Chapitre III. Des assemblées politiques dans le théâtre de Dionysos, à Athènes et dans les dèmes
p. 139-148
Texte intégral
1Si la Pnyx n’a jamais été utilisée, durant l’époque classique, pour autre chose que les séances de l’ekklèsia1, elle n’est pas, en revanche, l’unique espace d’assemblée du dèmos. En effet, le théâtre de Dionysos à Athènes ainsi que les théâtres des dèmes – ou du moins certains d’entre eux – constituent également de commodes lieux de réunion, qu’investissent les citoyens pour y tenir des assemblées politiques et judiciaires. C’est aux premières que nous nous intéresserons ici2.
Des assemblées dans le théâtre de Dionysos Éleuthéreus
2L’ekklèsia se réunissait tous les ans dans le théâtre de Dionysos, le lendemain de la fête des Pandia, en l’honneur de Zeus, qui suivait immédiatement les Grandes Dionysies ; cette assemblée était chargée de juger du bon déroulement des festivités. Bien qu’elle ait été annuelle, les textes parlent peu de cette séance particulière de l’ekklèsia. Nous en devons l’évocation la plus précise à Démosthène et à son discours Contre Midias, qui date de 348 avant J.-C. ; à l’occasion de cette assemblée, l’orateur avait porté plainte contre son vieil ennemi Midias :
« J’ai intenté à cet homme une plainte pour offense à la fête, non seulement à cause des coups qu’il m’a donnés lors des Dionysies, mais encore en raison de bien d’autres brutalités dont j’ai eu à souffrir tout au cours de ma chorégie3. »
3En effet, cette assemblée avait non seulement pour vocation d’examiner la façon dont chorèges et archontes s’étaient acquittés de leur charge4, mais aussi de « délibérer au sujet de tous les délits et de toutes les transgressions à l’égard de la fête5 » qui avaient fait l’objet de plaintes préalables (probolai), en vertu de la loi d’Euégoros6. Le dèmos écoutait le plaignant (qui ne devait pas nécessairement être citoyen athénien7), puis le défendeur, et votait ensuite, à main levée, pour l’un ou pour l’autre : si le vote était majoritairement contre le défendeur, on parlait de katacheirotonia. Si, au contraire, il lui était favorable, on parlait d’apocheirotonia. Dans le cas de la probolè déposée par Démosthène, les citoyens se sont prononcés contre Midias8. Mais l’Assemblée ne prononçait pas de sentence : si elle jugeait la plainte recevable, le plaignant pouvait alors se tourner vers un jury ordinaire, au tribunal des thesmothètes9. La procédure devait alors être la même que pour les autres affaires publiques, la peine pouvant aller jusqu’à la mort10. Notons que c’est pour ce procès que Démosthène avait écrit son discours Contre Midias, qu’il ne prononça probablement pas – ou du moins, pas dans la forme qui nous est parvenue11.
4Les citoyens examinaient également, nous l’avons dit, la gestion des archontes et des chorèges, et votaient un certain nombre de décrets. En 342 avant J. -C., par exemple, un décret est voté en l’honneur du Conseil (Boulè) pour le soin qu’il a pris pour le bon déroulement (eukosmia) de la fête théâtrale12. Il s’agit d’une des très rares indications que le Conseil avait une mission pendant les festivités : il devait notamment être responsable du maintien de l’ordre13. William MacDonald propose un inventaire exhaustif des inscriptions dans lesquelles on retrouve la formule ekklèsia en Dionusou14 : il s’agit dans la plupart des cas de décrets votés par cette assemblée qui suit les Grandes Dionysies, le plus souvent en l’honneur d’un acteur15, d’un archonte pour l’organisation des festivités16, ou encore de ceux qui avaient organisé la procession de Dionysos17. Notons cependant que toutes ces inscriptions datent de la seconde moitié du IVe siècle – voire du IIIe siècle – et que même la loi d’Euégoros semble dater de cette époque, bien que cela reste assez hypothétique18. Il est cependant vraisemblable que cette réunion spéciale de l’assemblée se tenait déjà au Ve siècle, en raison de l’importance que les Grandes Dionysies avaient prise alors dans la vie religieuse et politique de la cité19.
