Chapitre I. Aristophane et les citoyens-spectateurs
p. 85-103
Texte intégral
1À Athènes, les comédies sont représentées dans un cadre institutionnel, à l’occasion des Grandes Dionysies et des Lénéennes, et le public est, pour l’essentiel, composé de citoyens habitués à participer aux débats, à être acteurs et non spectateurs. Or le temps de la représentation, le pouvoir de la parole est entre les mains du poète qui propose un spectacle au peuple assemblé pour le regarder. Comment l’un et l’autre réagissent-ils à cette situation ? Comment le dèmos athénien assume-t-il sa position de spectateur ? Est-ce une situation aussi passive que le terme « spectateur » le sous-entend en français ? Le terme théatès ne recouvre-t-il pas une tout autre réalité ? Autant de questions auxquelles nous tenterons d’apporter des réponses, en examinant la façon dont le poète comique s’adresse, dans ses pièces, à ses concitoyens et adopte ainsi, d’une certaine façon, la posture de l’orateur, transformant le koilon du théâtre en koilon de la Pnyx : les spectateurs sont renvoyés à leur statut de citoyens.
Les adresses au dèmos
2Les spectateurs occupent une place importante dans les pièces d’Aristophane, en particulier dans la parabase. La parabase est une séquence cohérente, présente dans la plupart des comédies, composée d’un certain nombre de parties déclamées par le chef du chœur (en général trois) et un certain nombre de parties chantées par le chœur tout entier (en général quatre). La parabase dans son ensemble, mais singulièrement la première partie déclamée (les anapestes), se distingue par un contenu qui se veut didactique, porté par un « je » différent de celui des personnages de la pièce ou, du moins, décalé par rapport à la fiction. La parabase est ainsi le lieu privilégié de l’adresse au public ; pourtant, parmi les 47 occurrences du substantif theatai, de son équivalent, le participe présent theomenoi, et du collectif theatron dans les comédies d’Aristophane qui nous sont intégralement parvenues1, quatorze seulement se trouvent dans la parabase : visiblement, le dialogue avec le public n’était pas réservé à ce seul moment privilégié. Sur le plan grammatical, on constate que le nominatif (huit occurrences), le vocatif (quatre occurrences), l’accusatif (huit occurrences) et le génitif (neuf occurrences) sont moins utilisés que le datif, qui apparaît à 18 reprises. Certes, Aristophane ne se prive pas d’interpeller directement son public, pour l’inciter à une participation plus active à la représentation :
« Holà ! public éminemment sagace (ὦ σοφώτατοι θεαταί) ! Ouvrez bien les oreilles : on nous fait tort, et nous ne prenons pas de gants pour vous le reprocher2. »
3Mais le vocatif n’est pas le seul cas qui permette à Aristophane de ramener directement les spectateurs au cœur de la pièce ; l’emploi massif du datif témoigne aussi de ce rapport aux spectateurs, à qui le poète s’adresse, à qui il destine sa comédie. Les mots désignant les spectateurs au datif sont autant de fils qui mènent de l’orchestra aux gradins. On remarque d’ailleurs qu’ils complètent, dans plus d’un tiers des cas, un verbe relevant de la communication entre l’auteur et le public :
« Alors, à présent, que j’expose aux spectateurs (κατείπω τοῖς θεαταῖς) le sujet3… »
4Le poète tisse également des liens dans l’autre sens, en proposant, par la voix notamment du coryphée (le chef du chœur), une sorte de pacte à son public4 : il promet une comédie hilarante et pleine d’enseignements, mais demande, en échange, le premier prix :
« J’en fais le serment – à condition qu’on me donne le prix : jury et public (τοῖς κριταῖς καὶ τοῖς θεαταῖς), à l’unanimité5. »
5Ainsi le poète inclut-il les spectateurs dans la comédie et n’hésite pas à faire allusion à la façon dont leurs réactions en déterminent les conditions d’énonciation. Il en résulte un rapport de réciprocité susceptible d’engendrer une certaine cohésion entre le public et lui-même.
6Enfin, notons que la quasi-totalité de ce lexique est au pluriel. Le poète ne s’adresse jamais individuellement à tel ou tel spectateur, mais à l’ensemble du public, dans son unité. C’est une des raisons pour lesquelles « les citoyens spectateurs, en dépit de leur diversité, prennent conscience de leur solidarité au sein du cadre civique et de l’édifice public où ils se trouvent réunis6 ». L’expression « quelqu’un parmi les citoyens (τῶν πολιτῶν τις) », qu’Aristophane emploie à plusieurs reprises7, ne désigne pas un individu en particulier, au milieu de la foule assemblée ; tous sont également visés par le pronom indéfini, qui ne les désigne qu’en tant qu’éléments d’un ensemble cohérent. C’est ce sens que revêt également l’unique occurrence de theatès au singulier8, qui désigne non un spectateur en particulier, mais le spectateur type, le public dans son ensemble.
7C’est encore ce public que désigne, par métonymie, le terme theatron, employé à cinq reprises par Aristophane, comme on l’a vu plus haut9. Malika Hammou a étudié le sens particulier de ces occurrences, qui ne renvoient évidemment pas à l’édifice du théâtre, mais à la foule qui s’y trouve10. En préférant la métonymie, le poète s’adresse aux spectateurs « présents ici et maintenant, dans le lieu et dans le temps de l’énonciation11 ». Dans trois de ces occurrences, il s’agit du chœur qui « s’avance vers le public (pros theatron parabainein)12 » pour s’adresser à lui. Les deux autres13 sont des appels à une participation active des spectateurs. Dans la perspective de notre étude, on ne peut qu’être frappé par l’analogie avec le terme qui désigne la cité elle-même, qui, on le sait, n’est rien sans les citoyens14 : pour Aristophane, les theatai sont au theatron ce que les politai sont à la polis.
8À la différence du théâtre du XIXe siècle, dans lequel le spectateur est tenu au silence, plongé dans l’obscurité pour mieux se faire oublier des autres, voire de lui-même, le théâtre grec en général, et la comédie d’Aristophane en particulier, crée une cohésion exceptionnelle non seulement entre la scène et les gradins, mais aussi entre les spectateurs eux-mêmes. Il y avait pourtant, dans le théâtre de Dionysos, un public très varié. La question se pose alors de savoir quelle était, historiquement, la nature de ce public qu’Aristophane incluait dans le collectif theatai et désignait par la métonymie theatron.
9Le théâtre de Dionysos à Athènes, on l’a vu, pouvait accueillir entre 10 000 et 15 000 spectateurs, répartis sur environ 45 gradins. De toute évidence, Platon exagère lorsque, dans le Banquet, il fait dire à Socrate qu’Agathon a charmé par son talent, en 416, « plus de 30 000 d’entre les Grecs15 ». Certes les Anciens eux-mêmes estimaient le seul corps civique athénien à une trentaine de milliers16, et, aux Grandes Dionysies, étaient également présents quelques centaines de Grecs venus d’ailleurs. Mais tous n’assistaient pas aux spectacles. Au fait, de qui la foule de spectateurs était-elle composée ?
10Si le public constituait un certain échantillon de la population d’Athènes, il ne l’était ni parfaitement ni proportionnellement. Il est généralement admis que les citoyens athéniens y étaient majoritaires ; comme le souligne Jean-Claude Carrière, le public du théâtre « est à peu près le même qu’à l’Assemblée du peuple et au Tribunal17 ». Cependant, à ce dèmos spectateur, il faudrait sans doute ajouter des enfants, à en croire plusieurs allusions d’Aristophane18. De même, il semblerait, toujours d’après ce que l’on peut déduire d’Aristophane, que les femmes pouvaient venir au théâtre, pour assister aux tragédies19. Qu’en est-il des comédies ? Sur ce point, les avis sont très partagés, car les allusions d’Aristophane restent obscures20. Il est certain que le coryphée et le chœur s’adressent toujours, à une exception près21, aux spectateurs comme à un public masculin22. Pour Eric Csapo et William Slater, il ne s’agit que d’un « réflexe social et rhétorique23 ». Douglas MacDowell24, quant à lui, n’y voit que deux explications possibles. La première, que l’on tient les femmes éloignées de ces représentations25. La seconde, que les femmes sont présentes mais complètement ignorées. On pourrait se laisser convaincre par la première explication, compte tenu du caractère profondément politique – la politique à Athènes était une « affaire d’hommes », on le sait – et de la jouissive obscénité du genre. Cependant, ce serait oublier que les codes moraux n’étaient pas les mêmes que les nôtres, et que ce qui blesse notre pudeur n’agissait pas de la même façon sur les contemporains d’Aristophane. La notion d’obscénité appliquée aux comédies grecques est un anachronisme26. Il est donc très risqué de s’y appuyer pour justifier l’absence des femmes au théâtre ; on sait d’ailleurs que, dans certains contextes rituels (lors des fêtes de Déméter et Korè notamment), les femmes grecques avaient le quasi-monopole de ce que l’on pourrait aujourd’hui considérer comme obscène27. En ce qui concerne l’argument « politique » contre la présence des femmes dans le koilon, Christiane Sourvinou-Inwood y a répondu : postuler que les femmes étaient exclues du théâtre sous prétexte que le théâtre était politique, c’est en ignorer le contexte rituel. Or les femmes participaient sans aucun doute à la procession des Grandes Dionysies, il n’y a donc aucune raison d’imaginer qu’elles fussent exclues des représentations dramatiques28. Aussi la seconde explication nous semble-t-elle la plus probable : les femmes assistaient aux représentations comiques29, mais étaient généralement ignorées30.
