprié d’ajouter : cette alliance est consacrée, mais les hommes de part et d’autre du Rhin, prisonniers de l’histoire et des mythes, ne le savent pas20 ». Raymond Aron exposait aux Américains les dilemmes de la politique française : pour vaincre Hitler, l’alliance avec Staline était indispensable ; pour arrêter Staline, il était nécessaire que l’Allemagne prît sa place dans le camp occidental. Les Américains devaient comprendre les inquiétudes françaises au sujet d’un réarmement de l’Allemagne. Lorsque de Gaulle avait pris position contre un nouveau Reich, il n’était pas inspiré par un nationalisme archaïque, mais par la crainte de l’alliance entre une Allemagne restaurée et l’Union soviétique.
18D’où les deux exigences de la diplomatie française : une organisation fédérale de l’Allemagne et l’internationalisation de la Ruhr. Mais Raymond Aron expliquait que les Allemands ne pourraient pas simultanément être traités en ennemis vaincus et en alliés :
« Lorsque l’on parle d’union occidentale ou de fédération européenne, cela implique, à plus ou moins long terme, l’égalité des droits entre les participants. La Constitution allemande doit être faite, doit être acceptée par les Allemands eux-mêmes. Le contrôle de la Ruhr ne doit pas apparaître comme une discrimination permanente. Il est concevable que la politique de Richelieu soit appliquée aux Länder allemands, et la politique de Washington aux nations européennes. Mais les deux ne peuvent pas être mélangées. L’Allemagne ne peut pas être intégrée dans une Europe fédérale en fonction d’un Diktat inspiré par la tradition de la politique de puissance21. »
19Par ailleurs, l’alliance franco-britannique avait montré ses limites en 1940 : la bataille de France, décisive pour les Français, ne l’était pas pour les Anglais. Le pacte de Bruxelles, amorce d’une alliance occidentale, visait à obtenir l’engagement américain pour protéger l’Europe occidentale du risque d’invasion, et non pour qu’elle soit libérée à coups de frappes atomiques. L’État-nation de style européen était dépassé sur le plan militaire. Un État de ce type serait en effet incapable de construire en masse des bombardiers modernes, et encore moins, pensait alors Raymond Aron, de produire la bombe atomique. Or, malgré cette unité stratégique, la réalité politique de l’Europe occidentale restait celle de souverainetés exclusives. Aux désaccords sur la stratégie, se surimposaient des politiques économiques contradictoires. Les États européens parlaient un nouveau langage, celui de l’unification de l’Europe, mais continuaient d’agir selon la tradition de la souveraineté. Aron soulignait que, pour les Européens, le choix de l’intégration n’était pas spontané : « Deux interventions extérieures les poussent à s’unir : l’Union soviétique, qu’ils craignent, et les États-Unis, dont ils ont besoin22. »
20Aron proposait d’accorder à l’Allemagne un statut tel qu’il ne compromettrait ni la sécurité de la France, ni l’unité de l’Europe. Il était convaincu de la force du sentiment national allemand. Il ne fallait donc pas imaginer un fédéralisme tel que l’Allemagne ne constituerait plus un État-nation. De toute manière, remarquait-il, après le départ des armées alliées, ce n’est pas le fédéralisme qui garantirait la fidélité du gouvernement allemand à l’Occident et à ses valeurs. De même, le contrôle de la Ruhr avait, comme le fédéralisme, ses limites. Rien ne remplacerait la vigilance des alliés occidentaux. Après tout, lorsqu’Hitler avait réarmé l’Allemagne, il l’avait fait publiquement. Ce que l’on devait redouter, c’était une nouvelle alliance germano-soviétique : ou bien sous la forme d’une Allemagne soviétisée, ou bien dans le cas où une Allemagne dirigée par un régime bourgeois conclurait un accord avec Moscou pour récupérer ou compenser les pertes territoriales de 1945. Raymond Aron considérait cependant cette dernière éventualité comme improbable, car l’Allemagne était affaiblie pour longtemps. Raymond Aron plaidait alors pour une initiative française :
« Que la France accepte une Allemagne restaurée dans une Europe unifiée et tout est possible. Le contrôle de la Ruhr, discriminatoire et stérile en lui-même, prendrait une signification positive s’il apparaissait comme l’embryon d’une gestion internationale des industries lourdes du Vieux continent. L’inquiétude française concernant les plans pour un état-major européen serait atténuée si on envisageait pour demain, sinon pour aujourd’hui, l’intégration de l’Allemagne dans la défense occidentale. […]
Nous sommes loin de penser qu’une décision politique suffirait à dégager le chemin qui mène à une fédération européenne. Tout ce que nous souhaitons dire est qu’en l’absence d’une décision politique les études techniques sont condamnées à l’avance23. »
21Comme, après le discours de Winston Churchill à Zurich du 19 septembre 1946, la Grande-Bretagne n’avait pas pris la tête du mouvement pour l’unification politique de l’Europe, l’occasion s’offrait à la France de jouer le rôle de fédérateur de l’Europe occidentale. Pour être en état de le faire, la réforme intérieure était donc un préalable à l’action européenne : il fallait que la France maîtrisât son inflation, qu’elle jugulât les grèves fomentées par le parti communiste, se donnât des institutions plus stables que celle de la IVe République24.
