Chapitre VII. Cléon, le paradigme du démagogue
p. 233-260
Texte intégral
1« Vous […] vous faites toujours spectateurs de paroles (theatai men tôn logôn) et auditeurs d’actions (akoratai de tôn ergôn) […]. Bref, [vous êtes] des gens dominés par le plaisir d’écouter (akoès hèdonèi), semblables à un public installé là (theatais kathèmenois) pour des sophistes plutôt qu’à des citoyens qui délibèrent de leur cité1. » Voilà le reproche que Cléon adresse, dans le récit de Thucydide, à ses concitoyens assemblés. Ces quelques lignes, qui sont à l’origine de notre enquête, ont d’autant plus suscité notre curiosité que Cléon est en général présenté dans les sources comme celui qui « paraît le plus avoir corrompu le peuple par ses emportements et qui le premier cria à la tribune et parla tout en se débraillant, alors que les autres orateurs gardaient une attitude correcte2 ». Au-delà de l’apparente contradiction, que nous nous attacherons à éclaircir, ces deux textes – comme bien d’autres encore, nous le verrons – condamnent une théâtralisation du politique, consécutive, selon ces mêmes sources, à la mort de Périclès.
2Certes, Cléon n’est pas le seul à être accusé de transformer la Pnyx en un vaste théâtre ; les sources soulignent, par exemple, comment Alcibiade ne cesse de se mettre en scène devant la Cité3. Cependant, si nous avons choisi de nous concentrer ici sur le personnage de Cléon, c’est parce qu’il est généralement présenté comme l’homme de la rupture post-péricléenne, comme celui qui, on l’a vu, « le premier » fit du théâtre à la tribune de l’Assemblée. Celui qui remporta en 425 avant J.-C. une victoire militaire sans précédent, ramenant à Athènes 120 prisonniers spartiates, et mourut trois ans plus tard au champ d’honneur, concentre en effet toutes les critiques formulées, par les Anciens comme par les Modernes, à l’égard des « nouveaux politiciens » de la fin du Ve siècle. Nous allons voir que tant Aristophane, sur le registre comique, que Thucydide, sur un ton beaucoup plus sérieux, assimilent Cléon à un hupokritès jouant son propre rôle devant un peuple spectateur. Mais, avant d’entrer dans le vif du sujet, examinons brièvement comment la figure du démagogue en général, et de Cléon en particulier, est perçue par l’historiographie moderne.
Le démagogue en questions
3L’histoire politique athénienne du dernier tiers du Ve siècle semble intrinsèquement liée à la figure du démagogue, au sens moderne du terme, fortement péjoratif : une personne « qui cherche à flatter le peuple par des paroles ou des actes, afin d’obtenir ses suffrages et de le dominer4 ». Au Ve siècle, pourtant, le terme dèmagôgos – littéralement, « celui qui guide le peuple » – était surtout employé au sens neutre5 ; ce n’est qu’au IVe siècle qu’il semble s’être teinté d’une nuance péjorative6. Comme le note très justement Martin Ostwald, « les indices montrant que les successeurs politiques de Périclès étaient qualifiés de “démagogues” ne sont pas vraiment probants ; il est beaucoup plus probable qu’ils étaient connus comme des prostatai tou dèmou […]. [Le prostatès tou dèmou] n’occupait pas de fonction officielle. Il était simplement un particulier qui, par la force de son caractère et par son habileté rhétorique, réussissait à persuader le peuple, au sein du Conseil et de l’Assemblée, à soutenir les mesures et la politique qu’il prônait7 ».
4Or, s’appuyant sur les propos de Thucydide8, sur quelques vers d’Euripide9 ou encore sur toute une série de passages de la Comédie Ancienne, qui n’épargnait pas les personnalités en vue, on a bien souvent considéré qu’après la mort de Périclès, la démocratie athénienne avait été affaiblie par l’arrivée d’une nouvelle génération de politiciens sans scrupules, disposés à satisfaire tous les caprices du peuple pour mieux le duper. Ainsi, pour Jacqueline de Romilly, cette période est celle de « l’aveuglement populaire » : « il se trouve malheureusement que la démocratie, dans son principe, favorise la démagogie et encourage la flatterie10 ». Formulée ici avec mesure par la grande spécialiste de Thucydide, cette position, qui constitue la doxa en la matière11, devient caricaturale quand elle est reprise dans des manuels d’histoire12.
5Parmi les « nouveaux politiciens » qu’évoquent les sources, Cléon est celui qui concentre toutes les critiques. Le portrait de cet anèr dèmagôgos que brosse Thucydide, le personnage du Paphlagonien qui le représente dans les Cavaliers d’Aristophane, ainsi que la description qu’en a faite Aristote quelques décennies plus tard, sont à l’origine d’une tradition historiographique tenace. Pour Plutarque, qui grossit le tableau dressé par Aristote :
« Cléon dépouilla la tribune de sa dignité : il fut le premier à crier (ἀνακραγών) en s’adressant au peuple, à arracher son manteau (περισπάσας τὸ ἱμάτιον), à se frapper la cuisse (τὸν μηρὸν πατάξας) et à courir tout en parlant (δρόμῳ μετὰ τοῦ λέγειν ἅμα χρησάμενος) enseignant aux hommes politiques le sans-gêne et le mépris des convenances qui devaient, peu après, se répandre partout13. »
6Ainsi Cléon, devenu le paradigme du démagogue, a-t-il été longtemps tenu pour responsable de la « décadence » des trois dernières décennies du Ve siècle. Bien que, selon toute vraisemblance, la haine que lui voue Thucydide soit personnelle avant tout – Cléon était, en effet, à l’origine de l’exil de Thucydide après son échec militaire en Thrace –, de nombreux critiques refusent de remettre en question l’objectivité de l’historien14.
7Dès le milieu du XIXe siècle pourtant, George Grote s’insurge contre cette image réductrice des démagogues athéniens et notamment de Cléon, qu’il s’attache à défendre point par point contre Thucydide, en faisant remarquer qu’il est impossible de dire si les accusations portées contre lui étaient justifiées ou calomnieuses15. Fustel de Coulanges se montre également prudent16. Quant à Gustave Glotz, dans La cité grecque publiée en 1928, il souligne que démagogues et sycophantes étaient les instruments du pouvoir démocratique : « Ne fallait-il pas que le peuple disposât de ses fonctionnaires en maître, puisqu’il entendait garder pour lui toutes les attributions de la souveraineté ? Le principe même du gouvernement démocratique exigeait cette mainmise sur le pouvoir exécutif17. » Dans la lignée de Grote et de Glotz, Moses Finley a tenté une réhabilitation des démagogues, en insistant sur la souveraineté du dèmos18.
8Mais l’étude la plus complète sur le sujet est assurément – aujourd’hui encore – celle de Robert Connor, The New Politicians of Fifth-Century Athens, parue en 1971. Il analyse en particulier le changement survenu après la mort de Périclès et dont Cléon paraît être l’initiateur. Jusque là, la vie politique athénienne était animée par des « groupes d’amis », qui reposent eux-mêmes sur les réseaux des genè aristocratiques. Or Cléon, développant une démarche initiée par Périclès, rompt avec la philia pratiquée par l’aristocratie traditionnelle et s’affiche clairement en démagogue, en chef du dèmos. En effet, ces nouveaux politiciens non seulement n’ont pas de carrière militaire derrière eux, mais, qui plus est, ils n’appartiennent pas aux grandes familles aristocratiques : ils sont riches, certes, mais ils sont roturiers19. Face à cette évolution, les aristocrates soit se retirent de la vie publique, soit concentrent leur activité sur les hétaïries et conspirent contre le régime démocratique. Pour Robert Connor, qui suit sur ce point Antony Andrewes20, on assiste là à une forme de professionnalisation de la vie politique, qui s’explique en particulier par l’expansion et la puissance d’Athènes : la Cité a désormais besoin d’experts, et l’expertise s’accommode mal des privilèges de classe21.
9Pour Claude Mossé, l’analyse par Robert Connor de la rupture postpéricléenne est pertinente mais n’est pas suffisante : « personnellement, je serais tentée d’expliquer l’évolution de la vie politique athénienne dans le dernier tiers du Ve siècle par le rôle accru du dèmos urbain » ; « ces transformations n’affectèrent pas seulement les formes de la vie politique, elles traduisaient aussi l’entrée effective du dèmos dans cette vie politique22 ».
10Cependant, l’idée même d’une rupture a récemment été contestée. Ainsi, Robert Sinclair23 relativise le fossé qui sépare Périclès et ses successeurs, soulignant que parmi ces derniers, certains lui étaient très proches, par leur (bonne) naissance, comme Alcibiade, ou par leur caractère, par leur droiture, comme Nicias. Certes, explique Robert Sinclair, ces nouveaux politiciens n’étaient généralement pas issus des grandes familles athéniennes et n’avaient pas tous assumé des charges importantes ; certes, ils s’adressaient peut-être plus directement au dèmos « et, ce faisant, devenaient eux-mêmes la preuve de l’importance cruciale de l’isègoria pour que l’Assemblée réussisse à contrôler complètement les affaires de la cité, avec le moins d’ingérence possible de la part du Conseil et des magistrats24 ». Mais, en définitive, ils ne devaient pas agir très différemment de leurs prédécesseurs.
11Beaucoup plus radical, Christian Mann tente de démontrer, dans son ouvrage de 200725, que la mort de Périclès – de même que la réforme d’Éphialte – n’entraîne aucune rupture dans l’histoire de la démocratie athénienne. Pour l’historien, qui s’appuie notamment sur une relecture du livre II de Thucydide, le dèmos athénien n’a pas cessé d’être souverain ; les rivalités des démagogues ne faisaient que le servir – en cela Christian Mann se situe très clairement dans la lignée de Moses Finley. Loin de dominer le peuple, Périclès, comme Cléon quelques années après lui, voit son autorité sans cesse remise en question ; l’un comme l’autre sont la cible du psogos comique26. Christian Mann montre d’ailleurs que tout au long du Ve siècle, il y eut des démagogues issus de familles aristocratiques, d’autres d’origine roturière, qu’il y eut des démagogues qui se posaient, comme Thémistocle ou Cléon, en hommes simples, d’autres, comme Périclès ou Nicias, qui mettaient en avant leur généalogie. Mais les démagogues, qui, pour se consacrer aux affaires publiques, devaient posséder une certaine fortune, s’efforçaient, en général, de réduire, par leur conduite, le fossé les séparant des citoyens ordinaires27. Pour Christian Mann, la rupture n’eut lieu ni en 462, ni en 429, mais après 420 : jamais avant cette date le régime démocratique athénien n’avait été mis en péril par ses adversaires. Ainsi, le véritable nouveau politicien de la fin du Ve siècle : ce n’est pas Cléon, mais Alcibiade, qui se comporte en aristocrate de l’époque archaïque, voire en tyran28. Ce n’est donc pas un quelconque excès de démocratie qui amena Athènes à l’échec en 403, mais, au contraire, les attaques dont la démocratie fut la cible ; tant que le régime était stable et incontesté, Athènes était une cité puissante, et tout lui réussissait29.
12Reste cependant que la rupture de 429 est bel et bien relevée par les contemporains de Périclès. Si elle ne fut pas réelle, ne peut-on pas dire du moins, avec Anne Queyrel, que les Athéniens ont probablement eu « l’impression de vivre un tournant à la disparition d’un homme qui avait connu une longévité politique, au premier plan de la cité, d’une trentaine d’années » ? En effet, le fait que Périclès « soit mort au début d’un long conflit qui va demander effort et rigueur à la cité, et inspirer l’exaltation aussi bien que le découragement, explique aussi l’impression de rupture ressentie avec ses successeurs, alors même que l’Olympien était, au même titre que ses prédécesseurs et ses successeurs, soumis au vote des citoyens, qui choisirent de le réélire stratège pendant des années30 ».
13C’est précisément vers celui de ces successeurs qui a cristallisé toutes les critiques, au point d’apparaître comme le paradigme du démagogue, que nous allons nous tourner à présent : Cléon, qui semble avoir fait du théâtre à la tribune de la Pnyx, pour le plus grand plaisir du dèmos.
