Postface. Retour d’exil
p. 415-416
Texte intégral
1Le voyage politique prend au XIXe siècle de multiples formes tant il est démultiplié par les moyens de communications et les routes terrestres et maritimes qu’il peut emprunter. Pourtant ces formes nouvelles de mobilités ne font pas disparaître d’un coup la force de la rumeur, cette impalpable forme de diffusion. Le voyage du souverain reste encore souvent celui des rois et des princes. Pourtant il se banalise et devient aussi un rite plus démocratique. Comme les hommes, la République circule plus vite et plus loin. La distance comme les raisons de voyager s’accroissent. Ces voyages la modifient-elle ? La question est bien entendu sans réponse, il est néanmoins tentant de la poser.
2La république à partir de 1815 n’est souvent qu’un souvenir, plus honnie que révérée, du moins dans la première moitié du siècle et en Europe. Pour la retrouver et la propager à nouveau, elle se dissémine souvent loin du théâtre français et de ses extensions révolutionnaires dans un interminable va-et-vient transatlantique. Elle s’identifie alors à la circulation des républicains en exil, et devient une république diasporique ou archipélagique. Parmi tant d’autres, Alexis Peyret, Français exilé en Amérique latine, devenu citoyen argentin, affirme dans « Les aventures d’un bachelier en Amérique », publié dans la Revue illustrée du Rio de la Plata en mars et en avril 1892, et qui retrace son départ forcé de 1852 :
« Les pays de la Plata sont destinés à être l’avenir du monde. La République a succombé en Europe, mais elle triomphe ou triomphera en Amérique. Adieu donc, vieille Europe décrépite, qui ne sait que produire des Papes et des Empereurs. Je te quitte, je m’en vais au pays du soleil et de la liberté1 ! »
3Arrivés sur le continent américain, les républicains héritiers des idéaux démocratiques et de la Révolution découvrent que la République peut avoir maints visages et que la démocratie peut soutenir l’esclavage et l’inégalité.
4En sens inverse, des Américains viennent chercher et recueillir les souvenirs de la République française et vivre, aux côtés des Européens, les espoirs et les affres des républiques qui renaissent.
5Si la république est souvent un « ailleurs », elle reste aussi présente dans les mémoires et fait partie des multiples constructions mémorielles et patrimoniales dont le XIXe siècle est friand. Le voyage en république devient alors l’un des avatars du tourisme naissant, un tourisme résolument politique. On visite les cimetières, les scènes majeures de la Révolution, on en recueille des bibelots et souvenirs, on fabrique et l’on fait commerce d’une mémoire matérielle de la République. On écoute ainsi dans les cafés de Guernesey et avec une certaine avidité les propos de quelques soiffards qui pour quelques sous prétendent avoir connu Victor Hugo.
6Loin d’être tendue exclusivement vers le passé, cette mémoire de la République, pieusement conservée, est aussi tendue vers l’avenir et l’action. Car, au final, la république reste toujours en mouvement ne serait-ce que parce que, selon le concept d’attente tel que le définit Reinhardt Koselleck, elle se met autant à l’épreuve du passé que des possibles qu’elle entend incarner : « Le républicanisme, écrit-il, est donc un concept de mouvement permettant d’actualiser dans le champ d’action politique les promesses contenues dans la notion de progrès pour l’ensemble de l’histoire2. » C’est alors l’approche classique qui tend toujours à séparer plus qu’à réunir le républicanisme, le socialisme, le libéralisme qui peut être ici remise en question, unissant tout ce qui circule tout au long du siècle de l’un à l’autre, soulignant les transferts ou les réappropriations autant que les rejets. Entre les multiples traditions républicaines et les socialismes qui naissent au XIXe siècle s’inventent des relations complexes et souvent oubliées, une forme de voyage où les exilés tiennent une large place. Ainsi l’aventure des utopistes outre Atlantique ou, en Algérie, des volontaires libéraux sont-elles jalonnées de parcours républicains. Si la République bouge c’est aussi et toujours parce qu’elle reste à inventer et n’est pas seulement à instituer. Parmi tant d’autres, un quarante-huitard exilé en Suisse, le philosophe kantien Jules Barni, est peut-être le concepteur le plus abouti d’une République universelle entendue, non comme la création d’un État ou d’une nation étendus aux dimensions mondiales, mais comme un mode républicain d’organisation et de gestion des relations internationales. Pensés en parallèle de l’émergence de l’Internationale, les États-Unis d’Europe ont été aussi un moyen de « réenchanter la République ». C’est donc à un nouveau programme de recherche que nous convie, comme tout colloque qui a rempli sa mission, cette première et stimulante invitation au voyage.
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