Chapitre IV. Un combat contre l’Europe hitlérienne, 1938-1943
p. 83-104
Texte intégral
1Dès septembre 1930, lorsque les nazis avaient envoyé cent sept députés au Reichstag, Raymond Aron avait compris que leur arrivée au pouvoir devenait possible. Cette prise de conscience a entraîné, fin 1931 ou début 1932, l’abandon des positions pacifistes et européistes dans lesquelles le jeune Aron se reconnaissait jusque-là. L’accession au pouvoir d’Hitler le 30 janvier 1933 ne constitue donc pas en elle-même une étape dans l’évolution intellectuelle d’Aron, puisque celui-ci l’avait anticipée : dès septembre 1930, l’Allemagne, qui était encore l’Allemagne de Weimar, n’était plus celle de Stresemann, avec laquelle on pensait pouvoir discuter. Si Aron, comme beaucoup de contemporains, avait nourri des illusions sur Brüning, il ne s’en faisait guère sur ses successeurs, Franz von Papen et Kurt von Schleicher.
2De même que 1930 a plus compté que 1933, de même 1936 l’emporte sur 1938. Nous avons vu que le moment critique, où l’on pouvait encore arrêter Hitler grâce aux acquis de la Victoire, fut, selon lui, le 7 mars 1936. La France perd alors non seulement la sécurité pour son propre territoire mais, simultanément, ses moyens d’action contre l’Allemagne, donc son statut de grande puissance. D’où le désespoir du citoyen Aron. Le cas de Fabre-Luce montre que l’affaiblissement de la France suscitait une critique du régime – attitude qui était aussi celle d’Aron – et contribuait aussi à l’égarement de nombreux esprits, qui voyaient dans l’imitation du fascisme un recours possible. Aron refusait pour sa part de consentir à l’hégémonie allemande en Europe centrale et orientale, mais il n’a pas vraiment analysé le rapport de force : vallait-il mieux faire la guerre sur le champ, ou bien se donner le temps d’un sursis, sachant que la guerre avait été rendue inévitable par l’abandon de 36 ? Aron ne répond pas alors à cette question, il ne l’a posée que plus tard. L’essentiel est qu’il était déjà, depuis 1936, dans la perspective de la guerre et d’une résistance acharnée au nazisme, de même que Fabre-Luce était, dès cette époque, sur le chemin d’un compromis avec l’Allemagne nazie.
3Juste avant la guerre, les réflexions politiques de Raymond Aron se sont élevées à l’échelle de l’Europe. Sous l’influence essentielle d’Élie Halévy, il a conceptualisé l’opposition radicale des démocraties et des tyrannies, afin de définir les conditions d’un possible sursaut de celles-là contre celles-ci. L’intérêt d’Aron pour Machiavel et Pareto dans les années 1937-1939 procède de cette réflexion pour comprendre le fonctionnement des régimes totalitaires, et comment ils ont pu renverser des démocraties libérales.
4La défaite de 1940 modifie la situation historique. Avec celle-ci, dont la rapidité a surpris Aron comme tout le monde, l’Europe hitlérienne devenait une réalité. La position d’Aron à Londres, rédacteur de La France libre, fut de combattre la collaboration, sans toutefois condamner l’armistice. Sur ce dernier point, sur lequel il s’est expliqué par la suite à plusieurs reprises, la discrétion s’imposait tant que durait le conflit. Dialectiquement, il fallait bien opposer quelque chose à l’Europe hitlérienne pendant la « bataille des propagandes ». Aussi est-ce dans ce contexte des années d’exil, depuis Londres, que Raymond Aron a développé sa propre conception de l’Europe. Celle-ci apparaît au tournant de la guerre, au début de 1943.
5L’analyse de la situation européenne a été à au moins deux reprises l’objet des débats de la Société française de philosophie dans les années d’avant-guerre. La première fois avec la séance du 28 novembre 1936, lorsqu’Élie Halévy exposa ses réflexions sur le socialisme et la guerre, publiées ensuite sous le titre L’Ère des tyrannies1, avec une contribution d’Aron2. La seconde occasion fut la séance du 17 juin 19393. Entre les deux, Raymond Aron avait commenté L’Ère des tyrannies dans un article de la Revue de métaphysique et de morale publié en hommage à Halévy, qui était mort le 28 août 19374. Dans les Mémoires, l’importance de ces interventions est soulignée : après l’article d’Europe où il souscrivait à la thèse de Trotski sur l’impérialisme hitlérien – dirigé à la fois contre l’Est et contre l’Ouest –, Aron n’écrivit « plus rien sur Hitler, l’Allemagne et la politique internationale jusqu’à la guerre, à trois exceptions près5 » : l’article d’Inventaire intitulé « une révolution antiprolétarienne », l’article de la Revue de métaphysique et de morale sur L’Ère des tyrannies, et la communication de juin 1939.
6L’influence du fondateur de la Revue de métaphysique et de morale sur le jeune Aron a été observée à maintes reprises6. Elle a contribué à éloigner Aron de l’influence alinienne, dans la mesure où les analyses historiques d’Élie Halévy, lui-même ami d’Alain, aboutissaient à des conclusions opposées à celles d’Émile Chartier : la guerre deviendrait probable, et la liberté en serait l’enjeu7. Alors qu’Aron avait déjà pris connaissance de la situation allemande, il répugnait à envisager les régimes totalitaires dans ce qu’ils avaient de commun. Élie Halévy insistait au contraire sur les aspects communs des tyrannies, et allait jusqu’à qualifier de fascisme le régime bolchévique, puisqu’il devait son existence au coup d’État opéré par une bande armée. Puisque la Marche sur Rome n’avait été qu’une comédie et que le IIIe Reich n’était pas né d’un putsch le 9 novembre 1923, mais presque dix ans plus tard dans des formes légales, c’était donc à Moscou qu’existait – pour peu que l’on admît la définition d’Élie Halévy – le seul régime authentiquement fasciste8.
7Élie Halévy était aussi l’historien de l’Angleterre et du socialisme européen. Selon lui, le socialisme comportait une contradiction, puisqu’il se présentait aussi bien comme un mouvement d’émancipation que sous la forme d’une bureaucratie toute-puissante, une fois arrivé au pouvoir, ce qui était advenu en Russie. Or, l’exemple soviétique manifestait selon Halévy une tendance inhérente au socialisme européen en général, dans la mesure où tout son programme pouvait être ramené à l’organisation et l’étatisation. On a pu dire qu’Halévy a été social-démocrate9 jusqu’à la première guerre mondiale, du fait qu’il restait alors attaché aux principes de solidarité du saint-simonisme. Il s’agissait d’un socialisme français pré-marxiste, donc non-marxiste. La réflexion qui aboutit à l’Ère des tyrannies fut suscitée par la conjonction de la guerre, qui renforça considérablement le rôle des États, et par la révolution d’Octobre qui mit en place la première tyrannie du XXe siècle. Élie Halévy est donc devenu libéral grâce à la révolution d’Octobre, puisque c’est le moment où il a décidé que la liberté politique était l’essentiel. Or, il jugeait qu’elle était impossible dans le cadre du socialisme européen, prisonnier de sa contradiction consubstantielle, entre une intention émancipatrice et une réalité bureaucratique.
8La vision historique d’Élie Halévy peut être comprise à travers l’article qu’il écrivit pour le recueil Inventaires, publié sous la direction de Célestin Bouglé en 193610. Élie Halévy définissait la tradition nationale anglaise comme une tradition de libéralisme, mais posait immédiatement la distinction entre libéralisme politique et libéralisme économique. Le libéralisme politique remontait selon lui à la Glorieuse révolution de 1688. Quant au libéralisme économique, Élie Halévy en situait l’origine en 1776, date de la publication du livre d’Adam Smith Sur la nature et les causes de la richesse des nations. Les deux libéralismes, rappelait-il, « reposent sur un même sentiment d’hostilité à l’égard de l’idée gouvernementale ». Halévy n’aimait guère le travaillisme : avec la révolution industrielle, écrivait-il, les ouvriers eurent recours à « la tyrannie syndicale, seule arme dont ils disposent pour se défendre11 ».
