Chapitre III. L’Europe au miroir de la thèse, 1936-1938
p. 65-81
Texte intégral
1Comment une thèse consacrée à l’épistémologie, en l’occurrence à la théorie de la connaissance historique, pourrait-elle être d’un grand secours pour éclairer la compréhension de l’Europe par son auteur ? La raison est sans doute que cette thèse n’est pas seulement une thèse sur l’histoire, mais aussi une thèse dans l’histoire. Plus que d’autres, ce livre atteste que « la philosophie est son époque saisie par la pensée1 ». L’Introduction à la philosophie de l’histoire correspond ainsi à « la crise française des Lumières2 ». Aron mettait en effet en cause le « bonheur républicain3 » de la génération des années 1870, celle de Léon Brunschvicg (1869-1944) et de Paul Fauconnet (1874-1938). Il entreprenait dans sa thèse de démontrer que la vision nationale de l’histoire développée par cette génération était caduque4. En un sens, l’Université française de l’époque considérait que la Révolution française trouvait son aboutissement et son couronnement dans la IIIe République, ce qui signifiait que pour une part au moins l’histoire était finie. On disposait avec la méthode historique d’un Lavisse ou d’un Seignobos de quoi venir à bout de n’importe quel sujet et la science historique française maîtrisait l’histoire universelle5. Aron dressait devant eux un tableau beaucoup plus inquiétant fondé sur la démonstration logique des limites de l’objectivité historique et sur l’insistante évocation d’une actualité menaçante.
2En Allemagne, Raymond Aron avait été le témoin de la montée en puissance du nazisme. Il avait ainsi abandonné l’idéal pacifiste et européiste qui était le sien depuis les années vingt jusqu’en 1931. Parmi les découvertes intellectuelles qu’il fit à cette époque, pendant l’année passée à Cologne, le livre d’Henri De Man, Au-delà du marxisme6, a beaucoup compté. Aron l’a probablement lu en même temps qu’il étudiait attentivement l’œuvre de Marx pour mettre à l’épreuve ses convictions socialistes, d’où la recension qu’il en proposa dans Libres Propos en janvier 19317. « La crise du socialisme, résumait Aron, se manifeste par une opposition croissante entre une doctrine révolutionnaire et une pratique réformiste. » De Man mettait en cause ce qu’il appelait, le premier, le « marxisme vulgaire », autrement dit la confusion entre une philosophie de l’histoire – ou une idéologie – et ce qui serait une science de l’histoire8. Pour De Man, l’expression « marxisme vulgaire » renvoyait explicitement à la version communiste du marxisme9, mais elle visait aussi les socialistes qui, précisément pour conserver leur prestige en face des communistes, se proclamaient les dépositaires du marxisme scientifique authentique. Les socialistes s’enfermaient ainsi dans une attitude souvent dogmatique. De Man y voyait une « erreur rationaliste » : la doctrine, écrivait-il « tend à jouer un rôle assez semblable à celui des rites religieux dans une Église devenue puissance temporelle. De mobile de l’action, elle est devenue moyen auxiliaire de la propagande ».
3De Man accordait en effet une importance primordiale à l’interprétation religieuse du « marxisme vulgaire » : « On ne peut comprendre le socialisme qu’en le considérant comme une croyance10. » Matthias Oppermann a montré le premier ce que la notion aronienne de religion séculière, apparue comme interprétation du national-socialisme, doit aux analyses d’Henri De Man dans Au-delà du marxisme11. Il observe qu’Aron applique une telle interprétation religieuse au communisme dès 1931, puis en 1932 aux masses fanatisées par Hitler. Aron n’a donc pas été influencé par Éric Voegelin dont l’essai, Les religions politiques, date de 193812.
4De Man empruntait à Georges Sorel la notion de mythe13 pour expliquer la foi révolutionnaire. Il traçait aussi une perspective historique de la Révolution française au léninisme : « Une évolution en ligne droite mène du jacobinisme au bolchevisme14… » De Man, qui était passé par la Russie en 1917, insistait sur la fascination exercée par le mythe de la Grande Révolution sur les socialistes à l’échelle du continent européen. Il jugeait que la Révolution française avait été un échec. Alors qu’elle devait faire triompher les droits de l’homme, elle avait trahi les espoirs placés en elle par les libéraux, et le terme de cette évolution avait été 191415.
5Ces idées ont influencé Aron. Rééditant sa recension d’Au-delà du marxisme en 197516, Raymond Aron rappelait que De Man avait fait partie d’une délégation de la SPD venue prendre contact avec les socialistes français à la veille de la guerre. Selon Aron, Roger Martin du Gard avait consulté De Man lorsqu’il écrivit L’Été 14, pour obtenir « des précisions sur cette ultime tentative des représentants de l’Internationale ouvrière pour arrêter la fureur des nationalistes, pour prévenir le suicide de l’Europe bourgeoise ». Lorsque Aron lut et recensa Au-delà du marxisme en 1930-1931, pendant l’année à Cologne, il avait en commun avec De Man le socialisme et le pacifisme. Parce qu’il avait contribué autant qu’il lui était possible à la sauvegarde de la paix, De Man était un bon Européen. Aron considérait qu’il avait défini un socialisme démocratique qui renouerait avec l’inspiration jaurésienne, réconciliant « le socialisme et la démocratie, issus des mêmes sources morales, nourris des mêmes aspirations chrétiennes et humanistes à la fois : sentiment de la valeur originale et unique propre à chaque être humain, sentiment de l’autonomie et de l’égalité des personnes17 ». C’était un socialisme libéral.
6En 1975, Aron voulut rendre à De Man un hommage posthume longtemps différé18. L’exercice était difficile puisque De Man, exemplaire en 14-18, n’avait pas fait le bon choix en 1940. Il avait appelé à collaborer avec l’occupant, et salué comme une délivrance la victoire allemande. Entre 1931 et 1975 s’étaient succédé les temps de la guerre puis du silence. En mars 1943, dans La France Libre, Raymond Aron avait cité Henri De Man à côté de Marcel Déat, parmi les pessimistes convaincus que « l’unification de l’Europe par Hitler était inévitable19 ». À cette date, bien que De Man eût déjà gagné un exil savoyard après l’échec de ses tentatives de collaboration, Aron voyait donc en lui l’un des intellectuels européens qui avaient failli. Il ne semble pas qu’il y ait eu réconciliation par la suite. En revanche, en 1961, Aron fut membre du comité consultatif pour un hommage à Henri De Man20. Quatorze ans plus tard, le texte de Contrepoints réhabilitait l’homme sans l’absoudre. Aron précisait que De Man n’avait été ni raciste, ni antisémite. La tentation de juin 1940 devenait « intelligible » dès lors que l’on connaissait son aversion pour les démocraties bourgeoises. En 1937, dans l’examen critique auquel il soumit la politique économique du Front Populaire, Raymond Aron citait en exemple le pragmatisme d’Henri De Man, « inventeur du plan21 ».
