Communauté des élèves et sociétés enseignantes : la dynamique des appartenances au cœur des apprentissages
p. 139-150
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Texte intégral
INTRODUCTION : LES DIFFÉRENTS SENS DE LA COMMUNAUTÉ ENSEIGNANTE
1Dans la communauté des élèves, définie par la communauté des pairs, l’apprentissage demeure implicite, par le mimétisme des conduites au sens où l’entend Gabriel Tarde. La communauté des enseignants est, elle, une communauté professionnelle formée autour des enjeux éducatifs et des méthodes d’apprentissage. Le problème récurrent et quotidien réside dans le couplage de la communauté des élèves et de la communauté enseignante : le couplage par la classe (subdivision, classement) ou le couplage par l’individu (trajectoires biographiques et éducatives). Les discours d’excellence et du métier d’élève tentent de relier ces deux facettes (Perrenoud, 1991). Par contraste, les notions contemporaines de « communautés éducatives » affirment l’objectif et la mission du groupe, comme communauté de pratiques (apprendre par les réseaux). Les rapports (socialement établis) entre élèves et enseignants peuvent ainsi être élaborés, selon plusieurs formes sociales.
2Derrière ces descriptions se profile le débat sociologique entre « communauté » et « société ». Ferdinand Tönnies propose deux modèles heuristiques de fonctionnement de la société. La communauté est entrevue selon un fonctionnement transversal, avec égalité des membres et réciprocité. Il s’agit d’induire un sentiment de coopération transversale. La forme de la sociabilité élaborée par Georges Simmel se renouvelle dans la sociabilité des réseaux. La notion de société (« Gesellschaft ») fonctionne alors selon un modèle hiérarchique, associant l’ordonnancement et la stratification. C’est le modèle de la grande organisation, de l’État bureaucratique, de la globalisation par niveau. Chaque description d’un système social combine ainsi des dimensions communautaires (enracinement, réciprocité) et des dimensions verticales (hiérarchie, donneur d’ordre, stratification). La question se reformule sur le déplacement des rapports entre communauté et société dans l’école. Chaque vision scolaire suppose de combiner des dimensions de la communauté éducative (collaboration, partage dans la classe) et des dimensions sociétaires (hiérarchie, poids des grandes organisations et de l’État, filières de recrutement). Il est ainsi possible de formuler une typologie simplifiée où la société bureaucratique renvoie à l’incorporation scolaire par les disciplines et par la hiérarchie. Dans la société autogestionnaire (idéale), la communauté éducative prend le pas sur la hiérarchie négociée et renouvelée (voir notamment Freinet et ses interprétations ultérieures). La société de réseaux déstabilise et incorpore les différentes communautés autogestionnaires et subordonne les différentes hiérarchies (Delanty, 2003).
3Dans son approche des relations entre communauté et société, Tönnies déplace la vision sociologique du problème, en opposant la volonté organique et la volonté réfléchie. La notion de volonté organique se déploie selon les plaisirs, les habitudes, les sentiments. Dans la volonté réfléchie, « la pensée du but domine sur les autres pensées et réflexions. Par suite, toutes les actions peuvent être élues par la volonté réfléchie1 ». Dans la pensée réfléchie, il faut distinguer trois formes : « un comportement libre, la convenance sur des actes particuliers, le concept ». « Pour comprendre la réflexion, il faut approfondir l’intention ou le but ; pour comprendre la convenance, il faut sonder les raisons, là où le but est posé ; pour comprendre le concept, il faut examiner le but en voie duquel il veut être construit2. »
4L’école et son expérience sociale peuvent être envisagées comme une communauté autour des valeurs de l’éducation et de l’apprentissage. Elles peuvent être également envisagées comme une communauté de coopération (la classe, les logiques d’établissements, les capacités d’action) qui renvoie aux communautés d’engagement, aux communautés de réciprocités. Dans ce cadre, la notion de « communauté » catégorise une combinaison de valeurs idéelles qui relèvent de plusieurs axiologies (les savoirs, l’éducation, l’apprentissage) : celle de la coopération sur les tâches de la classe, celle de l’éducation et de l’apprentissage et celle de l’engagement et des responsabilités entre générations.
