Chapitre IX. Le théâtre de la démocratie, de l’argument à l’injure
p. 285-312
Texte intégral
1Au début du IVe siècle, le topos du dèmos spectateur et celui de l’orateur-acteur évoluent, dans un contexte radicalement différent de celui des dernières décennies du ve, qui en avait vu l’épanouissement. Si la théâtralité des tribunaux est toujours aussi prégnante, si les orateurs ne cessent de faire du théâtre à la tribune de la Pnyx pour se faire comprendre de leurs concitoyens assemblés, le spectacle de la démocratie n’est plus un argument fort des adversaires de la démocratie, le thorubos, le brouhaha des hommes réunis en assemblée semble moins gêner les oreilles de l’élite. Certes, Platon théorise l’argument anti-démocratique développé quelques années auparavant, pour en faire le fondement de sa critique du régime1, mais nous allons voir que, au sein même des différentes assemblées démocratiques, le topos semble perdre de son efficacité politique : toujours présent dans les brocards de la Comédie – nous le verrons à travers l’exemple de l’Assemblée des femmes d’Aristophane – il apparaît essentiellement comme prétexte à un comique de situation ; sur la Pnyx et dans les tribunaux, l’argument devient insulte pure et simple.
L’Assemblée des femmes mise en scène, mise en abyme
2Dans les Acharniens, les Cavaliers, ou encore les Thesmophories, Aristophane avait mis en scène le topos du peuple spectateur, qui constituait à cette époque un argument de la rhétorique anti-démocratique. Mais qu’en est-il de la pièce de 392, l’Assemblée des femmes, sa première comédie conservée postérieure à la restauration démocratique de 403, présentée aux Athéniens alors que le douloureux souvenir deux coups d’État oligarchiques (411 et 404) est encore bien présent dans les esprits ? Quelle vision de la démocratie se dégage de l’oxymore que sont ces ekklèsiazontes au féminin ? Aristophane y présente-t-il le dèmos assemblé de la même façon que dans ses pièces jouées à l’époque de la guerre du Péloponnèse ?
3Les pièces féminines d’Aristophane ont bien souvent été abordées par les critiques comme des comédies purement utopiques, témoignant du désengagement politique du poète, désormais désabusé2 ; elles auraient même eu pour but de dénoncer la mort du politique et la déliquescence de la démocratie3. Il est certes indéniable que l’Assemblée des femmes est, par certains aspects, une œuvre utopique. Mais Aristophane n’en fait pas un programme politique utopiste ni un pamphlet dénonçant la décadence de la démocratie.
4Kenneth Rothwell a bien montré, dans une remarquable monographie sur les rapports entre peithô et erôs, que, loin de dénoncer les dangers de la démagogie et le déclin démocratique, l’Assemblée des femmes traite des enjeux du pouvoir dans la formation et le fonctionnement d’une communauté et montre que, lorsqu’elle est entre de bonnes mains, la persuasion est une force positive et indispensable à la démocratie4. Josiah Ober a également proposé une lecture politiquement positive de la pièce : le poète inviterait son public à admettre les contradictions de ses propres normes et valeurs, mais ne contesterait pas la légitimité du système démocratique, bien au contraire : il rappellerait aux spectateurs que la démocratie est « un système terriblement puissant et efficace pour réformer des réalités sociales5 ».
5Il ne faut cependant pas perdre de vue que, dans ses comédies féminines comme dans les autres, le poète s’attache avant tout à faire rire les spectateurs en subvertissant le réel et, plus précisément, le politique6. Or, nous pensons que, tant dans l’Assemblée des femmes que dans les Thesmophories et Lysistrata, le paradoxe risible des « femmes qui prennent le dessus » ne fait que recouvrir d’un voile acceptable le brocard que le poète adresse aux spectateurs-citoyens pour les faire rire d’eux-mêmes, et qu’on pourrait résumer ainsi : « Quand vous délibérez à l’ekklèsia, vous êtes plus faibles que des femmes ! »
6L’Assemblée des femmes constitue clairement une satire de l’Assemblée du peuple. La pièce présente aux citoyens une image du dèmos délibérant littéralement travestie par l’idée comique. En effet, les réalités politiques sont omniprésentes, mais sont systématiquement passées par le filtre comique spécifique des pièces féminines7. Les références aux espaces politiques sont très nombreuses : la Pnyx est souvent mentionnée8, mais on trouve également dans la pièce des allusions aux tribunaux et aux portiques en tant que lieux de réunion9, ainsi que des détails matériels précis qui évoquent directement l’organisation et le déroulement des séances de l’ekklèsia :
« Les Commissaires avaient mis à l’ordre du jour un débat sur la sauvegarde de la cité. Alors, d’emblée, Néoclidès-N’y-voit-goutte a pris les devants en se trimbalant vers la tribune. Et alors le peuple de brailler, tu entends ça d’ici : « C’est un peu fort que ce type-là ait le toupet de nous haranguer, surtout sur la sauvegarde de la cité, lui qui n’a même pas pu sauvegarder ses cils10 ! »
7Or les femmes sont bien conscientes que prendre la parole, c’est déjà avoir en main les clés du pouvoir et, à leur tour, imitant les hommes, elles vont « bondir » sur la tribune et se mettre à « haranguer le peuple11 ». Ainsi l’utilisation que font les femmes du logos devient-elle une figuration comique du comportement des orateurs à l’Assemblée. Cette fonction satirique du paradoxe fondamental des pièces féminines a été abondamment commentée par Kenneth Rothwell et Josiah Ober12 notamment, si bien qu’il nous paraît inutile d’y insister davantage.
8Par ailleurs, le logos se révèle être le seul élément du travestissement des épouses de citoyens en citoyens qui soit fiable. Comme l’a montré Charalampos Orfanos, dans la lignée de Froma Zeitlin, les femmes qui se déguisent en hommes ne peuvent pas se transformer en hommes adultes, mais seulement en jeunes gens, en neaniskoi, que leur statut laisse encore en marge de la société13. Néanmoins, le déguisement reste la condition sine qua non pour pénétrer dans l’enceinte de la Pnyx et s’emparer du logos. On notera au passage que, dans les Thesmophories, à l’inverse, c’est un homme – le Parent d’Euripide – qui doit accepter d’être déguisé en femme pour accéder au sanctuaire des Deux Déesses et y prendre la parole, afin de protéger le poète tragique de la furie des femmes. Impossible donc de parler devant l’autre sexe sans se travestir. Cette ruse n’est pas facile, car le seul costume ne suffit pas au travestissement : alors que le Parent d’Euripide doit s’épiler, porter des seins postiches et modifier sa voix, Praxagora et ses compagnes doivent laisser pousser leurs poils, se bronzer le visage, porter une fausse barbe, marcher à l’aide d’un bâton et « n’avoir plus rien qui ressemble à ce qu’est une femme14 ». Le Parent d’Euripide est très rapidement démasqué, parce qu’il ne sait pas tenir sa langue15 ; les femmes de l’Assemblée, en revanche, sont beaucoup plus habiles et beaucoup mieux préparées, puisqu’elles ont longuement répété leur rôle avant de se lancer dans l’aventure16. Elles arrivent ainsi à berner les hommes, comme en témoigne le récit que fait Chrémès à son retour de l’Assemblée :
« Là-dessus, voilà qu’un jeune homme fort avenant, au teint clair (il ressemblait à Nicias), a bondi pour haranguer le peuple (δημηγορήσων). Il s’est mis en devoir de montrer qu’il faut confier la cité aux femmes17 ! »
9Contrairement aux femmes des Thesmophories, les hommes de l’Assemblée ne décèlent pas la ruse, et laissent ainsi les femmes prendre le pouvoir. Leur chef, Praxagora, réussit à passer pour un jeune homme, rompu à l’art oratoire, un peu efféminé, certes, mais, qu’à cela ne tienne : chacun sait que les politiciens et, plus généralement, les citoyens le sont tous plus ou moins. C’est pour cela qu’ils n’arrivent pas à déceler la ruse des femmes. Ainsi, dans l’Assemblée des femmes, les femmes ne sont qu’un alibi pour brocarder les assemblées de citoyens et, plus généralement, le comportement politique des hommes d’Athènes. On est bien loin d’un constat de décès du politique et encore plus loin d’une pièce d’évasion. Il s’agit plutôt d’invective politique, composante essentielle de la définition du comique dans la comédie ancienne et, nous le verrons, de l’arsenal argumentatif de la rhétorique de cette époque.
10Ainsi, le travestissement est un moyen d’accéder au pouvoir dans la fiction comique et, partant, de faire rire les citoyens-spectateurs, qui, contrairement à leurs alter ego scéniques, ne sont pas dupes. D’ailleurs, si l’on ne voit pas sur scène l’assemblée dont il est question dans la première moitié de la pièce, et si le spectateur doit se contenter du récit que Chrémès en fait18, Praxagora réitère les propos qui y ont été tenus et les adresse, cette fois, au public :
« Ma foi… que mes leçons soient excellentes, je n’en doute pas. Mais est-ce que le public (τοὺς δὲ θεατάς) consentira à tailler dans le neuf, à ne pas trop se confiner dans les anciens usages ? […]
Eh bien, qu’on s’abstienne de toute contradiction et de toute interruption (μηδεὶς ὑμῶν ἀντείπῃ μηδ᾽ ὑποκρούσῃ) avant d’être au fait du propos dont il s’agit, et d’avoir écouté l’orateur (πρὶν ἐπίστασθαι τὴν ἐπίνοιαν καὶ τοῦ φράζοντος ἀκοῦσαι).
Je vais vous dire : il faut donner part à tous de toutes choses, en communauté19… »
11Praxagora se pose donc ici face aux theatai comme « celui qui parle » (ho phrazôn), c’est-à-dire comme un orateur, en faisant du théâtre le prolongement pour ainsi dire naturel de l’arène de l’assemblée, où elle vient de triompher20. Comme dans les Thesmophories21, le public de l’Assemblée des femmes n’échappe pas totalement à la confusion des genres qui règne dans l’orchestra à cause du double travestissement qui fait que des acteurs masculins jouent des rôles de femmes qui se déguisent en hommes. En effet, lors de la répétition, l’une des femmes s’adresse en ces termes à ses compagnes, comme si elle était déjà à l’Assemblée : « À mon avis, l’assemblée que vous formez, Mesdames (gunaikes hai kathèmeai)22… » ; puis s’apercevant de son erreur, et en montrant le public : « C’est la faute à Épigonos, là-bas ! J’ai regardé de son côté ! Je croyais parler à des femmes23 ! »
12Praxagora réalise dans la comédie une véritable mise en scène, elle monte une pièce dans la pièce. On la voit en effet, tel un didaskalos – auteur et metteur en scène –, faire répéter ses artistes, les corriger, ajuster leur déguisement, en un mot, « mettre en scène » la pièce destinée à l’Assemblée :
« Et les barbes, vous les avez ? Vous savez, c’était entendu qu’on les aurait toutes le jour du rassemblement24 ?
Ce n’est pas tout ça, il faut voir à exécuter le reste du programme, pendant que les étoiles sont encore au ciel25.
Eh bien, équipe-toi, et sois un homme, vite ! Moi aussi, je vais poser ici les couronnes, et mettre une barbe, avec vous, pour si je crois devoir prendre la parole26. »
13Or, en jouant la comédie dans l’enceinte de la Pnyx, les femmes la convertissent en théâtre. En effet, si l’on peut interpréter cette pièce comme un premier pas vers les intrigues domestiques de la Comédie Nouvelle, on peut aussi l’inscrire dans la continuité des Acharniens ou des Cavaliers et de la théâtralisation de l’espace politique.
