Annexe 2. Supplique des Réformés du diocèse de Carcassonne adressée aux commissaires de l’édit de pacification d’Amboise, Anthoine Fumée et Jacques Viart1 [s.d., Automne 1563 ou janvier 1564]
p. 247-251
Texte intégral
1Les fidelles enfans de Dieu, banis et chassez des Villes et dioceze de Carcassonne expoliez et privez de tous leurs biens en haine qu’ils ont vollu, comme ils veullent purement servir Dieu et vivre selon son Sainct Evangille, remonstrent à vous, Messieurs les commissaires depputés pour le Roy sur la paciffication des troubles et seditions en ce pays de Languedoc, esmeuz et advenues par le moyen des adversaires papistes, ignorans et empechans le cours de la parolle de Dieu, seditieulx, rebelles et infracteurs des eedictz sur ce faictz par ledict Seigneur.
2En premier lieu que pour obvier aux tirannies, cruaultez sanguinaires desdicts adversaires, exequtées par journelles menasses, les supplians, voire presque tous les fidelles du royaulme, ont esté contrainctz fere sainctes et secrectes assemblées pour illec prier et servir à Dieu, ainsin que par sa saincte parolle leur est commandé ; les opprobes et calompnies que, à raison de ce, ont esté faulcement imposées, sont notoires.
3Lesdicts adversaires, audict Carcasonne, incitez par les moynes et prebstres, advouez et soustenuz, au moins dissimullez par les magistratz et officiers, ont uzé d’inventions grandes, non seullement pour empecher lesdits supplians en leursdictes [fol. 1v] assemblées, mais pour illec les atraper, tuer et inhumenement massacrer, ainsi que cy après est remonstré.
4Pour y parvenir, firent le quinziesme decembre mil cinq cens soixante ung, heure de nuict, porter une ymaige qu’ilz appellent de Nostre Dame, qu’estoit près le Temple Saint Michel, de la ville basse dudict Carcassonne, au myllieu de la rue appellée Majour, au devant la maison de Raimond du Poix, bourgois qu’ilz disoyent et subsonnoyent de ladicte assemblée et esglise refformée.
5Le jour luisant, les magistratz, consulz et peuple de ladicte ville, qui non seullement estoyent advertiz de ce faict, mais l’avoyent moyenné et conduict, le mectant en admiration grande pour mieulx inciter et irricter le peuple contre lesdicts fidelles, le firent assambler à voix de trompe, contraignant chacun à fermer les bouticques et venir au lieu où ladicte ymaige estoit, laquelle, à grand selelpnité de prossession, qu’ilz appellent, remyrent au lieu dont l’avoyent oustée, de manière que les portes de la ville fermées, ne feut [fol. 2] loysible à aulcun des habitans sortir, jusques ledict acte seditieulx fut entierement exequté.
6Et ores l’occasion de telle assemblée feut prins de ce dessus, la fin feut toutesfoys autre, car estans assamblez au devant la maison dudict du Poix, dez lors feut faicte aclamation feurieuse attitrée soubz colleur de ce dessus, disant que dans icelle estoient lesdicts fidelles qu’ilz appellent huganoix. Et sans autre viriffication, ladicte maison feut assallye et à grandz copz de conhées et autres instrumens qu’ilz portoient, les portes feurent viollantement rompues, ensemble les fenestres et vistres, la maison pillée et saccagée, le vin espandu par terre, les livres de raison, cedulles, papiers et documens dudict Du Poix, en partie bruslez et le reste rompu et jecté à la rue.
7D’illec poursuyvans leur raige et furie, ayans en cappitaine et conducteur le bourreau de ladicte ville, se transporterent ez maisons de Guilleaume Maige, André Coinctès, marchans, et de Pierre [nom de famille en blanc] s, libraire, desquelles non seullement semblable raige feut exequtée, [fol. 2v] saccagemens et larressins commis, mais aussi ledict libraire, ensemble Pierre Bonnet, Guyraud Bertrand et Guillaume Saval, et autres cinq qui n’estoyent de la Relligyon, soubz colleur seullement que leur voulcirent remonstrer ne devoir ainsin proceder, furent tuez et inhumainement massacrez, faisant toute dilligence trouver lesdits Maige, Coinctès, du Poix, et aultres lesquelz, par la grace de Dieu, furent preservez pour lors et pour mieulx actirer le peuple et l’esmouvoir à sedition, le tocsain de toutes les cloches de ladicte ville ne cessa de la journée sans que les magistratz, consulz et autres principaulx fissent semblent, tant peu soit y pourvoir et remedier, bien qu’ilz eussent plusieurs soldatz à leur poste et suicte ausquelz fesoyent fere le guet de jour et de nucit a ladicte ville, se jactans lesdicts seditieulx avec execrables blasphemes qu’ilz ne faisoyent que commancer et puis qu’ilz avoyent l’auctorité et mandement des principaulx de ladicte ville, ilz feroyent perdre la semence des huganaux.