9Lorsque Raymond Aron travailla sous la direction de Célestin Bouglé, avec Marjolin et quelques autres pour publier L’Ère des tyrannies en 1938, il avait déjà traversé la Manche en esprit, du moins si l’on entend par là, non le défaitisme, mais au contraire la volonté ferme de combattre pour la liberté aux côtés des Anglais, alliés naturels dès lors que l’on avait choisi cette cause. L’idée n’était pas nouvelle. Comme Henri de Saint-Simon en 1814, Élie Halévy offrait « l’Angleterre et sa constitution en modèle à l’Europe entière12 ». Saint-Simon voyait dans l’alliance franco-britannique le prélude nécessaire à une Europe pacifiée, politiquement homogène, dès lors que tous les États auraient adopté le même type de régime libéral, inspiré du parlementarisme anglais. Unissant leurs forces, la France et l’Angleterre pourraient faire prévaloir en Europe les vertus du libéralisme politique13.
10Mais alors que le comte de Saint-Simon écrivait juste avant l’ouverture du Congrès de Vienne, à la fin des guerres napoléoniennes, Raymond Aron commenta L’Ère des tyrannies en 1939, dans un contexte où la guerre paraissait désormais inévitable. Dans « Le socialisme et la guerre14 », Aron discute l’explication d’Halévy sur les origines la première guerre mondiale. Celui-ci ramenait tout à la liquidation de l’Autriche-Hongrie15. Cette explication ne suffisait pas à Raymond Aron, qui souhaitait étendre la réflexion à l’équilibre européen. C’est alors qu’il formule, pour la première fois de manière précise, la thèse qui a sous-tendu plus tard sa comparaison fréquente entre les guerres européennes du XXe siècle et la guerre du Péloponnèse : la Grande Guerre avait pour enjeu le risque d’hégémonie allemande sur le continent. Par comparaison, il montrait combien les démocraties occidentales étaient tombées bas : « On pourrait dire encore que la France et l’Angleterre ont refusé d’accepter en 1914 ce qu’elles ont accordé pacifiquement en 1938 : la suprématie de l’Allemagne en Europe centrale et orientale16. » Cette remarque antimunichoise se prolongeait par la discussion des autres thèses d’Halévy. Aron ne pensait pas que l’on pût imputer à l’économie de guerre la genèse des régimes totalitaires, puisque les régimes fascistes avaient été créés après la guerre et dans la légalité. Il constatait que les nazis ne recueillaient que six cent mille voix en 1928 et qu’ils avaient décuplé leurs résultats en 1930, malgré l’évacuation anticipée de la Rhénanie par l’armée française. Le succès des nazis, écrivait Aron, n’était qu’en apparence imputable au traité de Versailles17.
11Alors qu’Élie Havévy assimilait les tyrannies soviétique et fascistes, Aron distinguait entre les politiques économiques et étrangères poursuivies par les États totalitaires. Il avait, dans sa contribution à la séance du 28 novembre 1936, conclu à la différence des tyrannies communiste et fascistes : il était possible d’imaginer l’économie communiste fonctionnant dans l’intérêt général pour élever le niveau de vie. Les fascismes, surtout le nazisme, préparaient une nouvelle guerre européenne18. Aron analysait les dictatures fascistes à partir de la sociologie de Pareto. Le fascisme correspondait à l’avènement d’une élite rajeunie, violente, de tempérament révolutionnaire, à la place d’une élite bourgeoise humanitaire. En Occident, ce type de tyrannie était le plus facile à établir et disposait de deux avantages : « Elle conserve les techniciens de la vieille société et elle donne le pouvoir à des hommes qui savent commander19. » Le communisme valait donc mieux que le fascisme :
« Le communisme tâche d’apprendre à lire à tous les hommes, et ceux-ci ne se contenteront pas toujours du Capital. Même l’idéologie unique n’a pas la même signification : le communisme est la transposition, la caricature d’une religion du salut, les fascismes ne connaissent plus l’Humanité20. »
12Peut-être faut-il y voir le souhait de trouver en l’URSS un allié. Dans les entretiens du Spectateur engagé, Aron a déclaré qu’il n’avait été libéré de ses inhibitions, relativement à l’URSS de Staline, qu’à la veille de la guerre, par le pacte germano-soviétique du 23 août 1939. Déjà en novembre 1936, il se montrait convaincu de l’inimitié fondamentale entre les régimes soviétique et nazi, intuition contredite par le pacte germano-soviétique, mais finalement vérifiée après le 22 juin 1941.
13La dernière intervention publique remarquable de Raymond Aron avant la guerre eut lieu à la séance de la Société française de philosophie 17 juin 193921. Il y analysait les conséquences des totalitarismes fascistes sur l’ordre européen : « Les régimes totalitaires sont authentiquement révolutionnaires, les démocraties essentiellement conservatrices. » Les autres propositions complétaient cette opposition fondamentale : les régimes totalitaires s’opposaient premièrement aux démocraties et non au communisme ; on devait admettre le primat de la politique étrangère. Du primat du politique découlait l’impossibilité de résoudre les conflits diplomatiques par des moyens économiques.
14L’un des fondements de l’argumentation d’Aron était la critique de l’idée révolutionnaire. Celle-ci apparaissait à deux niveaux. D’une part, il répétait que la nature des États fascistes était révolutionnaire. Allant plus loin que dans le commentaire de L’Ère des tyrannies, il redéfinissait l’opposition entre communisme et national-socialisme, mais en des termes inacceptables pour la gauche, ceux d’une rivalité mimétique, sans exclure une alliance des deux régimes : « Je ne pense pas que ce soit pour des raisons idéologiques que l’Allemagne nationale-socialiste soit hostile à l’URSS. Bien plus, on n’ignore pas que l’Allemagne garde, comme une des dernières réserves de sa politique étrangère, l’idée d’une alliance avec la Russie, alliance qui paraît d’ailleurs peu probable22. »
15D’autre part, Aron proposait de « remettre en question le progressisme, le moralisme abstrait ou les idées de 1789 ». Il mettait en cause l’idéologie de la gauche républicaine, au motif que les mythes de la gauche ne pourraient sauver la démocratie française, puisqu’ils ne permettaient pas de penser la situation européenne du moment. Inversement, il mettait en garde les conservateurs tentés par l’alliance avec les fascismes. Il fallait s’affranchir des préjugés liés à l’histoire de France, et reconnaître le caractère révolutionnaire des tyrannies, et avant tout du national-socialisme allemand23. Aron précisa sa conception du conservatisme démocratique ou libéral, en des termes qui s’inscrivent dans la continuité de sa thèse, mais aussi dans la lignée d’Edmund Burke : la liberté n’est possible que dans une tradition politique. « Je pense, disait-il, que les démocraties sont fondamentalement conservatrices, en ce sens qu’elles veulent conserver les valeurs traditionnelles sur lesquelles est fondée notre civilisation. » Il opposait cet esprit de conservation à la « mobilisation permanente » dans les régimes totalitaires, et concluait clairement que les réformateurs des démocraties s’opposaient aux révolutionnaires ; ils étaient donc objectivement conservateurs ou contrerévolutionnaires. Aron assumait le premier terme et écartait le second dans une profession de libéralisme :
« Par rapport à ceux qui veulent diriger complètement l’économie et introduire la technique jusque dans la propagande ; par rapport aux hommes qui veulent utiliser tous les hommes comme objets de propagande, nous sommes tous encore conservateurs, puisque nous sommes des libéraux, qui voulons sauver quelque chose de la dignité et de l’autonomie personnelles. Je pense que même une démocratie renouvelée serait conservatrice en ce sens. J’ai peur qu’on ne prête un coefficient de valeur au terme révolutionnaire et un coefficient de mépris au terme conservateur ; historiquement, il s’agit de savoir si l’on veut conserver en transformant, en améliorant. La révolution, en revanche, c’est la destruction.