14Nous avons vu, en effet, que la Pnyx des Acharniens n’est autre que les gradins du théâtre de Dionysos, et que celle des Cavaliers, représentée sur scène par un tas de cailloux, est doublée par le koilon du théâtre. À l’inverse, dans l’Assemblée des femmes, c’est la Pnyx qui est virtuellement envisagée comme un théâtre et les citoyens de la fiction comme les spectateurs (stupides) de la pièce jouée par les femmes. Les spectateurs réels, eux, sont à la fois les spectateurs (intelligents) de cette mise en scène, les spectateurs de la comédie dans son ensemble et les citoyens auxquels elle s’adresse. Il apparaît dans cette pièce, comme le note Froma Zeitlin, que « toute prestation devant l’Assemblée – ou toute autre réunion publique – pourrait être considérée comme une sorte de spectacle27 ».
15Le psogos comique spécifique de la pièce – « vous êtes plus faibles que des femmes » – exploite l’idée de l’assemblée-spectacle, pour disqualifier l’ekklèsia, à tel point dépourvue de discernement qu’elle est incapable de faire la différence entre une femme et un homme. Or, si en leur qualité de citoyens siégeant à l’Assemblée, les Athéniens qui composent le public de l’Assemblée des femmes auraient été dupes du déguisement de leurs épouses, dans leur immense sagacité de spectateurs, ils ne le sont pas ! L’ekklèsia ainsi disqualifiée, le théâtre reste, par défaut et par définition, la seule assemblée légitime du peuple, juge ultime du sort de la cité et, accessoirement, lieu d’exercice de l’art salutaire du poète comique. Comme si le poète regrettait la courte période, pas si lointaine, où les Athéniens « n’usaient pas d’assemblées28 ».
16Tandis qu’en 424 avant J.-C., les Cavaliers mettaient en scène un Dèmos spectateur, abruti par les flagorneries du Paphlagonien Cléon, reprenant ainsi, à des fins comiques, l’un des arguments favoris des détracteurs de la démocratie, trois décennies et deux coups d’État oligarchiques plus tard, l’Assemblée des femmes permet de déceler un infléchissement du topos. En effet, le poète ne met plus l’accent sur la conduite avilissante du peuple athénien, ni sur les flagorneries des démagogues qui le dupent : s’il présente l’Assemblée comme un grand théâtre, c’est avant tout parce que l’image est pour lui prétexte aux jeux de travestissement qui fondent le comique de la première moitié de la pièce de 392.
17Ainsi, le topos du spectacle de la démocratie est toujours bien présent, mais la façon dont Aristophane s’en sert dans cette comédie semble indiquer qu’il est désormais dépassionné, pour ne pas dire dépolitisé. Aurait-il perdu, à l’Assemblée et dans les tribunaux, de sa force d’argument idéologique ? C’est ce que nous allons essayer de comprendre à présent, en étudiant les discours de Démosthène et d’Eschine, deux orateurs qui, tout au long de leur longue rivalité, n’ont pas cessé, pour des raisons diverses, de faire référence au monde du théâtre.
« Acteur de troisième ordre » (Démosthène, Sur la Couronne, 209)
18Les joutes qui opposèrent Démosthène et Eschine à propos de l’ambassade de 347 avant J.-C., et qui ont fait l’objet d’un procès en 343, ainsi que le litige concernant un éventuel couronnement de Démosthène dans le théâtre de Dionysos en 330 ont souvent été étudiés, notamment sous l’angle du théâtre. Ainsi, Galen Rowe a montré comment Démosthène, dans son discours Sur la Couronne, prête à Eschine les traits comiques de l’alazôn, tandis qu’il fait de ses auditeurs les héros de la tragédie de la défaite athénienne29. Nancy Worman a proposé récemment une analyse de ce duel rhétorique, montrant que, pour discréditer son adversaire, chaque orateur s’en prend à l’élocution de l’autre, mais aussi à tout autre usage – y compris sexuel – de sa bouche, ce qui rend encore plus perméable la frontière entre le brocard (psogos) comique et l’invective rhétorique30. Enfin, pour Anne Duncan, les discours d’Eschine et de Démosthène « font référence à la naissance, à Athènes, de préjugés négatifs à l’égard de la théâtralité » – parmi lesquels le sentiment croissant que le travail de l’acteur (hupokritès en grec) « déteint » sur son caractère, et qu’il finit par devenir un hypocrite. Plus généralement, les techniques théâtrales semblent s’infiltrer, à cette époque, dans d’autres arènes de la vie publique31. Nous tenterons, quant à nous, de replacer ces discours dans la perspective qui nous occupe, afin de comprendre comment le topos de l’orateur-acteur qui, dès le début du siècle, semble dépassionné, à juger de son utilisation sur la scène comique, a évolué à l’Assemblée et dans les tribunaux.
19Dans ses différents discours visant Eschine, Démosthène raille sa voix tempétueuse32 et braillarde33 – comme le faisait Aristophane au sujet de celle de Cléon presque un siècle auparavant –, et ne manque pas une occasion de rappeler la brève carrière d’acteur tragique de son adversaire, allant jusqu’à mentionner les titres des pièces qu’il avait jouées et les noms des autres acteurs34. Au IVe siècle, à Athènes, les acteurs ne font pourtant pas l’objet de mépris, bien au contraire ; comme nous le verrons dans le prochain chapitre, ils sont reconnus, adulés parfois, et certains d’entre eux assument des responsabilités politiques : comme le souligne très justement Edward Harris, « leur capacité de parler de façon efficace était très valorisée dans cette société où la rhétorique était si importante, tant en politique qu’en diplomatie » ; et l’historien de rappeler que ce fut justement le cas pour Eschine, qui, peu de temps après son entrée en politique, mit sa voix au service d’ambassades dans le Péloponnèse, à Delphes et en Macédoine35.
20Démosthène, qui ne peut donc pas s’appuyer sur une opinion publique a priori défavorable aux acteurs36, s’attache à démontrer la médiocrité de son adversaire en tant que professionnel du spectacle. Dans l’ensemble des discours qui nous sont parvenus, s’il le qualifie une fois, de façon fortement ironique, de hupokritès aristos (« excellent acteur »)37, il préfère le traiter, à cinq reprises, de tritagônistès, c’est-à-dire d’acteur seulement capable de jouer des troisièmes rôles38. « Acteur de troisième ordre », traduit Georges Mathieu, car, dans la bouche de Démosthène, le terme est clairement méprisant. Qu’Eschine n’ait jamais joué autre chose que des troisièmes rôles n’est pas suffisant pour Démosthène39, qui, reprenant un procédé assez couramment utilisé par les orateurs, mais aussi par la comédie ancienne, nous l’avons vu, s’en prend à la famille et au milieu social de son adversaire :
« Ces juges ne savent-ils pas que tout d’abord tu lisais les livres de ta mère pendant ses initiations et que, dans ton enfance, tu roulais dans des thiases d’ivrognes ? qu’ensuite tu as été scribouillard aux ordres des magistrats et que tu commettais des malhonnêtetés pour deux ou trois drachmes ? enfin que tout récemment tu étais bien content de trouver ta nourriture en jouant les troisièmes rôles dans des représentations payées par d’autres ? De quelle vie parleras-tu que tu n’as pas menée ? Car on voit bien ce qu’a été la tienne40. »
21Comme Aristophane l’avait fait avec Euripide, Démosthène suggère à plusieurs reprises les occupations peu recommandables de la mère de son adversaire, qu’il traite de femme lubrique41, laissant ainsi planer le doute sur la citoyenneté de sa progéniture. Eschine, né esclave (doulos) et mendiant (ptôchos) serait ainsi « ingrat et pervers par nature (acharistos kai ponèros phusei)42 ». Démosthène ne lui épargne pas non plus l’insulte de hupogrammateus43 – devenue lieu commun de la rhétorique –, en l’étayant de détails circonstanciés : ainsi Eschine aurait-il été le sous-greffier de divers magistrats, ainsi que du Conseil et de l’Assemblée44. Faute de pouvoir s’appuyer sur l’opprobre social qui frappait les acteurs un siècle plus tôt, Démosthène amène donc ici progressivement ce qu’il présente comme le dernier degré de la déchéance sociale de son adversaire et comme un élément de sa biographie incontestable et connu de tous les Athéniens : médiocre et besogneux, Eschine aurait fini par se faire acteur pour se nourrir45. En fait, Edward Harris montre que la famille d’Eschine n’était pas pauvre, mais seulement « dépourvue des avantages de la naissance et de la richesse qui leur auraient permis, à lui-même et à ses frères, d’être aisément acceptés aux cercles respectables de la société46 ». Selon l’historien, cela explique notamment les longues citations poétiques qu’Eschine faisait dans ses discours : « dans l’impossibilité de se prévaloir d’ancêtres célèbres ou de service insigne rendu à la collectivité par sa famille, Eschine était réduit à se servir des acquis de son éducation pour montrer qu’il méritait le respect réservé aux kaloi kagathoi. L’évidente fierté qu’il tirait de son éducation faisait de lui quelqu’un d’un peu présomptueux47 ». Ceci dit, les difficultés que doit affronter Edward Harris pour démêler le vrai du faux dans ce dossier montrent surtout que Démosthène s’était rendu maître dans l’art du psogos – et, accessoirement, dans celui de brouiller les pistes –, au point que, dans le cas d’Eschine, tous les lieux communs rhétoriques semblent pourvus d’un fond de vérité.
22Par exemple, la prétendue médiocrité professionnelle d’Eschine en tant qu’acteur n’est pas seulement suggérée ; Démosthène se fait un plaisir de la souligner dans un passage qui s’appuie avec beaucoup d’humour sur le caractère notoirement « indiscipliné » du public du théâtre athénien :
« Tu t’es loué à ces acteurs surnommés les grands gémisseurs, Simyccas et Socratès, appelés les Soupireurs ; tu jouais les troisièmes rôles, tu maraudais des figues, des raisins, des olives, comme un vendeur de fruits (ὥσπερ ὀπωρώνης) dans le domaine d’autrui ; et tu y gagnais plus que dans les concours, où vous jouiez votre vie, car il y avait guerre implacable et sans trêve entre vous et les spectateurs qui t’ont infligé bien des blessures (c’est naturellement pour cela que tu railles, en les traitant de lâches, ceux qui n’ont pas connu cette sorte de dangers)48. »
23Comme le souligne Harvey Yunis, la raillerie de Démosthène comporte trois niveaux49 : tout d’abord, le cadre agricole suggère qu’Eschine était si peu apprécié comme acteur qu’il ne pouvait jouer qu’aux Dionysies Rurales, un festival de théâtre « périphérique », destiné à un public de paysans plutôt pauvres, n’ayant pas les moyens de se déplacer pour assister aux Grandes Dionysies et, partant, moins exigeants sur la qualité des spectacles ; cela tombait bien pour lui, car c’était « l’occasion de voler des fruits dans les champs, comme un maraudeur qui revend son butin, une figure courante du mime comique primitif50 ». Au deuxième niveau d’énonciation, Démosthène, en jouant sur la polysémie du terme agôn, suggère qu’Eschine était si mauvais artiste que, pour compléter le misérable revenu que lui valait sa médiocrité professionnelle, il lui fallait marauder. Enfin – troisième suggestion de cette raillerie à trois étages –, même son public paysan, le seul qu’Eschine pouvait toucher, se serait rendu compte de son incompétence dramatique et, pour s’en débarrasser, aurait même cherché à l’assommer. Ce serait donc pour sauver sa peau qu’Eschine aurait abandonné sa carrière d’acteur tragique. Bien que, comme le montre Edward Harris, Eschine ait cessé de jouer au théâtre à la suite de son mariage qui, vers 348, lui a permis d’asseoir définitivement sa position sociale et de ne plus avoir à travailler pour vivre51, Démosthène persiste à attribuer sa reconversion professionnelle l’ayant conduit de l’orchestra à la tribune à son incompétence en tant qu’acteur, et n’hésite pas à établir, par une cascade d’« antithèses asyndétiques52 », un cruel parallèle entre sa propre carrière et celle d’Eschine :
« Examine donc l’une à côté de l’autre ton existence et la mienne, calmement, sans colère, Eschine. Puis demande aux gens que voici quel est des deux sorts celui que chacun d’eux choisirait. Tu enseignais la lecture ; moi, j’étudiais. Tu initiais ; j’étais initié. Tu étais scribe ; moi, je faisais partie de l’Assemblée. Tu jouais les troisièmes rôles ; moi, j’assistais au spectacle. Tu tombais ; moi, je sifflais. Toute la politique a été dans l’intérêt de l’ennemi ; toute la mienne, dans l’intérêt de la patrie53. »
24Et Démosthène de conclure, un peu plus loin :
« Que les dieux tout d’abord, et ensuite tous les gens que voici te fassent périr misérablement, toi qui ne vaux rien ni comme citoyen ni comme acteur de troisième ordre54 ! »
25En effet, comme le remarque très justement Harvey Yunis, dans l’inventaire comparatif de Démosthène, « comme dans l’invective elle-même, les activités attribuées à Eschine sont viles, serviles et méprisables. Les activités correspondantes attribuées à Démosthène présupposent certes contrôle et pouvoir mais, mis à part les connotations aristocratiques de la fréquentation des écoles, ce sont des activités que tout citoyen aurait pu exercer55 », à commencer, bien sûr, par ceux qui composent le jury devant lequel l’orateur est en train de plaider. Démosthène le dit on ne peut plus clairement un peu plus loin : « Toi, d’ailleurs, tu n’as jamais servi à rien ; moi, je faisais tout ce que doit faire un bon citoyen56. » En effet, suivant ce raisonnement, Eschine était trop occupé à assurer sa survie matérielle pour disposer du minimum de temps qu’un citoyen doit avoir pour pouvoir penser à la collectivité et servir comme il se doit la cité57. Voilà pourquoi, à la première occasion, au lieu de songer à l’intérêt public, Eschine pense à ses intérêts privés et, pour s’enrichir, n’hésite pas à trahir la cité. Piètre acteur, sifflé jadis au théâtre, il n’a pas sa place à la tribune de l’Assemblée ou des tribunaux : il est, en fin de compte, indigne du statut même de citoyen. Ainsi, l’invective traitant Eschine d’« acteur de troisième ordre » s’inscrit-elle dans la stratégie rhétorique de Démosthène qui vise non seulement à disqualifier son adversaire en dévalorisant son milieu social – allant jusqu’à contester, au détour d’une incise, la régularité de son inscription au dème58 – et en lui déniant toute compétence professionnelle, mais, plus radicalement encore, à le disqualifier en tant que citoyen59.
