Du devoir du chrétien à l’impératif du citoyen : les œuvres dans l’homilétique du Désert (1741-1791)
p. 113-127
Résumés
Parce qu’ils sont une des rares prises de parole publique de la communauté huguenote durant la clandestinité du XVIIIe siècle, les sermons sont une source importante de l’étude du Désert protestant. Ils sont ici utilisés afin de percevoir les différents aspects de l’homilétique concernant les œuvres. Pour une cohérence documentaire, le choix des sermons s’est arrêté sur ceux de la première dynastie pastorale du XVIIIe siècle, celle des Rabaut : Paul (1718-1794), le père, ainsi que deux de ses fils, Jean-Paul (1743-1793) et Jacques-Antoine (1744-1820). De ce corpus de trois cents textes, il ressort tout d’abord une présence polymorphe des œuvres qui se lit dans les discours de chaire, de manière directe ou indirecte : à l’occasion de certains sermons et à partir de péricopes choisies, les pasteurs exhortent les fidèles aux « bonnes œuvres » et plus particulièrement à l’aumône à la fin du culte ou bien dans le cadre de collectes dans la semaine qui le suit. Un deuxième point abordé est la signification qui est donnée aux œuvres : certes, le salut par la foi est rappelé, les œuvres étant le symbole de la foi agissante mais, à plusieurs reprises, ces dernières sont présentées comme essentielles pour le salut. Enfin, il convient de souligner que ces discours s’inscrivent dans une réflexion qui n’est pas seulement religieuse mais aussi sociale : la bénéficence prêchée par les pasteurs Rabaut est un devoir du chrétien mais aussi une responsabilité du sujet et du citoyen.
Because they are one of rare public speaking form of the Huguenot community during the clandestine era of the 18th century, the sermons are an important source for the study of the Protestant Desert. They are used here to highlight different aspects of the homiletic in regard to Works. We chose to limit our study to sermons of the Rabaut family: Paul (1718-1794), the father, and two of his sons, Jean-Paul (1743-1793) and Jacques-Antoine (1744-1820). The corpus, comprised of 300 texts, shows a polymorphic presence of them, either directly or indirectly: in a few sermons and through biblical quotes, the ministers exhort the believers to the bonnes œuvres and to the aumône in particular at the end of the cult or through collections on the week following it. A second point is the meaning given to the Works: salvation through faith is mentioned – the Works being the symbol of an active faith – but, on different occasions, the Works are also introduced as essential elements of salvation. Finally, the last point to be underlined is that these speeches join a reflexion which is not only religious but also social: the bénéficence preached by the Rabaut ministers is a duty for the Christian but also a responsibility for the subject and the citizen.
Texte intégral
« Si nous bénissons le Ciel de porter la parole au milieu de cette nombreuse assemblée de fidèles, c’est surtout lorsque nous nous voyons autorisés par les fonctions de notre ministère à parler en faveur de cette troupe d’infortunés que nous regardons comme nos frères & comme les vôtres [...] Heureux, tous ensemble, si pleins d’émulation à nous surpasser dans la carrière de la vertu, & plus puissants en actions qu’en discours, nous consacrons au soulagement des malheureux des biens dont nous ne pouvons faire un plus noble usage1. »
1Le pasteur Rabaut Saint-Étienne clôt ainsi un discours sur les dangers de la richesse devant son auditoire de l’Église de Nîmes en septembre 1771. L’importance des sermons comme sources théologiques et historiques permettant de mieux appréhender l’histoire générale du protestantisme du Désert doit être posée, même si les études sur la prédication réformée du XVIIIe siècle restent numériquement réduites2. Ces textes sont fondamentaux dans le contexte du dernier siècle d’Ancien Régime. Tout d’abord car, dans la Réforme, ils renvoient à un critère fondateur de l’identité réformée : celui de la prédication de l’Écriture, source unique de Vérité. Ensuite car la parole protestante, confisquée par la révocation de l’édit de Nantes, persiste et trouve une modalité d’expression forte dans ces discours. Certes, celle-ci demeure dans l’enceinte étroite du Désert, mais elle donne corps à une réalité collective d’un protestantisme clandestin porté par la force individuelle et familiale. Enfin, en regard de la question spécifique des œuvres, les sermons l’éclairent immédiatement comme cela est perceptible à travers le passage du sermon de morale prêché par le pasteur nîmois : l’action en faveur des plus démunis est affirmée, le ministre s’en faisant le porte-parole et les présentant comme des frères à secourir instamment.
2Ce sermon, comme tous les autres, s’appuie sur des péricopes et représentent, de fait, de bons indices de l’interprétation du texte biblique, en particulier pour comprendre la manière dont les œuvres sont présentées et enseignées aux fidèles dans le contexte de la clandestinité du Désert qui fragilise la dimension communautaire de la vie protestante. Assiste-t-on à une parole au Désert conforme à l’idéal calvinien, si cher à Antoine Court dans le modèle de reconstruction ecclésiale ou, à travers ce motif des œuvres, perçoit-on une évolution de l’homilétique réformée de ce XVIIIe siècle ?
3Pour répondre à cette question, un corpus de textes a été constitué, sans prétention toutefois à l’exhaustivité : il s’agit des sermons et lettres pastorales des pasteurs Rabaut, père et fils, Paul Rabaut (1718-1794), Rabaut Saint-Étienne (1743-1793) et Rabaut Pomier (1744-1820), ministres à Nîmes pour les deux premiers, Marseille, Montpellier puis Paris pour le dernier. Même si tous les discours de ces pasteurs ne nous sont certainement pas parvenus, ces trois ministres en ont laissé environ trois cent quarante sur une période allant de 1741 (Paul Rabaut) à 1813 (Rabaut-Pomier). Seuls ceux antérieurs à 1791, date qui marque le début d’un culte protestant légalisé3, ont été retenus soit un corpus de près de trois cents sermons : 217 pour le père, 57 pour Rabaut Saint-Étienne et 26 pour Rabaut-Pomier. Cette dynastie pastorale présente une double pertinence, d’un point de vue de la représentativité de ce corpus. Le premier point est que ces documents émanent d’une lignée pastorale dont le rôle, dans la reconstitution des Églises protestantes est certain. Paul Rabaut reste, après Antoine Court, le restaurateur du protestantisme dans le Désert héroïque des années 1730-1760 puis dans le second Désert4, avec l’aide de son fils aîné dès 17655. Le second point résulte des Églises dans lesquelles prêchèrent ces pasteurs6 : elles font partie du « croissant huguenot » et leurs paroles sont ainsi largement diffusées face à un auditoire conséquent, en particulier à Nîmes.