22Ainsi, l’effort de la France devrait être en priorité de se réformer, non de renoncer au modèle politique de l’État-nation. Raymond Aron rappelait aux Américains que la France avait été le type même de l’État-nation européen : « La France a été, sur le Vieux continent, la plus puissante, la plus glorieuse des monarchies. Il n’y a aucune nation qui ait affirmé sa souveraineté avec une plus grande énergie, aucune nation qui ait refusé avec plus de force toute forme, si subtile fût-elle, de subordination ou d’hommage au Saint-Empire romain… La volonté des Français d’exister en tant que nation s’est manifestée avec une force incomparable… Le principe selon lequel la communauté de culture s’exprime à travers une unité politique a rarement trouvé plus parfaite application qu’en France. L’Europe des nationalités est née de la diffusion du concept français d’État-nation. » En même temps, soulignait-il, « le temps des nationalités est révolu ». Le moment était venu de poser la question : « L’Europe deviendra-t-elle la patrie des Européens25 ? »
23Raymond Aron considérait qu’il n’était pas question de demander aux Européens d’oublier leur nation – il défendait ainsi le droit des Allemands à recouvrer leur unité nationale. Il s’agissait en revanche de reconnaître petit à petit la réalité et la valeur d’une unité plus grande, de consentir un sacrifice pour le bien de cette collectivité supérieure, exactement comme des provinces ou des classes sociales consentent de tels sacrifices pour le bien de la nation. Était-ce trop demander ? Si la réponse était négative, l’Union européenne ne serait rien de mieux que la Société des Nations, ou les Nations unies, ou l’hypothétique fédération mondiale. Compte tenu de l’histoire, si les nations européennes et la France, à qui on demandait le plus grand effort, ne se montraient pas capables d’oublier le passé pour organiser leurs vies en commun, on aurait davantage de raisons de regretter ce revers que de s’en étonner. En revanche, « quelle gloire ne s’attacherait pas à la nation sûre d’elle-même au point de se dépasser elle-même, assez généreuse pour pardonner l’ennemi d’hier, suffisamment lucide pour saisir l’appel de l’avenir26 » ?
24En 1949-1950, Raymond Aron apportait un soutien critique aux politiques européennes, dont il relevait les contradictions : « L’organisation européenne est donc, pour l’instant, l’œuvre de gouvernements qui reconnaissent la nécessité du travail en commun, mais dont aucun n’est résolu ou résigné à une aliénation partielle de sa souveraineté27. » La difficulté consistait à coordonner des politiques économiques nationales dans le contexte d’une pénurie persistante de dollars. Chaque État voulait développer ses exportations, restreindre les importations, et tendait ainsi à défendre contre les autres États européens son propre intérêt national28. Raymond Aron se demandait tout simplement si l’échelle européenne était pertinente pour résoudre les problèmes économiques du moment :
« Une collaboration européenne, si féconde soit-elle, ne donnerait pas au Vieux Continent, au moins à courte échéance, les dollars qui lui manquent. Beaucoup d’économistes se demandent si la reconstitution du système mondial ne représente pas l’objectif essentiel et si le relais européen, entre la nation et l’univers, mérite à ce point la priorité d’intérêt qu’on lui reconnaît communément29. »
25L’essentiel restait en fait la division du continent. Lors de la conférence de Paris de mai 1949, Aron soulignait qu’il fallait encourager le commerce avec le reste de l’Europe, même si cela devait renforcer l’économie des démocraties populaires : « Avec les marchandises, l’influence de l’Occident traverserait le rideau de fer30. » Il regrettait que les Occidentaux n’eussent pas remis en cause la soviétisation de la zone orientale à l’issue du blocus de Berlin : « Il est à craindre, en effet, que ce partage dure. Encore vaut-il mieux ne pas s’y résigner trop vite. Un continent vit malaisément moitié libre, moitié esclave, et la ligne de démarcation, tracée à Yalta, devait séparer deux armées alliées et non deux mondes hostiles31. »
26La RFA était alors en train de naître, avec la proclamation de la Loi Fondamentale le 23 mai 1949. Dans un article publié en juin dans Der Monat32, Aron déplorait la soviétisation de la zone orientale. On y avait, signalait-il, rouvert certains des camps de concentration créés par les nazis. C’était, par exemple, le cas de Buchenwald33. Aron se déclarait « partisan du fédéralisme34 ». Il proposait aux Allemands la solution européenne, puisque « la solution à ce que l’on appelle la “question allemande” ne [pouvait] être trouvée dans le cadre de la seule Allemagne ». Aron était donc pragmatique. Il avait toujours souhaité un dialogue avec les Allemands, constatait cependant l’impossibilité de la réunification allemande, et proposait donc autre chose : que les Allemands de l’Ouest soient libres et membres à égalité de droits (gleichberechtigt) de la communauté euratlantique. « Nous [les Occidentaux] avons, écrivait-il, les deux tiers de l’Allemagne. » Il soutenait donc la fondation de la république de Bonn. Il n’en considérait pas moins la RFA comme une caricature d’Allemagne, mais se gardait évidemment d’utiliser une telle formule lorsqu’il s’adressait à l’opinion allemande. Il s’agissait en effet de gagner une nouvelle bataille des propagandes, « dans la conscience de chaque Allemand », contre la propagande stalinienne qui utilisait habilement l’aspiration à la réunification. Et ce avec d’autant plus de force que les Alliés occidentaux avaient développé l’exigence de la capitulation sans conditions, brûlé les villes, tandis que Staline, dès 1942, avait dit : « Les Hitler vont et viennent mais le peuple allemand reste. » Aron avait commencé son article par cette citation de Staline.
27À l’été 1949, alors que se mettait en place le Conseil de l’Europe, le bilan de la coopération économique européenne apparaissait particulièrement décevant à Raymond Aron, qui regrettait le libre-échange d’avant 191435. En une formule qu’il affectionnait, il résumait la situation des Européens : « L’addition de déficits ne donne pas un excédent36. » Il s’interrogeait par conséquent sur l’utilité du Conseil de l’Europe. Celui-ci n’aurait pas de compétences militaires, et les discussions économiques ne lui étaient pas interdites, mais déconseillées. L’Assemblée européenne ne fixerait pas non plus son ordre du jour. La question délicate d’une représentation de la Sarre au Conseil de l’Europe et les objections qu’elle avait soulevées en Allemagne, notamment de la part de Kurt Schumacher, lui permettait de suggérer que, loin de favoriser la réconciliation des Européens, l’assemblée risquait aussi bien d’alimenter leur discorde37.