LA COMMUNAUTÉ DES ÉLÈVES
5La communauté des élèves peut être observée comme un système de valeurs partagées selon les classes d’âge et selon des formes de sociabilité entre membres (rites de passage, jeux, interactions symboliques). Les groupes de pairs et les choix affinitaires se développent selon les personnalités et le milieu social : groupe de jeu, groupe d’entraide, groupe de délinquance (Rayou, 1998 ; Dubet, 1991). Une approche sociologique plus située insisterait sur les effets de la composition sociale du quartier sur la composition des élèves, sur les difficultés d’apprentissage (selon le niveau d’éducation des parents) (Debarbieux, 1999). L’enjeu de l’analyse (sociologique) porte sur la capacité de l’école à faire coexister ces communautés de statuts et d’âges au-delà des différenciations sociales. Les débats sur la cohésion sociale à l’école recouvrent plusieurs problèmes entre l’espace public scolaire, la médiation scolaire et les débats concernant la laïcité face à la différence religieuse.
6Il est possible d’examiner, dans plusieurs établissements, la dynamique de groupe entre élèves, enseignants et directions, en distinguant la situation stabilisée entre les groupes d’élèves et le groupe d’enseignants et la situation déstabilisée entre des élèves individualisés et la fragmentation des mondes enseignants. Il convient néanmoins de préciser le rôle des professions, leurs dimensions médiatrices dans la requalification des relations entre enseignants et communauté des élèves. Les rapports entre communautés des élèves et sociétés enseignantes se développent selon des rapports de statuts, selon des rapports hiérarchiques et des dynamiques d’établissement et de médiation spécifiques. Les rapports au savoir engagent le tuteur enseignant, le soutien de la famille, les relations entre élèves, enseignants et famille. Le débat se déporte sur les relations entre communautés des élèves et société extérieure (la problématique de la socialisation), entre communauté des élèves et institutions scolaires (la problématique critique et déconstructive), mais aussi sur le rôle de la médiation enseignante dans ce système de relations et tensions (Verpraet, 2001).
LES DIFFÉRENTS SENS DE LA COMMUNAUTÉ PROFESSIONNELLE
7La notion de communauté professionnelle renvoie à des solidarités de métiers dans la défense et la transmission des savoir-faire. Les corporations ont été le lieu de formation et d’accès à l’emploi (Sewell). Elles ont été la base de développement d’une série de solidaritées aux XIXe et XXe siècles. La mobilisation professionnelle sur les questions de sécurité chez les cheminots (Ribeill, 1983), a porté sur les questions de formations (permanentes) qui préparent des voies de la spécialisation et favorisent une politique d’attachement du personnel (Ribeill, 1983).
8La notion de corporations et de communauté professionnelle pose la question de la division du travail. Par-delà la division des formes de travail dans l’hôpital (travail matériel, travail de bureau, travail médical, travail social), Peneff est amené à reconnaître la différence des statuts et à analyser la manière dont elle s’inscrit dans l’asymétrie des relations quotidiennes. Il étudie les rapports de pouvoir qui se tissent sur cette fragmentation des formes de l’emploi, notamment entre médecins et infirmières (Peneff, 1992). Dans ce cadre interprétatif, la notion de communauté professionnelle « renvoie aux critères de la cohésion sociale du travail : les biens de la communauté, l’esprit de famille, la vie de groupe, le sens esthétique, les leaders. Il est possible d’observer la vitalité des conflits dans une communauté professionnelle », « le secteur observé associe un désir élevé de coopération dans une atmosphère générale de coopération » (Peneff, 1992).
9La notion de communauté professionnelle peut se référer à un idéal du métier, dans la cooptation des membres de qualité (Goode, 1937), dans la mise en place d’un discours du professionnalisme (Freidson, 2001). Elle renvoie aux formes idéelles de la profession par-delà les spécialisations et les divisions du travail. La communauté professionnelle peut donc être entrevue comme un vecteur du discours du professionnalisme par sa formule associative, par son corpus de connaissances référentielles et par la certification de la formation. La contingence du professionnalisme s’appuie sur le corpus de connaissance défendu par l’association professionnelle, par le système professionnel (Freidson, 2001).
COMMUNAUTÉ ET SOCIÉTÉ DANS LE FONCTIONNEMENT DE L’ÉCOLE
10Chaque description d’un système social peut combiner des dimensions communautaires (enracinement, réciprocité) et des dimensions verticales (hiérarchie, donneur d’ordre, stratification). La question désigne le déplacement des rapports entre communauté et société dans l’école. Chaque vision scolaire suppose de combiner des dimensions de la communauté éducative (fusion, partage, individualité, classe) et des dimensions sociétaires (hiérarchie, règles des organisations et de l’État, filières de recrutement).