5Par ailleurs, William MacDonald émet l’hypothèse qu’une séance similaire de l’Assemblée se serait tenue dans le théâtre de Dionysos au lendemain de la fête dionysiaque des Anthestéries20. Or il ne s’appuie que sur une seule inscription21, qu’il date de 318/317 avant J. -C.22, et dans laquelle se trouve en effet la formule ekklèsia en Dionusou ; ce décret – honorifique – ne mentionne pas le mois d’Elaphébolion, qui était celui des Grandes Dionysies, mais, d’après la restitution que propose William MacDonald, le mois d’Anthestérion ([Ἀνθεστη] ρòιῶνος). L’inscription évoque une réunion de l’ekklèsia qui avait eu lieu 26e jour du mois ; or la fête des Anthestéries avait lieu les 11e, 12e et 13e jours d’Anthestérion23. Si l’on suit William MacDonald, l’Assemblée se serait donc réunie treize jours après la fête pour juger du bon déroulement de celle-ci. Cela semble très improbable, et il est plus prudent de considérer que les circonstances exactes de cette réunion de l’Assemblée dans le théâtre de Dionysos restent inconnues.
6En outre, si l’on en croit Aristote, l’Assemblée du peuple se réunissait annuellement dans le théâtre de Dionysos pour la revue des éphèbes :
« La seconde année, une assemblée du peuple s’est tenue au théâtre (ἐκκλησίας ἐν τῷ θεάτρῳ γενομένης) et les éphèbes y sont passés en revue pour les manœuvres de compagnie. Ils reçoivent alors de la cité un bouclier rond et une lance, font des marches militaires dans le pays et tiennent garnison dans les forts24. »
7Cette information, très généralement admise, a récemment été remise en question par John Dillery25 : selon lui, il est impossible que les éphèbes – qui devaient être au nombre de 500 environ – aient pu manœuvrer dans l’orchestra, faute de place, et ce même s’ils paradaient par tribu, soit par groupe d’environ 50 personnes26. Rappelons cependant ici que les chœurs de dithyrambe étaient également composés de 50 membres, et qu’ils exécutaient en cercle des mouvements de danse ; l’aire scénique était assez vaste, puisque, d’après les calculs les plus récents, l’orchestra classique, en forme de pi, on l’a vu, « aurait eu vers les parodoi une longueur est-ouest de quelque 28 m » et une profondeur moitié moins importante27 – après les travaux du milieu du IVe siècle, l’orchestra, semi-circulaire, sera, au contraire, plus profonde que large. John Dillery soutient donc que la revue des éphèbes avait lieu au stade ; il s’appuie principalement sur une inscription, datant de 330/329, dans laquelle Lycurgue propose les honneurs pour Eudémos de Platées, bienfaiteur d’Athènes, qui avait donné à la cité un millier d’attelages de bœufs pour la construction « du stade et du théâtre panathénaïque28 ». La formule τοῦ σταδ[ί] ου καὶ τοῦ θεάτρου τοῦ Παναθη[ναϊ] κοῦ renvoie, pour John Dillery, à l’extrémité du stade panathénaïque, qui avait la forme d’un théâtre29. Ainsi, lorsque Aristote écrit « dans le théâtre (en tôi theatrôi) » il ne ferait pas allusion au théâtre de Dionysos, mais à ce « théâtre » du stade panathénaïque. John Dillery remarque d’ailleurs que « quand l’Assemblée se réunissait dans le théâtre de Dionysos, la formule employée pour cette réunion, au IVe siècle, était ekklèsia en Dionusou (“assemblée dans [le théâtre] de Dionysos”). Ainsi, bien que la formule ekklèsia en tôi theatrôi (“assemblée dans le théâtre”) soit courante plus tard, l’expression en tôi theatrôi (“dans le théâtre”) dans le troisième quart du IVe siècle pourrait faire référence à un autre théâtre ou à une structure en forme de théâtre, et pas nécessairement au théâtre de Dionysos30 ». Certes, concède-t-il, l’article défini (tôi) employé par Aristote suggère en effet un usage courant de l’édifice désigné, et dans les textes contemporains, Sur la Couronne de Démosthène et Contre Ctésiphon d’Eschine, l’expression est fréquente et fait référence au théâtre. John Dillery balaye ces deux objections (pourtant de taille) d’un revers de main : si nous acceptons la datation conventionnelle du texte d’Aristote, à savoir la fin des années 330 avant J.