Chapitre V. Le théâtre du tribunal au théâtre de Dionysos
p. 187-200
Texte intégral
1De même qu’il a souvent tiré profit des ressemblances et de l’interaction effective entre le theatron et la Pnyx pour créer des situations comiques, Aristophane, dans les Guêpes et dans les Grenouilles, transforme l’orchestra en scène judiciaire. Le poète met ainsi en scène le topos du théâtre du tribunal et, ce faisant, joue avec celui du dèmos-spectateur, face à un public composé en bonne partie de citoyens, on l’a vu. Or ces citoyens-spectateurs avaient, pour la grande majorité d’entre eux, une expérience directe des tribunaux, qu’ils y aient siégé comme diskastai, qu’ils aient participé à un procès en tant que plaideurs, en tant que témoins, ou qu’ils y aient tout simplement assisté, en spectateurs (periestèkotes). C’est cette expérience commune qu’Aristophane convoque comme horizon d’attente de ces deux pièces. Et c’est de cet horizon que surgit l’écart comique – surprise génératrice du rire.
Un juge au spectacle (Aristophane, Guêpes, 548-602)
2Dans les Guêpes, représentées aux Lénéennes de 422 avant J.-C., Aristophane met explicitement en scène le monde judiciaire : le vieux Philocléon est malade, il ne songe qu’à siéger au tribunal. Pour le guérir, son fils Bdélycléon essaie de le retenir à la maison, mais le vieillard met tant d’ardeur à s’échapper, qu’il doit se résoudre, pour le calmer, à lui donner à juger… un chien1. Cette scène a fait l’objet de nombreuses et riches analyses2, aussi la laisserons-nous de côté ici, pour nous pencher plutôt sur l’agôn, où le dikastès se dispute avec son fils au sujet du pouvoir et des avantages dont disposent, ou non, les jurés athéniens. Philocléon tente de démontrer dans sa plaidoirie que « ce commandement [des jurés] ne le cède à aucune royauté3 », et que la vie du dikastès est une vie remplie de plaisirs et de divertissements. Le topos de la scène judiciaire est alors convoqué pour présenter le procès comme un spectacle, notamment tragique. En effet, à l’en croire, les suppliants se succèdent à la tribune du tribunal-théâtre, qu’ils « geignent sur leur pauvreté4 » ou « [traînent leurs] gosses à la barre, filles et garçons, en les prenant par la main5 » :
« Là-dessus, le père, en leur nom, m’implore comme un dieu, tout tremblant, de ne pas le condamner pour malversation : « Si tu aimes qu’on t’offre de l’agneau, prends pitié de mon bé… bé6 ! »
3Les personnages de ces drames judiciaires tentent de susciter la pitié de leur public, et pour cause : Philocléon le dit lui-même, le testament d’un père intéresse peu les dikastai, ils accordent la fille épiclère « à qui a su gagner [leur] suffrage par ses supplications7 ». La manière dont Philocléon voit l’institution judiciaire n’a cependant rien d’original ; comme on vient de le voir, les orateurs eux-mêmes étaient tout à fait conscients du phénomène. Lysias le rappelle aux jurés, en des termes pas très différents de ceux de Philocléon :
« Nous voyons, juges, que, lorsqu’un accusé fait monter ses enfants auprès de lui et se livre aux pleurs et aux gémissements (ἐάν τις παῖδας αὑτοῦ ἀναβιβασάμενος κλάῃ καὶ ὀλοφύρηται), vous prenez en pitié (ἐλεοῦντας) ces enfants en pensant qu’un jour, à cause de lui, ils seront déchus de leurs droits ; vous faites grâce aux fautes des pères (ἀφιέντας τὰς τῶν πατέρων ἁμαρτίας), en considération des enfants dont vous ne savez encore si, devenus hommes, ils seront de bons ou de mauvais citoyens8. »
4Mais Aristophane ne se contente pas, comme Lysias, d’évoquer le drama qu’est tout procès. Dans la comédie, la métaphore est prise au pied de la lettre :
« Et si Oiagros comparaît en accusé, avant de le relaxer, nous exigeons qu’il nous récite une tirade de la Niobè, en choisissant la plus belle9. »
5En faisant déclamer un passage tragique d’Eschyle à Oiagros, un acteur probablement célèbre10, Aristophane transforme le tribunal en théâtre. Dans l’univers comique créé par Aristophane, le procès ne ressemble plus à une représentation dramatique, il est une représentation dramatique, le tribunal n’est plus comparable au théâtre de Dionysos, il est un théâtre, et il n’est même plus besoin d’avoir des bambins éplorés à faire monter à la tribune, il suffit d’évoquer par la citation poétique la célèbre légende d’une femme pétrifiée d’avoir vu la terrible agonie de ses enfants.
6D’ailleurs, même après sa « guérison », Philocléon n’oublie pas son attachement au concours tragique. À la sortie du banquet qui couronne le rajeunissement du vieux dikastès vers la fin des Guêpes, un serviteur annonce que Philocléon « prétend démontrer, en se mesurant à eux à la danse, que les tragédiens d’aujourd’hui sont tous des vieux schnocks (τοὺς τραγῳδούς φησιν ἀποδείξειν κρόνους/τοὺς νῦν διορχησάμενος)11 ». Quelques vers plus loin, Philocléon sort effectivement de la maison et défie ses concurrents :
Φέρε νυν, ἀνείπω κἀνταγωνιστὰς καλῶ.
Εἴ τις τραγῳδός φησιν ὀρχεῖσθαι καλῶς,
ἐμοὶ διορχησόμενος ἐνθάδ᾽ εἰσίτω.
