Chapitre IV. Les scènes judiciaires
p. 167-185
Texte intégral
« Y a-t-il plus ample, plus délicieuse béatitude que celle d’un juge (δικαστοῦ), par le temps qui court ? Est-il au monde un être qui soit plus coq en pâte et plus redouté, tout vieux qu’il est ? […] Parbleu ! quelles cajoleries n’est-on pas appelé à entendre quand on juge ! Les uns geignent sur leur pauvreté (ils en rajoutent) ; d’autres nous racontent des anecdotes ou une petite drôlerie d’Ésope ; les autres lancent des blagues pour me faire rire et désarmer ma mauvaise humeur. Et si nous restons sourds à tout ça, le type s’empresse de traîner ses gosses à la barre, filles et garçons, en les prenant par la main. Et moi, j’écoute ; eux, en chœur, de baisser la tête en bêlant. […] Et si Oiagros comparaît en accusé, avant de le relaxer, nous exigeons qu’il nous récite une tirade de la Niobè, en choisissant la plus belle1. »
1C’est ainsi que le vieux Philocléon fait l’éloge des tribunaux dans la comédie d’Aristophane intitulée Les Guêpe2. La rupture politique de 429 avant J.-C. que soulignent, chacun de son propre point de vue théorique, d’abord Thucydide, puis Aristote3, imputée à l’arrivée de nouveaux politiciens accusés de faire de la politique-spectacle, aurait-elle eu des répercussions dans les tribunaux ? Aristophane et l’auteur du plaidoyer Contre Alcibiade déplorent que, par goût de la chicane, les jeunes gens aient déserté les palestres, hauts lieux de l’éducation traditionnelle, où ils sont censés se préparer physiquement à la vie citoyenne, et préfèrent « passer leur temps » (diatribein) à traîner dans les tribunaux (en tois dikastèriois), à chipoter sur des broutilles4. Et si un acteur tragique déclamant du Sophocle devant un jury de vieillards en devient forcément comique, Platon, de son côté, déplore sérieusement « les drames larmoyants » qui se jouent dans les tribunaux et « rendent la Cité ridicule »5. Simple coïncidence ? Cela paraît bien peu probable. Nous allons voir que le topos, qui fait de la tribune judiciaire une scène tragique, repose sur une réalité, ou du moins une certaine perception de la réalité, partagée par le public d’Aristophane et le public auquel s’adressait Platon.
État de la question
2Les critiques ont souvent relevé le parallèle entre les tribunaux et le théâtre de Dionysos. Une des variantes les plus intéressantes de cette approche s’appuie sur le concept de social drama, introduit par l’anthropologue Victor Turner pour rendre compte de la façon dont une fiction dramatique influente peut être à l’origine de réalités sociales ou de représentations sociales du monde réel6. David Cohen, par exemple, analyse le procès comme « une performance dans laquelle les enjeux sociaux et politiques éclipsent souvent les questions légales7 ». Paul Cartledge adopte aussi l’analyse de l’anthropologue écossais, en soulignant que le tribunal athénien « n’était pas seulement un espace judiciaire et théâtral, mais aussi et surtout une arène politique8 ». À l’origine de cette série d’études inspirées de Turner, on lira toujours avec intérêt le remarquable article de Josiah Ober et Barry Strauss dans Nothing to do with Dionysos9 ? Pour Edith Hall également, l’analogie entre le théâtre et le tribunal n’est pas seulement une figure de style : les parties, tels des acteurs, jouaient chacune son rôle sur la « scène judiciaire » ; des discours prononcés jusqu’au costume revêtu, le procès est véritablement mis en scène10. Dans le même esprit, mais dans une perspective plus « classique » de recherche d’interactions littéraires, Philip Harding s’est intéressé à l’influence de la comédie sur les orateurs11, tandis que PeterWilson a relu ce corpus à la recherche de la tragédie et du tragique12. Un quart de siècle plus tôt, Shalom Perlman avait déjà consacré une étude aux citations poétiques chez les orateurs13.
3En outre, on s’est intéressé à la question connexe de la gestuelle de l’orateur14, à laquelle un spécialiste chypriote de Ménandre, Andreas Katsouris, a consacré une étude systématique tentant d’accorder le témoignage de Quintilien (Ier siècle de notre ère) avec les indices du corpus des orateurs grecs15. En effet, depuis l’Institution oratoire, on sait que l’orateur et l’acteur ont beaucoup en commun16.
4Intéressé quant à lui par le « public » de la performance oratoire, Victor Bers s’est occupé du thorubos ou tumulte des jurés pendant les procès ; en effet, loin de rester silencieux, les dikastai réagissaient bruyamment aux discours prononcés devant eux, ils applaudissaient, sifflaient, criaient17. Mais les jurés ne sont pas les seuls à réagir, pendant les procès : comme le montre Adriaan Lanni, dans un article sur les periestèkotes, de nombreux spectateurs assistaient aux procès et « jouaient un rôle crucial dans la dynamique sociale des tribunaux et avaient un effet important à la fois sur les arguments des parties et sur les décisions des jurés18 ».
5Mais, paradoxalement, si l’on s’est intéressé à la théâtralité des tribunaux athéniens, on s’est en général contenté d’en relever les indices, sans les interroger, sans trop s’aventurer au-delà de l’évidence. Sally Humphreys a ainsi publié en 1985 une étude intitulée « Social Relations on Stage », dans laquelle elle montre que les témoins permettaient aux parties de se situer socialement face aux jurés19 ; cependant, malgré son titre évocateur, l’article n’aborde qu’occasionnellement la question de la théâtralité du tribunal. La piste ouverte est pourtant passionnante.
6Cette relative atonie de l’exégèse face à un phénomène pourtant si prégnant dans nos sources s’explique probablement par le fait que le topos du tribunal comme théâtre est également présent dans le vocabulaire judiciaire contemporain : il oppose l’évidence à l’analyse20. C’est d’ailleurs aussi la raison pour laquelle les traducteurs – français en particulier – des orateurs attiques ne cessent d’introduire de la théâtralité dans des discours qui n’y font pas nécessairement référence. Ainsi, Louis Gernet et Marcel Bizos, pour ne citer qu’eux, rendent presque systématiquement le terme hoi paragenomenoi, fréquent chez Lysias, par « ceux qui ont assisté à la scène », ou « les spectateurs de la scène21 ». La théâtralité judiciaire est ainsi diluée dans nos habitudes langagières.
7Ainsi, lorsque Mogens Hansen écrit qu’« une affaire judiciaire était à Athènes une sorte de pièce à trois personnages jouée par des amateurs : le citoyen qui introduisait une instance, le magistrat qui instruisait l’affaire et présidait l’audience du tribunal, enfin le jury qui entendait l’affaire et rendait son jugement22 », on ne sait pas vraiment s’il s’agit d’une figure de style ou s’il entend rendre compte d’une réalité athénienne. Toujours est-il qu’il résume en quelques mots la question qui nous occupe ici.
Conscience de la théâtralité chez les orateurs
8Si, de nos jours, des expressions comme « théâtre judiciaire », « acteurs du procès » ou « scène du crime » se sont banalisées au point de ne plus être ressenties comme des métaphores, les orateurs athéniens étaient, nous semble-t-il, tout à fait conscients de la théâtralité des tribunaux ou, du moins, de celle de leurs plaidoiries, comme le montre une étonnante déclaration de Lysias arguant de la supériorité de sa « pièce » sur celle de son adversaire, pourtant jouée par un meilleur « acteur23 ». Comme nous le verrons dans la troisième partie, la mise en représentation du politique et du judiciaire a été parfois pointée du doigt comme marque de dégénérescence civique24. Comment les orateurs attiques s’en arrangeaient-ils ?