Je ne suis pas pour la destruction radicale de notre société actuelle24. »
16Ces propos suscitèrent une réaction passionnée de Victor Basch, qui n’admettait pas la critique des idées de 89 et de l’antifascisme. Aron répondit en accentuant son attaque contre l’antifascisme. Il ne considérait pas les émeutes du 6 février 1934 comme une véritable menace pour la démocratie. En revanche, il existait une menace extérieure que les antifascistes aggravaient par leur pacifisme irresponsable. Aron n’épargnait pas davantage la politique économique du Front populaire :
« Si on dit que le mouvement antifasciste a sauvé la démocratie, il faut tout de même voir le développement de la démagogie économique, les torts considérables et profonds faits à l’économie française par des mesures insanes – car j’appelle insane une politique économique qui consiste, dans la même année, à diminuer de 20 % la durée du travail et à augmenter de 50 % le salaire, ce qui n’est possible ni dans le régime capitaliste, ni dans aucun autre régime ; je pense que beaucoup de mesures prises par le gouvernement du Front populaire ont été, en fait, fâcheuses pour le pays, et que, dans la mesure où l’on intensifiait encore les conflits entre partis français, on rendait impossible le fonctionnement normal de la vie parlementaire25. »
17Comme dans l’Introduction à la philosophie de l’histoire, les institutions – l’esprit objectif – restaient donc la garantie de la liberté concrète26. Aron affirmait que l’on ne pouvait pas dissocier libéralisme politique et libéralisme économique27. Préférant définir la démocratie par l’état de droit, plutôt que par référence aux idées de 1789 qu’il jugeait abstraites, il se distinguait de la gauche française et se rapprochait, via l’influence d’Élie Halévy, du modèle politique britannique et du libéralisme conservateur d’Edmund Burke.
18Aron proposait aussi une méthode pour ne pas se méprendre sur les intentions des régimes totalitaires. L’économiste libéral Charles Rist s’interrogeait sur l’utilité économique des annexions. Après tout, le Reich avait ajouté à sa puissance industrielle par l’annexion du Sudetenland, puis de la Bohême-Moravie, mais il aurait pu obtenir l’équivalent, peut-être davantage sans la conquête, par de simples accords commerciaux. Aron répondit que tel serait bien le cas dans une économie ouverte, mais qu’il en allait autrement dans le système autarcique du IIIe Reich. L’annexion avait un sens si elle préparait le terrain pour de plus vastes ambitions. La communication de juin 1939 manifeste un effort particulier pour connaître le point de vue de l’ennemi, puisqu’elle fait référence aussi bien à Mein Kampf qu’au livre de Rauschning28 et à Carl Schmitt. À ce titre, elle représente une étape importante dans l’élaboration de la méthode d’Aron. L’Europe des années trente a été le prototype de ce qu’il a ensuite appelé « système hétérogène ». Depuis 1932, Aron ne croyait plus en les chances de l’internationalisme socialiste pour sauver la paix. En 1939, il s’appuyait sur la défense des institutions pour défendre la tradition libérale, que menaçait en Europe l’expansion ou la séduction des fascismes. Et c’est dans ce contexte qu’il fut de ceux qui, autour de Célestin Bouglé, entretinrent l’héritage intellectuel d’Élie Halévy, comme Robert Marjolin et Étienne Mantoux. Celui-ci le félicita : « Je crois comme vous que ceux qui réussiront à conserver les valeurs dont je parle seront des libéraux, et non pas de ces libéraux à l’oreille basse qui n’osent pas dire leur nom, mais des libéraux prêts à défendre la liberté, non seulement politique, mais aussi économique29. »
19Les textes que Raymond Aron écrivit au début de la guerre montrent une parfaite continuité intellectuelle avec ses positions de juin 1939, au point que l’on pourrait soutenir que la déclaration de guerre n’a pas été un événement dans l’histoire de sa pensée. Dès 1938, peut-être dès 1936, il s’était en effet préparé à la guerre : il l’avait vue venir, et il avait compris que la France y jouerait sa survie. Sa thèse même procédait d’un sursaut civique, pour éviter une nouvelle défaite intellectuelle, puisque c’est en ces termes que Renan avait analysé 1870, et que Marc Bloch interpréta, en reprenant les leçons de La Réforme intellectuelle et morale de la France, l’étrange défaite de mai-juin 194030.
20Pendant la drôle de guerre, Aron s’occupait à rédiger un manuscrit sur le machiavélisme dans le but de comprendre les régimes totalitaires comme une forme de machiavélisme moderne. Il exprimait son indignation contre le pacte germano-soviétique, qu’il présentait comme la rencontre de deux révolutions. Il insistait sur la docilité des communistes français, qui avaient « presque tous admis que la signification concrète de la notion d’agression avait changé, depuis que l’URSS avait passé dans le camp des agresseurs ». Mais surtout, on avait changé d’échelle : « Il s’agit du destin, non plus des cités italiennes, mais des grands empires. L’avenir de l’Europe est en jeu31. »
21La situation européenne lui paraît alors tragique. Les tyrans démagogues, « chefs sceptiques mais résolus » ne croient pas en la foi sur laquelle ils édifient leur puissance, ce qui ressort singulièrement du pacte germano-soviétique32. Il s’interroge sur l’essence de la politique : « La puissance est-elle la fin immanente de la politique ? » Aron a été, à partir de là, un critique régulier de la Machtpolitik et de l’impérialisme. La recherche de la puissance pour elle-même aboutit en effet au nihilisme. Lors de la drôle de guerre, Raymond Aron était désemparé :
« Pourquoi à l’optimisme du siècle dernier succède ce pessimisme ? Pourquoi le primat de la politique à l’obsession de l’économique ou du social ? Pourquoi ces religions élémentaires et fanatiques se substituent-elles au libéralisme ? Pourquoi ces affirmations irrationnelles au culte de la science et de la raison33 ? »
22L’irruption des Panzer de Guderian interrompit ces méditations et entraîna leur auteur dans la débandade générale. Il ne fait aucun doute que le choix de l’exil, l’arrachement à sa famille et à sa patrie, furent un déchirement. Il n’empêche que la décision de franchir la Manche – dans laquelle entrait peut-être aussi la conscience de l’impossibilité, pour un intellectuel juif, de rester dans la France du maréchal Pétain – est entièrement cohérente par rapport aux positions soutenues depuis 1938. Devenu rédacteur en chef de La France libre à Londres, Aron reprit ses réflexions là où ils les avaient laissées quand il fut dérangé par la Wehrmacht.
23Lorsque Raymond Aron, exilé à Londres, devint le rédacteur en chef de La France libre, il prit le pseudonyme de René Avord, dont il signa ses articles jusqu’au moment où, le 14 juillet 1943, sa femme et sa fille purent le rejoindre34. Les articles de Raymond Aron dans La France libre pourraient être rangés en plusieurs catégories. Les uns représentent une chronique de la France occupée, d’autres, dans la seconde moitié de la guerre, ont une intention prospective.
24Il s’agit d’établir comment Raymond Aron est parvenu, dans la première moitié de la guerre, à une conception personnelle de l’Europe. Il est possible de suivre les articles de La France libre qui se rapportent à la question européenne selon trois thèmes. Le premier dans l’ordre chronologique – novembre 1940-février 1942 – prolonge les réflexions de 1939 sur le machiavélisme moderne ; Aron traite les questions qu’il avait laissées sans réponses avant la défaite : le salut de l’Europe requiert que l’on échappe au nihilisme et au romantisme de la violence, sur lesquels le nazisme a fondé sa politique de puissance. Le deuxième consiste, d’avril 1942 à janvier 1943, en un éloge du pluralisme et des vertus démocratiques. Le troisième thème est la dénonciation de l’empire hitlérien et de la propagande européenne du Reich, alibi de l’impérialisme nazi. Présent dès le début, ce thème gagne en intensité au tournant de la guerre (septembre 42-juillet 1943).
25Les tyrannies modernes donnaient à l’auteur du Prince une nouvelle actualité : « Notre temps paraît machiavélique, écrivait Aron, parce que les élites violentes qui ont accompli les révolutions du XXe siècle conçoivent spontanément la politique sur le mode machiavélique35. » Aron évoquait l’extermination des peuples vaincus après les massacres de Himmler en Pologne. Dans « Philosophie du pacifisme36 », Aron reprit la référence à Spinoza qu’il avait utilisée en 193137. La paix ne pouvait en effet plus être la valeur suprême que Spinoza voulait qu’elle fût. À la formule spinoziste, Aron substituait désormais celle de Tacite, tirée du discours de Calgacus dans la Vie d’Agricola : « Là où ils font le désert, ils parlent de paix38. » Que la comparaison historique fût légitime ou non39, il entendait par là que des hommes libres ne pourraient consentir à une éventuelle paix nazie, que la paix par l’empire était en l’occurrence inacceptable. Pour y résister, les peuples libres manifestaient « dans la défense de leur liberté autant de discipline, autant de courage, autant de volonté que les masses fanatisées au service de leurs tyrans40 ». Autrement dit, dans la conduite d’une guerre juste, les citoyens des démocraties étaient, comme l’avait espéré Aron en juin 1939, « capables des mêmes vertus » que ceux des États totalitaires.