11Les esclaves, quant à eux, semblent avoir été autorisés à se rendre au théâtre, à condition que leurs maîtres paient pour eux31. Les métèques – les étrangers vivant de façon permanente à Athènes – pouvaient y assister aussi ; ils devaient payer leur place eux-mêmes, à l’instar des alliés et des étrangers… ainsi que, précisons-le, des citoyens, jusque vers 355, date probable de la mise en place du théôrikon, fonds destiné à couvrir les frais d’entrée au théâtre des citoyens athéniens les plus démunis32.
12Le lieu de résidence, ensuite, a dû jouer aussi un rôle primordial dans la composition du public. Il est évident que les habitants de la ville (astu) assistaient plus facilement à ces concours que les habitants de la périphérie, qui devaient faire le trajet à pied, puis supporter le coût d’un séjour en ville, alors même qu’ils avaient l’occasion de fêter les Dionysies dans leurs dèmes33. Cependant, du moins pendant la longue période de la Guerre du Péloponnèse, où une partie importante de la population paysanne et suburbaine se réfugiait à l’intérieur des Longs Murs, le public n’est pas strictement urbain, pas plus qu’il n’était, on l’a dit, exclusivement athénien : si la fête des Lénéennes est relativement intime, les Grandes Dionysies, en revanche, attirent un nombre conséquent d’étrangers, notamment en provenance des cités alliées34.
13C’est donc un public passablement hétéroclite qui occupait les gradins du théâtre de Dionysos, un public à l’image de la société athénienne puisque apparemment ni les femmes, ni les enfants, ni les esclaves, ni les métèques ni même les étrangers n’en étaient exclus. Reste encore la question de savoir si, dans l’édifice théâtral, il existait ou non des zones réservées à telle ou telle catégorie de public.
14D’après les sources dont nous disposons, il semble que les spectateurs ne s’asseyaient pas dans le koilon là où ils le désiraient35. Il y avait tout d’abord ceux qui bénéficiaient de la proédrie (c’est-à-dire du privilège d’être assis au premier rang), qui revenait de droit, en principe, à certains magistrats36, dont certains prêtres, ou pouvait encore être attribuée à titre honorifique à un bienfaiteur. Des étrangers pouvaient en bénéficier au même titre que les citoyens. Au théâtre de Dionysos, le premier rang était constitué de fauteuils en marbre, réservés aux prêtres et aux magistrats – nous les avons déjà évoqués. Les évergètes devaient probablement se contenter de gradins ordinaires, agrémentés de coussins ou de tapis37. D’autre part, une certaine zone du koilon, centrale sans doute, semble avoir été dévolue aux éphèbes, ainsi qu’une autre au Conseil38. Enfin, une scholie à l’Assemblée des femmes d’Aristophane fait mention d’une loi qui aurait mis à part les prostituées et aurait assigné des places distinctes aux hommes et aux femmes39. Il est probable que les femmes ont été reléguées aux derniers rangs du koilon ou à l’une des extrémités latérales40. Cette mise à l’écart serait une traduction spatiale de leur marginalité sociale.
15Le poète présente donc, semble-t-il, ses comédies devant un public réparti dans le koilon de façon précise et hiérarchisée. À qui s’adresse-t-il lorsqu’il interpelle les theatai ou theômenoi, lorsqu’il s’adresse au theatron ? Dialogue-t-il réellement avec l’ensemble de son public ou seulement avec les citoyens athéniens ?
16En dépit du vocabulaire inclusif qu’il emploie (« hommes », « spectateurs », « théâtre »), il semble qu’Aristophane, dans le dialogue qu’il établit avec les gradins, ne s’adresse pas à tous ceux qui assistaient à la représentation. En effet, nous venons de montrer que les femmes, bien que présentes dans le koilon, étaient ignorées. Les esclaves non plus ne sont jamais pris en compte en tant que composante du theatron notionnel41. Quant aux métèques et aux étrangers, s’ils sont fréquemment évoqués, ils ne sont invoqués que dans la Paix, par un solennel « mes chers Hellènes » (andres Hellènes)42. Mais cet appel aux Grecs est somme toute très général et bien moins direct que celui lancé aux theatai dans les Nuées43, par exemple, où le poète demande une participation active ; ici, l’invocation reste passablement abstraite.
17Ainsi, s’il apparaît clairement que les comédies d’Aristophane sont destinées à tous les theatai, terme qui est employé, avec celui de theatron, pour désigner la foule massée sur les gradins, il est tout aussi clair que le poète, dans les liens qu’il tisse avec ce public, s’adresse de façon quasi exclusive aux politai. Le substantif politès (« citoyen ») est aussi fréquent que theatès et, parmi les 30 occurrences du terme, le pluriel prédomine largement, puisqu’il représente deux tiers des emplois. Mais les occurrences ne sont pas réparties de façon régulière dans les pièces : il n’y en a aucune dans les Nuées, ni dans les Oiseaux, pas plus que dans les Thesmophories. C’est dans les Grenouilles que l’on trouve le plus fréquemment ce mot (neuf fois), puis dans les Cavaliers (huit fois), ce qui n’est guère étonnant dans une pièce organisée autour d’une personnification du dèmos. Ces emplois font parfois référence à un personnage de la pièce, tel Dicéopolis qui se dit « bon citoyen44 », ou encore le Charcutier des Cavaliers, s’exclamant à propos du Paphlagonien : « Eh bien, écoutez ce que c’est que ce citoyen-là45. » D’autres occurrences désignent le public. Ainsi, l’un des serviteurs des Cavaliers rassure le Charcutier :
« Mais il y a les Cavaliers, un millier de braves, qui le détestent ; ils te porteront secours. Il y a tous les bons braves citoyens (τῶν πολιτῶν οἱ καλοί τε κἀγαθοί), tous les spectateurs qui se trouvent être malins (τῶν θεατῶν ὅστις ἐστὶ δεξιός), et moi avec aux, et le Ciel qui sera pour nous46 ! »
18Aristophane n’utilise pas le terme politès de la même façon qu’il emploie theatès. En effet il n’interpelle jamais directement son public par le terme politai : il n’emploie pas le vocatif et seulement quatre fois le datif47. De même, l’étude des emplois de dèmos, terme très fréquent dans les comédies, montre bien qu’il n’est jamais utilisé pour s’adresser aux spectateurs ; conscient du caractère hétéroclite de son public, le poète choisit de s’en tenir à theatai ou encore à theatron. Ces termes, tout en incluant discrètement les non-citoyens présents au théâtre, permettent au poète de préserver la spécificité de la comédie ancienne, qui consiste à faire rire la cité d’elle-même48.