26En effet, Démosthène semble appuyer son raisonnement essentiellement sur le fait qu’Eschine, malgré sa médiocrité, était parvenu à se faire une place parmi les personnalités politiques de l’époque ; comme le rappelle Edward Harris, « quand les deux hommes furent élus pour participer à la première ambassade à Philippe en 346, Démosthène, qui était environ six ans plus jeune qu’Eschine, avait beaucoup plus d’expérience que lui. Il n’est donc pas étonnant qu’il ait méprisé Eschine en le considérant comme un débutant cherchant à usurper honneurs et privilèges auxquels son milieu social ne lui donnait pas droit60 ». Bien qu’il reconnaisse, contraint et forcé, que son tritagoniste de rival a une belle voix et qu’il s’exprime bien61, Démosthène trouve moyen de transformer ces qualités en défauts, en suggérant qu’il est davantage préoccupé par l’effet produit sur son public que par le salut de la cité :
« Cela me fait croire, Eschine, que tu as voulu faire une sorte d’exhibition d’éloquence et de vocalises (λόγων ἐπίδειξίν τινα καὶ φωνασκίας) quand tu t’es décidé à ce procès, et non pas faire punir une faute quelconque. Mais ce n’est pas l’éloquence de l’orateur (ὁ λόγος τοῦ ῥήτορος), Eschine, qui est chose précieuse, ni la force de la voix (ὁ τόνος τῆς φωνῆς) ; c’est le fait d’avoir les mêmes aspirations que la majorité (τὸ ταὐτὰ προαιρεῖσθαι τοῖς πολλοῖς), de détester ou d’aimer ceux qu’aime ou déteste la patrie62. »
27Le signifiant n’a aucune importance, c’est le signifié qui compte : épouser le sentiment général et servir l’intérêt commun, autrement dit, être bon citoyen, est la seule condition pour accéder au statut d’orateur et mériter le respect et l’attention de ses auditeurs. Or, Eschine, d’après son adversaire, n’est pas bon citoyen ; il est donc tout entier tourné vers cette enveloppe futile qu’il a passé toute sa vie d’acteur à cultiver, et sur laquelle il n’est même pas parvenu à laisser une empreinte reconnaissable (« une sorte d’exhibition » : c’est ainsi qu’il convient de traduire le pronom indéfini tina). Ainsi, il s’avère que la compétence d’Eschine est non seulement contestable au plan technique, mais n’est même pas pertinente pour la fonction à laquelle il aspire en montant à la tribune. Tout au long de sa misérable vie d’acteur, il a travaillé pour rien ! Incapable de sortir de sa médiocrité congénitale en se mettant au service de la communauté, Eschine reste ainsi prisonnier de son ancienne identité professionnelle, réduit à réciter aux juges des vers empruntés aux poètes63, incapable même de choisir les bonnes citations, celles qui auraient pu le faire passer pour un patriote64. Il ne lui reste plus qu’à déclamer ses tirades avec une emphase tragique65 :
« Le voilà qui, sortant de sa tranquillité, en coup de vent, est apparu comme un orateur ; il a exercé sa voix, a fait collection d’expressions et de tirades ; il enfile d’une voix claire et sans reprendre haleine ces discours qui n’apportent aucun profit ni la possession d’aucun bien, mais le malheur pour n’importe quel citoyen et la honte pour la collectivité66. »
28En effet, de même que Platon déplorait que l’on ne vienne au tribunal que « pour y jouer ces drames apitoyants, et rendre la Cité ridicule67 », Démosthène ne manque pas de souligner ce que les déclamations d’Eschine peuvent avoir de grotesque, notamment quand il essaie piteusement de s’approprier les valeurs de l’élite aristocratique68 : « Ô Terre ! ô Soleil ! ô Vertu ! », a-t-il ainsi « hurlé, comme dans une tragédie », à la fin du Contre Ctésiphon, ou encore, « intelligence et éducation69 ! » L’ancien acteur tragique apparaît d’ailleurs davantage comme un bouffon, qui, par sa seule présence à la tribune, transforme l’Assemblée en cortège grotesque :
« Et tu cries, en employant, comme du haut d’un char [de carnaval] (ὥσπερ ἐξ ἁμάξης), termes permis et termes interdits, expressions qui s’appliquent à toi et à ta famille mais non pas à moi. Cependant, encore un mot, Athéniens. À mon avis, l’accusation diffère de l’injure (λοιδορίαν κατηγορίας τούτῳ διαφέρειν) en ce que l’accusation implique des fautes dont la peine est fixée par les lois, et l’injure, des calomnies que les ennemis s’adressent suivant leur propre naturel (τὴν δὲ λοιδορίαν βλασφημίας, ἃς κατὰ τὴν αὑτῶν φύσιν τοῖς ἐχθροῖς περὶ ἀλλήλων συμβαίνει λέγειν). J’ai toujours pensé que, si nos ancêtres ont bâti les tribunaux que voici, ce n’est pas pour vous y réunir afin de nous entendre nous injurier en termes interdits à propos de notre vie privée, mais pour que nous confondions tout homme qui aura commis un crime envers la cité. Or Eschine, qui sait cela aussi bien que moi, a résolu d’agir comme en carnaval au lieu d’accuser (πομπεύειν ἀντὶ τοῦ κατηγορεῖν εἵλετο)70. »
29Démosthène présente ainsi à plusieurs reprises Eschine comme un individu incapable de participer à un débat devant un tribunal, car il ne peut pas se retenir de calomnier et d’injurier71. Par un glissement conceptuel déjà opéré par les Anciens dans le cadre de leur réflexion sur la généalogie du genre comique72, et qui mène de la pompè des Anthestéries à la comédie des Dionysies ou des Lénéennes, Démosthène fait de son vieil ennemi, de tritagoniste tragique qu’il était, un acteur comique, un bouffon.
30En matière de loidoria, Démosthène n’a pourtant rien à envier à son rival, n’hésitant pas, pour le ridiculiser, à faire usage du psogos comique73 :
τοῦτο δὲ καὶ φύσει κίναδος τἀνθρώπιόν ἐστιν, οὐδὲν ἐξ ἀρχῆς ὑγιὲς πεποιηκὸς οὐδ᾽ ἐλεύθερον, αὐτοτραγικὸς πίθηκος, ἀρουραῖος Οἰνόμαος, παράσημος ῥήτωρ.
« Ce petit bonhomme est un renard, qui, dès l’origine, n’a jamais rien fait de bon ni de généreux, un singe tragique, un Œnomaos campagnard, une fausse monnaie d’orateur74. »
31Associant des épithètes aux résonances comiques75 à des termes renvoyant à la tragédie, Démosthène fait d’Eschine un acteur tragique de comédie76, tel l’Euripide des Grenouilles, « fils de la déesse campagnarde (pais tès arouraias theou)77 », ou le ridicule Agathon des Thesmophories78. De l’acteur comique au personnage comique – et en particulier à l’alazôn, comme l’a montré la riche analyse de Galen Rowe79 – le pas est vite franchi80. Eschine, aussi mauvais acteur que citoyen, dénature la tribune de la Pnyx comme celle des tribunaux : « Aujourd’hui, […] il vient entasser griefs, sarcasmes, invectives, et jouer une comédie81 ! »
32Ainsi, il apparaît que, lorsque Démosthène reproche à son adversaire de transformer l’Assemblée et les tribunaux en vaste comédie et de l’emporter « comme accusateur dans des procès d’une nouvelle espèce, comme si c’était des drames, et même dans des procès sans témoins82 », il n’utilise pas le passé d’Eschine pour stigmatiser une quelconque responsabilité des démagogues face à une décadence démocratique, comme le faisaient les détracteurs de Cléon en son temps, mais simplement pour disqualifier un individu dont il voulait contester le droit de monter à la tribune.
33Cependant, si le passé dramatique d’Eschine est un terrain idéal pour Démosthène, qui peut ainsi s’appuyer sur un topos bien connu de son auditoire, Eschine lui-même utilise sa propre expérience professionnelle passée contre Démosthène, qu’il présente notamment comme un acteur incompétent :
« L’attention était générale, on s’attendait à des merveilles d’éloquence […]. Alors cet être prodigieux commence à balbutier d’une voix mourante de peur un exorde obscur, puis, à peine entré dans la question, il se tait tout à coup, perd contenance et ne peut plus retrouver la parole. Philippe, le voyant dans cet état, l’exhorte à retrouver son assurance, à ne pas s’imaginer qu’il subit là une catastrophe, comme un acteur au théâtre (ὥσπερ ἐν τοῖς θεάτροις) […]. Mais Démosthène […] ne parvint pas se ressaisir. […] Le silence durait, le héraut nous invita alors à nous retirer83. »
34Démosthène est si mauvais que, pour tenter de le rassurer, Philippe lui-même, contre qui l’orateur n’a jamais caché son hostilité, lui rappelle qu’il n’est pas un acteur au théâtre, que ce n’est donc pas si grave d’avoir le trac, comme si l’enjeu d’une mission diplomatique officielle était moins important que celui d’une représentation théâtrale. Comme si, dans un cas comme dans l’autre, il s’agissait de textes appris par cœur et que l’ambassadeur Démosthène était incapable d’improviser la moindre phrase au-delà du texte qu’il avait été incapable de mémoriser, comme l’aurait fait n’importe quel acteur, fût-il dépourvu de talent. Celui qui ne cesse de railler les piètres qualités d’acteur de son adversaire se trouve à son tour ridiculisé, mauvais orateur qui perd ses moyens devant son public – de marque – et couvre ainsi de ridicule l’ambassade athénienne. Eschine se fait également un plaisir de moquer la « voix perçante et abominable84 » – une voix d’aulos85 – et la gestuelle (« tu tourbillonnais à la tribune86 ») d’un Démosthène larmoyant87.
