Conclusion de la deuxième partie
p. 217-218
Texte intégral
1Poètes comiques et philosophes s’accordent pour voir dans les tribunaux athéniens autant de petits théâtres dans lesquels se jouent des drames fascinants, pour lesquels les jeunes gens délaissent les traditionnelles palestres. Or, le topos de la scène judiciaire n’est pas seulement présent dans les figures de style du répertoire comique ou de la rhétorique anti-démocratique : on le retrouve dans les tribunaux mêmes, où chacun des orateurs s’exprime de sa tribune, non seulement devant plusieurs centaines de jurés assis face à lui sur des bancs de bois, mais aussi devant les periestèkotes, les curieux venus assister à l’audience. Les orateurs étaient conscients de la théâtralité des procès et en jouaient. Nous avons vu que cette théâtralité était complexe et multiforme : si les procès sont autant de drames judiciaires, ils apparaissent aussi comme des concours dramatiques dans lesquels chaque partie présente sa pièce au public des jurés ; enfin, les récits faits par les plaideurs, leurs synègoroi ou leurs témoins, sont également de petites pièces, comiques ou tragiques, que les orateurs donnent à voir à ceux qui les écoutent.
2Mais lorsque l’un de ces acteurs ne peut jouer son rôle devant les citoyens, juges et spectateurs, le procès se transforme en scène de crime et la justice devient arbitraire. L’absence de théâtre dans l’arène judiciaire aboutit à des fictions de procès – c’est le cas du procès contre les généraux vainqueurs aux Arginuses et du procès de Théramène. Quant au dèmos, il se mue alors lui-même en foule en délire et perd sa souveraineté.
3En effet, le Philocléon des Guêpes d’Aristophane le rappelle : le dikastès est roi non seulement parce qu’il détient un important pouvoir, mais également parce qu’il a le bonheur d’assister, ad libitum, à des représentations dramatiques. Le dèmos siège au tribunal pour juger de la pièce qui lui aura paru la meilleure, il vote pour celle qui lui aura procuré le plus de plaisir. Bref, les citoyens athéniens siègent au tribunal comme sur la Pnyx, « dominés par le plaisir d’écouter, semblables à un public installé là pour des sophistes plutôt qu’à des citoyens qui délibèrent de leur cité1 », pour reprendre les propos de Cléon. La question de la théâtralité des tribunaux des dernières décennies du Ve siècle est ainsi étroitement liée, et à plus d’un titre, au topos du dèmos-spectateur : c’est sur la Pnyx que nous allons nous rendre à présent afin de comprendre comment et pourquoi il s’épanouit à l’époque de la guerre du Péloponnèse.
Notes de bas de page
1 Thucydide, III, 38, 7.
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