8Peu de jours après, ladicte furie appaisée et que le ciel et la terre se plaignoyent [fol. 3] contre telle cruaulté et furie, lesdicts fidelles voyans la dissimulatoin desdicts magistratz, ne daignant s’en esmouvoir, leur en firent remonstrance, les requerans y volloir pourvoir et autrement aroyent recours au roy et craignans de ce, firent quelque simulée et feincte poursuicte et nombre desdicts seditieulx furent constituez prisonniers, despuis condannez a la question et ayant rellevé appel en la court de parlement, juges propices et favorables comme despuis se sont declairez, furent par arrest au pourchas et poursuicte de l’evesque dudict Carcassonne, qui, contre tout debvoir et au grand escandalle de son office, les favorisoyt et deffendoit, estant comme est notoire apparenté audict parlement mesmes de Me Loys de Lanssalergue furent ranvoyez aux juges presidiaulx de Beziers.
9Et detant que lesdicts prisonniers s’excusoyent n’avoir rien faict que par commandement desdicts magistratz, consulz et aultres principaulx, craignans estre descouvers en lieu les delivrer au commissaire depputé par lesdicts presidiaulx de Beziers qui les requeroyent [fol. 3v], les eslargirent et mirent en plaine liberté, dont s’en este ensuyvy que, demeurant le cas que dessus impuny, plusieurs aultres saicagemens, pilleries, murdres et massacres ont esté commis singullierement au moys de may suyvant lonc temps après la publication de l’eedict de janvier portant permission de prescher publicquement la parolle de Dieu en ce royaulme, les maisons du sieur de Monterat, et de Bernard Yssier, marchant, furent pillées et saicagées, presens et voyans lesdicts magistratz et n’y contredisans ny pourvoyans.
10Estans lesdicts fidelles en delliberation passer toute leur vie au service de Dieu et estre instruictz sellon sa saincte parolle presentairent le quinziesme de mars après la publication dudict eedict leur ministre ausdicts magistratz pour luy baillier le serement en tel cas requis, ce qu’ilz reffusarent fere au pourchas et instigation dudict evesque, lequel est oncle de maistres François de Lasset, president, Jehan de Lasset, conseiller, et pierre Rocque, advocat du Roy au siege presidial dudict Carcassonne [fol. 4], beau filz dudict president, lesquelz par leurs menées et praticques empecharent que le volloir du roy feut acomply, que feut cause que lesdicts fidelles, se voyans desniez du secours de justice, se retirarent aulx faulxbourgs d’icelle ville et lieu acoustumé a faire leurs prieres ; et se vollans retirer en leurs maisons dans ladicte ville trouvarent les portes fermées et ne saichans aultre retraicte plus propice, feurent contrainctz retourner ausdicts faulxbourgs, non sans estre acompagnez d’une greelle de pierres que lesdicts seditieulx leur ruoyent, s’estans mis ez lieux plus propices par-dessus les murailles pour les surprandre, tellement que plusieurs en furent blessez, ce que feut incontinant remonstré a Me Ramond le Roux, juge maige dudict carcassonne, qu’ilez trouvarent ausdicts faulxbourgs et au lotgis de la poste, lequel n’ayant assistance d’aulcuns des aultres officiers et magistratz, respondit qu’il n’y scauroit que fere, mais que lesdicts fidelles se deffendisent le mieulx qu’ilz pourroyent.
11Quoy voyans prindrent les bastons qu’ilz peurent trouver esdicts faulxbourgs pour se [fol. 4v] deffendre lors qu’il seroit besoing et demeurarent en tel estat actendant la misericorde de Dieu et que lesdicts magistratz, consulz, officiers et aultres habitans condessandissent à raison et obeyssent à l’eedict ; mais en lieu de faire, après plusieurs requisitions et amyables remonstrations s’andursirent plus fort, de sorte que le dix neufiesme dudcit moys contraignirent lesdicts fidelles a copz d’arquebousades et d’artilherie à abandonner non seullement lesdicts faubourgs mais tout le terroir dudict Carcassonne, tellement que poursuyvant leur raige et furie, les maisons des fidelles estans esdicts faulxbourgz furent pillées et saicagées et troys desdicts fidelles tuez dans lesdictes maisons.