9À juger de cette réflexion auto-référentielle de Lysias, qui sonne presque comme une parabase de comédie, le logographe semble assumer parfaitement la théâtralité du tribunal et en jouer : il se pose ostensiblement en didaskalos qui évalue, au moment du concours, les mérites des pièces et des acteurs en lice et, partant, ses chances de gagner. Lysias est bien conscient qu’au tribunal, il s’agit pour l’orateur de « se composer un personnage pour un peu de temps25 » ; c’est d’ailleurs la raison pour laquelle les jurés, pour ne pas s’y laisser prendre, doivent prêter attention à la conduite que les uns et les autres ont tenue tout au long de leur vie, car le temps est la meilleure preuve de vérité26. En effet, si l’on peut dissimuler ses défauts derrière le « masque » métaphorique de son personnage durant les quelques heures que dure un procès, « en soixante-dix ans d’existence, un méchant homme ne peut dissimuler sa nature27 ». En outre, nous verrons dans les pages qui suivent, que Lysias insère, dans ses plaidoyers, des récits qu’il entend donner à voir comme des tragédies en miniature.
10Avant Lysias, et contrairement à lui, Antiphon apparaît comme un orateur très peu « dramatique » ; cela s’explique sans doute par le fait que la plupart de ses discours qui nous sont parvenus sont des exercices rhétoriques, destinés à être lus comme tels, et non à être « joués » au tribunal. Cependant, Antiphon n’est pas complètement insensible aux attraits du théâtre : nous verrons en effet que son Discours d’accusation contre une belle-mère, prononcé devant l’Aréopage, est un pastiche des Euménides d’Eschyle. Ainsi, l’orateur, comme beaucoup d’adversaires de la démocratie qui n’aiment pas le théâtre et n’ont de cesse de s’en prendre à cette institution symbolisant, à leurs yeux, tous les travers du régime athénien28, n’est pas imperméable à la théâtralité des tribunaux.
11Andocide, enfin, paraît mettre à profit cette théâtralité qu’il stigmatise, lui aussi, chez ses adversaires. Nous avons vu la fidélité ostensible avec laquelle le discours Sur les Mystères restitue le récit de Dioclidès, en insistant sur son caractère dramatique29. En effet, pour mieux disqualifier le témoignage de son accusateur, l’orateur pointe du doigt la grossière mise en scène qui avait séduit les jurés – un temps du moins, car, rappelons-le, Dioclidès a été par la suite condamné à mort pour faux témoignage.
12Un peu plus tôt dans le discours, l’orateur avait dénoncé plus explicitement encore le ton dramatique employé par ses accusateurs :
Καὶ γὰρ οἱ λόγοι τῶν κατηγόρων ταῦτα τὰ δεινὰ καὶ φρικώδη ἀνωρθίαζον,…
« Mes accusateurs glapissaient d’effrayantes tirades, à faire dresser les cheveux sur la tête30… »
13Pour disqualifier l’action de ses adversaires, l’orateur la décrit en utilisant, sur un ton très fortement ironique, le vocabulaire du théâtre : non seulement il évoque les « frissons » et la « frayeur » si intimement associés à la tragédie qu’ils interviennent dans la définition aristotélicienne du genre31, mais, en outre, il emploie anorthiazô (« faire dresser les cheveux sur la tête »), verbe dont la famille est attestée uniquement au théâtre32.
14Or si Andocide dénonce, dans ces deux passages, l’usage de la théâtralité que font ses accusateurs pour convaincre les jurés de sa culpabilité, il essaie en même temps de mettre cette théâtralité au service de sa propre plaidoirie. Ainsi, le verbe anorthiazô, outre de participer de l’ironie acerbe visant ses adversaires, donne aussi une coloration tragique au discours d’Andocide lui-même, qui fait figure de victime de terrifiantes Érinyes33. Quant au ton dramatique du récit de Dioclidès, il finit par devenir aussi celui de l’orateur, amené à le reproduire pour montrer aux jurés comment les mailles du filet se sont progressivement resserrées sur lui, jusqu’à ce qu’il se retrouve jeté en prison, au milieu « des cris et des plaintes34 » et réduit à une redoutable alternative :
« Oh malheureux, qui suis tombé dans la pire détresse (ὦ πάντων ἐγὼ δεινοτάτῃ συμφορᾷ περιπεσών), dois-je souffrir que mes parents périssent injustement […] ? Ne ferai-je rien pour les trois cents citoyens qui vont injustement périr, pour la Cité, en proie aux pires des maux, pour nos concitoyens qui se soupçonnent les uns les autres ? Ou bien dirai-je aux Athéniens ce que j’ai entendu de la bouche même d’Euphilétos, l’auteur du crime35 ? »
15L’orateur stigmatise ainsi la mise en scène de ses adversaires pour présenter aux jurés une tragédie autrement plus convaincante, dont il est lui-même le héros : « Andocide utilise le paradigme culturel de la tragédie, mais seulement à ses propres fins. Il sait à quel point le paradigme a influencé l’horizon de son public, mais ne se contente pas de le reproduire : il en joue, le domestique, s’en moque même parfois, quand la moquerie est à son avantage36. »
16Or le théâtre étant dans l’Athènes classique un paradigme culturel universel, c’est-à-dire beaucoup plus qu’un divertissement occasionnel réservé à l’élite, la théâtralité des procès est un phénomène complexe, qui ne peut être réduit à cette liste de feux d’artifice rhétoriques, manifestations épisodiques de la créativité littéraire de quelques orateurs de talent ; elle nous semble, en effet, mériter une exploration plus détaillée, à commencer par la recherche d’échos permettant d’en connaître les éventuels prolongements dans l’imaginaire et la pratique judiciaires de l’époque.
Des tribunaux trois fois dramatiques
17Tout d’abord, chaque procès pris séparément peut être envisagé comme un drame. Ce premier niveau d’analyse est celui qui attire le plus souvent l’attention de la critique. Il est largement étudié par Edith Hall, en particulier, pour qui « chaque spécimen d’éloquence judiciaire qui nous est parvenu constitue l’une des deux parties d’un dialogue dramatique qui a réellement eu lieu37 ». Les parties de chaque procès sont les protagonistes de ce drame qui se noue autour du conflit qui les oppose. Il s’agit donc pour chacun de faire de son mieux pour convaincre les jurés, y compris en mettant en œuvre des procédés propres au poète et à l’hupokritès. Les relations parfois étroites entre acteurs et orateurs ont été remarquées dès l’Antiquité38, ainsi que l’importance de la poésie dans la formation des orateurs39 et les nombreuses citations poétiques qui fleurissaient à la tribune40, pour le plus grand plaisir des jurés41. On remarque cependant que ces citations n’apparaissent que dans les discours qui ont été prononcés par les logographes eux-mêmes ; elles devaient constituer un véritable défi pour la plupart des intervenants, qui n’étaient que de simples particuliers, sans formation juridique ou rhétorique particulière42. Mais les citoyens athéniens, imprégnés de théâtre, ne devaient pas avoir besoin de citer les poètes pour se sentir un peu acteurs en déclamant à la tribune de longues tirades écrites rien que pour eux. Dans les Cavaliers, comédie d’Aristophane représentée en 424 avant J.-C., le Paphlagonien se moque ainsi du Charcutier :
« Parce que tu t’en es bien tiré dans je ne sais quel procès de rien du tout contre un pauvre diable de métèque, à force de rabâcher à longueur de nuit (τὴν νύκτα θρυλῶν) et de soliloquer dans les rues (λαλῶν ἐν ταῖς ὁδοῖς σεαυτῷ), de boire des carafes d’eau, d’embêter tes amis en leur montrant ce que tu sais faire (κἀπιδεικνὺς τοὺς φίλους τ᾽ ἀνιῶν) – tu te croyais beau parleur (ᾤου δυνατὸς εἶναι λέγειν) ? Oh le benêt ! sombre idiot43 ! »
18En effet, comme le laisse entendre cet extrait, accusateurs et défendeurs devaient préparer leur procès en apprenant leur texte par cœur ; d’ailleurs, les logographes tenaient compte du talent de leurs clients en matière de déclamation44. La diction, le débit, mais aussi, plus généralement la voix de celui qui prenait la parole au tribunal étaient des éléments importants45. La gestuelle devait également être très soignée ; il s’agissait de se mouvoir aussi naturellement que possible, afin de montrer que l’on n’était qu’un citoyen ordinaire46 – nous évoquerons plus loin la question de l’apparence vestimentaire, tout aussi importante. Les intervenants devaient ainsi donner une épaisseur à leur personnage, celui que leur discours construisait pour eux47 ; pour le logographe, il s’agissait certes de mettre en avant les qualités réelles de son client, mais il faut bien garder à l’esprit que, dans son discours, il présentait avant tout aux jurés un personnage de fiction48.