7Aron s’en souvenait lorsqu’il expliquait en 1975 qu’Henri De Man, tel qu’il était avant 1940, pouvait de nouveau prendre valeur d’exemple dans l’Europe des années soixante-dix. Il avait eu, à maintes reprises, « le courage intellectuel de remettre en cause les doctrines reçues ». Sa réfutation de l’idéologie marxiste tenait toujours. La question qu’il posait : dans quelle mesure des partis socialistes peuvent-ils concilier une pratique réformiste et un discours révolutionnaire ? était toujours d’actualité. Alors qu’une partie de la jeunesse dorée européenne était séduite par le terrorisme, évoquer De Man rappelait « les temps héroïques où les fils de bourgeois adhéraient au parti socialiste par révolte contre les injustices sociales, sans glissser pour autant au nihilisme de la contestation totale et de la violence22 ». Raymond Aron revint enfin sur la dérive fasciste d’Henri De Man lors de la polémique qui accompagna en 1983 la publication du livre de Zeev Sternhell Ni droite ni gauche : l’idéologie fasciste en France23. Dans L’Express24, il prit alors la défense de plusieurs personnalités mises en cause par Sternhell, son ami Bertrand de Jouvenel – pour lequel il témoigna le 17 octobre 1983, dans ce qui fut sa dernière intervention publique – mais aussi Henri De Man, dont le cas lui inspira la conclusion de l’article.
8Cette défense d’Henri De Man dans la dernière année de la vie d’Aron montre que l’enjeu était important. Il s’agissait de compréhension historique, donc de la philosophie critique de l’histoire qu’Aron avait soutenue en mars 1938 dans l’Introduction à la philosophie de l’histoire. Or, cette thèse est une œuvre politique, à au moins deux titres : parce qu’elle suppose le primat du politique dans l’histoire des hommes, mais aussi parce qu’elle pouvait avoir une portée politique, vu les circonstances historiques de sa rédaction et de sa publication. Dans quelle mesure l’Introduction à la philosophie de l’histoire engageait-elle une conception de l’Europe ou de l’histoire européenne ?
9L’auteur de l’Introduction à la philosophie de l’histoire présente une philosophie qui « se constitue historiquement ». Le sujet du livre n’est pas un sujet transcendental, mais « un esprit individuel dans une tradition, qui s’efforce de penser le mouvement historique auquel il participe25 ». Cette précision est importante. En effet, la liberté aronienne est indissociable d’une tradition ; elle ne se sépare pas des formes concrètes, historiques, de la culture. La première section de l’Introduction explicite cette conception de l’histoire où l’homme se dépasse « parce qu’il édifie des œuvres qui lui survivent », mais aussi « parce qu’il recueille des monuments du passé26 ». Même les révolutions n’échapperaient pas à ce processus transmissif, qu’il y ait fidélité à une tradition ou rejet de celle-ci.
10Cette conception de l’histoire conduit à une philosophie politique dans laquelle l’homme n’est pas créateur des institutions qui l’environnent, ni des valeurs qui ont cours dans la société où il vit. Lorsqu’il définit la condition du citoyen, Aron évoque ce qu’il appelle l’Esprit objectif, somme des « représentations collectives » caractéristiques d’une société :
« L’homme vit entouré des restes du passé qui restituent une sorte de présence à ceux qui ne sont plus. Il vit dans une communauté à la fois sociale et spirituelle, intérieure à chacun puisqu’elle se manifeste par l’assimilation partielle des consciences, extérieure à tous puisque personne n’est l’origine des pratiques communes, que personne n’a choisi l’état de savoir et la hiérarchie des valeurs qu’il a reçus et acceptés27. »
11Si « l’homme vit entouré des restes du passé », Aron exclut donc la possibilité même d’une table rase du passé, ce que prétendaient accomplir les régimes totalitaires. Selon lui, la liberté politique est possible, dans la mesure où elle s’enracine dans une tradition. Cet aspect de la pensée aronienne fait penser à la philosophie d’Edmund Burke, bien que l’auteur des Réflexions sur la Révolution de France ne soit pas cité dans l’Introduction à la philosophie de l’histoire. Par la suite, Raymond Aron allait multiplier les références à Burke, mais en précisant qu’entre les deux interprétations possibles de sa pensée, libérale et contre-révolutionnaire, il approuvait celle-là, mais non celle-ci28. Aron se différenciait de nombreux penseurs de sa génération par le respect qu’il portait aux institutions. Face à la crise politique de l’entre-deux-guerres, que ce soit celle de Weimar ou ensuite celle de la démocratie française, il constate avec regret la faiblesse des institutions, mais ne souhaite pas leur subversion. Pour être un existentialisme, sa philosophie diffère profondément par sa dimension civique de l’individualisme sartrien qui ne fait guère attention aux institutions. Comme l’a dit Philippe Raynaud, la philosophie d’Aron, telle qu’elle apparaît dans sa thèse, comprend une Sittlichkeit : la conscience aronienne est conscience civique dans une société concrète, donc historique29. L’Introduction à la philosophie de l’histoire n’est pas un ouvrage de politique militante, mais sa lecture invite très clairement à voir dans les institutions démocratiques le rempart de la liberté. En ce sens d’ailleurs, il n’y avait pas d’incompatibilité avec la conception de la liberté chez Burke : quelles qu’aient été, au départ, les contradictions du projet révolutionnaire, celui-ci, consacré et amendé à travers l’histoire, du Quatorze-Juillet à L’Union sacrée, était devenu un mythe national et le fondement très majoritairement « reçu et accepté » de la tradition politique républicaine30.
12Dans L’Introduction à la philosophie de l’histoire, l’Europe est évoquée à trois reprises. La première occurrence se situe dans la dernière partie de la deuxième section, où l’auteur s’interroge sur l’évolution humaine. Une histoire de l’Europe est-elle légitime ? L’Europe peut-elle être l’objet de l’histoire ? La réponse d’Aron est affirmative : « L’histoire de l’Europe est aussi réelle que celle des nations (celles-ci, en tout cas, remontent moins haut que celle-là31). » Mais le texte ne dit rien sur le contenu que pourrait avoir cette histoire. Un peu plus loin, lorsqu’il est question du sens de l’histoire, c’est à la pensée occidentale et au christianisme qu’il est fait référence et le mot d’Europe n’apparaît pas.
13La deuxième référence à l’Europe se situe dans la section III, « Déterminisme et pensée causale », dans le chapitre consacré aux rapports de la causalité et du hasard. Aron étudie les rapports du hasard et de la nécessité ; il imagine un historien doué d’un savoir absolu et qui connaîtrait donc les plans de la Providence. Il choisit l’hypothèse dans laquelle l’histoire conduirait à l’unité européenne :
« Supposons, par exemple, que l’histoire mène nécessairement à une Europe unie : fort de ce savoir, l’historien contemplerait sans effroi les dernières guerres européennes, restes d’une époque qui s’achève. Parcellaires ou non, ces hasards s’organiseraient comme tels dans la perspective vraie sur le passé32. »
14L’histoire serait alors, comme le dit Léon Brunschvicg lors de la soutenance, « unité sans drame ». Ce passage de l’Introduction exprime l’ironie de l’auteur. Non que la perspective de l’unité européenne soit a priori exclue, mais parce qu’Aron ne cesse, dès lors, de contester les présupposés du positivisme et de l’hégélianisme. L’entreprise philosophique aronienne se justifie à partir de la prise de conscience que l’époque de l’hégélianisme est révolue : « le philosophe ne se croit plus dépositaire des secrets de la providence33 ». Auditeur du séminaire de Kojève sur la Phénoménologie de l’Esprit de Hegel à l’École pratique des hautes études34, Aron n’avait pas été convaincu35.
