Chapitre II. La tragédie, son public et la démocratie1
p. 105-138
Texte intégral
1« Holà ! public éminemment sagace ! ouvrez bien vos oreilles2 ! » : ainsi Aristophane interpelle-t-il les spectateurs du théâtre de Dionysos. Nous venons de voir comment la comédie établit un dialogue constant entre l’orchestra et les gradins, créant ainsi une cohésion exceptionnelle non seulement entre le poète, le chœur, les acteurs et les spectateurs, mais aussi entre les spectateurs eux-mêmes.
2Qu’en est-il de la tragédie ? Doit-on imaginer un public silencieux, assistant passivement, pour ainsi dire, au spectacle tragique ? Le poète tragique ignorait-il ses spectateurs ? Comme le remarque David Wiles, « les acteurs et le chœur du théâtre grec ne pouvaient regarder au-delà des spectateurs, ou au-dessus de leurs têtes, ou dans l’obscurité et l’éblouissement des projecteurs. Les gestes et le regard des acteurs et du chœur embrassaient nécessairement le theatron et intégraient ainsi le public dans le champ spatial de la représentation3 ». En outre, lorsque Platon, dans les Lois, regrette « les sifflets et les cris discordants de la foule » et « les applaudissements donneurs de louanges4 », il ne réserve pas sa critique au public des représentations comiques, mais vise le public du théâtre en général. Rien n’indique que le comportement des spectateurs ait été radicalement différent selon qu’ils assistaient à une tragédie ou à une comédie – même si, par nature, la comédie devait susciter une « heureuse pagaille (thorubos chrèstos) » pour reprendre une expression d’Aristophane5. Démosthène évoque ainsi les « figues, raisins et olives » que « ramassait » Eschine lors de ses prestations tragiques, ou encore les « sifflets » dont il était la cible6.
3On envisage pourtant assez généralement, à l’instar d’Oliver Taplin, « l’inactivité du public » comme « un pré-requis vital de l’expérience tragique7 ». Dans la tragédie grecque, écrit ainsi George Chapman, « il n’y a pas du tout de conscience du public » ; cette dernière « est jouée en face d’un public », tandis que « la Comédie Ancienne est explicitement jouée pour un public8 ». Il n’y aurait dans la tragédie aucune allusion métathéâtrale, le poète tragique prenant toujours soin de ne pas introduire d’éléments anachroniques dans le monde homérique qu’il met en scène9. Bien que Gregory Sifakis ait démontré, dès 1971, que, appliquée au théâtre antique, la notion d’« illusion dramatique » est toujours anachronique10, celle-ci participe, pour beaucoup de critiques, de la définition du genre tragique et marque la frontière entre la comédie et la tragédie. Ainsi, l’absence de dialogue entre l’orchestra et les gradins et, plus précisément, l’absence d’adresses aux spectateurs dans la tragédie, fait partie d’une doxa incontestée sur le genre, cautionnée par les travaux de David Bain. Malgré un intérêt croissant, depuis quelques décennies, pour le contexte de la représentation dramatique, la plupart des critiques et commentateurs laissent la question de côté.
4Écoutons cependant le messager d’Œdipe Roi :
« Vous êtes là, vous, qui représentez le plus pur honneur de la patrie ! Ah ! qu’ont-ils fait ! vous allez l’entendre… qu’ont-ils fait ! vous allez le voir11… »
5Nous tenterons de montrer, dans les pages qui suivent, que ce messager interpelle en même temps le chœur et les citoyens massés sur les gradins du théâtre. Il parle de ce que le chœur et le public – et non pas le chœur et, accessoirement, le public – vont voir et entendre. Et si nous avons choisi cette réplique parmi tant d’autres, ce n’est pas seulement parce qu’elle est un bon exemple d’adresse au public de la tragédie, mais aussi parce qu’elle est mise dans la bouche du messager. Or le traitement généralement réservé par les critiques à ce personnage est révélateur de cette conception si répandue d’une tragédie froide et coupée de son public.
6Jusque dans les années 1990, les récits de messagers (angeliai) étaient envisagés sous un angle presque exclusivement fonctionnaliste. Jan Marteen Bremer, pour ne citer qu’un exemple de ce qui constitue la doxa en la matière, a ainsi soutenu que l’angelia était une « nécessité », imposée par les contraintes de la scène tragique12. Le messager aurait été, selon cette analyse, un personnage conventionnel, voire purement utilitaire, débitant un discours convenu et, par conséquent, peu digne d’intérêt. Il était également entendu que le messager n’avait aucune individualité ni caractère13.
7Cette analyse fonctionnaliste, qui compare en outre les récits de messagers à la fenêtre invisible de la narration épique, n’est pas récente : elle est développée depuis la fin du XIXe siècle14. Mais dès cette époque également, des voix discordantes s’élèvent pour la contester : Johannes Rassow ou, quelques décennies plus tard, Johannes Fischl et Erich Henning, se sont notamment attachés à démontrer que, malgré son anonymat, chaque messager est un personnage à part entière, doté d’un caractère propre15. Cependant, après eux, on ne remet plus vraiment en question l’idée que l’angelia n’est qu’un moyen pour raconter ce qui n’a pu être montré sur scène et que le messager n’est qu’un personnage secondaire. C’est sans doute ce qui explique le désintérêt de la critique que nous évoquions plus haut. En effet, quand on a démontré que ce personnage et son récit étaient purement utilitaires, qu’ajouter de plus ? Depuis quelques années cependant, des études ont démontré les limites de cette analyse, en mettant en lumière la richesse des récits de messager.
8Irene De Jong, tout d’abord, publie en 1991 un ouvrage consacré aux récits de messagers dans les tragédies d’Euripide16 dans lequel elle conteste sérieusement l’analyse fonctionnaliste et démontre que, loin d’être un discours transparent et impersonnel, le récit de messager caractérise celui qui le prononce. Avec les outils de la narratologie, ce livre se présente comme une grammaire des récits de messagers euripidéens, mais s’intéresse peu au contexte de la représentation. Paru une dizaine d’années après, l’ouvrage de James Barrett17 change définitivement notre vision des récits de messagers tragiques ; il met en avant le fait que le messager joue « un rôle important dans la réflexion de la tragédie sur elle-même : l’angelia se trouve au centre d’un important réseau autoréférentiel, allant des transgressions plaisantes de la convention jusqu’à des formes plus élaborées de méta-théâtre18 ».
9Pour notre part, nous verrons, après avoir démontré l’existence, dans la tragédie, d’adresses destinées au public en général, aux citoyens-spectateurs en particulier, en quoi le messager, loin d’être une simple convention théâtrale, est un personnage proche à bien des égards du citoyen-spectateur. Spectateur lui-même, le messager assiste à une scène qu’il va ensuite donner à voir aux autres personnages et au public, absents quand se déroulait ce drame en marge du drame. Citoyen, malgré son humble naissance, il prend librement la parole ; il s’adresse au dèmos massé sur les gradins du théâtre et l’incite à la délibération ; il fait ainsi le lien entre le temps et le lieu du drame et le « ici et maintenant » du public.
Les adresses aux spectateurs dans la tragédie
10À l’inverse de l’idée généralement admise, et à l’instar de la comédie, les adresses au public sont pour la tragédie un moyen de créer de la cohésion entre l’orchestra et les gradins, mais aussi entre les spectateurs eux-mêmes. Certes, il n’existe pas, dans la tragédie, d’adresse directe aux spectateurs – comme c’est le cas dans la comédie d’Aristophane. Elles sont destinées formellement à des personnages, à des figurants ou encore au chœur ; c’est seulement en vertu de l’ambiguïté, ce ressort fondamental du tragique grec, que le public en devient le destinataire. Il est donc très difficile d’en dresser un inventaire précis et exhaustif. À partir de celles qui nous paraissent les plus explicites, nous tenterons néanmoins d’en ébaucher une typologie. Nous intéresserons ensuite, plus précisément, au Prométhée enchaîné d’Eschyle, qui, pendant plus de mille vers, ne cesse d’interpeller les spectateurs sur le sort qui lui est fait.
La place du citoyen-spectateur dans la tragédie
11Si les adresses au public du théâtre de Dionysos ne sont jamais directes, elles sont nombreuses et variées. Tout d’abord, le poète tragique peut s’adresser à son public par des apophtegmes – ou gnômai – sur un ton qui n’a rien à envier au didactisme de la parabase comique. Ce type d’adresse, qui n’est pas spécifiquement tragique, ni même théâtral, puisqu’on en trouve aussi bien dans la poésie lyrique que dans les fables ésopiques, par exemple, était très familier au public, qui devait donc y être particulièrement réceptif. Ainsi, par exemple, dans les Suppliantes d’Euripide, Adraste déclare :
« Et ce qu’apprend l’enfant, l’homme le retiendra jusqu’en ses vieux jours. Donc élevez bien vos fils19 ! »
12On peut également citer Héraclès, toujours chez Euripide :
« Ah ! mes vieux compagnons, la vie est peu de chose… Vous la traverserez avec tout ce qu’elle a de douceur à offrir, si seulement de jour en jour vous atteignez le soir sans trop souffrir ! Le temps n’a point à cœur d’épargner nos espoirs ; son zèle est pour lui seul : tâche faite, il s’envole20. »
13Certes, ces remarques sont d’abord adressées au chœur – chœur de femmes dans les Suppliantes, chœur de vieillards, dans Héraclès –, mais leur tonalité leur donne une dimension universelle, les destine à l’ensemble des spectateurs voire du genre humain. Ce sont des « leçons de vie », comme les qualifie une étude récente21.
14Il est ensuite un autre type d’adresses, bien différent des apophtegmes car très fréquent et spécifiquement théâtral : les adresses au public qui se font par l’intermédiaire d’injonctions – de verbes à l’impératif, donc – destinées à l’un des personnages du drame ou, le plus souvent, au chœur. S’il peut s’agir parfois d’injonctions d’écouter ou de faire silence, la plupart des adresses de ce type sont des invitations à regarder, à contempler. C’est à ces dernières que nous nous intéresserons ici.
15On remarque en effet, dans la plupart des tragédies, un emploi récurrent du verbe « voir » à l’impératif : ἰδού, ἴδετε, ὁρᾶτε, ou encore ἔπιδε. Par exemple, Cassandre, dans l’Agamemnon d’Eschyle : « Vois (ἰδού) : c’est Apollon lui-même qui me dépouille de la vêture prophétique22. » Si David Bain ne voit dans ces injonctions que le résultat d’un changement de registre (du decorum tragique, on passe à un mode d’expression plus familier, à un « voyez-vous ça » sans conséquence23), il nous semble qu’il s’agit plutôt de recentrer l’attention des theatai, c’est-à-dire, littéralement, des gens qui contemplent, sur le drame qui est en train de se jouer, de leur demander d’ouvrir l’œil. On n’est pas loin des adresses comiques, directes quant à elles, et dans lesquelles le poète demande à son public d’être particulièrement attentif. Dans Œdipe à Colone, Créon semble interpeller presque directement les spectateurs :
{ΚΡ.} Ὁρᾶτε ταῦτα, τῆσδε γῆς ἐγχώριοι;
« Créon. – Voyez-vous cela, vous autres, les gens du cru, les gens d’ici24 ? »
16Comme le chœur à qui s’adresse d’abord Créon, les spectateurs étaient, dans leur grande majorité, « des gens du cru, des gens d’ici » – notons au passage la redondance de la formule. Cela ne fait pas l’ombre d’un doute, ils étaient doublement visés par cette réplique, tant en qualité de spectateurs qu’en leur qualité d’autochtones au sens athénien du terme, au sens civique et politique. La réponse d’Œdipe corrobore cette lecture :
« Œdipe. – Ils nous voient, toi et moi (ὁρῶσι κἀμὲ καὶ σέ), et se rendent compte : ce sont des actes que j’ai à subir, et je n’ai que des paroles pour riposter25. »
17Par l’intermédiaire du chœur, les spectateurs sont pris à témoin par les personnages du drame ; ils deviennent les juges du différent qui oppose Œdipe à Créon, comme s’ils assistaient à un débat à l’Assemblée ou à l’Héliée.
18Ainsi, bien qu’indirectes, ces différentes adresses sont-elles un moyen pour le poète tragique de créer une cohésion entre l’orchestra et les gradins. Or dans certaines pièces, le poète va plus loin encore ; il implique physiquement le public dans l’action, par un autre type d’adresses. Lorsque Thésée demande à Adraste, à propos des guerriers tombés devant Thèbes : « D’où vient, à ces héros, leur courage éclatant ? Dis-le, toi plus habile, aux jeunes gens d’Athènes (εἰπὲ δ᾽ ὡς σοφώτερος/νέοισιν ἀστῶν τῶνδ᾽)26 », certes, il fait d’abord référence aux jeunes Athéniens venus l’accompagner dans sa mission. Néanmoins, il me semble clair que les spectateurs se sentent également visés, comme le laisse entrendre le déictique tônde, qu’on imagine aisément accompagné d’un geste englobant à la fois les figurants et le public27.
19L’exemple des Euménides d’Eschyle est également tout à fait probant. En effet, la longue tirade de la Pythie qui ouvre la pièce remémore aux spectateurs des lieux familiers à beaucoup d’entre eux, les intègre progressivement à ce décor delphique, de façon à ce qu’ils s’identifient aux visiteurs du sanctuaire. Ainsi, pour Peter Arnott, lorsque la Pythie interpelle les fidèles (« si quelques pèlerins nous sont venus de Grèce, qu’ils s’approchent28… »), « il n’est sûrement pas nécessaire d’imaginer une foule sur scène. Elle parle simplement et directement, à la foule réelle, le public, qu’elle voit clairement et dont la présence l’encercle ». Les spectateurs ont ici une « utilité dramatique », ils sont « utilisés quasiment comme des acteurs29 ». Comme dans la comédie – nous pourrions citer ici les Acharniens ou l’Assemblée des femmes d’Aristophane – les spectateurs sont intégrés à la fiction et le theatron fait décor. Cette assimilation se poursuit dans toute la tragédie, puisque, à la fin, les citoyens-spectateurs massés sur les gradins du théâtre sont interpellés par Athéna, qui s’adresse à eux à travers les juges chargés du cas d’Oreste – la question de savoir si des figurants silencieux jouaient ce rôle ou si c’était le public qui représentait le jury se pose ici aussi :
Κλύοιτ᾽ ἂν ἤδη θεσμόν, Ἀττικὸς λεώς,
πρώτας δίκας κρίνοντες αἵματος χυτοῦ.
