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Les hospitaliers de lourdes : une communauté événementielle ?

p. 75-88

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Texte intégral

INTRODUCTION

1Lundi 7 mai 2001, gare ferroviaire de Besançon : nous participons pour la seconde année au pèlerinage de Lourdes organisé par l’Hospitalité franc-comtoise de Notre-Dame de Lourdes1. Au sein de cette association interdiocésaine, nous nous sommes inscrits comme brancardier bénévole. Cette « fonction » nous permet ainsi d’inscrire nos investigations ethnographiques dans une observation participante propice à une meilleure intégration au sein de ce collectif et donc, de fait, à une meilleure appréhension des réalités de ce type d’expérience pèlerine2. L’Hospitalité est une structure interdiocésaine dont la tâche consiste à organiser et mettre en place deux fois par an des pèlerinages sur les sanctuaires de Lourdes pour des malades, handicapés et personnes âgées. Près de 300 malades sont ainsi chaque année pris en charge par l’association, qui mobilise l’énergie bénévole d’hospitalier (ères) et de brancardiers franc-comtois. Le jour du départ, tout est minutieusement organisé pour que chaque hospitalière et chaque brancardier s’affère efficacement sur le quai de la gare afin d’aider les malades à gagner leurs compartiments sans égarer leurs valises. Pour notre seconde participation au pèlerinage, nous aidons des personnes handicapées à monter dans le train quand une religieuse nous interpelle. Elle parlait avec plusieurs personnes d’une quarantaine d’années venues accompagner leur grand-mère sur le quai. Nous ne nous étions jamais parlés auparavant mais notre visage lui était familier. Elle nous fait alors signe de nous approcher et déclare brutalement : « Vous voyez ce jeune ? L’année dernière, il disait : “Oh, c’est dur, c’est fatigant, j’en ai assez !” Et puis regardez, le revoilà, il a envie de repartir, il a trouvé quelque chose là-bas. C’est quand même formidable, vous ne trouvez pas ? » Si une chose est sûre, c’est bien que nous ne nous fussions jamais plaints de la sorte, et sûrement pas devant cette religieuse que nous ne connaissions qu’à peine. Pourtant, nous nous sommes immédiatement pliés aux règles de ce petit théâtre d’improvisation en répondant par l’affirmative et en confirmant à ces personnes notre immense plaisir à renouveler notre engagement au sein de l’Hospitalité. Cette religieuse nous imposait de fait un rôle : celui du brancardier novice qui, malgré la dimension épuisante du service auprès des malades, parvient à découvrir les bienfaits du dévouement dans l’expérimentation intime de la présence mariale. Nous jouons donc le jeu, sans hésiter, comme tant d’autres l’ont fait avant nous et comme tant d’autres vont continuer à le faire. L’appartenance au collectif induit une certaine conception de la démarche pèlerine à laquelle le nouveau venu se trouve très vite socialisé, par la prise en charge dont il est l’objet mais aussi par la temporalité particulière du pèlerinage, qui se construit et s’organise comme un « voyage » à la rencontre d’une « autre », comme une expérience ponctuelle et intense dont, dit-on, personne ne peut ressortir indemne.

CONSTRUIRE UN ESPACE-TEMPS EXTRAORDINAIRE

2Généralement retraités et d’origine rurale, les hospitalières et les brancardiers de l’Hospitalité ont en commun ce profil type du fidèle catholique pratiquant assez investi dans les diverses activités paroissiales : animation liturgique, chorale, conseil pastoral et paroissial, catéchisme, aumônerie, Service évangélique des malades, entretien de l’église, etc.3. Manifestant à l’égard de l’Église un attachement teinté d’une forme de nostalgie d’un âge d’or perdu, ces femmes et ces hommes savent faire preuve, dans le même temps, d’un discours critique vis-à-vis de l’institution catholique. Entre nostalgie et remise en cause, ces fidèles pratiquants participent pleinement de ce que les sociologues des religions identifient comme une « dérégulation institutionnelle du religieux4 » ; c’est-à-dire de la perte d’emprise et de légitimité des institutions religieuses se traduisant par la prise de distance des pratiquants eux-mêmes vis-à-vis des observances religieuses et la valorisation de la notion de « choix personnel5 ».

3Même si cette prise de distance n’apparaît jamais clairement durant les énonciations publiques, elle surgit inévitablement dès que le collectif se disperse et que le poids de l’institution se relâche : dans les wagons du train, dans les dortoirs des brancardiers, dans les chambres des malades, durant les promenades sur les sanctuaires. Durant ces moments qui font incontestablement partie de l’expérience pèlerine, les discussions s’animent vite et l’institution catholique devient pour un temps le thème central des conversations. C’est alors toujours dans ces moments-là qu’ils affirment et revendiquent la singularité de l’expérience pèlerine. Car pour les membres de l’Hospitalité, le pèlerinage de Lourdes n’est pas une simple étape de leur année liturgique. Moment d’exception dans l’existence ordinaire, le pèlerinage est conçu comme un espace-temps parallèle qui marque une rupture forte avec le quotidien paroissial. D’une part parce que le pèlerinage de Lourdes constitue un espace-temps d’affirmation de la ferveur catholique qui tranche avec le sentiment de marginalisation vécu par les catholiques engagés dans leurs propres paroisses. Et d’autre part parce que les dispositifs cultuels du pèlerinage confrontent ces francs-comtois à une religiosité bien différente de celle qui se déploie habituellement en paroisse.