35Ainsi, l’ancien acteur tragique se saisit lui aussi du topos pour faire de son adversaire un faiseur sans talent qui, non content de se couvrir de ridicule en réclamant sa couronne à force de larmes, de cris et d’accents88, se révèle digne, à l’âge adulte, de son surnom d’enfant, qu’il n’aurait pas hésité à revendiquer, pour se mettre en scène et faire rire de lui-même89 : en effet, quand il était petit, Démosthène aurait été surnommé Battalos par sa nourrice, à cause d’un défaut de prononciation (battarizein). Or Battalos était aussi le nom (ou le surnom) d’un joueur d’aulos90. Nous pensons que l’insistance avec laquelle Eschine revient sur ce sobriquet n’est pas tant une allusion obscène91 qu’un énième commentaire désobligeant sur la voix disgracieuse de Démosthène, à nouveau rapprochée du son de l’aulos.
36Or, dans l’exorde de son discours Contre Ctésiphon, prononcé en 330 avant J.-C., Eschine, que son adversaire accusait de confondre procès et représentations dramatiques, déplore l’indiscipline des orateurs à la tribune, regrettant que les lois de Solon soient tombées en désuétude :
« Ainsi, le plus âgé d’entre les citoyens pourrait, comme les lois le prescrivent, monter le premier à la tribune, et, observant un maintien modeste (σωφρόνως), donner à la cité les plus sages conseils, fruits de son expérience, sans être interrompu par aucun tumulte (ἄνευ θορύβου) ; puis, se présenterait ensuite qui voudrait parmi les autres citoyens, chacun à son tour suivant le rang d’âge, pour exprimer son opinion sur toute la question92. »
37Si les accents platoniciens de tels propos sont indéniables93, l’orateur ne vise pas ici la démocratie en tant que système politique : Eschine prend bien soin, dans les lignes qui suivent immédiatement ce passage, de souligner que l’indiscipline qu’il fustige nuit à la souveraineté du dèmos, qui risque fort de se trouver dépossédé de son pouvoir94. Mais ils n’en rappellent pas moins d’autres propos tenus par Eschine une quinzaine d’années auparavant, dans son discours Contre Timarque, où la figure de Solon était déjà appelée en renfort contre les mauvaises habitudes des orateurs du IVe siècle :
« Nous avons tous aujourd’hui l’habitude de tenir la main hors du vêtement pendant que nous parlons. Or, nos anciens orateurs, Périclès, Thémistocle et cet Aristide qui portait un surnom opposé à celui de notre Timarque, montraient tant de réserve (οὕτως ἦσαν σώφρονες) que cet usage, à l’époque où ils vivaient, paraissait entaché d’inconvenance et qu’ils se gardaient de le pratiquer. Je puis vous donner de ce fait une preuve matérielle incontestable. Vous êtes tous allés, je le sais, à Salamine, vous y avez vu la statue de Solon, et vous seriez prêts à témoigner que dans cette ville, sur la place publique, Solon est représenté tenant la main sous son manteau. Eh bien ! citoyens d’Athènes, cette attitude rappelle et reproduit celle qu’il avait lorsqu’il parlait au peuple. Or voyez, je vous prie, combien Timarque diffère de Solon et des hommes que je viens de nommer. Ceux-ci avaient honte de tenir un discours en montrant la main hors du vêtement : Timarque, lui – le fait n’est pas ancien, c’était un de ces derniers jours – mettant habit bas au beau milieu de l’assemblée, a donné là une exhibition de pancrace (ῥίψας θοἰμάτιον γυμνὸς ἐπαγκρατίαζεν ἐν τῇ ἐκκλησίᾳ) ; et tel était le honteux état dans lequel le vin et la débauche avaient mis cet homme que les citoyens honnêtes se voilaient la face, rougissant pour notre ville à l’idée qu’elle pouvait se servir de semblables conseillers95. »
38Visant la personne de Timarque, qui apparaît comme un nouveau Cléon se débraillant à la tribune96, Eschine reprend ici implicitement l’idée d’une rupture post-péricléenne dans le comportement des orateurs à la tribune, mais y ajoute, IVe siècle et patrios politeia obligent97, la caution que représente à son époque l’antique figure de Solon. Ce développement montre, une fois encore, que la mort de Périclès était ressentie comme le seuil d’une ère nouvelle, du moins sur ce point particulier qui nous concerne ici, à savoir la prépondérance du paradigme théâtral dans le discours et la pratique politiques. Pour Eschine, comme le souligne très justement Arlene Saxonhouse, « le bras en dehors du manteau permet la dramatisation et éloigne de la vérité présente dans le discours ; il permet à la démagogie de s’éloigner de la simplicité de la parrhèsia. La parrhèsia est à l’opposé d’une pratique de la rhétorique susceptible d’obscurcir et de tordre la vérité au profit d’intérêts individuels98 ». Or, une statue d’Eschine le représente élégamment déhanché, le bras gauche derrière le dos, et le bras droit enveloppé dans le manteau, la main posée au niveau de la poitrine99. Pour Paul Zanker, cette sculpture aurait été érigée vers 320 ; ce serait d’ailleurs celle-ci qui aurait conduit Démosthène à lancer à son adversaire : « Ta mère t’a élevé pour que tu deviennes la belle statue (ton kalon andrianta) que nous connaissons et cet excellent tritagoniste (tritagônistèn akron)100. » Que cette statue ait été érigée du vivant des deux orateurs, ou bien en 315, comme l’a soutenu Rudolf Horn101, la remarque de Démosthène montre bien qu’Eschine avait ostensiblement adopté à la tribune une posture hiératique, empreinte de dignité102.
39Mais si le passage à propos de la statue de Solon est particulièrement intéressant, c’est qu’il a suscité une réaction de la part de Démosthène, dans son discours Sur l’Ambassade :
« Il a prétendu qu’une statue de Solon s’élevait, comme exemple de la réserve des orateurs d’autrefois, revêtue d’un manteau et la main dissimulée ; il blâmait et vitupérait ainsi l’agitation de Timarque. Or, cette statue, il n’y a pas encore cinquante ans qu’elle a été élevée, à ce que disent les gens de Salamine ; et depuis Solon jusqu’au temps présent, il y a environ deux cent quarante années ; en sorte que non seulement l’artiste qui a imaginé cette attitude n’était pas contemporain de Solon, mais pas même son grand-père103. »
40Comme le souligne Paul Zanker, en commentant ce qui est un des premiers exemples de réflexion historique sur une œuvre d’art, « la controverse sur la statue de Solon non seulement nous offre une preuve de l’importance de la posture qui consiste à envelopper un bras dans son manteau, mais elle est aussi un témoignage exceptionnel et précieux de la fonction des monuments honorifiques et de la façon dont ils étaient perçus par le public dans la cité classique. Autrement dit, dans certaines situations et en certains lieux, une statue comme celle-ci pouvait devenir un modèle et un sujet de discussion104 ». Mais Démosthène ne se contente pas de contester l’historicité de l’exemplum105 mis en avant par son adversaire :
« Ce n’est pas en parlant qu’il faut dissimuler sa main, Eschine ; c’est en allant en ambassade qu’il faut dissimuler sa main. Mais toi, là-bas, tu l’as tendue, tenue ouverte ; tu as déshonoré les Athéniens ; et ici tu parles avec emphase, tu as préparé de lamentables développements, tu as exercé ta voix ; et tu crois ainsi ne pas être châtié de tant de si grands crimes, dusses-tu te mettre un bonnet sur la tête pour te promener et m’injurier106 ? »
41Ainsi, la belle leçon d’Eschine se retourne contre lui : sa main, qu’il dissimulait sous son manteau quand il parlait à la tribune, était le signe réel, visible, de sa pudeur et de sa retenue ; Démosthène, lui, souligne la bassesse morale dont son adversaire aurait réellement fait preuve lors de l’ambassade par la métaphore du quémandeur à la main tendue107. En outre, dans la même formule, Eschine est explicitement présenté comme un orateur qui fait du théâtre à la tribune, et de la façon la plus grotesque : Eschine ne peut s’empêcher de déclamer ses discours108, de faire les cent pas sur la plate-forme de la tribune et, surtout, de recourir à la loidoria. Solon de comédie, c’est lui, et non les Timarque qu’il stigmatisait dans son discours, qui, non content de trahir ses concitoyens en ambassade, se comporte de façon inconvenante à la tribune. Démosthène entend ainsi montrer que « ce qui aurait été bien plus avantageux pour la cité que la posture, c’est-à-dire voir l’âme et l’état d’esprit de Solon, là-dessus, pas d’imitation, mais tout le contraire109 ». Si le topos de l’orateur-acteur employé par Eschine à l’encontre de Timarque avait, ici encore, des accents platoniciens, Démosthène achève de le dépolitiser, en en faisant une simple insulte – qui s’applique à Eschine mieux encore qu’à Timarque110.
42De même, lorsqu’il met en garde le peuple contre la belle voix d’Eschine, qu’il compare à celle des Sirènes, parce que « (sa) facilité de parole et (son) talent ont servi à la ruine de ceux qui (l’)entendaient111 », ce n’est pas pour stigmatiser l’attitude du peuple et le comportement des démagogues, mais bien pour porter atteinte au crédit dont bénéficiait Eschine. Mais justement, on peut se demander ici comment évolue, de son côté, le topos du dèmos-spectateur. Perd-il, lui aussi, sa force d’argument politique pour relever de plus en plus du registre de l’invective ?
Les ekklèsiazontes, « comme des spectateurs au théâtre »
43À première vue, il semblerait que le topos du dèmos-spectateur, contrairement à son corrélat, celui de l’orateur-acteur, ait conservé son sens politique, sa valeur idéologique. En effet, Démosthène s’adresse à ses concitoyens en des termes très proches de ceux employés par le Cléon de Thucydide :
« Non, Athéniens ! Il serait impossible que la situation empirât et que l’on vous vît pousser plus loin votre extravagance, s’il devait arriver qu’aucune de vos décisions ne semblât définitivement arrêtée, et si, repoussant ce qui vous est utile, vous ne meniez à bonne fin aucune entreprise fructueuse, mais étiez, comme des spectateurs au théâtre, les jouets de ceux qui vous accaparaient (εἴητε δ᾽ ὥσπερ τὰ θέατρα τῶν προκαταλαμβανόντων). Non ! Athéniens, pas de cela112… »
44Démosthène, qui entend stigmatiser ici l’inconstance du dèmos113, a de toute évidence le souvenir de Mytilène : de même que le Cléon thucydidéen reprochait aux Athéniens de se faire « spectateurs de paroles et auditeurs de faits », de voir « les faits à venir d’après les beaux parleurs qui les donnent pour possibles et les faits passés d’après les critiques brillamment formulées114 », de même Démosthène regrette que les citoyens soient à l’Assemblée, comme au théâtre, subjugués par les spectacles bien préparés qui leur sont présentés et qu’ils soient par conséquent incapables de délibérer correctement. Comme un public de théâtre, le dèmos, tout à son plaisir, ne se rend pas compte qu’il est manipulé. D’ailleurs, si l’on en croit Démosthène, qui, dans un autre discours, formule encore le même jugement que Cléon115, le dèmos est lui-même l’organisateur de ces spectacles :
εἰς τοῦτ᾽ ἀφῖχθε […] ὥστε λοιδορίας, φθόνου, σκώμματος, ἧστινος ἂν τύχηθ᾽ ἕνεκ᾽ αἰτίας, ἀνθρώπους μισθωτούς, ὧν οὐδ᾽ ἂν ἀρνηθεῖεν ἔνιοι ὡς οὐκ εἰσὶ τοιοῦτοι, λέγειν κελεύετε, καὶ γελᾶτ’ἄν τισι λοιδορηθῶσιν.