4Les discours prononcés dans ce Désert méridional permettent de percevoir différents aspects de l’homilétique concernant les œuvres dans le discours de ces ministres remarqués du siècle7. Le premier élément est une présence plurielle de ces dernières, dont les contours restent flous. Ensuite, se remarque la place qui est faite à ces œuvres qui ne sont plus toujours conformes à l’orthodoxie calvinienne du XVIe siècle. Enfin, ces discours s’inscrivent dans une réflexion sur les œuvres qui n’est pas seulement de l’ordre du religieux mais qui s’inscrit également dans les sphères sociale et politique.
Une présence polymorphe des œuvres
5Le corpus documentaire sélectionné permet d’appréhender un aspect diversiforme des œuvres. La définition même du mot « œuvres », parce que très large, permet de le comprendre, en suivant l’extrait de ce sermon de Paul Rabaut prononcé en 1756 :
« Les bonnes œuvres désignent ici tous les devoirs de la Religion, la piété envers Dieu, la charité envers nos prochains, la tempérance & la chasteté envers nous-mêmes8. »
6Les champs que recouvre le mot sont étendus, d’ordre religieux, social et moral. La charité est entendue dans les discours de chaire comme « amour de Dieu et du prochain9 » et passe par ce que Paul Rabaut nomme lui-même la bénéficence c’est-à-dire la bienfaisance, le fait de faire du bien à autrui et notamment en pratiquant l’aumône :
« L’aumône est sans doute une œuvre excellente : il est beau de se priver d’une partie de son bien pour rassasier ceux qui ont faim & vêtir ceux qui sont nus10. »
7L’allusion à plusieurs passages bibliques est évidente alors que Tobie 4, 1611, Ésaïe 58, 712 ou Luc 3, 1113 développent la nécessité du don. L’accroche biblique est importante pour alimenter la force de conviction des pasteurs qui s’expriment parfois de manière accumulative pour bien marteler l’impératif de la loi de Dieu à respecter dans cette réflexion sur l’entraide par le don14. L’aumône est ainsi le signe le plus visible des œuvres même si, la définition précédente l’a montré, elle n’en est pas le seul. Elle se déroule à la fin du culte et, avec la collecte qui peut se faire en dehors de celui-ci, elles sont alors des gestes essentiels pour aider son prochain. Son fils aîné, Rabaut Saint-Étienne le rappelle dans un sermon de 1766 :
« Si nous ne pouvons pas entrer ici dans le détail du nombre de nos pauvres, nous pouvons au moins vous dire avec vérité qu’ils n’ont guère d’autres fonds que ce que l’on recueille pour eux dans la collecte, ou à la fin de nos assemblées. Encore sont-ils privés de cette dernière ressource, lorsque le mauvais temps nous empêche de nous rendre dans ces Déserts15. »
8Ces appels aux dons pour les plus démunis apparaissent tout d’abord lors de moments choisis et pertinemment destinés à favoriser l’assistance. Tel est en particulier le cas des sermons sur l’aumône dont un fut délivré en janvier 1787 par le fils cadet de Paul Rabaut, Rabaut-Pomier : Discours à l’occasion d’une collecte sur ces paroles de JC : « c’est une chose plus heureuse de donner que de recevoir » (Actes 20, 35)16. Ces sermons spécifiquement destinés à stimuler l’offrande avaient souvent lieu le dimanche qui précédait une semaine de collecte pour expliquer le sens du geste à venir et aussi motiver les troupes protestantes, parfois peu promptes à donner. Les œuvres apparaissent également dans les sermons développant la thématique de la pauvreté ou de la richesse, souvent classés dans la catégorie de « sermon de morale », à l’instar du discours de Rabaut Saint-Étienne, délivré en août 1771 : Sermon sur les devoirs des pauvres : « J’ai appris à être content de l’état où je me trouve : je sais vivre dans la pauvreté » (Phil. 4, 11-12) auquel répondit le mois suivant celui sur les richesses évoqué en exergue et en introduction17. Leur père, avant eux, prêcha sur ce thème comme lors de ce sermon de 1764, Les saintes occupations de la nouvelle créature : « Car vous êtes son ouvrage, ayant été créés en J.-C. pour faire de bonnes œuvres que Dieu a préparées afin que nous y marchions » (Ép 2, 10) ou bien encore celui de l’année suivante : « N’ayez pas seulement en vue votre propre avantage, mais soyez aussi attentifs à celui des autres, ayez les mêmes dispositions d’esprit que J.-C. a eues » (Ph 2, 4-5)18.
9Toutefois, les péricopes des sermons sélectionnés faisant directement référence aux œuvres sont peu nombreuses et c’est parfois à l’intérieur des sermons qu’il est possible de trouver des passages les évoquant19. Ainsi, de manière directe ou indirecte, quinze sermons permettent de cerner une approche des œuvres dans l’homilétique des différents pasteurs Rabaut, soit 5 % de l’ensemble des discours retenus, Rabaut Saint-Étienne étant celui où la thématique des œuvres apparaît le plus avec 12 % de ses sermons qui l’abordent20. Ce chiffre, qui peut paraître faible, n’est cependant pas anodin : par comparaison avec d’autres thématiques homilétiques cette notion d’œuvre est un motif commun dans cette seconde moitié du XVIIIe siècle comme le montre le cas particulier des sermons du fils ainé de Rabaut21.