« Allez, je lance et je claironne maintenant un défi à mes rivaux ! Si quelqu’un se prétend bon tragédien, qu’il entre et vienne ici m’opposer ses talents12 ! »
7Mais, parce que nous sommes dans une comédie, tant cette scène, où le concours tragique est présenté comme une danse de pantins, que la tragédie judiciaire, objet de l’addiction de Philocléon avant sa guérison, ne sont que des bouffonneries. Les suppliants, hommes et enfants, frustrés d’avoir échoué à l’apitoyer par leurs plaintes ou à le dérider en lui racontant des histoires drôles tirées d’Ésope, ou encore en faisant le pitre, finissent par avoir un certain succès en bêlant comme des moutons, tête baissée13, et en émoustillant le protagoniste par la voix d’une fillette, qui lui rappellera celle des petites truies (choiridia), métaphore sexuelle incarnée, sorte de cunnus sur pattes14. Enfin, avatar grotesque du spectateur de théâtre, Philocléon n’a pas honte de s’avouer vulgaire voyeur lorsque, au moment où les garçons sont présentés devant sa cour pour le contrôle de légalité de leur accession au corps civique, il « assiste au spectacle de leurs parties » : aidoia theasthai15.
8Ainsi, les jurés des tribunaux ne semblent pas juger les drames qui leur sont présentés en fonction de leur sentiment de justice, mais en fonction du plaisir qu’ils tirent du spectacle de leur malheur. De même qu’il s’agit pour l’orateur de présenter une « meilleure pièce » (drama ameinon)16 que son adversaire, il s’agit pour les dikastai de donner raison à qui a su les toucher par ses supplications, par sa tragédie personnelle17.
9Mais Philocléon ne présente pas seulement les jurés en spectateurs de drames judiciaires, il souligne également le rôle crucial qu’ils y jouent. Les jurés apparaissent comme des personnages des comédies judiciaires auxquelles Philocléon fait allusion : amateurs de petites truies ou inspecteurs des corps éphébiques, ils n’ont rien à envier à un Dicéopolis par exemple. Le vieux dikastès est ainsi rattrapé par son statut de personnage comique.
10De même, dans le récit que fait Philocléon des délices de sa vie de dikastès, lui-même et les autres jurés de son tribunal deviennent le chœur métaphorique des « drames » joués devant eux :
Κἂν αὐλητής γε δίκην νικᾷ, ταύτης ἡμῖν ἐπίχειρα
ἐν φορβειᾷ τοῖσι δικασταῖς ἔξοδον ηὔλησ᾽ ἀπιοῦσιν.
« Un joueur d’aulos gagnera-t-il sa cause, pour récompense, il met sa mentonnière et joue une sortie aux dikastai quand ils se retirent18.»
11L’usage du terme technique exodos, qui désigne, dès le Ve siècle, la scène finale, voire le chant par lequel un chœur théâtral accompagne sa propre sortie à l’issue du drame19, souligne que, comme le feront les « guêpes » du chœur à la fin de la représentation, les dikastai sortent à la fin du procès, en chœur de théâtre chantant et dansant au rythme de l’aulos.
12Mis en abyme au sein de la fiction comique, les dikastai aristophaniens se vantent d’avoir été à la fois le « chœur » de chacun des « drames » judiciaires auxquels ils ont participé – le premier niveau de théâtralité judiciaire que nous avons distingué dans le chapitre précédent – et les juges de ces mêmes « drames » qui leur sont présentés dans le cadre de l’agôn judiciaire – au second niveau de théâtralité.
13Ainsi, comme le souligne très justement Douglas MacDowell, « Philocléon n’essaie pas de soutenir que le système des jurys populaires est bon ou juste, encore moins qu’il est bénéfique pour Athènes. Son seul souci est de montrer que les jurés eux-mêmes en tirent plaisir et pouvoir20 ». En effet, lorsque le chœur l’encourage à « jouter d’éloquence au nom de la […] royauté qui est la nôtre (basileias tès hèmeteras)21 », le vieux dikastès proclame, à l’attention de son fils Bdélycléon :
« Eh bien, d’emblée, j’entrerai dans la lice en te prouvant que le commandement qui est le nôtre (peri tès archès tès hèmeteras) ne le cède à aucune royauté (basileias)22. »
14Ainsi, troquant explicitement la basileia mise en avant par le chœur contre l’archè, tout en insistant lui aussi sur l’adjectif possessif (tès hèmeteras : « qui est le nôtre »), qu’il place également en début de vers, Philocléon entreprend de montrer que les dikastai sont bien plus que les rois de la cité d’Athènes, ils sont carrément les maîtres de la Grèce. En effet, Philocléon estime « commander à tout le monde23 » ; dès qu’il sort de son lit, se vantet-il, « des gens [le] guettent près de la balustrade, des hauts personnages, des grosses légumes », on lui glisse des pièces dans la main, « on [le] supplie, avec des courbettes, d’une voix lamentable24 ». Cette idée n’est pas une invention aristophanienne : le poète reprend ici un topos qui devait être assez répandu et qui est déjà présent chez le Vieil Oligarque :
« Dans les circonstances présentes, c’est le peuple que tout allié, individuellement, est obligé de flatter, car il sait que l’acquittement et la condamnation de celui qui vient à Athènes ne peuvent être nécessairement en d’autres mains que celles du peuple (en effet, c’est la loi à Athènes). Aussi, est-il obligé, dans les tribunaux, de se précipiter au-devant de tout juge qui entre et de lui prendre la main. Voilà donc pourquoi les alliés sont devenus les esclaves du peuple athénien25. »
15La critique antidémocratique était si virulente, les traits en étaient si exagérés, qu’Aristophane n’a eu guère besoin de grossir le topos pour l’adapter à l’univers comique. En effet, il se contente de transposer de la problématique de l’Empire à celle de la société athénienne, puisque ce qui agace son public n’est pas tant la soumission des alliés au petit peuple d’Athènes, comme dans le pamphlet, mais bien plutôt l’inversion du rapport « clientéliste » entre riches et petit peuple à Athènes même. Le malin plaisir que prend le juge – un vieillard pauvre – à se voir courtiser par une « huile », un homme qui n’a jamais travaillé, puisqu’il a « la main blanche et fine », « un homme qui ne saurait même pas que j’existe, sans son précédent acquittement26 », est le résultat de l’inversion du rapport hiérarchique entre riches et pauvres que provoque l’exercice normal de la justice dans l’Athènes démocratique, inversion hiérarchique que la comédie reprend ici à son compte non pas pour la vilipender, mais parce qu’elle est drôle en soi et flatteuse pour l’écrasante majorité des spectateurs. Ainsi, c’est le rôle normal du juré, ordinairement insignifiant par sa condition sociale, adventice par son mode de désignation et pourtant souverain et irresponsable en droit, qui est dénoncé par la critique du Vieil Oligarque – sa prétendue préoccupation pour l’équité en matière d’affaires étrangères n’est qu’un prétexte – et qui, au même moment historique, provoque un rire complice et bienveillant dans les Guêpes.