Monsieur Lepeuple et le Paphlagonien sur la scène comique
14Dans les Cavaliers, comédie qui remporta le premier prix aux Lénéennes de 424, Aristophane met en scène, en transformant le nom commun dèmos (« peuple ») en anthroponyme, une personnification peu flatteuse du peuple athénien31. En effet, Dèmos apparaît sous les traits d’un vieillard gâteux dans la majeure partie de la pièce. « Petit vieux acariâtre et dur d’oreille32 », ce « Dèmos de la Pnyx (Δῆμος Πυκνίτης) » – Monsieur Lepeuple, pour reprendre la traduction de Victor Henri-Debidour – est le piètre maître d’Athènes, son oikos ; en fait, c’est son intendant qui règne sur les lieux, profitant de sa stupidité. Ce « tanneur paphlagonien », alias Cléon, esclave récemment acheté, est décrit dès les premiers vers comme un personnage violent, qui terrorise les autres esclaves de l’oikos ; ces derniers le décrivent comme une « sacrée canaille », un « fieffé menteur » :
« Le temps pour notre homme d’avoir débrouillé les ressorts du vieux, et le voilà à plat ventre devant le patron, et je te chatouille, et je te cajole, et je te paphlagorne, et je te berne à force de rognures de bouif ! Il lui dit : “Lepeuple, tu as jugé une seule affaire, c’est suffisant : va d’abord prendre ton bain, et puis empiffre-toi, bouffe, bâfre : voilà ton allocation. Veux-tu que je te serve à dîner ?” Alors il rafle quelque chose que l’un de nous a préparé, et ça y est, c’est au Paphlagonien que le patron doit cette gentillesse33. »
15Le Paphlagonien appartient bien à cette nouvelle génération de politiciens qui, selon Thucydide, « cherchent le plaisir du peuple (ἐτράποντο καθ᾽ ἡδονὰς τῷ δήμῳ) », rivalisant de flagorneries pour mieux atteindre « chacun la première place (πρῶτος ἕκαστος)34 ». D’ailleurs, selon l’oracle découvert par les deux esclaves au début de la comédie, seul un Charcutier pourra l’expulser de l’oikos et mettre ainsi un terme à cette situation :
Ἡ δημαγωγία γὰρ οὐ πρὸς μουσικοῦ
ἔτ᾽ ἐστὶν ἀνδρὸς οὐδὲ χρηστοῦ τοὺς τρόπους,
ἀλλ᾽ εἰς ἀμαθῆ καὶ βδελυρόν…
« Mener Lepeuple, ce n’est plus l’affaire d’un homme bien éduqué et de mœurs honorables. Il en faut un qui soit ignare et crapuleux35. »
16En dissociant les deux composants de la négation οὐκέτι et en soulignant le second par un rejet36, le poète comique semble partager l’idée qu’une rupture s’était produite à la mort de Périclès. Ceux qui guident désormais le peuple sont comme le Paphlagonien et son Charcutier de concurrent, qui a tout « pour devenir démagogue : voix crapuleuse, naissance vile, façons de voyou37 ». Ainsi les démagogues apparaissent-ils comme des personnages vulgaires et roublards, qui mènent le dèmos… par le bout du nez.
17De son côté, Monsieur Lepeuple a beau être acariâtre, il se laisse faire. En effet, il est absent durant la quasi-totalité de la pièce. Il est tout d’abord absent physiquement : s’il est nommément question de lui dès le vers 42, il n’apparaît pas sur scène avant le vers 728. Mais, même lorsqu’il est physiquement présent, Monsieur Lepeuple est « dans la lune38 ». D’ailleurs, comme l’avait prévu l’oracle39, ce n’est pas lui qui expulse le Paphlagonien de son oikos, mais un vulgaire Charcutier. Monsieur Lepeuple se contente d’ailleurs d’assister à l’affrontement, prodiguant, de temps à autre, des encouragements aux deux rivaux. Cet agôn, dont Monsieur Lepeuple est à la fois enjeu et spectateur, permet au poète de livrer deux images du personnage : celle d’un dèmos-éromène et celle d’un dèmos-theatès.
18Monsieur Lepeuple paraît tout d’abord peu intéressé par la joute oratoire à laquelle se livrent son intendant et son concurrent surgi de nulle part ; il se montre seulement agacé par ces deux braillards qui viennent le déranger dans son intimité40. Il ne commence à manifester un certain intérêt pour cet agôn que lorsque sa propre personne est directement en jeu : il est reconnaissant au Charcutier de vouloir l’habiller bien41 et ne se contient plus lorsque les deux rivaux lui présentent des friandises42. C’est d’ailleurs sur ce critère-là qu’il finira par arrêter son choix43.
19En effet, malgré sa vieillesse, malgré sa laideur et son gâtisme, Monsieur Lepeuple est assidûment courtisé par le Paphlagonien et le Charcutier, qui prétendent tous deux être amoureux de lui. On trouve, dans les répliques des deux rivaux, un grand nombre d’occurrences du verbe philein (« aimer ») et de ses composés44, ainsi que du terme erastès (« amant »)45 – qui indique sans conteste l’amour sexuel, le désir physique : « je t’aime, Lepeuple, et je suis ton amant (φιλῶ σ᾽, ὦ Δῆμ᾽, ἐραστής τ᾽ εἰμὶ σός)46 », déclare par exemple le Paphlagonien. Et le Charcutier de surenchérir :
Ἀντεραστὴς τουτουί,
ἐρῶν πάλαι σου βουλόμενός τέ σ᾽ εὖ ποεῖν,
ἄλλοι τε πολλοὶ καὶ καλοί τε κἀγαθοί.
Ἀλλ᾽ οὐχ οἷοί τ᾽ ἐσμὲν διὰ τουτονί. Σὺ γὰρ
ὅμοιος εἶ τοῖς παισὶ τοῖς ἐρωμένοις·
τοὺς μὲν καλούς τε κἀγαθοὺς οὐ προσδέχει,
σαυτὸν δὲ λυχνοπώλαισι καὶ νευρορράφοις
καὶ σκυτοτόμοις καὶ βυρσοπώλαισιν δίδως.
« (Moi, je suis) l’amant rival de celui-ci. Voilà longtemps que mon cœur est à toi, et que je te veux du bien, tout comme des tas d’autres gens, des beaux et bons. Mais nous ne pouvons rien, à cause de lui. Tu es comme ces mignons, ces bourreaux des cœurs : les gens beaux et bons, tu n’en veux pas, et c’est à des lampistes, des savetiers, des cordonniers, des marchands de cuir que tu te donnes47. »
20En employant « amant » (erastès) » et « aimé » (erômenos), termes « techniques » de la relation pédérastique, mais aussi en se présentant comme l’allié des kaloi kagathoi – qu’il oppose à la vulgarité des nouveaux politiciens –, celui qui est pourtant charcutier de son état définit très clairement la relation qui le lie à Lepeuple comme une relation pédérastique48. Or dans ce jeu de séduction, c’est un vieillard peu avenant qui joue le rôle de l’erômenos, se laissant complaisamment séduire par deux erastai beaucoup plus jeunes que lui49. Les rôles sont donc complètement renversés. En effet, pour être socialement et moralement acceptée, la pédérastie se devait de respecter un code : l’erastès, en position d’initiative, était censé jouer un rôle socialement, moralement et enfin sexuellement actif, éduquant ainsi son erômenos. Pour l’emporter sur ses rivaux, l’erastès devait se faire admirer du jeune garçon, qui, en retour, était tenu de lui manifester sa reconnaissance, sans pour autant lui céder trop facilement, par intérêt par exemple. La jeunesse de l’erômenos, qui allait de pair avec sa beauté physique, était la condition sine qua non pour que cette pratique soit acceptée : lorsque sa première barbe apparaissait, le jeune garçon ne devait plus accepter son rôle passif50. Monsieur Lepeuple fait donc partie de ces « vieux passifs » raillés dans la comédie comme dans les épigrammes51.
21Ainsi, Lepeuple non seulement n’a pas l’autorité nécessaire pour assumer son rôle de maître de l’oikos, mais il n’a pas non plus la maturité et l’autorité d’un anèr digne de ce nom. Or, il apparaît que, pour les Athéniens, celui qui, dans le jeu amoureux, joue le rôle du dominé ne peut pas occuper valablement la place du dominant dans le jeu de l’activité civique et politique ; c’est pourquoi, explique Kenneth Dover, « l’homme de la rue se console avec l’idée que ceux qui dirigent sa vie en politique et le font marcher sont en fait ses inférieurs et ne valent pas mieux que des prostitués52 » ; au mieux, ils sont tous des kinaidoi, des gitons53. Qu’en est-il de Monsieur Lepeuple ? N’est-il pas lui aussi un kinaidos, voire un prostitué ? Tout le laisse à penser : en plus d’être vieux et laid, il est égocentrique et intéressé, se laisse flatter et prend tout ce que ses amoureux peuvent lui offrir, sans rien donner en retour, pas même son admiration, puisque, au fond, il les méprise. On est bien loin de la relation pédérastique telle que la décrit Michel Foucault, puisque les codes qui « définissent le comportement mutuel et les stratégies respectives que les deux partenaires doivent observer pour donner à leur relation une forme “belle”, esthétiquement et moralement valable54 », sont tous renversés. D’ailleurs, le Paphlagonien apparaît davantage comme obsédé de sodomie que comme un amant conforme au modèle du noble erastès : il se vante, en effet, d’être « capable », « grâce à (sa) dextérité », « de dilater Lepeuple ou de le rétrécir55 ». Ainsi, le poète comique non seulement « sexualise le topos56 » de l’erastès tou dèmou, qui s’était développé à partir de la fin du Ve siècle57, mais illustre crûment l’idée répandue selon laquelle, à cette époque, le peuple athénien se laissait complaisamment duper par les démagogues : sur la scène des Cavaliers, Cléon « possède » littéralement le dèmos. Or, comme le souligne Andrew Scholtz, à la suite de Kenneth Dover et de la théorisation du paradigme sexuel par Michel Foucault, « la démocratie présuppose un dèmos souverain, et, par conséquent, un dèmos qui domine les citoyens en tant qu’individus, y compris l’élite dirigeante. La pédérastie présuppose un erômenos (aimé) soumis/subordonné à son éraste (amant) ». Mais, dans notre pièce, « la politique comme pédérastie, dans la mesure où elle soumet Dèmos (= le dèmos) à ses amants-politiciens, est une contestation des valeurs démocratiques au moins autant qu’une confirmation de ces mêmes valeurs58 ».
22Certes, pour Monsieur Lepeuple, cette relation qu’il entretient avec les deux démagogues, comme toute relation pédérastique, devient « une épreuve qualificatrice », pour reprendre la formule de Michel Foucault : en effet, aussi inattendu que cela puisse paraître, Monsieur Lepeuple sort victorieux de cette épreuve, puisque régénéré : il est désormais un anèr jeune, beau et mature, capable de se maîtriser et de rejeter un cadeau des plus tentants (le « pliant » que lui offre le Charcutier59), pour se laisser séduire par les charmes de la Trêve de trente ans60. Lepeuple va enfin pouvoir jouer un rôle actif sexuellement, mais aussi socialement, moralement, et surtout politiquement. Cependant, la régénération de Lepeuple est ambiguë : la domination sexuelle est associée à la tyrannie et généralement ressentie dans l’imaginaire populaire comme un danger pour la démocratie61. Or, elle devient ici le fait de Lepeuple lui-même, qui apparaît d’ailleurs vêtu d’un splendide costume qui n’est pas sans rappeler celui de la figure du tyran : pour Victoria Wohl, c’est au prix de la démocratie que l’on se débarrasse du Paphlagonien62.