19En effet, si les prix étaient attribués, à l’issue des concours, après tirage au sort de cinq des dix bulletins de vote, les dix jurés, des citoyens eux-mêmes tirés au sort, ne pouvaient ignorer l’avis des spectateurs – citoyens ou non –, exprimé plus ou moins bruyamment pendant les représentations49. Or non seulement les Athéniens, avant d’être des theatai, sont, en tant que politai, les décideurs et les organisateurs des spectacles auxquels ils assistent, mais, en outre, ils constituent la grande majorité du public, si bien que, en fin de compte, s’adresser aux theatai revient à s’adresser avant tout aux politai. De plus, la grande abondance de termes appartenant à la famille de dèmos (plus de 200 occurrences) montre bien que ce dernier occupe une place centrale dans la comédie, quel qu’en soit le sujet, et contribue à renforcer cette cohésion que nous évoquions plus haut entre l’orchestra et les gradins, sans que des adresses directes soient nécessaires. C’est aux politai que le poète destine ses pièces, car ils en sont le centre, c’est avec eux qu’il établit un lien grâce aux sujets traités, aux allusions et plaisanteries, qui font toutes référence à leur vie quotidienne, privée ou politique50. La femme, l’étranger, ou encore l’esclave, qui n’ont jamais participé aux séances de l’ekklèsia ou aux tribunaux, ne savourent probablement pas tout le comique des Guêpes ou des Cavaliers, par exemple, qui mettent respectivement en scène un procès et une séance de l’Assemblée du peuple. Avec les comédies d’Aristophane, les citoyens-spectateurs assistent à leur propre spectacle et les politai sont les premiers à se réjouir d’être mis en scène par les comiques. C’est ce qui fait écrire à Nicole Loraux : « Rire à Athènes : cela signifie rire de soi, tant il est vrai qu’aucun sujet n’intéressait les Athéniens plus qu’eux-mêmes51… »
20Ainsi, si poète tisse des liens étroits avec un public hétéroclite, il s’adresse avant tout aux citoyens. N’est-ce pas ce qui permettra à Platon de dire, dans un passage bien connu du Gorgias, que « le poète semble faire au théâtre métier d’orateur (ῥητορεύειν ἐν τοῖς θεάτροις)52 » ?
Le poète orateur
21La comédie établit un dialogue constant entre l’orchestra et les gradins. Les spectateurs sont régulièrement interpellés, voire parfois brocardés sans détour. Mais le poète ne s’en tient pas là : dans chacune de ses pièces, il multiplie les allusions à la vie quotidienne du public – y compris physique53 et familiale54. Que l’action se passe sur la Pnyx (Acharniens, Cavaliers) ou dans les airs, à Coucouville-les-Nuées (Oiseaux) ou encore au plus profond des Enfers (Grenouilles), le spectateur est toujours en terrain familier, ce qui lui permet de pénétrer plus aisément dans le monde inconnu et irréel de la comédie. Aristophane met ainsi en scène la société athénienne55, son fonctionnement, certains événements politiques et militaires importants de son temps56 et, bien sûr, les personnalités les plus en vue du moment57.
22Cette omniprésence de la réalité représente une tentation permanente pour les commentateurs de tendance historiciste, qui cherchent à déceler dans ces allusions les opinions politiques du poète. L’évocation de sujets familiers aux spectateurs procéderait ainsi de la volonté d’Aristophane de faire du théâtre une tribune politique. Cette lecture rhétorique de la comédie voit le jour à la fin du XVIIIe siècle : en effet, comme le montre Romain Piana, « tout se passe comme si l’expérience révolutionnaire donnait à l’œuvre du comique athénien un horizon concret et une dimension politique certes déjà repérée, mais sans doute peu perçue58 ». Ainsi, « l’histoire de la critique aristophanienne au XIXe siècle sera dominée par la généralisation d’une lecture militante de l’auteur, qui subordonne la satire à son but politique59 ». Aristophane est décrit comme un virulent orateur ; cette lecture d’Aristophane, inaugurée par Cailhava en l’an v60, a eu des résonances jusqu’à la fin du XXe siècle. En effet, tout au long de cet « âge des extrêmes61 », les critiques ont non seulement vu en Aristophane un orateur politique, mais ont également tenté de démontrer son extrémisme – de gauche ou de droite. Ainsi, pour Karl Reinhardt, Aristophane est certes un conseiller, mais aussi un éducateur politique62. Quelques décennies plus tard, l’historien marxiste G. E. M. de Sainte Croix, pour qui le poète comique est à considérer « comme une source historique importante pour l’Athènes de la fin du Ve siècle et du début du IVe », affirme que « nous devons faire tout notre possible, en tant qu’historiens, pour découvrir les opinions d’Aristophane63 ». Selon lui, le poète utiliserait la comédie comme outil de propagande politique, au service de ses idées conservatrices, typiques de l’élite. Antonio Sartori abonde dans ce sens, en expliquant comment les Grenouilles donnent une image fidèle des idées du poète ; selon lui, Aristophane s’y fait le porte-parole d’un traditionalisme constitué avant tout de nostalgie, sans cacher sa sympathie pour le parti aristocratique, représentant les valeurs du passé64. À l’extrême inverse, Guido Paduano lit les Oiseaux comme une comédie révolutionnaire, dans laquelle le poète appelle au renversement total du système65. Plus nuancé, Jean-Claude Carrière, soulignant le conservatisme général des Comiques, avance qu’« Aristophane pouvait être un conservateur modéré de type théraménien », tout en admettant qu’il s’agit là d’une « idée très approximative66 ».
23Aristophane serait-il donc un dèmègoros, haranguant les foules à travers ses comédies ? Son but était-il réellement de mettre en avant ses idées politiques et d’en faire la promotion ? Si c’est bien ce qu’estimaient, à l’époque de la Guerre froide, et singulièrement dans les années 1970, bon nombre d’érudits67, il n’est presque plus personne aujourd’hui pour faire une telle lecture de la Comédie Ancienne68. Il est en effet essentiel pour le jeu comique que la voix du poète soit insaisissable69. C’est pour cette raison que, dans les Cavaliers, par exemple, la pièce qui, plus que toute autre, semble partisane aux yeux des lecteurs insensibles à la spécificité du genre comique, on ne peut trouver que des morceaux épars d’idéologies variées, et il est impossible d’affirmer que l’une d’entre elles, fût-ce celle de la Cité, ait été l’idéologie personnelle d’Aristophane70.
24En effet, Aristophane ne cherche manifestement pas à mettre en avant ses idées politiques ; son but n’est pas d’inciter le dèmos à prendre telle ou telle décision, il n’apporte pas une contribution dans un débat, comme le font par exemple, dans le récit de Thucydide, Cléon et Diodote lors de l’Assemblée concernant le sort de Mytilène en 427 avant J. -C.71. En cela, le poète diffère clairement des orateurs, surtout quand il en adopte volontairement le style et les thématiques72. S’il s’en rapproche, c’est par sa volonté de séduire son public afin de gagner le concours.
25Le poète cherche avant tout à être apprécié de son public ; la relation de complicité qu’il établit à chaque instant avec lui le montre bien. Il attend de ses spectateurs qu’ils le soutiennent et pèsent sur les juges pour lui accorder la victoire : il leur demande explicitement de prendre parti pour lui par leurs suffrages ou leurs applaudissements73 et n’hésite pas à les menacer de ses foudres74. Mais le poète est conscient de la fragilité des liens qui l’unissent au public et se montre souvent prêt à accommoder ses pièces selon les goûts des spectateurs. Dans la parabase des Cavaliers75, il fait preuve de patience et d’humilité envers son public. Ce dernier apparaît, en quelque sorte, comme un erômenos (« garçon aimé par un homme adulte ») inconstant, un gamin à « l’humeur fantasque ». S’il ne se déclare pas « l’amant du peuple (erastès tou dèmou) » aussi explicitement que Cléon76, il le flatte tout autant, ne cessant de mettre en avant l’intelligence et la clairvoyance du bon peuple d’Athènes, tout en profitant de ce moment privilégié qu’est la parabase pour rappeler ses propres mérites. Dans sa bataille comique contre le « monstrueux » Cléon77, il adopte une posture de héros courageux et audacieux. En devenant lui-même le personnage-type du vantard, il se targue d’avoir « bâti un art vraiment fort, (de l’avoir) élevé pierre à pierre, et crénelé de fortes paroles et de fortes idées, de blagues qui ne traînent pas aux coins des rues78 ».
26Si Aristophane ne nous donne pas accès à son idéologie personnelle, si tant est qu’il en ait eu une, il n’en adopte pas moins, pour faire rire son public, la posture intellectuelle d’un conseiller du peuple. Dans ses comédies, le civisme des chœurs « est représenté comme dépendant de celui qui dirige le chœur et, surtout, de celui qui compose sa partie. Le civisme des chœurs et de la fonction de choreute est ainsi dépendant du poète. C’est désormais sur lui, dans la configuration aristophanienne, que repose la bonne marche de la cité79 ». Le civisme du chœur rejaillit ainsi sur le poète, car si les « saintes cohortes » sont nécessaires au salut da la cité, le poète l’est également, et avant elles, car elles ne pourraient exister sans leur chorodidaskalos, leur « directeur de chœur » Mais c’est avant tout des spectateurs que le poète se vante d’être le didaskalos et, comme on l’a montré, il pousse l’image du poète-didaskalos jusqu’à rendre au terme son sens premier : le poète n’est pas seulement le conseiller de la Cité, il en est aussi le maître80. Il dispense « bons conseils et bonnes leçons81 », car lui, « n’a pas peur de dire ce qui est juste » et de l’enseigner82. Le poète apparaît, en définitive, comme l’indispensable maître à penser, garant de la bonne marche de la Cité.