15Or, la situation de l’Europe au XXe siècle était bien davantage celle d’un « drame sans unité ». La référence d’Aron à Cournot renvoyait à l’interrogation sur le déterminisme historique, en partant du constat que « tout événement dérive de plusieurs séries ». L’histoire contemporaine multipliait les défis aux interprétations : comment comprendre la Grande Guerre ? Comment interpréter la révolution nazie ? Aron avait réfléchi depuis 1924, à partir de La Victoire d’Alfred Fabre-Luce, sur les causes de la première guerre mondiale. Cet exemple tient une place significative dans la thèse. Les interrogations portaient sur le déclenchement des hostilités d’une part : quel rôle y avaient joué l’ultimatum autrichien, l’ordre de mobilisation russe ? D’autre part, elles concernaient le miracle de la Marne : « La guerre était-elle terminée si la bataille avait été perdue et si Paris était tombé ? » Ces exemples apparaissent comme davantage que de simples illustrations : ils interrogent le destin de l’Europe du XXe siècle et ont constitué la matière des livres ultérieurs. Ainsi, les spéculations sur 1914 ont nourri le premier chapitre des Guerres en chaîne36 et certains développements de Paix et guerre entre les nations37. Elles apparaissent comme des jalons esquissant l’œuvre à venir.
16Ces considérations sur le destin de l’Europe expriment un scepticisme historique qu’on pourrait qualifier de méthodique, puisqu’il n’aboutit pas au relativisme – le jury de thèse n’épargna pas ce soupçon à l’auteur de l’Introduction – mais à établir les limites de la connaissance historique. « Tout historien, pour expliquer ce qui a été, se demande ce qui aurait pu être38. »
17L’unité européenne pourrait constituer la fin de l’histoire, mais celle-ci n’est pas accessible. Contre les idées reçues (on ne fait pas d’histoire avec des si), Aron a posé la légitimité de l’estimation rétrospective des probabilités : « Les constructions irréelles doivent rester partie intégrante de la science, même si elles ne dépassent pas une vraisemblance équivoque, car elles offrent le seul moyen d’échapper à l’illusion rétrospective de fatalité39. » Cette démarche rappelle l’exercice auquel s’était prêté en son temps Charles Renouvier40. Dans l’Introduction, Aron reprend le terme d’uchronie emprunté à Renouvier, mais dans une perspective qui renvoie en fait à la pensée de Max Weber. Aron affirme l’homogénéité du temps : « le passé de l’historien a été le futur des personnages historiques », « la science historique, résurrection de la politique, se fait contemporaine de ses héros41 ». C’est là sa critique fondamentale contre le positivisme42.
18Mais derrière ces considérations abstraites, l’Introduction manifestait aussi des intentions pratiques. Il s’agissait en effet de réagir à une crise politique majeure, qui était aussi une crise intellectuelle. La pensée positiviste, en histoire comme en sociologie, avait produit en Seignobos et en Durkheim des œuvres qui marquèrent l’apogée de la IIIe République. Mais ces temps étaient révolus. La découverte de l’Allemagne de Weimar avait appris à Aron que la sociologie du Durkheim, conçue au XIXe siècle, ne convenait plus dans l’Europe des années trente. Max Weber, avec son idée du chef charismatique, donnait davantage de moyens pour comprendre la nouvelle situation historique, aussi bien dans ses dimensions économiques et sociales que politiques. Aron voulait assumer la situation historique nouvelle : « L’Allemagne hitlérienne exige une autre politique que l’Allemagne de Weimar. Il faut fuir regrets et remords, inutiles et dangereux43. »
19Par ailleurs, la thèse reflète la crise de l’impérialisme européen : « L’Europe ne sait plus si elle préfère ce qu’elle apporte à ce qu’elle détruit. Elle reconnaît les singularités des créations expressives et des existences, au moment où elle menace de détruire les valeurs uniques. L’homme craint ses conquêtes, ses instruments et ses esclaves, la science, la technique, les classes et les races inférieures44. » Dès 1931, Aron avait écrit qu’il fallait en finir avec le slogan de la mission civilisatrice de la France45. Il n’a jamais été convaincu par l’impérialisme. La perspective qu’il en donne en 1938 n’est cependant pas la même qu’en 1931. À cette date, Aron s’opposait au nom du pacifisme aux rivalités coloniales, et dénonçait le double langage de la France qui menait une politique de puissance sous couvert de défendre les droits de l’homme. Dans sa thèse, Aron s’en prend à la logique du système présenté dans Le Déclin de l’Occident, système contradictoire puisque Spengler46 affirme le caractère indépassable des cultures et prétend en même temps se situer au-delà de celles-ci, donc dans une position dont il avait lui-même postulé l’impossibilité47. Aron ne définit pas les civilisations comme des ensembles clos sur eux-mêmes ; il n’admet pas a fortiori que les différentes cultures soient vouées à s’entre-détruire, mais considère au contraire qu’il existe une histoire universelle, « une unité du devenir humain48 ». Par la suite, il dénonça la philosophie de l’histoire de Spengler comme étant celle du nazisme. Inversement, la philosophie historique d’Aron envisage le dialogue des cultures. De fait, les positions respectives d’Aron et de Spengler sur les civilisations pouvaient aisément être transposées à l’échelle de l’Europe, à propos des nations qui la composent.
20L’Europe des années trente était dominée par la montée en puissance des régimes totalitaires. Dans l’Introduction à la philosophie de l’histoire, Aron cherche une réponse à la question de l’action politique. Il la trouve dans la philosophie de Max Weber, dont le décisionnisme exerce alors sur lui une séduction intellectuelle. La principale faiblesse de l’Introduction à la philosophie de l’histoire réside dans les accents nietzschéens par lesquels l’auteur décrit en des termes héroïques la conscience historique. On peut suivre cette veine nietzschéenne du début à la fin de l’Introduction à la philosophie de l’histoire, du moment où Aron proclame la « dissolution de l’objet49 », jusqu’à la conclusion, qui conserve une tonalité pathétique50.
21Mais autant la méthode sociologique de Max Weber était féconde, autant sa philosophie faisait problème. Dans celle-ci, les conflits de valeurs, ce que Weber appelle « la guerre des dieux », sont indépassables. Max Weber avait proposé un modèle politique décisionniste, dans lequel un chef charismatique représenterait l’ultime recours contre la bureaucratisation croissante des sociétés industrielles. Ce n’est qu’en 1959, dans l’introduction qu’il écrivit pour une réédition des conférences de Weber, Le Savant et le politique, traduites par Julien Freund, que Raymond Aron a exposé et résolu la question de la guerre des dieux51. Aron répondait aux accusations de nihilisme que Leo Strauss avait portées contre Weber dans Droit naturel et histoire52. Dans l’introduction aux conférences de Weber, Aron reconnaissait « les implications nihilistes de quelques textes de Max Weber53 », et exposait ensuite sa principale critique : Weber avait abusivement érigé en philosophie sa vision de l’histoire fondée sur le conflit des représentations du monde. Aron montrait pourquoi une telle philosophie était contradictoire, puisque personne ne pouvait la vivre ni même la penser54.
