31. « Quelque chose comme un sujet » La sociologie de la pratique face à l’inscription sensible de la personne
p. 359-372
Texte intégral
1Loin d’être de neutres enregistrements de réalités indépendantes, les catégories d’analyse mises en œuvre par les sciences sociales contribuent aussi à façonner leurs « objets » d’étude, tant théoriquement (dans leurs effets de filtrage de la réalité reconnue comme pertinente) qu’historiquement (dans les effets des sciences sociales sur le cours de la vie des sociétés). Les formes historiques d’individuation et de personnalisation n’échappent pas à cet effet de co-détermination, ce qui justifie l’analyse détaillée des postulats anthropologiques véhiculés par les diverses approches sociologiques de « l’individu ». Les modèles élaborés par les sociologies critiques peuvent aussi être soumis à ce type d’analyse conceptuelle, en ce qu’ils concourent, quant à eux, à dessiner les figures possibles de la critique et l’émancipation et, partant, d’une « individuation heureuse ». C’est à ce titre que l’œuvre sociologique de Pierre Bourdieu (1930-2002) nous intéressera ici, dans sa puissance explicative, dans sa complexité impressionnante comme dans ses impensés, en nous aidant à dégager de nouvelles pistes pour l’exploration sociologique de la personne.
Les voies de la subjectivation dans la sociologie de Pierre Bourdieu
2Poser la question des modalités de transformation de « l’agent » en « sujet » dans la théorie de Pierre Bourdieu ne doit pas surprendre. Quoiqu’adversaire résolu du « personnalisme » (1997, p. 159), P. Bourdieu ne cultivait pas, comme d’autres auteurs dits structuralistes, l’ambition d’une dissolution du sujet. Son ambition ne se réduisait pas non plus à la généralisation d’une lecture utilitariste élargie aux marchés symboliques du monde social, comme de nombreux travaux influencés par son approche (et, aussi, certaines des formulations de Bourdieu lui-même) ont pu le laisser penser. Plus fondamentalement, il entendait au contraire reprendre le problème de la subjectivation, mais avec des « présupposés philosophiques diamétralement opposés » aux « philosophies du sujet » (1997, p. 156).
Deux premières modalités de subjectivation
3Les lecteurs attentifs connaissent au moins une technique valorisée de subjectivation,c’est-à-dire d’une possible émancipation, vers laquelle ses écrits reviennent aussi régulièrement qu’explicitement. C’est la subjectivation qu’offre le patient travail de la sociologie lorsqu’elle conduit à une connaissance des conditions sociales qui pèsent de façon invisible sur l’existence de l’agent, et dont l’objectivation – armée scientifiquement – conduit à une forme d’émancipation réflexive appelée auto-socioanalyse. Bourdieu perpétue ainsi la tradition d’une subjectivation envisagée comme une émancipation indissociablement intellectuelle et politique, obtenue par le travail laborieux d’une mise au jour des mécanismes sociaux qui rendent possible de penser ce que l’on pense, de dire ce que l’on énonce, d’agir comme on le fait. Ce faisant, son approche perpétue le geste moderniste de la libération par détachement des illusions, en conjuguant la libération-affranchissement selon Kant et l’émancipation selon Marx. Elle y adjoint un rapport réflexif supplémentaire : une constante vigilance envers ses propres tendances et inclinations supposées – généralement et à tort – spontanées et a-sociales. La sociologie, en tant qu’elle est « la science des pouvoirs symboliques », constitue un savoir « capable de restituer aux sujets sociaux la maîtrise des fausses transcendances que la méconnaissance ne cesse de créer et de recréer » (1982, p. 56) ; elle peut émanciper de tous pouvoirs symboliques, mais elle laissera cependant un pouvoir intact. C’est celui de la Science, qui est explicitement, pour Bourdieu, « le moins illégitime des pouvoirs symboliques » (ibid.).La pensée libérée se paiera ainsi d’une piété assumée envers la seule transcendance qui, quoiqu’elle-même sociale, conservera son aura symbolique : la vérité scientifique.
4De façon plus souterraine et plus rare, la lecture de l’œuvre de Bourdieu laisse se dégager une deuxième technique de subjectivation possible qui, à la différence de la première, n’a pas besoin des instruments de l’objectivation sociologique pour être pratiquée. C’est la « tentative d’un gouvernement indirect des dispositions », assimilable à une morale pratique, ce qui le rapproche de l’exercice spirituel stoïcien et des recommandations de l’éthique spinozienne. En effet, plus encore que de Leibniz explicitement cité, Bourdieu se montre proche de Spinoza, pour qui « une passion ne peut être maîtrisée que par une passion plus forte que la passion à maîtriser » (Éthique, préface au livre V, trad. Misrahi). Pour Bourdieu, pour devenir « quelque chose comme un sujet », il faut « maîtriser », « soumettre » à sa volonté ses dispositions acquises, qui sont comme des morceaux de société incorporés, internalisés1. Ce travail sur ses propres dispositions incorporées est aussi un travail de méfiance envers la spontanéité de ses impulsions premières, afin de « corriger les premiers mouvements » (1997, p. 193), pour gouverner les seconds, qui seuls dépendent d’un soi plus authentique, car conquis sur le terrain de la méconnaissance. Quoique très minoritaire dans le corpus de Bourdieu, cette attention aux formes pratiques de « techniques de soi » laisse entrevoir une voie de subjectivation quelque peu différente de la première. Ce deuxième registre apparaît comme complémentaire du premier, au sens où la morale stoïcienne et le rationalisme scientifique remplissent des fonctions conceptuelles isomorphes à des niveaux théoriques distincts. Il s’agit de se déprendre des déterminismes inconscients par le truchement de la réflexivité sociologique, en vue d’accéder à une véritable vision consciente (scientifique) de soi et du monde, débarrassée de toute « accident » exogène qui en troublerait la netteté.