10Il faut pointer l’importance du contexte de diction de ces paroles : c’est spécialement en hiver ou à l’occasion d’un moment de grandes difficultés que les pasteurs mobilisent leurs fidèles sur cette thématique. Ainsi, le sermon de Rabaut Saint-Étienne sur l’Aumône pour un besoin extraordinaire à la suite de l’hiver de 1765 et 1766, déjà évoqué, explique longuement, et sur le mode pathétique habituel de la parole de chaire, les multiples facteurs qui rendent le don aux pauvres plus que nécessaire en ce mois de janvier 1766 :
« On a vu de malheureux enfants privés de la nourriture la plus commune, privés du pain le plus grossier & le plus dur, réduits à brouter cette herbe vile que vous foulez aux pieds, & qui semblait ne devoir être réservée qu’aux brutes. Tableaux affreux de l’humanité gémissante, image terrible de la pauvreté méconnue et abandonnée, qu’êtes-vous à côté d’un pareil spectacle ? C’est cependant parmi nous qu’on a vu de semblables horreurs. C’est pour ainsi dire dans nos murs ; c’est dans ces Provinces que le commerce & l’industrie enrichissent. Ajoutez à ce fait arrivé seulement l’année dernière, le tableau de la cruelle saison où nous venons de passer, où le ciel semblait être de feu & la terre d’airain suivant l’expression de l’Écriture. Le pauvre glacé par un froid presque inconnu dans nos provinces n’avait pas assez de forces pour s’occuper au travail de sa vocation. Les impressions de l’air qui ont produit tant de maladies étaient d’autant plus dangereuses pour lui qu’il ne pouvait s’en garantir ; et la terre elle-même avait fermé son sein à ceux qui ont accoutumé d’en tirer leur subsistance. Pour comble de malheur, la cherté, je ne dis pas des denrées les plus nécessaires, mais la cherté du grain ne lui permettait pas de s’en rassasier, & le lui a fait manger souvent trempé de ses larmes22. Et combien de gens qui n’avaient jamais connu la misère ont été obligés cet hiver de recourir au trésor de vos charités23 ? »
11La parole de chaire déploie, dans une mise en contexte dramatisée mais descriptive, les fameuses crises de subsistances d’Ancien Régime dont un des facteurs est le climat : l’hiver 1765-1766 est une des trois périodes les plus froides du XVIIIe siècle24. À côté de ces difficultés conjoncturelles et climatiques25, les guerres sont aussi des moments qui provoquent une prise de parole protestante pour encourager à aider les plus démunis. Tel est le message de la lettre pastorale de Paul Rabaut de décembre 1758 alors que la Guerre de Sept ans et l’hiver qui s’installe justifient de donner de manière remarquable :
« Dans des occasions comme celle-ci, ou les besoins sont extraordinaires, la charité chrétienne veut qu’on se surpasse, qu’on donne non seulement selon son pouvoir, mais au-delà de son pouvoir, qu’on imite la veuve de l’Évangile qui donna même de son nécessaire. C’est ici le cas de pratiquer ce précepte de Jean Baptiste, que celui qui a deux habits en donne à celui qui n’en a point, & que celui qui a de quoi manger en fasse de même26. »
12La parole du pasteur, itérative lorsque l’hiver arrive, s’adapte également à un contexte tendu comme celui d’une crise climatique et diplomatique, et devient parfois aussi une piqure de rappel face à un relâchement général des attitudes de charité, conformes pourtant à l’idéal chrétien, nous y reviendrons. Telle est la lecture à faire de cet extrait d’un sermon de Rabaut Saint-Étienne, prononcé en 1780, qui mentionne la nécessité d’une pratique régulière et plus seulement circonstancielle de l’aumône :
« Nous avons remarqué qu’à mesure que le zèle pour le culte diminue, les aumônes diminuent aussi. Ainsi lorsque les chaleurs brûlantes de l’été ont tari les sources, & fait baisser les eaux, il ne s’élève plus de vapeurs qui retombent en rosée ou en pluie sur les campagnes. Les pluies des charités publiques que tant d’infortunés attendent avec impatience sont considérablement diminuées : déjà ce que l’on recueillait dans nos assemblées religieuses est réduit à la moitié, & nos sollicitudes pour l’avenir que nous vous communiquons aujourd’hui ne peuvent être mesurées que sur la misère qui les occasionne27. »
13Donner ne va pas toujours de soi pour les protestants nîmois et le pasteur les exhorte à cette pratique. Encore faut-il le faire suivant des principes conformes à l’orthodoxie réformée du XVIIIe siècle qui subit une évolution par rapport à celle des origines du calvinisme.
La foi agissante, le salut et les œuvres
14Comment les œuvres, et en particulier l’aumône et l’assistance aux plus démunis, sont-elles présentées aux fidèles ? Dans quel état d’esprit le croyant doit-il réaliser ce geste chrétien et quel sens ce dernier revêt-il ?
15L’adjectif « bonnes » est souvent associé aux œuvres. Cette qualification implique un positionnement de celui qui agit suivant une posture particulière car la charité chrétienne ne peut se limiter à l’acte du don :
« L’on se tromperait fort si l’on s’imaginait que la charité chrétienne consiste uniquement à rassasier ceux qui ont faim & à revêtir ceux qui sont nus28. C’est là sans doute l’un des actes essentiels de la charité, ne pas s’en acquitter quand on le peut c’est un indice manifeste que l’on est destitué de cette vertu ; mais d’un autre côté ce n’en est point la marque essentielle. Tous s’en font témoin ces paroles de Saint Paul “Quand je donnerais tout mon bien pour la nourriture des pauvres, si je n’ai pas la charité, je ne suis rien. Il est donc très possible qu’on fasse les aumônes les plus abondantes & qu’on manque pourtant de charité.” Il se peut en effet que ce soit par ostentation pour vaine gloire, pour faire parler de soi qu’on se montre si libéral, & alors ce n’est plus l’amour du prochain qui fait agir29. »
16Il faut donc donner mais sans hypocrisie et avec un esprit tourné entièrement vers Dieu30. Le don ainsi acté est la matérialisation de l’amour de Dieu, le sens premier de la charité se retrouve alors. Les « bonnes œuvres » ne sont pas recherche d’un quelconque profit personnel mais elles attestent de l’appartenance à la communauté du Christ par son imitation. Le discours est dans le droit fil de l’orthodoxie calvinienne :
« Nos très chers & bien aimés frères, instruits à l’école du St Esprit vous y avez appris que celui qui donne au pauvre prête à l’Éternel qui lui rendra son bienfait, que ceux qui sont riches en bonnes œuvres, prompts à donner & libéraux s’amassent pour l’avenir un trésor placé sur un bon fonds afin d’obtenir la vie éternelle ; que même un verre d’eau froide donné à un disciple de Christ ne demeurera pas sans récompense31. »
17Le dernier mot interpelle dans ces paroles comme si un glissement semblait s’opérer quant à ce que le fidèle peut attendre des œuvres qu’il fait. L’orthodoxie développée par Calvin pose le principe du salut par la foi seule32. Or, à plusieurs reprises, les propos tenus par les pasteurs auprès de leurs fidèles ne sont pas si clairs en la matière. Certes, la force du salut par la foi est affirmée mais les pasteurs placent les œuvres comme importantes, voire essentielles, dans une perspective sotériologique. Paul Rabaut va d’ailleurs jusqu’à expliquer en suivant la Parabole des talents que les pasteurs zélés auront une récompense plus grande que les simples fidèles ou les pasteurs dont la discipline de vie est plus relâchée33. Comment expliquer cette position hétérodoxe si l’on se place d’un point de vue calvinien ? Deux éléments peuvent expliquer cela compte tenu du corpus homilétique.