28Le diagnostic de Raymond Aron ne devait pas changer. Les Américains avaient tort de cautionner l’illusion que « la collaboration ou l’unité européenne serait la panacée susceptible de guérir miraculeusement les maux du Vieux Monde ». Le lien entre le manque de dollars et l’unité européenne était, selon lui, moins étroit qu’on ne le disait. « À courte échéance », précisait-il, « l’unité européenne n’apporterait pas de contribution décisive à la solution du problème posé par le manque de dollars ». Il avançait trois autres raisons contre l’illusion européiste : le fait que les dix-neuf de l’OECE représentaient un rassemblement artificiel ; c’étaient les pays d’Europe occidentale, à l’ouest du rideau de fer, rassemblés avec la Scandinavie, la Turquie et la Grèce. Par ailleurs, la Grande-Bretagne conservait une position à part : « elle ne sacrifiera[it] pas à l’Europe son rôle impérial ». Enfin, la création d’un grand espace posait des difficultés considérables, dont témoignaient celles qu’avait rencontrées le Benelux :
« Pour l’instant, écrivait Aron, l’Europe collabore moins qu’elle ne le faisait en 1933 ou surtout en 1913. Avant de se donner pour but une unité totale, une zone de libre-échange sans restriction (que l’on n’a jamais connu), il serait plus raisonnable de se proposer des objectifs moins sublimes mais aussi moins ardus38. »
29Il en résultait un bilan nuancé du Plan Marshall à mi-parcours. On ne pouvait nier les progrès, mais pas davantage la permanence du nationalisme, « expression de ce conservatisme obstiné, qui reste, humainement, un des charmes, mais économiquement et politiquement, une des calamités du Vieux Continent39 ». L’unification de l’Europe voulue par les États-Unis à travers l’OECE n’avait pas eu lieu40. Dès 1949, Aron relevait que l’unification économique, « jamais nécessaire », « n’a de sens qu’en fonction d’une volonté politique41 ».
30La solution au problème des échanges dans l’OECE fut apportée en 1950 par la mise en place de l’Union européenne des paiements. Le système de l’UEP allait enfin permettre de libéraliser les échanges dans un cadre multilatéral, comme le souhaitaient les Américains, puisque l’on ne considérerait plus les échanges de manière bilatérale, mais globalement, à l’échelle de l’UEP. Par ailleurs, « la crainte d’avoir à payer en or » (en cas de balance trop fortement débitrice) « inciterait les autorités nationales à éviter l’inflation intérieure, source de déficits dans les échanges avec l’extérieur42 ». Tout en approuvant le mécanisme général de l’UEP, Raymond Aron privilégiait toujours la cohésion de l’alliance occidentale ; il observait que l’UEP ne pouvait qu’inquiéter le Royaume-Uni. La Grande-Bretagne n’y avait adhéré qu’avec des réserves, et soupçonnait l’UEP « d’être une machine de guerre dirigée contre la zone sterling et la fonction internationale de la monnaie britannique ».
31La cohésion de l’alliance importait d’autant plus que le communisme était en expansion. Le problème était de ne pas sacrifier aux dépenses militaires le relèvement économique obtenu grâce au Plan Marshall. On devait donc, avant tout, réfléchir au but politique du réarmement. Raymond Aron distinguait deux raisonnements possibles, celui des optimistes, qui pouvait s’appuyer sur le fait que Staline s’était « ingénié à ne pas courir le moindre risque de guerre ». Staline, à la différence d’Hitler, n’avait pas « établi de plan détaillé et de calendrier précis pour la conquête du monde ». En revanche, on ne devait pas douter que si la moindre occasion se présentait, il la saisirait. Il fallait se souvenir des précédents. Raymond Aron rappelait comment, à la veille de déclencher la dernière guerre, « un Ribbentrop en veine de cynisme s’écriait : “Pour quelle raison aurions-nous accumulé tant d’armes si nous n’avions pas eu l’intention de faire la guerre43 ?” »
32Il fallait parer à toute éventualité. On savait désormais, depuis le mois de septembre 1949, que les Soviétiques avaient fait exploser une bombe atomique pendant l’été. On savait aussi, depuis l’interview du chancelier Adenauer au Cleveland Plain Dealer, que la République fédérale envisageait la participation d’un contingent allemand à une éventuelle armée européenne. Raymond Aron remarquait qu’en 1950 la défense nationale dépasserait les moyens des États-nations européens. Il préparait l’opinion à une défense dans le cadre de l’alliance atlantique, et annonçait ce qui allait venir : « Inévitablement, un jour ou l’autre, le problème de la participation allemande sera posé44. » La cassure entre l’Est et l’Ouest du Vieux Continent s’était approfondie au cours de l’année écoulée. L’Occident venait de mettre un terme à la guerre civile en Grèce, il bénéficiait aussi de la dissidence de Tito. On pouvait, pensait Raymond Aron, pousser l’avantage dans les Balkans : « La partie ne serait définitivement gagnée que par le renversement d’Enver Hoxha, roitelet moscovite d’Albanie45. » Mais Washington et Londres ne l’entendaient pas ainsi. Aron était préoccupé du fait de l’acquisition de l’arme nucléaire par l’Union soviétique ; il était également inquiet de la victoire du communisme en Chine. Certes, des progrès économiques et politiques avaient été accomplis à l’Ouest, notamment à travers l’institution de la RFA. Mais celle-ci était encore fragile ; elle était désarmée et, privée de sa zone naturelle d’expansion à l’Est de l’Europe, risquait de faire concurrence aux exportations françaises et britanniques. Les perspectives de détente internationale étaient limitées. Le plan Baruch de contrôle de l’énergie nucléaire s’avérait une impasse, puisque les Soviétiques n’accepteraient en aucun cas que leurs installations fussent inspectées. Les négociations en Europe étaient elles aussi bloquées. Dès cette époque, préoccupé par l’expansion du communisme en Asie, Raymond Aron envisageait la possibilité pour l’Occident de jouer le nationalisme chinois contre l’hégémonie soviétique. L’exemple de la Yougoslavie titiste était là pour le prouver : l’Occident se félicitait de la dissidence yougoslave, mais, ironisait Aron, cette dissidence était « due au génie bien connu du Père des Peuples », elle ne résultait donc pas d’une initiative occidentale46. Par ailleurs, Raymond Aron s’inquiétait des retards dans l’organisation économique de l’Europe occidentale.