Une subjectivation par la pratique ?
5C’est toutefois un autre plan que ces deux premiers, le cœur du travail conceptuel de Bourdieu consacré au sens pratique, qui retiendra principalement notre attention. Si l’on prend au sérieux l’ambition de réhabilitation de la pratique par Bourdieu, il est capital d’en saisir les conséquences en élucidant le statut attribué à la possibilité d ‘ une subjectivation par la pratique.
6L’un des objectifs fondamentaux visés par Bourdieu consiste en un dévoilement systématique de « l’illusion scolastique » (1997, chap. I et II), nom donné à la tendance des discours sur le monde social à envisager le réel avec des catégories intellectuelles qui véhiculent une anthropologie complètement irréaliste, souvent pleine de préjugés de nature morale. À rebours de cet intellectualisme, la préoccupation de Bourdieu place au cœur de la réflexion l’instance de « la pratique » (« sens pratique », « raisons pratiques », etc.). Malgré les critiques qu’il est possible de lui adresser, cette réhabilitation restera probablement l’une des grandes avancées auxquelles Bourdieu aura contribué. Initiée sur la base d’enquêtes ethnologiques en Kabylie, cette réhabilitation a fait l’objet d’une reprise conceptuelle dans différents textes, sur plus de trente ans. Le « sens pratique » est envisagé techniquement comme une« une intentionnalité pratique », « qui n’a rien d’une cogitatio […] consciemment orientée vers un cogitatum » et qui « s’enracine dans une manière de tenir et de porter le corps (une hexis), une manière d’être durable du corps durablement modifié » (1997, p. 171-172). Cette instance de la pratique, structurée par le « monde social » et le structurant en retour, constitue-t-elle pour autant un espace de subjectivation possible pour les agents, c’est-à-dire d’un espace de sortie de l’hétéronomie (significativement nommée la « méconnaissance ») ?
7Dans ce travail d’exploration de la rationalité pratique, Bourdieu poursuit la préoccupation de Maurice Merleau-Ponty (1945), développée dans ses travaux sur la perception. Sa lecture de M. Merleau-Ponty contribua à la relativisation des dualismes classiques sujet/objet esprit/corps, présents à l’époque (les années 1950) dans la philosophie comme dans la plupart des écoles sociologiques, notamment dans le durkheimisme. Dans l’une des dernières formulations, Bourdieu énonce ainsi sa dette :
« L’agent engagé dans la pratique connaît le monde, mais d’une connaissance qui, comme l’a montré Merleau-Ponty, ne s’instaure pas dans la relation d’extériorité d’une conscience connaissante. » (1997, p. 170)
8Cette approche permet de partir d’une relation d’immanence originaire au monde dans laquelle le sujet n’est pas advenu à la conscience de lui-même. C’est cette immanence qui est méconnue par les théories intellectualistes que combat Bourdieu :
« La méconnaissance ou l’oubli de la relation d’immanence à un monde qui n’est pas perçu en tant que monde, en tant qu’objet posé devant un sujet percevant conscient de lui-même est sans doute la forme élémentaire, et même originaire, de l’illusion scolastique. » (ibid.)
9Le deuxième héritage que Bourdieu reconnaît sur ce chantier est celui du pragmatisme. Bourdieu renvoie surtout aux écrits de John Dewey (1859-1952), cité régulièrement à partir des années 1980. À l’analyse, son apport apparaît complémentaire à celui de la phénoménologie, en ce qu’il aide à« subvertir la division sociale entre la théorie et la pratique » (1997, p. 96).
« Cette opposition profondément inscrite dans l’inconscient scolastique domine toute la pensée. Fonctionnant comme un principe de division absolu, elle interdit par exemple de découvrir que, comme le rappelle Dewey, la pratique adaptée (parler une langue ou monter à bicyclette) est une connaissance et qu’elle enferme même une forme tout à fait particulière de réflexion. » (1997, p. 96)
10Il faut ajouter un troisième héritage que travaille Bourdieu : la seconde philosophie de Wittgenstein, dont la critique du mentalisme et de l’idéalisme des théories philosophiques, psychologiques et anthropologiques a contribué à stimuler la sociologie de la pratique et la critique de la raison scolastique. La force de Wittgenstein est la façon dont il
« dénonce l’illusion selon laquelle comprendre un mot et en apprendre le sens est un processus mental impliquant la contemplation d’une idée ou la visée d’un contenu » (1997, p. 42).