« Écoutez maintenant ce que je fonde ici, ô peuple de l’Attique, vous, juges, appelés les premiers à trancher une affaire de sang versé30. »
20Et l’attitude du chœur face au public n’est pas différente de celle de la déesse :
« Vous autres, écoutez bien sa réponse, je vous prends à témoin (ὑμᾶς δ᾽ ἀκούειν ταῦτ᾽ ἐγὼ μαρτύρομαι)31.
Adieu, vivez heureux, je répète mon vœu, vous tous qui résidez en cette ville (πάντες οἱ κατὰ πτόλιν), mortels ou divinités. Déjà votre cité est celle de Pallas : qu’elle honore celles à qui elle octroie le droit de séjour, et vous n’aurez pas à vous plaindre du sort que vous fera la vie32. »
21Les spectateurs sont invités à se transporter en imagination du théâtre à l’Aréopage, de l’autre côté de l’Acropole, et à y siéger, pour les besoins de la fiction, soudain promus juges de la cour suprême, de simples héliastes qu’ils étaient pour une grande partie d’entre eux. La tragédie devient ainsi l’occasion de rappeler aux spectateurs qu’ils sont aussi et surtout des citoyens, de mettre en avant la souveraineté du dèmos dont ils font partie.
22Or si l’exemple des Euménides est le plus probant, car le public – athénien en grande partie – y joue le rôle de citoyens athéniens, ce n’est pas la seule pièce où le public est assimilé à un rassemblement de citoyens. Les Sept contre Thèbes d’Eschyle, pour prendre un exemple qui a fait couler beaucoup d’encre, s’ouvrent avec le personnage d’Étéocle apostrophant ses concitoyens, alors que le chœur n’a pas encore fait son entrée dans l’orchestra :
« Citoyens cadméens (Κάδμου πολῖται) ! Je vais vous parler comme le moment l’exige33. »
23Pour Günther Zuntz, cette tournure change les citoyens d’Athènes massés sur les gradins en citoyens de la cité de Cadmos34 ; c’est également une évidence pour David Wiles, qui explique comment « un regard balayant le public permettait de définir le theatron comme étant les murs de la cité, entourant la cour sacrée de la cité représentée par l’orchestra35 ». Pour David Bain, comme pour Oliver Taplin, en revanche, il ne s’agit pas d’une adresse au public, mais simplement d’une tournure banale, destinée à des figurants ; le public athénien ne serait pas disposé à jouer le rôle d’un corps civique d’une autre cité que la sienne, encore moins à « endosser le rôle d’une partie restreinte de ce corps civique et à s’imaginer avoir, comme ces hommes, l’âge qui les rendait susceptibles de participer au combat36 ». Pourtant, comme l’ont bien montré les travaux de Froma Zeitlin sur l’image de Thèbes dans le théâtre athénien, la cité ennemie d’Athènes était fréquemment utilisée comme l’exact négatif de l’image qu’Athènes se faisait d’elle-même37 ; adopter le point de vue de l’ennemi permettait aux Athéniens de poser sur eux-mêmes un regard plus complexe, plus fécond38. De même, si les spectateurs n’avaient pu s’identifier au chœur des Perses – autres ennemis d’Athènes – en entendant la reine Atossa s’écrier « Malheur à moi ! quel affreux désastre, mes amis39 ! », comment la tragédie d’Eschyle aurait-elle suscité une quelconque émotion ?
24Dans Agamemnon, également, le public est assimilé à un rassemblement citoyen. Clytemnestre déclare en effet au chœur :
« Citoyens, vénérables Anciens d’Argos ici présents (ἄνδρες πολῖται, πρέσβος Ἀργείων τόδε), je n’aurai pas honte d’exposer devant vous quels sont les sentiments d’amour que je porte à mon mari40… »
… tandis que Cassandre, la Troyenne, les supplie :
« Oh étrangers (ἰὼ ξένοι) ! Non, je ne suis pas un oisillon qui piaule de terreur devant un fourré. Je veux qu’après ma mort vous portiez pour moi témoignage de tout cela, le jour où pour moi il en mourra une autre – femme pour femme ! – et où pour le mari d’une indigne épouse un autre tombera – homme pour homme ! De vous qui m’avez accueillie, j’attends cette faveur au moment de mourir41. »
25Comment les citoyens spectateurs pourraient-ils ne pas se sentir interpellés par Clytemnestre qui leur expose avec cynisme son désamour pour Agamemnon, puis par Cassandre, qui les prend littéralement à témoin des meurtres dont le roi d’Argos et elle-même seront victimes ?
26Ainsi, les spectateurs du théâtre de Dionysos, qu’ils assistent à des représentations comiques ou tragiques, sont non seulement intégrés à l’action en tant que public, mais également pris en compte en tant que politai, habitués à délibérer. Lorsque Créon, dans Œdipe Roi, entre dans l’orchestra en déclarant : « On m’apprend, citoyens (andres politai) que notre roi Œdipe se répand contre moi en propos singuliers42 », il s’adresse aux citoyens spectateurs comme le font les orateurs à l’ekklèsia ou à l’Héliée. Comme Aristophane, bien que de façon différente, les poètes tragiques jouent avec la similitude des espaces du théâtre de Dionysos et de la Pnyx : les theatai ne peuvent regarder passivement la tragédie, on leur rappelle sans cesse leur qualité de politai. Antigone me semble bien résumer cette idée, lorsqu’elle dit :
« Voyez-moi, citoyens du pays de mes pères (Ὁρᾶτ᾽ ἔμ᾽, ὦ γᾶς πατρίας πολῖται), suivre ici mon dernier chemin. Voyez-moi donner un dernier regard à l’éclat du soleil. Puis tout sera fini43. »
27Comme Prométhée, auquel nous allons venir maintenant, Antigone exige des citoyens spectateurs qu’ils regardent la tragédie qui est la sienne.
« Voyez : c’est moi, c’est un dieu sous les chaînes44 »
28Le Prométhée enchaîné a été beaucoup étudié, principalement en raison de l’incertitude qui plane, aujourd’hui encore, sur l’identité de son auteur et sur les deux autres pièces perdues de la trilogie que cette tragédie ouvrait. Il s’agira ici d’examiner la façon dont, grâce au champ lexical du regard et de la vue45, les acteurs et le chœur s’adressent aux spectateurs pour les intégrer physiquement dans le jeu dramatique et en faire quasiment des acteurs.
29Tout au long de la pièce, Prométhée est exposé aux regards de tous : des personnages qui se succèdent au pied de son rocher, du chœur, et, bien sûr, des spectateurs. Il est enchaîné, immobilisé, au centre de l’orchestra, selon toute probabilité. En effet, l’archéologie a permis de montrer que les acteurs, comme le chœur, évoluaient, la plupart du temps, dans l’orchestra, et non en hauteur, sur une quelconque estrade en bois46. S’opposant ainsi à la thèse qui fait du proskènion une invention athénienne de la fin du ive siècle destinée à répondre aux exigences scéniques de la Comédie Nouvelle47, Jean-Charles Moretti démontre que, avant l’époque impériale, les acteurs, d’une manière générale, jouent rarement ailleurs que dans l’orchestra48. D’ailleurs, Egert Pöhlmann a montré que dans des théâtres périphériques comme celui de Thorikos et, plus encore, celui d’Ikarion, il n’y avait pas de place pour un proskènion, l’orchestra étant déjà trop exiguë49.
30Revenons à présent au Prométhée enchaîné. Après que Héphaïstos l’a cloué au rocher, à contrecœur, sur ordre de Zeus et sous le regard vigilant de Bia (Force) et Kratos (Pouvoir), le chœur des Océanides arrive sur un char ailé afin de consoler le Titan :
« Écarte tout effroi : /elle est amie,/notre cohorte que voici !/À vif assaut d’ailes rapides/nous avons rallié ce pic50… »
31Comment cette scène serait-elle possible si le personnage de Prométhée était sur une estrade et que les Océanides s’adressaient à lui d’en bas, de l’orchestra ? Il y a, en outre, entre le protagoniste et le chœur une proximité physique évidente, nous le verrons, qui permet à ce dernier de s’exclamer :
Λεύσσω Προμηθεῦ·
φοβερὰ δ’ἐμοῖσιν ὄσσοις
ὀμίχλη προσῇξε πλήρης
δακρύων σὸν δέμας εἰσιδοῦσαν
πέτρᾳ προσαυαινόμενον
« Nous voyons, Prométhée !/Et dans nos yeux/se gonfle une buée d’effroi/qui monte et les emplit de larmes,/lorsque nous fixons nos regards/sur ton corps cloué à la pierre51… »
32Comment les Océanides pourraient-elles prononcer ces paroles si Prométhée était au-dessus d’elles ? Car, dans ce cas, non seulement elles ne le verraient que difficilement, mais en outre cela les obligerait à tourner le dos au public, ce qui est tout à fait impensable. De même, il est impossible que le chœur s’adresse ainsi au Titan tout en lui tournant le dos pour faire face aux spectateurs52. Le personnage de Prométhée ne saurait être placé sur une quelconque estrade, car, nous allons le voir, il est, tout au long de la pièce, au centre des regards du chœur, mais aussi des autres personnages, et bien sûr, du public.
33Pour cette même raison, il est fort probable que Prométhée était placé au centre de l’orchestra, au point de convergence de tous les regards. L’idée selon laquelle un rocher affleurant naturellement à proximité de l’eisodos gauche aurait été utilisé fréquemment à des fins dramatiques, et notamment lors de la représentation du Prométhée enchaîné, mais aussi des Euménides ou encore d’Ajax53 est contraire à cette exigence de centralité, puisque les regards du public auraient ainsi convergé vers un point situé en marge de l’orchestra54. En effet, comment les spectateurs auraient-ils pu se concentrer sur une pièce jouée sur le côté, en dehors de l’orchestra qu’ils encerclaient ? Beaucoup auraient été contraints à se contorsionner pour voir quelque chose du spectacle qui se serait déroulé presque derrière eux.
34Ainsi, le centre de l’orchestra, le point où convergent les regards de tous les spectateurs, constitue l’épicentre dramatique55. David Wiles a beaucoup insisté sur cette notion de « focus on the centre point56 ». S’appuyant sur une anecdote rapportée par Plutarque, au sujet du tyran Mamercos, il montre comment « le centre semble l’endroit naturel à occuper pour un orateur démocratique. Les lignes radiales de la Pnyx convergent vers la plate-forme de l’orateur ou juste devant57 ». Cette disposition autour d’un point central s’appuie sur « deux notions complémentaires : la notion de publicité et celle de communauté », pour reprendre les termes de Marcel Detienne58, toutes deux essentielles pour l’assemblée démocratique comme pour la représentation théâtrale. En effet, il semble naturel que les acteurs, comme les orateurs, se placent au centre, es meson, afin d’être vus et entendus de tous59.
35Or être vu est justement la préoccupation principale de Prométhée. Condamné à l’immobilité, le Titan ne peut que crier sa rage contre le père des dieux et inviter tous ceux qui l’entourent à contempler ses souffrances :
« On vient, aux confins du monde, jusqu’à ce roc pour se faire le spectateur de mes peines (πόνων ἐμῶν θεωρός) ? Ou sinon, que me veut-on ? Eh bien, voyez (ὁρᾶτε) : c’est moi, c’est un dieu sous les chaînes60… »
36Il s’adresse de la même façon au chœur des Océanides61, à Océan62, et supplie également le Soleil, l’Eau, la Terre, et l’Éther de regarder ce que Zeus lui fait endurer63. C’est d’ailleurs sur une invocation tout à fait comparable que s’achève la tragédie :
« Ô Sainte Majesté de ma mère, et toi le Ciel, qui fais rouler sur tous ta Lumière indivise, vous voyez (ἐσορᾷς) quels tourments iniques l’on m’inflige64 ! »
37Ainsi, tout au long de la pièce, Prométhée invite expressément le regard et exhibe son corps meurtri à la face du monde entier. « Voyez, regardez, contemplez ! », gémit le Titan à l’adresse de qui veut l’entendre : le chœur des Océanides, leur père, mais aussi tous les autres personnages de la tragédie et, à travers eux, les theatai, « ceux qui regardent », et qui ne peuvent se soustraire à ses injonctions. Le regard des spectateurs est sans cesse concentré sur le protagoniste, redirigé au centre de l’orchestra.
38Le chœur ne laisse pas sans réponse les appels incessants de Prométhée. En effet, si Océan lui répond sobrement, « je vois (horô)65 », ses filles laissent libre cours à l’émotion que suscite en elles la vue du protagoniste cloué au rocher :
… ἐγὼ γὰρ οὔτ’ἂν εἰσιδεῖν τάδε
ἔχρῃζον εἰσιδοῦσά τ’ ἠλγύνθην κέαρ
« Je voudrais n’avoir jamais vu (tes peines), et de les voir j’ai le cœur déchiré66. »
39Non seulement les Océanides rassurent Prométhée en lui signifiant qu’elles voient bien le supplice qui lui est infligé, mais elles « verbalisent » aussi le regard que portent les spectateurs sur le corps meurtri du Titan ; le chœur est ici, plus encore que dans toute autre tragédie, ce public interne que nous évoquions plus haut. Loin d’être le simple porte-parole des spectateurs, il leur suggère les émotions qu’ils sont censés ressentir et, ce faisant, définit le spectacle comme tragique67.
