Barère, voyageur immobile
p. 379-392
Texte intégral
1On est porté à penser que Barère n’a jamais voyagé pour peu que l’on ait une définition un peu humaniste du voyage qui engagerait curiosité et découverte. Barère s’est en revanche déplacé du fait de la Révolution : pour la Révolution, à laquelle il contribua par le verbe et les mots, et ensuite toujours du fait de la Révolution, non pour la République, mais pour ses « maux » comme l’un de ses très rares lapsus de plume en témoigne. Le présenter en « voyageur immobile », c’est prendre en compte son profil d’homme de cabinet qui put se dire « représentant du peuple », ce qu’il fut, et « philosophe moral », un intellectuel dans la langue du XVIIIe siècle. Cette perspective permet de mieux comprendre des déplacements contraints et un itinéraire construit du point de vue de la seule conquête de la centralité et de l’utilité publique adossée à la passion de l’État.
2La renommée de Barère tint aux heures chaudes de l’an ii et à sa position de rapporteur habituel du Comité de salut public avant que la passion vengeresse de l’an iii n’entraînât des épisodes chaotiques que seule la verve flamboyante de Valère Novarina est à même de restituer, la logorrhée de ses personnages permettant tous les raccourcis et esquissant tous les développements d’un véritable itinéraire, en l’occurrence républicain, au fil d’un texte produit dans la conjoncture de 19891.
La logique de la centralité, des mots aux maux
3Barère n’eut pour ambition initiale que d’échapper à la condition de petit magistrat de province, préférant s’illustrer en plaidant plutôt que de siéger à Tarbes selon les prérogatives d’un conseiller royal, serait-il doyen, à la cour du sénéchal de Bigorre, charge que son père lui réservait. Il n’en courut les honneurs académiques qu’avec plus d’ardeur, sachant que rien d’autre n’était accessible à qui sans être de naissance modeste n’est que de naissance honorable, la République des lettres constituant le seul lieu d’une égalité fictive possible. Parti à Toulouse pour y faire son droit, il concourut régulièrement à partir de 1782 en quête des bénéfices d’une notoriété qu’il n’acquit que besogneusement et avec moins d’éclat que son collègue Mailhe, autre futur révolutionnaire issu du barreau toulousain, ce dont Michel Taillefer a rendu compte2. À 35 ans, Barère n’avait que très peu voyagé. Homme de comités, il aborda les États généraux avec ses habitudes de travail d’avocat de la seconde génération des Lumières formé au droit écrit et en Révolution, il n’eut de cesse d’accroître sa compréhension du monde plus encore que son rayon d’action, ce que nous allons tenter de montrer.
4La moindre ambition implique la course à la centralité dès la constitution des États modernes. La hiérarchisation des espaces et des capitales imposa Toulouse puis Paris au Bigourdan Barère qui, dès 1788 avait gagné la capitale sous le prétexte de régler des points d’héritage litigieux. Il se peut bien qu’il ait conçu alors des espoirs liés à la position de Loménie de Brienne, ancien évêque de Toulouse auprès duquel, sur les pas de son frère Jean-Pierre, curé bien prébendé et futur vicaire général de Tarbes il avait eu ses entrées. Revenu à Tarbes pour rédiger les cahiers de doléances du tiers, il fut élu, du fait de sa position politique locale héritée de celle de son père. On raconte que les divers représentants du tiers et du clergé prirent la même diligence3.
5À Versailles, il fut accueilli et logé par un aumônier de sa connaissance au service des chasses d’Artois, et quand l’Assemblée s’installa à Paris, il y siégea scrupuleusement d’autant que son activité d’observateur et de rédacteur du Point du Jour l’obligeait à ne pas quitter un horizon qui allait de la salle des séances à l’imprimerie ou à la boutique de son imprimeur Cussac, l’une étant rue Croix-des-Petits-Champs, l’autre au Palais Royal. Nul ne sait en revanche ce qu’il fit réellement dans les premiers mois de la Législative où il est en poste à la Cour de cassation, avant qu’il ne redescende à Tarbes en janvier 1792. Ses concitoyens l’élirent à la Convention par 274 voix sur 278 alors qu’il était déjà de retour à Paris, le collège électoral de Tarbes lui étant acquis, ainsi que le département des Hautes-Pyrénées qu’il avait aidé à créer en plaidant sans vergogne pour une entité centrée sur Tarbes, iI siégea ensuite sans discontinuer à la Convention puis au Comité de salut public, considérant ses mandats et tout mandat comme « incessibles ».