22Mais cette mise au point date de 1959. Ces questions restaient encore sans réponse en 1938. La thèse de Raymond Aron est marquée par la tension entre la morale kantienne de l’impératif catégorique – qui en reste le socle55 – et la tentation d’une politique de la volonté56 inspirée par Weber. Cette équivoque peut être rapportée à la situation historique des années trente. Rétrospectivement, lorsqu’il écrivait, au milieu des années soixante, l’article sur Max Weber dans Les Étapes de la pensée sociologique, Raymond Aron pensait que Max Weber n’aurait pas reconnu son rêve du chef charismatique dans le régime hitlérien. L’exemple de Carl Schmitt montre qu’une telle évolution était pourtant historiquement possible57. Certes, l’itinéraire de Schmitt ne démontre nullement que Max Weber, s’il avait vécu, aurait fait le même choix. Il n’en est pas moins vrai que les deux pensées partagent des éléments communs : l’une et l’autre aboutissent à une philosophie fondée sur le primat du politique dans un contexte où des situations extrêmes se présentent – en l’occurrence la guerre et la défaite, accompagnée de la révolution et de la guerre civile. L’une et l’autre critiquent l’universalisme des Lumières au nom de positions nationalistes et débouchent sur des propositions autoritaires58 dans le but d’éviter la guerre civile et de conserver la communauté politique, ce qui est le fondement de la politique de Hobbes. La politique telle qu’elle est abordée dans l’Introduction à la philosophie de l’histoire correspond au modèle wébérien : « Le moyen décisif en politique est la violence59. » Sur ce plan, la thèse de Raymond Aron consomme la rupture avec les opinions de sa jeunesse, telles qu’il les exprimait encore en 1931. Ainsi, lorsqu’il considère les causes de la Grande Guerre, écrit-il : « La guerre, disions-nous, au regard de l’historien, n’est pas un crime60. »
23Ce qui peut se comprendre en plusieurs sens : d’une part, conformément à ce qu’il pensait au début, Aron répète que l’Allemagne n’était pas seule responsable du déclenchement de la guerre, ce qui avait motivé son hostilité permanente à l’article 231 du traité de Versailles. Mais en un autre sens, cela signifie aussi que la guerre appartient au cours ordinaire de l’histoire. Cela rejoindrait l’une des formules de Schmitt : « L’ennemi a lui aussi son statut ; il n’est pas un criminel61. » Un tel rapprochement ne doit pas induire en erreur. Il ne signifie pas que les deux penseurs partageaient la même conception de la politique. Contrairement à Schmitt, Aron n’a jamais fait de la désignation d’un ennemi le fondement de la politique. En outre, l’attitude d’Aron se voulait magnanime : il appartenait au vainqueur, après le Onze-Novembre, de rendre la paix acceptable pour le vaincu.
24Lorsque l’on considère l’itinéraire intellectuel de Raymond Aron depuis les années vingt, dans l’Europe telle qu’elle se présentait alors, la question de la séduction fasciste vient presque naturellement à l’esprit. Comment y a-t-il échappé ? Beaucoup de ses contemporains y ont en effet succombé. Alfred Fabre-Luce et Bertrand de Jouvenel passèrent par le PPF de Doriot. Fabre-Luce, Francis Delaisi, Henri De Man furent plus ou moins longtemps des collaborateurs. Tout se passe comme si l’engagement européen, l’aspiration de la jeune génération à refonder la politique, avaient abouti logiquement chez des intellectuels non-communistes à la tentation fasciste, puis au ralliement de 1940 à l’Europe nouvelle issue de la victoire allemande. Or, on sait que Raymond Aron ne voulut pas de cette Europe-là et qu’il s’embarqua pour Londres, mettant sa plume au service de la France Libre. Dans les Mémoires, Aron a abordé le sujet, affirmant qu’il n’avait pas été tenté par le fascisme, et même qu’il ne pouvait pas l’être :
« À la différence de Drieu La Rochelle ou de Bertrand de Jouvenel, je ne courais pas le risque d’être entraîné par le désespoir vers des engagements absurdes. Je fus protégé non pas tant par mon judaïsme que par les hommes au milieu desquels je vécus, par mon mode de penser, par mon refus constant des deux types de régimes où régnait un parti unique.
De toute évidence, je ne fus pas effleuré par la tentation fasciste62. »
25Ainsi, au soir de sa vie, Raymond Aron écartait, en ce qui le concernait lui-même, la question de la séduction fasciste, et conférait le statut d’« évidence » à cette assertion. Il n’en est pas moins vrai que la thèse de Raymond Aron incorporait un élément essentiel de la pensée fasciste, dès lors qu’elle substituait un vitalisme au rationalisme comme fondement de l’épistémologie de l’histoire. Il est révélateur de la crise spirituelle et politique de la France des années trente qu’un jeune philosophe, qui souhaitait relever le défi du fascisme et le combattre, fût amené à construire sa philosophie sur des fondations empruntées à l’ennemi, ce qui signifiait aussi l’épuisement de la tradition universitaire française de l’époque, incapable de comprendre la nouvelle situation historique. L’emprunt inavouable était ainsi la condition du salut, ce qui ressurgit dans la formule qu’employa Raymond Aron lors de la séance du 17 juin 1939 à la Société française de philosophie. Il fallait, disait-il, « être capable des mêmes vertus » que les citoyens des États totalitaires63. Cependant, la contradiction inhérente à ce rapprochement explosif, entre la tradition des Lumières, celle de la critique kantienne, et un vitalisme forcément obscur, faisait problème64. Aron mit du temps à la surmonter. Il semble bien n’y être parvenu qu’à la fin des années cinquante, lorsqu’il revint sur le décisionnisme de Max Weber. Cette évolution lente et discrète, relative à l’aspect le plus délicat de l’Introduction à la philosophie de l’histoire, fut achevée dans un nouveau contexte historique, alors que la défaite du nazisme, définitive, était consommée depuis longtemps, et qu’une nouvelle posture stratégique était requise par les circonstances de la guerre froide : l’endurance, et non plus l’absolu de la décision, était désormais l’essentiel. Raymond Aron pensait alors de moins en moins avec Max Weber, de plus en plus avec Clausewitz et Hans Delbrück.