Dynamiques professionnelles et histoires d’établissement
11Dresser une histoire propre de l’établissement, de ses logiques de fonctionnement, de dysfonctionnement, de ses événements perturbateurs, révèle les tensions qui perturbent l’établissement. Cette approche souligne le rôle des collectifs (élèves, enseignants, administration) dans le fonctionnement du collège et sa perturbation. La déstabilisation du collège oblige à recourir à des analyses dynamiques, la réponse de l’individu professeur face au collège des élèves. Ces dynamiques tissent un travail de groupe, selon le rapport collectif à l’institution. Les savoirs sociologiques sur la nature du groupe, sur le sens de l’institution et de la norme retrouvent leur pertinence au regard des ethnographies contemporaines.
Communauté scolaire et société scolaire
12La notion de logiques d’établissement recouvre des dimensions contextuelles (population, recrutement) et des dimensions actives (politique d’établissement, projet d’établissement, coordinations internes). Nous examinons comment les relations entre le principal de l’établissement et les enseignants se tissent sur plusieurs registres potentiels : les rapports de cohésion, de coordination. Il est nécessaire de préciser les variables de la cohésion sociale. Une première typologie oppose la communauté scolaire et la société scolaire (Tönnies, 1977). La société scolaire suppose la hiérarchie entre les partenaires, sous un principe d’autorité qui peut mener jusqu’à l’isolement du principal dans certaines situations. La notion de communauté scolaire renvoie d’abord au collège des enseignants, avec leurs capacités d’auto-organisation, aux relations collégiales entre collègues. Des auteurs, tels A. Hargreaves (2001), distinguent les collaborations fonctionnelles obligées (commissions pédagogiques, conseil de disciplines) et les collaborations volontaires, requérant des engagements personnels et collectifs.
* Logiques d’établissement
13Les quatre logiques d’établissement relient les rapports au quartier, notamment les dimensions de la précarité sociale dans les publics scolaires, et les variables internes du collectif d’établissement, du style de direction. Les dynamiques de perturbation et de violence entre les établissements soulignent les rapports tendus entre communauté scolaire et hiérarchie scolaire ; entre les logiques sociétales et les innovations organisationnelles. Les histoires de collèges, présentées ici, ont été choisies selon la situation dans la ville (centrale, périphérique) et selon le statut (ZEP et non ZEP3).
* Collège A : logique sociétaire/isolement
14Ce collège apparemment calme dans un quartier central, mais aux effectifs nombreux (600 élèves) avec 4 classes SES4, ne relève donc pas d’une logique ZEP. La direction du collège met en avant son refus d’une communauté scolaire pour l’idée d’une société scolaire marquée par la hiérarchie, une loi et des sanctions. Isolé par sa distance aux enseignants, le principal se retrouve seul face à une attaque des intervenants extérieurs.
* Collège B : logiques hiérarchiques ; implosion et cadrage
15Ce collège de 650 élèves compte 25 classes depuis son classement en ZEP. En 1993, il a connu des événements importants : émeute des élèves, attaque du principal devant son isolement. Depuis 1994, la problématique de gestion de l’établissement est formulée en termes de cadrage. L’objectif est de développer un travail d’implication sur leurs actes quotidiens et de correction de leurs dérapages (injures, insolence, bagarres). Il s’agit de rétablir un équilibre (communicatif, permissif, entente), entre les groupes des élèves, la communauté enseignante, la direction du collège.
* Collège C/non ZEP : logiques collégiales, logique de projet
16C’est un collège apparemment calme dans un quartier signalé à problèmes. Les raisons apparentes de ce calme résidentiel résident dans la faible taille de l’établissement (450 élèves) et dans l’homogénéité du recrutement qui soutient une continuité du cursus scolaire des élèves. Cette accalmie permet d’approfondir les variables profondes de l’insertion scolaire : la faible implication scolaire des élèves, les relations entre devenir social et orientation scolaire.
* Collège D/ZEP : logiques collégiales, innovations locales
17Ce collège de 650 élèves est marqué par deux images associant des innovations pédagogiques (club de parole pour les élèves, classe de soutien SAS, SES) dans un quartier à problèmes. Le niveau de violence reste de basse intensité (injures verbales). La pression de la situation de quartier sur l’école est formulée en termes de publics scolaires issus de familles précaires. Ce niveau contenu de la violence pourrait être expliqué par la cohésion des groupes enseignants et leurs concertations implicites, par la constitution d’un espace de parole et d’écoute laissés aux élèves, assurant une certaine porosité du collège.