40Prométhée lui-même est conscient des émotions que provoque le spectacle de sa douleur :
« Voilà pourquoi je ploie sous le joug de pareils tourments (πημοναῖσι)… c’est martyre de les subir (πάσχειν μὲν ἀλγειναῖσιν), c’est pitié de les voir (οἰκτραῖσιν δ᾽ ἰδεῖν)68 ! »
« Oui, je suis pitoyable à voir pour ceux qui m’aiment (καὶ μὴν φίλοις ἐλεινὸς εἰσορᾶν ἐγώ)69. »
41Or sa certitude de faire naître la pitié dans le cœur des spectateurs ne révèle pas de la simple conscience tragique du héros, car Prométhée va plus loin encore, il se définit lui-même comme un spectacle :
« Et voilà comment implacablement je suis traité, spectacle funeste pour le renom de Zeus (Ζηνὶ δυσκλεὴς θέα)70 ! »
42Et un peu plus tard, à Océan :
« Regarde bien ce spectacle (δέρκου θέαμα) : moi, l’ami de Zeus, moi qui fus à ses côtés pour asseoir sa domination, vois sous quelles douleurs il me fait ployer aujourd’hui71 ! »
43Notons que le Titan est également ainsi défini dès les premiers vers de la pièce par Héphaïstos, qui dit à Kratos :
Ὁρᾷς θέαμα δυσθέατον ὄμμασιν.
« Tu vois de tes yeux un spectacle insoutenable à regarder72. »
44Ainsi, Prométhée incarne à lui seul le spectacle tragique, suscitant pitié et crainte ; le chœur et les autres personnages constituent son public, il le dit lui-même à Océan :
καὶ σὺ δὴ πόνων ἐμῶν/ἥκεις ἐπόπτης;…
« Te voilà donc venu toi aussi en spectateur de mes tourments73 ? »
45Il y a donc ici une cristallisation de tous les éléments constitutifs du spectacle tragique autour du personnage de Prométhée. Judith Fletcher dit à propos du récit du sacrifice d’Iphigénie dans l’Agamemnon que « la relation entre regardants et regardés dans le monde dramatique peut servir de paradigme pour l’interaction entre le public et le spectacle tragique74 ». Cette formule s’applique pleinement ici.
46À travers Océan et le chœur, et par le champ lexical du regard qui est déployé d’un bout à l’autre de la pièce, le spectateur assis sur les gradins du théâtre est clairement désigné comme theatès, « quelqu’un qui regarde », quelqu’un en qui « le poète doit susciter le plaisir (ἡδονήν) qui vient de la crainte et de la pitié par le biais de l’imitation75 » et du spectacle76. En effet, d’un côté, les exclamations apitoyées et bouleversées des Océanides expriment la douloureuse sensation d’impuissance ressentie par le public : le spectateur tragique regarde les souffrances de Prométhée mais ne peut rien faire. De l’autre, comme Zeus qui contemple du ciel avec un certain plaisir le supplice qu’il inflige au Titan rebelle et fait la sourde oreille à ses plaintes, le spectateur est un « voyeur » qui jouit de ce spectacle atroce qu’il domine du regard du haut des gradins.
47Or si Prométhée, immobilisé au centre de l’orchestra, réclame l’attention de ceux qui l’entourent, Io, au contraire, cherche à se soustraire au regard des autres. Le personnage d’Io nous paraît constituer le pendant féminin et mobile de Prométhée. La jeune fille fait irruption sur scène à demi métamorphosée en vache et poursuivie par un taon, double vengeance de Zeus qu’elle avait éconduit :
ἄλευ᾽, ἆ δᾶ, φοβοῦμαι,
τὸν μυριωπὸν εἰσορῶσα βούταν·
ὃ δὲ πορεύεται δόλιον ὄμμ᾽ ἔχων,
« Ha ! ha ! chassez-le ! à moi ! Quelle angoisse/de voir ses milliers de prunelles…/C’est lui, c’est mon bouvier… Il vient/en dardant ses regards sournois77… »
48Io cherche à se dérober aux mille regards de ce bouvier et court, affolée, à travers l’orchestra, à la recherche d’un lieu où se cacher. Or n’est-ce pas le public, plus que ce taon, qui darde sur la jeune fille affolée des milliers d’yeux ? N’est-elle pas cernée de toutes parts par les spectateurs qui l’encerclent et la suivent du regard ? Une fois de plus, le public, omnipotent, est du côté de Zeus, il s’impose à Io comme un taon qui la regarde en permanence78.
49Cependant, durant toute la pièce, Prométhée reste maître du jeu. La façon dont il désigne ceux qui le regardent, ses spectateurs, révèle la solennité particulière avec laquelle il entend être considéré. En effet, il n’emploie pas theatès, mais theôros79 et theôrèsôn, participe futur du verbe theôrô80, termes d’ordinaire utilisés pour désigner une « personne envoyée pour consulter un oracle », « pour assister à une fête religieuse81 ». Il utilise aussi epoptès82, qui désigne notamment l’initié du plus haut degré aux mystères d’Éleusis. Non seulement le Titan se définit comme un theama, mais il sacralise son corps et les souffrances qu’il endure. Plus que le centre spatial et symbolique de la pièce, Prométhée devient, le temps de la représentation, le centre du monde – ceci est d’autant plus sensible que cette tragédie est complètement hors du temps et de l’espace, bien loin du royaume argien d’Agamemnon et du palais de Xerxès. Tous les regards sont tournés vers le demi-dieu déchu. Ainsi, sans cesse apostrophés, quoique toujours indirectement, les spectateurs sont pris dans la série de cercles concentriques qui s’organise autour du Titan-omphalos et ne sauraient s’en détacher.
50Prométhée est le héros tragique qui tisse avec le public les liens les plus étroits. Cela s’explique notamment par son immobilité : un personnage cloué au milieu de l’orchestra est impossible à ignorer, mais il a aussi toutes les chances de devenir vite ennuyeux pour le public ; il ne cesse donc de parler, d’interpeller les spectateurs, pour, à la fois, verbaliser et immobiliser leur regard sur lui83. Mais il n’est pas le seul, loin de là, à attirer l’attention sur le sort qui lui est fait. Ainsi, dans les Trachiniennes, Héraclès exhibe, comme Prométhée, son corps meurtri :
Καὶ νῦν προσελθὼν στῆθι πλησίον πατρός,
σκέψαι δ᾽ ὁποίας ταῦτα συμφορᾶς ὕπο
πέπονθα· δείξω γὰρ τάδ᾽ ἐκ καλυμμάτων·
ἰδού, θεᾶσθε πάντες ἄθλιον δέμας,
ὁρᾶτε τὸν δύστηνον, ὡς οἰκτρῶς ἔχω.
« Eh bien, approche, tiens-toi près de ton père, et regarde quelle calamité
j’endure : je vais te la montrer sans voiles. Vois, considérez tous ce pauvre
corps, contemplez la victime en quel état pitoyable84 ! »
51Si Héraclès s’adresse dans un premier temps à son fils Hyllos (l’impératif skepsai est au singulier), on remarque ensuite un changement de nombre (theasthe est un pluriel)85 ; dans son exaspération, Héraclès passe soudainement du singulier au pluriel et de skopeô à theômai : il ne lui suffit plus que son fils le regarde, il veut aussi attirer l’attention des theatai, des spectateurs. Cet exemple le montre bien, si l’injonction de regarder permet d’attirer l’attention du public, elle est aussi le moyen d’insister sur la souffrance. C’est ainsi que les héros tragiques prennent les spectateurs à témoin, exhibent leurs blessures, déploient leurs malheurs. « Regardez-moi comme je souffre » : les adresses montrent combien le héros tragique a besoin d’un public pour exister ; le regard du spectateur fait la tragédie.
52Loin d’être ignoré et silencieux, le public des tragédies est en effet fréquemment sollicité, interpellé, pris à témoin… jamais directement certes, mais bien souvent par l’intermédiaire du chœur, ce qui permet aux spectateurs en général, et aux andres politai en particulier, de participer à l’assemblée théâtrale. C’est aussi le rôle que joue le personnage du messager, comme nous allons le voir à présent.
Le messager tragique et la démocratie
« Le Coryphée. – Attends de savoir exactement ce qui t’est réservé.
Électre. – Il n’en est pas question ! C’est la déroute : il y aurait eu des messagers (ποῦ γὰρ ἄγγελοι ;).
Le Coryphée. – Ils vont venir ! Ce n’est pas simple de mettre à mort un roi86 ! »
53Ce passage de l’Électre d’Euripide exprime bien à quel point le récit du messager était un moment attendu du public87 ; d’ailleurs, rares sont les tragédies qui n’en ont pas. On pourrait dire que l’attente des spectateurs était motivée par la curiosité d’entendre un rapport circonstancié des événements qui avaient eu lieu hors scène et auxquels ils n’avaient donc pas assisté. Mais cette curiosité ne suffit pas à expliquer l’importance du récit de messager dans la tragédie, à justifier le fait que plus de la moitié des céramiques recensées par Trendall et Webster88 qui illustrent une tragédie d’Euripide représentent une scène rapportée par un messager89. Pourquoi les récits de messagers étaient-ils si appréciés ? Comment le messager parvenait-il à focaliser sur lui l’attention du public pendant plusieurs centaines de vers parfois, alors que l’action scénique était suspendue le temps de son récit ? Nous essaierons de montrer ici que le messager – dont le récit était très formalisé90, certes – n’avait pas seulement pour fonction de raconter ce qui s’était passé hors scène et que sa présence avait un sens infiniment plus riche, qui le rapprochait des spectateurs plus que tout autre personnage.
Un personnage proche du citoyen-spectateur
54La réponse à la question de l’engouement pour les scènes de messagers réside, nous semble-t-il, dans la complicité qui s’établit, sur le plan politique et social, entre le messager et le citoyen-spectateur. Le messager est en effet un personnage d’extraction populaire – idée généralement admise mais dont on tire rarement toutes les leçons –, qui affiche sans complexe son appartenance au petit peuple. De condition servile, esclave91 – le plus souvent – ou nourrice92, le messager peut être aussi garde ou soldat93, ou encore – plus rarement – berger94 ou paysan95. Les rares messagers qui ne sont pas d’humble naissance s’avèrent, dans la plupart des cas, être de faux messagers – dont les récits ne sont guère convaincants96. Or la contradiction entre, d’une part la fonction civique induite par cette complicité entre le messager et le citoyen-spectateur et, d’autre part, sa condition sociale, n’est qu’apparente. En effet, le messager est plus proche des spectateurs que ne l’est le chœur. Si ce dernier est proche du public par son caractère collectif97, il ne l’est pas politiquement ; même lorsqu’il n’est pas composé de personnages nobles ou de divinités, mais de personnages populaires, amis, sujets ou serviteurs du héros, le chœur est lié à la destinée de ce dernier et ses intérêts sont, le plus souvent, ceux de ses maîtres. Le messager, en revanche, est un personnage de basse extraction mais indépendant, qui fait un rapport personnel et spontané de la scène à laquelle il a assisté. Tandis que le chœur appartient plutôt, comme les personnages, au monde du mythe, les messagers, eux, nous offrent une série de portraits de gens « ordinaires » du Ve siècle, qui ne permettent évidemment pas de retracer les contours d’une classe ni même d’une catégorie sociale, mais qui n’en sont pas moins conformes à ce que devait être la conception athénienne de l’« Athénien moyen », citoyen de la cité démocratique. En effet, nous le verrons, au-delà de son sexe et sa condition sociale, qu’il soit serviteur du roi Agamemnon ou nourrice de la princesse Déjanire98, le messager est aussi un citoyen.
55Mais si le messager tragique est particulièrement proche du public du théâtre de Dionysos, c’est avant tout parce que, dans son récit, il adopte la posture du spectateur : il raconte aux autres personnages – ainsi qu’au public – une scène à laquelle il a assisté. L’emploi du terme theatès dans les Suppliantes d’Euripide99 est significatif : le messager, qui pourtant raconte une scène de bataille, se définit comme un spectateur de théâtre (theatès) et non comme un guetteur100, comme on aurait pu s’y attendre. Par son récit, le messager donne à voir à ses auditeurs ce drame en marge du drame, auquel lui seul a assisté.
56Il faut dire que le messager est généralement attendu par les autres personnages comme porteur de nouvelles, certes, mais aussi et surtout comme porteur de la vérité. Dans les Perses d’Eschyle le messager est annoncé à la reine Atossa par le coryphée en ces termes :
« Mais je crois que tu vas savoir sous peu toute la vérité (πάντα νημερτῆ λόγον) ! Vois cet homme… il a la marque bien reconnaissable d’un courrier perse. Il apporte quelque précision sûre (σαφές τι πρᾶγος) qu’il va nous dire, pour le meilleur ou pour le pire101. »
57C’est pourquoi le messager, qui regrette d’avoir à « déployer toute l’étendue du désastre102 », insiste sur le fait qu’il a assisté lui-même aux événements qu’il est sur le point de rapporter :
« Et c’est en témoin (παρών), non par ouï-dire venu d’autrui (κοὐ λόγους ἄλλων κλύων), que je peux vous narrer ce qu’on a pris soin de nous infliger103. »
58Pour garantir la véracité de leur récit, la plupart des messagers, à l’instar du Perse, invoquent l’autopsie et insistent sur leur présence sur les lieux du drame. Ils utilisent en général des verbes de vue à la première personne, mais aussi, à plusieurs reprises, le verbe pareimi (« être présent »), au participe présent (parôn). Ainsi, comme le messager perse, le messager d’Ajax commence son récit en disant : « Tout ce que je sais, voici : je me trouvais présent (parôn etugchanon)104 » et celui d’Antigone assure à Eurydice qu’il lui dira toute la vérité car il était là (parôn)105 lorsque Hémon s’est donné la mort. Cette présence sur les lieux du drame implique, sans qu’il soit besoin de le dire plus explicitement, l’autopsie. On remarquera à ce propos que Thucydide non plus n’écrit jamais, à propos des événements rapportés, « j’y ai assisté moi-même », ni n’emploie de verbe tel que horô (« voir »), ou le nom d’agent autoptès (« témoin oculaire »)106, que sousentend pourtant cette traduction fréquente ; il écrit simplement « j’étais présent en personne », autos parèn107. Comme le récit de Thucydide, les angeliai tragiques montrent bien que, si le verbe pareimi n’est pas lié à la vue, il implique pourtant l’idée que le messager a vu la scène de ses propres yeux, comme en témoigne son rapport. La présence sur les lieux de l’événement est indissociable de son observation, c’est pourquoi Guido Schepens a raison d’envisager l’autopsie et l’αὐτὸς παρεῖναι comme des synonymes108.
59Cependant, le messager tragique, dont le récit est extrêmement détaillé, ne reconnaît pas comme Thucydide avoir « enquêté sur chacun auprès d’autrui avec toute l’exactitude possible109 », mais affirme seulement avoir tout vu de ses propres yeux110. Dans certains cas, comme, par exemple, la bataille de Salamine, cela est manifestement invraisemblable, mais le messager se présente comme le spectateur tragique qui embrasse du regard l’ensemble de la scène111.