-C. – c’est-à-dire après la réorganisation de l’éphébie en 335/334 avant J.-C. – « alors ce passage aurait été écrit exactement à l’époque où le théâtre de Dionysos était en profonde restructuration et où le stade panathénaïque était construit31 ». C’est oublier que l’authenticité du texte d’Aristote ne va pas sans poser problème32 ; en outre, le théâtre de Dionysos – comme celui de Délos et, pour ce dernier, cela ne fait aucun doute33 – était très probablement utilisé durant les travaux, ce qui explique, en partie du moins, qu’ils aient duré si longtemps. En effet, selon toute vraisemblance, le théâtre était déjà en chantier lors des Grandes Dionysies de 348 avant J.-C. évoquées par Démosthène dans son Contre Midias34 ; on faisait en sorte que pour les Dionysies et, sans doute pour les Panathénées, le chantier soit fréquentable. Les travaux avaient tout le temps d’avancer entre les célébrations, qui n’occupaient que quelques jours par an.
8Que l’Assemblée ait siégé, durant une certaine période, dans un autre lieu de spectacle encore – même s’il s’agit de spectacles sportifs – appelé lui aussi theatron par les Athéniens, ou, ce qui est beaucoup plus probable, que la revue des éphèbes n’ait jamais eu lieu ailleurs que dans le théâtre de Dionysos, il ne faut pas perdre de vue que l’unique témoignage concernant cette séance particulière de l’Assemblée – celui d’Aristote – ne date que du dernier tiers du IVe siècle ; pour la fin du Ve siècle, qui nous intéresse ici, aucune source ne fait la moindre allusion à la tenue d’une telle assemblée. On notera par ailleurs que ce n’est qu’à partir de 300 avant J.-C. environ que l’ekklèsia délaisse la Pnyx pour faire du théâtre de Dionysos Éleuthéreus son principal lieu de réunion et ce, jusqu’au IVe siècle de notre ère35. Cette constance, en dépit d’un confort et d’une acoustique médiocres, témoigne non seulement de l’attachement du dèmos athénien à la Pnyx, mais aussi de sa volonté de conserver des espaces bien distincts pour ses différentes assemblées – nous y reviendrons. Le théâtre n’est utilisé par l’ekklèsia que pour des séances particulièrement solennelles.
9Enfin, nous verrons, au chapitre viii, que les séances de l’Assemblée du peuple qui se tiennent dans un théâtre pour d’autres raisons que celles que nous venons d’examiner sont dues à des circonstances exceptionnelles, voire dramatiques. C’est sur la Pnyx que s’exerce la souveraineté du dèmos, ce qui explique que ce dernier ne l’abandonne qu’en cas de force majeure. Cela explique que les auteurs des coups d’État oligarchiques de 411 et 404 avant J.-C. évitent soigneusement la Pnyx, qui n’est que la matérialisation de la souveraineté du dèmos, mais aussi le théâtre de Dionysos Éleuthéreus. En revanche, l’utilisation du théâtre d’un dème, comme celui de Mounichie36, semble poser moins de problèmes, non seulement parce qu’il est hors de la ville, mais aussi parce qu’il est moins directement associé au dèmos souverain que le grand théâtre construit sur le flanc de l’Acropole. Loin d’être des espaces purement dédiés au spectacle, les théâtres des dèmes servaient pourtant bien souvent de lieu de réunion pour les assemblées locales.