26La réflexion sur Machiavel amena Raymond Aron à assumer le rôle de propagandiste au service des démocraties libérales41. Parallèlement à la critique du machiavélisme moderne et de ses tendances nihilistes, le deuxième thème de la propagande aronienne fut le rejet du mythe révolutionnaire exalté par Goebbels et la collaboration, auquel il oppose le mythe de la Libération. L’idée du machiavélisme modéré naquit en effet des circonstances de la lutte contre l’Allemagne nazie. Elle consiste finalement à assumer la guerre ; pour vaincre l’ennemi, on accepte, au moins dans certaines limites – là est la modération de ce machiavélisme – que la fin justifie les moyens. Cela commence par le postulat que la guerre est juste, puisqu’il y va de valeurs essentielles et de l’existence même des nations européennes, tout cela étant nié par la Weltanschauung nazie. Il ne s’agit donc pas, comme Matthias Oppermann l’a relevé le premier, d’une simple guerre de défense, mais bien d’un justum bellum42, conception diamétralement opposée à ce qu’Aron avait pensé jusqu’en 1931. Elle permet aussi de justifier l’œuvre de propagande : la guerre étant une guerre idéologique, il fallait livrer et gagner la bataille des idées.
27Deux moments importants se détachent ici dans le cheminement de Raymond Aron, le premier en juillet 1941, dans « Mythe révolutionnaire et impérialisme germanique43 ». Aron dénonce alors les ambitions illimitées de l’Allemagne : « Pour le Reich, c’est donc une guerre en vue de la conquête d’abord de l’Europe, ensuite du monde44. » Il accuse aussi Goebbels et ses affidés, les collaborateurs, d’avoir détourné au profit du Reich le mythe révolutionnaire. Il vise alors Marcel Déat, qui avait salué « la révolution européenne ». Raymond Aron veut alors conserver aux Alliés le bénéfice du mythe – le mot se comprend toujours dans son acception sorélienne – de la révolution : « Il ne faut pas que le mot révolution, après avoir servi d’expression aux plus hautes espérances de l’humanité, soit utilisé aujourd’hui pour couvrir la plus terrible dégradation qui menace l’Europe civilisée45. »
28Raymond Aron est donc devenu un propagandiste de l’idée révolutionnaire, mais cette position apparemment surprenante s’explique très simplement. La Révolution s’était intégrée à la tradition républicaine :
« Le souvenir de la Révolution française, avec ses épisodes spectaculaires, ses gloires éclatantes, ses luttes titanesques, n’a cessé d’enrichir l’idée révolutionnaire. Dans la philosophie, la révolte du peuple contre l’ordre ancien a été interprétée parfois comme l’acte de suprême vertu, la décision par laquelle l’individu risque sa vie pour choisir son existence, pour se créer une existence conforme à sa volonté. La tradition révolutionnaire est une tradition héroïque : “Vivre libre ou mourir en combattant.” C’est aussi une tradition d’optimisme, de confiance en l’homme, en sa capacité de reconstruire la société conformément à son idéal46. »
29Cette apologie de la révolution allait jusqu’à récupérer Marx. La propagande aronienne rassemblait donc l’héritage révolutionnaire commun aux libéraux et aux socialistes contre le mythe révolutionnaire de la propagande nazie.
30Un an et demi plus tard, en septembre 1942, Aron utilise une approche sensiblement différente dans l’article « Bataille des propagandes ». Il y écrit en effet que la propagande alliée « a pour centre l’idée de libération, devenue peu à peu mythe au sens où Georges Sorel employait ce mot ». La substitution du mythe de la libération au mythe révolutionnaire est significative, puisque Raymond Aron lui donne explicitement un sens politique47. Cette inflexion se comprend si l’on considère l’évolution du conflit entre juillet 1941 et septembre 1942. Lorsque Raymond Aron exaltait l’idée révolutionnaire au bénéfice des Alliés, l’opération Barbarossa venait d’être déclenchée contre l’Union soviétique, mettant un terme à l’isolement dramatique de la Grande-Bretagne. Un an et demi plus tard, les États-Unis étaient entrés en guerre, le rapport de forces était donc devenu favorable aux Alliés, et bien qu’on ne pût, pour des raisons évidentes, se permettre des critiques à l’égard de l’Union soviétique ou de l’idéologie communiste, on pouvait néanmoins commencer à penser la libération, et il n’était pas scandaleux de mettre en avant la liberté politique dans sa version libérale.
31Aron a écrit sur cette question. « De la liberté politique : Montesquieu et Jean-Jacques Rousseau48 », en avril 1942, est l’article dans lequel il expose sa vision du pluralisme. L’article commence par une double référence à Thibaudet49 et à Barrès. Thibaudet affirmait que la pensée française se développe par dialogues, et il en avait lui-même engagé un, dans Les Princes lorrains, avec l’auteur des Diverses familles spirituelles de la France. Le dialogue ou antagonisme entre Montesquieu et Rousseau permettait à Raymond Aron de définir une voie moyenne et de présenter les conditions de possibilité de la liberté politique. Thibaudet voyait dans la France une république platonicienne d’idées. Il commençait par affirmer que la politique, ce sont des idées. Les dialogues constitutifs de la France contemporaine sont chez lui ceux du XIXe siècle ; ils sont issus de la révolution française et confèrent à la France une position privilégiée dans l’Europe intellectuelle. Pour Thibaudet comme auparavant pour Victor Hugo50, « les familles d’idées politiques » forment en France « un diminutif d’Europe divisée51 ».
32La référence complémentaire à Barrès est plus étonnante. Elle s’explique en partie par les origines lorraines de la famille Aron : dans l’exil, Aron ne pouvait pas oublier ce « prince lorrain ». Elle permettait aussi à Aron d’exploiter une faille qu’il avait décelée dans la mobilisation des intellectuels français pour les besoins de la collaboration : Barrès n’était certes pas interdit, mais il semblait victime d’une sorte de consigne de silence. « Aujourd’hui, écrivait Aron le 15 juin 1941, on l’éloigne, il est maintenu à l’écart. Ce silence qu’on a entassé sur Barrès depuis dix-huit mois, on l’épaissit encore. Quels sont ceux qui ont donné la consigne du silence ? Il n’est pas difficile de répondre, mais il est difficile de répondre en clair et publiquement. » Aron retournait donc Barrès contre ceux qui, dans Paris occupé, prétendaient représenter les Lettres françaises. L’auteur des Bastions de l’Est52, monument de la littérature nationale, ne pouvait pas être utilisé au service de la trahison.
33Par la suite, Aron a repris cette inspiration barrésienne dans trois articles intitulés « Au service de l’ennemi » pour fustiger des écrivains collaborateurs, Chardonne, Drieu La Rochelle, Fabre-Luce et Montherlant53. Parce que Barrès ne pouvait pas être revendiqué par les collaborateurs, La France libre devait donc en parler pour attester qu’elle était la France authentique. Aron mobilisa aussi un autre aspect de la pensée de Barrès. Celui-ci, dans les Diverses Familles spirituelles de la France54, avait exalté l’union sacrée. Aron cita ce texte dans « Démocratie et enthousiasme » en juin 1942 : « Cette armée, écrivait Barrès de l’armée française en 1914, remplie de nos contradictions furieuses, s’est montrée face aux Allemands, unie et tout éblouissante de beauté spirituelle. » Mais il est difficile de ne pas penser, bien qu’Aron n’ait pas utilisé ce passage, que Les Diverses Familles spirituelles de la France sont aussi le livre dans lequel Barrès fait une place aux Juifs dans la communauté nationale, dépassant ainsi l’Affaire Dreyfus : Barrès a immortalisé le sacrifice du rabbin Abraham Bloch le samedi 29 août 1914 à Taintrux près de Saint-Dié. Celui-ci risque sa vie pour présenter un crucifix à un soldat mourant qui le prend pour un aumônier catholique. Peu après, il est frappé à son tour et expire dans les bras d’un jésuite55. On aurait donc pu opposer l’exemple de Barrès à l’antisémitisme de l’État français. Aron exaltait ainsi l’unité française comme une unité pluraliste.