26La thèse mettait au premier plan des préoccupations civiques. La survie de la France était l’une des raisons pour lesquelles il avait été passionnément pacifiste. Le sang versé pour la Victoire représentait un tel tribut qu’une nouvelle guerre risquait d’anéantir la France. Le patriotisme d’Aron a été un élément essentiel de son attitude ; il est par ailleurs difficile d’évaluer la part de sa judéité dans sa résistance au fascisme. Aron était conscient de cette part de son identité, mais se considérait avant tout comme un citoyen français, attitude dont il ne s’est jamais départi par la suite. Tout au plus précise-t-il dans la conférence de 1935 consacrée au nazisme65 qu’il juge sévèrement le national-socialisme. Mais les précautions qu’il prend pour évoquer la persécution des Juifs allemands66 montrent à quel point il redoutait d’être considéré comme le porte-parole d’un intérêt particulier distinct de la communauté nationale. Plus tard, dans La France Libre, les mêmes scrupules ont fait qu’il a très peu évoqué le sort des Juifs, ce pour quoi il éprouva probablement des remords après la guerre.
27La date à laquelle l’Europe a basculé n’est pas celle des accords de Munich. Selon Raymond Aron, le moment-clé fut le 7 mars 1936, le jour de la remilitarisation de la Rhénanie, parce qu’il était encore possible à ce moment-là d’arrêter Hitler sans avoir à livrer une grande guerre. C’est alors que l’on avait perdu la sécurité qui résultait de l’accord de Locarno, c’est alors qu’avait été perdu ce que les soldats de 1914-1918 avaient payé de leur sang67. Dans les Mémoires, Raymond Aron juge sévèrement l’attitude de Léon Blum dans la période qui suivit le 7 mars 1936, sans tenir compte du fait que la remilitarisation de la Rhénanie était consommée lorsque le gouvernement de Front populaire arriva aux responsabilités. Blum devient l’exemple des « aberrations » politiques qui surviennent, lorsque l’éthique de conviction l’emporte sur l’éthique de responsabilité68.
28La préoccupation de Raymond Aron était alors celle de nombreux Français : une nouvelle guerre, même victorieuse, risquait de faire disparaître la nation terriblement affaiblie par la Grande Guerre. D’où des prises de position très prudentes face aux faits accomplis hitlériens après la remilitarisation de la Rhénanie. Aron, en désaccord sur ce point avec Robert Marjolin, a bien compris les raisons de politique intérieure pour lesquelles Léon Blum n’a pas voulu intervenir dans la guerre civile espagnole69. Il était conscient de la décadence française qu’il a décrite plus tard, dans les entretiens du Spectateur engagé, comme un glissement vers la guerre civile, où les haines entre Français l’emportaient sur la conscience des périls extérieurs. L’article de 1937 sur les problèmes économiques français se situait dans cette perspective. Il visait à promouvoir une politique économique a minima, modeste mais potentiellement efficace, au lieu d’une politique de nature idéologique. La dévaluation qu’il préconisait, à l’instar de Paul Reynaud, devait favoriser la croissance, donc renforcer l’économie nationale par rapport aux économies allemande et italienne ; la critique des quarante heures se comprend de même par rapport aux exigences de la défense nationale : Raymond Aron pensait que la réduction du temps de travail hebdomadaire ne serait pas efficace, parce qu’elle réduirait la capacité de production70. Au-delà des problèmes économiques, Aron allait plus loin. Il mettait en cause l’incapacité de la IIIe République et du gouvernement Blum à comprendre la situation : « Le socialisme français ne devrait donc pas être, à l’image de ses chefs, humanitaire et bienveillant, mais courageux et rude71. »
29Jusqu’où cette critique du régime républicain pouvait-elle aller ? La correspondance entre Raymond Aron et Alfred Fabre-Luce apporte une réponse. Dans Le Secret de la République, publié en juin 1938, Fabre-Luce, qui avait rejoint le PPF de Jacques Doriot72, constatait l’impasse du libéralisme et préconisait une solution pour l’Europe : « Il faudra que fascisme et démocraties se reconnaissent réciproquement leur dignité historique et, dans la mesure du possible, échangent leurs vertus73. »
30Le secret de la République était que la République française, selon Fabre-Luce, cherchait désormais dans la guerre l’équilibre qu’elle ne parvenait plus à trouver dans la paix. Or, Fabre-Luce, citant Édouard Herriot, déclarait que toute nouvelle guerre risquait d’être fatale à la France, crainte que partageait Raymond Aron. Fabre-Luce répondait que la paix était possible. Dans la continuité des analyses sur 1914 qu’il avait développées dans La Victoire, Fabre-Luce voulait prévenir « la guerre de 194074 ». Il recommandait donc de limiter la zone d’intérêt des démocraties pour créer les conditions de leur renforcement, ce qui revenait entre autres – il ne le disait pas explicitement – à laisser les mains libres à Hitler en Europe centrale, tandis que la France se consacrerait paisiblement à son territoire métropolitain et à son empire.
31Raymond Aron répondit le 24 juillet 1938 à Fabre-Luce, qui lui avait envoyé Le Secret de la République75. Sa réponse exprimait des convergences assez larges (« Je suis d’accord avec vous au moins pour 75 % ») mais un désaccord sur l’essentiel, c’est-à-dire sur la stratégie qu’il convenait d’adopter face aux puissances fascistes. Aron dénonçait dans le PPF une organisation politique qui « contribue seulement à la décadence française » :
« La haine du communisme ne tient pas lieu de doctrine et j’aperçois autour de Doriot une majorité d’aigris et d’aventuriers dont la prétention à relever la France me fait sourire. De plus, le nationalisme qui commence par l’abdication en politique étrangère (sans parler de la sympathie ouverte pour les ennemis inévitables du pays) me paraît réaliser un assez joli paradoxe. Si je vous comprends bien, vous souhaitez que la France abandonne l’Europe centrale et orientale à l’Allemagne, c’est-à-dire, pour commencer, sacrifier la Tchécoslovaquie, politique qui peut se défendre, si on invoque soit le pacifisme, soit la faiblesse de la France. Mais croire que l’Allemagne toute-puissante en Europe laissera à la France son empire me semble d’une inconcevable naïveté. On ne pourra jamais mener jusqu’au bout la politique d’acceptation parce que les revendications allemandes s’amplifieront à la mesure de notre résignation. Il n’est même pas besoin de lire Mein Kampf pour s’en convaincre. »
32Aron et Fabre-Luce avaient en commun d’avoir voulu éviter la guerre et d’avoir plaidé pour la réconciliation franco-allemande. En 1938 encore, l’un et l’autre sont convaincus qu’un nouveau conflit pourrait être fatal à la France, tous deux dénoncent l’incapacité de la IIIe République à surmonter la crise nationale. En revanche, ils en tirent des conclusions opposées. Pour Fabre-Luce, le pire serait la guerre, et le communisme ne pourrait qu’en profiter. Selon Aron, le pire serait la victoire d’Hitler, dont il avait alors sans doute lu le livre : la menace qui pèse sur la France est celle de l’« hitlérisation, venue de l’intérieur ou de l’extérieur ». C’est en ces termes qu’il confiait à Gaston Fessard, quelques semaines après la conférence de Munich, son désespoir de citoyen76.