33La mise en place du Conseil de l’Europe masquait à ses yeux l’inconsistance du projet, ou du moins l’incapacité à prendre les décisions politiques que requérait la situation. Il n’hésitait pas à faire une comparaison avec l’avant-guerre : « L’exemple de la Société des Nations aurait dû nous apprendre ce qu’il en coûte de confondre fiction et réalité47. » Aron voyait dans l’unification la condition de relèvement du Vieux Continent à long terme, mais ne la pensait pas immédiatement réalisable. Même l’intégration économique, montrait-il, dépend, en fin de compte et avant tout, de décisions politiques. Son analyse était donc guidée, comme toujours, par le primat du politique. Par exemple, la règle d’unanimité, qui s’imposait au Conseil de l’Europe, aboutissait à une oscillation entre décisions techniques et actes politiques, « obligeait finalement, pour respecter la règle d’unanimité, à une extrême prudence de pensée et d’expression ». Il était, poursuivait Aron, « absurde de croire qu’une bureaucratie sans pouvoir entraînerait, malgré eux, les gouvernants48 ».
34Or, la situation européenne de 1950 était inquiétante. La question de la Sarre empoisonnait les rapports franco-allemands. Berlin-Ouest demeurait très vulnérable. La France était enlisée dans la guerre d’Indochine, tandis que l’opinion publique était effrayée par la décision américaine de construire la bombe à hydrogène. La situation d’équilibre apparent qui prévalait depuis 1947 était donc précaire. Staline, observait Raymond Aron, n’avait pas besoin d’un accord en bonne et due forme avec les Occidentaux. Si la guerre éclatait, la violence emporterait tout : « Un gangster n’a pas besoin d’un traité avec l’honnête homme pour être sûr qu’il sera le premier à jouer du couteau49. » Avec l’accession de l’Union soviétique à l’arme nucléaire, « désormais, l’Europe [craignait] d’être “atomisée” et non plus seulement d’être envahie50 ».
35Dans ce contexte marqué par la psychose de guerre, Raymond Aron intervint des deux côtés de l’Atlantique. Dans les colonnes du Figaro, il s’opposait aux arguments neutralistes notamment défendus par Le Monde. Outre-Atlantique, il tentait de faire comprendre aux élites américaines le point de vue des Européens. En avril 1950, il publiait un texte dans le Bulletin of Atomic Scientists, en réponse à l’article dans lequel Leo Szilard avait proposé la neutralisation de l’Europe51. Celui-ci la souhaitait pour conjurer la menace d’une guerre atomique mondiale. Il ne s’agissait pas d’enterrer purement et simplement l’Alliance atlantique, mais de libérer les États d’Europe occidentale de leurs obligations, afin que l’Union soviétique n’eût pas l’impression d’être menacée par les forces américaines. En revanche, l’intégrité de l’Europe occidentale serait toujours garantie par les États-Unis ; leur invasion par l’Union soviétique constituerait toujours un casus belli. Tout en faisant bien la différence entre les neutralistes du Monde et les propositions de Szilard, Raymond Aron s’opposait expressément aux propositions de ce dernier : Szilard commettait l’erreur de sous-estimer la nature idéocratique du régime soviétique. On ne pouvait pas donner satisfaction à Staline pour l’apaiser, pas davantage qu’avec Hitler52. Il fallait prendre son parti du fait que la guerre froide n’était pas une situation transitoire, mais qu’elle était, au contraire, destinée à durer. Le projet subtil qu’avait imaginé Leo Szilard risquait de faire le jeu des neutralistes européens, donc celui de Moscou. Aron redoutait les effets du défaitisme.
36Aux Français, il expliquait que l’« Europe ne peut vivre ni avec le IIIe Reich de 1939, démesurément enflé, ni avec un vide à la place de l’Allemagne53 ». Il contestait ainsi les suggestions de Walter Lippmann qui, dans un article publié par Le Figaro le 21 mars 1950, avait avancé la thèse de la réunification54. Aron partageait avec Walter Lippmann l’idée que la division de l’Allemagne serait transitoire mais, contrairement au journaliste américain, il ne se résignait pas à l’idée d’une Allemagne neutre. Il regardait sans enthousiasme, mais avec une attention bienveillante, les débuts de la République Fédérale. Il souhaitait désormais que le problème de la Sarre, obstacle à la réconciliation franco-allemande, fût levé55. « L’avenir de la République fédérale est incertain », écrivait Raymond Aron56. Il était indispensable à l’équilibre européen qu’une Allemagne occidentale existât et qu’elle fût renforcée : « Puisque les Russes élèvent un bastion soviétique dans leur zone, on ne maintiendra l’équilibre qu’en renforçant la République fédérale. »
37L’idée européenne pouvait servir à arrimer l’Allemagne fédérale à l’Occident : « Les mots d’ordre européens conservent une force virtuelle. Ils risqueraient de la perdre rapidement si l’action ne suivait pas la parole ou si le club des discussions strasbourgeois était confondu avec l’action. » Raymond Aron concédait qu’une union franco-allemande n’était pas pour le moment possible. « Il n’est pas question, écrivait-il, d’opposer un prétendu axe Paris-Bonn à une Europe de Strasbourg. On n’a pas à choisir entre l’entente franco-allemande et l’organisation européenne. » Mais inversement, le projet européen ne serait rien s’il n’intégrait pas l’Allemagne de l’Ouest : « Tel qu’il est constitué, le Conseil de l’Europe est condamné à des débats stériles plus propres à discréditer l’idée qu’à exalter les volontés. » Raymond Aron souhaitait donc une initiative française qui donnerait aux Allemands une place dans la construction européenne, faute de quoi « la fidélité “occidentale” de l’Allemagne ne [pourrait] être garantie définitivement57 ». L’entreprise présenterait inévitablement des risques : n’importe quel gouvernement allemand serait tenté, un jour, de récupérer les terres perdues à l’Est, ou de refaire l’unité du Reich. Cependant, la diplomatie occidentale ne pouvait qu’échouer si elle se montrait incapable de choix audacieux.