18L’analyse des mécanismes internes à la gestion administrative de la violence invite à reconnaître deux dynamiques caractéristiques du collège périphérique :
- le collège « stabilisé » met en place des dynamiques de gestion et d’apaisement de la violence scolaire, associant les collectifs de professeurs et la reprise en main des directeurs ;
- le collège « laisser faire » repose sur l’implosion interne et des porosités externes, sur un cycle d’implosion et d’explosion à haute valeur médiatique.
Individu et collectif
19Cette auto-analyse des discours enseignants dessine les modalités de la capacité d’action des enseignants : le repli individualiste, le faible engagement sur l’établissement et sur la violence à l’école. Il s’agit pour l’enseignant de se protéger des dysfonctionnements, tout en marquant un désaccord sur les sanctions non socialisatrices.
20La notion de régulation collégiale introduit à la formation du collectif qui fixe et énonce les règles d’un établissement, d’une unité éducative (Raynaud, 1992). Dans la régulation spécifique d’un établissement ; la question est de préciser comment la régulation autonome des collectifs enseignants et la régulation de contrôle (direction, institution) aboutissent à des compromis. Dans la mobilisation locale des établissements scolaires, le développement différencié des capacités d’action par chaque enseignant suppose la mise en place de formules de coordination entre les acteurs isolés par des collectifs enseignants plus ou moins stables, mais puissamment effectifs quand ils existent. Ce travail de coordination et de communication peut être repris par la direction de l’établissement, par les normes de l’institution.
La reconstitution progressive de l’éthos enseignant
21La grille classique oppose les rapports normatifs entre l’instruction, l’éducation et l’apprentissage (Hirschhorn, 1993). L’émergence d’une nouvelle grille praxéologique distingue l’enseignement, la médiation, la socialisation selon les fonctions du collège. Le travail quotidien des enseignants se déplace sur la gestion de la précarité, la gestion des conflits dans et hors de la classe ; pour stabiliser une relation pédagogique et développer un horizon normatif dans la relation scolaire. Cette instrumentalisation engage une déréalisation des valeurs de savoirs pédagogiques, une reformulation des valeurs enseignantes et socialisatrices à l’élève et aux parents.
* Capacité d’action et régulation professionnelle
22Sont en jeu des capacités renouvelées face au malaise des jeunes, face aux déconstructions de l’institution scolaire aujourd’hui. Le nouvel espace éthique des enseignants s’élabore entre des principes de précaution, une vision biographique de l’élève, les choix du long terme. Il se formule en creux dans les tensions internes au travail réflexif des enseignants (comme sagesse, comme discipline, comme réflexivité), pour apparaître en positivité sur les capacités d’action.
23Les collectifs et les logiques transversales se développent entre des logiques administratives (chef d’établissement, partenariat entre administrations) et des logiques éducatives (enseignants, élèves, parents), appuyées sur des temporalités et des conventions de socialisation plus longues. Un travail de groupe, de collectifs spécifiques, permet de desserrer l’espace entre l’instrumentalisation et la subjectivation de l’enseignement, de recréer des espaces de médiations sociale et culturelle entre adultes savants et enfants énergiques, un espace de socialisation, entre les différents partenaires, adultes de la transmission sociales (parents, enfants, éducateurs). Ce travail de coordination dans les établissements (Hargreaves) permet d’agencer les capacités d’action.
DYNAMIQUES DES APPRENTISSAGES ET DYNAMIQUES DES APPARTENANCES
24Les rapports entre communauté des élèves et sociétés enseignantes se tissent selon des rapports de statuts, des rapports hiérarchiques et dynamiques d’établissement. Ils agencent plusieurs rapports aux savoirs, selon le tuteur enseignant, selon le soutien de la famille, selon les relations entre élèves, enseignants et familles. Le rapport au savoir dissout la notion de communauté des élèves et la rétablit dans la relation entre élèves, familles, enseignants. L’analyse se déplace sur la description des apprentissages, entre les apprentissages quotidiens et les apprentissages relationnels, sur les apprentissages relationnels, affectifs, liés au développement personnel. Pour l’école Freinet la démarche communautaire porte la possibilité d’apprentissages relationnels et quotidiens. Mais selon Tönnies, la volonté réfléchie l’emporte sur la volonté organique.