12Lesdicts agresseurs, saicageurs, et murtriers se voyans en lieu de punition favorisez et soubstenuz, se moquans et rians vont se jactant fere pis contre lesdicts fidelles, mesmes ceulx qui avoyent esté prisonniers, disans publicquement que injustement auroyent esté mis en prison [fol. 5] et tant s’en falloit qu’ilz deussent estre punys qu’ilz rapportoyent louange d’un tel faict, mesmes ledict bourreau, qu’il volloit estre payé et satisfaict de qutre murtres qu’il avoyt faictz en la premiere sedition, de mandament des plus grandz dudict Carcasonne, mesmes de l’evesque qui, durant l’emprisonnement que dessus, les nourrissoyt à ses despens.
13Estans non seullement lesdicts murdriers mais toute l’autre populasse assez farouche de son naturel, n’estant instruicte en la parolle et creincte de Dieu, renduz par telle inpunyté plus seditieulx ont esté commis plusieurs autres saicagemens de villes, comme de ce rent clair tesmoinaige la ville de Limoux en la seneschaucée dudict Carcasonne, pillée et saccagée, les fidelles tuez et massacrez, les femmes et filles viollées et ravyes, le tout à la conduicte et presence du sieur de Mirepoix, seneschal dudict Carcasonne, soy disant mareschal de la foy, ayant à ces fins introduictz estrangiers espaignolz dans ce royaulme, contraignans les [fol. 5v] poures fidelles, vollans evicter cruaulté sangniere, abandonner leur partie, femmes et enfans, iceulx magistratz mectans en evidence la faveur qu’ilz donnoyent ausdicts seditieulx, les ayant omys en tesmoins, ont procedé contre lesdicts fidelles absans par deffaultz, et condamnation de mort figurativement exequtez et reallement contre ceulx qu’ilz ont peu aprehender, approuvées, ratiffiées et en tout confirmées par ladicte court de parlement de Thoulouse ou aulcuns particulliers sangniaires d’icelles, inquerans et du tout contredisans à l’adnoncement du regne de Dieu qui, monopollez contre ses enfans et son evangille, infrainans icelluy eedict de janvier, receu et publié et ayant chassez et prohibée l’antrée à certains conseillers de ladicte court qu’ilz, à grand tort, subsonnoyent favorir ausdicts fidelles, se sont attribuez tout droict regal, disans le roy souverain monarque nous est donné de Dieu estoit jeune et qu’il ne pouvoit ne savoir gouverner son royaulme et que c’estoit à eulx comme ses tuteurs ont, comme est notoire, donné ladicte ville de Thoulouse, principalle en consequance tout le ressort ou principalles villes d’icelluy en pillaige et [fol. 6] saicagement et faict exequter par la main du bourreau de cinq à six cens oultre plus grand nombre que a esté exequté par les mains de la popullasse par eulx incitée et induicte.
14Vous supplians Messieurs, à l’honneur de Dieu, par la vollonté et ordonnance duquel et du roy, représentant Sa Majesté dont vous estez commis au sollaigement des esglizes de Dieu et de ses enfans, pourvoir ausdicts supplians sur ce dessus, singulièrement jouyssant en toute liberté crestienne de la predication du St evangille de Dieu, salut à tout croyant, jouyr et uzer des saintzs Sacremens, qu’ilz soyent remys en toute assurance en leurs biens, honneurs et estatz, suyvant l’ordonnance et vollonté du roy ; pourvoir aussi à l’indempnité des vefves et orfellins, peres et maires [sic], respectivement privez de leurs maris, paires [sic] et enfans. Et aussi aux ratthes [sic pour rapt], viollemens des femmes et filles, saicagemens des villes et maisons, et, à ces fins, leur estre baillé un gouverneur de qualité, n’estant subject ne ressortissant audict parlement par la craincte, rigueur et inhumanité duquel il ne pourroyent ou n’oseroyent exequter la vollonté dudict sieur ; et neanmoins, pour ce que les plus grandes seditions faictes en ce pais sont survenues faisant les prossessions qu’ilz appellent publicques et generalles, soubz pretexte de leur service qu’ilz appellent divin, vous plaise [fol. 6v] inhiber au clergé papisticque et leurs suppoz fere prossessions hors de leurs temples à tout le moins, pour leur oster l’occasion d’admener le peuble aux murtres, massacres et aultrement pourvoir sellon vos saiges discrections, conduictes par l’esprit de Dieu.
15P. Bosco ; Bernard Ythier ; S. Armengaud, depputtés ;
S. Armengaud (signé)
Collationné, Ferd. Teissier.
Notes de bas de page
1 ADG, C 925, pièce non numérotée.
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