6Arrêté en germinal an iii comme l’un des « quatre grands coupables » (de la Terreur), contraint à la détention à Oléron, seul moment de sa vie où il vit l’océan, ce qui ne laisse aucune trace dans ses futurs écrits, hors une page d’une rare platitude, il fut, par protection, déféré à Saintes, afin de mieux pouvoir s’en évader au terme de la Convention. S’ensuivit, sous le Directoire, une stricte clandestinité bordelaise chez le marchand de bois Fonade, rue du Port, jusqu’en 1799.
7Ainsi, le provincial élu connut successivement le voyage de gloire vers Paris et l’aspiration au monde plus vaste de la vie régénérée puis les temps de la déréliction étant arrivés, l’angoisse de la fuite et l’évasion. Dans ces conditions, le voyage toujours contraint appartient-il à la catégorie humaniste du voyage ? En revanche, on peut définir comme pleinement républicaines ses migrations obligées.
8Dans cette vie publique toute politique, les grands voyages furent donc passifs, pour reprendre le concept de la « révolution passive », soit imposée, que théorisa Vincenzo Cuoco pour Naples4 : les voyages de Barère furent non moins imposés et désirés avant que de devenir imposés et subis, la chute succédant aux temps heureux de l’ascension politique. Ses tardifs Mémoires prouvent que les plus fortes impressions tiennent aux fuites. En Prairial an iii, Barère sortit de Paris en état d’arrestation (mais en carrosse, note-t-il), et les troubles à la barrière qui eussent pu le soutenir inquiétèrent ses geôliers au point qu’on le fit partir de nuit. Lui-même n’a jamais compris la violence émeutière des 5 et 6 octobre 1789 qu’il vit de près à Versailles et il se tût plus encore sur les massacres de Septembre, car il ne voulut jamais rien savoir de ce qui excédait la mise en place et la gestion de la légalité.
9Son échappée de la prison de Saintes représenta une autre aventure, celle de se cacher pour gagner Bordeaux incognito, puis, l’étau se refermant après un long répit de claustration, c’est encore en clandestin qu’il regagna de trois ans plus tard Paris et Saint-Ouen où la comtesse Guibert l’hébergea, lui permettant une existence discrète jusqu’à l’amnistie consulaire. Paris retrouvé satisfaisait en partie ses attentes et, sans avoir le prestige d’antan, il pouvait reprendre dîner mondains et sorties diverses courant d’opéras en salles de lecture et en salons de peinture.
10En 1816, c’est de nouveau la clandestinité, d’abord sans quitter Paris avant que sa proscription, au titre de la loi du 24 juillet 1815 dite d’amnistie, ne soit inéluctable, nul ne voulant lui accorder ou lui faire accorder un sursis au bénéfice de l’âge. Il vécut six mois presque dans son propre quartier, puisqu’il habitait la rue Peletier, se réfugiant dans une mansarde, rue des Vieux Augustins (devenue la rue d’Argout), entre la place des Victoires et la rue Montmartre, alors que certains préfets zélés le recherchaient en Lot-et-Garonne et en vingt endroits où on lui supposait des complicités. Grâce à de vrais faux papiers qui permettaient d’ignorer son existence et dispensaient d’un procès que nul ne voulait organiser ni soutenir, il gagna le royaume des Pays-Bas, non sans émois divers. La confiance aveugle due à des amis inconnus, la réciprocité de la mise en danger dans l’illégalisme rendent amers ces souvenirs empreints de la crainte d’être démasqué. La vie politique ne cessa donc de régir ce voyageur qui ne bouge que par nécessité, la république restant en surplomb quitte à dévorer son acolyte.