25Dans la théorie individualiste moderne, l’apprentissage serait un processus exclusivement individuel par les motivations, par les centres d’intérêt dans un univers informé. Dans les théories pédagogiques classiques (Piaget, 1938), le Nous, dont le groupe classe, est un médiateur obligé entre l’accès au savoir et le développement d’une subjectivité. Il convient de préciser où se placent les normes et les dispositifs facilitant l’apprentissage, les normes de langage développées dans la reconnaissance, les normes intersubjectives développées dans le travail de groupe, au risque de conjoindre les normes institutionnelles. Dans un horizon de référence individualiste du développement de l’enfant, l’enseignant dresse un nouveau rapport entre la subjectivité prégnante et la pédagogie normative. La relation d’apprentissage déplace les appartenances communautaires entre plusieurs registres : famille et institution scolaire, communauté des élèves et société enseignante. Elle conjugue plusieurs opérations cognitives et culturelles. Il convient de relier les communautés scolaires et la dynamique des appartenances. La dynamique des apprentissages se conjugue sur plusieurs registres : le registre de l’excellence, le registre de l’école de masse (minimum de savoirs fonctionnels), le registre des réseaux d’informations et de la saillance, le registre des communautés d’apprentissage (groupe, étayage).
26Plusieurs dimensions de l’apprentissage peuvent être discernées entre communauté et société :
- apprendre dans la communauté : selon les appartenances, selon les valeurs partagées, selon des orientations endogènes à cette communauté ;
- apprendre entre communauté, suivant un espace public et une laïcité reconnue. Ici le mimétisme intracommunautaire se frotte aux compétitions sociales (entre-quartiers, entre groupes sociaux) ;
- apprendre de l’extérieur, en s’appuyant sur les savoirs universels et la médiation de l’enseignement, sur la médiation de l’enseignant. Cette démarche universalisante porte l’idée d’émancipation par l’éducation ;
- apprendre de l’extérieur, par les réseaux informationnels et les réseaux médiatiques est une autre démarche qui prend de l’importance pour les sujets élèves. La question scolaire est de passer de l’information aux savoirs (structuration, assimilation).
27Dans une société postmoderne, avec l’inflation des savoirs (école + média + réseaux), les références communautaires au sein des apprentissages prennent un autre sens, sur la sélectivité des savoirs (nécessaire), sur le soutien sélectif de l’apprentissage (mère/fille), sur une certaine pertinence et appropriation des savoirs. Il en résulte plusieurs figures et plusieurs procès d’apprentissage :

Modes d’apprentissage x Collectifs d’apprentissage.
28Avec l’extension des réseaux de connaissance, d’information et d’apprentissage, la notion d’ancrage prend une importance accrue. Il s’agit non seulement de s’ancrer dans une communauté, mais aussi d’ancrer ses modes de connaissance et d’identification et d’apprentissage devant la démultiplication des réseaux sociaux. La notion psychologique d’ancrage désigne le point fixe qui permet d’organiser la circulation des représentations face à un échange généralisé (Jodelet, 1988). Dans le cadre des apprentissages sociaux et des apprentissages scolaires, il est permis de s’interroger sur les communautés de référence qui organisent ces points fixes de l’apprentissage, ses positionnements dans l’apprentissage et dans l’identification (Harré, 1999). Dès les années 1950, R. Merton avait distingué le groupe d’appartenance et le groupe de référence dans la constitution du statut social. Aujourd’hui, la notion de communauté interprétative prend une dimension accrue.
29Le schéma des modes d’apprentissage différencié invite à reconnaître différentes notions de valeurs et différentes procédures de désignation des valeurs, les valeurs d’ancrage selon un point fixe, les valeurs de représentation, les valeurs de codification selon les réseaux.
CONCLUSION
30Notre analyse s’est attachée à présenter et à décrire les différentes communautés impliquées dans l’école : les communautés des élèves et leur fonctionnement générationnel ; les communautés enseignantes et leur typologie des rôles. Une première typologie distingue des communautés professionnelles fermées/ouvertes, des communautés professionnelles corporatives/associative, selon les relations aux publics, selon les divisions du travail. Il en résulte pour l’école et la forme scolaire, des tensions fortes entre la division du travail et les communautés symboliques. Une approche pertinente est de préciser ce qui s’échange entre ces deux communautés typées par l’âge et le rôle social, entre le rôle tutoriel de la transmission et la transversalité ludique des groupes d’âge. Dans ce cadre, il convient de souligner les rapports individuels de l’élève à la communauté des enseignants (le jugement, l’orientation, la discipline), le rapport individuel de l’enseignant à la communauté des élèves (dans la classe, dans les groupes de jeu). C’est dans ce cadre que peut être précisée la place de la médiation enseignante et de ses tensions.