60Tout au long de son récit, ce spectateur particulier qu’est le messager prête son regard à son auditoire, lui permettant ainsi de suivre la scène des yeux, d’y assister. La Nourrice des Trachiniennes, par exemple, explique comment elle a observé jusque dans leurs moindres détails les gestes de sa maîtresse :
« Et puis elle s’arrête, et je la vois (σφ’ὁρῶ) soudain qui court tout d’un élan vers le lit d’Héraclès. Et moi, cachée dans l’ombre, j’avais l’œil aux aguets (κἀγὼ λαθραῖον ὄμμ’ἐπεσκιασμένη / φρούρουν). Je la vois (ὁρῶ δέ), d’un geste conjugal, lancer des couvertures, les tendre sur la couche d’Héraclès112… »
61En outre, la Nourrice, comme bien d’autres messagers, ne décrit pas seulement son propre regard, mais également, par une mise en abyme, celui de l’héroïne – tel qu’elle l’observait :
« Quand elle fut rentrée, seule, dans la maison, et qu’elle vit (εἶδε) son fils dans la cour, qui faisait garnir, pour retourner au-devant de son père, le creux d’une litière, en quête d’un abri où personne ne puisse la voir (ἔνθα μή τις εἰσίδοι), elle alla se jeter au-devant des autels, en hurlant “Je suis veuve !” […] Tournant de-ci de-là dans les appartements, si elle apercevait (βλέψειεν) tel ou tel de ses gens qu’elle aimait, pauvre femme, elle fondait en larmes, les yeux fixés sur lui (εἰσορωμένη)113… »
62Ainsi, l’auditoire peut se figurer la scène relatée et même y assister, non seulement à travers les yeux du messager, mais à travers ceux du ou des personnages114.
63Or à aucun moment la Nourrice ne songe à intervenir pour arrêter Déjanire dans son geste ; elle se dissimule même pour mieux observer la scène, comme le second messager des Bacchantes, qui explique qu’il « voyait tout sans être vu (horômen ouch horômenoi)115 ». De même, le messager d’Antigone raconte comment il a vu Hémon découvrir Antigone pendue, menacer son père, avant de retourner son glaive contre lui116, mais il ne dit pas avoir tenté de s’interposer. Il se tient, avec les autres serviteurs, en retrait de la scène : les seuls indices de sa présence sont, ici encore, des verbes de vue, à la première personne : ethroumen et kateidomen117. Comme le spectateur assis sur les gradins du théâtre, le messager tragique observe attentivement le drame qui se joue devant lui, en conservant toujours une certaine distance, tant physique que mentale.
64Mais pas plus que le spectateur, le messager n’est un « observateur détaché118 » du drame auquel il assiste ; il est d’ailleurs d’autant plus bouleversé qu’il voit la scène de ses propres yeux119. La plupart des messagers racontent avoir ressenti de la pitié et/ou de la peur, émotions qui participent de la définition aristotélicienne de la tragédie120 : beaucoup avouent avoir été saisis de terreur121 ou même avoir frissonné122, certains évoquent la pitié suscitée par ce spectacle123. Les termes qui disent le malheur (kakon, pathos, sumphora et leurs dérivés) reviennent aussi assez fréquemment dans la bouche des messagers pour résumer la scène à laquelle ils ont assisté124. Il est à ce propos significatif que beaucoup emploient le terme theama (« spectacle »). Le messager racontant le supplice de Glaukè, par exemple :
Τοὐνθένδε μέντοι δεινὸν ἦν θέαμ’ἰδεῖν·
« Mais alors, tout à coup, il s’offrit à nos yeux un horrible spectacle125… »
65Chez Euripide, six des huit occurrences du terme theama sont dans des récits de messager126 ; les deux autres sont dans la bouche du chœur des Suppliantes et dans celle d’Hécube, qui se penche sur le corps du petit Astyanax127. Chez Sophocle, une des deux occurrences est dans la bouche d’un messager128 ; l’autre est dans celle de Teucros découvrant son frère mort129. On dénombre seulement deux emplois du terme chez Eschyle, tous deux dans une pièce où il n’y a pas de messager : dans Prométhée enchaîné, nous l’avons montré, le Titan, enchaîné au centre de l’orchestra est à lui seul un spectacle ; il est qualifié et se qualifie de tel130.
66Ainsi, le terme theama, fréquemment qualifié de deinon (« terrible »), pikron (« pitoyable »), ou encore lupron (« triste »), renvoie au cœur du spectacle tragique et désigne dans l’immense majorité des cas131 – tant dans les récits de messagers que dans la bouche des autres personnages – le corps mort ou tout au moins meurtri du héros ou d’un de ses proches132. Mais les diverses occurrences de ce terme illustrent aussi parfaitement la différence qui existe entre les récits des messagers eschyléens et sophocléens et ceux d’Euripide : tous sont de véritables tragédies en miniature, des « dramas inside the drama », pour reprendre l’expression d’Irene de Jong, mais Euripide montre bien qu’il est pleinement conscient que la parole du messager est un spectacle à part entière, il le pose comme tel et le revendique ; il n’est pas fortuit que les trois quarts des occurrences de theama chez Euripide – chez qui on trouve également le terme theatès133 – se trouvent dans les récits de messagers.
67En revendiquant sa position de spectateur, le messager prête ce regard à ceux qui l’écoutent. Les auditeurs – personnages de la pièce ou public du théâtre – sont transportés sur les lieux et dans le temps du drame raconté et se glissent dans la peau, pour ne pas dire derrière les yeux, du messager. Ils deviennent ainsi spectateurs d’une scène tragique invisible ; et pour le public du théâtre de Dionysos, le spectacle sera d’autant plus fort qu’il n’y aura pas, cette fois, l’intermédiaire des acteurs et de leurs masques : il voit Penthée se faire déchiqueter puis dévorer par sa propre mère ; il voit l’armée perse en déroute et la mer rougie de sang134.
68Les auditeurs des récits de messagers sont donc, contrairement à ce qu’affirme la nourrice de Déjanire135, aussi bouleversés par la scène qui leur est rapportée que s’ils y avaient assisté de visu. Le public athénien partage les émotions du messager mais aussi les réactions du chœur et des personnages136. En effet, le messager tragique déploie aux yeux des spectateurs toute l’étendue du pathos137 dont il a été témoin138. De prime abord, cette façon d’envisager le récit de messager ne répond pas à la définition aristotélicienne du pathos :
« C’est une action (praxis) causant destruction et douleur, par exemple les meurtres accomplis au grand jour (en tôi phanerôi), les grandes douleurs, les blessures et toutes choses du même genre139. »
69L’expression en tôi phanerôi a suscité beaucoup d’interrogations ; en effet, si on la traduit par « sur scène », comme cela a souvent été fait, on ne peut comprendre le pathos que comme un élément du spectacle (opsis). Or, si l’on suit Aristote, le pathos, « l’effet violent », est l’une des trois sous-parties du muthos140, qui est lui-même « le principe et, si l’on peut dire, l’âme de la tragédie141 » et l’une des six parties constitutives du genre : « l’histoire (muthos), les caractères (èthè), l’expression (lexis), la pensée (dianoia), le spectacle (opsis) et le chant (melopoiia)142 ». Il est donc très clair que le pathos n’appartient pas au spectacle, mais seulement au muthos. Mais que dire alors de cette définition du pathos comme action (praxis) ? L’emploi de ce terme ne devrait-il pas nous conduire à reconnaître que le pathos a malgré tout quelque chose à voir avec le spectaculaire ? On peut certes y relever la marque d’« une tension caractéristique de la Poétique entre une position théorique […] et une attitude plus “réaliste”143 » ; mais cette explication n’est pas suffisante. La réponse de Nicole Loraux, en revanche, semble pertinente : « Si l’on veut prendre en compte cette dimension, tout au plus le définira-ton comme “une sorte d’instrument du spectacle dans l’histoire”144. »
70Le récit du messager tragique dévoile ainsi le pathos aux yeux des spectateurs, l’expose « au grand jour », au centre de l’orchestra, comme le fait le messager des Phéniciennes, de l’aveu même de Créon :
« Tu me racontes là d’immenses douleurs, pour moi et pour la cité145 ! »
71Aussi est-il clair, comme l’écrit Nicole Loraux, que « le “grand jour” n’est […] pas – ou pas seulement – le grand jour bien réel de la scène sous un authentique ciel de Grèce. Au pathos, il faut le grand jour du dire, qui en suggère plus qu’aucune mise en scène, si sanglante soit-elle, ne peut en montrer146 ».
72Loin d’être un moment purement conventionnel et fonctionnel, le récit de messager apparaît donc comme une mise en abyme, comme une tragédie en miniature, enchâssée dans le spectacle147. « Entendre : assister (et recomposer le spectacle absent) », résume Nicole Loraux148. La parole du messager est spectacle, si bien que le chœur des Sept contre Thèbes s’écrie, après l’avoir écouté :
Τάδ᾽ αὐτόδηλα, προῦπτος ἀγγέλου λόγος.
« Les faits parlent d’eux-mêmes : le récit du messager est là, devant nos yeux149. »
73Or ce spectateur est aussi un citoyen : donnant à voir ce qui s’est passé hors scène, le messager met ce qu’il sait – et, nous allons le voir, ce qu’il pense – es meson.
74Certes – et cela a été largement démontré – la tragédie dans son ensemble entretient des relations particulièrement étroites avec les tribunaux150 ; il est cependant surprenant de constater que, dans cette perspective, les récits de messagers tragiques ont été le plus souvent négligés. Et pourtant, comme le remarque Edith Hall, « l’importance attachée à la preuve par témoin oculaire est une des nombreuses caractéristiques que la scène de messager partage avec les tribunaux athéniens, où, tout au long du Ve siècle, le témoignage, présenté oralement et directement, était le moyen le plus courant d’appuyer une argumentation151 », et ceci bien que les messagers soient souvent des esclaves ou des femmes, dont le témoignage était médiat152.
75Quand Lysias annonce ses témoins en ces termes : « je vais vous produire comme témoins ceux qui assistaient à la scène (tous paragenomenous)153 » ; quand Démosthène insiste sur le fait que « la loi prescrit de témoigner de ce qu’on sait (eidèi), des actes auxquels on a assisté (paragenètai)154 », il s’agit toujours de la même attitude intellectuelle dont parle Edith Hall à propos du messager tragique et que Guido Schepens étudie chez les historiens : l’absolue suprématie de « l’autopsie ou l’autos pareinai155 ».
76La présence physique est une condition indispensable pour voir, cela va de soi. Mais, chez les Grecs, le rapport de condition à conséquence est réciproque, si bien que, à les en croire, avoir été présent, cela voulait dire avoir vu. L’autopsie ainsi définie étant en soi gage de vérité, on pouvait, pour éviter d’avoir à témoigner, recourir à l’exômosia : on jurait alors n’avoir pas été présent sur les lieux de l’incident ou ne rien savoir156. Voilà pourquoi, dans les tribunaux, comme chez Thucydide ou dans les récits de messagers tragiques, il n’est pas aussi souvent question de voir que d’être présent (pareinai) et de savoir (eidenai). Voilà pourquoi le fait que Stéphanos n’ait produit aucun témoin ayant déclaré « avoir été là en personne » (paregeneto pou autos) constitue, dans l’argumentation de Démosthène, une preuve de la culpabilité de son adversaire157. « Malgré toute l’importance de l’expérience auditive pour la mémoire et la transmission de la culture, c’est la vision que tend à privilégier la pensée grecque en tant que champ principal du savoir et même de l’émotion158 » écrit Charles Segal, qui n’hésite pas à qualifier les Grecs de « race de spectateurs159 ».
77Si la présence physique est requise pour que le témoin soit crédible, il est tout aussi indispensable qu’il ne soit pas directement impliqué dans l’affaire160. Ainsi, témoignant à l’occasion de l’affaire des hermocopides, en 415 avant J. -C., un certain Dioclidès déclare devant le Conseil161 que « ceux qui ont mutilé les Hermès lui sont connus et qu’il y en a jusqu’à trois cents. Comment il les avait vus (idoi) et s’était trouvé témoin (perituchoi) de l’affaire, voilà ce qu’il expliquait162 ». Andocide rapporte, avec une fidélité ostensible mais également « au discours obsessionnellement indirect163 », le récit de Dioclidès qui le dénonçait comme l’un des auteurs du crime :
« Levé au point du jour et plus tôt encore qu’il ne le croyait, il se met en route : or, c’était pleine lune. Arrivé au portique du théâtre de Dionysos, il voit (ὁρᾶν) une foule de gens qui descendent de l’Odéon vers l’orchestra du théâtre. Pris de peur à leur vue, il va s’asseoir dans l’ombre entre une colonne et la stèle au stratège de bronze. Il voit (ὁρᾶν δέ) alors trois cents personnes environ formant des groupes, ici de quinze, là de vingt. Comme il voit (ὁρῶν δέ) leurs visages à la clarté de la lune, il les reconnaît pour la plupart. […] Après avoir vu (ἰδὼν δέ) cela, il se rend, dit-il, au Laurion, et le lendemain, il apprend la mutilation des Hermès : il comprend aussitôt que c’est l’œuvre des gens qu’il a vus. […] Apercevant (ἰδὼν δέ) Euphémos, frère de Callias fils de Téloclès, assis chez un forgeron, il l’emmène au temple d’Héphaïstos et lui raconte exactement ce que je vous ai dit, qu’il nous avait vus (ἴδοι) cette nuit-là164… »
78Dioclidès, dont le récit est en fait pure invention – il sera condamné à mort pour faux témoignage165 – se place très clairement en spectateur de la scène : non seulement il insiste sur le fait qu’il a observé les prétendus conspirateurs, – le seul verbe horô revient à sept reprises – sans être vu d’eux166, mais il insiste également sur la localisation de la scène : l’orchestra du théâtre de Dionysos. Charalampos Orfanos remarque que, si le témoignage de Dioclidès a été dans un premier temps pris au sérieux, c’est « grâce à la mise en scène de son histoire, grâce à son hypothésis167 ». Mais on pourrait aller plus loin encore : adopter explicitement la posture du theatès – de celui qui observe sans prendre part à l’action – n’est-il pas un moyen pour le faux témoin de rendre plus véridique encore sa déposition ?