Les assemblées dans les théâtres des dèmes
10Fréquemment associés à une agora, les théâtres des dèmes de l’Attique – comme dans bien des cités grecques d’ailleurs – servaient d’espaces d’assemblées aussi bien théâtrales que politiques. Signalons toutefois ici, avant de poursuivre, que, comme l’a bien montré David Whitehead, ces assemblées pouvaient aussi se tenir non dans le dème mais « en ville », en astei ; que cela ait été régulier ou occasionnel, cela reste difficile à dire, même si l’on peut raisonnablement pencher pour la seconde solution37.
11Pour Frank Kolb comme pour Roland Martin, les citoyens de ces dèmes et de ces cités n’ont pas construit des théâtres pouvant également servir à des fins politiques, mais ont au contraire édifié des lieux d’assemblée qui pouvaient, le cas échéant, accueillir des représentations théâtrales38. Frank Kolb avance deux arguments : d’une part, bien souvent, la skènè, qui ne servait que pour les représentations dramatiques, a été ajoutée à l’ancien theatron, mais n’existait pas à l’origine39 ; d’autre part, il est inconcevable que les Grecs aient construit des édifices aussi prestigieux, aussi coûteux, pour ne les utiliser que quelques jours par an seulement40. Mogens Hansen et Tobias Fischer-Hansen41 se montrent peu convaincus par ces arguments, rappelant que, même dans les édifices spécifiquement théâtraux, la skènè a, pendant longtemps, été en bois et non en pierre – et n’a donc pas ou peu laissé de traces. Les deux historiens étudient d’autre part l’exemple du théâtre de Dionysos, à Athènes : malgré sa fastueuse reconstruction en pierre, au milieu du IVe siècle avant J.-C., l’Assemblée continue à se réunir sur la Pnyx, à l’aménagement rudimentaire, jusqu’aux environs de 300. En outre, « si les théâtres monumentaux en pierre avaient été construits avant tout comme des ekklèsiastèria, on aurait retrouvé, au moins dans certains théâtres, des vestiges d’un bèma pour les orateurs et des sièges pour les prytanes – qui faisaient face à l’auditoire42 ». Enfin, ils soulignent que la taille même des édifices montre bien qu’ils avaient été construits pour des représentations dramatiques, même s’ils pouvaient également servir aux assemblées politiques – nettement moins nombreuses.
12Dans les dèmes de l’Attique, et notamment ceux d’Ikarion, Rhamnonte ou encore Thorikos, les théâtres étaient donc également utilisés pour les réunions régulières de l’assemblée du dème. Pour Frank Kolb, à Athènes comme dans les dèmes étudiés, l’agora – à la fois « lieu d’assemblée » et « place marchande43 » –, située sur un ancien lieu de sépulture, correspond à l’espace sacré de Dionysos Lénaios, dieu chtonien et de la végétation44 ; Dionysos apparaît ainsi comme la divinité des lieux d’assemblées politiques45. Cela explique qu’à Rhamnonte, par exemple, où le culte du Héros Fondateur est lié à celui de Dionysos, le dieu ait probablement joué, comme à Athènes, un rôle important dans la vie politique du dème46. Le théâtre y était en effet associé à l’agora47 ; une aire plane constituant l’orchestra est bordée de sept trônes de marbre alignés, consacrés à Dionysos, au IVe siècle, par un prêtre du Héros Fondateur48, et dans le prolongement de leur alignement, de dalles porte-stèles. Les spectateurs – ou les participants à l’assemblée – étaient installés sur la pente naturelle de la colline, derrière les sièges de proédrie. Ce théâtre, dans lequel avaient lieu les Dionysies Rurales, ne disposait pas de bâtiment de scène ; il semblerait néanmoins qu’on ait pu utiliser pour cela le portique situé de l’autre côté de l’orchestra. À l’ouest, se trouve une petite salle d’assemblée avec gradins, désignée comme un « synedrion » par une inscription trouvée sur place, un lieu qui a probablement servi à des réunions de militaires ou de magistrats49. En effet, cet espace, fermé, est très limité ; le lieu de réunion de l’assemblée du dème est bien le théâtre, permettant d’accueillir beaucoup plus de monde.