La félicité pratique comme enjeu de subjectivation
11C’est dans ce mouvement prolongeant Merleau-Ponty, Dewey et Wittgenstein, que l’on trouve, chez Bourdieu, une attention rare et bienvenue aux conditions de ce que nous appellerons la félicité pratique2, c’est-à-dire aux effets positifs de l’adhésion immédiate au monde, social ou physique. Cependant, il n’accordera pas une véritable place théorique à la félicité pratique dans son système. Il apparaît utile d’en éclairer les raisons intellectuelles.
12Dans ses écrits d’anthropologie théorique, de l’Esquisse d’une théorie de la pratique (1972) jusqu’aux Méditations pascaliennes (1997), P. Bourdieu fait preuve d’une attention envers la félicité pratique. Nous nous attacherons surtout à ce dernier ouvrage, reprise systématique de toute l’architecture conceptuelle du sociologue, et tout particulièrement au chapitre IV consacré à « la connaissance par corps » (p. 154-193). Ce chapitre vise à montrer les apports de la réévaluation de la « connaissance par corps », rendue invisible par « vingt siècles d’un platonisme diffus et de lectures christianisées du Phédon 3 » qui « incitent à voir le corps non comme un agent connaissant, mais comme un empêchement de la connaissance et à ignorer la spécificité de la connaissance pratique » (p. 164). Originairement plongé dans l’immanence dans le monde, « l’agent n’est jamais complètement le sujet de ses pratiques ». Il ne peut que lutter, par certaines armes théoriques, pour le devenir.
« Le sens pratique est ce qui permet d’agir comme il faut sans poser ni exécuter un “il faut” […] Il s’agit donc d’un ajustement récursif aux régularités objectives du monde social qui s’imposent à lui, du monde social qui donne des formes et une structure aux conduites les plus élémentaires comme aux façons de parler ou aux catégories de penser. » (ibid.)
13Le sens pratique relève d’un ajustement mécanique à la situation en fonction des structures incorporées, ce qui explique l’une des régularités les plus importantes dégagées par la science sociale :« ceux qui sont à leur place dans le monde social peuvent plus facilement se fier à leurs dispositions » (c’est « l’aisance des gens bien nés ») (p. 192-193). Mais l’ajustement parfait est en réalité rare. Par exemple, les agents qui sont produits d’un état antérieur du milieu ont tendance à se conduire de façon non pertinente, en raison d’un mécanisme d’inertie appelé hystérésis, qui découle du fait que les « habitus ont une tendance spontanée à perpétuer les structures correspondant à leurs conditions de production » (p. 190).
14En explorant cette pratique, Bourdieu ouvre à plusieurs reprises une brèche qui permettrait de frayer le chemin d’une conception non mécaniste (et non alignée sur le « collectif ») de la pratique, c’est-à-dire une action dont la condition de possibilité est non immédiatement corréléeà un ordre social considéré comme préexistant et donnant forme à l’intégralité des conduites et des discours. Alors qu’il parle de l’usage d’un outil ou d’un rôle, il s’ouvre à un autre horizon théorique.
« Pour être en mesure d’utiliser un outil (ou de tenir un poste) et de le faire, comme on dit, avec bonheur, – bonheur à la fois subjectif et objectif, et marqué tout autant par l’efficacité et l’aisance de l’action et la félicité de celui qui l’accompagne –, il faut s’être fait à lui, par une longue utilisation, parfois par un entraînement méthodique, avoir fait siennes les fins qui sont inscrites en lui comme un mode d’emploi tacite, bref s’être laissé utiliser, voire instrumentaliser, par l’instrument. C’est à cette condition que l’on peut atteindre à cette dextérité dont parlait Hegel et qui fait que l’on tombe juste sans avoir à calculer, faisant exactement ce qu’il faut, comme il faut et à propos, sans gestes inutiles, avec une économie d’effort et une nécessité à la fois intimement ressenties et perceptibles du dehors. » (1997, p. 171)
15Dans ce beau passage, l’auteur cesse en effet de se reporter à la préexistence structurante d’un champ (de concurrence) pour penser l’action. Il envisage de manière novatrice (par rapport à son propre modèle) le phénomène de l’appropriation lorsqu’il formule l’« instrumentalisation par l’instrument » qui fait qu’on « tombe juste sans avoir à calculer », étudié plus tard par L. Thévenot sous la thématique du « régime de familiarité » (2006). P. Bourdieu accorde même une importance à ce qui est « intimement ressenti ». Cependant, cette attention est tiraillée entre deux mouvements d’inégales puissances : d’un côté, la prise au sérieux du rôle de l’outil et du mouvement sensori-moteur d’appropriation et de familiarisation affinant le sens de la réalité ; de l’autre, le fait que cette justesse est considérée comme systématiquement et simultanément un ajustement au « champ de forces » préexistant.