79Le pédagogue de l’Électre de Sophocle en est parfaitement conscient lorsqu’il raconte comment, assis sur les gradins du stade, il a assisté à la mort d’Oreste et qu’il conclut son récit par ces mots :
« Tels sont les faits, vois-tu ; bien douloureux déjà à entendre conter, mais pour qui les a vus, comme je les ai vus (τοῖς δ’ἰδοῦσιν, οἵπερ εἴδομεν), c’est le plus douloureux spectacle qui jamais se soit offert à moi168. »
80Comme Dioclidès, ce faux messager insiste sur son statut de spectateur afin de rendre son témoignage plus crédible, et, comme les Athéniens en 415 avant J.-C. dans l’affaire des Hermès, Clytemnestre se laisse ainsi tromper et prend ce récit au sérieux :
« Comment peux-tu dire pour rien, quand tu viens m’annoncer, avec des preuves sûres (πίστ’ἔχων τεκμήρια), la mort d’un enfant à qui mon souffle a transmis la vie169… »
81Ce passage montre bien, une fois de plus, à quel point le récit du témoin oculaire était considéré comme une preuve ; la reine utilise le mot tekmèria, un terme purement judiciaire. Sans pour autant toujours avoir le génie dramatique de Dioclidès ou du vieux pédagogue, le témoin, au Ve siècle du moins, fait à son auditoire un récit circonstancié afin de lui donner à voir l’incident auquel il a lui-même assisté. Les jurés, mais aussi la foule des curieux qui assistent au procès, deviennent alors les spectateurs indirects de la scène : en écoutant le récit qui leur est fait, ils doivent se figurer y assister eux-mêmes, afin de pouvoir juger au mieux170.
82Ainsi, une analogie apparaît clairement entre les scènes de messagers et les dépositions de témoins dans les Tribunaux. De même que le témoin adresse son récit aux parties et aux jurés, le messager adresse le sien aux personnages et au chœur171 ; tous sont réunis dans un même espace, la salle du tribunal ou l’orchestra. À ces auditeurs que l’on peut qualifier de directs, s’ajoute la foule du public massé autour d’eux, auquel le récit est également adressé. C’est à ce double public que le messager, comme le témoin, prête son regard pour en faire le spectateur privilégié d’un drame auquel il n’a pas assisté et suscite du même coup en lui de violentes émotions. Tous deux jouent des rôles-clés sur leurs scènes respectives et, revendiquant leur position de spectateur, ils font de leur récit un spectacle dramatique.
Transformer le spectacle en délibération
83Or, si le messager tragique relate une scène dont il a été le témoin, il n’est pas pour autant un « observateur détaché », qui « rend compte de façon rationnelle d’un fait objectif, dont l’existence n’a rien à voir avec lui personnellement172 ». Comment le serait-il, alors que les acteurs des drames auxquels il assiste sont toujours des personnes auxquelles il est lié – ses maîtres le plus souvent ? D’ailleurs, s’il est avant tout spectateur, le messager joue également un certain rôle – mineur et en marge du drame certes : « Nous, libérés d’angoisse et quittant nos refuges, nous avons apporté notre aide au vieil aïeul et avons garrotté [Héraclès], lié à la colonne par des cordes d’attelle173 », raconte le serviteur.
84Personnage à part entière, doté d’un caractère propre174, le messager ne s’en tient donc pas à un récit purement informatif : en effet, outre ses émotions, il fait bien souvent part à son auditoire des jugements que lui inspire la scène observée. Ainsi, le messager d’Antigone, venu annoncer la mort d’Hémon et de sa fiancée, remarque :
« Créon était enviable à mes yeux, naguère. […] À présent tout est anéanti. Et lorsque l’homme voit toutes ses joies à vau-l’eau, je n’appelle plus cela vivre (οὐ τίθημ’ἐγὼ ζῆν) : il respire, mais ce n’est plus qu’un cadavre. Entasse l’opulence à ton foyer, si tu veux, vis au sein des splendeurs du trône : si la joie en est absente, tout le reste, à mes yeux, ne vaut pas même une ombre de fumée (τἄλλ’ἐγὼ καπνοῦ σκιᾶς/οὐκ ἂν πριαίμην) : seule compte la joie175. »
85Il est évident que la répétition du pronom personnel est une façon d’insister sur le fait que le messager donne là son propre avis, lui qui n’est pourtant qu’un podagos (un « serviteur »), comme il le dit lui-même176. Ce type de jugement est fréquent dans la bouche des messagers tragiques177. Or, ne s’agit-il pas, plus que d’une simple sentence moralisante et générale, comme on a pu le dire parfois, de la leçon qu’un personnage populaire tire du drame aristocratique ? Si l’on suit la définition d’Aristote, le spectateur de la tragédie assiste à la « représentation d’une action noble et achevée178 » mettant en scène « des hommes meilleurs que les hommes d’aujourd’hui179 » ; dans le cas du messager du moins, ne pourrait-on pas dire plutôt en tant que spectateur, il s’instruit du spectacle des vicissitudes des puissants, qui sont en définitive un contre-modèle pour lui, homme du peuple180 ?
86Qui plus est, il est surprenant de constater à quel point le messager, malgré son humble naissance, prend librement la parole181 et, non content de faire part de ses jugements, donne également des conseils aux personnages auxquels il s’adresse. Le messager des Sept contre Thèbes, par exemple, adopte à l’égard d’Étéocle un ton impérieux :
« À toi (σὺ δ’…) de te montrer pour la nef de l’État un diligent pilote : bâcle les écoutilles avant que le Carnage ait soufflé sa tornade, car la vague d’assaut déferle en rugissant sur tout le front de terre ! Agis donc au plus vite en ce sens, c’est l’instant, saisis-le ! Quant à moi (κἀγώ), tout le reste du jour j’aurai l’œil, en vigie, tu peux compter sur moi182. »
87Outre les verbes à l’impératif aoriste, les pronoms personnels employés par le messager de l’armée et leur place en tête de vers montrent bien qu’il parle au roi de Thèbes d’égal à égal. Le messager de l’Oreste d’Euripide va plus loin encore, lorsqu’il conseille à Électre :
« Va préparer un poignard, ou dispose un lacet pour y passer la tête : il te faut dire adieu à la clarté du jour. Ah ! ta haute naissance ne t’a point secourue, ni Apollon183… »
88Pour autant, les messagers ne cherchent jamais à dissimuler leur humble condition, au contraire. Chez Euripide en particulier, ils racontent comment, de leur place de serviteurs, ils ont assisté à la scène : ils décrivent précisément l’activité subalterne à laquelle ils se livraient au moment de l’acte narré184 et emploient fréquemment les termes despotès (« patron ») ou despoina (« patronne ») pour en désigner l’auteur185. Plus frappant encore, certains revendiquent haut et fort leur appartenance au petit peuple :
« Pour sûr, je ne suis qu’un esclave de ta maison, seigneur (δοῦλος μὲν οὖν ἔγωγε σῶν δόμων, ἄναξ), mais (ἀτάρ) il y a une chose dont je ne serais jamais capable, c’est de me persuader que ton fils est scélérat186… »
89Malcolm Heath note qu’ici, le messager, « avec tout le respect attendu, conteste explicitement, pour la première fois, le jugement de son maître ; le respect est, bien sûr, un moyen rhétorique pour insister sur ce qui va suivre : commencer par “Ce n’est pas mon rôle de dire que vous vous trompez, mais…” c’est insinuer qu’il y a de très bonnes raisons de commettre cette inconvenance, et, par conséquent, que l’erreur est grossière187 ».
90Or sans être aussi explicites que le serviteur d’Hippolyte, tous revendiquent leur extraction populaire et leur liberté de parole, car, en tant que personnages de la fiction, les messagers « savent » pertinemment qu’ils ont un rôle capital à y jouer188. Le maître, le roi, l’aristocrate, sont d’ailleurs obligés d’écouter le messager car lui seul peut lui faire le récit attendu189. Or n’est-ce pas la représentation sur la scène tragique de la fierté du « peuple des rameurs190 » de Salamine, qui peut enfin prendre sa place à l’Assemblée, au tribunal et dans les débats qui les animent ? Aristophane lui-même fait dire à Euripide, dialoguant avec Eschyle, dans un passage célèbre des Grenouilles :
« Euripide. – […] Je faisais parler les femmes, et les esclaves, tout à l’avenant, et les maîtres, et les pucelles, et les vieillardes.
Eschyle. – Et alors, non ? tu n’étais pas bon à pendre avec un culot pareil ? Euripide. – Dieu du ciel ! Mais c’était démocratique (δημοκρατικόν) ce que je faisais là ! […] [Montrant les spectateurs] Et puis je leur ai appris à causer (ἔπειτα τουτουσὶ λαλεῖν ἐδίδαξα)191… »
91Et Nietzsche ne dit pas autre chose lorsqu’il remarque qu’avec Euripide, « c’est l’homme de tous les jours qui passa des gradins à la scène192 ». Chez Eschyle et Sophocle, en effet, les personnages populaires restent toujours dans l’ombre, à l’exception du messager, qui joue un rôle crucial et possède d’ores et déjà une certaine liberté de parole. Mais c’est grâce à Euripide que le messager, citoyen du siècle de Périclès plongé dans un monde héroïque, assume pleinement son caractère démocratique. N’a-t-il pas le « franc-parler des hommes libres », des eleutheroi parrhèsiai, qui habitent l’« illustre Athènes193 » ? Le premier messager des Bacchantes, venu raconter à Penthée le spectacle auquel il a assisté sur le mont Cithéron, emploie lui-même le terme de parrhèsia :
« Je viens pour tout te dire, seigneur, à toi et à la ville. C’est terrible ce qu’elles font, stupéfiant, ça dépasse tout… Mais je voudrais bien que tu me dises… Est-ce que je dois me lancer à pleine voile sur ce qui se passe là-haut, ou bien atténuer mon récit (πότερά σοι παρρησίᾳ / φράσω τὰ κεῖθεν ἢ λόγον στειλώμεθα) ? C’est que tu es vif, seigneur et je redoute ton humeur irascible, superlativement royale194… »
92Il est évident que le messager met sciemment en avant l’autorité, pour ne pas dire la tyrannie, de Penthée et lui demande, non sans ironie, s’il doit dire ce qui est, en toute liberté, ou – le comble pour un messager – s’il ne doit pas dire toute la vérité. Le roi de Thèbes est ici pris au piège ; il est obligé de laisser parler librement le bouvier195. « Les auteurs tragiques font venir sur la scène de la cité ces personnages héroïques, après quoi ils les brisent, comme la cité avait brisé les rois et les tyrans », écrivait Pierre Vidal-Naquet196 ; le messager, figure démocratique, y contribue largement. Ayant vocation à tout dire, à mettre es meson le spectacle auquel lui seul a assisté, il ne saurait voir sa parrhèsia brimée par un quelconque pouvoir tyrannique.
93Ainsi, la parrhèsia dont fait preuve le messager tragique rejoint l’isègoria dont jouit idéalement tout citoyen athénien, dans le sens où l’entend Stephen Todd d’« égalité de parole » : « c’est-à-dire, pour un démocrate, que la voix collective des gens ordinaires a droit à être entendue contre celle de l’élite197 ». Le messager tragique est en effet conscient que sa parole a autant de valeur que celle d’un roi et il le revendique très clairement. Par son statut de spectateur comme par sa parrhèsia, le messager est donc bien plus qu’une simple convention théâtrale, il est la matérialisation scénique du boulomenos, le citoyen athénien qui témoigne au tribunal et prend la parole à l’Assemblée.
94Mais la figure du messager est plus complexe encore. En effet, le public, de toute évidence, se sent plus proche de ce personnage populaire, à la fois spectateur et citoyen, que du roi Agamemnon ou d’Andromaque – même s’il éprouve à leur égard une compassion certaine. Le messager est, pour les citoyens-spectateurs, un politès, un « concitoyen » – c’est le sens qu’il faut donner le plus souvent au mot politès quand il est au vocatif. Cela est d’ailleurs particulièrement évident dans les Héraclides, un cas d’école, puisque le messager, dans cette pièce, appartient à l’armée athénienne à laquelle Thésée s’adresse pendant le combat par un vibrant ô sumpolitai, « chers concitoyens198 » ! Le préfixe sun-n’est pas redondant ici, il est emphatique.
95Ainsi, une complicité particulière unit le personnage du messager aux citoyens-spectateurs ; il est des leurs, il appartient au corps civique. C’est donc tout naturellement que le messager s’adresse au dèmos massé sur les gradins du théâtre, comme il l’est, les jours d’Assemblée, sur la pente de la Pnyx. Non seulement il fait écho, par sa parrhèsia, à la connaissance immédiate et quotidienne que les citoyens ont de la chose publique199, mais il s’adresse aussi parfois très clairement à eux, comme l’orateur à l’ekklèsia ou à l’Héliée200, les incitant à la participation :
« Ah ! mes concitoyens (ἄνδρες πολῖται), je pourrais faire au plus court en vous disant : Œdipe est mort. Mais ce qu’ont été les événements, impossible de l’exposer en peu de mots : ce qui s’est fait là-bas n’a pas été peu de chose201 ! »
96Le messager fait également parfois explicitement référence à la position de spectateurs qu’occupent les citoyens au moment de la représentation :
Ὦ γῆς μέγιστα τῆσδ’ ἀεὶ τιμώμενοι,
οἷ’ἔργ’ἀκούσεσθ’, οἷα δ’εἰσόψεσθ’…
« Vous êtes là, vous, qui représentez le plus pur honneur de la patrie ! Ah ! qu’ont-ils fait ! vous allez l’entendre… qu’ont-ils fait ! vous allez le voir202… »
97Certes les adresses de ce type sont en premier lieu destinées au chœur ; mais comment les andres politai qui assistent à la représentation pourraient-ils ne pas se sentir interpellés203 ? Pour quelques instants du moins, les gradins du théâtre de Dionysos font place à la pente rocheuse de la Pnyx.