19Les protagonistes que sont les parties en procès sont secondés par d’autres acteurs : les synègoroi49 et les témoins ; ces personnages jouent un rôle non négligeable dans le drame. Quant aux jurés, nous savons qu’ils étaient souvent invités directement et explicitement par les orateurs à se concerter et à manifester leur sentiment durant le procès50. Leurs chuchotements, l’inévitable chahut aux moments cruciaux, on n’en connaîtra jamais le contenu, mais on peut être sûr qu’ils ponctuaient le drame judiciaire auquel ils participaient, qu’ils scandaient la succession des logoi individuels dans le procès, comme les stasima du chœur et les commentaires de son coryphée scandent, dans une tragédie, la succession épisodique d’échanges individuels entre les personnages, en en commentant la teneur.
20En outre, ces pièces judiciaires ont leurs spectateurs : dans les différents tribunaux, les periestèkotes ou periestôtes se massaient à quelques mètres de la tribune, très probablement tenus à distance par une corde ou une barrière51. Une foule de citoyens, mais aussi de métèques et d’étrangers52, venait assister à ces spectacles : « la corona offrait l’opportunité non seulement aux Grecs étrangers d’observer la démocratie athénienne, mais aussi à la cité athénienne de se définir elle-même ainsi que de renforcer et de légitimer par le rituel l’exclusivité du corps civique53 ». Le public des tribunaux est comparable au public du théâtre de Dionysos non seulement par sa composition, mais aussi par son comportement : comme les spectateurs du théâtre, les periestèkotes devaient réagir bruyamment au spectacle auquel ils assistaient, exprimant leur pitié, leur colère ou, au contraire, leur joie, par des cris, des sifflets ou des applaudissements. Pas plus que les acteurs ne peuvent ignorer les spectateurs massés sur les gradins, les orateurs et le jury n’ont pas intérêt à oublier ce public, qui va donc peser de façon indirecte – et non pas par un vote – tant dans le choix des arguments prononcés par les parties que dans les décisions des jurés54. Ainsi Antiphon met-il en garde les jurés :
« Car telle est la vérité, juges ; beaucoup de ceux qui assistent aux débats connaissent parfaitement tout cela (πολλοὶ τῶν περιεστώτων τούτων τὰ μὲν πράγματα ταῦτα πάντα ἀκριβῶς ἐπίστανται) ; ils ont présente à l’esprit la formule du serment, ils sont attentifs à ce que je dis pour ma défense : j’entends leur paraître fidèle à mon serment, et c’est en disant vrai que j’entends vous persuader de m’acquitter55. »
21Les intervenants s’adressent donc à ces spectateurs, les prennent à partie, parfois indirectement, par le biais du « chœur » des jurés, comme dans la tragédie, parfois directement56, comme dans la comédie.
22Et, de même qu’au théâtre, les spectateurs semblent être, au grand dam de Platon57, les véritables juges du spectacle, au point qu’Aristophane leur demande directement de l’approuver ou de se montrer cléments58, au tribunal, les spectateurs apparaissent parfois comme les juges ultimes du procès. Au lendemain de la chute des Trente, pour le procès d’Ératosthène, Lysias rappelle aux jurés que « beaucoup de gens de la ville et d’étrangers sont ici, pour savoir quelle sentence [ils vont] rendre à l’égard de ces hommes59 ». De même, en 323 avant J.-C., lors du procès qui l’oppose à Démosthène, pour l’affaire d’Harpale, le client de Dinarque déclare :
« Tous les hommes (πάντες ἄνθρωποι), Athéniens, vont écouter la sentence que vous rendrez aujourd’hui ; tous les hommes auront les yeux fixés (θεωρήσουσιν) sur vous, les juges, pour savoir comment vous traitez quelqu’un qui a fait tant de mal60. »
23Le procès serait-il, comme le suggère Aristophane dans les Guêpes, une représentation à laquelle les spectateurs assisteraient pour en tirer du plaisir (esthétique ? ou bassement sadique ?) et pour juger de la qualité du spectacle ? Le malheur réel du justiciable, risquant sa vie en quelques mots, serait-il, pour les Athéniens, la même chose que le malheur fictif du personnage de telle ou telle pièce représentée au théâtre de Dionysos ? Ou la sentence aurait-elle, comme le laissent entendre souvent les orateurs, une valeur d’exemple parfois universel, dépassant même les frontières de l’Attique pour toucher l’ensemble de l’humanité, les pantes anthrôpoi de Dinarque ?
24Quel que soit l’état d’esprit des Athéniens face à la question de la justice et de la recherche de la vérité, le tribunal lui-même est également présenté comme le lieu d’un concours dramatique : « c’est vrai : l’acteur de mes adversaires est meilleur ; mais ma pièce vaut mieux (βελτίων μὲν ὁ τῶν ἀντιδίκων ὑποκριτής, δρᾶμα δὲ τοὐμὸν ἄμεινον) », proclame Lysias61. Nous avons envisagé jusqu’ici chaque procès comme un drame opposant les deux parties. Or, à un autre niveau, on peut aussi l’envisager comme un concours dans lequel les deux parties présentent chacune son drame, sur le même sujet que la partie adverse et dont l’auteur est, bien souvent, un logographe.
25Louis Gernet a bien montré que le procès était en soi « une joute (agôn) entre les parties qui seules y figurent comme réellement agissantes ; car le rôle de l’autorité judiciaire, c’est de suivre la joute, d’en faire respecter les règles et d’en homologuer le résultat ; et le rôle des juges se borne à juger, c’est-à-dire à émettre une sentence en accord avec la loi ou avec le juste, sans qu’ils aient une action autonome, soit pour l’établissement du fait, soit pour l’appréciation de la peine62 ». Ainsi, pour Louis Gernet, « la cité reste en un sens étrangère » au résultat de l’agôn63. « Irons-nous jusqu’à ajouter : et en quelque sorte spectatrice ? », s’interroge Nicole Loraux64 ; si nous avons montré que les citoyens siégeant dans les tribunaux étaient loin d’être apathiques, ils n’en sont pas moins, en effet, les spectateurs de l’agôn qui se déroule devant eux. On remarquera d’ailleurs que les termes de la famille d’ἀγών renvoient presque tous à la fois au monde du spectacle et au monde judiciaire. Ainsi ἀγών, parmi ses multiples sens65, veut dire « concours (musical, poétique, athlétique)66 », mais également « lutte judiciaire, procès67 » ; ἀγωνίζομαι signifie « soutenir un procès68 » et « représenter une pièce69 » ; ἀγώνισμα renvoie aussi bien à la représentation dramatique pour un concours70 qu’à l’argument judiciaire71, et l’ἀγωνιστής est aussi bien celui qui prend la parole dans une joute oratoire72 que celui qui prend part à un concours73 et, de là, l’acteur74. Ainsi, le procès et le concours dramatique sont avant tout des agônes. Mutatis mutandis, la définition que propose Louis Gernet du procès peut s’appliquer au concours dramatique, même s’il ne s’agit pas de prononcer une sentence judiciaire, mais d’accorder un prix : c’est une joute entre des poètes, leur chœur et leurs acteurs respectifs, suivie et arbitrée par un jury qui, comme les dikastèria, est tiré au sort, souverain et dispensé de reddition de comptes (anupeuthunoi)75. On pourrait ajouter que, dans ces deux types d’agôn, « la présence de spectateurs a pu jouer le rôle d’une euthuna informelle pour les juges, puisqu’elle garantissait qu’ils ne pussent pas prononcer de jugement sans qu’une partie de la communauté en prît connaissance immédiatement76 ».