18Le premier est le catéchisme sur lequel se fonde l’apprentissage de la parole de Dieu à partir de la seconde moitié du XVIIIe siècle. Les sermons sont une forme d’éducation biblique, en parallèle d’une instruction délivrée à l’occasion du catéchisme aux enfants et/ou aux adultes. Lors des cultes dominicaux, une leçon venait compléter ce qui pouvait être enseigné dans les familles. Des ouvrages servaient alors de support à l’apprentissage et lorsque les Églises du Désert se reconstituèrent dans les années 1720, le catéchisme en vigueur était celui de Charles Drelincourt (1595-1669) qui datait de 164234. Lors du synode national de 1744, les Églises réformées de France décidèrent de changer de livre de référence et prirent « l’Abrégé du catéchisme de M. Osterwald comme étant le plus clair & le plus méthodique35 ». Jean-Frédéric Ostervald (1666-1747), pasteur de Neuchâtel, avait publié son Catéchisme en 1702, ouvrage particulièrement destiné aux adultes, avec pour but d’apprendre différemment la religion de Calvin aux fidèles, c’est-à-dire de manière simplifiée et sous forme de questions/réponses. En 1734, en sortit une édition allégée intitulée Abrégé du catéchisme d’Ostervald. Or que lit-on dans le Catéchisme, repris par l’Abrégé à propos des œuvres ? On retrouve l’inspiration des Rabaut pour définir la nature et les principes qui doivent faire œuvrer les croyants, tout d’abord avec une définition large de bonnes œuvres :
« D. Qu’entendez-vous par Œuvres ?
R. J’entends non seulement les actions, mais aussi les paroles & les pensées. Et ensuite avec un esprit tourné exclusivement vers Dieu.
D. Quand est-ce que les actions bonnes deviennent des péchez ?
R. Lors qu’on les fait par de mauvais principes, & dans un mauvais but ; comme quand on donne l’aumône, ou qu’on prie, pour être vu & loué des hommes36. »
19De plus, dans le Catéchisme d’Ostervald, les œuvres sont présentées comme nécessaires au salut, et indispensables :
« D. Est-il nécessaire de faire de Bonnes Œuvres ?
R : Oui
D : Qu’entendez-vous par cette nécessité ?
R : Non seulement que c’est une chose juste & raisonnable de faire de Bonnes Œuvres, mais qu’elles sont absolument nécessaires pour le salut, & qu’il est impossible de l’obtenir si on les néglige37. »
20Une telle affirmation d’un salut qui ne peut se faire sans les œuvres est en contradiction avec l’orthodoxie calvinienne, désaccord qui, dans une perspective pédagogique, est relevé par le texte lui-même. C’est ainsi qu’une question replace le principe de sola fide et, en s’appuyant sur l’Écriture, éclaire le sens à donner à cette articulation particulière entre foi et œuvres dans le catéchisme du XVIIIe siècle :
« D : Mais ne suffit-il pas pour être sauvé d’avoir la Foi ?
R : La Foi suffit pour le salut ; mais on n’a pas la Foi quand on ne pratique pas les Bonnes Œuvres, & nous ne pouvons nous assurer que nous avons la foi que par les Œuvres, Jaq. 2, 14-17 : Que profitera-t-il, si quelqu’un dit qu’il a la Foi, & qu’il n’ait point les Œuvres ; la Foi le pourra-t-elle sauver. La Foi, si elle n’a point les œuvres, elle est morte en elle-même38. »
21Les œuvres sont indispensables au salut car elles sont le signe et la matérialisation de la foi du fidèle. Elles la rendent vivante, agissante et opérante. Les œuvres sont une preuve de la Grâce de Dieu sur le croyant. Les sermons sont donc dans la stricte observance du catéchisme des Églises réformées du temps, texte qui a suscité de nombreuses polémiques étudiées notamment par Pierre Barthel39.
22Cette adéquation entre texte de chaire et catéchisme d’Ostervald est d’autant plus logique que, et c’est la seconde raison à la position « hétérodoxe » des pasteurs, Paul Rabaut était particulièrement au fait de la pensée d’Ostervald, ayant lui-même réalisé un Précis du Catéchisme d’Osterval en 177440. Se comprend dès lors son point de vue dans un sermon délivré à l’occasion de la Noël 1773 :
« Ce sera donc dans une autre économie, ce sera après la mort que l’être grand en conseil & magnifique en moyens, donnera la vie éternelle à ceux qui par la persévérance dans les bonnes œuvres auront cherché la gloire, l’honneur & l’immortalité. C’est pour les y conduire que le fils de Dieu est venu dans le monde, c’est lui qui a mis en évidence la vie & l’immortalité par l’Évangile après avoir enlevé tous les obstacles qui pouvaient s’opposer au bonheur des hommes [...].
Des chrétiens pour peu qu’ils soient instruits ne peuvent pas ignorer que Dieu rendra à chacun selon ses œuvres [...]. Ce qui fait donc principalement qu’on redoute la mort c’est qu’on a mal employé sa vie. On n’espère pas d’être avec JC parce qu’on n’a pas vécu pour lui41. »
23Les œuvres, enseignées par la parole de chaire et le catéchisme, sont ainsi le reflet d’une évolution dans la lecture biblique : l’esprit dans lequel elles doivent se faire reste identique à l’idéal calvinien ; en revanche, si le salut par la foi est réaffirmé, il ne peut être atteint sans la mise en pratique de celle-ci que sont les œuvres. Elles sont donc une obligation pour le fidèle, ouaille qui n’est pas uniquement un croyant mais également un citoyen.
Les œuvres : un devoir pour le croyant, un principe de vie pour le citoyen
24Les bonnes œuvres apparaissent d’autant plus essentielles dans la parole pastorale qu’elles répondent à double impératif porté par des considérations religieuses et socio-politiques.