33Au contraire, Fabre-Luce croyait en un accord possible avec le IIIe Reich, et voyait dans certaines « vertus » du fascisme une solution possible à la crise des démocraties. Aron était désespéré qu’un esprit libéral comme Fabre-Luce s’égarât ainsi. Il répondait que la menace hitlérienne primait toute autre considération, qu’aucune entente n’était possible avec un tel régime. Par ailleurs, sa critique de la IIIe République ne portait pas sur les institutions parlementaires elles-mêmes, mais sur la pratique des dirigeants français, qui n’étaient pas à la hauteur de la situation. L’homme providentiel, selon Aron, aurait alors pu être Paul Reynaud, qui avait compris ce que pouvait être le remède à la crise (la dévaluation) et l’instrument de défense approprié (les divisions blindées demandées par le colonel de Gaulle)77.
34Ceci devrait éclairer la participation de Raymond Aron au colloque organisé par Louis Rougier du 26 au 30 août 1938 à l’Institut international de coopération intellectuelle, à l’occasion de la publication en France du livre de Walter Lippmann, La Cité libre78. Dans ce livre, Walter Lippmann plaidait la cause de la tradition politique libérale79. Le colloque Lippmann, longtemps oublié, a été redécouvert dans le contexte idéologique de la mondialisation. Pour François Denord80, il importait de montrer les origines d’un mouvement historique de grande ampleur qui, du colloque Lippmann aux révolutions néolibérales reaganienne et thatchérienne, prenait la forme d’une quasi-conjuration. Cette intention apparaît très vite, puisqu’il écrit combien Louis Rougier est suspect – « sa défense du maréchal Pétain lui a d’ailleurs valu d’être exclu de l’Éducation nationale de 1948 à 1955 ». Or, Aron a critiqué la politique du Front populaire et Rougier a approuvé Aron, ce qui signifierait, si l’on suit le raisonnement, qu’Aron aussi est suspect. François Denord prend soin d’éviter le registre de la caricature, mais il insiste sur l’hostilité à l’égard du Front populaire et, reprenant une expression de Pierre Dieterlen81, il qualifie le colloque Lippmann de « Colloque de la Peur ». Les noms de Friedrich von Hayek et Raymond Aron, repérés parmi les participants, l’activisme plus ou moins occulte de Louis Rougier, tout cela permettait de comprendre la continuité, du colloque à la Société du Mont-Pèlerin, de ladite société aux politiques néolibérales à partir des années quatre-vingt82.
35Le livre de Serge Audier corrige en partie cette représentation83. Il insiste en particulier sur les divergences qui ont ensuite opposé Aron et Hayek. Serge Audier renvoie à un texte écrit par Aron peu après la guerre84 pour montrer qu’Aron n’était pas suspect d’ultra-libéralisme. Un premier problème, signalé par François Denord, est qu’Aron ne mentionne pas le colloque Lippmann dans les Mémoires, selon lesquels il n’aurait même rencontré Friedrich von Hayek que pendant la guerre, par l’intermédiaire de Robert Marjolin85. Aron ne semble donc pas avoir accordé beaucoup d’importance au colloque de 1938. Celui-ci peut pourtant aider à comprendre la pensée d’Aron concernant l’Europe dans la mesure où il s’agissait de répondre à la crise des démocraties libérales en Europe. Si Aron n’a pas pris la parole lors des débats, du moins y était-il inscrit. Sans doute l’article de la Revue de métaphysique et de morale sur la politique économique du Front populaire donne-t-il un fil conducteur pour comprendre la signification que pouvait avoir le colloque Lippmann. En effet, il semble bien, si l’on se réfère à ses écrits de 1937 à 1939, que Raymond Aron se situait à mi-chemin entre Robert Marjolin et Étienne Mantoux. Marjolin déclarait le 26 août 1938 qu’il fallait accorder la priorité à la défense nationale sur la justice sociale, mais sans y renoncer86.
36Étienne Mantoux répliquait : « Il est évident que pour un libéral, la liberté est une fin en soi. » Avec Robert Marjolin, Raymond Aron avait en commun la priorité civique à la défense nationale, tandis qu’il partageait certainement avec Étienne Mantoux l’idée que la liberté – la liberté politique – était la fin essentielle. Le colloque Lippmann n’était pas le rendez-vous de possédants apeurés, mais il était bien le résultat d’une crise avant tout politique, et d’une démarche défensive. Il est logique que Marjolin, Mantoux et Aron, disciples d’Élie Halévy, se soient retrouvés pour rencontrer l’auteur d’un livre qui appelait à combattre la tyrannie87. Le colloque Lippmann devrait ainsi être compris pour ce qu’il était, dans son époque, contemporain de la crise des Sudètes, dans l’année qui suit les grandes purges d’URSS, événements avec lesquels il est lié de manière bien plus évidente qu’avec les expériences Thatcher ou Reagan à la fin du XXe siècle.
37À propos des accords de Munich, Aron a écrit dans les Mémoires qu’il fut antimunichois « par émotion88 ». Il se reproche de n’avoir pas pensé la situation en termes de rapport de force. La thèse du sursis, selon laquelle il pouvait être utile aux démocraties de gagner du temps pour préparer la guerre, lui semblait « sérieuse, peut-être valable ». En fait, Munich n’était pas le moment décisif, car la faute véritable avait été commise le 7 mars 1936. En ce qui concerne l’Europe, le moment décisif serait donc bien la lettre du 24 juillet 1938 commentant Le Secret de la République. Dans la continuité des idées exprimées dans sa thèse, Aron y désigne en effet l’ennemi véritable, l’Allemagne nazie, en passe de devenir « toute-puissante en Europe ». Comme il avait achevé ses premiers travaux universitaires, et alors que les événements se précipitaient, Aron allait se consacrer dans les années suivantes au combat contre l’Europe hitlérienne.
Notes de bas de page
1 La formule est de Hegel, nous suivons la traduction d’Éric Weil. Voyez Éric Weil, Philosophie et réalité, Paris, Beauchesne, 2003, « Hegel et nous », p. 98.
2 Vincent Descombes, Philosophie par gros temps, Paris, Éditions de Minuit, 1989. Voyez chap. 4, p. 80 sq.
3 Philippe Raynaud, « Raison critique et raison dialectique. À propos d’Histoire et dialectique de la violence », conférence à l’École normale supérieure, le 26 novembre 2005.
4 Le choc générationnel était d’autant plus fort que la génération intermédiaire, celle des années 1890, avait été massacrée en 1914-1918. Voyez Nicolas Baverez, Raymond Aron, p. 63 : 239 normaliens furent tués au front, soit 29 % de ceux qui avaient été mobilisés ; la proportion monte à plus de 50 % pour les promotions 1910 à 1913.
5 Seignobos, La méthode historique appliquée aux sciences sociales, Paris, Alcan, 1901, 322 p. Introduction : « La méthode historique est la méthode employée pour constituer l’histoire ; elle sert à déterminer scientifiquement les faits historiques, puis à les grouper en un système scientifique. »
6 Hendrik De Man, Zur Psychologie des Marxismus, Iéna, Diederichs, 1926, 435 p. ; traduction française, Au-delà du marxisme, Paris, Alcan, 1926, 406 p.
7 Raymond Aron, « Henri De Man, Au-delà du marxisme », Libres Propos, janvier 1931, p. 43-47. Voir aussi Jean-François Sirinelli, « Raymond Aron avant Raymond Aron 1923-1933 », Vingtième Siècle, 1984 ; voyez vol. 2, no 1, p. 27.