11Exilé, Barère vécut d’abord à Mons puis à partir de 1821 à Bruxelles. M. de Roquefeuille (Barère) n’est plus que persona, non plus masque et porte-parole du discours du gouvernement révolutionnaire mais simple nom d’un anonymat qui condamne à la mort civile5. Son chemin fut celui de tous les proscrits qui se reconnaissent dans la dépossession de soi et du monde. Lui-même fut une incarnation concrète de L’Homme sans nom de Ballanche6. Il en fut réduit à confier au per manu la conversation perdue. Il ne cessa d’écrire et on peut noter Les méditations d’un proscrit. L’album du solitaire de Mansfeld près du Luxembourg en Belgique. Mélancolie7. Le « solitaire de Mansfeld » évoque le « solitaire des Pyrénées », pseudonyme dont avait usé Ramond qui y était parti se faire oublier de la Cour et de Paris à la suite du scandale du collier de la Reine8. La révolution de 1830 permit à Barère de revenir à Paris puis à Tarbes où il assura un dernier mandat, celui de conseiller général9. Il put ainsi « mourir au pays » selon la formule des migrants de tous les états sociaux et de toutes les époques.
Promenade, voyage et villégiature
12Cet itinéraire tout politique n’a permis à Barère que fort peu de voyages d’agrément. Lors de son séjour parisien de 1788, ses « promenades », terme rousseauiste, au parc de Betz, tiennent du voyage car elles ne sont pas indemnes de considérations politiques, non seulement parce que le parc n’est qu’affichage de propositions et sentences politiques mais parce qu’il s’y rend le soir même du renvoi de Loménie de Brienne. Cette propriété, ouverte au public, appartenait à la princesse de Monaco, compagne de Condé, lequel en avait fait concevoir le parc anglais comme un manifeste des valeurs de la noblesse libérale du temps10. Pour un déplacement de quelques lieues, Betz n’étant qu’à cinquante-cinq kilomètres de Paris par les anciennes routes vers Crépy-en-Valois et Senlis, l’avocat toulousain s’essaya au métier de publiciste et il s’adonna au genre en vogue de la visite aux monuments et aux lieux de prestige, ce qui est à la source du récit de voyage, un genre en voie de constitution.
13Barère n’est pourtant aucunement voyageur. Il n’a pas la culture aristocratique du Grand Tour, il n’en avait pas davantage les moyens. Il ne montait pas à cheval et n’eut jamais voiture ni carrosse. On mesure dans son cas l’écart significatif qui sépare l’homme de cour, voire de petite noblesse, du simple robin. S’il se dit républicain – de toujours – c’est à l’instar des vallées pyrénéennes qui ont des privilèges de vallée (les fors) qu’elles gèrent communautairement, une expérience que revalorise le rousseauisme politique. Le goût de la vallée de Campan repeinte en Arcadie a précédé la vogue des Alpes11 mais c’est à peine s’il alla lui-même jusqu’à Campan, à vingt-sept kilomètres de Tarbes, en amont sur l’Adour. Il y allait en villégiature avec sa mère et lorsqu’il y revint depuis Toulouse, il joua l’érudit local qui a inventé, au sens archéologique du terme, une inscription romaine dans les pierres de Baudéan. Bref, la moindre incursion hors les murs, la campagne ou la montagne à plus d’une lieue lui font figure d’événement. C’est alors qu’il usa du terme de voyageur :
« Vers l’année 1782, ayant fait un voyage dans les Pyrénées auprès de Bagnères, j’allais parcourir la vallée de Campan, célébrée par tous les voyageurs et naturalistes, par Dietrich, Picot de la Peyrouse, Ramond et l’abbé Palassou. Je parcourus la vallée jusqu’à Sainte-Marie ; j’admirai ces pentes montagneuses, toujours couvertes de bois dans la partie supérieure, et tapissées de prairies jusqu’au bas ; couvertes de petites chaumières dans le genre des chalets de la Suisse, riches de troupeaux, coupées par mille ruisseaux limpides, et rafraîchies par le voisinage des glaciers qui couronnent le Pic du Midi, un des points culminants des montagnes. Je visitai ensuite les abîmes d’une grotte célèbre où beaucoup de voyageurs illustres ont gravé leurs noms12. »
14Il n’en dit pas plus, alors qu’il est revenu sur place et que son idéologie patrimoniale dote les lieux d’une familiarité identitaire préconstruite. C’est pourtant ce qui suffit à lui valoir la réputation qui s’imposait alors d’être sensible à la « vie champêtre » dans le salon de Madame de Genlis13.