« Moi, ça m’a renforcé ma foi, plus que d’aller dans un autre lieu, plus que d’aller à la messe tous les dimanches. Mes parents m’avaient emmené à la messe tous les dimanches mais là-bas [à Lourdes], ça a été un peu le détonateur. Ce que j’y ai vécu, c’est quelque chose que je n’ai ressenti que là. Je ne l’ai encore jamais ressenti ailleurs. […] C’est une impression de bien-être, d’être heureux ensemble. En fait, c’est indéfinissable ! » (Estelle.)

4Prier pour lui, réciter un chapelet pour elle, brûler un cierge pour eux, rapporter de l’eau pour ce voisin, acheter une statuette pour cette amie, confier telle situation désespérée à la Vierge… Fréquemment, les pèlerins se trouvent investis d’une mission précise et ont reçu de l’argent qu’ils doivent investir à Lourdes : pour un cierge à faire brûler, une messe à faire dire, un objet de dévotion précis à rapporter ou tout simplement un don à offrir pour les sanctuaires. Quelques-uns de nos informateurs – hospitaliers (ères) ou malades – se décrivent ainsi comme les confidents et porte-parole de leurs proches auprès de Notre-Dame de Lourdes.

« Enfin, on a aussi les petits paquets, on a les enveloppes, plus les commandes de chapelet, de bougies… et voilà. On part avec tout ça, avec les misères de chacun, avec ce qu’on sait nous, ce que les gens nous ont dit, nous ont confié. Et on le confie là-bas » (Jeannine).

5On retrouve bien dans ces recommandations une spatialisation du divin propre à la démarche pèlerine. L’espace-temps propre au pèlerinage construit un univers caractérisé par une proximité sensible du divin où les potentialités semblent décuplées. Ceux qui fournissent l’effort du voyage accèdent ainsi à cet univers des possibles qui tranche radicalement avec la « stérilité » de l’espace-temps ordinaire de la paroisse. En passant brusquement de la paroisse aux sanctuaires de Lourdes, ils se trouvent confrontés à toute une économie pèlerine qui les encourage à formuler publiquement leurs attentes. Les pèlerins se trouvent ainsi subitement investis dans l’acte du pèlerinage : celui qui consiste à quitter sa terre, ses proches et son quotidien pour aller à la rencontre de la Vierge et à énoncer devant elle ses intentions de prières. Lourdes n’est pas seulement le lieu des guérisons miraculeuses où l’on ne se rendrait que lorsque tous les espoirs semblent vains. La guérison miraculeuse ne constitue pas une motivation dominante de leur démarche. C’est avant tout l’espace-temps spécifique des sanctuaires qu’ils recherchent, non qu’ils croient pouvoir y obtenir des grâces inaccessibles en paroisse, mais parce qu’ils peuvent participer au déploiement de dispositifs leur permettant d’énoncer des paroles informulables (ou du moins peu formulables) dans l’économie de la messe dominicale. Moment de requalification de la foi catholique, le pèlerinage est d’abord pensé et valorisé comme un temps d’expérimentation de la présence mariale permettant la redécouverte d’une « foi authentique » et, de fait, une certaine prise de distance avec le ritualisme ultra-médiatisé de la religiosité paroissiale ordinaire.

6Du coup de sifflet de départ en gare de Besançon jusqu’au retour en Franche-Comté, tout semble bien indiquer que l’on bascule dans un autre régime du croire. Nous « entrons dans la grâce mariale » comme l’indique l’aumônier dans les haut-parleurs des compartiments avant d’inviter les pèlerins à la récitation collective du chapelet. En clair, nous venons de quitter l’espace-temps ordinaire pour cheminer vers un ailleurs où plus rien n’est impossible, où tout sera différent, où ce que chacun peine à énoncer pourra être formulé. Dans cet imaginaire du voyage, collectivement construit, tous recevront les bienfaits de la Vierge Marie. Si à la fin du XIXe siècle les pèlerins passaient plusieurs jours dans le train pour séjourner tout juste 24 heures sur le site, le temps de toucher le rocher et de s’abreuver à la source d’eau, ceux d’aujourd’hui cherchent avant tout à passer du temps ensemble au cœur des sanctuaires, pour y multiplier les occasions de formuler leurs attentes, face à de multiples interlocuteurs : Vierge, prêtres, religieuses, pèlerins, malades. Pour les membres de l’Hospitalité, c’est bien l’expérience collective qui constitue le véritable pilier de ce qu’ils appellent la « réussite » du pèlerinage, c’est-à-dire en somme le fait que les démarches individuelles se muent en projet collectif.