25Tout d’abord car elles accompagnent le salut et rendent la foi du fidèle opérante mais encore car les œuvres sont la véritable marque du chrétien. L’impératif à pratiquer les œuvres, et en particulier l’assistance envers les plus démunis, se fonde sur l’équation à poser entre ce geste et l’identité chrétienne. Il est en effet impossible de se déclarer chrétien sans la pratique de la charité qui est amour de Dieu et de son prochain suivant le modèle de son fils Jésus-Christ42. Les trois pasteurs sélectionnés pour cette étude le répètent à l’envi : « Les apôtres ont fait du précepte de la charité un devoir essentiel ; c’est selon eux la livrée à laquelle on doit reconnaître les Disciples de Jésus-Christ43. »
26Dans cette homilétique de la seconde moitié du XVIIIe siècle, le chrétien se reconnaît à la pratique de sa foi, à ses mœurs dans la quotidienneté de son existence : le primat de l’orthopraxie devient critère d’authentification du chrétien, conformément à la « théologie raisonnée » dont les pasteurs Rabaut fils sont les porte-paroles :
« Montrez nous vôtre foi par vos œuvres. Où est ce zèle pour la gloire de Dieu ? Cet attachement pour ses préceptes ? Cette crainte de lui déplaire ? Où sont ces sacrifices de vos affections & de vos plaisirs ? Où sont, je ne dirai pas ces macérations & ces austérités, mais où sont ces nuits employées à méditer la loi de Dieu, ces jours employés à la mettre en pratique44 ? »
27Dans un sermon de 1767, le fils aîné de Paul Rabaut le rappelle encore et avertit son auditoire qu’il ne les laissera pas s’illusionner sur le fondement de la religion :
« Le principal de la Religion ce sont les bonnes œuvres, c’est aux actions & non aux paroles & à l’extérieur que l’on reconnaît le vrai fidèle ; que s’il en est encore parmi vous qui l’ignorent, ou qui feignent de l’ignorer nous le leur répéterons si souvent qu’ils ne pourront plus se faire une illusion aussi funeste45. »
28Se comprend, dès lors, l’importance des sermons sur la morale et comment cette dernière est aussi un levier pour les bonnes œuvres. Ainsi, elles sont un garant contre les défauts montrés du doigt par les pasteurs, elles sont un outil de normalisation sociale : l’égoïsme, le luxe46, l’insensibilité47 et les plaisirs mondains préjudiciables à une société normée sont autant de pratiques posées en négatif des « bonnes œuvres » dans les sermons de cette seconde moitié du XVIIIe siècle. Bien plus, elles répondent ainsi à un précepte social : en luttant contre les « vices » énumérés (tel est le mot employé par les pasteurs), les œuvres permettent une cohésion sociale et d’autant plus facilement qu’au-delà de l’impératif chrétien de ces dernières, il y a un impératif d’humanité : « Il n’y a que des monstres qui puissent voir d’un œil indifférent les misères de leurs semblables » explique Paul Rabaut48. Il devient de fait impossible de vivre en société sans ressentir cet impératif de charité et d’entraide, sans la compassion que l’on retrouve aussi chère dans le discours de Rousseau49. C’est la souffrance de l’ensemble du corps social qui déclenche parfois la prise de parole des ministres, et Rabaut père l’indique en introduction de sa lettre pastorale de 1758 qui fait référence aux difficultés dues au climat, aux maladies et à la Guerre de Sept ans :
« La désolante situation où se trouve un nombre considérable de nos concitoyens ne nous permet point de garder le silence. Tandis qu’une partie de cette église jouit de l’abondance ou d’une honnête médiocrité, l’autre partie gémit dans la plus affreuse misère, manque également de pain pour sa subsistance, & d’habits pour se défendre contre la vigueur de la saison50. Le terrible fléau de la guerre qui désole l’Europe en faisant languir & presque tomber le commerce prive les habitants de cette ville de leur principale ressource. Le négociant n’ose faire provision de marchandise parce qu’il ne sait quel chemin leur faire prendre, le danger qu’elles soient enlevées étant presque égal tant sur terre que sur mer. Dès là, l’ouvrier ne peut que manquer d’ouvrage [...] la saison devient rigoureuse [...]. Combien que de misérables qui risquent de périr de froid & de faim, si des mains charitables ne s’empressent à les secourir51. »
29« Concitoyens », « habitants », « négociants », « ouvriers » : le discours du ministre évoque la ville et non l’unique communauté réformée, les corps de métiers et non les simples fidèles nécessiteux d’une Église protestante. L’ensemble du corps social est à secourir, au-delà de la confession de ses membres. Et, en 1765, il rappelle encore que le devoir de charité est pour tous les hommes :
« Ce devoir mes frères a une grande étendue & embrasse tous les hommes de quelque nation & de quelque religion qu’ils soient. Fidèles & infidèles, orthodoxes & hérétiques, étrangers & citoyens, amis & ennemis, tous sont frères, tous doivent êtres les objets de notre bienveillance52. »
30La parole de chaire incite le croyant aux bonnes œuvres pour prouver sa foi, mais aussi mobilise le citoyen en tant qu’être social et responsable de tous pour créer une société cohésive. Ses deux fils prennent le relais délivrant un discours mâtiné d’utilitarisme politique et social :
« Vous êtes obligés comme citoyen à soulager des hommes qui vivent en société avec vous ; que comme hommes vous devez soulager ceux qui sont du même sang que vous, & qui sortent de la même origine. Je pourrais ajouter que vous y êtes obligés comme sujets, puisque vous devez être utiles autant qu’il est possible au Prince, & que ces malheureux peuvent être des membres utiles à l’État53. »
31Rabaut-Pomier, dans son Discours à l’occasion d’une collecte de janvier 1787, développe tout un argumentaire systémique postulant l’homme en relation avec d’autres citoyens allant même jusqu’à une forme de critique de la société de son temps, débouchant sur un exposé portant sur une société utopique dans lequel l’équilibre est assuré par une redistribution des richesses :
« L’homme charitable [...] vient au secours de l’humanité souffrante & rend à la société l’équilibre qu’elle allait perdre [par la multiplication des pauvres] [...]. C’est à des mains bienfaisantes [...], à ces asiles respectables où l’indigence est accueillie [...] que les sociétés politiques doivent leur existence actuelle54. »
32Point de salut sans les œuvres preuve de la foi... et point de société équilibrée non plus. La justification d’une telle posture trouve également dans ce discours de 1787 ses racines non plus dans une charité divine portée par la Bible mais également dans une cohésion sociale matrice d’harmonie et de tranquillité.
33Le message délivré à l’occasion de ces sermons est ainsi clair : si les œuvres sont multiples dans la vie du croyant, elles se matérialisent particulièrement à l’occasion de l’aide que l’on peut donner aux plus démunis. Cette assistance, cependant, ne va pas de soi ; les pasteurs rappellent, dans des contextes particulièrement tendus économiquement ou diplomatiquement, qu’il est un devoir de secourir son prochain pour montrer son zèle à Dieu. À la faveur de ces sermons, on comprend aussi l’impact de l’orthodoxie suisse du temps : Ostervald avec son Catéchisme mais aussi Turrettini ou Vernet avec leur « orthodoxie raisonnée », impulsent une nouvelle dynamique dans la vision des œuvres. Elles deviennent indispensables au salut, car si ce dernier passe toujours par la foi, c’est par les œuvres que la foi se prouve et s’éprouve. Dès lors, le message délivré est celui d’un croyant qui agit par amour de Dieu, par amour de son prochain, en toute conscience que ces œuvres sont à la fois un impératif religieux mais relèvent aussi d’une responsabilité du citoyen agissant pour l’ensemble du corps social.
Notes de bas de page
1 Bibliothèque du Protestantisme Français (BPF), Paris, Ms 717/1-27, Les dangers de la richesse : « Jésus leur proposa aussi cette Parabole : il y avait un homme riche dont les terres... C’est ce qui arrive à celui qui n’amasse des biens que pour soi-même & qui n’est point riche de Dieu », Lc 12, 16-21, Rabaut Saint-Étienne prononcé le 28 septembre 1771.