16Il en va de même avec le topos du dèmos-spectateur. Pour prouver le pouvoir (archè) qui est le sien, Philocléon évoque, certes, les diverses flatteries dont il est l’objet et la crainte qu’il suscite, y compris chez Cléon27, mais il met également en avant les spectacles dramatiques auxquels il assiste : en effet, lorsque son fils lui demande de détailler « les avantages que présente sa soi-disant souveraineté sur la Grèce (tès Hellados archein)28 », le vieux dikastès évoque l’examen des futurs éphèbes, la Niobè déclamée par Oiagros, ou encore l’exodos accompagnée par un aulos.
17Comme nous l’avons suggéré plus haut, Philocléon est assimilé, par son propre discours, à la figure du tyran, omnipotent et friand de spectacles29. Dèmos turannos, dèmos theatès : les deux topoi antidémocratiques, qui se rejoignent aussi dans d’autres sources, pour ainsi dire « sérieuses30 », sont ici pris dans les rouages du comique aristophanien. Car le rire des Guêpes est engendré à la fois par l’usage et par l’abus des lieux communs : rire attendu produit par la dérision31 du peuple souverain – la notion rousseauiste est déjà présente dans le topos antidémocratique du Ve siècle –, rire praeter expectationem suscité par l’exagération de cette dérision qui, comme nous avons essayé de le montrer, tend à mettre à nu, par l’hyperbole, la vacuité de l’idéologie antidémocratique.
18Et, en même temps, on peut lire Aristophane comme un précurseur de la critique platonicienne de la démocratie. Comme dans les Cavaliers, le dèmos apparaît, à travers le chœur des dikastai et le personnage de Philocléon, comme un vieillard lubrique, aimant le pouvoir et les flagorneries que le pouvoir lui attire, applaudissant comme un enfant lorsqu’on lui présente un joli spectacle. Pour David Konstan, qui suit sur ce point Geoffrey de Sainte-Croix, il est clair qu’Aristophane considère l’ensemble du système démocratique athénien comme « une forme de tyrannie populaire32 » : dans les Guêpes, « la conjonction de caractéristiques […] comme l’âge, la génération, la classe sociale, et les caprices personnels de Philocléon et d’autres personnages contribue à masquer le caractère populaire du système judiciaire et à valoriser les idéaux aristocratiques de retrait de la vie publique et d’attachement idéologique à la sphère privée33 ». Douglas Olson, au contraire, s’insurgeant contre cette lecture, tente de montrer que la pièce est « profondément démocratique ». Aristophane serait un démocrate de sensibilité cimonienne : favorable à la paix avec Sparte, au partage de l’hégémonie sur la Grèce et surtout adepte d’une attitude paternaliste envers le dèmos34. Or, tant David Konstan que Douglas Olson nous semblent ne pas tenir suffisamment compte du fait que le but premier d’Aristophane est de faire rire le peuple athénien. Comment imaginer le dèmos rire d’une pièce qui ne serait qu’un manifeste contre lui et dont l’unique objectif serait d’exalter les valeurs oligarchiques ? De même, postuler, comme le fait Douglas Olson, qu’Aristophane critique le régime athénien parce qu’il aurait une autre vision de la démocratie, parce qu’il appartiendrait à un certain courant du mouvement démocrate, c’est encore faire d’Aristophane un homme politique, voire un théoricien du politique.
19Comme nous l’avons montré au chapitre I, il est impossible d’attribuer au poète comique une étiquette politique, car, loin de vouloir imposer ses idées, il ne s’agit pour lui que de faire rire un public certes très hétéroclite, mais majoritairement composé de citoyens appartenant aux couches populaires, pour remporter la victoire au concours dramatique. On remarquera d’ailleurs qu’à la fin de la comédie, comme le Dèmos des Cavaliers, le vieux Philocléon, et avec lui tous les membres du chœur, est magiquement rajeuni et, partant, symboliquement régénéré35. Il n’en reste pas moins que ces topoi anti-démocratiques sont bien présents dans la plaidoirie de Philocléon, (à peine) grossis et défigurés par le miroir déformant de la comédie : on rit autant des faiblesses du régime démocratique et de ses tribunaux que de la critique qu’en faisaient ses adversaires.
20Ainsi, dans ce passage de l’agôn qui oppose Philocléon à son fils Bdélycléon, la métaphore de la scène judiciaire et ses résonances antidémocratiques sont prises au pied de la lettre. Cela devait faire d’autant plus rire les spectateurs d’Aristophane, dont beaucoup avaient déjà dû siéger dans des jurys, ou du moins assister à des procès, que la métaphore repose sur une réalité dont tous les Athéniens étaient conscients, celle de la théâtralité des tribunaux.
Des spectacles en jugement (Aristophane, Grenouilles, 895-1481)
21Dans les Grenouilles, comédie présentée aux Lénéennes en 405 avant J.-C., soit deux ans avant le coup d’État des Trente, Aristophane met en scène l’agôn le plus long qu’il ait jamais composé ; en effet, la scène conventionnelle de la joute verbale entre les deux principaux personnages occupe la seconde moitié de la comédie. Ce débat, qui a lieu aux Enfers, oppose Eschyle et Euripide avec Dionysos comme arbitre36. Ici encore, théâtre et monde judiciaire se mêlent inextricablement puisque, comme nous allons le voir, il s’agit dans cette pièce d’un agôn longuement et expressément annoncé37 et qui, tout en restant un agôn comique conforme aux codes du genre, est à la fois un procès et un concours dramatique.