27Cette posture du poète se manifeste encore à travers d’autres métaphores, dont les deux principales sont celles du « poète-jardinier » et du « poète-capitaine83 ». Aristophane, en effet, tel un jardinier, affirme semer des idées dans la tête de ses spectateurs ; à eux de les laisser germer84 et d’en faire bon usage85. Il développe également, à plusieurs reprises, la métaphore de la Cité-navire, topos abondamment exploité par les orateurs86. Le « vaisseau de la Cité87 » ne peut bien sûr être dirigé88 que par un excellent pilote, prudent et audacieux. Qui donc occuperait mieux cette place que le poète ? Grâce à la métaphore nautique, filée tout au long de la parabase des Cavaliers89, le poète apparaît comme celui qui guide la cité : il se donne lui-même, implicitement, le statut de dèmagôgos. S’il ne prétend pas imposer ses vues à ses concitoyens, non seulement il se les rallie en les flattant, mais il leur indique aussi le chemin à suivre et les défend contre les vils orateurs de l’ekklèsia. Aristophane ne cherche pas autre chose que la victoire, et s’il apporte quelque chose au dèmos, c’est bien le pouvoir de comprendre.
28Il n’en reste pas moins qu’en jouant à l’orateur-sauveur de la cité, Aristophane rappelle à ses spectateurs leur statut de citoyens et les oblige à participer activement au spectacle. Le poète a d’ailleurs son porte-parole dans l’orchestra, c’est le coryphée : celui-ci, dans les parabases, s’adresse, en général90, aux spectateurs au nom du poète91, et ce de trois façons. Tout d’abord, dans les parabases des Acharniens, des Cavaliers et des Guêpes, le coryphée assume explicitement ce rôle de porte-parole du poète. Il parle de lui à la troisième personne du singulier, le qualifiant de poiètès92 bien sûr, mais aussi de didaskalos hèmôn93, raconte aux spectateurs ses exploits, explique ses choix, et parle en son nom, au discours indirect94. Il est ensuite certains cas où le coryphée commence avec une phrase au discours indirect, pour enchaîner, comme si de rien n’était, à la première personne du singulier (changement de personne qui intervient au moment où l’on parle de la cible constante du psogos comique, Cléon)95. Enfin, il est des parabases dans lesquelles le poète s’adresse directement, dès le début, à ses spectateurs, en disant « je » ; le ton est alors particulièrement solennel. Dans les Nuées, représentées une seconde fois après un cuisant échec, le poète se doit d’avoir une explication directe avec son public : « Messieurs les spectateurs, je vais vous déballer tout franc les choses comme elles sont96 », leur annonce-t-il.
29L’utilisation de la première personne n’est cependant pas le seul élément des parabases qui donne au public l’impression que le poète s’adresse directement à lui. Les anapestes sont en effet stylistiquement très élaborés et se rapprochent souvent du discours rhétorique. Nous avons déjà évoqué les reproches et les louanges qu’il adresse au public ; il utilise pour cela un vocabulaire appartenant au genre épidictique97. Mais il fait également grand emploi de termes relevant du discours judiciaire98, tout comme du discours délibératif99. Ainsi, le début de la parabase des Guêpes apparaît comme un véritable plaidoyer judiciaire : cette pièce suit celle des Nuées, qui n’avait eu aucun succès. Aristophane se livre donc à un plaidoyer pro domo, se défendant contre les attaques dont il aurait fait l’objet. Ce passage en anapestes est constitué d’un exorde (v. 1010-16), d’un développement, dans lequel le poète mêle argumentation et narration (v. 1017-42), et d’une péroraison (v. 1043-59), dans laquelle Aristophane arrive à la conclusion que le public devrait aimer et choyer les poètes (v. 1051-1059).
30Jouant à transformer, pour quelques instants, la représentation comique en assemblée judiciaire ou politique, le poète emploie, comme l’orateur, toutes ces stratégies afin d’intéresser ses auditeurs, de leur plaire et de les convaincre de sa propre valeur. La volonté de persuasion est la même chez le poète et chez l’orateur politique : le poète qui participe à un concours dramatique prend les mêmes risques que l’orateur qui s’exprime à la tribune. Les honneurs et bénéfices recueillis en cas de succès sont également du même type, et une victoire remportée au concours vaut au poète une reconnaissance politique certaine, mais une reconnaissance de sa personnalité dans sa fonction de poète, et non dans le débat d’idées dont sa poésie se fait l’écho : c’est la Cité dans son ensemble qui le récompense. Ainsi, Aristophane utilise parfois les mêmes moyens que l’orateur pour capter l’attention de son public et le convaincre, mais ne cherche pas, lui, de succès extra-théâtral et politique : il demande simplement la victoire au concours comique des Grandes Dionysies. La comédie n’en est pas apolitique pour autant ; elle est fonctionnelle pour la Cité démocratique.
31En effet, si le poète se compare, volontairement mais à des fins comiques, à l’orateur, il joue également avec son public, qui en devient alors l’auditeur. Par l’évocation, voire la représentation sur scène des espaces politiques tels que la Pnyx ou l’Héliée, Aristophane pousse plus loin encore l’assimilation et fait de ses spectateurs, citoyens en majorité, les participants d’assemblées populaires comiques.
La Pnyx comique
32La représentation d’Athènes, de l’Attique et, plus largement, du monde grec, sur la scène comique, a fait l’objet de diverses études. Nous devons à Simon Byl100 le premier relevé exhaustif de tous les termes géographiques, ethnographiques et topographiques que comptent les onze comédies d’Aristophane. Antonio López Eire soutient que tous les « espaces publics » ou « espaces de communication », centres névralgiques de la polis, se trouvent ridiculisés par la comédie, où ils servent de toile de fond pour l’action du héros comique101. C’est l’orientation d’une grande partie des travaux sur la question. Pour Suzanne Saïd102, qui y voit un miroir à la fois fidèle et déformant de l’Athènes réelle, la représentation de l’Athènes comique n’est jamais gratuite : comme la caricature des hommes politiques, la mise en scène des lieux publics constitue une satire destinée à dévoiler les vicissitudes de la démocratie. Quant à Danièle Auger, elle montre que « la représentation du politique passe d’abord par des personnages qui en offrent une figuration spatiale ou lui donnent corps, tels Dicéopolis ou Démos ». Ils permettent de mettre en scène la restauration de la cité et du citoyen, grâce à la construction d’un « équilibre entre faire et recevoir, participation et consommation ». Or « la rupture de cet équilibre finit par imposer l’image d’un citoyen passif, inerte, et aboutit alors dans l’Assemblée des femmes à mettre en scène le constat attristé de la mise à mort du politique103 ».
33Les représentations d’Athènes sont-elles si négatives et aussi moralisantes que ces études le suggèrent ? C’est à travers l’exemple des représentations de la Pnyx, espace central pour la démocratie athénienne, que nous tenterons de répondre à cette question. Cette colline voisine de l’agora104 qui accueille, assis sur la pente naturelle du rocher, les citoyens réunis en ekklèsia, se trouve en effet déplacée dans l’orchestra du théâtre de Dionysos dans trois pièces conservées d’Aristophane : les Acharniens, les Cavaliers et les Thesmophories105.
34Les Acharniens s’ouvrent en effet sur la Pnyx106 et le protagoniste, Dicéopolis, se trouve seul face au koilon encore vide. Le manque d’intérêt de ses concitoyens pour les affaires de la cité et en particulier pour la question de la paix le désespère :
« C’est le jour d’assemblée régulière (κυρίας ἐκκλησίας) matinale, et l’enceinte est déserte (ἔρημος ἡ πνύξ) : Tenez ! les gens bavardent sur la place (ἐν ἀγορᾷ), et se sauvent de ci de là pour échapper à la corde vermillonnée (τὸ σχοινίον τὸ μεμιλτωμένον). Les prytanes (οἱ πρυτάνεις) eux-mêmes ne sont pas là ; ils arriveront en retard107… »
35Les termes employés relèvent du lexique technique de l’Assemblée. Le jeu se poursuit aux vers suivants, avec l’arrivée des autres personnages, et notamment du héraut qui prononce la question rituelle, « Qui veut prendre la parole ? (Τίς ἀγορεύειν βούλεται ;)108 ».