13À Thorikos, le théâtre – qui est le plus ancien théâtre en pierre dont nous ayons connaissance – accueillait aussi bien les représentations dramatiques que les assemblées politiques du dème. À l’ouest, l’orchestra était flanquée d’un petit temple, consacré à Dionysos, tandis que dans la parodos est se trouvaient deux petites salles aménagées dans le rocher50. S’il est difficile de préciser quelle a été la fonction première de l’édifice, « l’identification du théâtre comme “agora” du dème doit être considérée comme certaine51 ». Certes, nous ne disposons d’aucune information concernant les pièces jouées à Thorikos avant le IVe siècle avant J.-C.52 ; il paraît cependant difficile d’affirmer, comme le fait Heinrich Bulle, que les représentations dramatiques y ont été tardives, le théâtre ayant servi avant tout à des fins politiques53. Le théâtre et le sanctuaire de Dionysos étaient associés beaucoup plus fortement encore qu’à Athènes, puisque, à Thorikos, c’est le parvis du temple qui servait d’orchestra ; les fêtes en l’honneur du dieu sont à l’origine des aménagements du site, le politique n’étant venu qu’après, comme à Athènes. Les fouilles archéologiques montrent bien que le civique et le religieux, la politique et le théâtre étaient étroitement liés : « l’emplacement de la Maison no 2 montre qu’il s’agissait d’un lieu d’activités important au sein de la cité ou du dème, d’un bâtiment public à usage politique ou religieux. Elle est située près du temple de Dionysos et de l’agora de Thorikos, c’est-à-dire de l’orchestra, où les magistrats se réunissaient en plein air en s’installant sur des sièges marqués (initialement des ikria)54 ». En outre, pour Herman Van Looy, l’autel, situé au pied de l’extrémité est du koilon, dont la base occupe une superficie prise sur les gradins inférieurs, correspond à l’eleos, la « table » que mentionnent les lexicographes55 : « même après la création de la tragédie, l’eleos continuait à rendre service pour la mise en scène de certaines pièces […]. Que l’eleos ait pu servir de “tribune” (bèma) pour les orateurs lors des ekklésies est hors de doute. Puisque le koilon a respecté l’emplacement de l’eleos, celui-ci date d’avant 450 avant notre ère et remonte probablement au VIe siècle56 ». Cette hypothèse a été généralement suivie par les archéologues57. Cependant, Jean-Charles Moretti la rejette, à cause de l’emplacement de cette construction, au pied du koilon58. Il est en effet difficile d’imaginer les orateurs parler à leurs concitoyens d’une tribune pour ainsi dire collée aux gradins, mais aussi complètement excentrée – posant d’inévitables problèmes de visibilité et d’acoustique. Cependant, les dimensions relativement modestes de ce théâtre ne permettent pas d’exclure totalement la présence d’une tribune à cet endroit.
14À Ikarion, le théâtre – dont subsistent cinq sièges de proédrie alignés – existait probablement au début de l’époque classique : « d’importants fragments d’une statue de Dionysos assis, datant de la seconde moitié du VIe siècle avant J.-C., ont en effet été mis au jour dans le sanctuaire et une inscription de la seconde moitié du Ve siècle avant J.-C. concerne la désignation des chorèges59 ». Outre ce théâtre et plusieurs monuments chorégiques, le sanctuaire comprenait un temple de Dionysos, un autre d’Apollon pythien, associé à un autel, et un portique. Certes, nous manquons de preuves positives permettant de désigner l’aire scénique comme telle, mais, comme le montrent les archéologues William Biers et Thomas Boyd, on peut « la considérer comme une aire théâtrale, tout en reconnaissant qu’au centre d’un dème les activités non religieuses comme les activités théâtrales se déroulaient dans un tel espace60 ». Il est à ce propos intéressant de constater que, comme la déesse Athéna à Athènes, Dionysos est le dieu détenteur du trésor du dème61. À Ikarion aussi, le sanctuaire de Dionysos apparaît donc comme le centre religieux et politique du dème.