16La félicité pratique est tendue entre ces deux pôles contradictoires. D’une main structuraliste, la théorie semble en effet retirer à l’instance de la pratique, ce qui lui avait été octroyé dans un premier temps par la main anti-intellectualiste. La mise en évidence de la justesse, de « l’aisance », implique une attention et une valorisation des savoirs corporels non-réflexifs, ce qui confère une force considérable au concept de sens pratique, caractérisé par une forme d’intelligence irréductible aux critères de l’idéalisme et de l’intellectualisme. Cet aspect confère une grande partie de l’innovation anthropologique de l’œuvre de Bourdieu, notamment par rapport à celle Lévi-Strauss (Bensa, 2003). Mais, étrangement, la possibilité d’une félicité du sens pratique ne se voit pas intégrée dans de la théorie de la subjectivation. La pratique n’a en effet pas le rôle réellement générateur et innovateur qu’elle est censée avoir selon les termes même de Bourdieu. Elle ne peut être réellement ni émancipatrice, ni créatrice (donc imprévisible) puisque les possibles sont potentiellement connus à l’avance par l’objectivation de l’espace du champ, où s’inscrit l’acte ou la conduite sociale.
17Cette « aisance » pratique, cette « dextérité », sont en effet envisagées prioritairement comme des effets de l’incorporation des structures des champs sociaux qui semblent, dès lors, utilisées dans le discours sociologique à la fois comme la référence en dernière instance et comme le niveau qui dicte les conditions de possibilités des situations empiriques. La réévaluation de la pratique apparaît inachevée. La pratique ne peut pas contribuer à une source de subjectivation positive puisqu’elle résulte de l’intériorisation d’une extériorité arbitraire (« le monde social ») dont les formes sont d’une solidité préétablie. Ainsi Bourdieu note :
« L’action du sens pratique est une sorte de coïncidence nécessaire entre un habitus et un champ : celui qui a incorporé les structures du monde s’y retrouve immédiatement, sans avoir besoin de délibérer, et il fait surgir, sans même y penser, des choses à faire (des affaires : pragmata) et à faire “comme il faut” […]. » (1997, p. 171)
18Le sens pratique le plus achevé est donc l’ajustement parfait de la « connaissance par corps » aux structures objectives du monde social, c’est-à-dire l’incorporation, dans la chair et l’esprit des agents, des structures de la domination sociale préexistante. La connaissance par corps se révèle donc, au final, un état natif dont, parce qu’il procède d’une hétéronomie première, il importe d’essayer de se libérer au profit de la réflexivité apportée par les puissants outils de l’objectivation sociologique, viatiques privilégiés d’une subjectivation véritable.
19Partant, la pratique est aussi dévalorisée politiquement par son articulation explicite à l’instrumentalisation, l’hétéronomie, la dépossession de soi. Ainsi la félicité pratique est envisagée comme politiquement conservatrice, au sens où elle est le produit inconscient de l’incorporation d’un « nomos », c’est-à-dire d’un « principe de vision et de division constitutif d’un ordre social ou d’un champ » (p. 171). Elle se révèle donc, en dernière instance, précisément ce dont il faudrait se débarrasser pour s’affranchir de l’hétéronomie symbolique produite en permanence et de façon invisible par les forces sociales. Cette félicité pratique n’est « heureuse » que de façon illusoire et factice. Elle n’est que l’illusion de l’expérience première, puisqu’elle s’avère heureusement finalement dissipée par l’intelligence sociologique qui en établit les conditions sociales de possibilité et notamment, les conditions sociales de la nécessité mécanique de leur méconnaissance par les agents eux-mêmes, via la théorie du pouvoir symbolique envisagé comme « pouvoir de vie et de mort » sociales (1977).
20Le modèle de P. Bourdieu apporte à la définition du social une grande complexification conceptuelle par rapport à celui Durkheim. Chez Bourdieu, l’ontologie du social est duale et récursive. Le social existe, d’une part, à l’état incorporé et dispositionnel – les habitus – et, d’autre part, à l’état objectivé – les champs. Entre ces deux dimensions, « l’histoire faite corps » et « l’histoire faite chose », il existe une « complicité ontologique » (1982, p. 38 et 47). Les dispositions ne sont alors pertinentes que si elles sont ajustées au champ, au sens où elles permettent de faire la différence dans l’espace de compétition en quoi chaque champ consiste, même si les trophées et les ressources pertinentes selon les champs sont disparates. Si les dispositions incorporées n’ont de sens qu’au regard de positions (objectives) cartographiées par le sociologue, la félicité pratique se réduit donc à un ajustement situationnel des dispositions incorporées qui, sans délibération rationnelle consciente, permet de remplir « avec bonheur » les attentes du rôle défini par l’institution et le champ dans lequel s’inscrit ladite pratique. La félicité pratique n’est alors que la marque de la compétitivité contextuelle de l’habitus incorporé dans un espace de concurrence donné, marqué par une forme particulière d’investissement pour les enjeux et trophées offerts dans/par le champ. Cette compétitivité est nécessairement acquise aux dépens d’un autre agent inscrit dans le champ. En tant qu’elle est rabattue sur un champ – qui lui-même, malgré la pluralité des légitimités qui en président la logique de classement – envisagé comme un espace de compétition –, la pratique voit son sens nécessairement inscrit dans un espace social caractérisé par des positions individuelles exclusives (on ne peut être qu’à un seul lieu du champ) et par une logique de relation agonistique. Par là, le concept de sens pratique devient incapable d’intégrer dans le modèle la grandeur du geste qui comprend tellement bien le monde qu’il parvient à en jouer et à en dégager des issues favorables et surprenantes. C’est cette réalité que dessine le concept suggestif de mètis, cette intelligence rusée des situations qui caractérise Ulysse « aux mille tours » (Detienne et Vernant, 1974).