36Dans les Cavaliers, Monsieur Lepeuple déclare ne pas vouloir juger le différent entre le Charcutier et le Paphlagonien ailleurs que sur la Pnyx : « je ne saurai siéger en un autre emplacement. En avant, marche ! Passons à la Pnyx109 ». Et les trois personnages de s’y rendre. Nous suivrons l’avis de Pascal Thiercy, pour qui la Pnyx est symboliquement représentée sur scène par un tas de pierres110. En effet, immédiatement après avoir mentionné celle-ci, le Charcutier parle de pierres sur lesquelles va s’asseoir Monsieur Lepeuple, à qui il offre un coussin :
« Ça lui est bien égal que tu n’aies que ces cailloux pour siéger comme ça, à la dure ! Ce n’est pas comme moi : vois ce que je t’ai fait coudre pour toi et que je t’apporte111. »
37Si l’hypothèse d’un tas de pierres est juste, le simple fait que Monsieur Lepeuple s’y asseye suffit à lui conférer le toponyme et la fonction de la Pnyx. Les spectateurs voient donc représenté dans l’orchestra le lieu où ils se réunissaient régulièrement, en leur qualité de citoyens. C’est pour eux un espace à la fois familier et symboliquement très important : les paroles de Monsieur Lepeuple que nous avons citées plus haut le montrent, la Pnyx est le lieu par excellence d’expression de la souveraineté du dèmos athénien.
38Or, ces ekklèsiai comiques se déroulent face au dèmos lui-même, assis sur les gradins du théâtre comme il l’était sur la pente de la Pnyx. Les spectateurs sont inclus dans l’action des Acharniens et le koilon dans lequel ils sont massés sert, en quelque sorte, de décor : en effet, d’abord ignorés, puisque la Pnyx est censée être déserte, les spectateurs sont progressivement intégrés à l’action, jusqu’à devenir les citoyens qui participent à la séance de l’ekklèsia ouverte par Dicéopolis :
« Oui ; et si mes dires ne sont pas justes, si le peuple n’est pas de mon avis… je veux bien avoir déjà la tête sur le billot pour parler112. »
39De même, lorsque Monsieur Lepeuple siège sur son tas de cailloux, l’image est d’autant plus forte que le vrai dèmos est également présent, siégeant, lui aussi, sur les gradins du théâtre. Ainsi, la matérialité du théâtre est explicitement intégrée à la fiction, qui en devient d’autant plus comique. Ce jeu est perceptible dans les termes employés par les personnages. Dans les Acharniens, par exemple, lorsque le protagoniste se plaint des démagogues :
Ἕτερος ἀλαζὼν οὗτος εἰσκηρύττεται. « Autre menteur dont on nous claironne l’entrée en scène113. »
40Or le verbe eiskèruttô appartient à la fois au registre politique et à celui du théâtre, puisqu’il signifie « faire venir par la voix d’un héraut, devant une instance politique ou pour un concours114 ». Là réside toute l’ambiguïté de la scène, à la fois parodie des séances de l’ekklèsia et métathéâtre. Les theatai sont ainsi intégrés à la pièce, en leur qualité d’ekklèsiazontes siégeant régulièrement sur la Pnyx.
41Dans les Thesmophories, les spectateurs – en grande majorité des hommes – sont plus directement encore intégrés à l’action, dans un jeu particulièrement complexe. Ils sont d’abord assimilés aux respectables épouses d’Athéniens qui participent à la fête, ce qui permet au chœur de chercher s’il n’y aurait pas un homme caché dans les rangs du public :
« Eh bien, il nous faut à présent […] chercher si par hasard un autre individu ne s’est pas introduit ici. Parcourons toute la Pnyx (περιθρέξαι/τὴν πύκνα πᾶσαν), inspectons les tentes et les allées transversales115. »
42L’espace du théâtre, assimilé au Thesmophorion, devient ainsi lui-même – et comme incidemment – la Pnyx. À ce propos, l’on peut aujourd’hui mesurer, grâce à l’archéologie, combien les érudits ont eu tort de prendre Aristophane au pied de la lettre : sur la base de ce jeu de scène, Hilaire Van Daele – et il était loin d’être le seul116 – situait le Thesmophorion sur la Pnyx ; or, « en fait, le seul argument permettant de localiser le Thesmophorion est cet unique passage des Thesmophories d’Aristophane » rappelle Oscar Broneer117. L’archéologue américain ainsi que toute la bibliographie consacrée récemment au culte de Démétèr et Corè situent le Thesmophorion à proximité de l’Éleusinion, au pied de l’Acropole118. Cette référence intempestive à la Pnyx n’est qu’un indice de la parodie de l’Assemblée du peuple à laquelle se livre Aristophane dans cette pièce. En effet, comme le soulignent Colin Austin et Douglas Olson119, la réunion des femmes prend la forme d’une séance de l’ekklèsia120, et, outre la Pnyx, elles évoquent leur Conseil121 et même le peuple des femmes (dèmos gunaikôn)122. Les spectateurs, dont le rôle varie en même temps que celui du koilon où ils sont assis, sont ainsi assimilés aux matrones en fête, mais aussi renvoyés à leur qualité de politai.
43Ainsi, loin d’« imposer l’image d’un citoyen passif, inerte », comme l’écrit Danièle Auger123, Aristophane donne toute sa place à l’espace collectif, et en particulier à ce lieu hautement symbolique qu’est la Pnyx, et, ce faisant, rend les spectateurs à leur statut de sujets délibérants.
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44En définitive, il apparaît que le terme theatès recouvre une réalité éloignée de celle du spectateur moderne, du moins tel que le conçoit encore aujourd’hui le théâtre inspiré des pratiques du XIXe siècle. Le theatès athénien est avant tout politès : il ne laisse pas son statut de citoyen aux portes du théâtre. Le poète ne cesse de le lui rappeler et de réclamer de lui une participation active. Même spectateur sur les gradins du théâtre de Dionysos, le dèmos est souverain : non seulement il est l’organisateur du spectacle auquel il assiste, non seulement il en est le juge ultime, mais il y est également intégré, par la théâtralisation de l’espace politique. Or nous allons voir à présent que cette participation des citoyens à l’assemblée théâtrale n’est pas l’apanage de la comédie.
Notes de bas de page
1 Θεαταί : Aristophane, Acharniens, 442 ; Cavaliers, 36, 228, 1210 ; Nuées, 521, 535, 575, 890, 1096 ; Guêpes, 54, 1013, 1016, 1071, 1526-1527 ; Paix, 43, 732, 962, 1115 ; Oiseaux, 446, 753, 786 ; Thesmophories, 391 ; Grenouilles, 909, 919, 1118 ; Assemblée des femmes, 582, 583, 1141 ; θεώμενοι : Acharniens 497 ; Nuées 518 ; Guêpes 59, 1287 ; Paix 543, 658, 964 ; Grenouilles 2, 132, 926, 1110, 1475 ; Assemblée des femmes 888 ; Ploutos 798 ; θέατρον : Acharniens 629 ; Cavaliers 233, 508, 1318 ; Paix 735.
2 Aristophane, Nuées, 575-576.
3 Aristophane, Guêpes, 54. Voir également Cavaliers, 36 ; Guêpes, 1016 ; Paix, 732 ; Grenouilles, 926, 1110 ; 1475.
4 Aristophane propose ce marché en ne cessant de flatter son public. C’est ainsi que l’on trouve bien souvent associés à θεατής des adjectifs qualificatifs tels que σοφός, « sage » : Cavaliers, 1210 ; Nuées, 535, 575 ; Grenouilles, 1118 ; δεξιός, « intelligent » : Cavaliers, 228 ; Nuées, 521, 890 ; ou encore εὔνους, « bienveillant » : Assemblée des femmes, 1141.
5 Aristophane, Oiseaux, 445-446 ; voir encore Cavaliers, 1210 ; Assemblée des femmes, 582.
6 Ch. Segal, « L’homme grec, spectateur et auditeur », p. 318. Voir I. A. Ruffell, Politics and Anti-Realism in Athenian Old Comedy, Oxford, Oxford University Press, 2012, p. 265.