22En effet, les deux poètes s’affrontent comme l’auraient fait deux adversaires devant un arbitre ou devant un jury populaire – en ce qui concerne la teneur des échanges, la procédure d’arbitrage ne devait pas être très différente de celle de n’importe quel procès38. Le vocabulaire montre assez clairement le caractère judiciaire de l’affrontement, notamment au vers 785, où l’esclave dit que Pluton est en train de « mettre en place un procès (agôn), une contestation (krisis), une réfutation (elenchos) ». Ce dernier terme est certainement un « mot-clé » de la pièce39 : on y trouve dix des dix-neuf occurrences de la famille que compte le corpus40. Certes, dans l’usage qui en est fait dans les Grenouilles, le terme semblerait confondre « réfutation » argumentative et « interrogatoire », ce moment particulier du processus de preuve judiciaire où chaque partie posait des questions directes à l’adversaire41. Mais ce degré de rigueur terminologique est étranger à la pensée juridique grecque de l’époque d’Aristophane ; totum pro parte typique, cette substitution d’un terme qui qualifie normalement l’ensemble du processus à celui qui désignerait sa partie la plus spectaculaire se retrouve aussi en sophistique42. L’elenchos, tel que le pratiquent les antagonistes des Grenouilles, est une réfutation par interrogatoire, comparable à celles que nous trouvons chez les orateurs, où les questions sont formulées de telle façon que les réponses prouvent par elles-mêmes le tort de celui qui les fait.
23Mais en quoi cette transposition du conflit entre Eschyle et Euripide sur l’arène judiciaire est-elle comique ? C’est que, à notre avis, le conflit fictif des Grenouilles, provoqué par l’usurpation par Euripide du trône du meilleur tragique aux Enfers43, n’admet pas plus que le conflit des Sept contre Thèbes de solution judiciaire ; c’est un conflit typiquement tragique, censé déclencher la mécanique sanglante du genre. Or, en même temps, l’enjeu réel qui correspond à ce conflit fictif (l’opposition entre tradition et innovation poétique dans le domaine de la tragédie) est l’objet perpétuel de l’arbitrage que le jury et le public sont appelés à faire tous les ans au théâtre de Dionysos. Aristophane nous paraît ainsi, à des fins comiques, substituer au conflit tragique et, partant, archaïque, de l’usurpation, tel que nous le trouvons, par exemple, dans les Sept contre Thèbes, une forme « urbaine », « civique », de contestation et d’arbitrage. Autrement dit, la paratragédie ultime des Grenouilles consiste à faire de l’usurpation, sujet tragique par excellence, un drame judiciaire banal.
24Euripide, qui prend la parole le premier, débute de façon assez convenue, annonçant quelle sera sa ligne d’accusation : il prétend montrer qu’Eschyle était « un esbroufeur (alazôn) et un charlatan (phenax) » et dévoiler « par quels trucs il empaumait les spectateurs, qu’il avait reçus tout benêts (môrous), nourris à l’école de Phrynichos44 ». Euripide procède ensuite à un interrogatoire serré de son adversaire45. Cependant, grâce à l’habileté d’Eschyle, ses questions se retournent bientôt contre lui : son adversaire peut alors lui reprocher d’avoir, entre autres, « appris aux gens à s’enticher de jacassements et de babillage, ce qui a vidé les palestres, usé les fesses des petits jouvenceaux babillards, et entraîné les matelots de nos bâtiments d’honneur à rouspéter contre leurs chefs46 ». Si elles sont bien sûr truffées de marqueurs comiques, les attaques auxquelles se livrent les deux adversaires n’ont rien à envier à la rhétorique judiciaire. Même si les spectateurs savent parfaitement qu’ils ne sont pas des periestèkotes au tribunal, mais les theatai d’une comédie qui porte, justement, sur leur statut de spectateurs47, le psogos comique rejoint clairement ici le psogos judiciaire.
25En outre, dans les Grenouilles, tant Eschyle qu’Euripide, en suivant une pratique courante des logographes, qui essaient de s’assurer la bienveillance de la majorité des jurés envers leur client en soulignant les sentiments démocratiques de celui-ci, s’efforcent de montrer que, contrairement à leur adversaire, ils apportent beaucoup de bienfaits à la cité. Ainsi, Euripide se targue d’avoir appris aux citoyens à « bavarder48 » en faisant une tragédie « démocratique49 », où « la femme et l’esclave parlent tout autant, et le maître et la fille et la vieille le cas échéant50 », tandis qu’Eschyle se glorifie d’avoir mis en scène des héros, non des lâches, susceptibles de donner le bon exemple51. C’est d’ailleurs ce qui fera pencher Dionysos en faveur d’Eschyle après un dernier interrogatoire, portant sur les conseils à donner à la Cité pour son salut : le dieu apprécie la sophia dont fait montre Euripide52, même s’il « n’est pas disposé à y sacrifier le sens du devoir envers la communauté qu’a Eschyle en tant que poète53 ».
26En effet, bien qu’il intervienne parfois dans le débat de façon intem54, Dionysos tâche de remplir sa fonction de juge avec le plus grand sérieux55. Il récite « une prière pour trancher ce débat (agôn) avec le goût le plus éclairé56 » et impose le calme aux deux parties lançant un « taistoi ! » à Eschyle57, et un « laisse tomber, mon vieux » à Euripide58. Loin d’être un « personnage mineur », un simple « bouffon, lançant au public des remarques et des anecdotes naïves, drôles, ou obscènes, en aparté », comme l’écrivait Francis Cornford59, Dionysos joue dans cet agôn un rôle central, celui d’un arbitre.