*
98Loin d’être une pâle figure conventionnelle, le messager tragique est donc un personnage haut en couleur et proche de la grande majorité des citoyens-spectateurs à plus d’un titre : de modeste condition, celui qui se définit lui-même comme theatès d’un spectacle tragique, apparaît comme un contemporain de Cléon, « parachuté » dans le monde d’Œdipe et de Médée. Prenant librement la parole, il témoigne du spectacle auquel il a assisté et fait part de ses émotions et de son avis. Ainsi, le messager incite le dèmos à la participation et fait de son récit un spectacle politique qui n’a rien à envier à ceux qui se jouent sur la Pnyx et dans les tribunaux. En donnant à voir les faits et gestes des nobles, le messager permet aux citoyens-spectateurs de porter un regard sur ce pouvoir, de le juger et, par conséquent, de le contrôler. Les theatai ne peuvent regarder passivement la tragédie, le messager leur rappelle leur qualité de politai ; il est l’agent qui permet de transformer le spectacle en délibération :
Ὡς ὧδ’ἐχόντων τἄλλα βουλεύειν πάρα.
« Les choses étant ainsi, à vous de réfléchir sur le reste204. »
99Or ce jeu avec la similitude des espaces d’assemblées, que l’on retrouve aussi bien dans la tragédie que dans la comédie, n’est-il qu’un topos poétique, attendu par le public du théâtre de Dionysos ? La seule ressemblance de ces espaces suffit-elle à l’expliquer ? suffit-elle à ce que les spectateurs se transportent, mentalement, sur la colline de la Pnyx ? Cela semble possible, d’autant que, comme on l’a montré, les adresses qui leur sont faites viennent inlassablement leur rappeler leur statut de citoyens et que, à Athènes comme dans les dèmes, les théâtres servaient réellement de lieux d’assemblées politiques, régulières ou exceptionnelles.
Notes de bas de page
1 Ce chapitre reprend les développements de deux articles que nous avons publiés : « “Toi, spectateur de mes tourments.” Les adresses au public dans la tragédie grecque », Cahiers du Centre Gustave-Glotz, 18, 2007, p. 263-280, et « Ce que le peuple en dit. Le messager tragique et la démocratie », QS, 66, 2007, p. 81-117.
2 Aristophane, Nuées, 575.
3 D. Wiles, Tragedy in Athens, p. 212.
4 Platon, Lois, III, 700c 3-4 (trad. L. Brisson et J.-Fr. Pradeau, Platon. Les Lois. Livres I à VI, Paris, Flammarion, 2006).
5 Aristophane, Cavaliers, 547 (nous traduisons).
6 Démosthène, Sur la Couronne, 262 ; Sur l’Ambassade, 337.
7 O. Taplin, « Fifth-Century Tragedy and Comedy. A Synkrisis », JHS, 106, 1986, p. 163-174 (p. 173). Voir encore D. Bain, « Audience Address in Greek Tragedy », CQ, 25, 1975, p. 13-25 ; id., Actors and Audience. A Study on Asides and Related Conventions in Greek Drama, Oxford, Oxford University Press, 1977, p. 98 ; id., « Some Reflections on the Illusion in Greek Tragedy », BICS, 34, 1987, p. 1-14. Notons qu’Oliver Taplin va développer ensuite une analyse plus riche et plus nuancée de la question : O. Taplin, « Comedy and the Tragic », in M. S. Silk (éd.), Tragedy and the Tragic, p. 188-202.
8 G. A. H. Chapman, « Some Notes on Dramatic Illusion in Aristophanes », AJPh, 104, 1983, p. 1-23 (p. 2).
9 D. Bain, Actors and Audience, p. 209-210 ; id., « Some Reflections on the Illusion », p. 7-10 ; O. Taplin, « Fifth-Century Tragedy and Comedy », p. 166-172 ; Ch. Dedoussi, « Greek Drama and its Spectators. Conventions and Relationships », in A. Griffiths, Stage Directions : Essays in Ancient Drama in Honour of E. W. Handley, Londres, Institute of Classical Studies, University of London, 1995, p. 123-132 (p. 131).
10 G. M. Sifakis, Parabasis and Animal Choruses. A Contribution to the History of Attic Comedy, Londres, The Athlone Press, 1971, p. 7-14.
11 Sophocle, Œdipe Roi, 1222-1223.
12 J. M. Bremer, « Why Messenger-Speeches? », in J. M. Bremer, S. L. Radt et C. J. Ruijgh (éd.), Miscellanea Tragica in Honorem J. C. Kamerbeek, Amsterdam, A. M. Hakkert, 1976, p. 29-48.
13 Voir S. Barlow, The Imagery of Euripides, Londres, Methuen and Co, 1971, p. 60 ; J. M. Bremer, « Why Messenger-Speeches ? », p. 46 ; ou encore P. Vidal-Naquet, « L’honneur perdu et retrouvé d’Euripide », postface à Euripide, Théâtre complet I, Paris, Flammarion, 2000, p. 293-322.
14 Cf. e. g. D. Bassi, « Il nunzio nella tragedia greca », RFIC, 27, 1899, p. 50-89 (p. 88-89) ; T. G. Rosenmeyer, The Art of Aeschylus, Berkeley, University of California Press, 1982, p. 197. Contra : L. Di Gregorio, Le scene d’annuncio nella tragedia greca, p. 11-15. Voir enfin la remarquable analyse de J. Barrett, Staged Narrative. Poetics and the Messenger in Greek Tragedy, Berkeley, University of California Press, 2002, p. 23-55.
15 J. Rassow, Quaestiones Selectae de Euripideorum Nuntiorum Narrationibus, Gryphiswald, F. G. Kunike, 1883, p. 33-40 ; J. Fischl, De Nuntiis Tragicis, p. 38-40 ; E. Henning, De Tragicorum Atticorum Narrationibus, Göttingen, Officina Academica Dieterichiana, 1910, p. 24-26 et 38-44.
16 I. J. F. De Jong, Narrative in Drama. The Art of the Euripidean Messenger-Speech, Leidein, Brill, 1991.
17 J. Barrett, op. cit.
18 Ibid., p. 22.
19 Euripide, Suppliantes, 916-917 (trad. V.-H. Debidour légèrement modifiée).
20 Euripide, Héraclès, 503-209.
21 D. Cuny, Une leçon de vie. Les réflexions générales dans le théâtre de Sophocle, Paris, Les Belles Lettres, 2007. Cf. également D.-A. Daix, Les sentences (gnômai) dans la littérature grecque archaïque et classique (d’Homère à Thucydide), thèse de doctorat nouveau régime, École des Hautes Études en Sciences Sociales, 2000.
22 Eschyle, Agamemnon, 1269-1270 (trad. V.-H. Debidour légèrement modifiée). Voir encore, par exemple, Eschyle, Sept contre Thèbes, 110-111 ; Sophocle, Trachiniennes, 1079-1080 ; Euripide, Héraclès, 131, 903-905, 1032-1033 ; Suppliantes, 824-825, 1165-1168. Sur le statut particulier de ἰδού, voir infra n. 85 du présent chapitre.
23 D. Bain, « Audience Address », p. 21.
24 Sophocle, Œdipe à Colone, 871 (trad. V.-H. Debidour modifiée).
25 Sophocle, Œdipe à Colone, 872-873.
26 Euripide, Suppliantes, 841-843 (trad. L. Parmentier et H. Grégoire, CUF, modifiée).
27 À notre connaissance, une enquête spécifique sur la fonction de la deixis dans le corpus dramatique reste à mener. Voir cependant Cl. Calame, « Deictic Ambiguity and Auto-Referentiality. Some Examples from Greek Poetics », Arethusa, 37, 2004, p. 415-443.
28 Eschyle, Euménides, 31-32 (trad. P. Mazon, CUF).
29 P. D. Arnott, Public and Performance in the Greek Theatre, Londres et New York, Routledge, 1989, p. 18 (cf. plus largement p. 17-21). Cf. D. Wiles, Tragedy in Athens, p. 210-212.
30 Eschyle, Euménides, 681-682 (trad. V.-H. Debidour légèrement modifiée).
31 Eschyle, Euménides, 643.
32 Eschyle, Euménides, 1014-1020 (trad. V.-H. Debidour légèrement modifiée).
33 Eschyle, Sept contre Thèbes, 1 (trad. V.-H. Debidour légèrement modifiée). Voir Aristophane, Nuées, 518-519 : « Messieurs les spectateurs (ὦ θεώμενοι), je vais vous déballer tout franc les choses comme elles sont. »
34 G. Zuntz, « Notes on Some Passages in Aeschylus’Septem », PCPhS, 27, 1981, p. 81-95 (p. 83) (=« Textkritische Anmerkungen zu Aischylos’Hepta », Hermes, 111, 1983, p. 259-281 [p. 262]).
35 D. Wiles, op. cit., p. 213. Voir également P. D. Arnott, op. cit., p. 21.
36 D. Bain, « Some Reflections on the Illusion », p. 6. Voir aussi O. Taplin, The Stagecraft of Aeschylus. The Dramatic Use of Exits and Entrances in Greek Tragedy, Oxford, Oxford University Press, 1977, p. 129 et suiv.
37 Fr. I. Zeitlin, « Thebes : Theater of Self and Society in Athenian Drama », in J. J. Winkler et Fr. I. Zeitlin (éd.), Nothing to Do with Dionysos ?, p. 130-167.
38 D. Wiles, op. cit., p. 212.
39 Eschyle, Perses, 445.
40 Eschyle, Agamemnon, 855-857.
41 Eschyle, Agamemnon, 1315-1320.
42 Sophocle, Œdipe Roi, 513-514 (trad. V.-H. Debidour légèrement modifiée) ; voir également Œdipe à Colone, 1579-1580.
43 Sophocle, Antigone, 806-810 (trad. P. Mazon, CUF).
44 Eschyle, Prométhée, 119.
45 Comme le note Ioanna Papadopoulou-Belmehdi, « on relève plus de 75 occurrences » de termes appartenant à ce champ lexical, « dont la plupart sont associées à Prométhée lui-même » (I. Papadopoulou-belmehdi, « “Les mots qui voient” : du tragique dans le Prométhée enchaîné », Kernos, 16, 2003, p. 43-57 [p. 44]). Voir également T. A. Tarkow, « Sight and Seeing in the Prometheus Bound », Eranos, 84, 1986, p. 87-99.
46 Voir, par exemple, P. D. Arnott, An Introduction to the Greek Theatre, Londres, Macmillan, 1959, p. 32-45 ; id., Greek Scenic Conventions in the Fifth Century B. C., Oxford, Oxford University Press, 1962, p. 8-18 et 53 ; T. L. B. Webster, Greek Theatre Production, Londres, Methuen, 1970 (1956), p. 7 et 166-167.
47 Cf. F. E. Winter, « The Stage of New Comedy », Phoenix, 37, 1983, p. 38-47 ; L. Polacco, « L’evoluzione del teatro greco comico nel iv secolo a. C. », Dioniso, 57, 1987, p. 267-279.
48 J.-Ch. Moretti, « Formes et destinations du proskénion dans les théâtres hellénistiques de Grèce », in B. Le Guen (éd.), De la scène aux gradins. Théâtre et représentations dramatiques après Alexandre le Grand, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 1997 [Pallas, 47, 1997], p. 13-39 (p. 37 notamment).
49 Cf. E. Pöhlmann, « Die Proedrie des Dionysos-Theaters ».
50 Eschyle, Prométhée, 128-130.
51 Eschyle, Prométhée, 144-148.
52 Ces remarques sont valables pour l’ensemble du corpus tragique : comment concevoir par exemple les dialogues entre Électre et le chœur des servantes dans les Choéphores, si la première était sur le proskènion et les autres en dessous, dans l’orchestra ?
53 Voir N. G. L. Hammond, « The Conditions of Dramatic Production » et surtout « More on Conditions of Production to the Death of Aeschylus », GRBS, 29, 1988, p. 5-33. Cette thèse est notamment suivie par O. Taplin, The Stagecraft of Aeschylus, p. 448-449 ; M. L. West, « The Prometheus Trilogy », JHS, 99, 1979, p. 130-148.
54 Cf. D. Wiles, Tragedy in Athens, p. 64-65.
55 Contra, A. W. Pickard-Cambridge, The Theatre of Dionysus in Athens, p. 131-132.
56 C’est le titre et le sujet du troisième chapitre de son ouvrage Tragedy in Athens, p. 63-86. Voir également R. Rehm, Greek Tragic Theatre, Londres et New York, Routledge, 1992, p. 36, ainsi que « The Staging of Suppliant Plays », GRBS, 29, 1988, p. 163-308.
57 D. Wiles, op. cit., p. 69, qui cite donc Plutarque, Timoléon, 34, 5-7.
58 M. Detienne, Les maîtres de vérité, p. 91. Sur l’importance de la symbolique géométrique du cercle pour la naissance de la démocratie, voir J.-P. Vernant, Mythe et pensée chez les Grecs. Études de psychologie historique, Paris, La Découverte, 1988 (Maspero, 1965), p. 202-215 et 238-260.
59 Voir R. S. Shankland, « Acoustics of Greek theatre », Physics Today, oct. 1973, p. 30-35 (surtout p. 32).
60 Eschyle, Prométhée, 117-119.
61 Eschyle, Prométhée, 139-140 : « vous dont le père est Océan,/voyez, contemplez (παῖδες/πατρὸς Ὠκεανοῦ, δέρχθητ᾽, ἐσίδεσθ᾽) quelles griffes m’enserrent/rivé sur ce sommet d’une falaise abrupte ! » (trad. V.-H. Debidour légèrement modifiée).
62 Eschyle, Prométhée, 302-306 : « Si tu es venu pour contempler mes infortunes, serait-ce pour t’indigner avec moi de ce que je souffre ? (ἢ θεωρήσων τύχας/ἐμὰς ἀφῖξαι καὶ συνασχαλῶν κακοῖς;) Regarde bien ce spectacle (δέρκου θέαμα) : moi, l’ami de Zeus, moi qui fus à ses côtés pour asseoir sa domination, vois sous quelles douleurs il me fait ployer aujourd’hui ! » (trad. V.-H. Debidour légèrement modifiée).