38On voit ainsi qu’au printemps 1950, Raymond Aron proposait une nouvelle stratégie pour l’Europe occidentale, fondée sur la consolidation de l’Alliance atlantique, et sur l’intégration de l’Allemagne fédérale à l’Occident. Il ne s’agissait pas, selon lui, de réaliser un réarmement sur une grande échelle, mais plutôt, sous le couvert du parapluie atomique américain, consacré par l’engagement diplomatique des États-Unis – via le containment –, d’offrir aux Allemands de l’Ouest une perspective d’avenir dans une communauté de l’Europe occidentale. La RFA apporterait par son potentiel économique, mais aussi par la puissance militaire virtuellement liée à son économie et à sa population, une contribution décisive à la stabilité et à la défense de l’Europe occidentale. Ces spéculations stratégiques tenaient également au fait que, si l’Allemagne fédérale était alors toujours sous statut d’occupation, il devenait évident que, tôt ou tard, elle recouvrerait sa souveraineté. Il était donc souhaitable, dans la façon dont on traitait le vaincu de 1945, encore sous tutelle, de considérer l’allié dont on aurait besoin dans l’avenir.
39Dans ces circonstances, l’annonce du Plan Schuman le 9 mai 1950, fut favorablement accueillie par Raymond Aron. Dès le surlendemain, le Figaro publiait un article dans lequel l’éditorialiste saluait l’initiative française :
« Ou la proposition française ne signifie rien, ou elle signifie que, pour une fois, rompant avec sa tradition, le Quai d’Orsay prend les devants, ne s’accroche pas sur des positions condamnées et entend négocier directement avec les Allemands un statut acceptable pour tous et, de ce fait, susceptible de durer. Au lieu de prendre des précautions contre les périls d’hier, on regarde en avant. Dans les douze mois qui viennent, l’Allemagne de Bonn va retrouver progressivement sa souveraineté, l’occupation militaire sera maintenue, mais les Hauts-Commissaires deviendront des ambassadeurs. Le moment est donc venu de jeter les bases d’une coopération authentique entre les deux pays58. »
40La proposition Schuman était bien le type d’acte audacieux qu’il espérait, convaincu qu’il était que, sans une authentique réconciliation franco-allemande, l’idée européenne n’aboutirait à aucun résultat. On ne pourrait assurer la défense de l’Europe que par l’intégration de la République fédérale dans l’alliance occidentale. Plus que jamais, la notion d’Europe l’amenait à une réflexion sur la guerre et le phénomène de puissance :
« Convaincus que la guerre représenterait pour eux une catastrophe totale, quelle qu’en soit l’issue, les Européens du continent rêveront d’apaiser Staline, ils parleront de neutralité européenne (mais l’Europe n’existe pas), de neutralité armée (mais nous n’avons pas d’armes). Ils oublieront le fait décisif : c’est la faiblesse de l’Europe qui est une des causes principales de la guerre froide. Tant qu’elle subsiste, Staline ne perd pas l’espoir d’absorber “pacifiquement” le Vieux Monde abandonné par les États-Unis, revenus à l’isolationnisme.
Les partisans d’un réarmement progressif de l’Europe ne désirent pas moins passionnément la paix que les adversaires du réarmement. Ils pensent simplement que le déséquilibre n’a jamais été, dans le passé, facteur de paix. Depuis cinq ans, l’Europe est un vide de puissance. La politique, elle aussi, a horreur du vide59. »
41La construction d’une aire de prospérité en Europe occidentale, grâce au Plan Marshall et au Plan Schuman conjugués à l’Alliance atlantique, dissuaderait l’Union soviétique de tenter une aventure militaire. Aussi Raymond Aron insistait-il sur la nécessité de préserver l’Alliance atlantique : il se méfiait de l’interprétation neutraliste du Plan Schuman, selon laquelle une communauté européenne pourrait s’affranchir de la tutelle américaine. Aron ne se prononçait pas sur les intentions véritables des auteurs du Plan Schuman : « Le désir de neutralité, l’effort pour rendre à la France une certaine autonomie par rapport à l’union atlantique, sont-ils à l’origine de la proposition du Quai d’Orsay ? Pour répondre à la question, il faudrait psychanalyser les principaux responsables au ministère des Affaires étrangères et au Commissariat du Plan60. » En réalité, la France comme l’Allemagne dépendait des crédits américains, et Raymond Aron pouvait écrire : « Cette dépendance ne sera pas effacée miraculeusement même si l’on décide d’additionner les deux déficits. L’Allemagne est radicalement désarmée et la France n’a même pas les moyens militaires d’une puissance de troisième ordre. Encore une fois, la conjoncture [sic] de ces faiblesses ne donnera pas une force61. »
42En fait, le Plan Schuman était avant tout une initiative politique utile, puisque « pour la première fois, une proposition d’unité européenne paraissait à la fois spectaculaire et susceptible de réalisation. La réussite transformerait le climat européen. L’échec provoquerait la plus grave des déceptions62. L’article du 6 juin 1950 insistait sur les vertus politiques du Plan Schuman, et en montrait simultanément les « difficultés extrêmes » sur le plan technique. Par exemple, comment pourrait-on gérer les différences quant aux salaires et aux charges sociales ? Il fallait également tenir compte du fait que, l’Allemagne étant appauvrie, les salaires allemands étaient anormalement bas, bien que la productivité allemande fût nettement supérieure à la productivité française. Dans la mesure où ces questions restaient sans réponse, il était peu probable que la Grande-Bretagne participât au Plan Schuman. La valeur du Plan Schuman était avant tout de nature politique :
« Les propagandistes officiels ont tendance à exagérer les profits économiques qu’entraînerait le pool, au moins à courte échéance. Les ententes réussissent mieux à atténuer la concurrence qu’à rationaliser l’appareil de production ou à liquider les entreprises non rentables. À terme, l’unification des marchés charbonniers et sidérurgiques apparaîtra peut-être comme une étape importante vers l’unification du marché européen. Dans l’immédiat, le projet Schuman signifie surtout que la France propose le dialogue avec l’Allemagne, obstinément refusé jusqu’ à présent.