15En exil, Barère ne bougea que pour aller aux eaux à Spa, en septembre 1819, en arrière-saison. Il fut fort marri de constater qu’il n’y avait pas de bains, pas d’industrie et pas d’agriculture, mais des Anglais fort arrogants. On ne peut trop savoir, là encore, si les tensions avec la France et au sein des diverses polices françaises ne le poussaient pas à sonder d’autres possibilités d’exil, ne serait-ce que parce qu’il avait déchiré son passeport qui lui enjoignait de se rendre en Prusse, mais dans tous les cas, il s’agit d’abord de villégiature pour laquelle il s’est éloigné de 175 kilomètres de sa résidence de Mons. Le bénéfice s’avérant décevant au regard de la modestie de ses moyens, il fut condamné à ne plus jamais sortir de Mons puis de Bruxelles où il s’installa en 1821, quitte à rêver de Nice et d’un climat plus chaud qu’il pensait clément à ses rhumatismes. Son modèle du voyage resta indubitablement limité à celui de l’excursion qu’il connut dans sa jeunesse : un simple délassement bourgeois qui ne suppose que peu de journées, avec si possible quelque rendez-vous auprès d’autorités civiles ou religieuses amicales qui permettent de régler de petites affaires.
16Son habitus social répugnait à la nature sauvage comme en témoignent diverses notices de son Salon imaginaire, un testament politique en forme de notices dans l’esprit des Salons de peinture du temps14. Son esthétique et ses préjugés ne lui font considérer que les paysages proches de ceux de Bigorre avec des canaux qui valorisent les plaines, les ruissellements d’eaux étant contrôlés par le labeur et l’intelligence des hommes comme dans les notices 50 et 49 du Salon imaginaire. Ces notices sont en sus totalement soumises à des considérations philosophiques. La première est Superga, le lieu d’inhumation de la dynastie de Savoie : « C’est au pied des montagnes qu’il faudrait placer les tombeaux des rois pour apprendre à leurs superbes sinistres et leur petitesse et leur peu de durée sur la terre qu’ils oppriment » ; la notice précédente évoquait une injustice commise à l’endroit d’un serrurier innocent des crimes dont on l’avait accablé puis ostracisé au-delà de sa condamnation. Ces paysages du Piémont restent classiques et picturaux. En 1788, il sollicitait Ruisdaël et Claude Gellée, après 1815, ce sont les paysages « immémoriaux », le Nil ou les forêts vierges de l’Amérique méridionale aux rochers « contemporains de la Création15 » qui l’attirent et stimulent des considérations métaphysiques sur le temps. L’idéalisme ne prévaut pas moins dans l’évocation des montagnes suisses du serment de Rütli. Ces lieux et symboles n’engendrent aucune curiosité concrète de la part de Barère qui n’en précise jamais rien.
17Barère n’herborise pas, même s’il cite Ramond. En revanche il sait les ressources et les droits des hommes et donne parmi ses hauts faits un gros mémoire antérieur à 1789 sur les droits d’usages des forêts dans une situation conflictuelle16. Il en devint expert et quelques années plus tard c’est au Comité des domaines qu’il conquit sa première notoriété, quand il fallut rapporter sur les domaines de la couronne et séparer la propriété nationale en préservant les demeures et les chasses royales, ce dont il s’acquitta fort bien, dit-on à la Cour. Dans un esprit colbertien, il sut constituer une propriété domaniale, qui réserverait les futaies à la marine pour des raisons de sécurité tandis que les particuliers devraient entretenir le taillis. Quand il reprit une activité politique comme conseiller général, il amplifia ses dossiers sur la région du double regard de l’administrateur et de l’érudit17, jouant dans ce maintien d’une volonté de savoir encyclopédique, le Pécuchet d’un déclassement sans fin. Ses préoccupations réelles n’appartenant plus aux nouvelles logiques éditoriales, il ne put publier que la préface d’un guide de tourisme pyrénéen par l’Anglais J. Hardy en 1839.
18C’est donc à la seule aune de la promenade dans un jardin anglais que l’on peut considérer la culture du dépaysement chez Barère et cette culture de villégiature n’est pas celle du voyage. En revanche la centralité du pouvoir consigna l’homme de cabinet dans le périmètre des Tuileries et de la rue Honoré en 1793 et en l’an ii, vraie dialectique avec ce dont il eut à traiter et s’entretenir pour une nation en guerre qui mobilisa jusqu’à 14 armées.