26Comme dans un concours dramatique, dans un procès chaque partie joue sa pièce, écrite par un didaskalos-logographe pour un client, qui en devient le protagoniste et qui met en œuvre un jeu dramatique élaboré : le ton et la gestuelle sont des éléments importants de la mise en scène, on l’a vu. On prend également soin du costume et des accessoires, qui doivent correspondre au rôle joué par celui qui les porte ; ainsi, le client invalide de Lysias, venu au tribunal appuyé sur ses deux bâtons, déplore que son adversaire le croie en parfaite santé pour l’avoir vu monter à cheval ; « or, c’est pour la même raison qu’[il] emploie bâtons et cheval77 » :
« Il vient me contester mon malheur comme s’il s’agissait d’une fille épiclère, et il prétend vous persuader que je ne suis pas tel que vous me voyez tous (ὡς οὔκ εἰμι τοιοῦτος οἷον ὑμεῖς ὁρᾶτε πάντες) ; mais, vous, comme il convient à des gens censés, croyez-en plutôt vos yeux que ses discours (μᾶλλον πιστεύετε τοῖς ὑμετέροις αὐτῶν ὀφθαλμοῖς ἢ τοῖς τούτου λόγοις)78. »
27L’apparence vestimentaire est, en effet, un aspect essentiel de la persuasion visuelle79. C’est d’ailleurs pour cette raison que les orateurs s’attachent fréquemment à dénigrer l’accoutrement de leur adversaire. Démosthène, par exemple, se moque du « manteau jusqu’aux talons » dont s’affuble Eschine pour se promener sur l’agora80, tandis que ce dernier remarque que, si on s’avisait d’enlever à Démosthène « cet élégant petit manteau de laine fine, cette tunique bien douillette et de les faire passer entre les mains des juges, j’imagine qu’ils ne sauraient pas, si on ne les avait pas avertis, s’ils touchent des vêtements d’homme ou de femme81 » ; la raillerie ne va pas sans rappeler les moqueries d’Aristophane à l’égard d’Agathon82. Les intervenants, dans les procès comme à l’Assemblée d’ailleurs, devaient prendre soin non seulement d’avoir un costume qui corresponde à leur personnage, mais aussi que ce costume soit aussi neutre que possible, afin de ne pas prêter le flanc à la critique – facile – de leur adversaire.
28Les invectives fleurissent en effet à la tribune, et parfois sur un ton qui n’a rien à envier au psogos comique : il s’agit bien souvent pour l’orateur de faire rire les spectateurs – le jury mais aussi les periestèkotes – aux dépens de son adversaire – et, ce faisant, d’établir une complicité avec eux83. Edith Hall a même montré que « les personnages publics importants qui étaient le plus susceptibles d’être brocardés par la comédie étaient les mêmes hommes qui engageaient des procédures les uns contre les autres ; les clichés convoqués dans les tribunaux faisaient sans doute appel aux aspects de la réputation des individus qui caractérisaient leurs avatars comiques84 ». Lysias raille ainsi Eschine le Socratique, piètre disciple du philosophe, personnage malhonnête et sans scrupule qui, non content de devoir de l’argent à tout le quartier, « s’est approprié la fortune d’Hermaios le parfumeur en séduisant sa femme, qui avait soixante-dix ans » :
« Par ses protestations d’amour, il lui a si bien fait perdre la tête qu’il a réduit à la misère son mari et ses enfants, tandis que lui-même, de petit marchand qu’il était, se transformait en parfumeur : tant il s’entendait à faire l’amoureux avec cette belle enfant, à jouir du printemps d’une femme dont il était plus facile de compter les dents que les doigts de la main85. »
29Eschine le Socratique aurait-il eu vent du décret de l’Assemblée des femmes, stipulant que, « si un homme jeune convoite une jeunette, il lui est interdit de se l’envoyer, qu’il n’ait préalablement carambolé la vieille86 » ? À moins qu’il n’ait été véritablement séduit par la belle édentée, comme le jeune homme du Ploutos, dont l’amoureuse n’a pas même « trois ou quatre dents », mais « une seule, une molaire unique, pour tout bagage87 » ! C’est ainsi que Lysias exploite un topos comique pour faire rire son public, pour en faire son complice et mieux atteindre son adversaire88. Et, bien entendu, se plaindre de telles attaques devient un autre lieu commun de la rhétorique judiciaire. Démosthène rappelle ainsi aux jurés comment Eschine et Philocrate se sont moqués de lui à la tribune en le qualifiant de buveur d’eau89 :
Ὑμεῖς δ᾽ ἐγελᾶτε καὶ οὔτ᾽ ἀκούειν ἠθέλετε οὔτε πιστεύειν ἐβούλεσθ᾽ ἄλλα πλὴν ἃ οὗτος ἀπηγγέλκει.
« Vous, vous en riiez, vous refusiez de m’écouter et ne vouliez rien croire d’autre que ce qu’avait rapporté Eschine90. »
30Par un procédé dont le caractère typiquement théâtral est souligné par le verbe déclaratif le plus approprié à la déclamation scénique, apangellô, Eschine semble être parvenu à ses fins : la plaidoirie est devenue comédie au point que les jurés-spectateurs n’ont plus envie d’écouter Démosthène… à moins que celui-ci ne parvienne à leur présenter une pièce au moins aussi amusante, ce que Steven Johnstone appelle un « contre-récit » : plutôt que mettre en œuvre un « anti-récit » démontrant l’incohérence du scénario de l’adversaire, le défendeur peut choisir de rivaliser avec lui en présentant un scénario concurrent91. Ainsi Lysias se félicite-t-il, nous l’avons vu, que sa pièce vaille mieux que celle de ses adversaires, bien que leur acteur soit meilleur92. Cela explique que les personnages de ces pièces judiciaires apparaissent parfois comme des types, bien souvent comparables aux types comiques. Le meilleur exemple est sans doute le personnage de l’invalide que Lysias met en scène de façon particulièrement efficace93. Bien souvent ce ne sont pas des comédies mais des tragédies que les didaskaloi-logographes et leur acteur donnent à voir à leur public. L’enjeu est alors de les émouvoir en suscitant chez eux la pitié94, par tous les moyens possibles : réciter des tirades tragiques fameuses, bien sûr95, mais aussi exhiber à la tribune des bambins en larmes96.