Du projet à la réalisation, de la publicité à la diplomatie, des mois s’écouleront inévitablement. Nul ne méconnaît les difficultés d’application, mais l’essentiel n’est pas le détail de la mise en œuvre. Il faut que les résultats concrets, fatalement fragmentaires, entretiennent l’espoir qu’a éveillé l’idée.
En 1950, l’Europe ne peut pas se payer le luxe de décevoir les peuples et d’accepter l’échec d’une telle tentative63. »
43 Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que Raymond Aron ait accueilli sans surprise le refus britannique de participer au Plan Schuman64. Celui-ci fut annoncé le 12 juin 1950, à travers un manifeste du parti travailliste. « Je n’ai jamais cru personnellement, écrivait Aron, que la Grande-Bretagne accepterait de sacrifier une parcelle de sa souveraineté sur l’autel de l’Europe unie. Mais on court aujourd’hui le risque de tomber d’un excès dans l’autre. Après avoir exigé une participation impossible, il ne faudrait pas écarter maintenant une collaboration indispensable65. » En l’occurrence, Raymond Aron revenait au discours de Zurich de Winston Churchill ; l’ancien Premier ministre y avait appelé à l’unité européenne comme à un moyen de réaliser la réconciliation franco-allemande. Le Plan Schuman y concourait, quelles que fussent les objections britanniques. Mais il s’agissait au-delà de rendre possible l’existence et la défense d’une Europe occidentale libre :
« Il n’y a pas, dans l’ordre militaire, d’organisation européenne sans la Grande-Bretagne et, à cet égard, celle-ci n’a aucunement freiné le mouvement. Si les partenaires du traité de Bruxelles ne disposent que de forces dérisoires, la faute n’en est pas une quelconque répugnance à collaborer du gouvernement de Londres66. »
44Le début de la guerre de Corée, le 25 juin 1950, porta au premier plan les questions militaires. L’invasion de la Corée du Sud montrait la possibilité d’une transformation de la paix belliqueuse en guerre totale. L’événement remettait en cause les analyses que Raymond Aron avait développées depuis Le Grand Schisme67. La nécessité où se trouvaient les États-Unis de réagir en Asie, alors qu’ils ne disposaient que de forces terrestres limitées, mettait en question leur engagement européen. Or, il n’existait pas d’autre choix, pour organiser la défense de l’Europe occidentale, que de « traiter l’Allemagne en partenaire de la communauté atlantique ». Raymond Aron recommandait d’accélérer le mouvement dans cette direction. On discutait depuis deux mois de la révision du statut d’occupation ; « c’est le statut lui-même qu’il faut supprimer », répondait Aron68. Pour des raisons d’efficacité, il fallait que l’effort de défense européen fût coordonné au niveau supranational. En revanche, on pouvait craindre « que les propos sur l’armée européenne ne servent qu’à couvrir l’absence de toute armée ». Le mythe de l’unité européenne ne devait pas masquer l’incapacité à prendre des décisions politiques : « La propagande européenne, écrivait Aron, est féconde dans la mesure où elle anime l’action quotidienne des gouvernants et des peuples. Autrement elle n’est qu’un mauvais alibi69. »
45C’est en décembre 1950 qu’apparaît pour la première fois le nom de Clausewitz dans les articles du Figaro. Aron, qui était alors aux États-Unis, remarquait :
« Il n’est pas besoin d’être un lecteur régulier de Clausewitz pour reconnaître un fait simple et tragique : il n’y a plus désormais qu’une seule grande armée au monde, l’armée soviétique. Celle-ci est momentanément fixée sur place par la crainte de la guerre générale et de la bombe atomique. Mais aussi longtemps que le vide européen et asiatique ne sera pas comblé, toutes les craintes sont légitimes70. »
46Or, expliquait-il, la position de force de l’URSS depuis 1945 était due à la décision prise par Churchill et Roosevelt, « non pas seulement de vaincre l’Allemagne et le Japon, mais d’acculer les deux pays à une capitulation sans conditions ». D’où résultait l’élimination des deux principales armées, l’armée allemande et l’armée japonaise, susceptibles, l’une en Europe, l’autre en Asie, de tenir tête à l’Union soviétique. Ces analyses reprenaient dans leurs grandes lignes celles de Baldwin dans Great Mistakes of the war, auquel Raymond Aron fit référence à deux reprises71. La seconde occurrence correspond aux accusations portées contre la stratégie de Franklin Delano Roosevelt : « Je crois pour mon compte, écrivait Raymond Aron, qu’il a commis des fautes fatales. C’est lui qui a lancé la formule de la capitulation sans conditions, qui, au moins en Extrême-Orient, a prolongé la guerre et appelé l’intervention russe. Et celle-ci, à son tour, est au moins une des causes du triomphe communiste en Chine et de la crise actuelle. » Du même coup, Aron se faisait l’avocat de MacArthur : « Les critiques formulées contre MacArthur, au cours de ces dernières semaines, en Europe, ont été à ce point excessives qu’on est tenté de prendre sa défense. Lui imputer la responsabilité d’une troisième guerre mondiale, comme le firent certaines publications anglaises de gauche, est proprement grotesque72. » L’erreur de MacArthur en Corée dans les dernières semaines de 1950 n’était donc pas à ses yeux une erreur stratégique, elle n’était pas non plus en elle-même une faute politique ; il s’agissait avant tout d’une erreur tactique. En revanche, Aron admettait que la popularité de MacArthur avait des répercussions politiques, ce qui pouvait justifier, tôt ou tard, le remplacement du général.