Philosophie morale et tropisme de la centralité
19L’utilité publique l’ayant propulsé à Paris, le tropisme de la centralité ne lâcha plus Barère qui ne se hasarda plus hors les barrières qu’à l’occasion d’agapes récréatives ou de visites amicales en très proche banlieue. La prise de conscience de ce qui sépare le pouvoir de la simple administration provinciale le rendit intransigeant serviteur de la loi en 1789, puis quand il accéda à des responsabilités d’État, il se fit mousquetaire de la République et pour ses détracteurs, optimiste Anacréon de la nation. Toujours le mieux élu au Comité de salut public où il obtenait les voix venues de la Plaine et celles de la Montagne, rien ne sembla plus étranger à Barère, grand thuriféraire d’une révolution en marche, que le besoin de se déplacer. Il s’occupa en revanche de propager la République par des lois fondamentales et proféra des principes qui en firent le plagiaire par anticipation des républiques à venir. Ses rapports sur les points épineux autant que la magie du verbe d’une rhétorique propre à une position en retrait de l’homme de cabinet en firent le terrorist reluctant identifié par Leo Gershoy lors de son travail pionnier soutenu à Columbia en 192518.
20L’homme eût très probablement aimé servir dans les bureaux de la noblesse libérale d’Ancien Régime, car gros travailleur et autodidacte prolixe, il fut bien le « propre à tout » dont chacun reconnut les qualités exécutives. Mais c’est de l’épicentre du pouvoir qu’il œuvra et l’extrême visibilité de la parole publique, qui décuple le besoin d’« hypocrisie », de parole dans le masque et dans le paradoxe du comédien, adossée à la fidélité partisane, engendra une adhésion par ralliements successifs, une logique plus qu’une faiblesse morale qui, selon moi, gérait l’adhésion au jusqu’au-boutisme militaire de la bourgeoisie révolutionnaire tandis que Pierre Serna y voit un personnage « fasciné […] par le côté obscur de la chose républicaine19 ». Surveillant la diplomatie de l’Europe entière et faisant le spectacle rhétorique qui permit à des soldats de l’armée d’Italie de charger en criant « Barère à la tribune ! » pour célébrer une victoire dont ils ne doutaient pas. Ce cri signifie la logique des Carmagnoles mais aussi la fonction phatique du discours d’accompagnement de la guerre et même de toutes les formes de « violence autotélique » pour reprendre le concept de Jan Philipp Reemstma20. Barère confessa ensuite que sa pensée s’échappait vers ces actions qu’il prenait plaisir à héroïser en Prairial et Messidor an ii mais il sut toujours produire ce que nos contemporains appellent le story telling de l’heure. Il sut le faire, que l’affaire soit avérée, pour Fleurus, ou franchement controuvée dans l’affaire du Vengeur, un combat naval resté non moins célèbre puisqu’il orne le piédestal édifié par la IIIe République, place du même nom, à Paris.
21Soutenir qu’il est indigne de fuir son poste participe d’une vision de la centralité politique issue du despotisme éclairé qui pensait l’appareil d’État en termes newtoniens. À l’image mécanique d’une horloge suisse, Barère ajouta que le ressort tient aux passions et il reprit ces formules lorsqu’il rédigea De la pensée du gouvernement républicain en l’an v. La régularité définissait une science politique naissante mais en matière de passion, Barère garda l’idéal contre-réformé de Tesauro, l’ancien jésuite éducateur des enfants de la Maison de Savoie, qu’il avait entrepris de traduire à Bordeaux. La taxinomie du trop et du trop peu reversé aux qualités de l’homme éduqué en passe de devenir homme de pouvoir resta un classique dans le monde hispano-américain du XIXe siècle. Elle laissait subsister une image très pragmatique de la politique dans un cadre de pensée aristotélicien et humaniste sans déplorer la dimension dévastatrice que l’an v puis le XIXe siècle attribuèrent aux passions.