31Comme l’écrit très justement Edith Hall, « dans l’esprit de tout Athénien tant soit peu instruit, était gravé un répertoire de personnages venant du monde virtuel du mythe, un monde partagé par tous qui était en même temps un code en fonction duquel chacun organisait sa perception du monde ; les orateurs dans les tribunaux établissaient des parallèles mythologiques et théâtraux avec eux-mêmes ou leurs adversaires afin de donner une analogie marquante et familière qui allait coller à l’esprit des jurés quand le détail de l’affaire leur aurait échappé97 ». Évoquons ici seulement le cas du discours d’Antiphon, prononcé peu avant 420 avant J.-C., qui accuse la belle-mère de l’orateur de s’être entendue avec la concubine de Philonéôs, un ami de son époux, pour empoisonner les deux hommes. Philonéôs mourut immédiatement et le père de l’orateur succomba trois semaines plus tard à une maladie soudaine. Dans ce discours, Antiphon fait un usage particulièrement efficace des images et métaphores tragiques, notamment pour attacher l’accusée à la figure de la « tueuse de mari » par excellence, Clytemnestre98. Si la meurtrière d’Agamemnon n’est nommée qu’au milieu du discours99, l’orateur se pose en Oreste dès ses premiers mots – bien qu’il n’ait pas tué sa belle-mère – et demande pitié et justice aux jurés :
« Soyez d’abord les champions de vos lois : vous les avez reçues des Dieux et des ancêtres à la tradition desquels vous vous conformez toujours quand vous condamnez ; soyez aussi les défenseurs du mort et en même temps de l’orphelin que je suis devenu. C’est vous, en effet, qui êtes mes parents (ὑμεῖς γάρ μοι ἀναγκαῖοι) : puisque ceux qui auraient dû être les vengeurs du mort et mes alliés se sont faits ses meurtriers et mes adversaires, auprès de qui chercher une assistance, où trouver un asile, sinon auprès de vous et de la justice ? (πρὸς τίνας οὖν ἔλθῃ τις βοηθούς͵ ἢ ποῖ τὴν καταφυγὴν ποιήσεται ἄλλοθι ἢ πρὸς ὑμᾶς καὶ τὸ δίκαιον;)100. »
32« Défenseur du mort et de la loi101 », cet Oreste accomplit ici la mission que lui aurait confiée son père mourant, alors qu’il n’était encore qu’un enfant : dénoncer la meurtrière et venger son injure102. Certes il n’est pas disposé à la tuer de sa main, mais sa demande, telle qu’il la formule à l’attention des jurés, a des accents funestes :
῎Ηδη οὖν ἐγὼ ἀξιῶ, ὥσπερ κἀκεῖνον ἀνελεημόνως καὶ ἀνοικτίστως αὕτη ἀπώλεσεν, οὕτω καὶ αὐτὴν ταύτην ἀπολέσθαι ὑπό τε ὑμῶν καὶ τοῦ δικαίου.
« Je demande donc aujourd’hui que, comme elle a fait périr mon père – sans pitié, sans miséricorde –, ainsi elle périsse à son tour, frappée par vous et par la justice103. »
33Ainsi, les membres du tribunal de l’Aréopage104 sont appelés à se faire les « vengeurs du mort105 » ; ainsi, ils viendront au secours de l’orateur ; ainsi, ils lui offriront un asile. « Pour ma part, j’ai parlé (ἐμοὶ μὲν διήγηται) ; j’ai défendu la victime et la loi. C’est à vous maintenant de consulter votre conscience et de voter selon la justice106 », conclut-il. Comment les aréopagites n’auraient-ils pas eu à l’esprit la tragédie eschyléenne ? Athéna, comme Antiphon, soulignait, par son dernier mot où domine un verbe au parfait, le caractère performatif de sa parole et ordonnait aux membres de l’Aréopage, qu’elle venait tout juste de choisir parmi « les meilleurs de sa ville107 » : « maintenant vous devez vous lever, porter votre suffrage et trancher le litige en respectant votre serment. J’ai dit (εἴρηται λόγος)108 ». « La messe est dite », à la fin de la tragédie, comme à la fin du discours. La tragédie écrite par Antiphon pour être représentée sur la colline d’Arès devait être d’autant plus saisissante que les spectateurs – les aréopagites – étaient, comme bien souvent au théâtre, inclus dans la pièce ; ils avaient un rôle à y jouer.
34Rappelons ici que les jurés des tribunaux athéniens étaient assis sur des bancs de bois, face à la tribune à laquelle se succédaient les orateurs. Ils étaient donc dans une posture similaire à celle qui était la leur quand ils s’installaient sur les gradins du théâtre de Dionysos, d’autant que, comme le souligne Louis Gernet109, les jurés ne délibéraient pas – la disposition parallèle des bancs suffirait d’ailleurs pour le prouver. Les jurés se contentent de regarder et d’écouter ce qui se passe en face d’eux, à la tribune, pour ensuite désigner, à l’issue de l’agôn, la version (la « pièce ») qui leur a paru la plus convaincante : « ces histoires sont alors jugées par des juges et des jurés qui ne savent pas laquelle est véridique – si tant est qu’il y en ait une qui le soit. […] À la fin, on doit rendre un jugement, et ce faisant, au tribunal comme dans la vie, on ne doit pas seulement se fier à la conformité du récit aux faits, mais aussi à sa vraisemblance (ce que les Grecs appellent l’eikos), et cela dépend pour une large part de ses qualités narratives – utilisation efficace du détail, usage du familier, voire de personnages stéréotypés, et d’autres éléments rhétoriques et performatifs », écrit très justement Michael Gagarin110.
35Enfin, en changeant une nouvelle fois de distance focale, on peut apercevoir un troisième niveau de théâtralité, celui des narrations prononcées par les parties. Enchâssés dans le drame que joue chaque partie, les récits que font les intervenants à la tribune constituent des tragédies, ou des tragi-comédies en miniature, qui rappellent les récits de messager de tragédie et leurs narrations dramatisées111. Ainsi les orateurs rapportent-ils bien souvent, au discours direct, des dialogues entre des personnages de leur drame112. Lysias raconte, par exemple, l’échange qu’il a eu avec Pison, l’un des Trente, alors que celui-ci s’apprêtait à l’arrêter et à le spolier, comme beaucoup d’autres métèques :
« Ils se partagent donc les maisons, et les voilà en route. Pour moi, ils me trouvent à table avec des hôtes ; ils les chassent et me livrent à Pison. Le reste de la bande entre dans l’atelier et dresse la liste des esclaves. Je dis à Pison : « Veux-tu me sauver pour de l’argent ? ». « Oui », répond-il, « si la somme est forte ». Je me déclarai prêt à lui donner un talent. « Entendu ! » fit-il. Je le connaissais pour n’avoir ni foi ni loi ; pourtant, dans ma situation, il me parut indispensable d’exiger de lui un serment. Il jura sur la tête de ses enfants et sur la sienne de me sauver la vie pour un talent. J’entre alors dans ma chambre, et j’ouvre mon coffre. Pison s’en aperçoit, entre à son tour, et, voyant le contenu, il appelle deux de ses aides et leur ordonne de s’en saisir113. »
36Il ne fait pas de doute que, pour toucher les juges et l’assistance, ce type de dialogue devait être déclamé avec vivacité ; pour que les auditeurs ressentent la bassesse de Pison et la détresse de Lysias, l’orateur devait jouer un tant soit peu la saynète.
37Pour la même raison, l’espace est souvent minutieusement décrit. Lysias, toujours, précise, dans son discours Sur le meurtre d’Ératosthène :
« Il faut vous dire d’abord – car ces détails mêmes sont nécessaires (δεῖ γὰρ καὶ ταῦθ΄ ὑμῖν διηγήσασθαι) – que ma maisonnette a un étage ; la disposition y est la même en haut et en bas, pour l’appartement des femmes et pour celui des hommes114. »
38Dans l’ensemble du discours, Lysias délivre ainsi de nombreux détails pour décrire les lieux, la place et les mouvements de chacun des personnages115, permettant à ces auditeurs d’imaginer les lieux du crime avec tant de précision qu’ils peuvent se figurer avoir vu la scène de leurs propres yeux. En revanche, comme bien souvent au théâtre, le temps de ces petits drames reste en général beaucoup plus flou : même dans ce discours où l’orateur fait montre de la plus grande précision, on doit se contenter d’un « puis, messieurs, quelque temps se passa116 ».