LA CONSTRUCTION DU LIEN : DÉLIMITATION DES FRONTIÈRES ET COLLECTIVISATION DES EXPÉRIENCES INDIVIDUELLES6

7Être hospitalière et brancardier, c’est d’abord choisir de s’investir dans le pèlerinage de Lourdes « au service des malades ». Mais cette relation d’entraide se trouve vite englobée dans une signification plus large cherchant systématiquement à brouiller la frontière entre malades et accompagnants. La première opération collective de mise en sens, le premier discours que chacun s’attachera à apprendre et à ré-énoncer constamment, consiste à relativiser la distinction entre malades et accompagnants jugée contraire à l’« esprit du pèlerinage7 ». Ainsi, un leitmotiv se développe et s’impose : « Nous sommes tous malades. » Le temps du pèlerinage devient alors propice à l’énonciation des douleurs personnelles pour que le malheur de chacun, objectivé à maintes reprises dans le cadre des dispositifs cultuels, devienne la raison collective de cet investissement fort dans le temps du pèlerinage. Problèmes de couple, solitude, maladie, perte d’un enfant, inquiétude pour un fils, attente d’un renouvellement… constituent autant de « raisons » mentionnées par les hospitalières et les brancardiers pour donner sens à leur engagement. Leur démarche s’énonce ainsi comme une thérapie visant à reconstruire et dépasser les éléments problématiques de leur biographie. Les membres de l’Hospitalité s’attachent donc autant à s’identifier aux malades qu’à s’en distancier de manière à donner doublement sens à leur engagement. Qu’il s’agisse de venir jusqu’à Lourdes pour remercier la Vierge Marie ou pour lui demander assistance, le travail collectif qu’ils assurent tous auprès des malades devient acte de dévotion et prend pleinement sens dans leur démarche personnelle.

ENTRE TOURISTES ET BRETELLES DE CUIR

8L’énoncé selon lequel les hospitalières et les brancardiers reçoivent plus en retour de la part des malades que ce qu’ils leur ont donné est un autre leitmotiv ; omniprésent tout au long du pèlerinage, dans les témoignages, les homélies, les prières et les conversations8. L’idée que chacun vivra une semaine intense sur le plan spirituel, qu’il ressentira la présence mariale sur les lieux et qu’il reviendra transformé de cette expérience pèlerine est plus qu’une évidence posée au départ : c’est un discours obligatoire. Chacun doit l’apprendre et le reprendre, chaque jour, à chaque occasion d’échange. Ces affirmations circulantes participent de l’apprentissage du nouveau venu. Elles lui fournissent un cadre d’énonciation particulier et des conclusions pour traduire en mots l’expérience ineffable du pèlerinage. À travers tous ces discours en circulation incessante, c’est le groupe qui se construit, ruinant la frontière malades/accompagnants pour énoncer que l’Hospitalité est, de par son organisation et l’état d’esprit qui anime ses membres, « une grande famille » capable de porter collectivement ses peines au pied de Notre-Dame.

9Mais pour se construire comme un collectif spécifique, l’Hospitalité doit aussi se distinguer d’autres groupes qui, selon elle, sont moins à même d’assurer la réussite collective du pèlerinage. Comme tout collectif, l’Hospitalité se construit en s’opposant. Il faut en effet désigner qui sont les autres, ceux qui ne sont « pas comme nous », pour mieux être capable de définir qui nous sommes et où se situe notre spécificité. Ainsi, le temps du pèlerinage est toujours l’occasion d’énoncer un point de vue critique : les pèlerinages de l’Ordre de Malte9 sont jugés trop militaires dans leur fonctionnement, les pèlerinages italiens sont régulièrement désignés comme incapables d’observer un silence respectueux devant la grotte, le pèlerinage polio10 mettrait trop fortement l’accent sur une relation interindividuelle entre le malade et son accompagnateur désigné, etc. Mais les premiers visés sont d’abord les simples pèlerins, ceux qui se rendent en pèlerinage à Lourdes à titre personnel sans s’investir dans un pèlerinage de malades. Leur démarche est régulièrement désignée comme peu enrichissante sur le plan spirituel, sans « lien de famille », voire clairement égocentrique. Quand, lorsque nous envisagions de nous rendre en pèlerinage à Lourdes, nous avions rencontré le président de l’Hospitalité pour lui faire part de nos intentions, il s’attacha immédiatement à nous mettre en garde vis-à-vis de la pauvreté de l’expérience du simple pèlerin pour un travail d’observation ethnographique :

« Avec le train blanc [qui emmène les malades et les membres de l’Hospitalité], parallèlement, vous avez un train qui emmène les pèlerins. Alors les pèlerins, ce sont des gens qui vont à Lourdes sans s’occuper des malades, mais qui vont pour leur spiritualité, pour aller en pèlerinage quoi ! […] Vous savez, il y a le train blanc et le train rose. Dans le nôtre, [le blanc], vous allez tout vivre ! Le train rose [celui des Pèlerinages Diocésains], c’est un train qui descend des pèlerins et puis qui les remonte. Mais dans le train blanc, vous allez tout vivre, et puis je crois que c’est ce que vous recherchez. »

10Il est aisé de ressentir ici la critique vis-à-vis d’une attitude jugée ritualiste (« pour aller en pèlerinage quoi ! ») permettant de mieux mettre en évidence la profondeur de l’expérience de l’hospitalier (« dans le nôtre, vous allez tout vivre ! »). Se rendre sur les sanctuaires de Lourdes sans les malades devient ainsi une pratique que le nouveau venu va apprendre à considérer comme trop égoïste pour permettre une véritable rencontre avec l’entité invisible qui imprègne ces lieux.