47La réflexion de Raymond Aron sur l’Europe à la fin de l’année 1950 était bien avant tout une réflexion stratégique, nourrie des rebondissements spectaculaires du conflit coréen. En juin, le Nord avait envahi le Sud ; en septembre MacArthur avait rétabli la situation par le débarquement d’Inchon, et conquis la quasi-totalité de la Corée du Nord. Mais en décembre, l’intervention chinoise bouscula les Américains, les contraignit à la retraite, et la Corée du Sud fut de nouveau menacée. À certains égards, Raymond Aron considérait qu’on pouvait comparer la guerre de Corée et la situation européenne des années 30. Il s’agissait en fin de compte de deux cas d’échec de la dissuasion : il rappelait qu’à ses yeux la date décisive avait été mars 1936 et non septembre 1938. La France s’était privée elle-même de tout moyen d’action en permettant à la Wehrmacht d’occuper la Rhénanie. L’argument des antimunichois, selon lequel Hitler bluffait, était faux, puisqu’on savait désormais qu’Hitler avait donné l’ordre d’attaquer la Tchécoslovaquie en cas d’échec des négociations. Dans le cas de l’Asie, on pouvait agir de deux manières, soit par des négociations avec Pékin, soit par la menace de guerre totale contre la Chine au cas où celle-ci interviendrait directement en Corée. En décembre 1950, Raymond Aron ne donnait pas expressément tort à MacArthur, partisan de la seconde méthode. Il constatait simplement que le général et le département d’État n’avaient pas les mêmes priorités, et que faute d’avoir choisi, les Américains réduisaient leurs chances de succès. Plus que jamais, la défense de l’Europe occidentale dépendait donc de la dissuasion américaine ; il fallait donc pour préserver l’Alliance atlantique que les Européens consentissent « l’effort total de réarmement », que requérait la situation73.
48Or, l’Europe ne manifestait pas une vigueur particulière pour organiser sa propre défense : « rien n’annonce le réveil de l’Europe », écrivait Aron le 19 décembre. L’attitude des Européens qui, pour des raisons diverses, refusaient de prendre en charge les dépenses militaires liées à leur propre sécurité, représentait un fait historique peut-être sans précédent.
491951 commençait donc par une aggravation des tensions internationales. En Corée, l’armée des Nations unies devait battre en retraite sous la poussée des « volontaires chinois » ; en Europe, l’Union soviétique se faisait menaçante face au projet d’armée européenne. Moscou comptait encore dissuader les Européens de réarmer en utilisant au maximum la peur d’une guerre atomique. Raymond Aron n’avait pas publié de livre depuis Le Grand Schisme. Avec Les Guerres en chaîne, écrit dans les derniers mois de 1950 et paru en juin 1951, il fit le point sur la situation de l’Europe. Il s’agissait de la défense de l’Europe, des chances de sauver la liberté, dans laquelle Raymond Aron voyait la valeur essentielle de la civilisation européenne ; c’était enfin, même si le nom du stratège prussien n’apparaît pas dans ce livre, une question éminemment clausewitzienne.
Notes de bas de page
1 Raymond Aron, « Les deux tentations de l’Européen », Preuves, no 16, juillet 1952, p. 9-11 : « À l’autre extrême, nous trouvons l’attitude des nouveaux collaborateurs, de ceux qui reconnaissent le leadership américain, comme ils proclamaient hier la fatalité du IIIe Reich. Parfois, hélas ! ce sont les mêmes. »
2 Raymond Aron, « Le pacte de l’Atlantique », Le Figaro, 21 décembre 1948.
3 Ibid.
4 Hanson W. Baldwin, Great mistakes of the war, Alvin Redman, London, 1950, 105 p.
5 Par exemple, Simone de Beauvoir, La force des choses, Paris, Folio, 2004 (1re édition 1963), t. I, p. 238.
6 Voyez Georges-Henri Soutou, La guerre de Cinquante Ans, p. 28-29.
7 Raymond Aron, « Fin de la guerre froide ? », « I. Détente », Le Figaro, 8 février 1949.
8 Ibid.
9 Ibid.
10 Raymond Aron, « Fin de la guerre froide ? », « II. Les chances d’un règlement européen », Le Figaro, 16 février 1949.
11 Raymond Aron, « Le Pacte atlantique », « I. Diplomatie et stratégie », Le Figaro, 21 février 1949.
12 Raymond Aron, « Le pacte atlantique », « II. Le cas de la Norvège », Le Figaro, 23 février 1949.
13 Raymond Aron, « Politique allemande », « I. La tâche essentielle », Le Figaro, 30 mars 1949.
14 Ibid.
15 Raymond Aron, « Politique allemande », « II. L’éternelle menace », Le Figaro, 2 avril 1949.
16 Raymond Aron, France and Europe, The Human affairs pamphlets, Henry Regnery, Hinsdale, Illinois, 1949, 24 p. Voyez aussi NAF 28060, boîte 163.
17 Ibid., p. 5.
18 Ibid., p. 8-9.
19 Ernest Renan, La Réforme intellectuelle et morale de la France, Paris, Michel Lévy, 1871, p. 152-153 : « Une seule force au monde sera capable de réparer le mal que l’orgueil féodal, le patriotisme exagéré, l’excès du pouvoir personnel, le peu de développement du gouvernement parlementaire sur le continent ont fait en cette circonstance à la civilisation. Cette force, c’est l’Europe. L’Europe a un intérêt majeur à ce qu’aucune des deux nations ne soit ni trop victorieuse ni trop vaincue. La disparition de la France du nombre des grandes puissances serait la fin de l’équilibre européen. J’ose dire que l’Angleterre en particulier sentirait, le jour où un tel événement viendrait à se produire, les conditions de son existence toutes changées. La France est une des conditions de la prospérité de l’Angleterre. L’Angleterre, selon la grande loi qui veut que la race primitive d’un pays prenne à la longue le dessus sur toutes les invasions, devient chaque jour plus celtique et moins germanique ; dans la grande lutte des races, elle est avec nous ; l’alliance de la France et de l’Angleterre est fondée pour des siècles. »
20 Raymond Aron, France and Europe, p. 9.
21 Ibid., p. 11.
22 Ibid., p. 16.
23 Ibid., p. 18-19.
24 Ibid., p. 20.
25 Ibid., p. 23.
26 Ibid., p. 24.
27 Raymond Aron, « Un an de Plan Marshall. II. La collaboration européenne », Le Figaro, 22 avril 1949.
28 Voyez William Diebold Jr, Trade and Payments in Western Europe, A Study in Economic Cooperation 1947-1951, New York, Harper, 1952, p. 64 sq.