« Vous en êtes venus au point que, pour entendre prononcer des invectives, des calomnies, des railleries, ou pour tout autre cause, vous demandez à ces hommes qui se vendent – et il en est parmi eux qui ne feraient pas même difficulté d’en convenir – vous leur demandez de prendre la parole, et vous riez s’ils se font injurier par tel ou tel116. »
45En effet, ces orateurs qui, dans le passage de Démosthène, se font « salarier » pour leurs prestations, sont une allusion aux poètes comiques, eux aussi rétribués par un misthos117 pour user à intervalles réguliers de ces mêmes expédients – « invectives », « calomnies » « railleries118 » – dans l’intention de faire rire leur auditoire. Mais les orateurs en question représentent une variante pervertie de ces professionnels du spectacle, car, ce que Démosthène insinue ici, c’est que, en venir à remployer des orateurs salariés (misthôtoi) pour qu’ils prennent la parole en public, c’est pervertir l’espace public en l’assimilant au monde des spectacles et de la fiction, que l’institution du théâtre est censée, justement, circonscrire dans un espace et un temps qui lui soit propre. Transformer délibérément la tribune en scène comique est intolérable. D’où ce terme de misthôtoi, qui doit sa valeur très fortement dépréciative à son utilisation originelle dans le cadre du mercenariat119, et qui accable ainsi ces orateurs de tout le mépris attaché ordinairement au travail salarié en Grèce ancienne120. Mais, quand on paie pour un spectacle, on en demande pour son argent. Ainsi, d’après Démosthène – qui, une fois encore, emploie les termes du démagogue thucydidéen –, les Athéniens se comportent à l’Assemblée comme s’ils étaient assis au théâtre :
περὶ κοινῶν, ὦ ἄνδρες Ἀθηναῖοι, πραγμάτων καὶ μεγάλων συνειλεγμένοι τὰς ἰδίας λοιδορίας ἀκροώμενοι κάθησθε, καὶ οὐ δύνασθε πρὸς ὑμᾶς αὐτοὺς λογίσασθαι τοῦθ᾽, ὅτι αἱ τῶν ῥητόρων ἁπάντων ἄνευ κρίσεως πρὸς ἀλλήλους λοιδορίαι, ὧν ἂν ἀλλήλους ἐξελέγξωσιν, ὑμᾶς τὰς εὐθύνας διδόναι ποιοῦσιν.
« rassemblés pour délibérer sur des affaires communes, Athéniens, sur des questions importantes, vous restez assis à écouter leurs injures personnelles, incapables de réfléchir que les injures échangées par tous les orateurs, sans décision judiciaire, vous font rendre à vous-mêmes les comptes des malversations dont ils se convainquent mutuellement121 ».
46L’opposition tranchée, appuyée sur le couple antithétique publicprivé disposé en polyptote (περὶ κοινῶν… τὰς ἰδίας), entre, d’un côté, l’ordre du jour de l’assemblée, grave et solennel, et, de l’autre, l’attitude des Athéniens, « décontractée » (κάθησθε) et passablement inconsciente, montre que, à l’image développée à la fin du Ve siècle d’un dèmos installé à l’Assemblée comme au théâtre, et se régalant des joutes des orateurs, s’ajoute l’idée du plaisir anesthésiant qu’il tire de la loidoria. Ce plaisir est capable de lui faire oublier son propre intérêt et jusqu’à la nature même du rassemblement auquel il participe, dont on ne sait plus s’il est politique (κοινῶν πραγμάτων), judiciaire (ἄνευ κρίσεως, et pourtant τὰς εὐθύνας διδόναι) ou simple akroama théâtral (ἀκροώμενοι κάθησθε) : incapable de réfléchir sur les affaires publiques (περὶ κοινῶν), il reste prisonnier de sa propre curiosité malsaine pour les disputes privées (ἰδίας λοιδορίας) et finit par payer lui-même (ὑμᾶς) les pots cassés que lui dénoncent pourtant clairement (ἐξελέγξωσιν) les propos injurieux qui font ses délices (αἱ λοιδορίαι). De même qu’Eschine est accusé de se livrer sans retenue à l’invective et de transformer ainsi les assemblées politiques et judiciaires en comédie, de même le dèmos, lui, s’amuserait à tourner les débats « en plaisanterie et en injures (τὸ πρᾶγμ᾽ εἰς γέλωτα καὶ λοιδορίαν ἐμβαλόντες)122 ». Reprenant l’idée que le goût des Athéniens pour le théâtre123 sème la confusion dans leurs esprits et ne leur permet pas de s’occuper convenablement des affaires de la cité124, Démosthène déplore la surdité et la cécité de ses concitoyens125 ; ces derniers, tout à leur plaisir du spectacle, n’ont, par exemple, pas compris le danger que représente un autre acteur, Néoptolème, lui aussi ambassadeur auprès de Philippe :
« Et quand je parle ainsi, ce n’est pas à ses défenseurs que je m’en prends, il n’en eut pas. C’est donc à vous-mêmes. Oui vraiment, si vous eussiez été alors en train de regarder des tragédies dans le théâtre de Dionysos (εἰ γὰρ ἐν Διονύσου τραγῳδοὺς ἐθεᾶσθε), au lieu de délibérer sur le salut d’Athènes et les intérêts communs (περὶ σωτηρίας καὶ κοινῶν πραγμάτων), vous ne l’auriez pas écouté avec plus de faveur, ni moi avec plus d’hostilité126. »
47L’orateur regrette ainsi que, face aux beaux discours, ses concitoyens restent « assis, dupés et pleins d’admiration127 » :
εἶθ᾽ ὑμῖν συμβέβηκεν ἐκ τούτου ἐν μὲν ταῖς ἐκκλησίαις τρυφᾶν καὶ κολακεύεσθαι πάντα πρὸς ἡδονὴν ἀκούουσιν, ἐν δὲ τοῖς πράγμασι καὶ τοῖς γιγνομένοις περὶ τῶν ἐσχάτων ἤδη κινδυνεύειν.
« dans les assemblées, vous vous délectez à vous entendre flatter par des discours qui ne visent qu’à vous plaire, mais ensuite, quand les événements s’accomplissent, votre salut même est en danger128 ».
48Démosthène n’est pas le seul à reprendre l’image d’un dèmos rendu béat – voire malade129 – par les flagorneries des orateurs. Dinarque stigmatise également « les gouvernants et les orateurs (qui) ne craignent pas de sacrifier au plus aveugle égoïsme les intérêts sacrés de la patrie », et « trompent de concert (les Athéniens), éternelles dupes de leurs roueries130 ».
49Il apparaît ainsi clairement qu’en cette seconde moitié de IVe siècle, les orateurs sont décrits d’une façon qui diffère fort peu de celle des dernières décennies du siècle précédent. Démosthène insiste pourtant sur la nouveauté de la situation :
« J’estime que le devoir d’un bon citoyen est de préférer une issue heureuse au problème qui vous préoccupe à la faveur qu’on peut gagner en vous flattant. Car on m’a dit, et à vous aussi sans doute, qu’au temps de nos pères, les hommes politiques, ceux que tous nos orateurs louent à l’envi, bien qu’ils ne les imitent guère, s’en étaient fait une habitude et une règle ; tels ce fameux Aristide et Nicias et mon homonyme et Périclès. Par contre, depuis qu’on a vu paraître (πεφήνασι) à cette tribune des orateurs qui vous demandent : “Que désirez-vous ? (τί βούλεσθε ;) Que dois-je vous proposer ? Comment puis-je vous être agréable ?” qu’arrive-t-il ? Pour vous complaire sur le moment, on vous fait dilapider (προπέποται) les intérêts publics et il en résulte ce que nous voyons ; mais ces gens-là font leurs affaires, et les vôtres sont piteuses131. »
50Si l’orateur invoque Nicias et Démosthène – le stratège de Pylos – à côté d’Aristide et de Périclès, c’est qu’il ne souhaite pas mettre en avant la mort de ce dernier comme une fracture dans l’histoire de la cité. Il n’en reste pas moins que, à l’en croire, un changement est survenu à un moment certes indéterminé, mais très clairement caractérisé par l’accession du dèmos à la souveraineté (ti boulesthe ;), qui est elle-même négativement qualifiée de soumission aux démagogues et aux sycophantes : c’est, en effet, ce que suggère l’emploi du parfait du verbe phainô – une rareté grammaticale132 –, pour évoquer l’apparition du phénomène. Ainsi Nicias et Démosthène, pourtant contemporains de Cléon, sont-ils dissociés de la déchéance que représente la soumission à la volonté populaire et le gâchis généralisé qui en résulte et que l’orateur compare à une soûlerie133, reprenant ainsi le motif platonicien de l’« ébriété démocratique134 ». L’idée d’une rupture, prégnante dans le propos de Démosthène, semble être devenue un lieu commun au point que « hier » renvoie à près d’un siècle en arrière et « aujourd’hui » à un état de fait qui dure depuis plusieurs décennies :
« Cette situation, c’était celle de nos pères, au temps où ils avaient pour chefs les hommes que je viens de nommer. À présent, avec les honnêtes gens que vous savez, où en sommes-nous135 ? »
51Cependant, si, à la fin du Ve siècle, la rupture marquait, chez Thucydide en particulier, le début de la dégénérescence de la cité, Démosthène l’invoque dans un but bien différent. En effet, ne craignant pas de se contre-dire, il fustige, à l’issue du raisonnement où il déplorait l’accession du dèmos à la souveraineté, sa soumission à ceux-là même qui la lui avaient offerte :
« De tout cela, quelle est la cause ? Pourquoi tout allait-il bien autrefois et pourquoi tout va-t-il mal aujourd’hui ? Ah ! c’est d’abord parce que le peuple alors, osant faire campagne par lui-même, était le maître des hommes politiques (αὐτὸς ὁ δῆμος δεσπότης τῶν πολιτευομένων ἦν), […]. Maintenant, au contraire, ce sont les politiques qui disposent de tout, c’est par eux que tout se fait (νῦν δὲ τοὐναντίον κύριοι μὲν οἱ πολιτευόμενοι τῶν ἀγαθῶν, καὶ διὰ τούτων ἅπαντα πράττεται) ; et vous qui êtes le peuple, énervés, dépouillés de votre argent et de vos alliés, réduits à la condition de serviteurs, d’auxiliaires (ὑμεῖς δ᾽ ὁ δῆμος, ἐκνενευρισμένοι καὶ περιῃρημένοι χρήματα, συμμάχους, ἐν ὑπηρέτου καὶ προσθήκης μέρει γεγένησθε), vous vous estimez heureux s’ils vous distribuent quelque chose du fonds des spectacles (ἀγαπῶντες ἐὰν μεταδιδῶσι θεωρικῶν ὑμῖν), s’ils organisent une procession aux Boédromies ; enfin – trait de courage qui dépasse tout –, vous leur savez gré de vous donner ce qui est à vous. Quant à eux, après vous avoir parqués dans la ville, ils vous mènent à cette curée et vous apprivoisent pour vous domestiquer (οἱ δ᾽ ἐν αὐτῇ τῇ πόλει καθείρξαντες ὑμᾶς ἐπάγουσ᾽ ἐπὶ ταῦτα καὶ τιθασεύουσι χειροήθεις αὑτοῖς ποιοῦντες)136. »
52Tandis que l’élite de l’époque de la guerre du Péloponnèse regrettait le thorubos des assemblées démocratiques, c’est-à-dire la parrhèsia et la souveraineté du dèmos, Démosthène, au contraire, reproche au peuple d’abandonner cette souveraineté aux orateurs et de se laisser asservir par eux. Il insiste sur la métaphore du dèmos-esclave en décrivant implicitement – grâce au verbe tithaseuô137 notamment – les citoyens comme des bestiaux que l’on enferme pour les domestiquer138. Or ce sont les esclaves que l’on a coutume de qualifier de « bétail139 ». On retrouve ainsi l’image d’un peuple de moutons140. Passant du statut de citoyens à celui d’esclaves, de la condition d’hommes à celle de « bestiaux », les Athéniens perdent non seulement leur souveraineté mais également leur humanité : ils sont, pour ainsi dire, réduits à néant. Démosthène y revient à plusieurs reprises :
Τότε μὲν γὰρ ὁ δῆμος ἦν δεσπότης τῶν πολιτευομένων, νῦν δ᾽ ὑπηρέτης. Αἴτιοι δ᾽ οἱ τὰ τοιαῦτα γράφοντες, καὶ συνεθίζοντες ὑμᾶς ὑμῶν μὲν αὐτῶν καταφρονεῖν, ἕνα δ᾽ ἢ δύο θαυμάζειν ἀνθρώπους.