11Mais ce contre-exemple du simple pèlerin est également combiné avec un autre « repoussoir » qui se situe aux antipodes de la démarche égocentrique : c’est celui des « bretelles de cuir » qui, par excès de responsabilités se trouvent coupés de toute possibilité de relations interpersonnelles. Ceux que l’on nomme « les brettelles de cuir » sont des brancardiers de toutes nationalités ayant choisi de se mettre bénévolement pour un temps au service des sanctuaires dans le cadre de l’Hospitalité de Notre-Dame de Lourdes ; l’archiconfrérie qui chapeaute toutes les hospitalités diocésaines. Ces brancardiers ont donc pour tâche de veiller au bon déroulement des différents pèlerinages qui se chevauchent sur le site et ont, de ce fait, autorité sur les responsables des hospitalités diocésaines comme sur ceux de tous les pèlerinages. Cette « police des polices » intervient partout sur le site : lors des grands offices à la basilique souterraine, lors des différentes processions quotidiennes, à la grotte, aux piscines, etc. Pour marquer leur statut particulier, ils portent des bretelles de cuir à la différence des autres brancardiers qui portent, eux, des bretelles de sangles. Gérant les mouvements de masse, les « bretelles de cuir » n’entretiennent ainsi que peu de relations intimes avec les malades et se contentent la plupart du temps d’intervenir de manière autoritaire pour faire respecter l’ordre de passage à la grotte, faire retarder le départ d’une procession ou faire asseoir en silence un groupe de pèlerins à la basilique. De ce fait, les hospitalières et les brancardiers de l’Hospitalité franc-comtoise entretiennent des relations souvent conflictuelles avec eux, estimant que ces « bretelles de cuir » cèdent trop souvent à un autoritarisme procédurier et ne peuvent comprendre, du fait de leur fonction, « toute la profondeur de l’expérience pèlerine » offerte par les hospitalités diocésaines.

EXPÉRIMENTER ET METTRE EN SENS

12En délimitant ainsi ses frontières, l’Hospitalité se définit donc comme un collectif original ayant réussi à trouver le juste milieu entre l’absence et l’excès de responsabilités. Mais pour faire communauté, il lui faut effectuer un travail sur elle-même assurant une certaine homogénéité du groupe afin que les motivations plus ou moins hétérogènes de ses membres s’énoncent en un projet collectif. Tout commence donc par une exigence de participation inflexible à l’ensemble du programme cultuel. De la photographie collective prise le premier jour devant la basilique Notre-Dame du Rosaire à la cérémonie d’envoi à l’église Sainte-Bernadette avant de remonter dans le train, tout un programme liturgique attend les malades et ceux qui les accompagnent. C’est donc presque toujours en groupe que les membres de l’Hospitalité se rendent à la grotte, aux piscines, aux offices et aux processions. Loin d’une pratique dévotionnelle individuelle, le collectif se façonne et se stabilise ainsi autour des gestes et d’énonciations visant à faire de l’objectif même de toute démarche dévotionnelle – entrer en relation avec l’entité divine convoquée – un objectif garanti par la collectivisation des expériences individuelles et l’harmonisation de leur énonciation autour d’un sens partagé. Car vivre la semaine de pèlerinage ensemble ne suffit pas à construire le collectif. Il convient en effet qu’un sentiment d’unité se développe et se répande pour parvenir à construire durablement le « nous » indispensable à la communautarisation de l’expérience pèlerine.

13Dès le départ pour Lourdes, les membres de l’Hospitalité, malades ou bien-portants, sont tous porteurs d’un espoir de mieux-être. Ce temps annuel du pèlerinage constitue pour eux l’occasion de mettre en place une relation contractuelle avec « celle qui habite ces lieux ». Mais pour cela, il faut s’engager, s’investir, expérimenter. Face à la souffrance de chacun, le pèlerinage se présente comme un « remède » possible. Mais, loin de rechercher le miracle spectaculaire, nos informateurs s’attachent à construire le temps du pèlerinage comme un espace donné à chacun pour exorciser son mal en mutualisant publiquement ses peines. Le coup de sifflet qui retentit sur le quai de la gare de Besançon marque ainsi le début d’une circulation incessante d’énoncés et de confidences. Par les dispositifs déployés, chacun se trouvera inévitablement en situation de témoigner des raisons pour lesquelles il est venu jusqu’à Lourdes, de ses attentes à l’égard du pèlerinage ou des leçons tirées de ses années d’expérience. Dans les chambres collectives, en parallèle des dispositifs rituels, les conversations s’enchaînent sans interruption : on se confie mutuellement son histoire, on témoigne de l’effet bénéfique du pèlerinage de l’an passé, on raconte l’histoire touchante d’un autre qui n’est plus parmi nous aujourd’hui, on encourage le nouveau venu à faire l’expérience des piscines, on décide d’adresser ensemble une prière à la Vierge pour la réussite collective du pèlerinage. C’est en réalisant ensemble les mêmes gestes rituels tout en collectivisant leurs histoires personnelles que les membres de l’Hospitalité s’attachent à faire communauté. Mais ce travail de collectivisation des expériences individuelles demeurerait insuffisant s’il n’était traversé par une certaine homogénéisation progressive des énoncés.