2 Combe E., Antoine Court et ses sermons, Lausanne, Bridel, 1896 ; Gosselin J., « Les sermons écrits du pasteur Mordant (1754-1813) », BSHPF, t. 130, 1984, p. 97-107 ; Krumenacker Y., « Les sermons du pasteur poitevin François Gobinaud (1750-1791), 111e congrès National des Sociétés savantes, Histoire moderne et contemporaine, t. II, 1986, p. 125-134 et « Un sermon inédit du Désert », BSHPF, t. 145, 1999, p. 573-584 ; Selles O., « “Une épée à deux tranchants” : prédications et politique dans quelques sermons d’Antoine Court », Bost H., Lauriol Cl. (dir.), Entre Désert et Europe, le pasteur Antoine Court (1695-1760). Actes du Colloque de Nîmes, Paris, Honoré Champion, 1998, p. 111-132 ; « Conférences de M. Hubert Bost », Annuaire EPHE, Section des sciences religieuses, 2003-2004, t. 112, p. 359-354 et 2004-2005, t. 113, p. 1-6 ; Carbonnier-Burkard M., « Une prédication “laïque”. Les prêches des prédicants du « premier Désert » (1685-1700), Arnold M. (dir.), Annoncer l’Évangile (XVe-XVIIe siècle) permanences et mutations de la prédication, Paris, Cerf, 2006, p. 221-246 ; Borello C., « Texte et contexte : la violence dans les sermons protestants du XVIIIe siècle », Faggion L., Regina C. (dir.), La violence. Regards croisés sur une réalité multiple, Paris, CNRS Éditions, 2010, p. 471-494.
3 L’édit de Breteuil de 1787 permet aux « sujets non catholiques » du roi d’avoir un état civil légal, mais il faut toutefois attendre la Constitution de 1791 pour que le culte public protestant soit autorisé : « La Constitution garantit pareillement, comme droits naturels et civils : [...] la liberté à tout homme de parler, d’écrire, d’imprimer et publier ses pensées, sans que les écrits puissent être soumis à aucune censure ni inspection avant leur publication, et d’exercer le culte religieux auquel il est attaché », Constitution du 3 septembre 1791, titre 1.
4 Sur le pasteur voir Borrel A., Biographie de Paul Rabaut, suivie de celle de Claude Brousson, pasteur de Nîmes (1683-1698), Nîmes, Librairie protestante, 1859 ; Puaux F., Paul Rabaut, l’apôtre du Désert, Paris, Fischbacher, 1918.
5 Dupont A., Rabaut Saint-Étienne, 1743-1793 : un protestant défenseur de la liberté religieuse, 2e éd. Complétée, Genève, Labor et Fides, 1989.
6 Sur la prédication des Rabaut on peut se référer aux études anciennes de Diény G., Essai sur la prédication de R. Saint-Étienne d’après la collection de ses sermons manuscrits, Cahors, 1907 ; Monod A., Les sermons de Paul Rabaut : pasteur du désert (1738-1785) : étude sur les manuscrits inédits de Paul Rabaut, suivie du texte de trois sermons annotés, thèse complémentaire de doctorat ès-lettres présentée à la faculté des lettres de l’université de Paris, Impr. G. Carayol, 1917. Sur la prédication de Rabaut Saint-Étienne voir encore Borello C. Du Désert au Royaume : parole publique et écriture protestante (1762-1788). Édition critique du Vieux Cévenol et de sermons de Rabaut Saint-Étienne, Paris, H. Champion, 2013.
7 La France protestante commence sa notice en qualifiant Paul Rabaut de « plus célèbre des pasteurs du Désert », E. E. Haag, La France Protestante ou vies des protestants français qui se sont fait un nom dans l’histoire, Paris/Genève, Joël Cherbuliez, 1858, t. VIII, p. 344.
8 BPF, Ms 716/4-3, fol. 10, « Il s’est donné soi même pour nous afin de nous racheter de tous nos péchés, & de nous purifier pour se faire un peuple qui lui appartienne en propre & qui s’attache avec zèle aux bonnes œuvres », 1 Tt 2, 14, Paul Rabaut, prononcé le 16 septembre 1756.
9 « Le premier [fruit] c’est la charité c’est-à-dire l’amour de Dieu & du prochain. L’amour du monde, & des choses qui sont au monde est le principe dominant des enfants du siècle, des pécheurs non convertis & cet amour est inimitié contre Dieu mais le grand mobile des vrais disciples du sauveur est un amour pour Dieu qui l’emporte sur tout autre amour. Ils aimeraient mieux perdre tout ce qu’ils possèdent au monde, la vie même, plutôt que de perdre l’approbation de leur père céleste, plutôt par conséquent que de l’offenser [...]. C’est là cette charité sans laquelle on n’est rien & qui caractérise les disciples du fils de Dieu », BPF, MS 716/5-1, fol. 4-5, « Les fruits de l’Esprit, c’est la charité, la joie, la paix, la patience, la douceur, la bonté, la fidélité, la bénignité, la tempérance », Ga 5, 22, Paul Rabaut, prononcé le 21 avril 1762.
10 BPF Ms 716/4-29, fol. 3, La vie & la mort du chrétien. « Car si je vis c’est pour J. C. & la mort me sera un gain », Ph 1, 21, Paul Rabaut, prononcé le 24 décembre 1773.
11 « Donne de ton pain à ceux qui ont faim, et de tes habits à ceux qui sont nus. De tout ce que tu as en abondance, prends pour faire l’aumône ; et quand tu fais l’aumône, n’aies pas de regrets dans les yeux. »
12 « N’est-ce pas que tu partages ton pain à celui qui a faim ? et que tu fasses venir en ta maison les affligés qui sont errants ? Quand tu vois un homme nu, que tu le couvres, et que tu ne te caches point arrière de ta chair ? »
13 « Il leur répondit : Que celui qui a deux tuniques partage avec celui qui n’en a point, et que celui qui a de quoi manger agisse de même. »
14 « Honore l’éternel de son bien & des prémices de ton revenu, ne dis pas à ton prochain va et retourne & je te donnerai demain quand tu l’as par devers toi, Deut 15, 7-9. Tu ne manqueras point de donner aux nécessiteux & ton cœur ne lui donnera point à regret, car à cause de cela l’Eternel ton Dieu te bénira dans toute ton œuvre & dans tout ce à quoi tu mettras la main Deut 15-10. Si ton ennemi a faim donne lui à manger. S’il a froid donne lui à boire, Rom 12, 20. Que chaque premier jour de la semaine chacun de vous mette à part chez soi ce qu’il pourra assembler selon la bonté de Dieu, 1 Cor 16, 2. Si vous dites à ceux qui manquent de ce qui leur est nécessaire chaque jour pour vivre, allez en paix, chauffez-vous & vous rassasiez & que ne leur donniez pas ce qui leur est nécessaire pour le corps, à quoi leur servira cela ?, Jaq 2, 15. Pour nous porter efficacement à l’aumône, elle nous dit que celui qui méprise le pauvre déshonore celui qui l’a fait, Prov 13, 31. Que Dieu prend plaisir à de tels sacrifices, Hebr 13, 16. Que celui qui a pitié du pauvre prête à l’Eternel qui lui rendra son bienfait, Prov 19, 17. Qui le délivrera au jour de la calamité Ps 41, 1 et augmentera ses richesses, Prov 11, 24. Il déclare que ce que l’on aura fait aux pauvres il le regardera comme fait à lui-même, Mat 25, 40 », Discours à l’occasion d’une collecte sur ces paroles de JC, Actes 20, 35 : « C’est une chose plus heureuse de donner que de recevoir », BPF, Ms 718/1-23, fol. 16-17, Sermon de Rabaut-Pomier, prononcé en janvier 1787.