27Mais Dionysos apparaît autant comme un arbitre éclairé que comme un juge de concours dramatique. Car, dans les Grenouilles, les deux adversaires sont avant tout des poètes qui s’affrontent pour remporter le premier prix, c’est-à-dire le droit d’être ramené à la vie par Dionysos. Dans ce concours, les deux poètes ne présentent pas de tragédie, mais définissent plutôt ce qu’ils pensent en être l’essence. Ils ne débattent pas seulement des personnages qu’ils mettent en scène et des valeurs qu’ils portent, mais aussi de leurs prologues et parties chantées ; si bien que Douglas MacDowell a raison de noter que cet agôn « peut être considéré comme le plus ancien ouvrage de critique littéraire60 ».
28Dans ce concours, intelligence et originalité sont requises. Au début de l’affrontement, le chœur, en adoptant expressément une attitude de spectateur enthousiaste et néanmoins exigeant, déclare :
« Nous sommes, nous aussi, impatients d’entendre (ἐπιθυμοῦμεν […] ἀκοῦσαι)/ces deux doctes esprits nous déployer les gammes/d’une escrime verbale. /D’une farouche aigreur leur langue est animée : /l’un et l’autre ont un cœur résolu, à tous risques, et l’esprit vif à la riposte61 ! »
29Ailleurs, il encourage encore les deux adversaires à faire preuve d’audace, d’originalité, utilisant un vocabulaire qui oscille entre le champ de bataille, la palestre et le théâtre :
« Grande est l’affaire, grave le débat, acharnée la guerre (ἁδρὸς ὁ πόλεμος) qui s’annonce. Aussi sera-t-il dur de décider, quand l’un poussera avec vigueur (τείνῃ βιαίως) et que l’autre se montrera capable de faire demi-tour et de cogner dur (ἐπαναστρέφειν […] κἀπερείδεσθαι). Mais ne demeurez pas sur le même terrain ; car des voies (εἰσβολαί) sont ouvertes nombreuses et variées à votre savoir-faire (σοφισμάτων). Sur quoi donc que vous ayez à disputer, parlez, attaquez, dépouillez les œuvres anciennes et les nouvelles, et risquez-vous à dire quelque chose de subtil et de savant (λεπτόν τι καὶ σοφὸν λέγειν). […] Soyez donc sans crainte, abordez tous les sujets ; car, s’il ne s’agit que des spectateurs, eh bien ils sont aguerris (ἐστρατευμένοι)62. »
30L’affrontement des deux poètes devient d’abord polemos, puis lutte au sens sportif du terme. Or, pour inviter les antagonistes à faire preuve d’intelligence, afin que leur affrontement soit à la hauteur de celle des spectateurs, le chœur convoque ici une représentation dépréciative de la palestre, qui, à première vue, semble être en contradiction avec la représentation laudative qui sous-tendait le regret exprimé par Eschyle, trente vers plus tôt63. En effet, la palestre formatrice de citoyens robustes dont Eschyle déplorait alors l’abandon par les jeunes, devient maintenant espace de la mètis sinueuse et de l’artifice, retrouvant ainsi sa fonction d’analogon dépréciatif, fréquente dans les différentes figures concernant l’arène judiciaire ou politique64. Et pourtant, cette connotation normalement négative prend ici un caractère positif, du simple fait qu’elle porte sur un concours théâtral, sur une rivalité entre deux poètes tragiques. Ainsi, entre la nostalgie d’Eschyle et l’exhortation du chœur, la lutte à mains nues passe du statut de discipline sportive formatrice de jeunes gens à celui de symbole de fourberie, et, de ce dernier, au statut de symbole d’intelligence. En vertu de ce double glissement, le théâtre, contexte où la notion d’agôn a habituellement un sens métaphorique, est « envahi » dans ce passage par une imagerie agonistique qui relève, au sens propre, de la palestre. Comme si, au théâtre, il était de bonne guerre de s’affronter avec les armes retorses et déloyales de la sophistique.
31Qui plus est, le plaisir que prend le chœur – le public métathéâtral, à la fois spectateur et arbitre – à assister à un tel agôn est un plaisir contagieux, censé contaminer le public réel. Et si le dernier mot revient à l’unique juge de ce concours qu’est Dionysos, celui-ci prend bien soin d’invoquer le jugement souverain du public. En effet, à Euripide, vaincu, qui lui demande : « Tu soutiens mon regard, après cet acte immonde ? », Dionysos répond citant un vers de l’Éole du poète tragique ; or, d’après le Scholiaste65, pour cette parodie, Aristophane a substitué « ceux qui nous regardent » (tois theômenois) à « ceux qui en usent » (tois chrômenois) :
Τί δ᾽ αἰσχρόν, ἢν μὴ τοῖς θεωμένοις δοκῇ;
« Rien n’est immonde si ceux qui nous regardent ne le jugent pas tel66. »
32Le vers original serait donc : « Rien n’est immonde si ceux qui en usent ne le jugent pas tel. » Cette parodie nous intéresse particulièrement parce qu’elle est à la fois minime et qu’elle n’était pas nécessaire à la « critique » comique de l’original cité. Si Aristophane ressent le besoin de spécifier l’identité de ceux qui se sentent « concernés » par le jugement ou l’absence de jugement moral, c’est qu’il insiste, tout au long des Grenouilles, sur le caractère formateur qu’a le théâtre pour les spectateurs. Pour lui, quand un personnage tragique prône le relativisme éthique devant un autre personnage, les spectateurs sont immédiatement et individuellement concernés. Aussi Dionysos prend-il à témoin non seulement le chœur mais aussi les spectateurs massés sur les gradins du théâtre.