39Dans son discours Contre Diogiton, Lysias fait raconter à l’orateur une poignante réunion de famille où la fille de Diogiton, veuve de Diodote, frère de celui-ci, accuse son père d’avoir détourné à son profit l’héritage de Diodote : « Quel cœur as-tu, pour te comporter ainsi à l’égard des enfants, toi, le frère de leur père, mon père à moi, leur oncle et leur grand-père117 ? » Ses longues tirades sont rapportées au discours direct, entrecoupées de commentaires de l’orateur. Et ce dernier de conclure :
« Alors, juges, après ces accusations accablantes, devant la conduite de cet homme et les reproches de sa fille, l’émotion fut trop forte chez nous tous qui étions là, parce que nous voyions comment les enfants avaient été traités (οὕτω διετέθημεν πάντες οἱ παρόντες ὑπὸ τῶν τούτῳ πεπραγμένων καὶ τῶν λόγων τῶν ἐκείνης, ὁρῶντες μὲν τοὺς παῖδας, οἷα ἦσαν πεπονθότες), et que nous repensions au mort et à l’indigne tuteur qu’il avait laissé pour gérer son bien, et que nous songions combien il est difficile de trouver quelqu’un de sûr à qui confier ses affaires ; et personne, juges, ne put dire un mot (ὥστε, ὦ ἄνδρες δικασταί, μηδένα τῶν παρόντων δύνασθαι φθέγξασθαι) ; nous pleurions autant que les victimes et nous nous séparâmes en silence (δακρύοντας μὴ ἧττον τῶν πεπονθότων ἀπιόντας οἴχεσθαι σιωπῇ)118. »
40Ici, la mise en abyme se complexifie encore davantage : non seulement le récit constitue une tragédie en miniature, enchâssée dans la pièce que joue le plaideur à la tribune, mais, dans ce récit, la scène elle-même se déroule devant un groupe de spectateurs. Or, lorsqu’il relate la réaction bouleversée de ce public familial, le plaideur ne veut-il pas suggérer à ses propres spectateurs, c’est-à-dire, avant tout, aux jurés, ce qu’ils devraient ressentir ? En effet, les juges sont appelés à s’identifier aux membres de la famille qui avaient assisté à la scène119, ce qui permet au plaideur de présenter la jeune femme, dont il rapporte la plaidoirie devant le conseil de famille, comme un témoin à charge. Comme si elle avait plaidé sa cause et celle de ses enfants devant eux, les juges devront voter contre Diogiton ; en effet, après avoir entendu le détail des comptes, l’orateur ne doute pas que les jurés « [prendront] en pitié ces jeunes gens accablés par l’infortune, et [que] cet homme [leur] paraîtra mériter l’exécration de toute la cité120 ».
41Ainsi, dans leurs discours, les intervenants utilisent le paradigme du drame comme filtre pour faire voir les faits aux jurés, et, partant, exciter leur pitié et orienter leur vote. En effet, « leur choix n’était pas nécessairement entre une histoire vraie et une fausse ; le jury pouvait sentir […] qu’il y avait une vérité et une justice des deux côtés. En fin de compte, le facteur déterminant pouvait être les talents de narrateur des deux plaideurs121 ».
*
42Dans ce chapitre, nous avons vu qu’au tribunal, trois niveaux de théâtralité s’enchâssaient. Le plus visible et, partant, le mieux étudié de ces trois niveaux, est celui du procès en soi, spectacle dont l’intrigue, pleine de rebondissements et à l’issue incertaine – puisqu’elle n’est pas écrite d’avance –, intéresse une foule plus ou moins nombreuse de spectateurs (les periestèkotes, habitués des tribunaux de tout temps). Dans ce « drame »-là, les jurés, nous l’avons montré, jouent le rôle qui, au théâtre, revient au chœur. Mais chacun des procès qui se déroulent devant les tribunaux athéniens peut également être rapproché du concours dramatique ; à ce deuxième niveau de théâtralité, chacun des deux logographes qui s’opposent lors d’un procès écrit son propre drame, présente sa propre pièce devant les jurés qui voteront pour la meilleure. Le troisième et dernier niveau de théâtralité, enfin, est celui que recèle chacun des récits qui sont faits à la tribune ; éléments importants de l’arsenal argumentatif de chacune des parties, ils constituent des drames en miniature, enchâssés dans le drame autonome que l’orateur tente de faire voir à son public.
43Le topos de la « scène judiciaire » repose ainsi sur la pratique judiciaire, ce dont les orateurs eux-mêmes étaient conscients. Les tribunaux athéniens apparaissent, en effet, pour reprendre la formule de Jon Hesk, « comme des lieux dédiés au concours et à la représentation de logoi122 ». Il s’agissait de mettre en scène son discours, de présenter des personnages convaincants, d’exciter la pitié du public, mais aussi parfois de le faire rire. En un mot, l’orateur se devait, comme le résume si bien la formule emblématique de Lysias sur la valeur de son « drame », de donner l’impression aux jurés, mais aussi aux spectateurs qui assistaient nombreux au procès, que sa pièce était meilleure que celle de son adversaire. C’est cette réalité, notamment, que le poète comique Aristophane met en scène dans les Guêpes et les Grenouilles.
Notes de bas de page
1 Aristophane, Guêpes, 550-551, 563-570, 579-580.
2 Aristophane, Guêpes, 548-587. Voir Fr. Jouan, « Les tribunaux comiques d’Athènes », in J. Jouanna (dir.), Le théâtre grec antique. La comédie : actes du 10e colloque de la villa Kérylos à Beaulieusur-Mer, les 1er et 2octobre 1999, Paris, Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 2000, p. 83-98.
3 Voir Thucydide, II, 65, 10-11 ; Aristote, Constitution d’Athènes, 28, 3. Nous reviendrons longuement sur cette question au chapitre VII, p. 233 et suiv.
4 Voir Aristophane, Nuées, 1002-1004 ; [Andocide], Contre Alcibiade, 22.
5 Platon, Apologie, 35b4-8. Cf. N. Villacèque, « De la bigarrure en politique (Platon, République, VIII, 557c 4 sq.) », JHS, 130, 2010, p. 137-152.
6 V. Turner, Dramas, Fields, and Metaphors.
7 D. Cohen, Law, Violence, and Community in Classical Athens, Cambridge, Cambridge University Press, 1995, p. 112.
8 P. Cartledge, « Fowl Play : a Curious Lawsuit in Classical Athens (Antiphon XVI, frr. 57-9 Thalheim », in P. Cartledge, P. Millett, et S. C. Todd [éd.], Nomos, p. 41-61 [p. 42]).
9 J. Ober et B. Strauss, « Drama, Political Rhetoric, and the Discourse of Athenian Democracy », p. 236-270.
10 E. Hall, « Lawcourt Dramas. Acting and Performance in Legal Oratory », in Ead., The Theatrical Cast of Athens, p. 353-392.
11 Ph. Harding, « Comedy and Rhetoric », p. 196-221.
12 P. J. Wilson, « Tragic Rhetoric : The Use of Tragedy in the Fourth-Century », in M. S. Silk (éd.), Tragedy and the Tragic, p. 310-331.
13 S. Perlman, « Quotations from Poetry in Attic Orators of the Fourth Century B. C. », AJPh, 85, 1964, p. 155-172.
14 A. L. Boegehold, When a Gesture Was Expected. A Selection of Examples from Archaic and Classical Greek Literature, Princeton, Princeton University Press, 1999, p. 78-93.
15 A. G. Katsouris, Ρητορική ὑπόκριση, Ioannina, université de Ioannina, 1989.
16 Voir notamment Fr. Desbordes, « L’orateur et l’acteur », in M. Menu (éd.), Théâtre et Cité, Séminaire du CRATA 1992-1994, Toulouse, Éd. du CRATA, 1994, p. 53-72. Pour la période romaine, cf. Fl. Dupont, L’orateur sans visage. Essai sur l’acteur romain et son masque, Paris, Presses universitaires de France, 2000.
17 V. Bers, « Dikastic Thorubos ».
18 A. M. Lanni, « Spectator Sport or Serious Politics? », p. 183.
19 S. Humphreys, « Social Relations on Stage : Witnesses in Classical Athens », History and Anthropology, 1, 1985, p. 313-369.
20 Voir à ce propos la riche étude consacrée à la théâtralité du tribunal américain au XXe siècle : M. S. Ball, « The Play’s the Thing : an Unscientific Reflection on Courts under the Rubric of Theater », Stanford Law Review, 28, 1975, p. 81-115.