23À cette image d’un dèmos-éromène se superpose celle d’un dèmos-spectateur qui se laisse prendre dans les filets de la rhétorique. Cette représentation de Monsieur Lepeuple en spectateur a rarement été évoquée par les critiques, et toujours de façon très rapide63 ; elle est pourtant prégnante, dans la seconde moitié de la pièce en particulier. Le Paphlagonien et le Charcutier ne cessent de solliciter le regard de Monsieur Lepeuple : horas (« tu vois »)64, idou theasai (« tiens, regarde »)65, le pressent-ils. Et, comme le remarque le Charcutier, Lepeuple est tellement absorbé par le spectacle que lui offrent les démagogues qu’il reste bouche bée :
« Le vieux, quand il est chez lui, il n’y a pas plus malin sur terre… mais dès qu’il a le séant (καθῆται) sur ce caillou, le voilà bouche bée (κέχηνεν), comme s’il encaquait des figues sèches66 ! »
24Or le Paphlagonien a beau railler « la face d’ahuri de Lepeuple quand il siège67 », il sait parfaitement que si son maître reste bouche bée, c’est parce que, comme les autres démagogues, il ne cesse de s’agiter devant lui en déclamant, de courir partout, de gesticuler dans tous les sens. En effet, présenté dans l’oracle dérobé par les deux esclaves comme étant « rapace, braillard, avec une voix de torrent tourbillonnant68 », le Paphlagonien-Cléon a tout d’un personnage de comédie69 :
« N’ayez crainte ! il n’est pas représenté sur le masque, car aucun des fabricants n’osait le figurer, tellement ils en avaient peur. Et pourtant, vous le reconnaîtrez, le public est sagace70 ! »
25Bien entendu, l’acteur jouant le Paphlagonien devait porter un masque, particulièrement laid71 ; mais la réplique parabatique de l’esclave souligne surtout que Cléon était si grotesque qu’il était déjà en soi un personnage comique, au point que l’acteur n’aurait plus eu besoin de masque. D’ailleurs, une hypothèse identifie à Cléon la représentation, sur un vase corinthien du Ve siècle, d’un personnage caricatural, pourvu d’énormes sourcils, se masturbant accroupi72.
26Or, face à l’agôn mouvementé qui oppose son intendant au Charcutier, l’attitude de Monsieur Lepeuple n’est guère différente de celle du Dionysos des Grenouilles arbitrant le débat entre Eschyle et Euripide : il n’intervient pas dans l’affrontement, laissant seulement échapper quelques exclamations passionnées et impatientes. Comme le public des citoyens qui, assis sur les gradins, sont les destinataires des drames auxquels ils assistent, Monsieur Lepeuple prend un plaisir d’autant plus évident au spectacle que lui offrent ses amoureux, qu’il en est l’objet. D’ailleurs le Paphlagonien et le Charcutier adoptent à l’égard de leur maître une attitude qui n’est pas sans rappeler celle du poète à l’égard de son public73 – car, aussi stupide soit-il, c’est à Monsieur Lepeuple qu’il reviendra de désigner le vainqueur et de lui remettre une couronne74. Il semble pourtant d’abord bien ennuyé d’avoir à prendre une décision et ne sait comment imposer son choix75 ; il se laisse mollement guider, en essayant de paraître maître de la situation76. Son choix s’avérera finalement motivé par les mille attentions et compliments prodigués par le Charcutier, qui parviendra à ses fins et se verra devenir à son tour maître d’Athènes en utilisant les mêmes moyens que son prédécesseur77, comme le lui avaient prédit les deux esclaves du prologue de la pièce78. Aristophane présente ainsi aux citoyens-spectateurs massés sur les gradins du théâtre un Monsieur Lepeuple de la Pnyx qui mériterait sans conteste les reproches que le Cléon de Thucydide adresse aux Athéniens : il ressemble plus à un spectateur installé pour assister à un spectacle qu’à un citoyen siégeant pour délibérer des affaires de sa cité.
27Ainsi réduit à l’impuissance et à la passivité, Monsieur Lepeuple n’est même pas capable de mettre lui-même l’ignoble Paphlagonien à la porte il doit se laisser guider par le Charcutier – qu’il connaît à peine –, à travers un rituel initiatique, vers son rajeunissement final, en passant par une cuisson magique qui évoque celle dont Médée a le secret. Or, ce traitement ne rend pas seulement Lepeuple beau (kalos)79, il provoque aussi en lui l’oubli (lèthè), évoqué implicitement80, mais de façon positive, alors qu’il était traditionnellement considéré dans la littérature grecque comme source de tous les maux81. C’est l’oubli de ses fautes passées qui lui permet de renaître. Ébahi82 et honteux83, il interrompt le démagogue qui lui raconte combien il était dupe :
« Qu’est-ce que tu dis ? C’est ça qu’ils me faisaient ? et je ne m’en rendais pas compte (οὐκ ᾐσθόμην)84 ? »
28On glisse ici de l’image du dèmos spectateur à celle du dèmos aveugle, qui « ne se rend pas compte », autre lieu commun de la rhétorique85. Tout absorbé qu’il est par la représentation, qu’elle soit théâtrale ou politique, le peuple n’est pas en mesure de percevoir correctement la réalité, ses sens sont altérés. Dans les Cavaliers, le Charcutier rassure cependant Monsieur Lepeuple :
« Ce n’est pas toi qui es coupable, ne te ravage pas : ce sont ceux qui te bernaient comme ça86 ! »
29Les orateurs, ceux qui mettent en scène le spectacle, seraient-ils les seuls responsables de l’aveuglement du dèmos ? La réplique trahit le souci du Charcutier de ménager Lepeuple87 … et celui d’Aristophane de ménager son public. Et, quoi qu’il en soit, Monsieur Lepeuple est à présent un kalos kagathos, il est tout à la fois rajeuni et mentalement mûr, passant de l’état de vieillard-enfant à celui d’anèr88.
30Cette merveilleuse transformation s’accompagne d’un changement de direction des regards. Désormais, Monsieur Lepeuple n’est plus spectateur des démagogues, il devient lui-même objet de tous les regards. Le chœur est impatient de le contempler :
« Pourrions-nous le voir (πῶς ἂν ἴδοιμεν) ? Comment se présente-t-il/comment est-il costumé (ποίαν ἔχει σκευήν) ? Comment est-il devenu89 ?
Toi, sous ton diadème de violettes, toi/que le monde enviait, toi, fleuron d’opulence, Athènes, montre-nous (δείξατε ἡμῖν) celui qui de ce sol/et de toute la Grèce est le maître et seigneur90 ! »
31Ce à quoi le Charcutier répond :
« Mais vous allez le voir (ὄψεσθε δέ). […] Allons, que vos cris jubilants jaillissent à l’apparition de l’antique Athènes (φαινομέναισιν ταῖς ἀρχαίαισιν Ἀθήναις), la merveilleuse91…
Le voici sous vos yeux (ὅδ’ἐκεῖνος ὁρᾶν τεττιγοφόρος), arborant la cigale d’or, dans tout l’éclat de son antique arroi92… »
32Ainsi Monsieur Lepeuple devient-il lui-même spectacle, comme en témoigne non seulement le champ lexical du regard, mais également l’emploi méta-théâtral du mot skeuè (« costume »), qui est un terme technique : c’est vers Monsieur Lepeuple que convergent désormais les regards, ceux du Charcutier, du chœur, mais aussi et surtout des spectateurs de la comédie, à qui il offre désormais un miroir embellissant.
33Mais avant sa régénération, Monsieur Lepeuple était-il si dupe que cela ? Était-il réellement stupide et gâteux ? Alors que le Paphlagonien et le Charcutier courent partout à la recherche de petits cadeaux à lui faire, le chœur des cavaliers lui adresse quelques reproches :
« Tu donnes aisément/dans les panneaux : tes délices/c’est de te faire enjôler/et berner (θωπευόμενός τε χαί-/ρεις κἀξαπατώμενος) : celui qui parle,/il te trouve à tous les coups/bouche bée (κέχηνας). Et, dans ta tête,/ta cervelle est dans la lune (ὁ νοῦς δέ σου/παρὼν ἀποδημεῖ)93. »
34Ce à quoi Monsieur Lepeuple réplique, sur le ton de la confidence et probablement à la grande surprise des spectateurs :
« C’est exprès/que je fais le bon benêt (ἑκὼν/ταῦτ᾽ ἠλιθιάζω),/car j’aime bien pour mon compte/ma pitance quotidienne./Je veux pour ministre unique/entretenir un filou :/quand il a fait sa pelote,/je lève le poing, et paf (ὅταν ᾖ πλέως,/ἄρας ἐπάταξα)94 ! »
35De la révélation de cette ruse, il ne sera plus question dans la pièce. Les critiques ne se sont guère attardés sur ce passage, qui est pourtant en contradiction, en apparence du moins, avec ce qui suit, puisque Monsieur Lepeuple régénéré sera tout étonné du récit du Charcutier. Pour lever la contradiction, il faut examiner la position de ce passage dans le texte. Cette tétrade monostrophique forme en effet une parenthèse lyrique de 40 vers95 entre deux parties dialoguées parfaitement symétriques dans lesquelles on assiste à l’exégèse de l’oracle d’une part, et à la présentation des cadeaux d’autre part96. Cette tétrade est composée de quatre couplets identiques, deux chantés par le chœur et deux par Monsieur Lepeuple, qui lui répond qu’il n’a jamais été dupe. Comme le note Pascal Thiercy97, cette révélation, qui annonce la transformation finale de Monsieur Lepeuple, mais qui est sans conséquence aucune sur le déroulement de l’intrigue, semble destinée à rassurer les citoyens-spectateurs : l’image que le poète donne de Monsieur Lepeuple est purement comique, car, dans la réalité, le peuple ne serait pas aussi stupide que ce vieillard répugnant. Ainsi, dans ces quelques vers, Monsieur Lepeuple se révèle doublement hupokritès. D’une part, il dévoile son jeu (hupokrisis) et révèle qu’il fait semblant d’être idiot et qu’il trompe ainsi non seulement les démagogues qui le flattent98, mais aussi le public qui croit à la stupidité du personnage. D’autre part, Monsieur Lepeuple, en se dévoilant hupokritès, montre aux spectateurs qu’il n’est rien de plus qu’un acteur comique, qui a pour vocation de faire rire son public, mais pas de l’offusquer. Cette parenthèse lyrique au parfum de parabase est donc pour le poète un moyen de rassurer ses spectateurs en leur rappelant que ce à quoi ils assistent n’est qu’un spectacle comique, non un réquisitoire. La fin de la pièce permet peut-être d’aller plus loin encore, puisque Monsieur Lepeuple y apparaît comme un véritable metteur en scène, un didaskalos, qui organise avec autorité la vie à l’intérieur de la cité99.
36Dans les Cavaliers, Aristophane semble ainsi présenter l’image d’un peuple athénien doublement passif : « bouchée bée » et « dilaté », Monsieur Lepeuple est à la fois spectateur et éromène du tanneur et du marchand de saucisses, paradigmes des nouveaux politiciens de la fin du Ve siècle. Les theatai du théâtre de Dionysos n’étaient pourtant pas passifs, on l’a vu : ils criaient, sifflaient, applaudissaient – imposant ainsi, si l’on en croit Platon, leurs goûts aux juges100. N’y a-t-il pas là une contradiction ? Pour tenter de comprendre cette image complexe du dèmos-spectateur, nous allons aborder à présent le discours du Cléon de Thucydide, qui la convoque explicitement.
Cléon et le peuple athénien chez Thucydide
37En 427 avant J.-C., le Cléon thucydidéen, « à tous égards le plus violent des citoyens, et de beaucoup le plus écouté du peuple à ce moment101 », stigmatise le goût des Athéniens pour le spectacle, à l’occasion d’un discours particulièrement virulent destiné à les dissuader de revenir sur leur décision, prise la veille, d’« exécuter les Mytiléniens sans délai102 ». En effet, depuis quelques mois, Mytilène, qui faisait partie de la confédération de Délos, est en révolte contre Athènes103. Nous allons voir que, dans ce discours104, Cléon n’apparaît pas comme le vil flagorneur des Cavaliers qui cherche à duper le peuple pour mieux le contrôler : au contraire, il reproche au dèmos de se laisser prendre au charme des beaux discours. Cléon lui-même n’est-il pas pourtant présenté par de nombreuses sources comme étant celui qui, le premier, a mis la politique en représentation ?