33Accoutumés à ce genre d’elenchos, qu’ils y aient seulement assisté ou directement participé dans un dikastèrion, les spectateurs se reconnaissent parfaitement dans le personnage de Dionysos. Ce n’est pas aller trop loin, nous semble-t-il, que d’affirmer, comme l’a fait Niall Slater, que le Dionysos des Grenouilles est un avatar scénique des spectateurs, et qu’il évolue au cours de la pièce en épousant le changement d’humeur que la pièce est censée provoquer chez eux : de paresseux et intellectuellement indifférent qu’il était, « il est devenu un rameur aguerri67 », pour finalement se révéler à lui-même, non sans surprise, être un juge compétent du théâtre tragique comme des affaires politiques démocratiques68. Dès les premiers vers, en effet, le dieu évoque son expérience de spectateur :
… ὡς ἐγὼ θεώμενος,
ὅταν τι τούτων τῶν σοφισμάτων ἴδω,
πλεῖν ἢ ᾽νιαυτῷ πρεσβύτερος ἀπέρχομαι.
« Dis-toi bien que, quand je suis au théâtre, et que je vois une de ces ingénieuses trouvailles-là, j’en sors vieilli d’un an ou davantage69. »
34Lors des Grandes Dionysies, la statue de Dionysos était transportée rituellement à l’intérieur du théâtre et placée au premier rang70 ; on ne sait si tel était le cas pour les Lénéennes. Cependant, le rapprochement entre le personnage du dieu dans la pièce et la figure du dieu devenu à cette occasion spectateur ordinaire devait être, à l’heure de la représentation, tout à fait clair71. Ce rapprochement est renforcé par un détail qui semble sans rapport, mais qui devait faire une très forte impression à l’époque : quand Dionysos paie à Charon le prix qu’Héraclès lui avait annoncé pour la traversée du lac qui mène aux Enfers, ce n’est pas une obole qu’il lui donne, comme le voulait la tradition funéraire athénienne à cette époque, mais deux72, autant que le prix payé par le spectateur athénien pour accéder au théâtre. Cette allusion n’est que la première d’une longue série de plaisanteries assimilant le théâtre à l’Hadès et le public à ses habitants. À la fin de la comédie, Dionysos n’est plus un spectateur passif, hésitant et pusillanime ; il est le juge équitable et compétent qui désigne celui de deux poètes qui sera le plus utile au salut de la Cité. Ainsi, une fois de plus, Aristophane rappelle qu’être spectateur, ce n’est pas rester sur son siège à regarder et à entendre passivement ce qui se passe sur scène ; être spectateur, c’est participer activement au spectacle. Si le Dionysos des Grenouilles se conforme à ce modèle de spectateur, c’est, nous semble-t-il, parce que les Athéniens se voulaient spectateurs actifs.
*
35Il ne s’agit plus seulement, comme dans les Guêpes, de mettre en scène le topos de la scène judiciaire ; dans les Grenouilles, les univers du théâtre et du tribunal se confondent dans un agôn infernal dont on ne sait plus s’il est judiciaire ou dramatique. Comme l’écrit très justement David Konstan, « alors que le concours produira un vainqueur, c’est le discours politique en tant que processus ou en tant qu’activité, la confrontation des vues devant un public perspicace au centre de la cité, plus que le seul pouvoir enchanteur d’Eschyle, qui est le but du voyage de Dionysos aux enfers73 ».
36Ainsi Aristophane met-il en scène la théâtralité de la scène judiciaire : non seulement le tribunal quitte l’agora pour le théâtre de Dionysos, mais en outre les orateurs de ces procès aristophaniens sont des poètes tragiques (Oiagros, Eschyle et Euripide) ou des personnages comiques (Philocléon et Bdélycléon). De plus, dans les Guêpes comme dans les Grenouilles, les juges de ces drames judiciaires apparaissent aussi bien comme des dikastai que comme des spectateurs. Car Aristophane ne joue pas seulement ici avec le topos de la scène judiciaire, il met également en scène celui du dèmos-spectateur, qui siège à l’Héliée comme au théâtre et ne juge qu’en fonction du plaisir que le spectacle lui a procuré. N’est-ce pas ce que reproche également Xénophon au peuple athénien, dans la tragique affaire des généraux revenus vainqueurs de la bataille des Arginuses ?
Notes de bas de page
1 Aristophane, Guêpes, 891-998.
2 Voir par exemple S. D. Olson, « Politics and Poetry in Aristophanes’Wasps », TAPhA, 126, 1996, p. 129-150 (p. 138-142).
3 Aristophane, Guêpes, 548-549 (trad. V.-H. Debidour modifiée).
4 Aristophane, Guêpes, 564.
5 Aristophane, Guêpes, 568-569.
6 Aristophane, Guêpes, 570-571.
7 Aristophane, Guêpes, 586. Une fille était épiclère quand elle avait perdu son père et qu’elle n’avait ni frère ni fils. Elle devait alors épouser le plus proche parent non marié de son père (à l’exception des frères de celui-ci), même si elle était déjà mariée – sauf si son père lui avait expressément assigné un époux, dans un testament. Ce dernier pouvait toujours être contesté au tribunal.
8 Lysias, Pour Polystratos, 34.
9 Aristophane, Guêpes, 579-580.
10 Voir Aristophane, Grenouilles, 912. Sur Oiagros, voir I. E. Stefanis, Διονυσιακοὶ τεχνῖται. Συμβολὲς στὴν προσωπογραφία τοῦ θεάτρου καὶ τῆς μουσικῆς τῶν ἀρχαίων ἑλλήνων, Héraklion, Presses universitaires de Crète, 1988, no 1928.
11 Aristophane, Guêpes, 1480-1481 (nous traduisons).
12 Aristophane, Guêpes, 1497-1499 (trad. V.-H. Debidour modifiée).
13 Aristophane, Guêpes, 566, 567, 570, respectivement.
14 Aristophane, Guêpes, 573-574. Sur les « petites truies », métonymie du sexe féminin et pars pro toto pour les jeunes filles, voir surtout Aristophane, Acharniens, 729-817. Cf. J. Henderson, The Maculate Muse. Obscene Language in Attic Comedy, Oxford, Oxford University Press, 1991 (New Haven, Yale University Press, 1975), p. 131-132 ; J. Taillardat, Les images d’Aristophane, § 108.