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15Ainsi, les théâtres construits sur l’agora des dèmes permettent d’accueillir non seulement des assemblées théâtrales mais aussi des assemblées politiques ; ils constituent en effet des lieux de réunion idéaux pour les démotes, pour assister à un spectacle comme pour participer à un débat politique. En revanche, dans la ville même d’Athènes, les citoyens veillaient à ce que l’ekklèsia restât sur la Pnyx et n’investît pas trop souvent le théâtre de Dionysos, malgré les conditions optimales de confort, d’acoustique et de visibilité que ce dernier pouvait offrir. L’Assemblée ne se réunissait dans le théâtre que pour juger du déroulement des Grandes Dionysies et, probablement, pour cet impressionnant spectacle que devait être le passage en revue des futurs citoyens, les éphèbes. Ces deux séances annuelles de l’ekklèsia dans le théâtre de Dionysos venaient renforcer le caractère démocratique du théâtre, lieu de spectacle et de débat ; réciproquement, la monumentalité de l’édifice, même avant les travaux de la seconde moitié du IVe siècle, devait conférer à ces assemblées une dimension particulièrement solennelle.
Notes de bas de page
1 Nous y reviendrons p. 227-232.
2 Nous laisserons de côté les assemblées judiciaires tenues dans le théâtre de Dionysos Éleuthéreus, dont nous n’avons aucune trace pour l’époque classique et hellénistique. Cf. J.-Ch. Moretti, Théâtre et société, p. 119-120.
3 Démosthène, Contre Midias, 1 ; outre le sien propre, l’orateur évoque également divers autres cas de probolai (175-180 et 218). Voir aussi Aristote, Constitution d’Athènes, 59, 2 ; 43, 5 ; Harpocration, s.v. προβαλλομένους et προβoλάς.
4 En 283/282 avant J.-C., l’examen de la conduite des archontes et des chorèges était encore pris très au sérieux, à en croire une inscription trouvée sur l’agora (SEG, XXV, 89, l. 10-19 ; cf. B. D. Meritt, « Greek Inscriptions », Hesperia, 7, 1938, p. 77-160 [100-102], citée par A. W. Pickard-Cambridge, The Dramatic Festivals of Athens, p. 69).
5 Démosthène, Contre Midias, 9.
6 Sur la probolè (plainte préalable), cf. A. R. W. Harrison, The Law of Athens, vol. 2, 1971, p. 59-64 ; D. M. Macdowell, The Law in Classical Athens, p. 194-197 ; Id., Demosthenes. Against Meidias, Oxford, Clarendon Press, 1990, p. 13-16. Sur la loi d’Euégoros, voir Démosthène, Contre Midias, 9. Cf. Eschine, Sur l’ambassade, 61 ; Contre Ctésiphon, 52.
7 Démosthène, Contre Midias, 175 : il y est fait mention d’une plainte préalable déposée par un Carien du nom de Ménippe.
8 Démosthène, Contre Midias, 6.
9 Démosthène, Contre Midias, 3 (cf. D. M. Macdowell, Demosthenes. Against Meidias, ad loc.) et 32 ; Aristote, Constitution d’Athènes, 59, 2.
10 D. M. MacDowell, op. cit., p. 15-16 ; voir en effet Démosthène, Contre Midias, 152.
11 Cf. D. M. MacDowell, op. cit., p. 27-28.
12 IG II², 223, B 11.
13 A. W. Pickard-Cambridge, The Dramatic Festivals of Athens, p. 70.
14 W. A. MacDonald, Political Meeting Places of the Greeks, Baltimore, The Johns Hopkins Press, 1943, p. 47-51. Cf. M. H. Hansen, The Athenian Assembly, p. 14; Id., « How Many Athenians Attended the Ecclesia? », p. 117 et n. 17-19.
15 IG II ², 348, l. 4.
16 Hesperia, 7, 1938, p. 102, no 18, l. 19.
17 IG II ² 896, l. 5, 31 et 32.
18 A. W. Pickard-Cambridge, op. cit., p. 27.
19 Voir S. Goldhill, « The Great Dionysia and Civic Ideology », in Fr. Zeitlin et S. Goldhill (éd.), Nothing to Do with Dionysos?, p. 97-129.