« Jadis, le peuple était le maître des hommes politiques ; aujourd’hui, il en est le serviteur. Les responsables, ce sont les auteurs de pareils décrets, ceux qui vous habituent à vous mépriser vous-mêmes et à rester en admiration devant un ou deux hommes141. »
53Mais, si l’on en croit Démosthène, les Athéniens, se laissant asservir, tout à leur plaisir d’être flattés ou d’assister à un spectacle, s’irriteraient néanmoins d’être seulement « témoins de la richesse des autres et (de) ne (participer) à aucun autre droit que celui d’être dupes142 » :
« Vous autres, vous êtes là, assis (kathèsthe), témoins de leur opulence, et pour assurer votre indolence quotidienne, vous leur abandonnez l’immense richesse dont vous disposez143. »
54Démosthène n’utilise pas ici, comme l’avait fait le Cléon thucydidéen, le terme theatai, qui impliquait une (trop grande) participation aux débats, mais celui de martures, qui souligne plutôt la passivité du dèmos, qui se laisserait dépouiller sans réagir. À l’image – courante, on l’a vu – du dèmos tyran ou esclave, s’ajoute une question plus actuelle, celle de la richesse, à laquelle devait être sensible l’auditoire de Démosthène144.
55Or Démosthène n’utilise pas le topos du dèmos-spectateur pour dénigrer la démocratie, mais pour porter un jugement de valeur sur l’attitude des Athéniens face à la position politique de ses adversaires, qui proposent de transiger avec Philippe. Dans la mesure où ils ne se révoltent pas contre les auteurs de ces propositions, les Athéniens sont qualifiés de passifs et de mous, un psogos qui remonte aux origines de l’idéologie civique145 :
δημαγωγοῦντες ὑμᾶς καὶ χαριζόμενοι καθ᾽ ὑπερβολὴν οὕτω διατεθήκασιν, ὥστ᾽ ἐν μὲν ταῖς ἐκκλησίαις τρυφᾶν καὶ κολακεύεσθαι πάντα πρὸς ἡδονὴν ἀκούοντας, ἐν δὲ τοῖς πράγμασι καὶ τοῖς γιγνομένοις περὶ τῶν ἐσχάτων ἤδη κινδυνεύειν.
« par leurs procédés démagogiques, par l’excès de leurs complaisances, ils vous ont corrompus, au point que, dans vos assemblées, vous faites les délicats, vous voulez qu’on vous adule, qu’on ne vous dise rien que d’agréable ; mais les événements suivent leur cours et vous voici dans le suprême danger146 ».
56De même, Dinarque demande aux Athéniens de ne pas se laisser émouvoir par le spectacle qu’offre son adversaire à la tribune, leur suggérant de « rester insensibles à ses pleurs et à ses gémissements, (ayant) bien plus de raisons de prendre en pitié ce pays que menace la conduite de Démosthène147 ». Ainsi, ni pour Dinarque, ni pour Démosthène, il ne s’agit de stigmatiser le comportement du dèmos, mais plutôt, à travers des mises en garde, d’attaquer un orateur ou une opinion politique adverse : lorsque Démosthène reproche à ses concitoyens de se laisser asservir, c’est pour mieux atteindre un Eschine ou un Aristocrate, ou, plus largement, pour défendre les intérêts de la cité face à Philippe et à ses partisans athéniens. De même, lorsque, dans son premier discours Contre Aristogiton, il décrit le dèmos comme un troupeau de moutons, c’est avant tout pour dire que son adversaire est un mauvais « chien du peuple », qui « lance des injures dans les assemblées, et, tête baissée, se heurte à tout le monde », et, « ayant de la sorte égaré (les citoyens) tous ensemble là-bas, une fois descendu de la tribune, il s’en venge encore sur chacun (d’eux) individuellement148 ». Démosthène n’impute pas la responsabilité de cet état de fait au troupeau des ekklèsiazontes, mais à Aristogiton le chien ; or « les chiens qui touchent aux moutons, on doit les abattre, dit-on, en sorte qu’il ne saurait être trop tôt abattu149 ».
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57Il ressort des analyses qui précèdent que le topos ne met plus en cause le système démocratique ; il permet avant tout de s’en prendre à un individu ou à un groupe de personnes, mais ne dénote plus aucun enjeu idéologique. Et si Démosthène fait parfois explicitement siens les propos du Cléon thucydidéen pour s’adresser à ses concitoyens, on remarque que c’est principalement dans ses exordes : il s’agit toujours d’aiguillonner le dèmos pour qu’il prenne conscience de la situation, écoute attentivement l’orateur et se méfie de ses adversaires, sans que l’allusion à son attitude jugée passive soit une critique du système politique ou une prise de position dans le cadre d’antagonismes politiques ou sociaux. Au IVe siècle, ou du moins dans la seconde moitié de celui-ci, le topos du démos-spectateur, comme celui de l’orateur-acteur, s’est profondément dépolitisé : ni l’un ni l’autre ne semble mettre en question la primauté du dèmos et sa souveraineté. Sur la scène comique, le spectacle de la démocratie est avant tout l’occasion d’un jeu complexe de travestissements, tandis que dans les tribunaux et à l’Assemblée, le topos semble désormais acquérir le statut d’invective ad hominem, de loidoria personnelle. Si, après les deux coups d’état oligarchiques successifs et la restauration démocratique, certains partisans de l’oligarchie, tel l’auteur du plaidoyer Contre Alcibiade, en stigmatisant le manque de discernement d’un dèmos trop imprégné de théâtre150, continuent de développer le topos du spectacle de la démocratie comme un argument de critique du régime, ils sont de moins en moins nombreux à le faire ; les enjeux et le contexte politique ont en effet beaucoup changé. L’instrumentalisation théorique du topos par Platon, qui le place au cœur de son analyse du régime démocratique151, semble indiquer que l’argument du spectacle de la démocratie est déjà dépassionné, et peut ainsi être mis à distance et rationalisé. De fait, dans les différentes assemblées démocratiques, le topos perd progressivement de sa capacité à résumer en une formule concise et imagée une grande partie de la critique anti-démocratique du dèmos. Il semblerait même que la théâtralité de ces assemblées soit désormais assumée, voire revendiquée.
Notes de bas de page
1 Notre analyse de la question a été publiée dans N. Villacèque, « De la bigarrure en politique (Platon, République, VIII, 557c 4 sq.) », JHS, 130, 2010, p. 137-152.
2 Voir, e.g., Ed. Lévy, « Les femmes chez Aristophane » : selon l’historien, dans ces comédies, la réhabilitation de la femme incarne pour le poète le désir de paix et les saines traditions des ancêtres, dans une société masculine qui va de mal en pis ; elle correspond « à une renonciation à la politique au profit de la vie familiale ». Edmond Lévy interprète ainsi le détournement du politique au travers du quotidien féminin comme une évolution vers la Comédie Moyenne (p. 111). L’idée d’utopie est souvent avancée, d’une part par des critiques qui lisent la comédie comme l’évocation de l’âge d’or hésiodique (Hésiode, Les travaux et les jours, 115-202), comme D. Auger, « Le théâtre d’Aristophane : le mythe, l’utopie et les femmes », in J. Bonnamour et H. Delavault (éd.), Aristophane : Les femmes et la Cité, Fontenay-aux-Roses, ENS, 1979, p. 73-75 ou encore J.-Cl. Carrière, op. cit., p. 101, et, d’autre part, par des critiques qui rapprochent l’Assemblée des femmes de la République de Platon, tel Alan Sommerstein, qui évoque, à propos de cette comédie « a permanent gynaecocratic Utopia » (A. H. Sommerstein, Aristophanes, Ecclesiazusae, Warminster, Aris & Phillips, 1998, p. 10) ; R. Tordoff, « Aristophanes’Assembly Women and Plato, Republic book 5 », in R. Osborne (éd.), Debating the Athenian Cultural Revolution. Art, Literature, Philosophy, and Politics 430-380 B. C., Cambridge, Cambridge University Press, 2007, p. 242-263. Voir cependant H. Foley, « The Female Intruder Reconsidered : Women in Aristophanes’ Lysistrata and Ecclesiazusae », CPh, 1982, 77, p. 1-21 (p. 15, n. 33) ; S. Saïd, « L’Assemblée des Femmes ; les femmes, l’économie et la politique », in J. Bonnamour et H. Delavault (éd.), op. cit., p. 33-69 (p. 61) ; E. David, Aristophanes and Athenian Society of the Early Fourth Century B. C., Leiden, Brill, 1984 [= Mnemosyne suppl. 81], p. 22.
3 Danièle Auger, par exemple, y voit la mise en scène du dessaisissement du politique de la part des citoyens et un « constat attristé de la mise à mort du politique » (D. Auger, « Figures et représentations », p. 376).
4 K. S. Rothwell, Politics and Persuasion in Aristophanes’Ecclesiazusae, Leiden, Brill, 1990 [= Mnemosyne suppl. 111], p. 103.
5 J. Ober, Political Dissent, p. 154 ; plus largement voir p. 122-155.
6 L’interprétation la plus convaincante de cette « utopie » des comédies féminines, si l’on accepte de la considérer comme telle, est en effet celle que partagent Douglas MacDowell et Nicole Loraux, pour qui l’utopie n’est qu’un moyen de faire rire le public ; voir D. M. MacDowell, Aristophanes and Athens, p. 323 ; N. Loraux, « L’Acropole comique », p. 159, à propos de Lysistrata.
7 Sur la notion de filtre, voir A. M. Bowie, « Tragic Filters for History : Euripides’ Supplices and Sophocles’Philoctetes », in Ch. Pelling (éd), Greek Tragedy and the Historian, p. 39-62.
8 Voir, par exemple, Aristophane, Assemblée des femmes, 281, 283, 384.
9 E.g. Aristophane, Assemblée des femmes, 460, 676, pour les tribunaux ; 676, 684-686, pour les portiques.
10 Aristophane, Assemblée des femmes, 395-402 (trad. V.-H. Debidour légèrement modifiée). Il est également fait mention, par exemple, de la corde vermillonnée, utilisée en 392 pour vider les lieux, après la séance de l’Assemblée, de tous ceux qui n’avaient pas droit au misthos (v. 378-79 ; voir A. H. Sommerstein, ad loc. et qui était autrefois utilisée pour rabattre les retardataires vers la Pnyx (Acharniens, 22) ; de la couronne dont se ceignaient les orateurs avant de prendre la parole (v. 131) ; du misthos ekklèsiastikos (v. 300-310, 380-382, 392-393).
11 Aristophane, Assemblée des femmes, 427-430, cité page suivante.
12 K. S. Rothwell, Politics and Persuasion, p. 82-92 surtout ; J. Ober, Political Dissent, p. 134-147.
13 Ch. Orfanos, « Le donne, il teatro e il potere politico nelle Donne in Assemblea di Aristofane », in A. Andrisano (éd.), Ritmo, parola, immagine. Il teatro classico e la sua tradizione, Rome, Palumbo editore, 2011, p. 169-187.
14 Aristophane Assemblée des femmes, 67. Cf. S. Saïd, « Travestis et travestissements dans les comédies d’Aristophane », CGITA, 3, 1987, p. 217-248 (p. 235-236).