15 Aristophane, Guêpes, 578 (nous traduisons). Sur la dokimasie des éphèbes, voir Aristote, Constitution d’Athènes, 42, 1-2 ; P. J. Rhodes, A Commentary on the Aristotelian Athenaion Politeia, p. 496-502.
16 Lysias, fr. III, Défense d’Iphicrate, 5.
17 Sur la supplication, voir infra, p. 211.
18 Aristophane, Guêpes, 581-582 (trad. H. Van Daele, CUF, légèrement modifiée).
19 Outre l’exemple des Guêpes, voir Cratinos, fr. 308 Kassel-Austin.
20 D. M. MacDowell, Aristophanes Wasps, p. 206.
21 Aristophane, Guêpes, 546-547.
22 Aristophane, Guêpes, 548-549 (trad. V.-H. Debidour modifiée).
23 Aristophane, Guêpes, 518 : ἄρχω τῶν ἁπάντων. Bdélycléon lui rétorque qu’il est « esclave », « en croyant commander » (v. 518-519 :… ὑπηρετεῖς/οἰόμενος ἄρχειν…). Trad. H. Van Daele, CUF.
24 Aristophane, Guêpes, 552-558 (trad. H. Van Daele, CUF modifiée).
25 [Xénophon], Constitution d’Athènes, 1, 18 (trad. Cl. Leduc, La Constitution d’Athènes attribuée à Xénophon, Besançon et Paris, Annales littéraires de l’université de Besançon et Les Belles Lettres, 1976).
26 Aristophane, Guêpes, 553-554 ; 558.
27 Aristophane, Guêpes, 551-553 et 590-602.
28 Aristophane, Guêpes, 577 (trad. de V.-H. Debidour modifiée).
29 Voir Aristophane, Nuées, 338-339 et le commentaire de K. J. Dover, Aristophanes, Clouds, Oxford, Clarendon Press, 1968, ad loc. Cf. Aristophane, Oiseaux, 904-957 ; Paix, 697-699.
30 Voir Platon, République, VIII, 557c 4-9 et 558c 3-6 ; N. Villacèque, « De la bigarrure en politique », p. 137-152.
31 Cette dérision devient de l’autodérision dès lors que les destinataires du message comique, c’est-àdire le peuple réuni dans le koilon, adoptent l’idée comique et suivent d’un œil amusé et intéressé les péripéties que l’idée comique induit.
32 G. E. M. de Sainte-Croix, The Origins of the Peloponnesian War, p. 362.
33 D. Konstan, Greek Comedy and Ideology, Oxford, Oxford University Press, 1995, p. 27.
34 S. D. Olson, « Politics and Poetry in Aristophanes’Wasps », p. 145-147.
35 Aristophane, Guêpes, 1333. Voir A. M. Bowie, Aristophanes. Myth, Ritual and Comedy, Cambridge, Cambridge University Press, 1993, p. 93-96 ; J.-Cl. Carrière, « Politique, éducation et pulsions “naturelles” dans les Guêpes : de la comédie sociale “réaliste” à la subversion comique “carnavalesque” et au triomphe de Dionysos », Dioniso, 3, 2004, p. 66-89 (p. 67-68 et 85-86).
36 Sur les procédures d’arbitrage, D. M. MacDowell, The Law in Classical Athens, p. 203-211.
37 Dans les deux scènes qui préparent l’affrontement proprement poétique, le mot apparaît dans son acception technique d’agôn comique à cinq reprises en une centaine de vers, ce qui représente une concentration extraordinaire au vu de sa fréquence dans le corpus du poète (douze occurrences) : voir Aristophane, Grenouilles, 785 ; 794 ; 867 ; 873 ; 884.
38 C’est en tout cas l’image que nous donne Aristote, Constitution d’Athènes, 53,2, du rôle des arbitres. D’ailleurs, si, plus tard, dans le contexte créé par l’amnistie de 403, la procédure d’arbitrage tend à éviter, par l’entremise d’un concitoyen librement choisi par les parties, le déchirement d’un procès devant un jury de plusieurs centaines d’individus tirés au sort (N. Loraux, La cité divisée, p. 237-254), force est de constater que le conflit ici en question avait déjà dégénéré avant que les parties ne décident de s’en remettre à Dionysos : voir Aristophane, Grenouilles, 757-760, où l’on trouve un beau florilège du vocabulaire de la stasis : θόρυβος καὶ βοὴ/χὠ λοιδορησμός […] πρᾶγμα μέγα κεκίνηται […] στάσις πολλὴ πάνυ. En ce sens, le Dionysos des Grenouilles est plus proche du Philocléon des Guêpes que de l’arbitre du droit athénien : il est représentatif du jury collectif des Dionysies, auquel il préside symboliquement par sa présence au premier rang, au même titre que Philocléon représentait à lui tout seul les 6000 dikastai de l’Héliée.
39 Sur le sens de « elenchos » dans le contexte judiciaire, voir S. C. Todd, A Commentary on Lysias, Speeches 1-11, Oxford, Oxford University Press, 2007, ad iv, 10.
40 Aristophane, Grenouilles 741, 786, 857 (deux occurrences), 894, 908, 922, 960, 961, 1366 ; Cavaliers, 1232 ; Nuées, 1043, 1062 ; Lysistrata, 484 ; Assemblée des femmes, 485 ; Ploutos, 574 ; fr. 257 Kassel-Austin.