38De même que, dans les Cavaliers, le Paphlagonien se moque de la « face d’ahuri » de Lepeuple lorsqu’il siège à l’Assemblée105, de même dans ce discours rapporté par Thucydide, Cléon reproche aux Athéniens leur mollesse, dans les relations extérieures avec les alliés, tout d’abord, dans leur politique intérieure et leurs assemblées, ensuite. Cléon attaque sans détour la démocratie, « incapable d’exercer l’empire106 » – une critique habituellement formulée par les partisans de l’oligarchie. Aucune flagornerie à l’égard du dèmos, donc, au contraire : le ton est aussi violent que l’avait laissé entendre Thucydide en qualifiant l’orateur de biaiotatos, « violent au plus haut degré107 ». C’est d’ailleurs le manque de pugnacité du dèmos que Cléon déplore108 :
« Vous oubliez que l’empire constitue entre vos mains une tyrannie (τυραννίδα ἔχετε τὴν ἀρχήν) qui s’exerce sur les peuples qui, eux, intriguent et subissent cet empire de mauvais gré (ἄκοντας ἀρχομένους) ; leur soumission ne résulte pas des faveurs que vous pouvez leur faire à votre détriment (οὐκ ἐξ ὧν ἂν χαρίζησθε βλαπτόμενοι αὐτοὶ ἀκροῶνται ὑμῶν), mais de l’ascendant que vous pouvez prendre sur eux, par la force beaucoup plus que par leur bon vouloir (ἀλλ᾽ ἐξ ὧν ἂν ἰσχύι μᾶλλον ἢ τῇ ἐκείνων εὐνοίᾳ περιγένησθε)109. »
39Or, si les Athéniens se comportent ainsi avec leurs alliés, c’est que les rapports humains à l’intérieur de la cité sont paisibles et que les citoyens sont « habitués […] dans la vie quotidienne à ne craindre ni intriguer110 ». Pour Cléon, cette douceur des mœurs, qui faisait la fierté de Périclès111, n’est que la marque de la mollesse et de la passivité de ses concitoyens. Car les Athéniens se laissent mener par le bout du nez non seulement par leurs alliés, mais aussi par les orateurs qui, « [entraînés] par l’appât du gain, [s’appliquent] à trouver des paroles spécieuses pour tenter de [les] duper112 » :
τὰ μὲν μέλλοντα ἔργα ἀπὸ τῶν εὖ εἰπόντων σκοποῦντες ὡς δυνατὰ γίγνεσθαι, τὰ δὲ πεπραγμένα ἤδη, οὐ τὸ δρασθὲν πιστότερον ὄψει λαβόντες ἢ τὸ ἀκουσθέν, ἀπὸ τῶν λόγῳ καλῶς ἐπιτιμησάντων
« Vous […] qui voyez les faits à venir d’après les beaux parleurs qui les donnent pour possibles et les faits déjà passés d’après les critiques brillamment formulées, attachant ainsi plus de crédit au récit qu’à l’événement vu de vos propres yeux113. »
40Cléon veut ainsi prouver aux Athéniens à quel point ils se laissent embrouiller114, par leur propre bêtise d’abord, et par les beaux parleurs ensuite, confondant la vue et l’ouïe :
οἵτινες εἰώθατε θεαταὶ μὲν τῶν λόγων γίγνεσθαι, ἀκροαταὶ δὲ τῶν ἔργων…
« vous qui vous faites toujours spectateurs de paroles et auditeurs d’actions115 ».
41Le chiasme de cette formule « gorgianique116 » renforce l’idée de confusion des sens. On n’est pas loin ici de l’image aristophanienne d’un Dèmos hébété, qui assiste bouche bée à l’affrontement de ses deux prétendants : les Athéniens sont des « Béathéniens », prêts à tout gober117. Certes, le Cléon thucydidéen n’insiste pas, comme le fait le poète des Cavaliers, sur le plaisir qu’éprouve le dèmos à être flatté, mais il souligne son goût immodéré pour la nouveauté :
καὶ μετὰ καινότητος μὲν λόγου ἀπατᾶσθαι ἄριστοι, μετὰ δεδοκιμασμένου δὲ μὴ ξυνέπεσθαι ἐθέλειν, δοῦλοι ὄντες τῶν αἰεὶ ἀτόπων, ὑπερόπται δὲ τῶν εἰωθότων…
« vous qui, pour être trompés par un argument neuf n’avez pas vos pareils, ni pour renâcler s’il est déjà éprouvé ; esclaves que vous êtes de toute originalité, pleins de mépris pour la banalité118 ».
42Ici encore, ces propos évoquent, dans les Cavaliers, les deux prétendants qui rivalisent d’ingéniosité pour trouver des petits cadeaux à faire à Lepeuple, toujours preneur119. Enfin, Cléon déplore que les Athéniens cherchent constamment à s’échapper de la réalité :
ζητοῦντές τε ἄλλο τι ὡς εἰπεῖν ἢ ἐν οἷς ζῶμεν, φρονοῦντες δὲ οὐδὲ περὶ τῶν παρόντων ἱκανῶς· ἁπλῶς τε ἀκοῆς ἡδονῇ ἡσσώμενοι…
« [vous êtes] à la recherche d’un monde autre que le nôtre, mais incapables seulement de songer aux réalités ; bref des gens dominés par le plaisir d’écouter120 »…
43Certes, on peut voir dans ces propos, avec James McGlew, une accusation portée contre la Comédie et Aristophane en particulier, dont les premières pièces seraient une invitation au public « à partager une rêverie, dans laquelle le héros comique recherche une solution fantastique à un problème réel121 », telle que, par exemple, l’arrivée providentielle du Charcutier, qui écrase le Paphlagonien et fait cuire Dèmos, pour le rendre beau et intelligent. Mais, au-delà de cette hypothétique critique littéraire, qui ne peut en aucun cas résumer le sens du passage thucydidéen, le théâtre peut-il avoir eu une telle influence sur la vie politique ? L’habitude des Athéniens d’assister à des représentations dramatiques aurait-elle modifié leur comportement à l’Assemblée ? C’est bien ce que semble dire Cléon, lorsqu’il ajoute :
σοφιστῶν θεαταῖς ἐοικότες καθημένοις μᾶλλον ἢ περὶ πόλεως βουλευομένοις.
« semblables à un public installé là pour des sophistes plutôt qu’à des citoyens qui délibèrent de leur cité122 ».
44C’est la seule occurrence du terme sophistès chez Thucydide123. Simon Hornblower a montré que l’historien l’emploie très probablement dans le sens de « professeur qui enseigne l’art oratoire », mais aussi peut-être dans le sens de « raisonneur fallacieux ou tricheur124 ». Dans la logique du discours, il est très probable que le terme contient également cette idée péjorative. On remarquera toutefois que Cléon n’attaque pas ici les sophistes mais le public qu’ils subjuguent. Il cherche avant tout à stigmatiser l’amour des Athéniens pour le spectacle ; là aussi, on peut voir une réponse à Périclès qui, lui, s’en réjouissait :
« Nous avons ménagé à l’esprit dans ses fatigues, d’innombrables occasions de délassement en instaurant des concours et des fêtes religieuses, qui se succèdent d’un bout à l’autre de l’année et en aménageant nos habitations avec goût, de sorte que notre vie quotidienne se déroule dans un décor plaisant qui chasse les humeurs sombres125. »
45Ces propos sont renversés par Cléon, pour qui les Athéniens confondent non seulement la vue et l’ouïe, mais aussi les affaires sérieuses et le plaisir, au point de considérer la politique comme un divertissement. C’est pourquoi il traite les Athéniens de « mauvais organisateurs de joutes » (κακῶς ἀγωνοθετοῦντες). Comme l’écrit très justement Victoria Wohl, « en faisant des citoyens des agônothetai, non seulement il leur accorde des privilèges dont seule l’élite jouissait habituellement, mais il les rend responsables de leur propre culture politique, en tant que mécènes, juges et spectateurs critiques126 » ; prises par des spectateurs venus admirer les prouesses des sophistes et non par des citoyens, les décisions ne peuvent pas être sérieuses127.
46Ainsi le Cléon thucydidéen oppose-t-il les termes theatai (« spectateurs ») et politai (« citoyens ») comme s’il s’agissait d’un couple antithétique. Or nous avons vu combien la notion de citoyen-spectateur était importante : non seulement les Athéniens ne laissent pas leur citoyenneté aux portes du théâtre de Dionysos, mais, qui plus est, lorsqu’ils siègent dans les tribunaux et à l’Assemblée, ils ont, pour ainsi dire, tout le théâtre dans la tête, un peu comme Périclès, dont Cratinos disait, mélangeant dans la même moquerie son anatomie crânienne, ses grands travaux, mais aussi, pensons-nous, un certain attachement aux spectacles, qu’il avait « l’Odéon sur le crâne128 ». Cléon n’a d’ailleurs pas tort de rapprocher le comportement des Athéniens sur la Pnyx de celui qu’ils ont au théâtre : dans les deux situations – ainsi que dans les tribunaux, nous l’avons vu –, ils forment un public enthousiaste et passionné, réagissant par des cris, des sifflets, ou encore des applaudissements. En effet, les Athéniens semblent voter en se fiant à leurs émotions du moment : les deux assemblées successives sur le sort à réserver aux Mytiléniens en témoignent129. Or, pour le Cléon thucydidéen, qui nie ainsi au peuple décideur toute capacité de raisonnement, les ekklèsiazontes devraient se méfier des émotions que suscitent en eux les beaux discours des orateurs130 et se fier plutôt aux sentiments qu’ils éprouvent eux-mêmes devant les faits, ou, comme on le dirait aujourd’hui, à leur propre instinct131.
47Lorsqu’il qualifie les Athéniens de « spectateurs », Cléon ne leur reproche donc pas d’être trop silencieux ni d’intervenir trop peu dans les débats – une telle conception du spectateur était inconnue aux Grecs de l’époque. Le démagogue regrette, au contraire, que les citoyens cherchent à participer aux débats sans être à la hauteur :
« (Vous êtes) désireux surtout chacun de pouvoir prendre lui-même la parole ou, sinon, vous mesurant avec les orateurs du même style pour paraître, non point des retardataires dont l’intelligence est à la traîne, mais des gens capables d’applaudir avant les autres un trait de subtilité, et aussi ardents à comprendre d’avance ce qu’on vous dit que lents à en voir à l’avance les conséquences132 ».
48Cette phrase est une brutale remise en question de l’ekklèsia, c’est-à-dire de la démocratie elle-même. Car Cléon ne se contente pas de critiquer l’isègoria, il fustige, plus largement, la délibération démocratique.
49Plutôt que de s’extasier devant les spectacles qu’offrent les débats de l’Assemblée, les Athéniens, selon Cléon, devraient tâcher d’être des « juges impartiaux » (κριταὶ ἀπὸ τοῦ ἴσου)133, se tenant loin des controverses et votant en silence les propositions des orateurs, qui, de leur côté, n’auraient aucune raison d’essayer de briller à la tribune134. Il considère d’ailleurs que « les cités sont en général mieux gouvernées par des gens ordinaires que par des esprits profonds135 ». Ainsi, l’orateur ne reproche pas au dèmos de ne pas prendre part aux débats ; au contraire, il souhaiterait qu’il se tînt plus en retrait encore. Lorsqu’il qualifie ses concitoyens de theatai, ce n’est pas pour déplorer une attitude passive de spectateurs au sens moderne du terme, mais pour dénigrer leur comportement passionné et bruyant, qui rappelle celui du public des concours dramatiques.