29 Raymond Aron, « Un an de plan Marshall. IV. À la recherche d’une politique », Le Figaro, 4 mai 1949.
30 Raymond Aron, « La conférence de Paris », Le Figaro, 24 mai 1949.
31 Raymond Aron, « Futilité de la diplomatie », Le Figaro, 14 juin 1949.
32 Raymond Aron, « Für ein europäisches Deutschland », Der Monat, 8-9, juin 1949, p. 11-15.
33 Voyez Manfred Overesch, Buchenwald und die DDR, oder die Suche nach Selbstlegitimation, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1995, 351 p.
34 Raymond Aron, « Für ein europäisches Deutschland ».
35 Raymond Aron, « Que peut-on attendre de l’Assemblée européenne ? », Le Figaro, 10 août 1949.
36 Ibid., et « La Grande-Bretagne et l’Europe », Le Figaro, 1er avril 1948. Voyez aussi p. 403 des Guerres en chaîne.
37 Raymond Aron, « Que peut-on attendre de l’Assemblée européenne ? »
38 Raymond Aron, « Plan Marshall et unité européenne. I. Plan Marshall et unité européenne », Le Figaro, 1er novembre 1949.
39 Ibid.
40 Voyez Robert Marjolin, Le travail d’une vie, Mémoires, 1911-1986, Paris, Robert Laffont, 1986, 445 p. ; p. 210-211 : « Nous étions donc, en gros, satisfaits de la croissance de la production et de la part qui en était consacrée aux investissements. Mais s’agissait-il vraiment d’un effort européen ? Je devais reconnaître que le résultat global obtenu était dû à l’addition d’efforts nationaux distincts […] Pour la première fois, et je devais retrouver le même problème quelque 10 ans plus tard dans la communauté économique européenne, il apparaissait clairement que l’Europe n’existait pas… » Voyez aussi Pierre Mélandri, Les États-Unis face à l’unification de l’Europe, 1945-1954, Paris, Pédone, 1980.
41 Raymond Aron, « Plan Marshall et unité européenne. II. En quête d’un programme d’action », Le Figaro, 5-6 novembre 1949.
42 Raymond Aron, « L’Union européenne des paiements », Le Figaro, 31 mars 1950.
43 Raymond Aron, « Le réarmement de l’Europe, I. », Le Figaro, 15 décembre 1949.
44 Ibid.
45 Raymond Aron, « Europe 1950 », Le Figaro, 29 décembre 1949.
46 Raymond Aron, « Continuité de la politique américaine », Le Figaro, 25 janvier 1950.
47 Raymond Aron, « Fictions européennes », Le Figaro, 1er février 1950.
48 Ibid.
49 Raymond Aron, « La crise de la diplomatie occidentale », Le Figaro, 10 février 1950.
50 Raymond Aron, « L’illusion de la neutralité », Le Figaro, 17 février 1950.
51 Leo Szilard, « Shall we face the facts? », Bulletin of Atomic Scientists, oct. 1949, vol. 5, no 10, p. 269-273.
52 Raymond Aron, « The Atomic bomb and Europe », Bulletin of the Atomic Scientists, avril 1950, vol. 6, no 4, p. 110-114.
53 Raymond Aron, « L’Allemagne et l’Europe, I. L’unification de l’Allemagne est-elle prochaine ? », Le Figaro, 4 avril 1950.
54 Raymond Aron, « Walter Lippmann, The columnist and historian », in Walter Lippmann and his times, Marquis Childs, James Reston (ed.), Harcourt, Brace, New York, 1959, 246 p.
55 Raymond Aron, « L’Allemagne et l’Europe, III. La restauration démocratique », Le Figaro, 8 avril 1950.
56 Raymond Aron, « L’Allemagne et l’Europe, V. Choix d’une politique », Le Figaro, 20 avril 1950.
57 Ibid.
58 Raymond Aron, « L’initiative française », Le Figaro, 11 mai 1950.
59 Raymond Aron, « La conférence de Londres », Le Figaro, 20-21 mai 1950.
60 Raymond Aron, « Europe et États-Unis », Le Figaro, 3 juin 1950.
61 Ibid. Nous lisons conjonction.
62 Raymond Aron, « Le pool industriel franco-allemand. I. Incertitudes techniques », Le Figaro, 6 juin 1950.
63 Raymond Aron, « Le pool industriel franco-allemand. II. l’Autorité internationale », Le Figaro, 7 juin 1950.
64 Voyez Miriam Camps, Britain and the European community 1955-1963, Princeton, 1964, 547 p.
65 Raymond Aron, « La demi-absence de la Grande-Bretagne », Le Figaro, 19 juin 1950.
66 Ibid.
67 Raymond Aron, « Guerre chaude en Asie, II. Leçon de la Corée », Le Figaro, 5 juillet 1950.
68 Raymond Aron, « Les conditions du salut. II. Le réarmement nécessaire », Le Figaro, 8 août 1950.
69 Raymond Aron, « Fictions et réalités européennes », Le Figaro, 5 septembre 1950.
70 Raymond Aron, « La grande épreuve des États-Unis, IV. priorité de l’Europe ou de l’Asie ? », Le Figaro, 12 décembre 1950.
71 Dans les articles V. « Puissance et impréparation des USA », et VII. « Polémiques et personnalités » (15 décembre 1950).
72 Raymond Aron, « La grande épreuve des États-Unis, VII. « Polémiques et personnalités », Le Figaro, 15 décembre 1950.
73 Raymond Aron, « La grande épreuve des États-Unis, IX. En quête d’une stratégie », Le Figaro, 18 décembre 1950.
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