31L’analyse des situations scolaires et de leurs dynamiques spécifiques souligne le déplacement des rapports entre communauté et société dans l’école. Chaque vision scolaire (de l’enseignement, de l’apprentissage, du lycée) suppose de combiner des dimensions de la communauté éducative (fusion, partage, individualité, classe) et des dimensions sociétaires (entre les théories autogestionnaires de la communauté éducative, les théories institutionnalistes de l’école et les théories instrumentalistes de l’apprentissage). Mais avec la démultiplication des réseaux d’information (NTIC, réseau, apprentissage à distance) apparaissent d’autres notions d’apprentissage sur les notions de communautés de savoirs, de communautés de pratiques (Wenger, 1991). On peut s’interroger sur les contenus d’apprentissage et les contenus éducatifs de ces communautés d’apprentissage, le « learning communities », ou comment l’apprentissage direct par-delà l’enseignement déstabilise la relation enseignante. Elle implique un autre référentiel pour l’adolescent, avec la démultiplication peu maîtrisée de la pluralité des apprentissages. Que reste-t-il alors de l’éducation dans ce schéma ? Est-ce seulement le soutien, le soin (« the caring »), le rattrapage ? Quelles sont les conséquences sur les déplacements fonctionnels du cognitif et de l’éducatif ? Ne convient-il pas de reconnaître la pluralité des modes d’apprentissages (les intelligences multiples) au sein desquels l’éducation occupe une place spécifique ? Des relations nouvelles se dessinent entre les communautés de pratiques, les communautés des élèves et les communautés enseignantes, selon des cercles sociaux plus ou moins sécants.
32La notion de communauté relève de plusieurs registres axiologiques ;
- l’axiologie du proche (voisinage, proximité de culture ; proximité
- l’axiologie des appartenances (lien, filiation, relations, connexion) ;
- l’axiologie des apprentissages (valeur partagée, valeur de connexion, valeur de transfert).
33Dans ce cadre évolutif, la notion de communauté recouvre deux sens :
- la communauté locale, traditionnelle, devant les normes abstraites des institutions ;
- la communauté d’échange élargie portée par les nouveaux réseaux sociaux.
34Dans la deuxième acception, la notion de communauté explore une dimension transversale du social, celle de la réciprocité et de l’échange, sur des réseaux locaux (groupes de pairs, groupes de quartiers, groupes familiaux), sur des réseaux élargis (communauté d’apprentissage, communauté de pratiques, communauté d’enjeux). Elle rétablit la transversalité, les différentes formes de la transversalité (interconnaissance, pairs, cognitives) devant des jeux sociétaires et hiérarchiques. Les transversalités de la communauté se composent sur plusieurs pratiques sociales, sur plusieurs registres cognitifs : les dispositifs locaux, la redistribution entre les sites, la connexion des sites, pour ré-assembler le social.
Appartenances, réseaux et modes d’apprentissage
35Les relations scolaires établies entre communauté et société traduisent sociologiquement et pour l’élève les relations entre l’autonomie de l’élève assumée dans une communauté autonomie et l’hétéronomie du système scolaire. Mais aujourd’hui l’hétéronomie du système scolaire ne désigne pas seulement la hiérarchie du système scolaire (et la sélection scolaire afférente), mais aussi l’hétéronomie due à la fragmentation sociale et que supportent certains élèves dans la vie quotidienne. La conjonction de la hiérarchie institutionnelle et de la précarité sociale peut fragiliser les dimensions communautaires autonomes.
36Le schéma d’analyse en terme de communauté et société, reformulé entre volonté organique et volonté réfléchie, amène à s’interroger sur les nouveaux sens du sociétaire, qui ne désigne pas seulement les hiérarchies institutionnelles (dans un cadre national), mais aussi la société réseau et ses implications en terme de circulation de l’information, de la communication médiatique, de transferts et traduction (Latour, 2006). Ces cadres sociaux du cognitif pèsent sur les injonctions de l’apprentissage, sur les modalités d’apprentissage. Se pose la double exigence de compétence, sur les réseaux, sur les cadres institutionnels. Se pose la double pression d’apprendre dans les réseaux et d’ancrage de l’apprentissage. Avec l’accélération des réseaux cognitifs, le soutien à l’ancrage de l’élève et de l’apprentissage prend de l’importance. Se dessine un problème sociologique contemporain.
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Auteur
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