50Le mépris pour le dèmos qui transparaît dans ce discours est surprenant dans la bouche d’un démagogue cherchant à se faire aimer du peuple ; le ton comme les arguments évoquent très nettement ceux de Platon, nous le verrons, ou encore du Vieil Oligarque fustigeant « le peuple (qui) trouve bon de gagner de l’argent à chanter, à courir, à danser, à naviguer sur des vaisseaux de guerre, afin de s’enrichir personnellement136… » D’ailleurs, une archéologue aussi sérieuse que Mabel Lang n’a pas hésité à suggérer que Cléon et le Vieil Oligarque n’étaient qu’une seule et même personne137. L’hypothèse nous paraît fort peu convaincante, car elle s’appuie sur la comparaison du pamphlet oligarchique et du discours de Cléon, en oubliant que l’auteur de ce discours n’est pas Cléon lui-même, mais Thucydide. C’est donc chez l’historien qu’il faut d’abord chercher l’explication des propos antidémocratiques du démagogue. Car même si Thucydide fait profession d’objectivité138, il dit aussi clairement être partisan d’un régime modéré, du type de celui des Cinq-Mille139. Il est très probable qu’à l’image que l’historien a voulu donner de Cléon, à savoir celle d’un démagogue violent, se mêlent ses propres opinions politiques. Aussi est-il difficile d’appréhender quelle était la personnalité réelle de l’orateur140. Mais quelle que soit la réalité historique de ce portrait, le personnage de Cléon, tel qu’il apparaît dans le récit de Thucydide, n’en est pas moins passionnant : il semblerait que l’historien se soit amusé à composer le discours de Cléon à partir de topoi politiques habituellement développés à l’encontre des démagogues eux-mêmes – et, partant, du dèmos qui les écoutait. C’est ainsi que, par exemple, Thucydide fait dire à l’homme qu’il a, quelques pages plus tôt, rangé au nombre de ceux qui « cherchent le plaisir du peuple (ἐτράποντο καθ’ἡδονὰς τῷ δήμῳ)141 » : « [vous êtes] des gens dominés par le plaisir d’écouter (ἀκοῆς ἡδονῇ ἡσσώμενοι)142 ». Le reproche est d’ailleurs précédé de peu par une remarque tout aussi sentencieuse, destinée aux orateurs :
« Ne nous laissons pas griser par le plaisir d’argumenter habilement et par le jeu des intelligences qui s’affrontent, car nous risquerions ainsi de vous donner à vous, le peuple athénien, des conseils contraires à nos propres convictions143. »
51Ces propos sont tenus par celui que l’historien décrit comme « fort écouté de la foule (τῷ πλήθει πιθανώτατος)144 », à l’occasion, rappelons-le, d’un agôn houleux avec Diodote, sous forme d’antilogie. Il nous semble que ces deux exemples montrent bien qu’il y a, dans ce discours, une bonne dose d’ironie de la part de Thucydide.
52Ainsi s’explique que le Cléon thucydidéen accuse les participants à l’ekklèsia de se comporter en theatai plutôt qu’en politai, alors que les sources – à commencer par les Cavaliers – présentent le démagogue comme un hupokritès, un acteur de théâtre. Si Aristophane le décrit comme « rapace, braillard, avec une voix de torrent tourbillonnant145 », si Thucydide met en avant son caractère violent146, Aristote souligne qu’il a été le premier à rompre avec la tradition et à introduire la gestuelle dans les discours147 :
Περικλέους δὲ τελευτήσαντος, τῶν μὲν ἐπιφανῶν προειστήκει Νικίας ὁ ἐν Σικελίᾳ τελευτήσας, τοῦ δὲ δήμου Κλέων ὁ Κλεαινέτου, ὃς δοκεῖ μάλιστα διαφθεῖραι τὸν δῆμον ταῖς ὁρμαῖς, καὶ πρῶτος ἐπὶ τοῦ βήματος ἀνέκραγε καὶ ἐλοιδορήσατο, καὶ περιζωσάμενος ἐδημηγόρησε, τῶν ἄλλων ἐν κόσμῳ λεγόντων.
« Après la mort de Périclès, le chef des gens en vue fut Nicias, celui qui périt en Sicile ; celui du peuple fut Cléon, fils de Cléainétos, qui paraît avoir le plus corrompu le peuple par ses emportements et qui le premier cria à la tribune, y employa des injures et parla tout en se débraillant, alors que les autres orateurs gardaient une attitude correcte148. »
53Ainsi, Aristote non seulement condamne le comportement théâtral du démagogue, qui semble n’avoir rien à envier au Paphlagonien comique, mais le rend responsable de la « corruption du dèmos » qui, face à un tel spectacle, ne peut qu’adopter l’attitude du public des concours dramatiques.
54Certes, ni Aristote, ni avant lui Aristophane ou Thucydide ne qualifient directement Cléon de hupokritès. Cependant, l’accusation, nous semble-t-il, n’en est pas moins claire. En effet, tant Aristophane que Thucydide développent l’image d’un dèmos spectateur, sur laquelle Platon prendra appui, quelques années plus tard, pour établir une saisissante analogie entre la Pnyx et le théâtre149 : or, si les citoyens siègent à l’Assemblée comme des spectateurs au théâtre de Dionysos, c’est bien qu’à la tribune des orateurs, tels des acteurs, leur offrent un spectacle des plus passionnants. En outre, nos sources mettent en avant la gestuelle et la voix de Cléon, deux éléments constitutifs du jeu de l’acteur. Aristote, comme Aristophane dans les Cavaliers, souligne l’agitation du démagogue. Or, Richard Green montre bien, en s’appuyant sur l’iconographie, ce que même le lecteur moderne ressent immédiatement à la lecture de passages comme la parodos des Acharniens150, à savoir que, si la gestuelle des acteurs tragiques devait être empreinte de solennité, celle des comiques, en revanche, était beaucoup plus nerveuse, « rapide et même violente151 ». Quant à la voix tonitruante de Cléon, elle devait faire bien des envieux parmi les professionnels du spectacle : Sophocle n’avait-il pas dû renoncer à jouer ses pièces faute d’avoir une voix suffisamment sonore152 ? Edith Hall explique que, certes, le masque de l’acteur pouvait lui servir à amplifier sa voix, mais qu’il servait surtout à dissimuler son visage, déformé pour réussir à se faire entendre dans tout le théâtre153. Les acteurs qui avaient une belle voix, puissante, étaient renommés pour cela154. À l’inverse, un braillard pouvait attirer les sarcasmes : ainsi, Démosthène ne se lasse pas de railler Eschine, tritagoniste tragique reconverti en politique, qui serait très fier de sa voix et certain de subjuguer son public grâce à elle155, lui reprochant de brailler (κεκραγώς)156 à la tribune. Comme Eschine, Cléon est peut-être, selon ses détracteurs, braillard (κεκράκτης)157, mais, si l’on en croit Thucydide lui-même, ses prestations sont appréciées du public.
55D’ailleurs, l’unique fois où les ekklèsiazontes rient, dans le récit de Thucydide, c’est à cause de Cléon : en effet, dans l’épisode de Sphactérie, le démagogue apparaît comme un gelôtopoios, un « amuseur158 ». Alors que la situation s’enlise à Pylos159, malgré la proposition de Sparte d’un retour à la Paix de Trente ans et de son renforcement par une alliance, Cléon engage la reprise des combats160, qui s’avèrent sans issue et provoquent le découragement dans les rangs athéniens. Cléon, selon Thucydide, comprend son erreur, tandis que sa popularité dans l’opinion publique chute rapidement. Il se déchaîne alors contre les stratèges, et notamment contre Nicias, à qui il déclare qu’il pourrait faire mieux, à sa place ; Nicias le prend au mot et lui offre de lui céder sa charge. Il est alors contraint d’accepter :
« Cléon, s’imaginant d’abord que cette autorisation n’était qu’un mot, s’y montrait tout disposé ; puis, comprenant que l’autre voulait réellement lui passer le commandement, il reculait (ἀνεχώρει) : ce n’était pas lui qui était stratège, disait-il, mais Nicias ; car il avait peur, maintenant (δεδιὼς ἤδη), et il ne supposait pas que celui-ci oserait lui céder sa charge. Mais Nicias répétait son offre, se démettait de son commandement pour Pylos, et en prenait à témoin les Athéniens. Pour eux, comme le fait volontiers une foule, plus Cléon se dérobait et cherchait à reculer, plus ils se faisaient pressants, invitant Nicias à passer son commandement, criant à l’autre d’embarquer (οἱ δέ, οἷον ὄχλος φιλεῖ ποιεῖν, ὅσῳ μᾶλλον ὁ Κλέων ὑπέφευγε τὸν πλοῦν καὶ ἐξανεχώρει τὰ εἰρημένα, τόσῳ ἐπεκελεύοντο τῷ Νικίᾳ παραδιδόναι τὴν ἀρχὴν καὶ ἐκείνῳ ἐπεβόων πλεῖν). Si bien que, n’ayant plus la possibilité de se libérer de ce qu’il avait dit, il accepte de partir ! […] Les Athéniens furent pris de quelque hilarité devant ces propos étourdis (τοῖς δὲ Ἀθηναίοις ἐνέπεσε μέν τι καὶ γέλωτος τῇ κουφολογίᾳ αὐτοῦ)161… »
56Pour avoir parlé sans réfléchir et voulu briller, en un mot, pour avoir eu le comportement qu’il reprochait aux Athéniens, Cléon est pris au piège. Il est évident que les Athéniens rient non seulement du comique de la situation, mais aussi très probablement de la mine déconfite du démagogue, si sûr de lui d’ordinaire. Son jeu est décrit avec une grande précision par l’historien : il fanfaronne, puis recule, tremble de peur, et tente à nouveau de paraître assuré. C’est donc contre son gré que Cléon apparaît en gelôtopoios. La foule (ochlos) est d’ailleurs conquise par le spectacle, se prend au jeu et intervient en criant, visiblement très excitée : le dèmos se comporte ici comme un public, mais le comportement de l’orateur n’en est-il pas la cause ?
57Pourquoi les démagogues auraient-ils, après la mort de Périclès, commencé à mettre la politique en représentation ? Le dèmos aurait-il eu brutalement besoin de spectacle pour s’intéresser aux affaires de la cité ? Pour Aristophane, la réponse, comique bien sûr, est à chercher du côté du théâtre, et en particulier de la tragédie euripidéenne.
58En effet, si Euripide est brocardé à plusieurs reprises par la comédie comme « fils de marchande d’herbes (ὁ τῆς λαχανοπωλητρίας)162 », c’est notamment parce que, comme l’a très bien montré David Roselli, le métier qu’aurait exercé la mère du poète tragique évoque « le monde honteux des classes inférieures qui peuplent le marché163 », auquel sont associés les « nouveaux politiciens164 ». En outre, les mères des démagogues, celle d’Hyperbolos ou de Cléophon par exemple, sont, elles aussi, souvent visées par la Comédie ancienne : c’est le moyen de remettre en question la citoyenneté de tel ou tel, ou encore de suggérer qu’il avait des origines peu recommandables165. Ainsi, railler la mère d’Euripide en rappelant qu’elle vendait des herbes sur le marché « était une façon allégorique de parler de la popularité de ses drames auprès du dèmos. On dirait qu’Aristophane donne à voir à son public un poète qui est représenté (dans ses comédies) comme issu de et s’adressant à la majorité du public théâtral, la classe laborieuse166 ». David Roselli montre comment le personnage d’Euripide permet au poète comique de faire allusion aux préoccupations théâtrales du Ve siècle : « le résultat est un personnage qui est lui-même euripidéen et qui viole les idéaux conservateurs de la retenue et de la dignité tragique, pour apparaître comme le produit naturel (et légitime) des masses – une sorte de démagogue tragique167 ».