7 Aristophane, Cavaliers, 228 ; Paix, 43 ; Oiseaux, 786 ; Assemblée des femmes, 1141.
8 Aristophane, Grenouilles, 919.
9 Voir supra, n. 1 du présent chapitre.
10 M. Hammou, Le Monde du théâtre chez Aristophane, thèse de doctorat nouveau régime, université Toulouse II-le Mirail, 2002, p. 32-42.
11 Ibid., p. 34.
12 Aristophane, Acharniens, 629 ; Cavaliers, 508 ; Paix, 735.
13 Aristophane, Cavaliers, 233, 1318.
14 Sophocle, Œdipe Roi, 56-57 : « les remparts, les navires, c’est néant s’ils sont vides, s’il n’y a pas une communauté de citoyens pour les peupler » (trad. V.-H. Debidour, modifiée) ; cf. Thucydide, VII, 77, 7.
15 Platon, Banquet, 175e 6. De même quand Aristophane évoque 10000 spectateurs (Aristophane, Grenouilles, 677 : μυρίαι), il emploie ce chiffre rond de façon conventionnelle, pour signifier qu’un grand nombre de personnes assistait à la représentation comique.
16 Voir Hérodote, VIII, 65 ; Thucydide, II, 13, 6-9 ; Aristophane, Assemblée des femmes, 1132.
17 J.-Cl. Carrière, Le Carnaval et la Politique. Une introduction à la comédie grecque suivie d’un choix de fragments, Paris, Les Belles Lettres, 1979, p. 29.
18 Voir Aristophane, Paix, 50-53 ; Nuées, 537-539, Paix, 765-766.
19 Voir par exemple Aristophane, Thesmophories, 386 ; Grenouilles, 1050-1051 ; mais aussi Platon, Lois, II, 658d3 ; VII, 817c4-5.
20 Pour un inventaire exhaustif des sources à ce sujet, voir A. J. Podlecki, « Could Women Attend the Theater in Ancient Athens ? A Collection of Testimonia », AW, 21, 1990, p. 27-43. Cf. D. M. Carter, « Plato, Drama, and Rhetoric », in Id. (éd.), Why Athens? A Reappraisal of Tragic Politics, Oxford, Oxford University Press, 2011, p. 45-67 (p. 50-53).
21 Aristophane, Lysistrata, 1049-1051 : « Allons, si quelqu’un désire, homme ou femme, un peu de fric, qu’il annonce ses besoins… » Pour Edmond Lévy, ces vers constituent une adresse directe aux femmes présentes dans le koilon (E. Lévy, « Les femmes chez Aristophane », Ktèma, 1, 1976, p. 99-112 [p. 104]). Jeffrey Henderson, lui, n’en est pas convaincu (J. Henderson, Aristophanes. Lysistrata, Oxford, Oxford University Press, 1987, ad loc.). Voir également Aristophane, Paix, 962-967, passage qui, pour les uns, atteste la présence de femmes dans le koilon (A. J. Podlecki, art. cit., p. 33 ; J. Henderson, « Women and the Athenian Dramatic Festivals », TAPhA, 121, 1991, p. 133-147 [p. 141-142]), tandis que, pour les autres, il est la preuve qu’elles en étaient absentes (N. Wilson, « Two Observations on Aristophanes’ Lysistrata », GRBS, 23, 1982, p. 157-163) ; pour Simon Goldhill, on ne peut rien en déduire (S. Goldhill, « Representing Democracy. Women at the Great Dionysia », in R. Osborne et S. Hornblower [éd.], Ritual, Finance, Politics. Athenian Democratic Accounts Presented to David Lewis, Oxford, Clarendon Press, 1994, p. 347-369 [p. 348-349]).
22 Le poète interpelle d’ailleurs fréquemment son public par le terme andres (« hommes ») : Aristophane, Acharniens, 497 ; Paix, 13, 244, 276, Oiseaux, 30, 685 ; Lysistrata, 1044 ; Ploutos, 802. Il s’adresse ainsi aux hommes adultes qui forment le groupe des citoyens.
23 E. Csapo et W. Slater, The Context of Ancient Drama, Ann Arbor, The University of Michigan Press, 1995, p. 286-287.
24 D. M. MacDowell, Aristophanes and Athens. An Introduction to the Plays, New York, Oxford University Press, 1995, p. 15.
25 C’est ce que prouvent les vers 963-967 de la Paix d’Aristophane, selon P. Thiercy (Aristophane : Théâtre complet, Paris, Gallimard, 1997, ad loc.).
26 Beaucoup de critiques et de traducteurs ont pu se montrer choqués – ou du moins gênés – par l’impudeur de Lysistrata par exemple. Sur ce sujet, voir notamment J. Henderson, « Women and the Athenian Dramatic Festivals », p. 135-136.
27 Voir L. O’Higgins, Women and Humor in Classical Greece, Cambridge, Cambridge University Press, 2003, p. 15-36. Le dossier de l’obscénité aristophanesque a été récemment remis à plat dans deux articles importants : R. Rosen, « Aischrology in Old Comedy and the Question of “Ritual Obscenity” », in M. Bastin-Hammou et Ch. Orfanos (éd.), Carnaval, politique et comédie grecque. Bilan et perspectives, Besançon, Presses Universitaires de Franche-Comté, 2013, p. 19-45 et I. A. Ruffell, « The Grotesque Comic Body Between the Real and the Unreal », in M. Bastin-Hammou et Ch. Orfanos (éd.), op. cit, p. 47-72.
28 Chr. Sourvinou-Inwood, Tragedy and Athenian Religion, Lanham, Lexington Books, 2003, p. 177-184. Cf. également, bien que plus nuancé, S. Goldhill, « Representing Democracy », p. 360-363.
29 J. Henderson (art. cit., p. 137) montre que la place de spectatrices n’était pas étrangère aux femmes et cite notamment Aristophane, Thesmophories, 830 sq. et Euripide, Médée, 421-430.
30 Voir M. Revermann, Comic Business. Theatricality, Dramatic Technique, and Performance Contexts in Aristophanic Comedy, Oxford, Oxford University Press, 2007, p. 167 ; L. O’Higgins, op. cit., p. 138.
31 Platon, Gorgias, 502d 5-7.
32 Nous y reviendrons p. 347-348.
33 Isocrate, Aréopagitique, 52.
34 C’est d’ailleurs pourquoi le poète essaie, d’une manière générale, de s’arranger pour traiter les sujets spécifiquement athéniens devant le public des Lénéennes, et les sujets plus largement grecs lors des Grandes Dionysies ; Aristophane, Acharniens, 496-508. Il faut bien voir, lorsque l’on lit Aristophane aujourd’hui, qu’il s’attache avant tout à épouser le mouvement des idées de ses spectateurs, aussi divers soient-ils.
35 Voir Fr. Kolb, « Theaterpublikum, Volksversammlung und Gesellschaft in der griechischen Welt », Dioniso, 59, 1989, p. 345-351.
36 Voir Scholie à Aristophane, Cavaliers, 575. Voir A. W. Pickard-Cambridge, Dramatic Festivals of Athens, p. 268-269. Cet honneur ne semble pas leur avoir été toujours acquis, à en croire Aristophane, Cavaliers, 573-576.
37 Eschine, Contre Ctésiphon, 76 ; Sur l’ambassade, 111.
38 Aristophane, Oiseaux, 793-794 ainsi que la Scholie ad loc. ; Paix, 887-908 et Scholies aux v. 878-887 ; Pollux, IV, 122. Cf. J. J. Winkler « The Ephebes Song : Tragoidia and Polis », in J. J. Winkler et Fr. I. Zeitlin (éd.), Nothing to Do with Dionysos?, p. 37-42.
39 Scholie à Aristophane, Assemblée des femmes, 22.
40 Alexis, fr. 42 Kassel-Austin (Gynécocratie). Voir aussi A. H. Sommmerstein, Aristophanes, Peace, Warminster, Aris and Phillips, 1985, ad v. 963-969, ainsi que J. Henderson, « Women and the Athenian Dramatic Festivals », p. 140-142.
41 Les occurrences du terme doulos (« esclave ») chez Aristophane sont au singulier dans la grande majorité des cas et se rapportent en général à un personnage de la pièce, qui incarne l’esclave type.