15 BPF, Ms 717/1-8, fol. 15, Sermon sur l’Aumône pour un besoin extraordinaire à la suite de l’hiver de 1765 et 1766 : « N’oubliez point d’exercer la charité & de faire part de vos biens aux autres ; car Dieu prend plaisir à de semblables sacrifices » – He 13, 16, Rabaut Saint-Étienne, prononcé le 26 janvier 1765 à Nîmes.
16 BPF, Ms 718/1-23, op. cit.
17 BPF, Ms 717/1-26, prononcé le 23 août 1771 et BPF, Ms 717/1-27, prononcé le 28 septembre 1771.
18 BPF, Ms 716/5-10, prononcé le 10 mars 1764 et BPF Ms 716/5-25, prononcé en octobre 1765. Ces deux derniers textes sont des sermons d’exhortation et/ou d’édification.
19 L’occurrence du mot « œuvre » est pourtant présente à maintes reprises dans le texte biblique. Un rapide relevé à partir de l’ouvrage Concordance des saintes écritures permet de pointer 230 mentions dont 22 pour signifier « Accomplir ou faire une œuvre », 23 pour évoquer les « bonnes œuvres », 15 les « mauvaises œuvres » et 46 en référence aux « Œuvres de Dieu, de l’Eternel, du Seigneur », Concordance des saintes écritures, Lausanne, Société biblique auxiliaire du canton de Vaud, 1983 (sixième édition), p. 501-503.
20 5 % pour Paul Rabaut, 8 % pour Rabaut-Pomier.
21 À titre d’exemple, parmi les 58 sermons conservés de Rabaut Saint-Étienne, 5 portent sur l’éducation, 11 sur les vertus et défauts, 4 sont d’ordre théologico-politique et 7 donc développent le thème de la pauvreté et de la bienfaisance, ce qui place ce dernier champ homilétique dans une moyenne générale des sujets abordés par la prédication de ce pasteur.
22 Association du pain et des larmes dans Ps 42, 3, Ps 80, 5.
23 BPF, Ms 717/1-8, fol. 15-16, op. cit. Dans les papiers de son frère Rabaut-Pomier se trouve copie d’une Exortation à l’aumone à la veille d’une collecte en faveur des pauvres de l’Eglise réformée de Nîmes (janvier 1767) qui, chose rare, en indique le résultat : 6 000 livres ont été récoltées. Son discours indique bien que l’hiver est la « saison » des collectes mais qu’elles sont, en ce temps-là, indispensables car « l’hiver dernier fut extraordinairement rigoureux », BPF, Ms 718/5, sans pagination. Ses brouillons de sermon indiquent également qu’il pouvait y avoir des demandes spécifiques lors de ces collectes : ainsi tel dimanche pouvait être particulièrement demandé de « donner du superflu [des] habits & de [de] linge », idem.
24 Le Roy Ladurie E., Histoire du climat depuis l’an mil, Paris, Flammarion, 1983, p. 73.
25 Dans un autre de ses sermons, Rabaut Saint-Étienne lie pleinement hiver et nécessité de donner : « C’est dans la saison rigoureuse de l’hiver que nous avons accoutumé de vous exposer leurs besoins parce que c’est alors qu’il en éprouvent davantage. Au moins, pendant le reste de l’année la plupart d’entre eux trouvent de quoi gagner, à peu près, le pain dont ils ont besoin pour se soutenir avec leurs familles, car alors ce n’est que du pain qu’ils demandent & quelques vêtements légers & de vil prix. Mais à présent que la terre commence à resserrer les entrailles & à fermer son sein à ses enfants, que les jours diminuent sensiblement, & que les froids de l’hiver commencent à se faire sentir ; à présent de nouveaux besoins pénètrent dans les chaumières des pauvres ; ils gagnent moins & ils dépensent davantage [...]. Ils ne pourront se procurer ni les vêtements que la rigueur de la saison rend nécessaires, ni le bois dont ils ont besoin pour se garantir du froid, ni cette denrée précieuse & chère qui sert à prolonger leurs travaux dans la nuit, & à les éclairer, tandis que pressés par la faim, ils devancent le jour pour fournir à la subsistance de leur famille », BPF, Ms 717/1-27, fol. 23-24, Rabaut Saint-Étienne, prononcé en septembre 1771.
26 BPF, Ms 716/4-18, Lettre pastorale sur l’aumône aux fidèles de l’Église reformée de Nîmes, Paul Rabaut, 1958. Dans l’extrait cité deux références bibliques apparaissent : 2 Cor 8, 3 et Lc 3, 11.
27 BPF, Ms 717/2, 57, fol. 7, Représentation, Rabaut Saint-Étienne, probablement prononcé en 1780.
28 Se retrouve ici le même passage biblique que pour la Noël 1773.
29 BPF, Ms 716/5-25, fol. 5-6, op. cit.
30 « Le but qu’on se propose dans ses actions n’est point tant s’en faut une chose indifférente. Des vues humaines gâtent, dégradent les actions les plus belles en apparence [...]. Mais pour savoir si cette œuvre [l’aumône] est véritablement bonne & agréable à Dieu, il faut en connaitre le motif. Si vous avez pour but de faire parler de vous, d’acquérir la réputation de personne charitable & généreuse, de vous attirer les louanges & les applaudissements des hommes c’est la en effet toute la récompense que vous recevrez de vos aumônes quelques abondantes qu’elles soient. Dieu ne vous en tiendra aucun compte parce qu’il n’y entre pour rien. Afin qu’il agrée de semblables sacrifices, il faut qu’on ait pour but de lui plaire, de lui obéir, d’imiter la charité de ce Jésus qui s’est fait pauvre pour nous enrichir & qui va de lieu en lieu faisant du bien. Ce que nous disons de l’aumône nous pouvons le dire également du jeune, de la prière et généralement de tous les actes de piété », BPF, Ms 716/6-29, fol. 4, op. cit.
31 BPF, Ms 716/4-18, fol. 3, op. cit. avec comme références bibliques du passage : Prov 19, 17 ; 1 Tim 6, 18-19, Marc 9, 40.