59Ce n’est pas le seul rapprochement qu’Aristophane opère entre Euripide et les démagogues de la fin du Ve siècle. Nous avons vu que, dans les Grenouilles, où les deux poètes tragiques s’affrontent comme des orateurs à la tribune, Euripide traite Eschyle de « charlatan » et de « trompeur168 », tandis que ce dernier lui reproche d’avoir « enseigné à cultiver le bavardage et le verbiage169 ». Et l’influence néfaste d’Euripide ne s’arrête pas là :
« De quels maux n’est-il pas la cause ? N’a-t-il pas mis en scène des procureuses, des femmes qui accouchent dans les temples, s’accouplent à leur frères, et disent que la vie n’est pas la vie ? De là vient que notre cité s’est remplie de sous-greffiers et de bouffons, singes amuseurs du peuple qu’ils ne cessent de duper (κᾆτ᾽ ἐκ τούτων ἡ πόλις ἡμῶν/ὑπογραμματέων ἀνεμεστώθη/καὶ βωμολόχων δημοπιθήκων/ἐξαπατώντων τὸν δῆμον ἀεί), et que personne n’est plus en état, faute d’exercice, de porter la torche aujourd’hui170. »
60Si bômolochos (« bouffon ») est une insulte typiquement aristophanienne, fréquemment utilisée par le poète à l’égard de tout personnage peu respectable à son goût171, hupogrammateus (« sous-greffier »), en revanche, est une attaque courante chez les orateurs. Ainsi Lysias brosse-t-il le portrait de Nicomachos : « d’esclave, il est devenu citoyen ; de gueux, riche ; de sous-greffier, législateur (ἀντὶ δὲ ὑπογραμματέως νομοθέτης)172 ». Et d’ajouter, à propos de ces « sous-greffiers » et à l’adresse des jurés :
« Vous estimez que des gens de cette sorte peuvent exercer sur les magistrats une influence funeste, mais vous êtes les premiers à vous en remettre à eux (τούτοις πιστεύετε)173. »
61Ainsi, dans le psogos comique contre Euripide, le topos rhétorique qui rabaisse les nouveaux riches de la politique, ces sous-fifres devenus des chefs, au rang d’hupogrammateis, rencontre le topos typiquement comique du bômolochos : Euripide est responsable de tous les maux de la cité174. Lui qui, dans la comédie, se vante d’être l’inventeur d’une tragédie « démocratique », où « la femme et l’esclave parlent tout autant, et le maître et la fille et la vieille le cas échéant », lui qui se targue d’avoir appris aux citoyens à « bavarder175 », apparaît, dans les propos d’Eschyle, son adversaire dans la fiction comique, comme celui qui a donné à la cité des « sous-greffiers » et des « singes amuseurs du peuple176 » : en un mot, des démagogues de la pire espèce. Ainsi le « monstrueux » Cléon177 serait-il le fils spirituel d’Euripide.
62Tandis que, sur la Pnyx, Cléon et Hyperbolos ont succédé à Périclès, au théâtre, Euripide a pris la place du défunt Eschyle. « Sorte de démagogue tragique », pour reprendre l’heureuse formule de David Roselli178, Euripide est très étroitement lié aux nouveaux politiciens, qu’il ait grandi comme eux entre les étals de l’agora, ou qu’il ait été leur mentor, comme le suggère le passage des Grenouilles évoqué précédemment. Si Cléon est le premier orateur à avoir transformé des débats de l’ekklèsia en spectacles, Euripide, avec sa tragédie « démocratique », a transformé l’assemblée théâtrale en assemblée délibérative. Pnyx et théâtre, poètes et démagogues, tendent ainsi à se confondre.
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63Si, dans les Cavaliers, Monsieur Lepeuple apparaît simple spectateur de l’affrontement qui oppose le Charcutier et le Paphlagonien, ce n’est que ruse de sa part, nous l’avons vu :
« Ils croient être bien malins/et m’emberlificoter/mais je les guette et j’observe/à tout coup, mine de rien/leurs filouteries (τηρῶ γὰρ ἑκάστοτ᾽ αὐ-/τοὺς οὐδὲ δοκῶν ὁρᾶν/κλέπτοντας), et puis/je les force à dégorger/tout ce qu’ils m’ont filouté :/moi je vote (κημὸν καταμηλῶν), et eux ils rotent179 ! »
64L’attitude du spectateur est ainsi pour Monsieur Lepeuple le moyen de contrôler les démagogues, pour ensuite voter, et même les juger – le terme κημός renvoyant à l’univers du tribunal – en toute liberté. Et il en va de même avec la posture de l’éromène : comme le montre très justement Velvet Yates, « la force du dèmos et la démocratie dépendaient de l’éternelle compétition entre des anterastai issus de l’aristocratie pour obtenir ses faveurs, et de ses éternels atermoiements pour accorder la victoire à un erastès […] ; la démocratie existe dans l’état de compétition perpétuelle entre anterastai ; gagner dans cette compétition, c’est détruire la démocratie180 ». C’est d’ailleurs sur la Pnyx – et nulle part ailleurs – que Monsieur Lepeuple veut tenir une assemblée pour décider qui de ses deux erastai lui est le plus dévoué, c’est-à-dire qui il aimera181.
65Dans un cas comme dans l’autre, Lepeuple est arbitre de l’agôn – dramatique ou amoureux. La posture du spectateur, c’est-à-dire de l’observateur, est celle du dèmos souverain ; et c’est bien ce qui dérange Cléon, dans le discours très anti-démocratique que lui prête Thucydide. Or, nous allons voir à présent que cette critique de la mise en représentation du politique n’est pas une invention de l’historien : elle est prégnante chez tous les adversaires du régime athénien.
Notes de bas de page
1 Thucydide, III, 38, 4-7.
2 Aristote, Constitution d’Athènes, 28, 3.
3 Voir notamment le flamboyant discours d’Alcibiade (Thucydide, VI, 16, 2-3) pour soutenir l’expédition de Sicile en 415 avant J.-C. ; le départ de cette expédition sera d’ailleurs spectaculaire : voir Thucydide, VI, 30-31, passage auquel fait écho, chez Xénophon, le récit du retour tout aussi spectaculaire d’Alcibiade à Athènes, en 407 avant J.-C. (Xénophon, Helléniques, I, 4, 12-23 ; Douris de Samos, FGrHist, 76F70 ; Plutarque, Alcibiade, 32-34). Voir également [Andocide], Contre Alcibiade, 20-23.
4 TLFi, s.v.
5 E.g. Aristophane, Cavaliers, 191 ; Lysias, Contre Épicrate, 10 ; Isocrate, Sur l’échange, 234 ; Hypéride, Contre Démosthène, 22. Voir W. R. Connor, The New Politicians, p. 109-110.
6 E.g. Xénophon, Helléniques, II, 3, 27 ; Isocrate, Sur la Paix, 129 ; Aristote, Politique, IV 1292a7.
7 M. Ostwald, From Popular Sovereignty to the Sovereignty of the Law, p. 201-202.
8 Thucydide, II, 65, 10-11.
9 Euripide, Suppliantes, 410-418.
10 J. de Romilly, Problèmes de la démocratie grecque, Paris, Hermann, 1975, p. 75.
11 Certains historiens parlent de « manipulation » du peuple athénien par les démagogues ; voir L. Gil, « La irresponsabilidad del demos », Emerita, 38, 1970, p. 351-367 (p. 368) ; L. García Iglesias, « Opinión pública y guerra : Atenas, 434-403 A. C. », in Fr. Rodriguez Adrados et al. (éd.), Actas del viii congreso español de estudios clásicos (Madrid, 23-28 de septiembre de 1991), vol. 3, Madrid, Ediciones Clásicas, 1994, p. 41-66.
12 Ainsi, Odile Wattel décrit, dans un manuel universitaire, les dernières années du Ve siècle comme le « règne des flatteurs », allant jusqu’à écrire que, « pour Thucydide, les excès de la démocratie en matière de liberté et l’égalité après la mort de Périclès furent à l’origine de ce courant anarchique » : O. Wattel, La politique dans l’Antiquité grecque, Paris, Armand Colin, 1999, p. 59 et 62 respectivement.
13 Plutarque, Nicias, 8, 6 (trad. A.-M. Ozanam, Paris, 2001). Voir également Diodore de Sicile, XII, 55, 8 : « Cléon, le démagogue, qui était, dans ses manières, cruel et violent, excitait le peuple… » ; Cicéron, Brutus, 28 : « À la même époque encore, Cléon, un citoyen qui causait du désordre, fut pourtant, de l’avis de tous, un homme éloquent » ; Quintilien, Institution Oratoire, XI, 3, 123 : « Se frapper la cuisse (femur ferire) est un geste dont on croit que Cléon a le premier donné l’exemple à Athènes ; il est usité, il sied à l’indignation, et sert à réveiller les auditeurs. » Pour une utilisation comique de l’hypokrisis rhétorique, voir les conseils ironiques de Lucien au jeune orateur : « Si parfois il te paraît à propos de chanter, fais-le et tourne tout en chantant : “Messieurs les Juges”, et crois que tu as fait une phrase musicale parfaite. Répète souvent : “Ah ! quel malheur” et frappe-toi la cuisse (μηρὸς πατασσέσθω), crie à plein gosier, crache à la fin de chaque phrase et marche en tortillant les fesses… » (Lucien, Le maître de rhétorique, 19 ; trad. E. Chambry, Lucien. Œuvres complètes, t. 3, Paris, Garnier, 1934).
14 Voir e.g. D. Kagan, « The Speeches in Thucydides and the Mytilene Debate », YClS, 24, 1975, p. 71-94.
15 G. Grote, A History of Greece from the Earliest Period to the Close of the Generation Contemporary with Alexander the Great, Londres, J. Murray, 1846-1856, vol. vi, p. 476-483 (défense de Cléon et hypothèse sociale pour expliquer sa condamnation par Thucydide) ; p. 622-655 (défense de la stratégie de Cléon) ; p. 656-674 (appréciation générale de la politique de Cléon et défense contre Aristophane). Voir les analyses de K. E. Whedbee, « Reclaiming Rhetorical Democracy : George Grote’s Defense of Cleon and the Athenian Demagogues », RSQ, 34, 2004, p. 71-95. L’ouvrage de Grote a fait récemment en Angleterre l’objet d’une réédition partielle, enrichie de quelques commentaires : G. Grote, A History of Greece from the Time of Solon to 403 B. C., M. Mitchell et M. O. B. Caspari (éd.), Londres et New York, Routledge, 2001 : voir p. 534-538, 574-585, 634-647 notamment.
16 N. D. Fustel de Coulanges, La cité antique. Étude sur le culte, le droit, les institutions de la Grèce et de Rome, Paris, Hachette, 1885 (Paris, Durand, 1864), p. 391-393.
17 G. Glotz, La cité grecque. Le développement des institutions, Paris, Albin Michel, 1988 (La Renaissance du Livre, 1928), p. 238.
18 M. I. Finley, « Démagogues athéniens ». Nous l’avons évoqué p. 42.
19 Sur ce point, voir également J. K. Davies, Wealth and the Power of Wealth in Classical Athens, New York, Arno Press, 1981, p. 68-72 notamment. À propos de Cléon en particulier, J. K. Davies, Athenian Propertied Families, no 8674 ; sur la fortune d’Hyperbolos, voir no 13910.
20 Voir A. Andrewes, « The Mytilene Debate. Thucydides III, 36-49 », Phoenix, 16, 1962, p. 64-85 (p. 83-84).
21 Cf. J. Ober, Mass and Elite, p. 91-93.
22 Cl. Mossé, compte-rendu de l’ouvrage de W. R. Connor, The New Politicians of Fifth-Century Athens, in JHS, 92, 1972, p. 226-227 (p. 227).
23 R. K. Sinclair, Democracy and Participation, p. 40-43.
24 Ibid., p. 41.
25 Chr. Mann, Die Demagogen und das Volk. Zur politischen Kommunikation im Athen des 5. Jahrhunderts v. Chr., Berlin, Akademie Verlag, 2007.
26 Ibid., p. 75-96, relisant Thucydide, II, 65, 3-13. Cf. V. Azoulay, Périclès, p. 55-56 notamment.
27 Chr. Mann, op. cit., p. 184-190.
28 Ibid., p. 199-229, s’appuyant essentiellement sur Thucydide, VI, 16-17, mais aussi sur Plutarque, Nicias, 10 ; Alcibiade, 12-14 et passim.
29 Ibid., p. 290-294.
30 A. Queyrel, compte-rendu de l’ouvrage de Chr. Mann, Die Demagogen und das Volk. Zur politischen Kommunikation im Athen des 5. Jahrhunderts v. Chr., in BMCR, 2008.05.35. Nous soulignons.
31 Voir P. Reinders, Demos Pyknites. Untersuchungen zur Darstellung des Demos in der Alten Komödie, Stuttgart, Metzler, 2001, p. 168-203.
32 Aristophane, Cavaliers, 42-43.
33 Aristophane, Cavaliers, 46-54.
34 Thucydide, II, 65, 10.
35 Aristophane, Cavaliers, 191-193.
36 Alors que οὐκέτι est séparable en poésie en général et chez Aristophane en particulier (onze occurrences), ce passage comporte l’unique cas de rejet d’ἔτι.