22Cette position engendra une historiographie qui permit aux détracteurs de la Révolution de rapporter tout ce qui est excès et vilenies aux Jacobins et plus particulièrement aux « noirs », les acheteurs majeurs des biens nationaux. La toile des internautes est emplie d’allégations et d’insinuations polémiques qui lient le nom de Barère et ces opérations d’enrichissement personnel à l’exercice de la Terreur. Il y a là confusion entre la politique de la Terreur qui tient d’abord à la volonté de contrôler la violence et la contre-violence et des alliances nécessaires qui correspondent à une diplomatie et à la politique extérieure. La haute banque ne pouvait se permettre un retour en arrière qui l’eût ruinée, mais l’anathème usuel qui reprend la Gironde au soir de son échec (« Barère ment ! ») opacifie des stratégies complexes et précises de chaque acteur, de chaque trésorier et de chaque maison. Soutenir une guerre contre l’Europe entière suppose en effet une gestion financière et des porosités aux frontières que les travaux en cours n’ont pas fini d’identifier, surtout du côté espagnol. Par ailleurs, Barère ménagea toujours Cambon, tandis que lui-même demeurait chez Savalette de Lange21 et s’il « savait tout », il n’en bougeait pas pour autant d’une étroite portion de la « rue Honoré » entre les Jacobins et le Comité de salut public.
23Barère ne comprit que tardivement que toute réinsertion politique lui était à jamais fermée. Plutôt qu’homme de lettres, ce qui impliquait une professionnalisation, il se voulut philosophe moral mais en 1806, il fit rééditer ses éloges académiques antérieurs à 1789 en se présentant comme « membre de plusieurs académies22 ». Venue la souffrance de l’exil, il inversa sa position de privation dans la fiction d’un prétendu Tartare sorti des confins du monde des steppes qui découvre la ville perdue et aimée, le Paris de tous ses regrets selon le mécanisme bien connu Lettres persanes23. L’anonymat le conduisit à noircir sans fin des feuilles volantes, le tract produit et enfoui dans le roc d’une ultratombe (c’est son propre mot) et à méditer le futur possible d’un présent ancré au passé qui ne passe pas, sombrant dans un univers résolument noir, car le deuil du pouvoir est douloureux et les mots de Dante, qui lui aussi, connut l’exil lui revenaient24.
Les voyages de la bibliothèque : philosophie et géopolitique
24Barère garda le vif souci d’être informé de géopolitique, la partie constante de l’histoire, dit-il. Ses multiples traductions le manifestent même si ce sont des travaux alimentaires de tâcheron. Il les conduisit toujours dans le sens de ses préoccupations propres et ne les récusa jamais. Lorsque son nom du traducteur est éludé, il l’a soigneusement restitué de sa plus vieille écriture. En sus de ses travaux manuscrits, il a fait suivre jusqu’à Tarbes des morceaux de bibliothèque qui comportent des volumes interfoliés afin d’être des outils de travail que l’on peut enrichir de commentaires. Le fonds Barère des Archives départementales des Hautes-Pyrénées présente donc sous les cotes 31 J des Lettres politiques, commerciales et littéraires sur l’Inde ou vues et intérêts de l’Angleterre relativement à la Russie, à l’Indostan et à l’Égypte25 ; la page de titre comporte d’une écriture très cassée « par M. Bertrand Barère de Vieuzac ». Même revendication pour les Essais sur le gouvernement de Rome, par Walter Moyle, traduit de l’anglais26. Des feuillets blancs reliés, cinq à la fois, en donnent une version de travail. Sous la mention de la traduction, page de titre, Barère a encore écrit à la main, « par B. Barère ».
25En exemplaire interfolié, il possédait également d’Eschassériaux le Tableau politique de l’Europe au commencement du XIXe siècle qu’il annota largement27. Or, Eschassériaux est un peu son héritier dans les instances officielles ; il fut proposé au premier renouvellement du Comité de salut public après Thermidor, celui qui fit sortir Barère, et il ne cessa de rapporter sur des thèmes proches. En poste en Italie il publia un texte à Vicence Degli interessi della repubblica francese e di tutte le potenze d’Europa28. Barère possédait également de Barthélemy les Mémoires historiques et diplomatiques, avec la mention manuscrite de sa main, en page de tête et d’une écriture vieillie : « avec des notes par Bertrand Barère faittes [sic] en l’an 829 ». L’ouvrage a été repris par vagues successives sur un grand nombre d’années puisque, page 205, son écriture très vieillie a inscrit un très vengeur, ou persifleur : « Républicains, ne craignez point que la royauté se rétablisse en France » et un gros « jamais » en face de la formule antérieurement soulignée. Ce jamais répond visiblement au « Jamais ! » (de retour en France pour les exilés) que le ministre de Serre prononça en 1820.