21 Voir par exemple Lysias, Contre Simon, 20, 37 ; Contre Agoratos, 24 ; Pour Polystratos, 28.
22 M. H. Hansen, La démocratie athénienne, p. 8.
23 Lysias, fr. III, Défense d’Iphicrate, 5 : « C’est vrai : l’acteur (ὑποκριτής) de mes adversaires est meilleur ; mais ma pièce (δρᾶμα) vaut mieux. »
24 Voir infra, p. 264 et 269-272 par exemple.
25 Lysias, Sur les biens d’Aristophane, 60 : ὀλίγον μὲν [οὖν] χρόνον δύναιτ΄ ἄν τις πλάσασθαι τὸν τρόπον τὸν αὑτοῦ.
26 Lysias, Sur les biens d’Aristophane, 61.
27 Lysias, Sur les biens d’Aristophane, 60 : ἐν ἑβδομήκοντα δὲ ἔτεσιν οὐδ’ἂν εἷς λάθοι πονηρὸς ὤν.
28 Isocrate, Sur la paix, 14 ; Panathénaïque, 271 ; Sur l’échange, 284. Voir Platon, République, X, 606c.
29 Andocide, Sur les Mystères, 38-40 ; voir supra, p. 130-131.
30 Andocide, Sur les Mystères, 29.
31 Aristote, Poétique, 1453b6 : « qu’en apprenant les faits qui se produisent on frissonne et on soit pris de pitié (καὶ φρίττειν καὶ ἐλεεῖν) » ; 1453b14 : « Voyons donc parmi les événements lesquels sont effrayants (δεινὰ) et lesquels pitoyables (οἰκτρὰ) » (trad. R. Dupont-Roc et J. Lallot).
32 Voir Eschyle, Perses, 687, 1050 ; Agamemnon, 29, 1120 ; Choéphores, 271, 954. Voir également Aristophane, Acharniens, 1042 (ὀρθίασμα) ; on trouve une belle périphrase, qui montre comment était perçue cette somatisation de la peur, dans Sophocle, Œdipe à Colone, 1624-1625.
33 Voir Eschyle, Agamemnon, 1119-1120.
34 Andocide, Sur les Mystères, 48.
35 Andocide, Sur les Mystères, 51.
36 J. Ober et B. Strauss, « Drama, Political Rhetoric, and the Discourse of Athenian Democracy », p. 257-258.
37 Ed. Hall, « Lawcourt Dramas », p. 376.
38 Voir e. g. Eschine, Contre Timarque, 98 ; [Démosthène], Contre Nééra, 21 et 26 ; Quintilien, Institution oratoire, xi, 3, 5-8 ; [Plutarque], Vie des dix orateurs, 833c. Cf. E. Hall, art. cit., p. 366-367.
39 Si l’on en croit Plutarque, pour Démosthène, les trois éléments les plus importants dans l’art oratoire étaient l’hypokrisis, l’hypokrisis et l’hypokrisis ([Plutarque], Vie des dix orateurs, 845b 3-5) ; voir également Aristote, Rhétorique, III, 1403b 24-26. Cf. H. North, « The Use of Poetry in the Training of the Ancient Orator », Traditio, 8, 1952, p. 1-33 ; S. Perlman, « Quotations from Poetry in Attic Orators », p. 158-161 ; Ed. Hall, art. cit., p. 367.
40 Voir e. g. Eschine, Contre Timarque, 149, citant Homère, Iliade, XXIII, 77-95. Cf. S. Perlman, art. cit., p. 162-165.
41 Aristophane, Guêpes, 579-580.
42 Ed. Hall, art. cit., p. 367. Notons que Jeremy Trevett fait la même remarque à propos de l’usage du discours direct (J. Trevett, « The Use of Direct Speech by the Attic Orators », in Fr. De Martino et A. H. Sommerstein [éd.], Lo spettacolo delle voci, vol. 2, Bari, Levante, 1995, p. 123-145, [p. 143-144]).
43 Aristophane, Cavaliers, 346-350 (trad. V.-H. Debidour modifiée, notamment en ce qui concerne le participe ἐπιδεικνύς. Voir LSJ, s.v., A, 2, b).
44 Voir S. Usher, « Lysias and his Clients », GRBS, 17, 1976, p. 31-40 (p. 36-37).
45 Cf., e.g., Eupolis, Dèmes, fr. 102 Kassel-Austin ; Aristophane, Guêpes, 946-948 ; Lysias, Contre Ératosthène, 61 ; Démosthène, Deuxième Olynthienne, 157 ; Troisième Olynthienne, 21 ; Sur la couronne, 259.
46 Voir A. L. Boegehold, When a Gesture Was Expected, p. 78-93 (p. 78-79 en particulier). Eschine raille son adversaire Démosthène, dont la gestuelle n’a rien de naturel (Eschine, Contre Ctésiphon, 167).
47 C’est à partir de l’œuvre de Lysias que Denys d’Halicarnasse a théorisé la notion d’éthopoiia : cf. Denys d’Halicarnasse, Lysias, 8-9.
48 E. Hall, « Lawcourt Dramas », p. 376.
49 L. Rubinstein, Litigation and Cooperation : Supporting Speakers in the Courts of Classical Athens, Stuttgart, Steiner, 2000, passim (voir notamment p. 13-23).
50 Voir, e.g., Andocide, Sur les Mystères, 37. Cf. V. Bers, « Dikastic Thorubos », p. 6-10.
51 A. M. Lanni, « Spectator Sport or Serious Politics? », p. 185-186.
52 Voir notamment Lysias, Contre Ératosthène, 35 ; Eschine, Contre Timarque, 117 ; Contre Ctésiphon, 56.
53 A. M. Lanni, art. cit., p. 187.
54 Le thorubos de la corona, comme celui des jurés, apparaît comme une arme qu’on pouvait utiliser contre son adversaire : voir e. g.Dinarque, Contre Démosthène, 30 ; Démosthène, Contre Leptine, 165. Cf. V. Bers, art. cit., p. 8 ; A. M. Lanni, art. cit., p. 187-188.
55 Antiphon, Sur le choreute, 14.
56 E.g. Démosthène, Sur la couronne, 196 : « Tous ces arguments, du moins la plupart, je les expose pour vous, juges, et pour les assistants qui écoutent du dehors (τοὺς περιεστηκότας ἔξωθεν) ; car pour ce répugnant individu il suffisait de quelques mots brefs et clairs. »
57 Voir Platon, Lois, III, 700e 5 – 701a 3. Nous reviendrons longuement sur ce passage p. 269-272.
58 Voir par exemple Aristophane, Cavaliers, 544-550 et 1209-1210.
59 Lysias, Contre Ératosthène, 35.
60 Dinarque, Contre Démosthène, 22 (trad. L. Dors-Méary, CUF, légèrement modifiée). Voir encore, notamment, Démosthène, Contre Aristogiton I, 98.
61 Lysias, fr. III, Défense d’Iphicrate, 5.
62 L. Gernet, « Les Lois et le droit positif », introduction à Platon, Les Lois, Paris, CUF, 1968, p. xciv-ccvi (p. cxl).
63 L. Gernet, Droit et société en Grèce ancienne, Paris, Sirey, 1955, p. 69.
64 N. Loraux, La Cité divisée, p. 243. (plus largement p. 240-247).
65 Voir DELG, s.v. ἄγω.
66 Thucydide, III, 104 ; Aristophane, Ploutos, 1163.
67 Eschyle, Euménides, 677, 744 ; Lysias, Pour Callias, 5 ; Andocide, Sur les Mystères, 4 ; Platon, Apologie de Socrate, 24c 6.