37 Aristophane, Cavaliers, 217-218 : Τὰ δ᾽ ἄλλα σοι πρόσεστι δημαγωγικά,/φωνὴ μιαρά, γέγονας κακῶς, ἀγοραῖος εἶ (trad. H. Van Daele, CUF).
38 Aristophane, Cavaliers, 1119-1120 : ὁ νοῦς δέ σου/παρὼν ἀποδημεῖ. Littéralement, « ton esprit, tout en étant là, est parti en voyage ».
39 Aristophane, Cavaliers, 127-149.
40 Aristophane, Cavaliers, 728-729.
41 Aristophane, Cavaliers, 873-874 et 884-887.
42 Aristophane, Cavaliers, 1164-1227. La gourmandise de Lepeuple a déjà été évoquée, vers 215-216 notamment.
43 Aristophane, Cavaliers, 1211-1227.
44 Aristophane, Cavaliers, 320, 349, 466, 473, 562, 611, 726, 732, 748, 769, 773, 779, 787, 791, 792, 821, 848, 861, 870, 946, 1052, 1069, 1270, 1277, 1335, 1341.
45 Aristophane, Cavaliers, 732, 1163, 1341.
46 Aristophane, Cavaliers, 732 (nous traduisons).
47 Aristophane, Cavaliers, 733-740 (trad. V.-H. Debidour, légèrement modifiée).
48 Voir P. W. Ludwig, Eros and Polis : Desire and Community in Greek Political Theory, Cambridge, Cambridge University Press, 2002, p. 173-175.
49 Voir également Aristophane, Acharniens, 404, 462, 467, 475.
50 Voir. e.g. Anthologie Palatine, XII, 186. Cf. E. Cantarella, Selon la nature, l’usage et la loi. La bisexualité dans le monde antique, Paris, La Découverte, 1991 (Rome, Riuniti, 1988), p. 62-79 ; K. J. Dover, Homosexualité grecque, Grenoble, La pensée sauvage, 1982 (Londres, Duckworth, 1978), p. 109-111.
51 Aristophane, Cavaliers, 736-740 ; Nuées, 1071-1074 ; Oiseaux, 128-134 ; cf. K. J. Dover, op. cit., p. 71. Dans le Banquet, Platon fera de son Socrate laid et décati l’éromène d’Alcibiade, le kalos kagathos paradigmatique. Le psogos comique est transformé là en épainos, à des fins philosophiques (Platon, Banquet, 218c7-222b4).
52 K. J. Dover, op. cit., p. 175.
53 Pour le Paphlagonien, voir Aristophane, Cavaliers, 75-79. Le Charcutier, quant à lui, raconte comment, dans sa jeunesse, un orateur s’était écrié, pour l’avoir vu chaparder et cacher « le corps du délit entre [ses] fesses » : « Il n’y a pas, ce garçon-là est fait pour prendre la haute main sur le peuple ! (τὸν δῆμον ἐπιτροπεύσει) » (Aristophane, Cavaliers, 423-426). Voir J. Henderson, The Maculate Muse, p. 209-210 ; J. J. Winkler, Désir et contrainte en Grèce Ancienne, Paris, EPEL, 2005 (New York et Londres, Routledge, 1990), p. 127-131.
54 M. Foucault, Histoire de la sexualité, II. L’usage des plaisirs, Paris, Gallimard, 1984, p. 255.
55 Aristophane, Cavaliers, 719-720 ; voir, également, v. 878. Cf. J. Henderson, The Maculate Muse, p. 66-70.
56 A. Scholtz, « Friends, Lovers, Flatterers : Demophilic Courtship in Aristophanes’Knights », TAPhA, 134, 2004, p. 263-293 (p. 264).
57 Voir W. R. Connor, The New Politicians, p. 101. Ainsi, Aristophane (e.g. Cavaliers 1340-1343) parodie le « discours amoureux tel que les orateurs l’employaient pour souligner par la métaphore leur attachement aux valeurs démocratiques » (Ch. Orfanos, Les sauvageons d’Athènes, p. 123). Contra : Andrew Scholtz (art. cit., p. 263-271), pour qui le topos de l’érastès tou dèmou n’est jamais utilisé par les orateurs pour mettre en avant leur sympathie pour la démocratie, mais pour affaiblir la rhétorique de l’adversaire en en dévoilant les ressorts par avance : « ils disent, Athéniens, qu’ils vous aiment, mais en réalité, ce n’est pas vous qu’ils aiment, mais eux-mêmes » (Démosthène, Prologues, 53, 3 ; nous traduisons).
58 A. Scholtz, art. cit., p. 274.
59 Aristophane, Cavaliers, 1384-1386.
60 Aristophane, Cavaliers, 1388-1395.
61 V. Wohl, Love among the Ruins. The Erotics of Democracy in Classical Athens, Princeton, Princeton University Press, 2002, p. 9, 214-269, s’appuyant notamment sur [ Platon], Hipparque, 228b-229d ; Euripide, Suppliantes, 452-454 ; Xénophon, Hiéron, 1, 26-27 ; Aristote, Constitution d’Athènes, 18, 1-2, etc. Voir également P. W. Ludwig, Eros and Polis, p. 171-191.
62 V. Wohl, op. cit., p. 110-115.
63 Voir N. W. Slater, Spectator Politics, p. 83.
64 Voir e.g. Aristophane, Cavaliers, 852, 909, 1164, 1199, 1214, 1218. Voir également v. 972, 1161, 1263.
65 Aristophane, Cavaliers, 997.
66 Aristophane, Cavaliers, 752-755 ; voir également vers 62 (μεμακκοακότα), 395-396 (πρόσωπον μακκοᾷ), 1119 (κέχηνας), 1263 (τῇ Κεχηναίων πόλει) ; Acharniens, 635 (χαυνοπολίτας) ; fr. 67 Kassel-Austin (Babyloniens) : « Pas un qui n’en fût bouche bée (ἀνέχασκον), tout juste comme les moules en train de cuire sur la braise. » La bouche ouverte est à la fois la caractéristique principale d’un type de masque comique (Dioscoride, Du matériel médical, III, 144, 1) et l’un des signes de l’attaque cérébrale relevés par Hippocrate, Des maladies, II, 21, 1-7.
67 Aristophane, Cavaliers, 395-396 : τὸ τοῦ δήμου πρόσωπον μακκοᾷ καθήμενον (nous traduisons). Selon R. A. Neil, The Knights of Aristophanes, Cambridge, Cambridge University Press, 1901, ad loc., le terme καθήμενον devait être accompagné d’un geste vers le public et ferait écho aux propos de Cléon : « semblables à un public installé là pour des sophistes (σοφιστῶν θεαταῖς ἐοικότες καθημένοις) plutôt qu’à des citoyens qui délibèrent de leur cité » (Thucydide, III, 38, 7).
68 Aristophane, Cavaliers, 137.
69 Nous reviendrons plus loin, p. 255-256, sur la gestuelle et la voix théâtrales du Paphlagonien-Cléon.
70 Aristophane, Cavaliers, 230-233 (nous traduisons).
71 Ce passage a soulevé une vive discussion : voir Ch. Orfanos, Les sauvageons d’Athènes, p. 230 n.o135.
72 Voir J. Boardman, « A Sam Wide Group Cup in Oxford », JHS, 90, 1970, p. 194-195. Cf. Ch. Orfanos, op. cit., p. 32-35.
73 Aristophane, Cavaliers, 230-233, cité plus haut, et 503-506.
74 Aristophane, Cavaliers, 1227-1228.
75 Plusieurs fois il laisse entendre sa préférence pour le Charcutier, mais l’affrontement se poursuit néanmoins (Aristophane, Cavaliers, 787, 873-874, 891-892, 942-948, 957-959, 1050, 1107-1109, 1205, 1209-1210, 1227-1228) jusqu’au jugement final (1259-1260), où les deux concurrents sont nommément désignés.
76 Aristophane, Cavaliers, 1158-1160.
77 Aristophane, Cavaliers, 1404-1405.
78 Aristophane, Cavaliers, 164-167.
79 Aristophane, Cavaliers, 1321.
80 Aristophane, Cavaliers, 1339 : « Qu’est-ce que je faisais donc, dis-moi, comment étais-je ? »
81 Voir par exemple, Homère, Odyssée : les malheurs des compagnons d’Ulysse chez les Lotophages (IX, 62-104), et la longue escale du fils de Laërte chez Calypso (V, 1-227 ; XXII, 426-453).
82 Voir Aristophane, Cavaliers, 1339, 1344, 1345-1346, 1349.
83 Aristophane, Cavaliers, 1355.
84 Aristophane, Cavaliers, 1346.
85 Voir Andocide, Sur la Paix, 1 ; Démosthène, Deuxième Olynthienne, 21 ; Sur la couronne, 40 ; Thucydide, I, 70, 1.
86 Aristophane, Cavaliers, 1356-1357.
87 Le Charcutier ménage son maître, afin de ne pas troubler sa merveilleuse transformation ; lorsque Monsieur Lepeuple lui demande s’il était « devenu tellement benêt et gâteux » (Aristophane, Cavaliers, 1354), il laisse pudiquement sans réponse cette terrible question qui résume pourtant tout l’état antérieur de son interlocuteur.
88 Voir Ch. Orfanos, « Des cavaliers comme “beaux gosses” », Métis, 11, 1996, p. 181-194 (p. 185). Contra, D. M. MacDowell, Aristophanes and Athens, p. 104, n. 43.
89 Aristophane, Cavaliers, 1324 (trad. V.-H. Debidour modifiée).
90 Aristophane, Cavaliers, 1329-1330.
91 Aristophane, Cavaliers, 1326-1327.
92 Aristophane, Cavaliers, 1331.
93 Aristophane, Cavaliers, 1115-1120.
94 Aristophane, Cavaliers, 1123-1130.
95 Aristophane, Cavaliers, 1111-1151.
96 Aristophane, Cavaliers, 997-1110 et 1151-1263. Cf. Ch. Orfanos, Les sauvageons d’Athènes, p. 42-48.
97 P. Thiercy, Aristophane. Théâtre complet, Paris, Gallimard, 1997, p. 1055, n. 148.
98 Aristophane, Cavaliers, 1143-1150 : « Ils croient être bien malins / et m’emberlificoter / mais je les guette et j’observe / à tout coup, mine de rien / leurs filouteries, et puis / je les force à dégorger / tout ce qu’ils m’ont filouté : / moi je vote, et eux ils rotent (κημὸν καταμηλῶν) ! »
99 Aristophane, Cavaliers, 1362-1408.
100 Nous y reviendrons p. 270-272.
101 Thucydide, III, 36, 4.
102 Thucydide, III, 36, 2-4.
103 Thucydide, III, 36, 2-19.
104 Thucydide, III, 37-40.
105 Aristophane, Cavaliers, 395-396. Nous le verrons, les similitudes entre les propos de Cléon et les Cavaliers sont nombreuses, au point que certains critiques ont avancé l’idée que Thucydide aurait été directement influencé par la comédie d’Aristophane (cf. e.g. A. M. Komornicka, « “Demokracja” I “demagogia” w swietle komedii Arystofanesa », Eos, 84, 1996, p. 309-317), ou inversement (cf. e.g. R. A. Neil, The Knights of Aristophanes, ad v. 395-396, cité plus haut). Cela ne semble pas impossible mais difficilement démontrable, car tant l’historien que le poète comique font appel à un certain nombre d’idées et d’images qui étaient dans l’air du temps.
106 Thucydide, III, 37, 1.
107 Thucydide, III, 36, 4.
108 Cette critique apparaît très nettement dans le vocabulaire employé tout au long du discours : d’une part, une série de termes se rapportant à l’autorité dont devraient faire preuve les Athéniens (τυραννίδα, ἀκροῶνται ὑμῶν, ἰσχύι, βέβαιον ἡμῖν μηδὲν καθεστήξει, πόλις κρείσσων), d’autre part, les termes évoquant la passivité effective du dèmos (ἀδύνατον, μεταμελείᾳ, λόγῳ πεισθέντες, ἁμάρτητε, οἴκτῳ ἐνδῶτε, μαλακίζεσθαι, χαρίζηστε βλαπτόμενοι, ἀκύροις).