14La cérémonie d’envoi, qui se déroule traditionnellement le dernier jour du pèlerinage et précède de quelques heures le départ pour la Franche-Comté, constitue un temps de conclusion visant à fournir à chacun l’énoncé type du « miracle des cœurs » nécessaire pour traduire en mots la spécificité de l’expérience pèlerine que souhaitent mettre en avant les responsables de l’Hospitalité (prêtres et laïcs) et, avec eux, ceux qui gèrent tout au long de l’année les sanctuaires de Lourdes. Pour assurer la réussite de cette opération de reformulation, des dizaines d’exemples pourraient ici être listés. Des plus collectifs11 au plus interindividuels12, tous à leur manière participent d’un travail incessant de prise en charge et de mise en sens des expériences individuelles. Face à la diversité des formes prises par ce travail du collectif sur lui-même, trois thématiques complémentaires peuvent être dégagées :

15Démystification des pratiques dévotionnelles,

16Collectivisation des plaintes,

17Centration (ou recentrage) christique13.

18Si l’on se focalise en effet sur un certain « discours autorisé », produit d’abord par les responsables des sanctuaires puis relayé par les productions écrites14 et les responsables des différents pèlerinages de malades, il est aisé de repérer les efforts constamment déployés : pour encourager les pèlerins à concevoir leur relation avec l’eau de la grotte avant tout comme un « ressourcement spirituel » ; pour centrer leur démarche et leurs prières sur les autres et l’« avènement de l’Église » ; enfin, pour garder à l’esprit que si la Vierge Marie s’est manifestée en ces lieux, c’est d’abord pour les rapprocher du Christ et non d’elle-même. La disparition des cannes de la grotte15, la construction des témoignages des miraculés16 ou la création récente du « chemin de l’eau17 » constituent ainsi, pour nous, des exemples parmi d’autres de l’important travail réalisé par ceux qui ont la charge de l’avenir des sanctuaires pour inscrire la dévotion mariale sur les chemins de la modernité. En rappelant sans cesse que l’eau de Lourdes, malgré les miracles de guérisons officiellement reconnus, ne saurait avoir en elle-même une efficacité thérapeutique et que la démarche du pèlerin ne doit en aucun cas être guidée par l’espoir de guérison, l’Église s’attache donc à démystifier les pratiques dévotionnelles. En apprenant aux pèlerins à ne pas formuler des prières pour eux-mêmes mais à prier ensemble pour les autres, l’Église s’attache également à collectiviser les plaintes. En insistant sur la primauté essentielle du Christ sur la figure de la Vierge Marie, l’Église s’attache enfin à recentrer les pratiques dévotionnelles vers le Dieu trinitaire. Cet apprentissage des énonciations, qui s’opère d’abord par les productions écrites qui circulent au sein des pèlerinages, est particulièrement bien relayé par les responsables de l’Hospitalité qui reçoivent de la part des sanctuaires directives et conseils18.

19Une rhétorique se met donc en place dans les productions écrites, comme on peut le voir dans cet extrait d’un manuel de pèlerin franc-comtois où il est aisé de percevoir l’effort constant visant à ramener la figure du Christ sauveur au premier plan tout en mettant de côté la guérison physique au profit d’une « purification du cœur ».

« Et dans les trois sanctuaires qui s’élèvent maintenant sur le site de Massabielle, les ex-voto multipliés clament le merci de tous ceux que cette eau a soulagés, de tous ceux aussi que cette eau a conduits à la purification du cœur. […] N’oubliez pas que la Vierge nous appelle à Lourdes avant tout pour nous purifier intérieurement, nous laver de nos péchés, nous ramener à Dieu et nous assurer dans une âme régénérée par la pénitence « la grâce de son fils », source d’eau jaillissante jusqu’à la vie éternelle » (Besançon à Lourdes, Manuel du pèlerin, Paris/Bourges, Tardy, 1970, p. 36).

20Et puis le soir, quand une dense journée s’achève, débutent les prières en salle. Il s’agit de réunions de prières organisées dans les couloirs des accueils où sont hébergés les malades. Ces dispositifs au sein desquels les prêtres sont particulièrement effacés et où le temps est laissé à chacun pour formuler publiquement ses plaintes, sont extrêmement intéressants pour l’observateur. Au-delà de cet aspect de confidences collectives qui participe incontestablement de la construction du sentiment communautaire, nous nous arrêterons particulièrement ici sur le travail de reformulation des plaintes exercé par les animatrices (religieuses ou laïques) de ces réunions. Ces dernières, si elles laissent l’occasion à chacun de prendre la parole pour prier, témoigner ou implorer, n’hésitent pas à reformuler les paroles énoncées lorsque ces dernières sortent en quelque sorte du cadre des énoncés acceptables, ou du moins attendus. Lorsque le vendredi 23 mai 2003, lors de la prière en salle, une malade avait à cœur de nous inviter à redoubler de prières pour tenter de sauver la vie d’un jeune garçon, la religieuse ayant en charge l’animation de la soirée, gênée par cet énoncé trop directement contractuel, s’attacha à reformuler la demande de prière pour un enfant à l’agonie en une demande de prière pour des parents dans la peine :