63 Eschyle, Prométhée, 88-95 : « Ô sainte voûte des cieux, vents qui passez à tire-d’aile, fleuve qui roulez vos eaux, sourires sans nombres des flots marins, ô Mère universelle, Terre – et toi, Soleil, prunelle à qui rien n’échappe, j’en appelle à vous (καὶ τὸν πανόπτην κύκλον ἡλίου καλῶ) : voyez comment me traitent les dieux, moi qui suis un dieu (ἴδεσθέ μ᾽ οἷα πρὸς θεῶν πάσχω θεός) ! Regardez (δέρχθηθ᾽) les indignités dont me voici dilacéré, l’épreuve que j’endurerai pour des siècles illimités. »
64 Eschyle, Prométhée, 1091-1093.
65 Eschyle, Prométhée, 307.
66 Eschyle, Prométhée, 244-245 (trad. V.-H. Debidour légèrement modifiée). Voir également v. 144-148, déjà cités plus haut.
67 Ioanna Papadopoulou-Belmehdi souligne très justement que « la pièce emprunte le thème mythique le plus adéquat pour faire une « archéologie » de l’émotion tragique, une élaboration de la notion de compassion » (I. Papadopoulou-Belmehdi, « “Les mots qui voient” », p. 48).
68 Eschyle, Prométhée, 237-238.
69 Eschyle, Prométhée, 246.
70 Eschyle, Prométhée, 240-241 (trad. P. Mazon, CUF, légèrement modifiée).
71 Eschyle, Prométhée, 304-306.
72 Eschyle, Prométhée, 69 (nous traduisons).
73 Eschyle, Prométhée, 298-299.
74 J. Fletcher, « Exchanging Glances : Vision and Representation in Aeschylus’Agamemnon », Helios, 26, 1999, p. 11-34 (p. 11).
75 Aristote, Poétique, 1453b11-12.
76 Voir I. Papadopoulou-Belmehdi, « “Les mots qui voient” », p. 43-44. Sur Aristote et l’opsis, voir O. Taplin, The Stagecraft of Aeschylus, p. 477-479, et, plus largement, Fl. Dupont, Aristote ou le vampire du théâtre occidental, Paris, Flammarion, 2007, p. 25-77 et 266-301 notamment.
77 Eschyle, Prométhée, 568-570.
78 Voir également Sophocle, Œdipe Roi, 1410-1412, les propos d’Œdipe : « Vite, pour l’amour des dieux, vite, cachez-moi hors d’ici ; tuez-moi ou jetez-moi dans la mer, n’importe où, que vous n’ayez plus jamais à me voir ! » ; Sophocle, Trachiniennes, 797-800, les paroles d’Héraclès agonisant à son fils Hyllos : « Approche, mon enfant ! ne fuis pas mon tourment, quand bien même ma mort entraînerait ta mort ! Enlève-moi d’ici, et défais-toi de moi quelque part où, surtout, nul humain ne me voie ! »
79 Eschyle, Prométhée, 118.
80 Eschyle, Prométhée, 302.
81 DELG, s. v. θεωρός.
82 Eschyle, Prométhée, 299.
83 Voir I. Papadopoulou-Belmehdi, « Les mots qui voient », p. 44-45.
84 Sophocle, Trachiniermes, 1076-1080 (trad. V.-H. Debidour).
85 Bien que l’on soit tenté de voir dans le terme ἰδού, qui précède θεᾶσθε, une étape de ce glissement entre singulier et pluriel, on ne peut pas le prendre en compte parce que l’impératif de ὁράω a déjà acquis une valeur adverbiale à cette époque. Voir LSJ s.v. ἰδού.
86 Euripide, Électre, 758-760.
87 Voir I. J. F. De Jong, Narrative in Drama, p. 118-119.
88 A. D. Trendall et T. L. B. Webster, Illustrations of Greek Drama, Londres, Phaidon Press, 1971,
89 I. J. F. De Jong, op. cit., p. 118. Irene De Jong (ibid., p. 119) remarque également que les scènes de messager tragique sont parodiées par la comédie : voir par exemple Aristophane, Oiseaux, 1119-1185 ; Ménandre, Le Sicyonien, 176-271.
90 Sur l’aspect formel du récit de messager, voir L. Di Gregorio, Le scene d’annuncio.
91 Voir par exemple : Sophocle, Antigone, 1155-1171, 1277-1316 ; Œdipe Roi, 1222-1296 ; Euripide, Médée, 1121-1230 ; Hippolyte, 1153-1254 ; Ion, 1106-1228 ; Andromaque, 1070-1165 ; Hélène, 1512-1618 ; Oreste, 1369-1525 ; Bacchantes, 1024-1152.
92 Sophocle, Trachiniennes, 871-946.
93 Voir e. g. Eschyle, Perses, 302-514 ; Sept contre Thèbes, 375-820 ; Agamemnon, 503-582 ; Sophocle, Ajax, 719-802 ; Antigone, 223-331 ; Euripide, Héraclides, 784-891 ; Hélène, 597-621 ; Phéniciennes, 1067-1263.
94 Sophocle, Œdipe Roi, 924-1145 ; Euripide, Iphigénie en Tauride, 238-391 ; Bacchantes, 660-774.
95 Euripide, Oreste, 852-956.
96 La catégorie des messagers, on l’aura compris, ne se limite pas aux seuls ἄγγελοι de la tradition manuscrite. Précisons ici que le corpus des récits de messagers tragiques sur lequel s’appuie cette étude est celui défini par James Barrett (Staged Narrative, p. 223-224), auquel nous ajouterons cependant l’angelia de l’Andromaque d’Euripide (1070-1165), qu’il laisse curieusement de côté.
97 Voir notamment G. Nagy, « Transformations of Choral Lyric Traditions in the Context of Athenian State Theater », Arion, 3, 1994-1995, p. 41-55 ; Cl. Calame, « Performative Aspects of the Choral Voice in Greek Tragedy : Civic Identity in Performance », in S. Goldhill et R. Osborne, Performance culture and Athenian Democracy, p. 125-153.
98 On remarque que les femmes et les hommes semblent beaucoup plus égaux sur la scène du théâtre que dans la réalité que nous transmet la prose attique. Notons par ailleurs que la condition servile des messagers tragiques est un simple marqueur d’infériorité sociale, elle ne renvoie pas à l’esclave-marchandise familier du public du théâtre de Dionysos. Cf. P. Burian, « Athenian Tragedy as Democratic Discourse », in D. M. Carter (éd.), Why Athens ?, p. 95-117 (p. 102-103).
99 Euripide, Suppliantes, 650-652 : « Étincelant, l’Arbitre impeccable des heures, le soleil, décochait ses rayons sur la terre. Et moi, pour observer (θεατής), j’avais choisi mon poste : un créneau d’où la vue était bien dégagée, près de la porte Électre. »
100 Par exemple σκοπός : cf. Eschyle, Sept contre Thèbes, 36.
101 Eschyle, Perses, 246-248.
102 Eschyle, Perses, 254. Quelques instants après le messager, la reine Atossa répète exactement la même expression – πᾶν ἀναπτύξας πάθος – pour lui demander de commencer son récit (v. 294). Il s’agit non seulement de dérouler le récit des malheurs, mais aussi de le déployer aux yeux des autres personnages, du public, de le donner à voir dans sa totalité, en pleine lumière, soit-elle crue, et sans repli obscur.
103 Eschyle, Perses, 266-267. Voir également Sept contre Thèbes, 39-41.
104 Sophocle, Ajax, 748.
105 Sophocle, Antigone, 1192. La nourrice de Déjanire, elle, emploie un dérivé du verbe παρίστημι : Ἐπεῖδον, ὡς δὴ πλησία παραστάτις (« Oui pour sûr je l’ai vu, puisque j’étais près d’elle ! »).
106 Αὐτόπτης apparaît pour la première fois chez Hérodote (II, 29, 3 ; III, 115, 10 ; IV, 16, 3 ; VIII, 79, 16 ; 80, 3.) et l’on n’en trouve pas d’autre occurrence au Ve siècle avant J.-C. ; le terme αὐτοψία, quant à lui, n’apparaît qu’au Ier siècle de notre ère, dans des traités médicaux (Dioscoride, Du matériel médical, I, 3, 6 et 5, 4 ; Soranos, Maladies des femmes, IV, 1, 12, 3, 3). Si le terme est un peu plus fréquemment employé au siècle suivant, il conserve un sens essentiellement médical.
107 Thucydide, I, 22, 2. Alors qu’il dit bien, à propos des discours qu’il rapporte : αὐτὸς ἤκουσα (Thucydide, I, 22, 1).
108 G. Schepens, « L’idéal d’information complète chez les historiens grecs », REG, 88, 1975, p. 81-93 (p. 84) ; id., L’autopsie dans la méthode des historiens grecs du Ve siècle avant J.-C., Bruxelles, Palais des Académies, 1980, p. 113-146 notamment.
109 Thucydide, i, 22, 2. Voir également Hérodote, II, 99. Cf. C. Darbo-Peschanski, Le discours du particulier. Essai sur l’enquête hérodotéenne, Paris, Le Seuil, 1987, p. 84-88, ainsi que Fr. Hartog, Le Miroir d’Hérodote, Paris, Gallimard, 2001 (1980), p. 395-432 ; id., Évidence de l’histoire. Ce que voient les historiens, Paris, Éditions EHESS, 2005, p. 94-100 notamment.
110 Voir par exemple, Eschyle, Agamemnon, 582 ; Sophocle, Ajax, 734 ; Philoctète, 604 ; 620.
111 Cf. J. Barrett, Staged Narrative, p. 38 et 117.
112 Sophocle, Trachiniennes, 912-916. La traduction de V.-H. Debidour est ici légèrement modifiée : nous ne tenons pas compte du vers 903, qu’il place entre les vers 914 et 915 (c’est-à-dire entre ἐπεσκιασμένη et φρούρουν), en corrigeant ἑαυτήν en ἐμαυτήν. Cette conjecture nous paraît peu convaincante.
113 Sophocle, Trachiniennes, 901-909 ; la traduction de V.-H. Debidour est ici encore légèrement modifiée, puisque nous suivons le texte des manuscrits, sa correction nous paraissant injustifiée (cf. note précédente). Voir également, dans la même pièce, le récit que fait Hyllos de l’agonie d’Héraclès, v. 794-800, par exemple.
114 Voir également le récit de la mort d’Hémon dans Sophocle, Antigone, 1155-1256.
115 Euripide, Bacchantes, 1050.
116 Sophocle, Antigone, 1192-1243.
117 Sophocle, Antigone, 1220 et 1221.
118 S. Barlow, The Imagery of Euripides, p. 60.
119 C’est pourquoi la Nourrice estime que le chœur, à qui elle raconte le suicide de Déjanire, ne peut pas être aussi bouleversé qu’elle : « Et si tu avais été là pour voir de près (παροῦσα πλησία/ἔλευσσες) ce qu’elle a fait, tu aurais été saisie de pitié encore bien plus. » (Sophocle, Trachiniennes, 896-897).
120 Aristote, Poétique, 1453b 1-6.
121 Voir Sophocle, Œdipe à Colone, 1624-1625 ; Euripide, Médée, 1202 ; Hippolyte, 1204.
122 Voir Eschyle, Sept contre Thèbes, 490 ; Euripide, Hippolyte, 1202, 1216.
123 Voir Sophocle, Trachiniennes, 897 ; Œdipe Roi, 1296 ; Euripide, Hécube, 518 ; 519 ; 520. Les récits d’événements heureux étant très rares, il est exceptionnel que le messager fasse part de la joie que lui aurait procuré le spectacle qu’il rapporte : voir Euripide, Suppliantes, 719-720.
124 Ainsi, par exemple : κακόν : Eschyle, Perses, 253 ; Euripide, Alceste, 196 ; Hécube, 519 ; Médée, 1219. Πάθος : Eschyle, Perses, 254 ; Euripide, Oreste, 1455. Συμφoρά : Euripide, Médée, 1221 ; Bacchantes, 1148.
125 Euripide, Médée, 1167.
126 Euripide, ibid., ainsi que Médée, 1202 ; Hippolyte, 1216-1217 ; Phéniciennes, 1139 ; Oreste, 951-952 ; Bacchantes, 760.
127 Euripide, Suppliantes, 782-783 ; Troyennes, 1157.
128 Sophocle, Œdipe Roi, 1295-1296.
129 Sophocle, Ajax, 992-993.
130 Eschyle, Prométhée, 69, 304.
131 À l’exception de Euripide, Hippolyte, 1216-1217 et Phéniciennes, 1139.
132 Il est à cet égard significatif que l’on ne trouve, dans tout le corpus comique, que trois occurrences du terme : Aristophane, Oiseaux, 1716 : ce καλὸν θέαμα annonce l’arrivée du bienheureux Ralliecopain et de sa dulcinée ; Platon le comique, fr. 138 Kassel-Austin (Les Costumes) où il est question du spectacle des danses du chœur ; Ménandre, La Samienne, 705 (533), où la coloration tragique du terme fait l’objet d’une dérision à la fois paratragique et para prosdokian, puisqu’on le retrouve dans la bouche d’un père racontant, effaré, avoir surpris sa fille donnant le sein à son enfant.
133 Euripide, Suppliantes, 652.
134 Cf. Ch. Segal, « L’homme grec spectateur et auditeur », p. 312-315.
135 Sophocle, Trachiniennes, 896-897 ; cette réflexion est bien sûr un moyen d’insister sur le caractère tragique de la scène.
136 Le public éprouve la douleur et le désespoir que scandent la reine Atossa et le chœur des Perses tout au long du récit du messager (Eschyle, Perses, 256-259 ; 262-265 ; 268-271 ; 274-277 ; 280-283 ; 286-298 ; 331-336 ; 433-434 ; 445-446 ; 472-479 ; 515-519) ; il partage la détresse de Créon lorsqu’on lui annonce le suicide de son épouse (Sophocle, Antigone, 1306-1311).
137 Eschyle, Perses, 254 : « déployer toute l’étendue du désastre » (πᾶν ἀναπτύξας πάθος).
138 Euripide, Oreste, 1455 : « Sang et souffrance et sinistre sacrilège/que j’ai vus, que j’ai vus en ce palais de rois » (φονίων παθέων ἀνόμων τε κακῶν/ἅπερ ἔδρακον ἔδρακον/ἐν δόμοις τυράννων).