41 Voir par exemple Lysias, Contre Ératosthène, 24-26 et 31-34 ; Isée, La succession d’Hagnias, 4-5.
42 Le terme elenchos devient extrêmement important en sophistique : Aristote a écrit tout un traité intitulé Περὶ τῶν σοφιστικῶν ἐλέγχων, Sur les réfutations sophistiques. L’adoption de cette dialectique judiciaire par la sophistique est étudiée par L.-A. Dorion, « Dialectique et éristique dans les Réfutations sophistiques XII et XV », RPhA, 8, 1990, p. 41-74 et, Id., « La subversion de l’elenchos juridique dans l’Apologie de Socrate », RPhL, 88, 1990, p. 311-344. Le savant québécois pense que, dans le langage rhétorique, la distinction entre ἔλεγχος et ἐρώτησις était nette, et que Platon lie entre elles, pour inaugurer la pratique philosophique de la réfutation, deux procédures bien distinctes. Cette position nous semble trop formaliste, au vu des usages ordinaires de la famille d’elenchos, comme, par exemple, ἐλέγχω τινὰ ψευδόμενον « je confonds quelqu’un qui ment » ; voir S. C. Todd, op. cit., ad 5, 4. Nous pensons, pour notre part, que, si les deux termes ont coexisté dans le vocabulaire technique, leur confusion est antérieure à Platon et que la spéculation philosophique ne fait qu’en tirer profit. Or, nous ne sommes même pas sûre qu’il faille parler de confusion. En effet, si la famille d’ἔλεγχος apparaît souvent dans la rhétorique classique, nous n’avons pas trouvé d’occurrence contemporaine du terme ἐρώτησις dans un sens plus technique que celui de « question ». À notre connaissance, le sens de « série de questions » ou « interrogatoire » apparaît pour la première fois chez Aristote, Premières analytiques, 24a 25, sans qu’il soit en rapport avec le contexte de l’interrogatoire judiciaire.
43 Aristophane, Grenouilles, 761-786 ; 830 : οὐκ ἂν μεθείμην τοῦ θρόνου, « je ne lâcherai pas le trône », s’obstine Euripide.
44 Aristophane, Grenouilles, 908-910.
45 Aristophane, Grenouilles, 1049-1066.
46 Aristophane, Grenouilles, 1069-1072 (trad. V.-H. Debidour légèrement modifiée). Voir Nuées, 930-931, 1002-1004, 1052-1054. Cf. K. J. Dover, Aristophanes’ Frogs, Oxford, Clarendon Press, 1993, p. 22-23. Dans les vers qui suivent (Grenouilles, 1079-1088), Euripide apparaît comme celui qui a enfanté des « singes amuseurs du peuple » ; nous laisserons pour le moment de côté ce riche passage qui sera commenté p. 258-259.
47 Aristophane, Grenouilles, 909, 919, 1109-1118.
48 Aristophane, Grenouilles, 954.
49 Aristophane, Grenouilles, 952.
50 Aristophane, Grenouilles, 949-950.
51 Aristophane, Grenouilles, 1013-1062.
52 Voir Aristophane, Grenouilles, 1483 et 1490.
53 Ch. Segal, « The Character and Cults of Dionysus and the Unity of the Frogs », HSPh, 65, 1961, p. 207-242 (p. 214).
54 Voir, par exemple, Aristophane, Grenouilles, 947 ou 1012.
55 T. Long, « Persuasion and the Aristophanic Agon », TAPhA, 103, 1972, p. 285-299 : « Dionysos, qui va être le juge, est très semblable à Dèmos [dans les Cavaliers] dans son parti pris […] pour une des parties dans le débat. Comme Dèmos également, il joue le rôle de bômolochos. Ses interjections sont aussi stupides que sérieuses, le sérieux prenant progressivement le dessus à la fin de la confrontation » (p. 290).
56 Aristophane, Grenouilles, 872-873.
57 Aristophane, Grenouilles, 926.
58 Aristophane, Grenouilles, 952-953.
59 F. Cornford, The Origins of Attic Comedy, p. 28-29 ; voir également p. 78 et p. 178-179.
60 D. M. macDowell, Aristophanes and Athens, p. 289.
61 Aristophane, Grenouilles, 895-899.
62 Aristophane, Grenouilles, 1099-1108 et 1117-1118 (trad. H. Van Daele, CUF).
63 Aristophane, Grenouilles, 1069 ; cité supra, p. 196.
64 Cf. Aristophane, Grenouilles, 791-794, 877-878 ; Guêpes, 526-527 ; sur la métaphore dépréciative de la palestre, voir J. Taillardat, Les images d’Aristophane, § 612 ; 579 ; M. Poliakoff, Studies in the Terminology of the Greek Combat Sports, Königstein, Hain, 1982, p. 75-76 et passim ; Ch. Orfanos, Les Sauvageons d’Athènes, p. 39-42 et 113-118.
65 Scholie à Aristophane, Grenouilles, 1475. Cf. TrGF 5,1, 19 (Éole).
66 Aristophane, Grenouilles, 1475 (nous traduisons).
67 Aristophane, Grenouilles, 197-270.
68 N. W. Slater, Spectator Politics. Metatheatre and Performance in Aristophanes, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 2002, p. 183-187.
69 Aristophane, Grenouilles, 16-18. Notons ici que la remarque est ironique : Dionysos évoque les mauvaises plaisanteries que l’on a coutume de trouver dans les comédies.
70 Une procession solennelle pour l’y installer est attestée par des inscriptions éphébiques (e.g., IG II², 1008) qui, d’après A. W. Pickard-Cambridge, The Dramatic Festivals of Athens, p. 60, « datent toutes de la période entre 127 et 106 avant notre ère […] ; cependant, la représentation rituelle de l’avènement du dieu ne semble pas être une invention tardive et remonte probablement aux origines de la fête ». Quoi qu’il en soit des conditions exactes de son installation dans le théâtre, la statue de Dionysos est indispensable aux représentations : voir Aristophane, Cavaliers, 536 ; Grenouilles, 809, notamment.
71 N. W. Slater, op. cit., p. 184 ; cf. M. Habash, « Dionysos’ Roles in Aristophanes’ Frogs », Mnemosyne, 55, 2002, p. 1-17, notamment p. 15.
72 Aristophane, Grenouilles, 140 et 270. Voir A. H. Sommerstein, Aristophanes’ Frogs, Warminster, Aris & Phillips, 1996, ad 140-141b ; N. W. Slater, op. cit., p. 185.
73 D. Konstan, Greek Comedy and Ideology, p. 74.
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