– La malade : Il y a dans mon village, une famille, qui a perdu un enfant il y a deux ans. Et leur autre petit, qui a 13 ans, a un cancer. Il est à l’hôpital pour essayer le dernier traitement de choc ! Il est opéré dans la tête d’un cancer, une tumeur qui est descendue dans la colonne vertébrale. Alors sœur Béatrice m’a fait un courrier pour les prêtres de l’Hospitalité. La famille a demandé qu’on prie, qu’on essaye. On a déjà mis un cierge. Ils ont demandé qu’on fasse une prière en espérant vraiment un miracle. Le petit, je vous jure, est maigre comme ça ! Et la maman est dans un état…
– La religieuse : D’accord, merci…
– La malade :… le petit est mort dans son village, il pêchait, il est tombé de la barque, il est tombé à l’eau. Mais il n’était pas noyé, il est mort un mois après. Vous imaginez les parents !
– La religieuse : D’accord, on prie pour les parents, allez on y va !

21Ce type de scène où des conceptions différentes de la démarche pèlerine se croisent et s’opposent est courant. Mais par ce travail de requalification, une homogénéisation relative des énoncés s’opère. Qu’il s’agisse de recentrer la démarche pèlerine autour du Christ-sauveur, de démagifier la relation entretenue avec l’eau de la grotte ou de rassembler des plaintes égocentrées, c’est bien toujours un même travail qui s’exerce : faire basculer les aspirations de départ inscrites dans une démarche individuelle en direction d’une Vierge guérissante vers l’aspiration collective d’une reconversion orientée par la redécouverte d’un couple Christ-Vierge aux vertus consolantes, apaisantes et encourageantes. Ainsi, le souci jugé égoïste d’une éventuelle possibilité d’amélioration immédiate du quotidien (bonheur, santé, réussite, etc.) s’évanouit peu à peu par l’investissement dans le pèlerinage. Il quitte chaque jour un peu plus l’univers des possibles. Sans disparaître totalement des espoirs des fidèles, il devient de moins en moins énonçable et, de ce fait, de moins en moins énoncé. Le « miracle de Lourdes » se reformule pour mieux se jouer ailleurs : c’est le « miracle des cœurs ». Les nouveaux énoncés affirment que ceux qui souffraient ne souffrent plus, ou du moins souffrent moins. Non que leur état de santé se soit amélioré ou que les drames de leur vie aient trouvé une résolution, mais dans la mesure où ils ne portent plus le même regard sur leur condition. Les énoncés changent et, par là, les perceptions individuelles. La fatalité de « la vie » est toujours douloureusement là mais, dans l’énonciation qui en est faite, elle semble bien changer de statut. Le sentiment d’injustice et l’insupportabilité des conditions d’existence (liés à la maladie ou au malheur) cèdent progressivement la place à une formulation nouvelle. Chacun est encouragé à formuler publiquement qu’il s’attache à accepter son malheur individuel et regarder au-delà.

« Dans ce contact, avec Notre Dame et avec le Seigneur, qui est « avec elle », ils [les malades en particulier] ressentent à la Grotte, parfois sans clairement le formuler à eux-mêmes, ce bonheur, qui n’est pas de ce monde, et qui leur est promis comme à Bernadette. C’est à la suite de Bernadette et à travers la vérité de Bernadette qu’ils peuvent comprendre le sens et la réalité de la prière et de la pénitence dans la pauvreté, l’humilité, la petitesse et la souffrance, et aussi la joie d’une vie donnée. […] Elle [Bernadette] est bien la première de ces innombrables malades venues à Lourdes à son appel, non point tellement pour y retrouver la santé que pour trouver la force de donner un sens à leur souffrance » (Besançon à Lourdes, op. cit., p. 22-23).

CONCLUSION

22Les pèlerins francs-comtois de 1873 décrits par l’abbé Jean Thiébaud (1993)19 étaient capables d’affronter près de quatre jours de voyage aller-retour dans des conditions de transport peu confortables pour ne profiter que d’une courte journée devant la grotte de Massabielle20. Ils semblaient bien davantage attachés à la prise de contact physique avec les lieux de l’apparition, réputés miraculeux, qu’à la lente régénération spirituelle que semblent tout de même privilégier les pèlerins d’aujourd’hui dans leurs méditations. Si la grotte des apparitions demeure l’attrait principal des pèlerins, c’est dans tout l’espace qui l’environne que se joue aujourd’hui la pleine réussite d’un pèlerinage de malade comme celui de l’Hospitalité.