109 Thucydide, III, 37, 2. Voir encore les propos de Périclès, Thucydide, II, 63, 2, ainsi que ceux des Corinthiens : I, 122, 3 ; 124, 3 ; ou encore ceux d’Euphèmos : VI, 85, 1. Cette critique n’est pas sans rappeler celle que formule le chœur des Cavaliers à l’encontre de Lepeuple : « Ô Dèmos, qu’il est beau ton empire (ἀρχήν) ! Tous te craignent à l’égal d’un tyran (ἄνδρα τύραννον). Mais tu es facile à mener par le nez ; tu aimes à être flatté et dupé… » (Aristophane, Cavaliers, 1111-1117 ; trad. H. Van Daele, CUF).
110 Thucydide, III, 37, 2.
111 Thucydide, II, 37, 2-3.
112 Thucydide, III, 38, 2.
113 Thucydide, III, 38, 4. On retrouve là la primauté de la vue sur l’ouïe, soulignée à plusieurs reprises par Thucydide et notamment à propos de sa propre démarche : cf. supra, p. 123-124.
114 J. McGlew, « “Everybody Wants to Make a Speech”: Cleon and Aristophanes on Politics and Fantasy », Arethusa, 29, 1996, p. 339-361 (p. 242-243). Notons que chez Aristophane, c’est Cléon qui prend un malin plaisir à brouiller les affaires de la cité et à semer le trouble. L’image est récurrente dans les Cavaliers, mais aussi dans la Paix : voir par exemple, Aristophane, Cavaliers, 66, 214, 251, 309, 431, 692, 840, 867, 902, 984 ; Paix, 269 sq., 320, 654. Voir J. Taillardat, Les Images d’Aristophane, §§ 701-707 ; L. Edmunds, Cleon, Knights and Aristophanes’Politics, p. 5-16.
115 Thucydide, III, 38, 4. Notons la traduction intéressante de S. Hornblower, A Commentary on Thucydides, vol. I, Oxford, Clarendon Press, 1997, p. 426, même si le chiasme y est moins evident : « when speeches are to be heard, you behave like spectators, but, where actions are concerned, you are content to be a mere audience ».
116 A. W. Gomme, A Historical Commentary on Thucydides, vol. II, p. 304-305. Arnold Gomme (p. 305) et Simon Hornblower (ibidem) ont raison de relever que la distinction établie entre les θεαταί et les ἀκροαταί est fausse, puisque, au théâtre, on est tout à la fois spectateur et auditeur.
117 Aristophane, Acharniens, 635 : χαυνοπολίτας, Cavaliers, 1263 : Κεχηναίων πόλις. « Béathéniens » est une trouvaille de P. Thiercy, Aristophane. Théâtre complet, ad loc.
118 Thucydide, III, 38, 5.
119 Aristophane, Cavaliers, 871-1228.
120 Thucydide, III, 38, 7.
121 J. Mcglew, « Everybody Wants to Make a Speech », p. 344-345.
122 Thucydide, III, 38, 7.
123 A. W. Gomme A Historical Commentary on Thucydides, vol. II, p. 306, note que Gorgias allait probablement arriver à Athènes plus tard, dans l’été 427, en tant qu’ambassadeur de Léontinoi et que son discours aurait abasourdi les Athéniens (Diodore de Sicile, XII, 53, 2-5). Thucydide ne mentionne que rapidement cette ambassade envoyée « pour persuader les Athéniens, en vertu de leur ancienne alliance et puisqu’ils étaient Ioniens, de leur envoyer des navires », et n’évoque pas la présence du sophiste (Thucydide, III, 86, 3).
124 S. Hornblower, A Commentary on Thucydides, vol. I, p. 427. Voir Aristophane, Nuées, 331-334.
125 Thucydide, II, 38, 1 (trad. D. Roussel). Sur le discours de Cléon comme l’antithèse de l’oraison funèbre de Périclès, voir J. McGlew, Citizens on Stage. Comedy and Political Culture in the Athenian Democracy, Ann Arbor, The University of Michigan Press, 2002, p. 89-92.
126 V. Wohl, Love Among the Ruins, p. 96.
127 Cf. E. Greenwood, Thucydides and the Shaping of History, Londres, Duckworth, 2006, p. 50-51.
128 Cratinos, fr. 18 Kassel-Austin : τᾠδεῖον ἐπὶ τοῦ κρανίου.
129 Thucydide, III, 36, 2-4 : « Sur les autres prisonniers, on délibéra, et la colère fit décider de mettre à mort non seulement les présents, mais la totalité des Mytiléniens adultes, et d’asservir femmes et enfants. […] Mais le lendemain, des regrets se manifestèrent, avec la réflexion que la décision prise était cruelle et grave, d’anéantir une cité entière au lieu des seuls responsables. »
130 Thucydide, III, 37, 2.
131 Thucydide, III, 40, 7. Voir H. Yunis, Taming Democracy, p. 92.
132 Thucydide, III, 38, 6. Voir Aristophane, Cavaliers, 350 : « tu croyais savoir parler ? Oh le benêt ! sombre idiot ! »
133 Thucydide, III, 37, 4.
134 Thucydide, III, 37, 5.
135 Thucydide, III, 37, 3. Voir W. R. Connor, The New Politicians, p. 95-96. Sur l’anti-intellectualisme du passage, cf. notamment J. E. G. Whitehorne, « Warning : Ancient Intellectual at Work », Prudentia, 34, 2002, p. 16-32.
136 [Xénophon], Constitution d’Athènes, 1, 13 (trad. Cl. Leduc).
137 M. L. Lang, « Cleon as the Anti-Pericles », CPh, 67, 1972, p. 159-169 (p. 165-169).
138 Voir Thucydide, I, 22, 2.
139 Thucydide, VIII, 97, 2.
140 Voir A. G. Woodhead, « Thucydides’ Portrait of Cleon », Mnemosyne, 13, 1960, p. 289-317 (p. 292-293).
141 Thucydide, II, 65, 10.
142 Thucydide, III, 38, 7.
143 Thucydide, III, 37, 5 (trad. D. Roussel).
144 Thucydide, IV, 21, 3.
145 Aristophane, Cavaliers, 137. Voir également Guêpes, 35-36 (et le riche commentaire qu’en fait J. Taillardat, Les images d’Aristophane, § 350), ainsi que 596.
146 Thucydide, III, 36, 4.
147 Voir W. R. Connor, The New Politicians, p. 132-133.
148 Aristote, Constitution d’Athènes, 28, 3.
149 Voir infra, p. 271-272.
150 Aristophane, Acharniens, 204-240 ou 280-284 par exemple.
151 R. Green, « Towards a Reconstruction of Performance Style », in P. Easterling et Ed. Hall (éd.), Greek and Roman Actors. Aspects of an Ancient Profession, Cambridge et New York, Cambridge University Press, 2002, p. 93-126 (p. 111, et, plus largement, p. 111-121 ; pour la tragédie, voir p. 105-111). Cf. également A. Hughes, Performing Greek Comedy, Cambridge et New York, Cambridge University Press, 2012, p. 146-157. Pour Aristote, Poétique, 1461b 26-1462a 14, un excès de gesticulation peut être vulgaire.
152 TrGF 4, Vie de Sophocle, 20-23.
153 E. Hall, « The Singing Actors of Antiquity », in P. Easterling et E. Hall (éd.), op. cit., p. 3-38 (p. 22).
154 Voir Aristote, Rhétorique, III, 1403b 31 ; 1404b 22 ; Alciphron, Lettres, III, 12, 1 ; cf. I. E. Stefanis, Διονυσιακοὶ τεχνῖται. Συμβολὲς στὴν προσωπογραφία τοῦ θεάτρου καὶ τῆς μουσικῆς τῶν ἀρχαίων ἑλλήνων, Presses, Universitaires de Crète, Héraklion, 1988, no 1552.
155 Démosthène, Sur l’ambassade, 337.
156 Démosthène, Sur la couronne, 199. Signalons qu’à d’autres moments, Démosthène reconnaît qu’Eschine a une belle voix, ce qui ne fait cependant pas de lui un honnête homme (e.g. Sur la couronne, 313 ; Sur l’ambassade, 337-340).
157 Aristophane, Cavaliers, 137. Voir également Guêpes, 596 : Κλέων ὁ κεκραξιδάμας. Aristote, Constitution d’Athènes, 28, 3 : ἀνέκραγε.
158 Sur les γελωτοποιοί, voir S. Milanezi, « À l’ombre des acteurs : les amuseurs à l’époque classique », in Chr. Hugoniot, Fr. Hurlet et S. Milanezi (éd.), Le statut de l’acteur, p. 183-209 (p. 193-195 en particulier).
159 En 425/424 avant J.-C., alors qu’ils sont en route vers la Sicile, les Athéniens font escale à Pylos, sur la côte ouest de la Messénie, et y laissent quatre navires. Ils fortifient alors la butte rocheuse qui commande l’entrée nord de la baie de Pylos, et forment ainsi une base pour encourager les hilotes messéniens à la révolte. Les Péloponnésiens se retirent alors en hâte de l’Attique qu’ils sont en train de ravager et engagent le combat à Pylos même. Mais le stratège Démosthène repousse les assauts des Lacédémoniens et bloque 420 de leurs hoplites dans l’île de Sphactérie (Thucydide, IV, 2-23).
160 Thucydide, IV, 17-22.
161 Thucydide, IV, 28, 2-5.
162 Aristophane, Thesmophories, 387. Voir également Thesmophories, 455-456 ; Acharniens, 473-479 ; Grenouilles, 840.
163 D. Roselli, « Vegetable-Hawking Mom and Fortunate Son : Euripides, Tragic Style, and Reception », Phoenix, 59, 2005, p. 1-49 (p. 22).
164 Ainsi le Charcutier des Cavaliers, pour ne citer que lui, révèle-t-il s’appeler « Agoracritos, car c’est à l’agora, dans les disputes, qu’[il] fut nourri » (Aristophane, Cavaliers, 1257-1258 ; trad. H. Van Daele, CUF).
165 D. Roselli, art. cit., p. 11-19. Voir N. Villacèque, « Ta mère ! Insulte et généalogie à la tribune démocratique », in V. Azoulay et A. Damet, Paroles menaçantes et mots interdits. Autour de l’insulte dans le monde grec archaïque et classique, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2013, à paraître.
166 D. Roselli, art. cit., p. 28.
167 Ibid., p. 38.
168 Aristophane, Grenouilles, 909.
169 Aristophane, Grenouilles, 1069. Cf. supra, p. 196.
170 Aristophane, Grenouilles, 1079-1088.
171 Aristophane, Cavaliers, 902, 1194, 1358 ; Nuées, 910, 969 ; Paix, 748 ; Thesmophories, 818 ; Grenouilles, 358, 1521. Voir l’analyse de Fr. Frontisi-Ducroux, « La bomolochia : autour de l’embuscade à l’autel », in L. Breglia Pulci Doria et al. (éd.), Recherches sur les cultes grecs et l’Occident II, [Cahiers du Centre Jean Bérard, 9], Naples, Centre Jean Bérard, 1984, p. 29-50 (p. 38).
172 Lysias, Contre Nicomachos, 27. Quant à Démosthène, c’est bien entendu d’abord à Eschine, son vieil ennemi, qu’il réserve, avec un mépris ostensible, le qualificatif de ὑπογραμματεύς (Démosthène, Sur l’ambassade, 70 et 200 ; voir également 237 et 249).
173 Lysias, Contre Nicomachos, 28.
174 Cf. Lysias, Contre Agoratos, 48.
175 Aristophane, Grenouilles, 949-954.
176 Voir également Aristophane, Acharniens, 957.
177 Aristophane, Guêpes, 1030-1042 ; Paix, 754-760.
178 D. Roselli, « Vegetable-Hawking Mom », p. 38.
179 Aristophane, Cavaliers, 1143-1150.
180 V. Yates, « Anterastai : Competition in Eros and Politics in Classical Athens », Arion, 38, 2005, p. 33-47 (p. 45 et 40 respectivement).
181 Aristophane, Cavaliers, 476-751.
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