15 Aristophane, Thesmophories, 466-654.
16 Aristophane Assemblée des femmes, 1-310.
17 Aristophane, Assemblée des femmes, 427-430 (trad. V.-H. Debidour légèrement modifiée).
18 Aristophane, Assemblée des femmes, 376-477.
19 Aristophane, Assemblée des femmes, 583-591.
20 Il apparaît ici, comme le souligne très justement Froma Zeitlin, que « le public des citoyens des deux assemblées [politique et théâtrale] a besoin que ses poètes et politiciens viennent à chaque fois avec quelque trouvaille toute fraîche pour piquer son intérêt et garder son attention », à savoir, ici, le programme de Praxagora dont la nouveauté dépasse toute audace, tant pour les participants de l’Assemblée comique que pour les spectateurs de la comédie (Fr. Zeitlin, « Aristophanes : the Performance of Utopia in the Ecclesiazusae », in S. Goldhill et R. Osborne [éd.], Performance Culture and Athenian Democracy, p. 167-197 [p. 173]).
21 Aristophane, Thesmophories, 655-658.
22 Aristophane, Assemblée des femmes, 165. On retrouve la formule chez les orateurs : cf., e.g., Démosthène, Deuxième Philippique, 3 ; Sur la Chersonèse, 30 ; Contre Midias, 18.
23 Aristophane, Assemblée des femmes, 167-168.
24 Aristophane, Assemblée des femmes, 68-69.
25 Aristophane, Assemblée des femmes, 82-83.
26 Aristophane, Assemblée des femmes, 121-123 (trad. V.-H. Debidour, légèrement modifiée).
27 Fr. Zeitlin, « Aristophanes : the Performance of Utopia », p. 168.
28 Aristophane, Assemblée des femmes, 183-185.
29 G. O. Rowe, « The Portrait of Aeschines in the Oration on the Crown », TAPhA, 97, 1966, p. 397-406.
30 N. Worman, « Insult and Oral Excess in the Disputes Between Aeschines and Demosthenes », AJPh, 125, 2004, p. 1-25.
31 A. Duncan, Performance and Identity in the Classical World, Cambridge, Cambridge University Press, 2006, p. 21 (voir p. 58-89).
32 Démosthène, Sur la couronne, 308.
33 Démosthène, Sur la couronne, 199.
34 Cf. e.g.,Démosthène, Sur la couronne, 180, 242, 262 ; Sur l’ambassade, 246-247.
35 E. M. Harris, Aeschines and Athenian politics, Oxford, Oxford University Press, 1995, p. 31.
36 Voir P. Easterling, « Actors and Voices : Reading Between the Lines in Aeschines and Demosthenes », in S. Goldhill et R. Osborne (éd.), Performance Culture and Athenian Democracy, p. 154-166 (p. 160-161).
37 Démosthène, Sur la couronne, 313.
38 Voir O. J. Todd, « Τριταγωνιστής. A reconsideration », CQ, 32, 1938, p. 30-38 ; A. W. Pickard-Cambridge, The Dramatic Festivals, p. 132-135 ; I. E. Stefanis, Διονυσιακοὶ τεχνῖται, no 90.
39 Pour O. Todd, Eschine, très bon acteur, a également joué des deuxièmes rôles ; mais Démosthène, jaloux de ses qualités physiques et vocales, refuse de le reconnaître et persiste à le traiter de tritagoniste (O. J. Todd, art. cit., p. 36-38).
40 Démosthène, Sur l’ambassade, 199-200.
41 Démosthène, Sur la couronne, 130 ; voir S. Usher, Greek Orators V. Demosthenes, On the Crown, Warminster, Aris & Phillips, 1993, ad loc. Sur la profession des parents d’Eschine, et par conséquent, ses origines sociales, voir E. M. Harris, op. cit., p. 21-29. Cf. N. Villacèque, « Ta mère ! ».
42 Démosthène, Sur la couronne, 131. Voir encore 258-259.
43 Voir supra, p. 259.
44 Pour une discussion sur la plausibilité de ces allégations, voir E. M. Harris, op. cit., p. 29-30. Sur les « valeurs sociales » mises en avant par les orateurs, et par conséquent, sur leurs attaques mutuelles, voir S. Todd, « Lady Chatterley’s Lover and the Attic Orators. The Social Composition of the Athenian Jury », in E. Carawan (éd.), The Attic Orators, Oxford, Oxford University Press, 2007, p. 312-358 (p. 340-346 notamment), (= JHS, 110, 1990, p. 146-170 [p. 164-167]).
45 Notons, cependant, avec Edward Harris, que, « si Eschine a dû travailler pour vivre durant ces années, […] les métiers qu’il a exercés étaient un bon entraînement pour sa carrière publique et, malgré les piques ironiques de Démosthène, ses occupations professionnelles ne l’ont pas handicapé socialement » (ibid., p. 29).
46 Ibid., p. 28. Cf. J. K. Davies, Athenian Propertied Families, no 14625 II.
47 Ibid. Il ne faudrait toutefois pas oublier, quelques années après Eschine, les longues citations poétiques de Lycurgue, par exemple, qui, appartenant au gènos des Étéoboutades, n’avait pourtant rien à prouver. Les citations poétiques semblent en effet être beaucoup plus fréquentes qu’au siècle précédent, en particulier à l’Assemblée. Nous aborderons cette question p. 349-352.
48 Démosthène, Sur la couronne, 262 (trad. G. Mathieu, CUF, légèrement modifiée).
49 H. Yunis, Demosthenes. On the Crown, Cambridge, Cambridge University Press, 2001, ad loc.
50 Harvey Yunis renvoie ici à A. W. Pickard-Cambridge, Dithyramb, Tragedy and Comedy, p. 134-136.
51 E. M. Harris, Aeschines and Athenian politics, p. 31.
52 S. Koster, Die Invektive in der griechischen und römischen Literatur, Meisenheim, Hain, 1980, p. 89-90.
53 Démosthène, Sur la couronne, 265. Voir, plus largement, 257-264. Sur le « manque d’éducation » que Démosthène reproche à Eschine, voir J. Ober, « Ability and Education. The Power of Persuasion », in E. Carawan (éd.), The Attic Orators, p. 271-311 (p. 301-304), (= J. Ober, Mass and Elite, chapitre IV, p. 156-191 [p. 182-184]).
54 Démosthène, Sur la couronne, 267.
55 H. Yunis, Demosthenes. On the Crown, ad 265.
56 Démosthène, Sur la couronne, 280.
57 Sur cette question en général, voir les analyse de J. Ober, Mass and Elite, p. 233-234 et 277-279.
58 Démosthène, Sur la couronne, 261 : εἰς τοὺς δημότας ἐνεγράφης ὁπωσδήποτε. « Tu fus inscrit au registre de ton dème, tant bien que mal. » Contester la régularité de l’inscription de quelqu’un à son Dème, c’est contester sa qualité de citoyen. Mais l’insinuation reste sans suite.
59 Cf. V. Hunter, « Gossip and the Politics of Reputation in Classical Athens », Phoenix, 44, 1990, p. 299-325 (p. 311-316).
60 E. M. Harris, op. cit., p. 33. Sur les débuts politiques d’Eschine, cf. également J. Buckler, « Demosthenes and Aeschines », in I. Worthington (éd.), Demosthenes. Statesman and Orator, Londres et New York, 2000, p. 114-158 (p. 116-119).
61 Démosthène, Sur l’ambassade, 23 ; Sur la couronne, 313.
62 Démosthène, Sur la couronne, 280 (trad. G. Mathieu, modifiée).
63 Démosthène, Sur l’ambassade, 243.
64 Démosthène, Sur l’ambassade, 246-248.
65 Démosthène, Sur la couronne, 13.
66 Démosthène, Sur la couronne, 308.
67 Platon, Apologie, 35b 7-8 : τοῦ τὰ ἐλεινὰ ταῦτα δράματα εἰσάγοντος καὶ καταγέλαστον τὴν πόλιν ποιοῦντος.
68 H. Yunis, Demosthenes. On the Crown, ad 127.
69 Démosthène, Sur la couronne, 127, citant Eschine, Contre Ctésiphon, 260.
70 Démosthène, Sur la couronne, 122-124 (trad. G. Mathieu, CUF, légèrement modifiée).
71 Démosthène, Sur la couronne, 11 : « Quant à ce carnaval auquel tu t’es livré sans retenue (τῆς δὲ πομπείας ταύτης τῆς ἀνέδην γεγενημένης), c’est plus tard que je le rappellerai, si les juges que voici le désirent ». Cf. H. Yunis, Demosthenes. On the Crown, ad 122.
72 Cf. R. M. Rosen, Making Mockery. The Poetics of Ancient Satire. Classical Culture and Society, Oxford, Oxford University Press, 2007, p. 27-42.
73 Voir R. Saetta-Cottone, Aristofane e la poetica dell’ingiuria, p. 71-89.
74 Démosthène, Sur la couronne, 242 ; voir également 159, 194. Voir S. Koster, Die Invektive, p. 87-88.
75 Kίναδος, « renard » est une insulte fréquente chez les orateurs (e.g.Démosthène, Sur la couronne, 162 ; Eschine, Contre Ctésiphon, 167), mais on la trouve également dans la comédie (Aristophane, Nuées, 448 ; Oiseaux, 430). Pour le singe (πίθηκος), voir Aristophane, Acharniens, 120 ; Paix, 1065-1066 ; Oiseaux, 440 ; Grenouilles, 708, 1085 ; Assemblée des femmes, 1072 ; voir également Cavaliers, 887 ; Guêpes, 1290. Cf. C. García Gual, « Sobre πιθηκίζω, hacer el mono », p. 453-460. « Fausse monnaie » (παράσημος) est une injure que l’on trouve chez Aristophane, Acharniens, 518 ; développée dans Grenouilles, 718-737. Galen Rowe souligne d’ailleurs que, dans le discours Sur la Couronne, parmi les 47 épithètes qu’utilise Démosthène pour qualifier Eschine, 39 se retrouvent également dans les pièces d’Aristophane et dans les fragments comiques ; comme les poètes comiques, l’orateur forge également un certain nombre de néologismes, en particulier des noms composés (G. O. Rowe, « The Portrait of Aeschines », p. 397-398).
76 Cf. G. O. Rowe, art. cit., p. 401-402.
77 Aristophane, Grenouilles, 840 (nous traduisons) ; Aristophane, se moquant une fois encore du métier exercé par la mère d’Euripide, parodie ici un vers du poète tragique (Euripide, TrGF 5,2, 885)), substituant le terme ἀρουραίας à θαλασσίας, « marine ».
78 Aristophane, Thesmophories, 99-265.
79 G. O. Rowe, art. cit., p. 402-403. Voir également Ph. Harding, « Comedy and Rhetoric », p. 214-216.
80 Voir encore Démosthène, Sur la couronne, 180.
81 Démosthène, Sur la couronne, 15 : αἰτίας καὶ σκώμματα καὶ λοιδορίας συμφορήσας ὑποκρίνεται.
82 Démosthène, Sur l’ambassade, 120 : ὃς γὰρ ἀγῶνας καινοὺς ὥσπερ δράματα, καὶ τούτους ἀμαρτύρους.
83 Eschine, Sur l’ambassade, 34-35 (trad. G. Mathieu, légèrement modifiée).
84 Eschine, Sur l’ambassade, 157. Cf. P. Easterling, « Actors and Voices », p. 163-164 ; J. Fredal, Rhetorical Action in Ancient Athens. Persuasive Artistry from Solon to Demosthenes, Carbondale, Southern Illinois University Press, 2006, p. 161-165.
85 Eschine, Contre Ctésiphon, 229. Voir l’analyse de N. Worman, « Insult and Oral Excess », p. 14-19.
86 Eschine, Contre Ctésiphon, 167.
87 Eschine, Sur l’ambassade, 85 et 156 ; Contre Ctésiphon, 209 et 210 ; Démosthène dit lui-même être moqué par la foule pour être un grincheux, un buveur d’eau : Démosthène, Deuxième Philippique, 30-31 ; Sur l’ambassade, 46.