34Dans l’article « De la liberté politique » d’avril 1942, Montesquieu et Rousseau sont présentés pour ce qu’ils ont en commun : « la haine des tyrans ». Mais ce sont des caractères que tout semble par ailleurs opposer. Ils sont pour Aron « caractéristiques de deux manières d’aborder le problème politique, de deux manières d’en concevoir la solution56 ». Montesquieu restait le penseur de l’équilibre des pouvoirs, Rousseau celui de la démocratie. On risquait, à ne suivre que Montesquieu, d’aboutir à « un conservatisme résigné », tandis que les « fictions juridiques » de Rousseau, transfigurées en mythes, pouvait servir de fondement à de nouvelles tyrannies : « Si l’on pose l’infaillibilité de la volonté générale, on livre des pouvoirs exorbitants à ceux, majorité ou même minorité, qui, sûrs d’incarner l’absolu de la volonté générale, exerceront avec violence le pouvoir total reconnu à l’État57. »
35La confrontation de l’Esprit des lois et du Contrat social éclairait aux yeux d’Aron le problème fondamental quant à la définition de la liberté politique :
« La liberté politique accordée à l’individu par la participation à la souveraineté collective n’entraîne pas nécessairement les libertés fondamentales de penser, de parler ou d’agir. Les principes démocratiques n’impliquent pas le respect des valeurs libérales58. »
36Ces réflexions conduisaient Raymond Aron à une critique modérée de la révolution française, que l’on pourrait aussi qualifier de position de centre-droit. La critique est modérée, car l’unité de la France Libre ne pouvait souffrir que l’on rejetât la Révolution. Par ailleurs, Aron n’était pas contre-révolutionnaire, il se souvenait que la Révolution avait donné aux Juifs de France la citoyenneté59. Mais il y a critique, et position de centre-droit, dans la mesure où Aron constate que la Révolution laisse un héritage difficile, ce qui amène Aron à être plus proche de Montesquieu que de Rousseau.
37La véritable intention de Rousseau n’apparaît pas dans le Contrat social qui n’est qu’un fragment, la partie théorique du Traité des institutions qu’il envisageait d’écrire. La perspective est donc faussée. L’œuvre achevée aurait probablement réduit l’écart entre Montesquieu et Rousseau, « même si, précisait Aron, le Contrat a eu – et les jacobins nous le prouvent – des lecteurs qui ont négligé la prudence de la théorie60 ».
38Dans un deuxième temps, Aron n’en reprenait pas moins la critique du rousseauisme vulgaire. La Révolution ouvrait deux possibilités, ou bien « rechercher dans les institutions antérieures à la centralisation monarchique, les éléments d’une liberté progressivement élargie », ou bien « une rupture brutale avec l’ordre ancien », notamment avec les prérogatives des corps intermédiaires, en substituant « l’autorité absolue du peuple » à celle du roi. C’est ici qu’apparaît, sur un point essentiel, la première référence à Burke dans les textes d’Aron. Elle porte sur la question des députés. Aron observe que pour Montesquieu comme pour Burke,
« les élus du peuple sont des représentants au sens fort du terme ; une fois choisis, ils examinent et décident selon leur conscience les questions qui leur sont soumises. Au contraire, Rousseau, proclamant la souveraineté incommunicable, est tenté de refuser toute représentation ou, lorsque l’assemblée du peuple devient matériellement impossible, de rabaisser les députés au rôle de délégués. Quelle que soit la source de l’autorité, Montesquieu la veut partagée et limitée, Rousseau, mettant dans le peuple la source de toute autorité, n’admet ni partage ni limites de la souveraineté61 ».
39La substitution de Burke à Montesquieu mérite qu’on s’y arrête. Aron déplace en effet le dialogue qui devient, le temps d’un passage, dialogue entre Rousseau et Burke, donc entre l’auteur des Réflexions et la Révolution, en l’occurrence représentée par l’article 3 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 178962. Tout se passe comme si Aron avait rejoint Burke sur un point essentiel. La liberté de décision des représentants permet de mettre à distance le redoutable pouvoir constituant du peuple souverain, dont Burke avait bien compris la puissance dès le début de la Révolution63. Aron et Burke ont donc en commun d’être deux libéraux conservateurs, et la lecture de Montesquieu par Aron montre qu’il eût été intéressé par l’autre voie que la Révolution aurait pu explorer : celle qui aurait tiré parti d’institutions représentatives anciennes, fondées sur les corps intermédiaires de la société, pour élargir progressivement le champ des libertés. Aron rencontrait donc une difficulté : il reconnaissait l’impossibilité pour la France d’imiter le modèle anglais, mais était malgré tout tenté par ce modèle, en raison des conséquences politiques de la Révolution, qui rendaient difficile l’instauration d’une démocratie libérale stable en France.
40Par sa défense du pluralisme intellectuel, Raymond Aron visait avant tout l’entreprise nazie d’unification de l’Europe. Aron s’inquiétait de savoir si les démocraties étaient capables d’héroïsme, la discipline civique des Britanniques et la résistance des nations européennes avaient apporté une réponse historique. « La tragédie de la civilisation européenne » n’était donc pas sans issue : « L’authentique morale des démocraties, écrivait Aron, est une morale de l’héroïsme, non de la jouissance64. »
41En juillet 1941, dans « Bureaucratie et fanatisme65 », Raymond Aron analysait par quelles tentations l’Allemagne nazie pouvait étendre son influence. Le dénigrement des régimes parlementaires, le goût de la violence, écrivait-il, permettait de comprendre la séduction exercée par les tyrannies, mais
« on serait peut-être tenté d’ajouter une troisième catégorie, celle des esprits séduits par l’idée de l’unité européenne, réalisée par la force sous la direction de l’Allemagne. Mais il s’agit là surtout d’une idéologie invoquée par les défaitistes, les ex-pacifistes, pour couvrir un ralliement intéressé. Il faut être volontairement aveugle pour ne pas voir ce que signifient concrètement l’inégalité des peuples et la domination du peuple-maître66 ».
42Dans « Démocratie et enthousiasme67 », en juin 1942, Aron opposait la tragédie européenne du XXe siècle à la vision de paix développée par Benjamin Constant à la fin de l’époque napoléonienne68. Cette idée correspondait à une sorte de bonheur politique européen. Elle pouvait sembler cruellement démentie par les événements du XXe siècle. Or, Raymond Aron la tenait pour vraie et profonde. Comme dans « De la liberté politique », Aron faisait confiance à la démocratie libérale comme remède au totalitarisme dans un esprit voisin du libéralisme conservateur d’Edmund Burke. Le choix des formules le montre : « les institutions de la démocratie politique s’enracinent dans la tradition, et elles acquièrent d’autant plus de solidité69 » ; plus loin, la même inspiration résonne dans la phrase : « Dans l’Europe libérée, l’idée nationale rajeunie par l’épreuve offrira aux enthousiasmes un centre de ralliement. » La guerre l’amenait finalement à réviser le jugement qu’il avait exprimé en juin 1939 et à suivre l’avis d’Étienne Mantoux : l’optimisme du XIXe siècle n’était finalement pas mort ; la tradition politique libérale française, ouverte sur l’Europe, de Constant à Thibaudet et Halévy, lui permettait de penser dans le temps et de combattre le nihilisme.
43Dans « Bataille des propagandes », en septembre 1942, la question est celle des buts de guerre : la propagande alliée serait essentiellement négative, elle condamnerait l’ordre nouveau mais n’aurait rien à lui opposer. Or, expliquait Aron, la propagande de Goebbels masquait une contradiction de la doctrine hitlérienne. Le national-socialisme n’avait rien à offrir qui justifiât le consentement des peuples d’Europe à son empire. Au contraire, la propagande nazie, faute d’un véritable mythe, n’avait que des illusions ou des diversions à proposer. Aron expliquait ainsi la fonction de l’antisémitisme, destiné à enseigner le mépris des hommes en créant « la complicité la plus subtile et la plus périlleuse, celle de la haine70 ». Mais depuis 1940, Goebbels et ses acolytes avaient été contraints de préciser, au moins sous une forme mythique, les buts de paix de l’Allemagne hitlérienne. Or, la conception nazie de l’unité européenne rencontrait un obstacle majeur : elle allait « directement à l’encontre des sentiments nationaux qui restent pour le moins un des facteurs décisifs de notre époque71 ». Aron empruntait à Hans Delbrück une formule que l’historien allemand avait appliquée aux guerres de libération contre Napoléon : « Les peuples, les nationalités autonomes, ont à l’heure présente une force vitale qu’il n’est au pouvoir d’aucune violence d’étouffer72. » La faiblesse de la propagande allemande résidait dans le fait qu’elle ne pouvait proposer aucun mythe fédérateur aux peuples de l’Europe occupée. La nature même de la Weltanschauung nazie l’excluait.