139 Aristote, Poétique, 1452b 11-13 (trad. R. Dupont-Roc et J. Lallot, légèrement modifiée).
140 Aristote, Poétique, 1452b 9-10 : « Voilà donc deux parties de l’histoire (muthos) : le coup de théâtre (peripeteia) et la reconnaissance (anagnorisis) ; une troisième est l’effet violent (pathos) » (trad. R. Dupont-Roc et J. Lallot).
141 Aristote, Poétique, 1450a 38. Cf. Fl. Dupont, Aristote ou le vampire du théâtre occidental, p. 47 (plus largement, p. 39-77).
142 Aristote, Poétique, 1450a 9-10.
143 R. Dupont-Roc et J. Lallot, Aristote. La Poétique, Paris, Le Seuil, 1980, p. 234.
144 N. Loraux, « Les mots qui voient », EL, 2-3, 1988, p. 157-182 (p. 169). Nicole Loraux cite ici R. Dupont-Roc et J. Lallot, op. cit., p. 234.
145 Euripide, Phéniciennes, 1340-1341 (nous traduisons).
146 N. Loraux, art. cit., p. 170.
147 Voir I. J. F. De Jong, Narrative in Drama, p. 131-139 ; J. Barrett, Staged Narrative, p. 102-131 ; H. Foley, Ritual Irony. Poetry and Sacrifice in Euripides, Ithaca et New York, Cornell University Press, 1985, p. 223-234.
148 N. Loraux, « Les mots qui voient », p. 176.
149 Eschyle, Sept contre Thèbes, 848 (nous traduisons). Voir N. Loraux, art. cit., p. 179 : « parce que les mots ont du corps, il n’était pas nécessaire qu’Œdipe s’aveuglât devant nous ».
150 La bibliographie à ce sujet est très abondante ; voir notamment K. Eden, Poetic and Legal Fiction in the Aristotelian Tradition, Princeton, Princeton University Press, 1986, p. 7-24 ; P. D. Arnott, Public and Performance, p. 51-56 et p. 107 et suiv. Cette relation qu’entretient la tragédie avec les tribunaux est réciproque, tout procès ayant un caractère théâtral : nous y reviendrons au chapitre IV.
151 Ed. Hall, Aeschylus’Persians, Warminster, Aris & Phillips, 1996, v. 266n, p. 130. Edith Hall suit, sur ce point, K. Eden, op. cit. p. 15. Voir Aristote, Rhétorique, I, 1355b 35 et suiv., et 1375a 22 sq. Sur la primauté du témoignage sur tout autre type de preuve, et sur l’évolution du principe de présentation orale directe, voir R. J. Bonner, Evidence in Athenian Courts, Chicago, 1905, p. 46-48 ; D. M. MacDowell, The Law in Classical Athens, p. 242-243 : « Pendant la période la plus ancienne, le témoin présentait son témoignage oralement, devant la cour : l’orateur qui le convoquait lui posait des questions ou l’invitait à dire ce qu’il savait de l’affaire ou à confirmer ce que l’orateur avait dit. Mais, au IVe siècle, la règle a changé ; il fallait alors une déclaration écrite pour tout témoignage, rédigée à l’avance et qui était lue devant le tribunal par un greffier, le témoin se contentant de confirmer que ce qui était consigné dans la déclaration était exact. » Il suffit de comparer Lysias, qui appelle le témoin à la tribune (e. g. Lysias, Pour Polystratos, 29), à Démosthène, qui demande au greffier de lire les témoignages (e.g. Démosthène, Sur la Couronne, 267). Sur la possibilité d’interroger le témoin, voir notamment Aristophane, Guêpes, 962-966 ; Andocide, Sur les Mystères, 14. On notera que, s’ils font toujours un long rapport de la scène à laquelle ils ont assisté, les messagers tragiques doivent également bien souvent répondre aux questions pressantes des personnages et/ou du chœur ; voir, par exemple, Sophocle, Antigone, 1172-1182 ; Œdipe Roi, 911-1085 ; Euripide, Hippolyte, 1157-1172.
152 Tous les hommes adultes libres, même les étrangers, pouvaient être témoins, soit de leur propre gré, soit parce qu’ils étaient convoqués. Le témoignage d’un esclave, en revanche, n’était valable que s’il était recueilli sous la torture (e. g. Antiphon, Troisième tétralogie, 4) ; les femmes témoignaient sous la foi du serment et leur déposition était lue devant le Tribunal dans lequel elles n’avaient pas le droit de pénétrer (e.g. Démosthène, Contre Euboulidès, 67-69). Voir notamment S. C. Todd, « The Purpose of Evidence in Athenian Lawcourts », in P. Cartledge, P. Millett, et S. C. Todd (éd.), Nomos : Studies in Athenian Law, Politics and Society, Cambridge, Cambridge University Press, 1990, p. 19-39 (p. 26).
153 Lysias, Pour Polystratos, 28.
154 Démosthène, Contre Stéphanos II, 6-7. Voir également Démosthène, Contre Euboulidès, 4. À ce propos, cf. R. J. Bonner, Evidence in Athenian Courts, p. 20 et suiv. Le témoin devait donc – sauf cas de force majeure – être présent en personne au procès : voir Lysias, Contre Pancléon, 4. Cette méfiance à l’égard de l’akoè n’est pas propre au domaine judiciaire – on la retrouve également chez Thucydide, on l’a vu – ni au Ve siècle : voir par exemple Héraclite, 22 B 101 a Diels-Kranz : « les yeux sont des témoins plus sûrs que les oreilles » ; Hérodote, I, 8. On remarquera cependant que l’importance des témoignages dans les tribunaux, comme celle des récits de messagers dans la tragédie, est la marque de la valeur de l’oralité dans la culture grecque au Ve siècle.
155 G. Schepens, « L’idéal d’information complète », p. 84, cité plus haut.
156 Pollux, VIII, 37. Cf. C. Carey, « The Witness’s Exomosia in the Athenian Courts », CQ, 45, 1995, p. 114-119 ; A. R. W. Harrison, The Law of Athens, vol. 2, Oxford, Clarendon Press, 1971, p. 143-144.
157 Démosthène, Contre Stéphanos II, 2.
158 Ch. Segal, « L’homme grec, spectateur et auditeur », p. 291.
159 Ibid., p. 281.
160 Démosthène, Contre Stéphanos II, 9.
161 En effet Dioclidès intente une action en illégalité (eisangelia) – et non une action ordinaire, puisque la sûreté de la Cité est en jeu – contre les prétendus hermocopides ; c’est pourquoi il témoigne devant le Conseil.
162 Andocide, Sur les Mystères, 37.
163 Ch. Orfanos, « Ecclésia vs banquet », p. 214. Par le discours indirect, Andocide essaie, autant que possible, de discréditer cette déposition qui l’accable, afin que Dioclidès n’apparaisse pas comme un témoin digne de ce nom.
164 Andocide, Sur les Mystères, 38-40.
165 Plutarque, Alcibiade, 20, 8. Cf. K. J. Dover, « Diokleides and the Light of the Moon », CR, 15, 1965, p. 247-250. Sur la dikè pseudomarturiôn en général, voir A. R. W. Harrison, The Law of Athens, vol. 2, p. 127-131, 144-145, 192-198 ; D. M. MacDowell, The Law in Classical Athens, p. 244-245 ; S. C. Todd, « The Purpose of Evidence », p. 36-38.
166 De même, nous l’avons dit, certains messagers tragiques racontent comment ils observaient la scène sans être vus : Sophocle, Trachiniennes, 914-915 ; Euripide, Bacchantes, 1050.
167 Ch. Orfanos, art. cit., p. 214.
168 Sophocle, Électre, 761-763.
169 Ibid., 773-775. Il est intéressant de noter qu’un des rares messagers qui ne dit ne pas avoir vu de ses propres yeux les faits rapportés, mais reconnaît transmettre une rumeur, non seulement est porteur de fausses nouvelles, mais surtout échoue dans son entreprise : sans que l’imposture soit dévoilée, ses paroles n’auront pas l’efficacité attendue. Il s’agit du Marchand envoyé par Ulysse pour berner Philoctète et qui déclare à Néoptolème : Οὐκ οἶδ’ ἀκούσας δ’ἄγγελος πάρειμί σοι. « Je ne sais, mais je suis venu te porter message de ce que j’ai entendu » (Sophocle, Philoctète, 564). Voir Ch. Orfanos, « Un tissu de mensonges. Essai sur le premier épisode du Philoctète de Sophocle », Dioniso, 2, 2003, p. 2-11.
170 Nous reviendrons sur ce point au chapitre iv, p. 167-185.
171 Dans le cas de la scène de messager, les membres du chœur sont en effet comme autant de jurés qui écoutent et même « regardent » son témoignage, mais en aucun cas ils ne portent de jugement, ni sur la véracité du récit du messager, ni sur la scène rapportée. En revanche, ils laissent libre cours à leur émotion (voir Euripide, Andromaque, 1070-1071). Nous touchons là la différence majeure qui sépare le témoin du messager tragique : dans la tragédie, le récit du messager constitue souvent un climax d’émotion et de violence et, dans bien des cas, précipite le dénouement, mais il n’entraîne pas un quelconque jugement entre deux parties adverses.
172 S. Barlow, The Imagery of Euripides, p. 60.
173 Euripide, Héraclès, 1009-1011.
174 Sur la subjectivité des récits de messagers euripidéens, voir I. J. F. De Jong, Narrative in Drama, p. 63-116.
175 Sophocle, Antigone, 1161-1171. Voir encore Euripide, Médée, 1222-1227.
176 Sophocle, Antigone, 1196.
177 Voir également, par exemple, Euripide, Hécube, 580-582 ; Andromaque, 1161-1165 ; Héraclides, 813-817 ; 863-866 ; Oreste, 902-906 ; 918-922.
178 Aristote, Poétique, 1449b 24-25.
179 Ibid., 1448a 17-18.
180 Voir Ph. Vellacott, Ironic Drama. A Study of Euripides’ Method and Meaning, Cambridge, Cambridge University Press, 1975, p. 218-219.
181 Non seulement le messager donne son avis, mais il prend aussi la parole sans qu’on l’y invite. Voir par exemple Sophocle, Trachiniennes, 189-190 ; Euripide, Bacchantes, 660-662.
182 Eschyle, Sept contre Thèbes, 62-67. Voir également v. 57-58 ; 470-471.
183 Euripide, Oreste, 953-955.
184 Ainsi, Euripide, Hippolyte, 1174.
185 Voir notamment Sophocle, Antigone, 1219 ; 1278 ; Euripide, Médée, 1144 ; Hippolyte, 1187 ; 1219 ; 1196 ; Andromaque, 1072, 1110, 1146.
186 Euripide, Hippolyte, 1249-1251.
187 M. Heath, The Poetics of Greek Tragedy, Londres, Duckworth, 1987, p. 157. Voir également Euripide, Oreste, 867-870 : « Je ne suis qu’un pauvre homme (πένητα μέν), mais (δέ) ceux que je chéris peuvent compter sur moi, j’ai le cœur généreux… »
188 Cf. I. J. F. De Jong, Narrative in Drama, p. 67-68.
189 Ed. Hall, « The Sociology of Athenian Tragedy », in P. Easterling (éd.), The Cambridge Companion to Greek Tragedy, p. 93-126 (p. 113). Voir Euripide, Héraclides, 389-392.
190 Aristophane, Guêpes, 909.
191 Aristophane, Grenouilles, 949-954. Voir Euripide, Électre, 1049-1050 et 1055-1056. Cf. E. T. E. Barker, « “Possessing an Unbridled Tongue”. Frank Speech and Speaking Back in Euripides’ Orestes », in D. M. Carter (éd.), Why Athens ?, p. 145-162 (p. 145-147 notamment).
192 F. Nietzsche, La Naissance de la tragédie, Paris, Gallimard, 1977 (1869-1872), p. 73. Voir P. Vidal-Naquet, « L’honneur perdu et retrouvé d’Euripide », p. 302-313.
193 Euripide, Hippolyte, 421-423. Voir également Ion, 670-675 ; Phéniciennes, 390-393. Sur ces passages, cf. notamment D. M. Carter, « Citizen Attribute, Negative Right. A Conceptual Difference Between Ancient and Modern Ideas of Freedom of Speech », in I. Sluiter et R. M. Rosen, Free Speech in Classical Antiquity, p. 197-220 (p. 214-215). Notons que dans Oreste, en revanche, parrhèsia est employé dans un sens clairement négatif, au sujet d’un démagogue sans scrupules (v. 905).
194 Euripide, Bacchantes, 666-671 (trad. V.-H. Debidour légèrement modifiée).
195 Voir également [ Euripide], Rhésos, 264-272.
196 P. Vidal-Naquet, « L’honneur perdu et retrouvé d’Euripide », p. 304.
197 S. C. Todd, The Shape of Athenian Law, Oxford, Clarendon Press, 1993, p. 312.
198 Euripide, Héraclides, 826.
199 Cela est plus évident encore dans le récit de l’assemblée argienne que fait le messager de l’Oreste d’Euripide (v. 852-956).
200 Voir, par exemple, parmi des centaines d’occurrences, ἄνδρες πολῖται : Antiphon, Deuxième tétralogie, 1 ; ἄνδρες Ἀθηναῖοι : Lysias, Contre Andocide, 8 ; Contre Ératosthène, 69 ; Démosthène, Première Olynthienne, 9 ; Sur la paix, 5 ; Sur les symmories, 15 ; Sur l’ambassade, 48 ; Eschine, Contre Timarque, 1 ; Contre Ctésiphon, 16 ; Thucydide, I, 53, 2 ; ἄνδρες δικασταί : Lysias, Contre Agoratos, 48 ; Contre Alcibiade I, 19 ; Andocide, Sur les Mystères, 136 ; Antiphon, Sur le choreute, 1 ; Démosthène, Sur la Couronne, 196. Cf. A. O. Wolpert, « Adresses to the Jury in the Attic Orators ».
201 Sophocle, Œdipe à Colone, 1579-1582.
202 Sophocle, Œdipe Roi, 1223-1224.
203 Il se passe exactement la même chose dans les tribunaux, où les interpellations telles que andres Athenaioi et même andres dikastai sont aussi bien destinées au public qui assiste au procès qu’aux jurés.
204 Sophocle, Antigone, 1179 (nous traduisons).
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