21La réévaluation théorique de la pratique par Bourdieu n’influence pas fondamentalement sa conception de la subjectivation. Elle ne laisse pas jouer les potentialités impliquées par l’acte heureux, en raison d’une conception privilégiée de la subjectivation comme méfiance envers toute forme d’adhésion et d’adhérence au monde qui sont les marques de l’hétéronomie. Trop inscrite dans une dépendance à l’endroit du sensible, l’exploration sensori-motrice, par l’agent, de son environnement immédiat (que ce soit l’instrument de travail ou le visage ou la voix d’un interlocuteur) n’est pas perçue comme une voie de subjectivation envisageable. Le « dispositionnalisme » sociologique de P. Bourdieu apporte beaucoup à la compréhension de conduites apparemment irrationnelles mais aussi à celle des mécanismes de la domination. Mais on peut simultanément trouver réductrice son acception de la disposition, se caractérisant in fine comme une sorte de « dressage » des corps par les structures. La disposition est systématiquement soumise à l’étalonnage extérieur permanent de la norme sociale, aussi contextualisée en champs spécialisés soit-elle. Or, si cette dimension est capitale, elle ne saurait prendre toute la place au sein d’une théorie de l’action élargie. Si c’est par la pratique que les déterminations sociales opèrent et enchaînent l’agent, c’est aussi, comme l’avait bien vu L. Wittgenstein, par la pratique aussi – notamment par des modifications dans ses propres habitudes quotidiennes – que leur empreinte peut être allégée, que de nouvelles potentialités peuvent poindre. Or, chez P. Bourdieu, les dispositions sont le plus souvent envisagées comme produites par « l’autre scène » : l’espace social. Le mécanisme est justement décrit (il permet notamment de penser le phénomène, central pour Bourdieu, d’hystérésis des habitus4). Mais il est réducteur en ce qu’il conduit à rendre impensable la plasticité et l’adaptabilité des conduites5. Ces capacités sont ne résultent pas, pour l’essentiel, du travail de réflexivité par l’autosocioanalyse, principal outil de subjectivation reconnu par le modèle praxéologique de Bourdieu. Il importe donc de confectionner des outils adéquats, permettant la mise au jour de ce type particulier de pratiques de soi, qui se caractérisent notamment par une forme paradoxale d’activité sur certaines de nos dispositions acquises, parmi la masse de nos habitudes activées chaque jour. Elles consistent, pour partie, à en interrompre (ou inhiber) l’exécution automatique, pour dégager, à l’issue d’une phase de suspension, la possibilité d’une familiarisation avec une autre extériorité, pour laisser advenir une nouvelle habituation.
Vers une personnalisation habitée
22La tension qui travaille l’appréhension de la félicité pratique par P. Bourdieu se résout donc en faveur d’un cantonnement des effets théoriques puissants de celle-ci, qui est réduite à un « effet de champ » ou un « effet de société ». Cela revient à renoncer à donner un statut anthropologique non dérivé à la subjectivation par la pratique. La cause de ce choix semble la suivante : la crainte ultime de Bourdieu est de tomber dans le travers de la naïveté personnaliste entendu comme le symptôme du rejet théorique d’une équivalence entre scientifique et déterministe.
« Si le personnalisme [défini plus haut comme la croyance en l’unicité de la personne] est l’obstacle principal à la construction d’une vision scientifique de l’être humain et un des foyers de résistance à une telle vision, c’est sans doute qu’il est un condensé de tous les partis pris théoriques […] de la philosophie spontanée la plus commune. » (1997, p. 159)
23Le savoir produit par la science sociale est envisagé par Bourdieu comme nécessairement déterministe. Le modèle de causalité sociale est celui de la mécanique newtonienne (« comme l’espace physique […], l’espace social est défini par l’exclusion mutuelle des positions qui le constituent » (1997, p. 161). Il suppose un point de vue de Sirius, celui de la science sociale, capable de s’affranchir des situations empiriques pour dessiner la vérité du monde social (« les agents sociaux sont justiciables […] d’une topologie sociale » [ibid.]).La violence de la lumière générée par ce dévoilement explique, pour Bourdieu, la haine dont la sociologie, science lucide, fait l’objet de la part de tous ceux qui ne veulent ni voir, ni savoir, ni reconnaître publiquement les véritables raisons de leur puissance sociale.