44Au contraire, « la propagande alliée a[vait] pour centre l’idée de libération, devenue peu à peu mythe au sens où Georges Sorel employait ce mot, à savoir tout à la fois une image du futur et une foi présente, inspiratrice d’action73 ». La guerre menée par les Nations unies était défensive et pouvait ainsi se passer d’un programme dogmatique, précisément parce que les Alliés entendaient restituer aux nations européennes, une fois libérées, la maîtrise de leurs destinées. « Cette guerre est une lutte à mort : il s’agit pour les nations de périr ou de survivre. » Raymond Aron mettait ainsi en avant « la simple reconnaissance de l’enjeu d’une lutte où il y va du tout74 ». Dans la bataille des propagandes, le pluralisme des Nations Unies devait donc l’emporter sur le totalitarisme de l’empire nazi.
45C’est pourquoi Raymond Aron a été, à l’époque, particulièrement sévère avec ceux qui, comme Alfred Fabre-Luce, s’étaient ralliés à l’impérialisme nazi. Parmi les cibles qu’Aron a choisies, Fabre-Luce a été particulièrement accablé dans le deuxième article de la série « Au service de l’ennemi75 », qui lui est presque entièrement consacré. Or, l’affaire est d’autant plus intéressante que Fabre-Luce avait été lu par Aron avec intérêt dès son premier livre en 1924, qu’ils avaient correspondu à plusieurs reprises à partir de 1935, correspondance qui s’était achevée en juillet 1938 sur la lettre où Aron désapprouvait l’engagement de Fabre-Luce au PPF76. En 1942, Aron reprochait surtout à Fabre-Luce d’avoir défendu la thèse que « l’intégration de la France à l’Europe germanique ne devait avoir pour condition ni pour conséquence une nazification de la France77 ». Le deuxième volume du Journal de la France d’Alfred Fabre-Luce accumulait en effet les déclarations susceptibles de se retourner contre lui si le vent de l’histoire venait à changer de sens, ce que la finesse de son esprit lui permit de comprendre à temps. Il déclarait ainsi à l’été 1940 que les Allemands « désirent maintenant que nous entrions vivants dans la nouvelle communauté européenne78 … » Le contresens historique sur les intentions d’Hitler qu’Aron reprochait à Fabre-Luce apparaît dans un passage où Fabre-Luce, dans la logique de la Verständigung d’avant-guerre, évoquait l’éventualité d’un imperium franco-allemand commun sur l’Europe :
« Il nous faut aujourd’hui partir d’une donnée : la victoire allemande. Mais nul ne pense – même en Allemagne – que cette victoire suffise à tout régler. L’histoire européenne nous montre la fragilité des conquêtes de la violence, quand elles ne sont pas étayées par le consentement. L’empire romain reste l’idéal des nations civilisées ; mais il n’a jamais été possible de le recréer par la force d’un seul peuple. C’est une Rome collective qu’il faut construire. Dans cette œuvre, nous ne serons pas sujets, mais collaborateurs ; nous pouvons même devenir – au terme de l’évolution – co-empereurs79. »
46Raymond Aron condamnait avec la même sévérité la Petite anthologie de la Nouvelle Europe dans laquelle Fabre-Luce récupérait Montesquieu au service de ses vues originales sur la collaboration franco-allemande. Fabre-Luce citait le passage de L’Esprit des lois où Montesquieu dit : « C’est à un conquérant de réparer une partie des maux qu’il a faits… » Aron qualifiait d’« aberration » le fait de n’avoir pas vu que ce genre de maxime « constituait la plus sévère condamnation des conquêtes allemandes80 ». À la même époque, Aron avait fait exactement le contraire. Un article de René Avord fut repris dans un recueil qui, sous le titre de Daylight81, visait à rassembler les Lettres européennes contre la politique de puissance des nazis, comme l’expliquait la préface anonyme :
« [Les auteurs] éprouvaient également le besoin, dans une époque comme la nôtre, de réaffirmer la foi selon laquelle la culture européenne est fondamentalement une, si important soit-il de préserver le caractère original de ses manifestations dans chaque peuple ou de son être à l’intérieur d’un peuple, et qu’elle n’a pas seulement des racines communes, mais aussi un avenir commun. Cela est d’autant plus urgent qu’ils voyaient devant eux le spectacle de la Puissance, le maître militaire de l’Europe aujourd’hui, essayant de créer une fausse unité, un mirage en vue de tenter cette vieille soif de concorde et de fraternité de tous les peuples européens, sous le couvert de laquelle elle pourrait détruire le fondement même et la vocation spirituelle de cette civilisation82. »
47Ce texte qu’Aron aurait pu signer, qu’il écrivit peut-être et sous lequel il fut publié, considère l’Europe comme l’unité d’une pluralité. Il montre aussi comment l’Europe, dans la continuité de ce qu’avait voulu faire Paul Desjardins à Pontigny, restait une République des Lettres, celle que l’on pouvait faire vivre à partir de l’héritage de la civilisation chrétienne ou des Lumières, à partir d’auteurs comme Rousseau et Montesquieu – les Lumières françaises – mais aussi bien Burke – les Lumières anglaises.
48L’article « Destin des nationalités83 », en mars 1943, marque l’aboutissement de ces réflexions sur l’Europe. Au tournant de la guerre, alors que la vie armée allemande venait de capituler à Stalingrad, Raymond Aron revenait aux textes d’Élie Halévy pour tenter de comprendre les guerres européennes du XXe siècle, et tenter de discerner ce que pourrait être l’avenir politique de l’Europe après la guerre. Aron exposait une première argumentation, qu’il rejetait : elle consistait en une critique du principe des nationalités. Certains pensaient en effet, alors, que l’application de ce principe après la première guerre mondiale avait favorisé les premiers succès d’Hitler, puis entraîné la guerre. Mais l’argumentation d’Aron avait encore une autre dimension ; il s’agissait d’une attaque directe contre Carl Schmitt, penseur de la Raumrevolution, théoricien nazi du grand espace :
« La propagande, d’origine allemande, en faveur des grands espaces, a séduit nombre d’esprits. On obtient, à l’heure présente, en dénonçant le découpage de l’Europe, le même succès facile et sûr qu’on obtenait, il y a vingt-cinq ans, en dénonçant la diplomatie secrète. Les unités politiques, dit-on, doivent être à la mesure des moyens matériels dont dispose l’humanité. À l’âge des avions et de la télégraphie sans fil, la division de l’Europe en une vingtaine d’États souverains est aussi anachronique que la faucille à main ou la charrue à bras. Militairement, économiquement, politiquement, pontifient les docteurs de la nouvelle sagesse, l’ère des États nationaux, et surtout l’ère des petites nations est close84. »
49Aron décide alors d’examiner la validité de ces thèses. Il commence par reconnaître, de 1789 à 1914, la diffusion des idées françaises issues de la Révolution et l’éveil des nationalités. « En de multiples sens, la guerre précédente mérite donc d’être appelée guerre des nationalités. » La Révolution française n’avait créé ni la France, ni le patriotisme français, mais elle avait fait du patriotisme un sentiment populaire, elle avait communiqué « une ardeur, jusqu’alors inconnue, à la conscience éveillée en chaque individu, d’appartenir à une nation singulière promise à un destin unique85 ». L’apport de la Révolution était donc une recréation de la nation France, dans laquelle « l’être supérieur pour lequel on était prêt à risquer sa vie, c’était désormais l’ensemble des Français, la nation, unité à la fois idéale et réelle ». La grandeur de la Révolution et d’avoir fondé la liberté politique dans le cadre de la nation : « à cette unité, chacun accédait librement, de plain-pied. Entre le citoyen et le souverain, en théorie, les barrières et la hiérarchie avaient disparu : chaque Français participait également de la France. »