32 Calvin J., Institution de la religion chrétienne, livre III, chap. XI à XVIII.
33 « Bien plus, comme les princes de la terre distinguent par leurs faveurs, les ambassadeurs qui les ont bien servis, d’avec leurs autres sujets, demeure le seigneur jésus distinguera glorieusement les fidèles ministres de son Evangile, ils auront de plus hauts degrés de gloire & de félicité que les autres chrétiens. N’est ce pas ce que ce bon sauveur a voulu nous apprendre dans la parabole des talents, ou nous voyons que celui qui avait reçu cinq talents, & qui les avait fait valoir fut plus récompensé que celui qui n’en avait reçu que deux, bien qu’il les eut fait valoir aussi », BPF, Ms 716/2-1, fol. 14, Les devoirs & les récompenses des pasteurs « Prenez garde à vous même & ayez soin d’enseigner les autres, appliquez vous continuellement à cela, car en agissant de la sorte vous vous sauverez vous même, & vous sauverez aussi ceux qui vous écoutent », Tm 4, 16, Paul Rabaut, consécration de Paul Lafon, le 7 mai 1750, consécration de Mrs Cortes, Encontre et Bastide, le 11 mai 1749.
34 Drelincourt C., Catéchisme, ou instruction familière sur les principaux points de la religion chrétienne, Paris, s. n., 1642. Sur les catéchismes voir Bost H, « Les catéchismes réformés du XVIIe siècle », Ces messieurs de la R.P.R. Histoires et écritures de huguenots, XVIIe-XVIIe siècles, Paris, H. Champion, 2001, p. 83-98.
35 Hugues E., Les synodes du désert, op. cit., t. 1, p. 190, art. XI. L’article XII ajoute « Les églises achèteront le livre des Réflexions de M Ostervald, & s’en serviront dans leur exercice de dévolution », op. cit., p. 190.
36 Catéchisme d’Ostervald, seconde partie, Des Devoirs de la Religion, Des devoirs de la Religion en général, art. III, De la nature des Bonnes œuvres, p. 91 et p. 94.
37 Catéchisme d’Ostervald, seconde partie, op. cit., p. 89, je souligne.
38 Catéchisme d’Ostervald, seconde partie, op. cit., p. 90.
39 Barthel P., « Du salut par la foi, mais non point sans les Œuvres ! Notes concernant la naissance de l’Orthodoxie “raisonnée” réformée, de langue française, au début du XVIIIe siècle » (première partie), Zwingliana (17/6), 1988, p. 497 et « Du salut par la foi, mais non point sans les Œuvres ! Notes concernant la naissance de l’Orthodoxie “raisonnée” réformée, de langue française, au début du XVIIIe siècle » (deuxième partie), Zwingliana (18/1-2), 1989, p. 120-142.
40 Le Précis du catéchisme d’Ostervald synthétise tout cela dans un court passage :
« D. Est-il nécessaire de faire des bonnes œuvres ? R. Les bonnes œuvres sont absolument nécessaires comme étant la condition expresse du salut. La Foi sans les œuvres est morte. Jacq. II, 2 Sans la sanctification, personne ne verra le Seigneur. Héb XII, 14.
D. Des bonnes œuvres, dont vous parlez, sont-elles restreintes aux actions extérieures ?
R. Non, les œuvres que règle la loi de Dieu sont, outre les actions extérieures, les paroles, les pensées et les mouvements du cœur, qui peuvent être d’excellentes vertus, ou de très grands péchés.
D. à quoi peut-on connaître les bonnes œuvres ?
On reconnaît les bonnes œuvres à trois marques principales : la première est que nous soyons assurés en notre conscience que ce que nous faisons est bon et agréable à Dieu ; la seconde, qu’elles soient conformes à la volonté de Dieu ; la troisième, qu’elle soient faites dans un bon but, c’est-à-dire dans la vue de nous acquitter de notre devoir et d’avancer la gloire de Dieu », Rabaut P., Précis du catéchisme d’Ostervald, Paris, Marc Aurel Frères, 1840, p. 31-32.
41 BPF, Ms 716/4-29, fol. 13 et 18, op. cit.
42 « Le premier [fruit] c’est la charité, c’est-à-dire l’amour de Dieu & du prochain. L’amour du monde, & des choses qui sont au monde est le principe dominant des enfants du siècle, des pécheurs non convertis & cet amour est inimitié contre Dieu mais le grand mobile des vrais disciples du sauveur est un amour pour Dieu qui l’emporte sur tout autre amour. Ils aimeraient mieux perdre tout ce qu’ils possèdent au monde, la vie même, plutôt que de perdre l’approbation de leur père céleste, plutôt par conséquent que de l’offenser [...]. C’est là cette charité sans laquelle on n’est rien & qui caractérise les disciples du fils de Dieu », BPF, Ms 716/5-1, fol. 4-5, « Les fruits de l’Esprit, c’est la charité, la joie, la paix, la patience, la douceur, la bonté, la fidélité, la bénignité, la tempérance », Ga 5, 22, Paul Rabaut, prononcé le 21 mai 1762.
43 BPF, Ms 717/1-8, fol. 3, op. cit.
44 BPF, Ms 717/1-3, fol. 20, Je connais vos œuvres ; vous n’êtes ni froid, ni bouillant. Plût à Dieu que vous fussiez froid ou bouillant ! Mais parce que vous êtes tiède, et que vous n’êtes ni froid ni bouillant, je vous vomirai de ma bouche, Ap 3, 15-16, Sermon d’étude (seconde proposition d’épreuve) de Rabaut Saint-Étienne daté de 1764. Sur cette péricope voir Bernat C., Zèle et défaut de zèle au XVIIe siècle : la réjection des Tièdes dans la prédication de Claude Brousson, Mémoire de Master 2 en théologie, Institut Protestant de Théologie, faculté libre de Paris, 2011.
45 BPF, Ms 717/1-16, fol. 19, Dispositions nécessaires à une bonne communion : « Quiconque en mange et boit indignement, mange et boit à condamnation ne discernant point le corps du Seigneur », 1 Co 11, 29, Rabaut Saint-Étienne, 1767.
46 BPF, Ms 717/1-8, fol. 4.
47 BPF, Ms 717/1-8, fol. 8.
48 BPF, Ms 716/4-18, fol. 1, op. cit.
49 Haroche C., « La compassion comme amour social et politique de l’autre au XVIIIe siècle », Centre universitaire de recherches administratives et politiques de Picardie, La solidarité, un sentiment républicain, Paris, PUF, 1992, p. 11-24.
50 Phrase barrée dans la lettre manuscrite à partir de « manque ».
51 BPF, Ms 716/4-18, fol. 1, op. cit.
52 BPF, Ms 716/5-25, op. cit.
53 BPF, Ms 717/1-8, fol. 10, op. cit.
54 BPF, Ms 718/1-23, fol. 14-15, op. cit.
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