24Pour garantir la possibilité d’une science déterministe du social et immuniser cette dernière des critiques de « ceux qui […] sont toujours prêts à entonner de nouvelles variations sur la vieille mélopée conservatrice du clos et de l’ouvert » (1997, p. 159), P. Bourdieu est amené à reconduire le dualisme durkheimien fondamental et hiérarchique du corporel (bas) et de l’idéal (haut). Il complexifie encore le kantisme de Durkheim, en réévaluant significativement la place de la pratique et du corps dans la production et la reproduction du monde social. Mais il confie toujours la dernière instance au pouvoir symbolique, envisagé comme un tribunal qui donne la vie et inflige la mort (sociales). L’instance de la pratique ne peut dès lors offrir des « lignes de fuite » (Deleuze et Guattari, 1980) qui permettent de penser la sortie des assignations produites par les espaces sociaux institués. Soumise aux lois des champs, la pratique est donc soumise à un principe quasi-darwinien de compétitivité située pour se perpétuer. Si la pratique apparaît parfois comme heureuse, c’est seulement par l’ignorance du fait qu’elle est, plus réellement que ce bonheur, un « coup » (move) pertinent dans un champ de concurrence donné, un coup valorisé comme tel par les règles de jeu implicites du champ qui sont intériorisées par les agents qui ont appris à jouer son jeu. La sociologie, en ce qu’elle se doit d’être un savoir qui brise les adhérences et adhésions spontanées des agents, se doit de dévaloriser y compris la félicité pratique. Celle-ci n’est en effet que le masque de l’incorporation réussie des logiques de classement propres au champ dans laquelle toute conduite sociale prend place. En un sens, le sentiment de félicité pratique peut être vu comme exactement proportionnel à l’hétéronomie réelle des agents par rapport au champ. Plus l’agent est ajusté au champ, plus il se laisse porter par ses dispositions, et plus il est le jouet des structures du champ (qu’il aura parfaitement incorporées).
25À ce stade, la question des contreparties, voire des coûts, du choix de la dévalorisation de l’instance de l’expérience de l’agent doit être posée. Pour traiter de l’engagement de l’agent avec son expérience située, Bourdieu propose un outil conceptuel capital dans l’architecture d’ensemble de sa sociologie : l’illusio.
« Manière d’être dans le monde », l’illusio est « ce qui constitue le champ comme espace de jeu, […] ce qui fait que les pensées et les actions peuvent être affectées et modifiées en dehors de tout contact physique et même de toute interaction symbolique » (1997, p. 162).
26Ce concept est fondé sur l’articulation explicite, en un même terme, de la dimension « jeu » et de la dimension « illusion ». Mais, à l’usage, l’illusio se révèle au final pencher davantage vers l’illusion, donc vers l’insensibilité du sociologue à l’endroit des mirages offerts par la vie en société, exceptées les vérités dégagées par les sciences. Lorsque Bourdieu cite, à de nombreuses reprises, la phrase de Durkheim, « la société, c’est dieu » (dernière phrase des Méditations pascaliennes [1997, p. 288]), ce n’est pas pour communier avec Durkheim dans une religion de la société, républicaine et solidariste. C’est bien plutôt pour dire le caractère illusoire, car « arbitraire » (le terme est omniprésent), de toute institution sociale et de toute croyance. Mais cette phrase énonce dans le même temps l’impossibilité sociale de ne pas croire. D’où l’acceptation d’une seule croyance au statut équivoque : la vérité scientifique. Seule parmi tous les pouvoirs symboliques, cette vérité offre une illusion, souhaitable et acceptable. On peut souscrire à ce substitut de vérité, parce qu’il propose une foi qui offre un salut immédiat, permettant de ne pas tomber dans la « misère de l’homme sans Dieu » énoncée par Pascal. C’est bien la connaissance de la vérité (et des bases sociales de la vérité) qui peut, selon Bourdieu, seule rendre l’homme vraiment libre, car lucide. Par la valorisation hégémonique de la subjectivation par la vérité (de la science), la sociologie dévalue, on le voit, l’autorité de l’expérience et de la voix de la première personne (voir Laugier 2005, à propos d’Emerson), au profit de celle de la science, conçue comme vérité indépendante de l’expérience. Cette issue semble bien équivaloir, après un long parcours, à une assomption des thèses pourtant combattues du Phédon.