50À l’échelle de l’Europe, la Révolution française avait contribué à répandre l’exaltation du sentiment national : « Toutes les nationalités d’Europe, progressivement, s’éveillèrent à une vie nouvelle. Chacune trouva des historiens pour lui rappeler les exploits qu’elle avait accomplis, lui faire connaître les héros dans lesquels elle pouvait se reconnaître et s’admirer, chacun trouva des poètes pour chanter le sol et le ciel de la patrie, la grandeur antique et les malheurs présents. Roumains, Tchèques, Polonais, Serbes, tous se voulurent un avenir en se découvrant un passé. » Le legs historique de la révolution française à l’Europe était le libéralisme politique :
« Depuis un siècle, qu’on le veuille ou non, la France symbolise une pensée libérale et démocratique. C’est dans les doctrines humanistes et progressistes que le monde a reconnu la voix de la France, l’expression authentique de son génie, l’inspiration profonde de son peuple. L’Allemagne au contraire, s’est liée, de plus en plus, à une tradition opposée. En s’identifiant avec le nazisme, elle a rompu avec la tradition occidentale86. »
51Selon Raymond Aron, le traité de Versailles n’était pas responsable de l’échec qui avait suivi. L’erreur n’était pas de fonder un équilibre européen sur la base du droit des nationalités. La faute politique avait été la faiblesse dans l’exécution du traité : « Aucun traité n’aurait pu résister à la désunion et la passivité des vainqueurs87. » À partir de là, Aron défendait l’existence des nations. Les conflits européens ne survenaient pas par la faute des petites nations, mais du fait des rivalités des grandes puissances. La suppression des petites et moyennes nations au profit d’un super-État serait donc certainement une régression en matière de libertés politiques, sans apporter aucune garantie concernant l’équilibre européen et la paix. La politique de puissance, non la pluralité des nations, était à l’origine des guerres européennes. La malédiction du continent résidait donc bien dans la Machtpolitik, non dans le pluralisme des existences nationales :
« Au reste, supposons que l’on supprime les nations petites et moyennes et constitue des super-États. En quoi la paix sera-t-elle plus aisée ou plus stable ? Ce sont les grandes puissances qui, par leurs rivalités, rendent inexpiables les discordes des petites. Les premières ne tomberaient pas plus facilement d’accord si les régions dans lesquelles leurs ambitions s’opposent étaient intégrées à de vastes unités au lieu d’être divisées en États souverains88. »
52Pour Aron, la seconde guerre mondiale était une « guerre impériale », « conçue par un homme galvanisant un peuple entier ». Cette guerre était bien, selon lui, impériale avant tout et secondairement idéologique. Les nations d’Europe luttaient pour leur existence contre l’empire nazi :
« On résiste à l’envahisseur aux cris de “Vive la Pologne !”, “Vive la France !”, “Vive la Hollande !” Nations libres ou empire tyrannique, tel est le sens, pour l’Europe, de la guerre hitlérienne89. »
53L’argumentation sur le grand espace n’emportait pas la conviction sur le plan économique, puisque des unités politiques plus petites se comportaient aussi bien, parfois mieux que des grandes face aux crises. Ce qui minait l’Europe d’avant-guerre, c’étaient avant tout les politiques de nationalisme économique suivies par les États, nationalisme suscité par la crise et le danger de guerre, mais qui n’était pas impliqué par l’indépendance des nations.
54Raymond Aron restait fidèle aux leçons d’Élie Halévy. Il restait attaché au pluralisme politique des nations indépendantes. Il condamnait inversement l’impérialisme et plus généralement la politique de puissance. « Destin des nationalités » n’aboutit pas à la représentation d’une Europe politiquement unifiée. Au contraire, Raymond Aron affirmait la proposition inverse : « l’Europe de demain sera constituée de nationalités indépendantes90 ». En continuité avec « De la liberté politique », Aron concluait en décrivant l’ordre européen souhaitable sous la forme de l’unité d’une pluralité :
« L’Europe des nationalités, après la libération, trouvera-t-elle le secret de cette coexistence pacifique ? En tout cas, aux peuples d’Europe, chargés de souvenirs, conscients et fiers, il n’est pas d’autre voie ouverte. L’aventure est dangereuse, car si les nationalités recommençaient la lutte de tous contre tous, elles retomberaient dans le chaos économique et bientôt dans une nouvelle guerre. Mais seule cette aventure, si elle réusissait, serait vraiment féconde. Car l’Europe n’a de chance d’accéder progressivement à une unité authentique que par l’expérience, dans la liberté de chacun, d’une vie commune à tous91. »
Notes de bas de page
1 Élie Halévy, L’ère des tyrannies. Études sur le socialisme et la guerre, Paris, Gallimard, 1938, 249 p.
2 Contribution de Raymond Aron à la discussion : « É. Halévy, L’Ère des tyrannies », séance du 28 novembre, Bulletin de la Société française de philosophie, 36e année, no 5, octobre-décembre, p. 226-228.
3 Raymond Aron, « États démocratiques et États totalitaires », Bulletin de la Société française de philosophie, 40e année, no 2, avril-mai 1946 ; réédité in Raymond Aron, Penser la liberté, penser la démocratie, Paris, Gallimard, collection Quarto, 2005, 1815 p.
4 Raymond Aron, « L’Ère des tyrannies d’Élie Halévy », Revue de métaphysique et de morale, XVLI, mai 1939, p. 283-307.
5 Mémoires, p. 66-67.
6 Nicolas Baverez, Raymond Aron, p. 99-101.
7 Mémoires, p. 153-154.
8 Élie Halévy, L’Ère des tyrannies, Paris, Gallimard, collection Tel, 1990, 285 p. ; p. 223.
9 Robert Marjolin, op. cit., p. 54.
10 Élie Halévy, « Grandeur, décadence, persistance du libéralisme en Angleterre », in Inventaires. La crise sociale et les idéologies nationales, Paris, Alcan, 1936, p. 5 à 23.
11 Ibid., p. 11.
12 Élie Halévy, L’Ère des tyrannies, op. cit., éditions Tel Gallimard, p. 32, article « La doctrine économique saint-simonienne », 1908. Voyez aussi Henri de Saint-Simon et Augustin Thierry, De la réorganisation de la société européenne ou de la nécessité et des moyens de rassembler les peuples de l’Europe en un seul corps politique, en conservant à chacun son indépendance nationale, Paris, Égron, octobre 1814, 112 p.
13 Ibid., p. xvii.
14 Raymond Aron, « L’Ère des tyrannies d’Élie Halévy », Revue de métaphysique et de morale, mai 1939.
15 Raymond Aron, art. cit., Commentaire, no 28-29, 1985, p. 331.
16 Ibid., p. 332.
17 Ibid., p. 334.
18 Raymond Aron, « Contribution à L’Ère des tyrannies », séance du 28 novembre 1936, Bulletin de la société française de philosophie, XXXVI, 1936, p. 226-228. Publié in Raymond Aron, Machiavel et les tyrannies modernes, Paris, de Fallois, 1993, p. 307-308.
19 Ibid., p. 339.
20 Ibid.
21 Raymond Aron, « États démocratiques et États totalitaires », in Raymond Aron, Penser la liberté, penser la démocratie, Paris, Quarto, 2005, 1815 p. Textes présentés par Nicolas Baverez ; voyez p. 55-106.
22 Ibid., p. 64.
23 Ibid., p. 62.
24 Ibid., p. 79.
25 Ibid., p. 83.
26 Ibid., p. 85.
27 Ibid., p. 69.
28 Hermann Rauschning, Hitler m’a Dit. Confidence du Führer sur son plan de conquête du Monde, Paris, Coopération, 1939, 320 p.
29 Raymond Aron, « États démocratiques et États totalitaires » ; Mémoires, p. 167.
30 Voyez Ernest Renan, La Réforme intellectuelle et morale de la France ; Marc Bloch, L’Étrange défaite, Paris, Franc-tireur, 1946, p. 55-56.
31 Raymond Aron, Machiavel et les tyrannies modernes, Essais sur le machiavélisme moderne, Paris, de Fallois, 1993, p. 60. Les Essais sur le machiavélisme moderne, écrits en 1939-1940, sont restés inédits jusqu’à 1993.