23De plus en plus minorisés dans leurs villes ou leurs villages, les hospitaliers (ères) et brancardiers que nous avons suivis sur les sanctuaires de Lourdes de 1999 à 2004 (re)construisent leur collectif à chaque pèlerinage. Même si l’association connaît quelques rencontres durant l’année, c’est véritablement dans le cadre de ce « voyage » que les énoncés collectifs se réactualisent et se réimposent. Comme l’anecdote introductive de ce texte voulait le suggérer, l’Hospitalité, comme toutes les communautés de ce type, se réalise d’abord en imposant ses leitmotive. Pour appartenir à l’Hospitalité, il convient d’être capable de ressentir ce que les autres sont censés ressentir et parvenir à l’exprimer publiquement. Pour s’intégrer au collectif, le nouveau venu devra en somme s’acquitter de sa tâche en participant à la multiplication des énonciations. Dans le cadre des dispositifs rituels, des grandes processions aux prières en salle, les pèlerins réalisent l’événement, encadrés et guidés par l’institution. Ils ne sont plus les pratiquants réguliers de la paroisse, agents attachés aux seules observances religieuses qui s’acquitteraient de leur pèlerinage annuel par souci d’orthodoxie sous le joug de l’institution. Mais ils ne sont pas non plus des acteurs détachés cherchant à bricoler leur propre dévotion à la Vierge hors des cadres institutionnels où seul compterait le cheminement personnel. Ces deux figures co-construisent ensemble la dynamique collective, dans une tension permanente qui caractérise l’évolution du catholicisme contemporain. La communauté qu’ils réalisent ne s’inscrit plus dans le territoire paroissial, elle se construit dans l’événement et ne dure que le temps de l’expérience. C’est bien d’une relation « authentique » avec l’entité invisible dont ils sont en quête et c’est dans l’événement collectif qu’ils la réalisent en mutualisant leurs expériences dans des dispositifs cultuels qui leur fournissent des cadres pour leurs gestes et énonciations. Comme le dit Danièle Hervieu-Léger (1999), le régime de validation institutionnel du croire cède progressivement la place à des régimes de validation mutuels et communautaires où l’expérience intime de chacun, une fois collectivisée, vient seconder l’institution pour assurer la régénération du lien socioreligieux.

Bibliographie

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Bibliographie

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Notes de bas de page

1 Pour simplifier, nous utiliserons le terme l’Hospitalité pour désigner cette association tout au long de cet article.

2 Le fait que nous participions à ces pèlerinages dans le cadre d’un travail universitaire était connu de tous les responsables de l’Hospitalité ainsi que de toutes les personnes avec qui nous avons partagé des moments ou réalisé des entretiens. Nous avons même eu l’occasion d’en faire l’annonce publique devant l’ensemble des membres de l’Hospitalité lors d’une célébration religieuse à Lourdes en mai 2001 et lors d’une assemblée générale de l’association à Besançon en novembre 2003. Pour autant, cette identité semblait peu intéresser nos principaux interlocuteurs qui étaient davantage intrigués (et enthousiasmés) par le fait qu’un jeune homme vienne de son plein gré en pèlerinage à Lourdes en mai (alors que les quelques étudiants membres de l’association participent plutôt au pèlerinage d’août durant leurs vacances universitaires).

3 Dans le cadre d’un questionnaire distribué aux membres de l’Hospitalité en novembre 2003, 66 % des personnes sondés ont en effet déclaré participer à l’une ou l’autre de ces activités paroissiales.

4 Cf. notamment Hervieu-Léger D., Le pèlerin et le converti. La religion en mouvement, Paris, Flammarion, 1999.

5 « On découvre que la figure du pratiquant tend elle-même à changer de sens : en même temps qu’elle prend ses distances par rapport à la notion d’“obligation” fixée par l’institution, elle se réorganise en termes d’impératifs intérieurs”, de “besoin” et de “choix personnels” » (Hervieu-Léger D, op. cit., p. 95).

6 Cette seconde partie de l’article a fait l’objet d’une première publication dans la revue Esprit Critique (Amiotte-Suchet, 2007).

7 « Primitivement, le thème 2005 s’intitulait : “Les malades et ceux qui les servent”. Ce titre a été abandonné, car un groupe de pèlerins n’est pas divisé en deux blocs homogènes : les malades, d’une part ; ceux qui les servent, d’autre part. La plupart des personnes qui viennent à Lourdes, surtout en dehors des pèlerinages organisés, n’entrent dans aucune de ces deux catégories. Par ailleurs, ceux qui servent peuvent être aussi, sous quelque aspect, des souffrants. Ceux qui accompagnent un malade, physique ou mental, sont, eux aussi, à la peine. Il a donc paru bon de changer légèrement le point de vue et de reprendre les paroles mêmes du Christ : “Venez à moi, vous tous qui peinez” (Matthieu 11, 28) » (Sanctuaires Notre-Dame de Lourdes. Lourdes 2005. Site Internet des sanctuaires Notre-Dame de Lourdes. www.lourdes-france.org/[page consultée le 25 janvier 2005]).