88 Eschine, Contre Ctésiphon, 210.
89 L’anecdote est rapportée par Eschine, Contre Timarque, 126.
90 L’historicité du personnage a été confirmée par un monument chorégique thasien publié par Fr. Salviat, « Vedettes de la scène en province. Signification et date des monuments chorégiques de Thasos », Thasiaca v, 1979 [BCH suppl. 1979], p. 155-167 ; voir également I. E. Stefanis, Διονυσιακοὶ τεχνῖται, no 519.
91 Voir Eschine, Contre Timarque, 131 (où l’orateur met en doute la virilité de son adversaire et raille le raffinement de ses vêtements) et Sur l’ambassade, 99 ; ce sont probablement ces allégations qui ont généré une interprétation obscène du mot ba(t) talos, qui aurait eu le sens d’« anus ». Cf. G. Lambin, « Le surnom Βάτταλος et les noms de cette famille », RPh, 56, 1982, p. 249-263. Cependant, Harvey Yunis note très justement que « Démosthène n’aurait pas risqué de s’infliger lui-même un affront en se surnommant Βάτταλος, même pour rire, si le mot avait une signification obscène » (H. Yunis, Demosthenes. On the Crown, ad 180).
92 Eschine, Contre Ctésiphon, 2.
93 Voir Platon, Lois, III, 700c 1-d 2.
94 Eschine, Contre Ctésiphon, 4-8.
95 Eschine, Contre Timarque, 25-26.
96 Pour Aristote, rappelons-le, Cléon est celui qui, « le premier cria à la tribune et parla tout en se débraillant, alors que les autres orateurs gardaient une attitude correcte » (Aristote, Constitution d’Athènes, 28, 3).
97 Voir notamment Cl. Mossé, « Comment s’élabore un mythe politique : Solon, “père fondateur” de la démocratie athénienne », in D’Homère à Plutarque, itinéraires historiques, p. 265-277 (= AESC, 34, 1979, p. 425-437) ; M. H. Hansen, La démocratie athénienne, p. 339-343.
98 A. W. Saxonhouse, Free Speech and Democracy in Ancient Athens, Cambridge, Cambridge University Press, 2006, p. 92.
99 Cf. notamment G. M. A. Richter, The Portraits of the Greeks. II, The Fourth and Third Centuries. The Third and Second Centuries, Londres, The Phaidon Press, 1965, p. 212-215 ; P. C. Bol, Bildwerke aus Stein und aus Stuck, von archaischer Zeit bis zur Spätantike, Melsungen, Gutenberg, 1983, p. 210 et suiv., no 62.
100 Démosthène, Sur la couronne, 129 (nous traduisons). P. Zanker, Die Maske des Sokrates. Das Bild des Intellektuellen in der antiken Kunst, Munich, Beck, 1995, p. 53.
101 R. Horn, Stehende weibliche Gewandstatuen in der hellenistischen Plastik, Munich, Bruckmann, 1931, p. 21-22.
102 Voir également Démosthène, Sur la couronne, 122 : « Quand tu agis ainsi, tu dis quelles doivent être les qualités du démocrate, comme si c’était une statue commandée d’après un cahier des charges et qui, lorsqu’on te la livrerait, ne serait pas conforme à celui-ci. »
103 Démosthène, Sur l’ambassade, 251.
104 P. Zanker, op. cit., p. 53. Voir également, plus récemment, S. Dillon, Ancient Greek Portrait Sculpture. Contexts, Subjects, and Style, Cambridge et New York, Cambridge University Press, 2006, p. 61-62 et 110-111 notamment.
105 Cf. M. Nouhaud, L’utilisation de l’histoire par les orateurs attiques, Paris, Les Belles Lettres, 1982, p. 175-176, et, plus largement, p. 62-63.
106 Démosthène, Sur l’ambassade, 255.
107 Cf. S. Gotteland, « Le corps mis en scène sur l’Agora chez les orateurs attiques », in M.-H. Garelli et V. Visa-Ondarçuhu, Corps en jeu de l’Antiquité à nos jours, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2010, p. 17-30 (p. 25-28).
108 Voir Démosthène, Sur la couronne, 129, cité plus haut.
109 Démosthène, Sur l’ambassade, 252 (nous traduisons) : ὃ δὲ τοῦ σχήματος ἦν τούτου πολλῷ τῇ πόλει λυσιτελέστερον, τὸ τὴν ψυχὴν τὴν Σόλωνος ἰδεῖν καὶ τὴν διάνοιαν, ταύτην οὐκ ἐμιμήσατο, ἀλλὰ πᾶν τοὐναντίον.
110 Voir encore Démosthène, Contre Midias, 204 : « Il faut à votre tour, Athéniens, quand il viendra geindre, pleurer, supplier, en vous dupant, en vous trompant, il faut lui répondre ainsi : “Voilà bien comme tu es, Midias ! Tu es violent, tu ne peux laisser tes bras le long de ton corps. Après cela, t’étonnes-tu si le misérable que tu es dois finir misérablement ?”… »
111 Ces propos sont rapportés par Eschine lui-même (Eschine, Contre Ctésiphon, 228) ; nous n’en avons pas de trace chez Démosthène.
112 Démosthène, Prologues, 33, 2 ; trad. de R. Clavaud, CUF, modifiée. Nous ne retenons pas ici la connotation militaire que rend Robert Clavaud dans sa traduction (« comme un public de théâtre à la merci de la première invasion d’orateurs ») et qu’il justifie dans sa note ad loc, parce que le verbe προκαταλαμβάνω exprime plutôt ici la capacité d’anticipation des réactions du public nécessaire tant à l’orateur qu’à l’auteur dramatique. Voir LSJ, s.v., II.
113 Voir également Démosthène, Quatrième Philippique, 1.
114 Thucydide, III, 38, 4. Harvey Yunis met également, à très juste titre, ce passage en parallèle avec Platon, Phèdre, 257e1-258b5 ; Gorgias, 501e8-502d8 ; République, VI, 492b5-493c8 (H. Yunis, Taming Democracy, p. 253, n. 30).
115 Thucydide, III, 38, 4 : κακῶς ἀγωνοθετοῦντες, « parce que vous organisez mal les joutes ».
116 Démosthène, Troisième Philippique, 54. Voir également Sur la couronne, 226 : ῥητόρων ἀγῶνες, cité infra, p. 352.
117 L’importance de ce misthos pour la compréhension de la fonction civique du poète a été démontrée par P. J. Wilson, The Athenian Institution of Khoregia, p. 64-67. Avec l’institution des concours sous leur forme classique, le peuple athénien s’approprie ce que Gregory Nagy appelle le « modèle indoeuropéen de patronage poétique » (G. Nagy, « “The Professional Muse” and Models of Prestige in Ancient Greece », Cultural Critique, 12, 1989, p. 133-143, et, notamment, p. 135-139) ; le peuple exerce dorénavant son contrôle sur la production littéraire et prive l’aristocratie de son monopole en la matière.
118 Les termes λοιδορία, φθόνος et σκῶμμα sont très fréquents dans le corpus comique (plus de 250 occurrences au total), où ils qualifient bien souvent la pratique poétique de l’injure : voir e.g. Aristophane, Acharniens, 38 ; 497 ; 853 ; Cavaliers, 90 ; 525 ; 580 ; Alexis, fr. 156 Kassel-Austin, etc. Cf. R. Saetta Cottone, Aristofane et la poetica dell’ingiuria, p. 143-171.
119 Voir, e.g., Hérodote, III, 45, 14 ; Thucydide, IV, 129, 2 ; V, 6, 4.
120 Sur les connotations négatives du travail salarié, voir l’article liminaire d’Éd. Will, « Notes sur μισθός », in J. Bingen et al. (éd.), Le monde grec [Mélanges Claire Préaux], Bruxelles, 1975, p. 426-438 et la synthèse de R. Descat, L’acte et l’effort. Une idéologie du travail en Grèce ancienne (VIII-Ve s. av. J.-C.), Besançon, Centre de recherches d’histoire ancienne de l’université de Besançon, 1986, p. 302-306.
121 Démosthène, Prologues, 52, 1.
122 Démosthène, Quatrième Philippique, 75.
123 Démosthène, qui propose – en vain – de supprimer le theôrikon, regrette que le théâtre occupe une place si importante dans la vie de ses concitoyens que les Dionysies et les Panathénées sont incomparablement mieux organisées que l’armée athénienne, avec des moyens bien supérieurs à ceux alloués à la flotte (Démosthène, Première Philippique, 35-36 ; Première Olynthienne, 19-20 ; Troisième Olynthienne, 33. Voir également Contre Leptine, 26).
124 Voir supra, p. 266-267.
125 Démosthène, Sur l’ambassade, 226.
126 Démosthène, Sur la paix, 7 (trad. M. Croiset, CUF, modifiée).
127 Démosthène, Contre Aristocrate, 185 : πεφενακισμένοι κάθησθε, τὰ πράγματα θαυμάζοντες.
128 Démosthène, Troisième Philippique, 4.
129 Démosthène, Sur l’organisation financière, 13.
130 Dinarque, Contre Démosthène, 99.
131 Démosthène, Troisième Olynthienne, 21-22 (trad. M. Croiset, CUF, modifiée) ; Harvey Yunis note que Démosthène fait peut-être ici référence aux Cavaliers d’Aristophane, v. 904-911 par exemple (H. Yunis, Taming Democracy, p. 266-267). Voir également Démosthène, Troisième Olynthienne, 24-26 ; Troisième Philippique, 23-24 ; Sur l’organisation financière, 26 ; Isocrate, Sur l’attelage, 27 ; Sur la Paix, 75-78 et 138 ; Aréopagitique, 79-81 ; Panégyrique, 72. Sur le thème de la « spontanéité de la soumission à l’hégémonie athénienne » durant la Pentékontaétie, voir M. Nouhaud, op. cit., p. 201-205 notamment ; sur le thème de l’enrichissement de la cité grâce à l’intelligence et à la probité des ancêtres, p. 207-209.
132 Voir LSJ s.v. φαίνω, A, III, 2.
133 Contrairement à la traduction de Maurice Croiset (CUF), qui suit sur ce point le LSJ s.v. πίνω, nous traduisons προπέποται, par « boire d’un seul coup », c’est-à-dire « dilapider » la richesse publique, plutôt que « sacrifier les intérêts publics » ; voir H. Sharpley, Demosthenes : Olynthiacs I, II, III, Londres, W. Blackwood and Sons, 1900, ad loc.
134 Voir J.-F. Pradeau, « L’ébriété démocratique ».
135 Démosthène, Troisième Olynthienne, 27. Cf. H. Yunis, Taming Democracy, p. 265-266.
136 Démosthène, Troisième Olynthienne, 30-31 (trad. M. Croiset, légèrement modifiée).
137 Cf. Xénophon, Mémorables, IV, 3, 10 ; Platon, République, IX, 589b 3.
138 Voir également Aristophane, Guêpes, 703-705.
139 E.g. Platon, Lois, VI, 777b 4-c 1 (τὸ θρέμμα).
140 Voir Aristophane, Guêpes, 31-36.
141 Démosthène, Contre Aristocrate, 209-210.
142 Démosthène, Contre Aristocrate, 210. Voir également Démosthène, Sur la Chersonèse, 32 : il reproche aux Athéniens d’être « terribles et irritables dans les assemblées, mais, dans la préparation de la guerre, mous et méprisables ».
143 Démosthène, Sur l’organisation financière, 20.
144 Cf. N. Villacèque, « De la bigarrure en politique », p. 137-138.
145 Sur la dialectique de la mollesse et de la dureté dans Athènes, cité ionienne, cf. L. Edmunds, Cleon, Knights, and Aristophanes’Politics, p. 44-47, ainsi que R. W. Connor, « The Ionian Era of Athenian Civic Identity », PAPhS, 137, 1993, p. 194-206.
146 Démosthène, Sur la Chersonèse, 34.
147 Dinarque, Contre Démosthène, 109.
148 Démosthène, Contre Aristogiton I, 41.
149 Démosthène, Contre Aristogiton I, 40.
150 Voir notamment supra, p. 266-267.
151 Voir N. Villacèque, art. cit.
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