32 Ibid., p. 115-116.
33 Ibid., p. 118.
34 Mémoires, p. 191.
35 Raymond Aron, « Le Machiavélisme, doctrine des tyrannies modernes ». Publié in Chroniques de guerre. La France libre 1940-1945, Paris Gallimard, 1990, 1017 p. Voyez p. 418.
36 Raymond Aron, « Philosophie du pacifisme », janvier 1941, in Chroniques de guerre, La France libre 1940-1945, p. 490-491.
37 Dans l’article « Autre impasse ou devoir présent », Europe, février 1931.
38 Tacite, Agricola, I, 21 : « Auferre, trucidare, rapere, falsis nominibus imperium ; atque, ubi solitudinem faciunt, pacem appellant. »
39 Elle est très probablement empruntée à Simone Weil, Les origines de l’hitlérisme, 1939, qui interprète l’empire romain comme le prototype de l’État totalitaire.
40 Raymond Aron, « Le romantisme de la violence », La France libre, I, 6, p. 550-559, avril 1941. Voyez in Chroniques de guerre, p. 439.
41 Raymond Aron, « Bataille des propagandes », La France libre, IV, 23, p. 372-379. Réédité in Chroniques de guerre, p. 572-583.
42 Voyez Matthias Oppermann, op. cit., p. 252.
43 Raymond Aron, « Mythe révolutionnaire et impérialisme germanique », La France libre, II, 9, juillet 1941, p. 219-227.
44 Ibid., p. 440 dans Chroniques de guerre.
45 Ibid., p. 441.
46 Ibid., p. 441-442 (nous soulignons).
47 Raymond Aron, « Bataille des propagandes ».
48 Raymond Aron, « De la liberté politique : Montesquieu et Jean-Jacques Rousseau », La France libre, III, 17, 1942, p. 374-382, réédité in Chroniques de guerre, p. 635-648.
49 Albert Thibaudet, Les idées politiques de la France, Paris, Stock, 1932, 264 p.
50 Victor Hugo, Histoire d’un crime, Paris, Calmann-Lévy, 1877, t. 2, p. 300-301.
51 Albert Thibaudet, op. cit., p. 7-8.
52 Maurice Barrès, Les Bastions de l’Est. Au service de l’Allemagne, Paris, Félix Juven, 1906, 304 p.
53 Ces trois articles, « Au service de l’ennemi » I, II et III, paraissent de décembre 1942 à mars 1943 dans La France Libre, respectivement V, 25, p. 70-78, V, 26, p. 138-145, V, 28, p. 268-274. Ils ont été repris dans L’Homme contre les tyrans sous le titre Séduction des tyrannies, voir Chroniques de guerre, p. 521-555.
54 Maurice Barrès, Les Diverses Familles spirituelles de la France, Paris, Émile Paul, 1917, 316 p.
55 Maurice Barrès, op. cit., p. 92-93.
56 Raymond Aron, « De la liberté politique : Montesquieu et Jean-Jacques Rousseau », p. 636.
57 Ibid., p. 648.
58 Ibid., p. 644.
59 Voyez Marie-Laurence Netter, « Raymond Aron and the French Revolution », European Journal of Political Theory, 2003, 2, p. 376: « This is something that a Jewish person cannot forget. We are talking about the positive side of the Revolution, about principles introduced in the 18th century and which progressively spread throughout Europe. In France the new principle of equality before the law, eventually the right to vote, these are the achievements of the French Revolution. »
60 Aron cherche ici, art. cit., p. 645, à relativiser l’opposition, d’une manière qui semble caractéristique de son tempérament, puisqu’il a suivi par rapport à Clausewitz le même genre de démarche. Le Rousseau vulgaire ne serait donc pas le vrai Jean-Jacques, de même que le vrai Clausewitz n’apparaît que dans le chap. 1 du livre I de Vom Kriege, puisqu’il n’a pas eu le temps de revoir le reste.
61 Raymond Aron, « De la liberté politique », art. cit., p. 647.
62 « Le principe de toute Souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément. »
63 Voyez Philippe Raynaud, « Qu’est-ce que le libéralisme ? », Commentaire, no 118, été 2007, p. 331 : « Ce que les Français ont fait de terrible, nous dit Burke, c’est qu’ils ont déchiré le voile sur une réalité toujours sous-jacente dans la politique et que les Anglais avaient sagement recouverte : la souveraineté du peuple, le fait que les hommes ont un pouvoir instituant sans limites a priori. »
64 Raymond Aron, « Naissance des tyrannies », La France libre, II, 8, p. 131-141, juin 1941. Réédité dans Chroniques de guerre, p. 505-518 ; p. 518.
65 Raymond Aron, « Bureaucratie et fanatisme », La France libre, III, 14, juillet 1941. Réédité dans Chroniques de guerre, p. 452-465.
66 Ibid., p. 462.
67 Raymond Aron, « Démocratie et enthousiasme », La France libre, IV, 20, p. 89-96. Réédité dans Chroniques de guerre, p. 649-660.
68 Benjamin Constant, De l’esprit de conquête et de l’usurpation dans leurs rapports avec la civilisation européenne, Paris Le Normant et Nicolle, 1814, 199 p.
69 Raymond Aron, art. cit., p. 658.
70 Raymond Aron, « Bataille des propagandes », p. 574.
71 Ibid., p. 579.
72 Ibid.
73 Ibid., p. 580.
74 Ibid., p. 583.
75 Raymond Aron, « Au service de l’ennemi », II, La France libre, V, 26, p. 70-78. Repris in Chroniques de guerre, p. 534-545.
76 L’article, en forme d’exécution, fut à l’origine d’un échange de lettres intense par lequel Fabre-Luce supplia Aron de réviser son jugement, ce que ce dernier refusa d’abord de faire, avant de concéder que Fabre-Luce avait abandonné le camp des collaborateurs en novembre 1942, ce qui se concrétisa par l’insertion d’une note dans les éditions ultérieures des articles de guerre – p. 534 dans le recueil posthume. Une seconde note rappelle que Fabre-Luce fut détenu quelque temps par la Gestapo à cause du troisième volume du Journal de la France dans lequel, en 1943, il virait enfin de bord.
77 Ibid., p. 536.
78 Alfred Fabre-Luce, Journal de la France, t. 2, Paris, JEP, 1942, p. 28.
79 Ibid., p. 307.
80 Raymond Aron, « Au service de l’ennemi », II, p. 537.
81 Raymond Aron, « Chronique de France : Culture et société », La France libre, II, 9, p. 155-166 (juin 1941). Traduit sous le titre « The Writers of France to-day », in Daylight. Vol. 1. European arts and letters yesterday: today: tomorrow, London, The Hogarth Press, 1941, 174 p.; p. 43-52.
82 Daylight, p. 5.
83 Raymond Aron, « Destin des nationalités », La France libre, V, 29, 16 mars 1943, p. 339-347, réédité in Chroniques de guerre, p. 608-620.
84 Ibid., p. 609.
85 Ibid., p. 610.
86 Ibid., p. 613.
87 Ibid., p. 615.
88 Ibid., p. 616 (p. 344 dans La France libre, V, 29). Du fait d’une coquille, le terme « inexpiable » est remplacé par « inexplicable » dans l’édition des Chroniques de guerre.
89 Ibid., p. 618.
90 Ibid., p. 620.
91 Ibid.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Un constructeur de la France du xxe siècle
La Société Auxiliaire d'Entreprises (SAE) et la naissance de la grande entreprise française de bâtiment (1924-1974)
Pierre Jambard
2008
Ouvriers bretons
Conflits d'usines, conflits identitaires en Bretagne dans les années 1968
Vincent Porhel
2008
L'intrusion balnéaire
Les populations littorales bretonnes et vendéennes face au tourisme (1800-1945)
Johan Vincent
2008
L'individu dans la famille à Rome au ive siècle
D'après l'œuvre d'Ambroise de Milan
Dominique Lhuillier-Martinetti
2008
L'éveil politique de la Savoie
Conflits ordinaires et rivalités nouvelles (1848-1853)
Sylvain Milbach
2008
L'évangélisation des Indiens du Mexique
Impact et réalité de la conquête spirituelle (xvie siècle)
Éric Roulet
2008
Les miroirs du silence
L'éducation des jeunes sourds dans l'Ouest, 1800-1934
Patrick Bourgalais
2008