42 Aristophane, Paix, 292-298.
43 Aristophane, Nuées, 575-576.
44 Aristophane, Acharniens, 595.
45 Aristophane, Cavaliers, 335.
46 Aristophane, Cavaliers, 225-229 (trad V.-H. Debidour modifiée).
47 Le terme astoi (litt. « habitants de la ville »), qui ne désigne jamais le corps civique chez les orateurs, apparaît pourtant deux fois au vocatif : Aristophane, Assemblée des femmes, 834 et Lysistrata, 638 : ὦ πάντες ἀστοί. Le terme sonne comme un parfait synonyme de politai, sauf que les personnages qui l’emploient sont des femmes qui viennent d’usurper le pouvoir politique aux citoyens : c’est le coryphée de Lysistrata, quand elle s’adresse directement au public au début de la parabase, et le faux-héraut de l’Assemblée des femmes, qui invite les hommes à se plier aux décisions des femmes. Dans les deux cas, l’utilisation du terme fait écho à son usage tragique, où il s’inscrit dans une stratégie d’évitement du politique. Voir I. A. Ruffell, Politics and Anti-Realism, p. 268 et n. 37.
48 N. Loraux, « L’Acropole comique », dans Ead., Les Enfants d’Athéna, p. 157-196 (p. 196).
49 Voir R. W. Wallace, « Poet, Public, and “Theatrocracy” : Audience Performance in Classical Athens », in L. Edmunds et R. W. Wallace (éd.), Poet, Public, and Performance in Ancient Greece, Londres, The Johns Hopkins University Press, 1997, p. 97-111.
50 Les Cavaliers ou l’Assemblée des femmes en sont les exemples les plus flagrants ; nous y reviendrons.
51 Nicole Loraux, art. cit., p. 195.
52 Platon, Gorgias, 502d 2-3.
53 Voir, par exemple, Aristophane, Acharniens, 28-34. Les personnages d’Aristophane mangent et boivent, dorment, désirent, et multiplient les plaisanteries scatologiques ou obscènes (voir e.g.Aristophane, Cavaliers, 75-79). La complicité ainsi établie avec le spectateur est double : non seulement cette vie corporelle intense des personnages les rend très humains et beaucoup plus proches du public que ne le seront ceux des comédies de Ménandre, mais aussi les calembours qui en découlent suscitent le rire.
54 Les Guêpes et les Nuées, par exemple, introduisent le spectateur au cœur d’un oikos où les rapports entre père et fils se révèlent très conflictuels : cf. B. S. Strauss, Fathers and Sons in Athens, Ideology and Society in the Era of the Peloponnesian War, Princeton, Princeton University Press, 1997 (1993), p. 153-166.
55 Voir V. Ehrenberg, The People of Aristophanes. A Sociology of Old Attic Comedy, New York, Schocken, 1961 (Londres, Blackwell, 1943), p. 26-27.
56 Le poète fait souvent référence à des moments précis de la guerre. Ainsi, par exemple, dans la Paix, 219 et dans Lysistrata, 1165, il est question des événements de Pylos, en 425, et de l’intransigeance des Athéniens. Cf. Thucydide, IV, 21, 3 ; 41, 4.
57 Cléon est le personnage le plus évoqué, mais aussi Hyperbolos, Cléonymos ou encore Démosthène et Nicias, évoqués peut-être dans les Cavaliers, bien qu’ils ne soient jamais nommés (voir la discussion dans D. M. Macdowell, Aristophanes and Athens, p. 87-88).
58 R. Piana, La Réception d’Aristophane en France de Palissot à Vitez, 1760-1962, thèse de doctorat nouveau régime, université Paris VIII, 2005, p. 141. Nous remercions ici très sincèrement Romain Piana d’avoir bien voulu nous communiquer son manuscrit.
59 Ibid., p. 145.
60 J.-Fr. Cailhava, L’Athènes pacifiée, Paris, Boulard, 1797, p. 18-19 en particulier. Cf. R. Piana, op. cit., p. 144-145.
61 Formule empruntée au titre de l’ouvrage d’Eric J. Hobsbawm, L’âge des extrêmes. Histoire du court XXe siècle, Bruxelles, Éditions Complexes, 1999 (Londres, Michael Joseph et Pelham Books, 1994).
62 K. Reinhardt, « Aristophanes und Athens », Europäische Revue, 14, 1938, p. 754-767 ; réédité in H.-J. Newiger (éd.), Aristophanes und die Alte Komödie, Darmstadt, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 1975, p. 55-74.
63 G. E. M. de Sainte Croix, The Origins of the Peloponnesian War, app. XXIX : « The Political Outlook of Aristophanes », p. 355-376 (p. 356).
64 A. Sartori, « Riflessi di Vita Politica Ateniese nelle Rane di Aristofane », in Scritti in onore di C. Vassalini, Vérone, 1974, p. 413-441.
65 G. Paduano, « La città degli uccelli e le ambivalenze del nuovo sistema eticopolitico », SCO, 12, 1973, p. 115-144.
66 J.-Cl. Carrière, Le Carnaval et la Politique, p. 169-170. Notons que, depuis 1979, Jean-Claude Carrière a encore nuancé sa position : Id., « Les banquets de Démos dans les comédies d’Aristophane. Stratégies poétiques et message politique », in J.-Cl. Carrière et Ch. Orfanos (éd.), Symposium, banquet et représentations, p. 175-202 (p. 185-186 et 199-200).
67 Voir cependant A. W. Gomme, « Aristophanes and Politics », CR, 52, 1938, 97-109 ; repris dans More Essays in Greek History and Literature, Oxford, Blackwell, 1962, p. 70-91.
68 À l’exception de certains tels que M. Vickers, Pericles on Stage. Political Comedy in Aristophanes’Early Plays, Austin, University of Texas Press, 1997.
69 S. Goldhill, The Poet’s Voice. Essays on Poetics and Greek Literature, Cambridge, Cambridge University Press, 1991, p. 196. Voir aussi W. Kraus, Aristophanes’Politische Komödien, Vienne, Verlag der Österreichische Akademie der Wissenschaften, 1985, p. 30, 92-101, 186-187 ; M. Heath, Polical Comedy in Aristophanes, (Hypomnemata, Suppl. 87), Göttingen, Vandenhoeck und Ruprecht, 1987, p. 42.
70 C’est l’analyse de L. Edmunds, Cleon, Knights and Aristophanes Politics, Lanham, University Press of America, 1987, p. 1-5. Lowell Edmunds s’oppose sur ce point à Jeffrey Henderson, pour qui Aristophane ne cesse de manifester sa solidarité avec le dèmos et la Cité (J. Henderson, « The Demos and the Comic Competition », p. 274).
71 Thucydide, III, 36, 4-49, 2.
72 Voir S. Milanezi, « Le suffrage du rire, ou le spectacle de la politique en Grèce », in M.-L. Desclos (dir.), Le rire des Grecs. Anthropologie du rire en Grèce ancienne, Grenoble, Millon, 2000, p. 369-396.
73 Aristophane, Oiseaux, 446 : « J’en fais le serment – à condition qu’on me donne le prix : jury et public, à l’unanimité. »
74 Aristophane, Nuées, 1115-1130. On notera l’insistance du poète sur l’importance du jugement du concours, remarquable par l’emploi des termes tous kritas et krinai kakôs, qui encadrent la tirade.
75 Aristophane, Cavaliers, 516-557.
76 Cf. W. R. Connor, The New Politicians, p. 99-136 ; Ch. Orfanos, Les sauvageons d’Athènes ou la didactique du rire chez Aristophane, Paris, Les Belles Lettres, 2006, p. 31, 61-62, 269-270 n. 103. Nous reviendrons sur ce point p. 240-243.
77 Aristophane, Guêpes, 1030-1042 ; Paix, 754-760.
78 Aristophane, Paix, 749-750.
79 M. Hammou, Le Monde du théâtre chez Aristophane, p. 181.
80 Aristophane, Grenouilles, 1054-1056 : « Si pour les petits enfants celui qui donne des leçons, c’est le maître d’école (didaskalos), pour les grands ce sont les poètes (poiètai). Notre devoir strict est de dire ce qui est bien ».
81 Aristophane, Grenouilles, 687. Voir encore Acharniens, 497-501, 633, 655-658 ; Guêpes, 64, 1015-1017, etc.
82 Aristophane, Cavaliers, 510.
83 Voir J. Taillardat, Les images d’Aristophane. Études de langue et de style, Paris, Les Belles Lettres, 1965 (1962), § 746-748 ; L. Edmunds, Cleon, Knigths and Aristophanes’ Politics, p. 14-15.