8 Introduction à la philosophie de l’histoire, Paris, Gallimard, 1938, 353 p. ; p. 249 : « à nos yeux, tout marxisme qui se donne pour science et non pour philosophie est un marxisme vulgaire parce qu’il est inconscient de lui-même. »
9 De Man, op. cit., p. 35.
10 Ibid., p. 99.
11 Voyez Raymond Aron und Deutschland, p. 54, 128 sq.
12 Erich Voegelin, Die politischen Religionen, Stockholm, Bermann-Fischer, 1939, 67 p.
13 Hendrik De Man, op. cit., p. 112.
14 Op. cit., p. 103-104.
15 Op. cit., p. 206.
16 Contrepoint, no 16, 1975.
17 Raymond Aron, « Henri De Man, Au-delà du marxisme », Libres Propos, janvier 1931,
18 Raymond Aron, « Henri De Man, Au-delà du marxisme », in Contrepoints, no 16, 1975, p. 167.
19 Raymond Aron, « Du pessimisme historique », La France Libre, mars 1943. Réédité dans Chroniques de guerre, La France Libre 1940-1945, p. 623.
20 NAF 28060, boîte 178.
21 Raymond Aron, « Réflexions sur les problèmes économiques français », Revue de métaphysique et de morale, no 4, 44e année, 1937, p. 817, n. 1.
22 Contrepoints, no 16, 1975, p. 166-167.
23 Zeev Sternhell, Ni droite ni gauche : l’idéologie fasciste en France, Paris, Le Seuil, 1983, 408 p. Voyez aussi Philippe Burrin, La dérive fasciste : Doriot, Déat, Bergery 1933-1945, Paris, Le Seuil, 1986, 530 p.
24 Raymond Aron, « L’imprégnation fasciste », L’Express, 4 au 10 février 1983. Réédité dans De Giscard à Miterrand 1977-1983, Paris, de Fallois, 2005, 895 p. ; p. 652-655.
25 Raymond Aron, Introduction à la philosophie de l’histoire. Essai sur les limites de l’objectivité historique. Paris, Gallimard, 1938, p. 12.
26 Ibid., p. 37.
27 Ibid., p. 76.
28 Voyez Matthias Oppermann, « Burkeanischer Liberalismus », in Tobias Bevc, Matthias Oppermann (dir.), Der souveräne Nationalstaat. Das politische Denken Raymond Arons, Stuttgart, Steiner, 2012, p. 157-179.
29 Philippe Raynaud, « Raison critique et raison dialectique. À propos d’Histoire et dialectique de la violence », conférence à l’École normale supérieure, le 26 novembre 2005. Voyez aussi G.W.F. Hegel, Principes de la philosophie du droit, Paris, Gallimard, collection « Idées », 1979, 380 p. (1re édition Berlin, 1821). Troisième partie : « La moralité objective », sections 2 (« La société civile ») et 3 (« L’État »), en particulier le § 258 dans la 3e section (p. 272) où Hegel présente les conséquences tragiques des abstractions portées au pouvoir : « Arrivées au pouvoir, ces abstractions ont produit d’une part le plus prodigieux spectacle vu depuis qu’il y a une race humaine : recommencer a priori, et par la pensée, la constitution d’un grand État réel en renversant tout ce qui existe et est donné, et vouloir donner pour base un système rationnel imaginé ; d’autre part, comme ce ne sont que des abstractions sans Idée, elles ont engendré, par leur tentative, les événements les plus horribles et les plus cruels. » Si la philosophie d’Aron a quelque chose en commun avec celle de Hegel, c’est d’être une philosophie de l’esprit et une philosophie politique, dans laquelle la liberté concrète est indissociable des responsabilités civiques. En revanche, Aron est resté profondément sceptique quant au cheminement de la raison dans l’histoire ; il recourt toujours de manière ironique à l’expression « ruse de la raison », évoque aussi le rôle de la bêtise dans l’histoire.
30 Voyez Fabrice Bouthillon, L’illégitimité de la République, Paris, Plon-Commentaire, 2004, 312 p.
31 Raymond Aron, Introduction à la philosophie de l’histoire, p. 147.
32 Ibid., p. 179.
33 Raymond Aron, La Philosophie critique de l’histoire. Essai sur une théorie allemande de l’histoire. Paris, Vrin, 1950, 325 p.
34 Dominique Auffret, Alexandre Kojève, La philosophie, l’État, la fin de l’Histoire, Paris, Grasset, 1990, signale l’inscription d’Aron parmi les auditeurs pour les années 1934-1935 et 1935-1936.
35 Raymond Aron, Mémoires, p. 96.
36 Raymond Aron, Les Guerres en chaîne, Paris, Gallimard, 1951, 502 p.
37 Raymond Aron, Paix et guerre entre les nations, Paris, Calmann-Lévy, 1962, 794 p.
38 Introduction à la philosophie de l’histoire, p. 164.
39 Ibid., p. 186-187.
40 Charles Renouvier, Uchronie. L’Utopie dans l’histoire, Histoire de la civilisation européenne telle qu’elle n’a pas été, telle qu’elle aurait pu être, Paris, Bureau de la critique philosophique, 1876, 413 p.
41 Op. cit., p. 187. Voyez aussi Raymond Aron, Les Étapes de la pensée sociologique, Paris, Gallimard, 1967, p. 515 (sur Max Weber) et Philippe Raynaud, « Raymond Aron et Max Weber », in Raymond Aron 1905-1983, Histoire et politique, Commentaire, no 28-29, Paris, Julliard, 1985, p. 213-221.
42 Voyez Introduction à la philosophie de l’histoire, p. 11 et 12 : « Sur le plan supérieur, notre étude conduit à une philosophie historique qui s’oppose au rationalisme scientiste en même temps qu’au positivisme. »
43 Raymond Aron, Introduction à la philosophie de l’histoire, p. 331.
44 Ibid., p. 289.
45 « Simples propositions du pacifisme », Libres Propos, février 1931.
46 Oswald Spengler, Der Untergang des Abendlandes. Umrisse einer Morphologie des Weltgeschichte. Munich, C. H. Beck, 1920, deux volumes.
47 Introduction à la philosophie de l’histoire, p. 243-244.
48 Ibid., p. 150.
49 Ibid., p. 120-121.
50 Ibid., p. 350 : « L’existence humaine est dialectique, c’est-à-dire dramatique, puisqu’elle agit dans un monde incohérent, s’engage en dépit de la durée, recherche une vérité qui fuit, sans autre assurance qu’une science fragmentaire et une réflexion formelle. »
51 Max Weber, Le Savant et le politique. Paris, Plon, 1959. Réédition UGE, 10-18, 1979, 185 p.
52 Leo Strauss, Droit naturel et histoire, Paris, Plon, 1954 (1re édition, Chicago, 1953). Réédition Flammarion, collection Champs, 1986, p. 50.
53 Raymond Aron, introduction à Max Weber, Le Savant et le politique, op. cit., p. 39.
54 Ibid., p. 51. Voyez aussi l’analyse essentielle de Philippe Raynaud, « Raymond Aron et Max Weber », Commentaire no 28-29, p. 220.