27La théorie du sens pratique propose au final un modèle d’une puissance explicative incontestable. À ce titre, elle a vocation à rester, dans la complexité même de sa contribution, une voix essentielle du débat sociologique. Mais, comme les approches idéalistes auxquelles elle s’oppose, elle éprouve paradoxalement une difficulté comparable à penser les modalités de la constitution empirique de la personne. Cette difficulté découle largement de la reconduction d’une conception de la subjectivation médiatisée par la notion de pratique sociale (donc collectivisée et alignée), refusant la prise en compte, dans la théorie du sujet constamment impliquée dans l’enquête, des dimensions pourtant précisément mises au jour par certains de ses outils analytiques, particulièrement attentifs aux dimensions situées et pratiques des apprentissages. Le caractère habilitant des transformations par l’expérience pratique reste paradoxalement sous-estimé au profit d’une émancipation conçue comme une sortie de la « méconnaissance » par l’auto-socioanalyse armée scientifiquement.
28Comment pourrait-on davantage tenir compte de ces processus muets qui se laissent si mal expliciter par la langue théorique ? En premier lieu, pour sortir du dualisme sujet/objet vu comme préalable à l’expérience sociale, il conviendrait sans doute d’adapter le renversement problématique appliqué par W. James au problème de la conscience. L’enjeu théorique de la constitution sociale de la personne bénéficierait ainsi d’une manière de sortir d’un cadre monadique. Rappelons que W. James entendait répondre non pas à la question « qu’est-ce que la conscience ? », mais à :« comment la conscience se fait-elle, empiriquement » (James, 1912) ? Or, pour étudier comment se constituent les personnes jour après jour, les sciences sociales ont besoin de concevoir plus précisément les modalités des rapports à soi, c’est-à-dire des façons dont la personne « éprouve », « ressent », etc., les divers attachements qui rendent possibles ses rapports aux autres et à son environnement matériel. Empiriquement, ces attachements se constituent par apprentissage familier. Le corps est certes toujours constitué d’habitudes, mais il est aussi caractérisé par une capacité à ajuster et à explorer, quotidiennement, les espaces de contact avec l’environnement humain et matériel qui rend possible la gamme complexe des coordinations requises par les épreuves de la vie quotidiennes. C’est ce que propose l’architecture dégagée par L. Thévenot, qui envisage une caractérisation fine de la pluralité des régimes d’engagement, du plus proche au plus public (2006).
29Cette perspective alternative permet donc de prendre réellement au sérieux la solution pragmatiste. Ce chantier implique une redéfinition du terme « social » qui ne le restreint plus au seul plan, certes essentiel, des représentations et des catégories partagées par un groupe (dans une fidélité à l’héritage de Durkheim et, plus encore à celui des « catégories » de Kant). L’analyse « sociale » doit explorer aussi le plan de l’expérience muette, celui des mouvements et des perceptions, des processus d’apprentissage et de familiarisations. Or la vie sensori-motrice est, pour des raisons intellectuelles complexes notamment liées à l’héritage kantien, systématiquement dévalorisée par les diverses écoles sociologiques depuis Durkheim (1955). Elle est vue comme infra-sociale – donc infra-sociologique – car psychologique. Soit ce contre quoi, précisément, se construit la sociologie durkheimienne. La prise en compte de cette dimension a été tentée, de différentes façons, par des approches psychologiques et sociopsychologiques de l’époque. Ce sont les contributions développées au sein du courant intellectuel américain dit pragmatiste (W. James, J. Dewey, G. H. Mead…). Il est possible aujourd’hui d’approfondir ce mouvement en intégrant pleinement, dans l’analyse, le domaine des attachements aux entours, personnes et conventions qui constituent, pour les personnes, les médiations indispensables dans l’entretien de la confiance (en soi et, au minimum, à certains « autruis significatifs » selon l’expression de Mead, 1934).
En guise de conclusion
30Le modèle de l’individu issu de l’Aufklärung conçoit fondamentalement la subjectivation comme une émancipation générique visant l’arrachement des dépendances et tendant vers l’état le plus désingularisé possible (tendanciellement « le genre humain »). Il a été largement reconduit, quant à sa logique fondamentale, par l’œuvre de P. Bourdieu. À la lumière des remarques précédentes, on envisage qu’une seconde approche pourrait être distinguée et développée, ce qui pourrait s’avérer précieux tant pour la connaissance sociologique que pour l’enrichissement des registres contemporains de la critique. Plus modeste d’apparence, cette approche vise à mettre en évidence des aspects rendus invisibles par la première perspective. Elle caractérise une subjectivation habitée, diffractée en ses différentes agences empiriques situées, qui ne sont ni intégrables, ni totalisables en une dernière instance. Cette autre conception modifie donc singulièrement ce que l’on a l’habitude de concevoir comme un “sujet” ainsi que les connotations philosophiques qui lui sont liées depuis les Lumières. Les idées implicites de maîtrise ainsi que l’opposition du « sujet » à un monde d’« objets » doivent être fortement nuancées, sinon complètement abandonnées, puisque ces catégories sont issues des philosophies modernes sous-estimant le gigantesque travail de mise en formes rendu nécessaire pour produire un monde composé d’objets et de sujets. Il importe a contrario de concevoir cette autre « personnalisation6 » comme usant de formes et de conventions – d’inégales extensions et pas nécessairement « universelles » – mises en œuvre pour se coordonner. Il importe aussi de la penser comme nécessairement inscrite dans les différents processus expérientiels d’une familiarisation « à la fois passive (on se laisse transformer, toucher) et agentive ». Car il n’y a pas à « séparer, dans l’expérience, la pensée (la spontanéité) et la réceptivité (la vulnérabilité au réel) » (Laugier, 2005). En amont du partage sujet/objet, la compréhension de ces processus requiert une attention des sciences sociales aux formes sensibles d’attachement7, voire d’intimité8, toujours fragiles et incertaines, donc de placer la confiance au cœur de l’analyse. La réhabilitation de ces dimensions par les sciences sociales semble aujourd’hui essentielle, tant elles importent pour la constitution de la personne comme pour celles des collectifs9.