20 Voir W. A. Macdonald, op. cit., p. 50-51.
21 IG II² 350, l. 3-6:… Ἀνθεστη] ρòιῶνος ἕ [κτει]/[μετ᾽ εἰκάδας, ἐνάτ] ει καὶ δεκά[τει]/[τῆς πρυτανείας· ἐ] κκλησία ἐν Δι[ο] - /[νύσου ·…
22 Frank Kolb, qui y renvoie, la date de 331/330 avant J.-C. (Fr. Kolb, Agora und Theater, p. 94 n. 51).
23 Cf. notamment A. W. Pickard-Cambridge, The Dramatic Festivals of Athens, p. 1-25 ; H. W. Parke, Festivals of the Athenians, Ithaca, Cornell University Press, 1990 (Londres, Thames & Hudson, 1977), p. 107-120 ; et surtout l’étude très détaillée de R. Hamilton, Choes and Anthesteria. Athenian Iconography and Ritual, Ann Arbor, University of Michigan Press, 1992, qui offre une somme exhaustive des sources littéraires, épigraphiques et surtout iconographiques sur la question.
24 Aristote, Constitution d’Athènes, 42, 4.
25 J. Dillery, « Ephebes in the stadium (not in the theatre): Ath. Pol. 42.4 and IGII2 351 », CQ, 52, 2002, p. 462-470.
26 Ibid., p. 462-464.
27 J.-Ch. Moretti, « Le théâtre du sanctuaire de Dionysos Eleuthéreus », p. 293.
28 IG II2 351, l. 15-20 :...καὶ νῦν [ἐπ] ι [δέδ] ω [κεν] / εἰς τὴν ποίησιν τοῦ σταδ[ί]ου / καὶ τοῦ θεάτρου τοῦ Παναθη[ναϊ] -/κοῦ χίλια ζεύγη καὶ ταῦτα/πέπομφεν ἅπαντα π[ρὸ Π]αναθη-/ναίων καθὰ ὑπέσ[χετο…
29 J. Dillery, art. cit., p. 464-465.
30 Ibid., p. 466.
31 Ibid.
32 Voir P. J. Rhodes, A Commentary of the Aristotelian Athenaion Politeia, Oxford, Clarendon Press, 1981, p. 51-58.
33 Cf. Ph. Fraisse et J.-Ch. Moretti, Exploration archéologique de Délos, XLII, Le théâtre, 2 vol., Athènes, École française d’Athènes, 2007, vol. 1, p. 237.
34 Les travaux ont probablement débuté vers 350 et ont été achevé à l’époque de Lycurgue vers la fin des années 330 avant J.-C. : voir Pausanias, I, 29, 16 ; [Plutarque], Vie des dix orateurs, 841d et 852c ; R. F. Townsend, « The Fourth Century Skene », p. 421-438 ; H. R. Goette, « Griechischer Theaterbau der Klassik », p. 22-32.
35 Cf. A. Frantz et al., The Athenian Agora, XXIV. Late Antiquity, A. D. 267-700, Princeton, American School of Classical Studies at Athens, 1988, p. 24-25. Nous y reviendrons p. 226-227.
36 Lysias, Contre Agoratos, 32 ; voir également 55.
37 D. Whitehead, The Demes of Attica, 508/7-ca. 250 B. C. A Political and Social Study, Princeton, Princeton University Press, 1986, p. 86-90. David Whitehead s’appuie en particulier sur le discours Contre Euboulidès de Démosthène, seule source qui relate en détail une assemblée de dème, celui d’Halimonte en l’occurrence.
38 Fr. Kolb, Agora und Theater, p. 90 ; R. Martin, Recherches sur l’agora grecque, p. 252.
39 Fr. Kolb, op. cit., p. 98 ; R. Martin, op. cit., p. 252. Cf. également H. Bulle, Untersuchungen an griechischen Theatern, Münich, Verlag der Bayerischen Akademie der Wissenschaften, 1928, p. 248.