68 Lysias, Contre Simon, 20 ; Contre Agoratos, 60 ; [Andocide], Contre Alcibiade, 36.
69 Aristote, Poétique, 1451a 8 ; Démosthène, Sur l’ambassade, 246.
70 Aristote, Poétique, 1451b 37.
71 Lysias, Contre Agoratos, 77 ; Antiphon, Sur le meurtre d’Hérode, 36.
72 Thucydide, III, 37, 5 ; Platon, Théétète, 164c 9 ; Phèdre, 269d 2.
73 Hérodote, II, 160.
74 Eschine, Contre Ctésiphon, 43.
75 Voir Aristophane, Guêpes, 587.
76 A. M. Lanni, « Spectator Sport or Serious Politics ? », p. 189, au sujet des tribunaux uniquement. Voir en effet, cités plus haut, Lysias, Contre Ératosthène, 35 ; Dinarque, Contre Démosthène, 22, mais aussi Eschine, Contre Timarque, 117 ; Dinarque, Contre Aristogiton, 19.
77 Lysias, Pour l’invalide, 12.
78 Ibid., 14. Sur le caractère comique de ce discours de Lysias, voir Ph. Harding, « Comedy and Rhetoric », p. 202-206.
79 Ed. Hall, « Lawcourt Dramas », p. 379.
80 Démosthène, Sur l’ambassade, 314.
81 Eschine, Contre Timarque, 131.
82 Aristophane, Thesmophories, 130-265.
83 S. Koster, Die Invektive in der griechischen und römischen Literatur, Meisenheim, Hain, 1980, p. 76-90.
84 Ed. Hall, art. cit., p. 388. Notons que cette imprégnation de la rhétorique par le psogos comique a fait illusion de façon particulièrement pérenne, puisque tant les Anciens que les Modernes ont souvent pris l’invective comique au pied de la lettre, au point de croire que les fictions d’hostilité créées au théâtre pour provoquer le rire politique étaient de réelles affaires judiciaires ; Phidias, Périclès, Cléon font tous l’objet de ce type de malentendu historiographique. Voir les analyses de R. Saetta Cottone, Aristofane e la poetica dell’ingiuria. Per una introduzione alla λοιδορία comica, Rome, Carocci, 2005, p. 151-61 et passim.
85 Lysias, fr. XXXVIII, Contre Eschine le Socratique, 5.
86 Aristophane, Assemblée des femmes, 1015-1017.
87 Aristophane, Ploutos, 1057-1059.
88 Voir également Andocide, Sur les Mystères, 127.
89 Démosthène, Sur l’ambassade, 46.
90 Démosthène, Sur l’ambassade, 23 ; Contre Aristocrate, 206. Voir également Eschine, Contre Timarque, 80 et 84, où l’orateur se plaint également des insinuations de son adversaire.
91 S. Johnstone, Disputes and Democracy : the Consequences of Litigation in Ancient Athens, Austin, University of Texas Press, 1999, p. 54-60.
92 Lysias, fr. III, Défense d’Iphicrate, 5. Notons au passage que, en s’assimilant à un poète dramatique, l’orateur s’attribue une fonction beaucoup plus noble et valorisante que celle d’acteur, qu’il laisse à son adversaire.
93 Lysias, Pour l’invalide.
94 Voir e. g. Lysias, Pour Polystratos, 35-36 ; Contre Simon, 46-48 ; Isocrate, Sur l’attelage, 48.
95 Voir e. g. Sophocle cité par Démosthène, Sur l’Ambassade, 247 (Antigone, 175-190) ; Euripide cité par Eschine, Contre Timarque, 128 (tragédie inconnue), 151 (Sthénébée, TrGF 5,2, 661, 24-25), 152 (Phoenix, TrGF 5,2, 812), par Démosthène, Sur la couronne, 267 (Hécube, 1), ainsi que par Lycurgue, Contre Léocrate, 100 (Érechthée). D’après nos sources, les citations poétiques devaient être beaucoup plus fréquentes au IVe siècle qu’elles ne l’étaient au Ve et, comme le remarque Peter Wilson, on ne citait pas des poètes contemporains, mais Sophocle et Euripide : « la tragédie du Ve siècle est, comme Homère, une source d’autorité implicite, et une mine pour édifier des modèles moraux et politiques : un désir manifeste d’appropriation à tout prix du prestige des classiques a conduit à une vison plutôt non tragique de la tragédie » (P. J. Wilson, « Tragic Rhetoric », p. 315). Cf. également S. Perlman, « Quotations from Poetry in Attic Orators », p. 161-172 ; J. Ober et B. Strauss, « Drama, Political Rhetoric, and the Discourse of Athenian Democracy », p. 250-253. Nous tenterons de comprendre pourquoi la citation poétique se généralise au IVe siècle p. 349-352.
96 Voir par exemple Lysias, Pour Polystratos, 34 ; Andocide, Sur les Mystères, 148 ; Démosthène, Contre Midias, 99 et 186-188 ; Aristophane, Guêpes, 568-575 et 976-978 ; Platon, Apologie, 34b 7-35a 1.
97 E. Hall, « Lawcourt Dramas », p. 384.
98 M. Gagarin, Antiphon. The Speeches, Cambridge, Cambridge University Press, 1997, p. 105.
99 Antiphon, Accusation d’empoisonnement contre une belle-mère, 17 : la concubine de Philonéôs « se conformait aux instructions de cette Clytemnestre ». Voir également [Andocide], Contre Alcibiade, 22 : le personnage violent et cynique qu’est Alcibiade est assimilé à un Atride – la naissance de son fils est « bien plus monstrueuse que celle d’Égisthe ». Voir l’analyse de P. J. Wilson, The Athenian Institution of Khoregia, p. 148-155, pour qui Alcibiade est représenté dans ce passage comme étant « un chorège transgressif et, en même temps, un transgresseur tragique » (p. 150).
100 Antiphon, Accusation d’empoisonnement, 3-4.
101 Antiphon, Accusation d’empoisonnement, 31.
102 Antiphon, Accusation d’empoisonnement, 29-30.
103 Antiphon, Accusation d’empoisonnement, 25.
104 C’est en effet là que, selon toute vraisemblance, s’est déroulé le procès ; voir la notice introductive de L. Gernet, Antiphon. Discours, Paris, Les Belles Lettres, 2002 (1923), p. 33-34.
105 Antiphon, Accusation d’empoisonnement, 21. Voir également Lysias, Contre Agoratos, 1.
106 Antiphon, Accusation d’empoisonnement, 31 (trad. L. Gernet, CUF, modifiée).
107 Eschyle, Euménides, 487 : ἀστῶν τὰ βέλτιστα.
108 Eschyle, Euménides, 708-710 (trad. P. Mazon).
109 L. Gernet, « Les Lois et le droit positif », p. cxl.
110 M. Gagarin, « Telling stories in Athenian law », TAPhA, 133, 2003, p. 197-207 (p. 203).
111 Voir par exemple Lysias, Contre Simon, 15-18 ; Contre Pancléon, 2-3 ; Antiphon, Accusation d’empoisonnement, 14-20.
112 Voir J. Trevett, « The Use of Direct Speech », p. 127-135.
113 Lysias, Contre Eratosthène, 8-10.
114 Voir par exemple Lysias, Sur le meurtre d’Eratosthène, 9.
115 Voir encore, par exemple, Lysias, Sur le meurtre d’Eratosthène, 24-25.
116 Lysias, Sur le meurtre d’Eratosthène, 15 : μετὰ δὲ ταῦτα‚ ὦ ἄνδρες‚ χρόνου μεταξὺ διαγενομένου.
117 Lysias, Contre Diogiton, 12.
118 Lysias, Contre Diogiton, 18 (trad. L. Gernet, CUF, modifiée).
119 Voir également Lysias, Contre Simon, 15-16 ; fr. XVII, Contre Tisis, 6.
120 Lysias, Contre Diogiton, 19.
121 M. Gagarin, « Telling Stories in Athenian Law », p. 207.
122 J. Hesk, « The Rhetoric of Anti-Rhetoric in Athenian Oratory », in S. Goldhill et R. Osborne, Performance Culture and Athenian Democracy, p. 229.
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