31Cette réhabilitation importe pour une autre raison. L’actuelle quasi-invisibilité savante des dépendances de proximité accentue aujourd’hui la fréquente vulnérabilité des personnes, rendues particulièrement fragiles par l’hégémonie des dispositifs d’individualisation. Ces dispositifs reposent sur un formatage aboutissant à une véritable naturalisation d’opérations initialement conventionnelles : la séparation radicale et la mise en concurrence des personnes entre elles. Ces dernières sont, en outre, censées être les plus mobiles possibles, dans la logique déterritorialisée et déterritorialisante du capitalisme contemporain, qui fait de l’attachement spatial une faiblesse (Boltanski et Chiapello, 1999, p. 444 et sq.).Or, les modèles théoriques utilitaristes et modernistes, certes concurrents, partagent, on l’a vu, beaucoup d’héritages intellectuels dans leur façon de conceptualiser la personne. Il importe donc d’élargir la caractérisation habituelle de l’agent (par ses préférences, ses représentations, ses valeurs…) pour explorer plus avant le second mode de personnalisation ici esquissé ; certains pans de la sociologie de Bourdieu peuvent précieusement y contribuer. Pour ce faire, il faudra d’accorder une véritable attention aux diverses inscriptions et attaches sensibles de la personne ainsi qu’aux modalités d’entretien, au jour le jour, des croyances (au sens de W. James). Nous invitons donc à l’expérimentation d’une approche « non illusionniste » de l’illusio, entendue comme ce qui entretient le « sentiment d’exister » (Flahault, 2002) de chacun10.
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Bibliographie
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Notes de bas de page
1 « Les agents n’ont quelque chance de devenir quelque chose comme des sujets que dans la mesure […] où ils maîtrisent la relation qu’ils entretiennent avec leurs dispositions, choisissant de les laisser agir ou de les inhiber, ou, mieux, de les soumettre […] à des volontés obliques et d’opposer une disposition à une autre », Pierre Bourdieu, 1993, p. 111.
2 La notion de « félicité » a été surtout utilisée dans l’étude de la pragmatique des discours, dans le sillage de John L. Austin qui parlait des « felicity conditions » des énoncés illocutoires.
3 Rappelons que, dans le dialogue platonicien intitulé Phédon, Socrate, condamné à mort, exprime qu’il ne se désole pas de mourir puisqu’il envisage le corps et ses servitudes comme autant d’obstacles à ce que le philosophe aime véritablement : la pensée, la vérité, le monde éternel des idées.
4 Voir le texte suggestif de L. Jeanpierre (2004) mettant en évidence la centralité de l’inertie dispositionnelle pour comprendre, aux yeux du savant Bourdieu, la trajectoire sociale de l’homme Bourdieu. Il fait l’hypothèse que la figure du « double » – c’est-à-dire d’un soi nécessairement divisé, irréconcilié – constitue la clé de voûte du modèle bourdieusien de l’individuation.
5 P. Bourdieu s’appuie sur la lecture du neurologue J. -P. Changeux pour établir une équivalence entre « disposition », « apprentissage » et modelage des « connexions synaptiques » (1997, p. 163).
6 Le terme de subjectivation, si connoté, pourrait être abandonné pour davantage de clarté. On pourrait alors parler, dans une lignée maussienne (Mauss 1938), de construction de la personne (ou personnalisation) par la pluralité de ses engagements avec le monde. Il faut ici entendre engagement au sens très précis que lui accorde L. Thévenot (2006), qui implique à la fois la « promesse » ou (« garantie ») d’un « bien » et d’un « type de réalisme ».
7 Ce concept est utilisé par L. Thévenot (2006) pour désigner les dépendances de proximité dans le cadre du régime d’engagement de « familiarité ».
8 Pour mesurer la productivité conceptuelle de la notion d’intimité dans le processus d’expérience selon W. James, voir Sehgal (2008).
9 Sur le mode d’existence des collectifs que cette autre approche de la subjectivation amène à dégager, nous renvoyons à notre tentative ébauchée au sujet des différentes communautés de sociabilité au sein d’une organisation syndicale étudiée par enquête ethnographique (Renou, 2003).
10 L’auteur remercie P. Corcuff, C. Le Bart et F. Flahault, auxquels la maturation de ce texte doit beaucoup.
Auteur
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