55 Comme l’a rappelé Jeanne Hersch, la liberté, dans la philosophie de Kant, n’est pas un phénomène : « Elle est en quelque sorte le point – et le seul – où selon la philosophie de Kant, nous rencontrons un noumène. “Rencontrer” n’est d’ailleurs pas le mot, car nous ne la “rencontrons” pas à la manière dont nous rencontrons les phénomènes, mais seulement dans l’action, dans la décision morale. » Voyez Jeanne Hersch, L’Étonnement philosophique, Paris, Gallimard, Folio Essais, 1993 (1re édition 1981), 462 p. ; p. 239 pour cette citation. La liberté est un postulat de la raison pratique. Dès 1927, en consacrant son diplôme d’études supérieures à la philosophie de Kant – La question de l’intemporel chez Kant. Moi intelligible et liberté – Raymond Aron avait fondé sa propre réflexion philosophique sur ce que nous pouvons appeler le socle kantien.
56 Philippe Raynaud, Max Weber et les dilemmes de la raison moderne, Paris, PUF, 1987, 217 p. ; p. 183 : « Au-delà du problème posé par les idéologies pacifistes, la polémique wébérienne est sans doute dirigée contre l’Aufklärung, dont le projet était aussi de surmonter l’irrationalité éthique du monde, en éliminant totalement l’élément violent ou arbitraire de la politique : c’est pourquoi, chez Max Weber, la politique ne relève plus seulement de la vérité, mais redevient, comme chez Hobbes, politique de la volonté. »
57 Voyez Carl Schmitt, « Der Führer schützt das Recht », Deutsche Juristenzeitung, Heft 15, août 1934, p. 945-950. Traduction française « Le Führer protège le droit. À propos du discours d’Adolf Hitler au Reichstag du 13 juillet 1934 », in Cités, no 14, 2003, p. 165-171.
58 Voyez Philippe Raynaud, op. cit., p. 180. Philippe Raynaud observe que dans le cas de Max Weber, la dimension antidémocratique se limite au niveau philosophique puisqu’il n’a jamais cessé de défendre les institutions démocratiques.
59 Max Weber, Le Savant et le politique, op. cit., p. 173.
60 Introduction à la philosophie de l’histoire, p. 173.
61 Carl Schmitt, La notion de politique, Paris, Champs Flammarion, 1992, p. 44 (1re édition 1927). La citation est tirée de la préface de 1963.
62 Raymond Aron, Mémoires, p. 151.
63 Raymond Aron, « États démocratiques et États totalitaires », communication du 17 juin 1939 à La Société française de philosophie, in Commentaire, no 24, 1983, p. 708.
64 Voyez Matthias Oppermann, op. cit., p. 84-88.
65 Raymond Aron, « Une révolution antiprolétarienne », in Inventaires. La crise sociale et les idéologies nationales, Paris, Alcan, 1936, p. 24-55.
66 Ibid., p. 36-37 : « Quant à la question juive, je n’entends pas la traiter longuement. »
67 Raymond Aron, Mémoires, p. 137.
68 Mémoires, p. 138 : « Léon Blum a-t-il jamais pris conscience de ses aberrations, de la faute commise par un homme d’État qui sacrifie les intérêts et même la sécurité du pays à ses illusions, qui confond une abdication avec le signe d’un monde nouveau ? »
69 Raymond Aron, Mémoires, p. 142. Voir aussi Robert Marjolin, Le Travail d’une vie, Mémoires 1911-1986, Paris, Robert Laffont, 1986, 445 p. ; p. 69.
70 Voyez Robert Frankenstein, Le Prix du réarmement français 1935-1939, Paris, Publications de la Sorbonne, 1982, 382 p. ; p. 277 : Robert Frank montre que, plus que les quarante heures, l’inadéquation des structures industrielles a freiné le réarmement.
71 Art. cit., p. 821.
72 Voyez Olivier Dard, Bertrand de Jouvenel, Paris, Perrin, 2008, 526 p. Voir le chap. 7 : « L’engagement au PPF », p. 128-142. Fabre-Luce et Jouvenel ont rejoint le PPF après leur échec aux législatives de 1936 – ils étaient alors candidats de l’Union socialiste républicaine. Ils ont quitté le bureau politique du PPF au moment des accords de Munich. Voir aussi Bertrand de Jouvenel, Le parti populaire français, in Sciences politiques, no 4, 1937, p. 363-370.
73 Alfred Fabre-Luce, Le Secret de la République, Paris, Grasset, 1938, 240 p. ; p. 219-220 pour cette citation.
74 Ibid., p. 237.
75 NAF 28060, boîte 206, dossier Alfred Fabre-Luce. La correspondance entre Fabre-Luce et Raymond Aron, qui s’étend de 1935 à 1981, a été publiée dans Commentaire, no 127, Automne 2009, p. 597 pour la lettre en question.
76 NAF 28060, boîte 206, lettre de Raymond Aron à Gaston Fessard du 28 octobre 1938. L’inquiétude qui apparaît dans cette lettre montre que, quoiqu’il en ait dit par la suite, Raymond Aron a fortement redouté la menace d’une subversion des consciences françaises sous l’influence du nazisme, situation qui renvoie à l’imprégnation fasciste décrite par Zeev Sternhell dans Ni droite, ni gauche.
77 Raymond Aron, Le Spectateur engagé.
78 Walter Lippmann, La Cité libre, Paris, Médicis, 1938, 458 p. Voyez aussi Le Colloque Lippmann, Paris, Médicis, 1938, réédité in Serge Audier, Le Colloque Lippmann. Aux origines du néo-libéralisme, Paris, Le Bord de l’eau, 2008, 355 p. Les pages 245 à 354 reprennent l’édition des actes du colloque de 1938.
79 La Cité libre, op. cit., préface d’André Maurois, p. 7-9.
80 François Denord, « Aux origines du néo-libéralisme en France. Louis Rougier et le colloque Walter Lippmann de 1938 », Le Mouvement social, no 195, 2001, p. 9 à 34.
81 Pierre Dieterlen, « Deux autocritiques du libéralisme », Critique, mars 1958, p. 268.
82 Cette intention idéologique apparaît très nettement dans François Denord, Néo-libéralisme, version française. Histoire d’une idéologie politique, Paris, Demopolis, 2007. Voyez aussi Serge Audier, op. cit., p. 30.
83 En partie seulement, puisque Serge Audier exonère Aron des soupçons qui pesaient sur lui en le recentrant, donc en le déplaçant vers la gauche. La perspective du livre de Serge Audier reste en revanche antilibérale : il considère le néolibéralisme comme une « impasse historique », évoque les « contre-révolutions » thatchérienne et reaganienne.
84 Raymond Aron, « La Chance du socialisme », Les Temps modernes, no 2, 1945, p. 222-247.
85 Raymond Aron, Mémoires, p. 167.
86 Serge Audier, op. cit., p. 271-272.
87 Walter Lippmann, La Cité libre, p. 451.
88 Raymond Aron, Mémoires, p. 148-149.
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