84 Voir Aristophane, Lysistrata, 406 : « Voilà les idées qui leur germent dans la cervelle ! »
85 Dans la parabase des Guêpes, par exemple, le poète file longuement la métaphore ; le coryphée reproche notamment au public d’avoir trahi l’auteur des Nuées : « Il avait semé à poignées les idées les plus neuves, et vous, faute de les avoir nettement comprises, vous les avez empêchées de lever » (Aristophane, Guêpes, 1044-1045). Les graines semées donnent ensuite des fruits que le spectateur doit précieusement conserver, tels les coings que l’on garde dans des coffres (v. 1057-1059). Ainsi, non seulement le spectacle aura réjoui le public le temps de la représentation, mais il l’aura aussi durablement enrichi, jusqu’aux prochaines Dionysies.
86 Voir par exemple, Démosthène, Sur l’ambassade, 250 ; mais aussi Platon, Phèdre, 247c. ; Sophocle, Ajax, 1082 ; Antigone, 160, 190, 994 ; Œdipe Roi, 22 sq. Cf. B. Gentili, Poetry and Its Public in Ancient Greece From Homer to the Fifth Century, Londres, The Johns Hopkins University Press, 1990 (Rome-Bari, Laterza, 1985), p. 197-215.
87 Aristophane, Guêpes, 29 : τῆς πόλεως τὸ σκάφος.
88 Aristophane, Oiseaux, 1229 : ναυστολεῖν. Voir aussi Euripide, Suppliantes, 474.
89 Aristophane, Cavaliers, 511, 541-544, 546.
90 Outre les deux comédies qui n’en possèdent pas, l’Assemblée des femmes et le Ploutos, trois pièces ont une parabase qui est sans aucun rapport avec le poète, puisqu’elle est pleinement intégrée à l’intrigue : il s’agit des Oiseaux, de Lysistrata et des Thesmophories.
91 Aristophane se serait donné un autre porte-parole : il s’agit du Dicéopolis des Acharniens (voir, en effet, v. 377-382). Cf., entre autres, les commentaires de E. L. Bowie, « Who is Diceopolis ? », JHS, 108, 1988, p. 183-185 et S. D. Olson, Aristophanes, Acharnians, Oxford, Oxford University Press, 2002, p. xlvi-xlviii.
92 Aristophane, Acharniens, 644, 649, 654 ; Cavaliers, 519 (τοὺς προτέρους τῶν ποιητῶν), 548 ; Guêpes, 1016, 1018 (ἑτέροισι ποιηταῖς), 1049, 1051 (τῶν ποιητῶν) ; Paix, 772 (γενναιοτάτου τῶν ποιητῶν).
93 Aristophane, Acharniens, 628 ; mais aussi Paix, 738.
94 Le discours direct est introduit par l’utilisation du verbe « il dit » : phèsi. Voir par exemple Aristophane, Acharniens, 633 et 656 ; Cavaliers, 514 ; Guêpes, 1017, 1024, 1036, 1037.
95 Voir Aristophane, Paix, 752-754 : « Comme un Héraclès vengeur, il [le poète] s’en prenait aux plus puissants, fonçant à travers d’effroyables puanteurs de cuir et de comminatoires effluves de cloaque. Et avant tout, je m’attaque au Croquetoucru lui-même, avec ses crocs acérés… » (nous soulignons). Voir aussi Aristophane, Acharniens, 659-664.
96 Aristophane, Nuées, 518-519. De même, l’utilisation de la première personne dans la parabase des Grenouilles (v. 686-705) s’explique par le sujet de la pièce : Aristophane donne la parole à Dionysos, Sophocle et Eschyle, au sujet du rôle du théâtre dans la Cité ; aussi ne peut-il pas s’empêcher de donner son avis de poète, sur un ton magistral.
97 Voir par exemple, Aristophane, Cavaliers 519, 525, 531, 541-550 ; Nuées, 521.
98 Aristophane, Cavaliers, 509, 510 ; Nuées, 518-519.
99 Aristophane, Cavaliers, 514-516, 541 ; Nuées, 561-562.
100 S. Byl, « Index géographique, ethnographique et topographique des comédies d’Aristophane », Bulletin de l’Association Guillaume Budé, 59, 2002, p. 52-69.
101 A. López Eire, « “Espace public” ou “espace de communication” dans la comédie d’Aristophane », dans Ch. Cusset, J.-Cl. Carrière, M.-H. Garelli-françois et Ch. Orfanos (éd.), Où courir ? Organisation et symbolique de l’espace dans la comédie antique, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 2001 (Pallas, 54, 2000), p. 141-189.
102 S. Saïd, « L’espace d’Athènes dans les comédies d’Aristophane », in P. Thiercy et M. Menu (éd.), Aristophane : la Langue, la Scène, la Cité, actes du colloque de Toulouse, 17-19 mars 1994, Bari, Levante, 1997, p. 339-359.
103 D. Auger, « Figures et représentations de la cité et du politique sur la scène d’Aristophane », in P. Thiercy et M. Menu (éd.), op. cit., p. 361-377 (p. 376).
104 Nous reviendrons en détails sur l’aménagement de cet espace d’assemblée dans l’introduction à la troisième partie, p. 221-227.
105 Nous laisserons ici de côté l’Assemblée des femmes, car la comédie ne se déroule pas sur la Pnyx : la séance de l’ekklèsia y est seulement racontée. Nous aurons l’occasion de l’aborder p. 285-291.
106 L’action se situe de façon évidente sur la Pnyx du vers 19 au vers 173, moment où les prytanes déclarent l’assemblée dissoute. Le dialogue qui suit se déroule dans un lieu indéterminé.
107 Aristophane, Acharniens, 19-24 (trad. V.-H. Debidour, légèrement modifiée). À l’époque des Acharniens, en 425, les citoyens trop peu pressés d’aller siéger à l’Assemblée étaient rabattus au moyen d’une corde enduite de vermillon, qui tâchait les vêtements. Sur l’usage de la corde vermillonnée au IVe siècle, voir infra, p. 287, n. 10, et p. 334.
108 Voir Eschine, Contre Timarque, 23 ; Démosthène, Sur la Couronne, 170 ; mais aussi Euripide, Suppliantes, 438-441.
109 Aristophane, Cavaliers, 750-751.
110 P. Thiercy, Aristophane : Théâtre complet, p. 1037.
111 Aristophane, Cavaliers, 783-784.
112 Aristophane, Acharniens, 317-318. Pour S. D. Olson Aristophanes. Acharnians, ad loc, Dicéopolis s’adresse ici aux spectateurs comme s’ils étaient des dikastai – non des ekklèsiazontes comme nous l’envisageons – siégeant pour son procès ; il souligne que le jeu se poursuit v. 364 et 497-499. Cette interprétation paraît également plausible ; l’assemblée à laquelle participent les spectateurs serait ainsi judiciaire et non politique. Ils n’en sont pas moins intégrés à la pièce, en leur qualité de citoyens.
113 Aristophane, Acharniens, 135.
114 LSJ, s.v. Cf. Sophocle, Électre, 690.
115 Aristophane, Thesmophories, 655-658 (trad. V.-H. Debidour, légèrement modifiée).
116 Voir également J. Henderson, Three Plays by Aristophanes. Staging Women, New York, Routledge, 1996, p. 92-93.
117 O. Broneer, « The Thesmophorion in Athens », Hesperia, 11, 1942, p. 250-274 (p. 250).
118 M. M. Miles, The Athenian Agora, XXI. The City Eleusinion, Princeton, American School of Classical Studies at Athens, 1998, p. 22-23 ; M. Dillon, Girls and Women in Classical Greek Religion, Londres et New York, Routledge, 2002, p. 118-119 ; C. Austin et S. D. Olson, Aristophanes’Thesmophoriazusae, Oxford, Oxford University Press, 2004, p. xlvi.
119 C. Austin et S. D. Olson, op. cit., ad v. 84 et 295-382. On est alors très surpris de l’interprétation que Colin Austin et Douglas Olson proposent du vers 658 : pour eux, le chœur, en prononçant ces paroles, « inspecte l’orchestra » (ibid., ad loc.) ; ils ignorent le jeu avec les spectateurs.
120 Aristophane, Thesmophories, 84, 90, 277, 302, 329, 375.
121 Aristophane, Thesmophories, 372-373.
122 Aristophane, Thesmophories, 308, 335, 1145.
123 D. Auger, « Figures et représentations de la cité », p. 376.
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