8 « Et puis quand je suis rentrée, et bien je me suis rendue compte que c’est moi qu’avait reçu, que ce que j’avais donné, ben je l’avais reçu au centuple ! Parce qu’on vit des moments… […] Mais quand vous y serez allé une fois, vous comprendrez, tout ce que je vous dis pas, vous le comprendrez tout seul » (Colette).

9 Le Pèlerinage de l’ordre souverain, militaire et hospitalier de Saint-Jean de Jérusalem, de Rhodes et de Malte (ou Ordre de Malte) a lieu chaque année en mai. En 2003, il a rassemblé 4 000 pèlerins dont 1 000 malades (venant d’Irlande, d’Autriche, de Pologne, des États-Unis…). Les brancardiers portent une tenue militaire (treillis, béret) et les hospitalières de longues capes noires marquées de la croix rouge de leur ordre.

10 Le Pèlerinage International des Polios et Handicapés moteurs ou respiratoire (dit Pèlépolios) a été fondé en 1963 par le Dr Cattenoz pour les personnes handicapées. Il a lieu tous les cinq ans. Chaque handicapé est attaché à une personne valide (« tandem »). Ce pèlerinage concerne aujourd’hui une vingtaine de pays et, du 10 au 15 juillet 2002, il a rassemblé 2 500 personnes (www.pelepolios.org).

11 Comme les homélies des aumôniers, les discours du président de l’Hospitalité, les productions de Lourdes magasine, les témoignages publics des malades et des hospitaliers (ères) lors des offices, etc.

12 Comme les conversations entre membres chevronnés et novices, les relations entre les chefs d’équipe et leurs brancardiers, les discours des religieuses dans les chambres des malades, les échanges d’expérience après le passage à la grotte ou aux piscines, etc.

13 Sur ces trois thématiques, nous renvoyons le lecteur à l’excellent travail d’E. Claverie, 2003.

14 Notamment le site Internet des sanctuaires (www.lourdes-france.org) et la revue Lourdes magasine où l’évêque de Tarbes et de Lourdes, le recteur des sanctuaires et le président du bureau des constations médicales s’expriment régulièrement pour requalifier la démarche pèlerine sur les sanctuaires.

15 Jusque dans les années cinquante, un câble d’acier sur lequel étaient suspendues des centaines de cannes et de béquilles surplombait la grotte de Massabielle, évoquant ainsi les milliers de guérisons obtenues par les pèlerins depuis 1858. Depuis l’entrée dans le nouveau millénaire, câbles et béquilles ont progressivement disparu du décor.

16 Depuis 1858, des milliers de personnes se sont déclarées guéries après avoir invoqué Notre-Dame de Lourdes sur les sanctuaires (le plus souvent après avoir eu une relation avec l’eau de la source, soit en ingestion, soit en ablution et en bain). Mais l’Église, de plus en plus prudente et procédurière pour traiter de la question des guérisons miraculeuses (en particulier à partir du XIXe siècle), n’a reconnue officiellement que 67 cas de guérisons miraculeuses directement liés à l’invocation de Notre-Dame de Lourdes. Il est particulièrement intéressant de se pencher sur les productions écrites qui vont soutenir les cas de guérison authentifiés. Des comptes rendus des différentes commissions aux interviews du miraculé, c’est toute une rhétorique qui se met en place afin de transformer cette grâce individuelle en un signe pour toute l’Église. Ainsi, en mettant à distance toute notion de mérite et en rendant exemplaire la foi sincère du miraculé, l’Église s’attache à faire de ce dernier un « ardent témoin de l’Évangile » (cf. « La prodigieuse guérison de Jean-Pierre Bely », Lourdes Magazine, n ° 81, mai 1999, p. 14).

17 En 2002, à l’occasion d’un thème pastoral centré sur l’eau de la source, le « chemin de l’eau » a été aménagé face à la grotte des apparitions. Il s’agit de neuf fontaines d’aluminium longeant la rive droite du Gave. Toutes sont alimentées par l’eau de la grotte, comme le sont les fontaines de la grotte et les piscines. Chaque fontaine de ce chemin porte le nom d’un point d’eau biblique (lac, puit, source) ainsi qu’un nom se référant à Notre-Dame. Ce « chemin de l’eau » vise autant à limiter la concentration de la foule aux fontaines côté grotte qu’à insister sur une relation plus métaphorique avec l’eau de Lourdes, tout en contrebalançant la figure mariale par celle du Christ traversant les Écritures.

18 « Bien sûr ! On [les responsables des sanctuaires] nous donne des bouquins et des conférences. On nous donne des directives. On nous a demandé par exemple de dire dans nos pèlerinages : “N’emmenez pas des bidons et des bidons !” […] Alors ils nous ont demandé, j’ai toujours relevé ce terme de “fétichisme”, que les gens soient raisonnables, qu’ils ramènent une bouteille pour une vieille dame malade qui est contente de boire de l’eau, d’accord. Elle le fait avec sa foi, bon c’est bien, il faut la laisser faire ça. Sa démarche… si ça lui fait un tout petit peu de bien, alors il faut la laisser faire » (le président de l’Hospitalité).

19 Jean Thiébaud fut l’aumônier de l’Hospitalité de 1954 à 1991.

20 Cf. Thiébaud, 1993.

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