40 Fr. Kolb, op. cit., p. 90.
41 M. H. Hansen et T. Fischer-Hansen, « Monumental Political Architecture in Archaic and Classical Greek Poleis : Evidence and Historical Significance », in D. Whitehead (éd.), From Political Architecture to Stephanus Byzantius : Sources for the Ancient Greek Polis, Wiesbaden, Steiner, 1994, p. 23-90 (p. 51-53).
42 Ibid. p. 52.
43 Voir R. Martin, Recherches sur l’agora grecque, p. 279-283 notamment.
44 Notons que cette thèse n’a pas toujours remporté l’adhésion : voir notamment R. Seaford, « Agora and Theatre », compte rendu de Fr. Kolb, Agora und Theater, CR, 33, 1983, p. 288-289.
45 Fr. Kolb, Agora und Theater, p. 73.
46 Ibid. p. 72.
47 Ibid. p. 68-72 ; H. R. Goette, « Griechischer Theaterbau der Klassik », p. 14-15 ; V. Petrakos, Ὁ δῆμος τοῦ Ραμνοῦντος. Σύνοψη τῶν ἀνασκαφῶν καὶ τῶν ἐρευνῶν, 2 vol. , Athènes, Arkhaiologike Etaireia, 1999, vol. 1, p. 89-94. Jean-Charles Moretti souligne que le théâtre est désigné comme tel dans une inscription datant de la seconde moitié du IIIe siècle avant J.-C. : IG II ² 1311, l. 7 (J.-Ch. Moretti, Théâtre et société, p. 133 et n. 1) ; sur cette inscription, voir également V. Petrakos, op. cit., vol. 2, no 19 p. 25-26.
48 IG II² 2849.
49 V. Petrakos, op. cit., vol. 1, p. 123-127.
50 Sur la chronologie de l’édifice, voir notamment H. F. Mussche et al., Thorikos I. 1963, Rapport préliminaire sur la première campagne de fouilles, Bruxelles, Comité des fouilles belges en Grèce, 1968, p. 105-118 ; H. F. Mussche et al., Thorikos III, 1965, Rapport préliminaire sur la troisième campagne de fouilles, Bruxelles, Comité des fouilles belges en Grèce, 1967, p. 75-96 ; H. R. Goette, art. cit., p. 12-13 ; H. F. Mussche et al., Thorikos : A Mining Town in Ancient Attika, Gand, École archéologique belge en Grèce, 1998, p. 29-46.
51 Fr. Kolb, op. cit., p. 65.
52 H. Van Looy, « Le théâtre de Thorikos et les représentations dramatiques », in H. F. Mussche (éd.), Studies in South Attica II (Miscellanea Graeca 9), Gand, École archéologique belge en Grèce et université de Gand, 1994, p. 11-25 (p. 17).
53 H. Bulle, Untersuchungen an griechischen Theatern, p. 9-15 ; ces hypothèses ont fortement influencé un certain nombre d’archéologues, cf. H. F. Mussche et al., Thorikos I, p. 112-113.
54 D. Vanhove, Fouilles de Thorikos III, Graffiti Dipinti Stamps, Louvain, Peeters, 2006, p. 70. Au sujet des ἴκρια, Doris Vanhove renvoie ici à H. Van Looy, art. cit., p. 10. Sur la Salle no 2, voir H. Van Looy, art. cit., p. 14, et surtout H. F. Mussche, Thorikos, p. 34-35. On est parfois allé jusqu’à en faire la salle du Conseil du dème, un bouleutèrion local : cf. H. Bulle, op. cit., p. 11.
55 Voir Pollux, IV, 123 ; Etymologicum Magnum, s.v.
56 H. Van Looy, art. cit., p. 14.
57 D. Vanhove, op. cit., p. 70 ; H. F. Mussche, Thorikos, p. 31.
58 J.-Ch. Moretti, « Le théâtre du sanctuaire de Dionysos Eleuthéreus », p. 278, n. 6.
59 Ibid., p. 279 ; voir en effet IG I3, 254.
60 W. R. Biers et Th. D. Boyd, « Ikarion in Attica : 1888-1981 », Hesperia, 51, 1982, p. 1-18 (p. 14).
61 Fr. Kolb, Agora und Theater, p. 72. Cf. IG I3, 253.
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