26Par ailleurs la cascade de ses productions anti-anglaises confirme ses positions de l’an ii. Les Lettres d’un citoyen français en réponse à lord Grenville, parues à Paris, an viii, chez les marchands de nouveauté, affichent dès l’exergue sa posture habituelle même si conjoncturellement il s’agit de préparer la paix d’Amiens :
« Quand il s’agit de clorre [sic] une grande révolution qui a déjà produit des changements extraordinaires en Europe, vous vous plaisez à envenimer des plaies et à en exagérer la profondeur, tandis que le véritable intérêt de votre pays est d’y porter remède. Ainsi donc, quand l’humanité réclame la paix à grands cris, le gouvernement anglais proclame la guerre avec fureur ! Aussitôt que la France est prête à traiter de la pacification générale, vous reprenez le projet affreux de la guerre d’extermination ! »
« Vous dîtes que l’état actuel de l’Europe ne lui permet de sûreté que dans la guerre : mais la guerre ébranle les trônes au lieu de les affermir ; la guerre affranchit les peuples, loin de les asservir. Où placez-vous la sûreté de l’Europe ? Est-ce dans ses armées ? la guerre les détruit : dans ses finances ? la guerre les dévore : dans ses gouvernements, la guerre les use et les renverse : dans ses maximes anciennes ? la guerre les rend nulles et stériles30. »
27Fustiger l’Anglais fut le dernier emploi qu’on lui confia avec la publication du Mémorial anti-britannique (1803-1804) avant que les Cent-Jours ne lui permettent de reprendre des considérations constitutionnelles et anti-bourboniennes. Non seulement Barère n’abdiqua rien de ses positions mais il les confirma par son silence refusant de faire commerce de ses mémoires avec un éditeur anglais, le seul possible, Paris et Bruxelles ne pouvant briser le consensus qui s’était établi sur sa disparition du champ public.
28On voit donc que c’est au mieux en publiciste resté homme de cabinet que Barère regardait le monde, de là son ralliement au Consulat jusqu’à l’Empire, puis lorsqu’il perdit tout crédit et qu’il se refusa lui-même à abdiquer de ses convictions, son rôle de rapporteur pour qui voulait bien l’entendre, de là l’éventuel rapprochement avec les diplomates russes car Paris a toujours rêvé alliance de revers. La manie du rapport diffusé selon d’autres critères que les nôtres (qui seraient ici anachroniques) le porta aussi vers les diplomates espagnols de Paris, sa crainte restant toujours l’alliance de Londres et de la Prusse. À chaque génération son rêve d’alliances, et là encore se situe une des matrices de la pensée du XIXe siècle héritière des bureaux de Choiseul.
29La position d’intellectuel avant la lettre et de publiciste en mal d’écriture se combina de façon assez inédite au lendemain de la Révolution quand l’homme politique évincé n’a pas nécessairement le statut de grand notable. Chercher à exister socialement, si ce n’est à survivre de sa plume, multiplie les « Rousseaux du ruisseau » ou des rédacteurs des bureaux d’esprit. Tous ne peuvent animer à la manière de Grimm jadis quelque grande entreprise du type de la Correspondance littéraire, des nouvelles à la main pour alerter tout ce qui compte en Europe, les souverains et leurs proches, les esprits de renom et les élites. Sous l’Empire, l’information à la satisfaction du souverain se réduit à la traduction des éloges les plus circonstanciels, ceux qui ne sont que prouesse du gran mestiere31. Le champ national n’étant guère favorable, les aubaines se raréfient. Pour autant, le premier souci de Barère est militant : il rédigeait des papiers qui passaient au marbre du Courrier des Pays-Bas en pleine crise philhellène de 1826, lorsque la chute imminente de Missolonghi mobilisait l’Europe. Il a tenu pendant dix ans un dossier sur ces questions32. On peut même suivre le parcours de sa méditation certes vagabonde mais construite et non « primesautière et fantaisiste » comme la définissait Alphonse Aulard (qui ne supportait pas le personnage).
30Une enquête indirecte peut être menée à travers une notice qui revient à une forme de célébration de la magnificence d’Alexandre le Grand peu dans le goût du XVIIIe siècle33. Elle permet de comprendre une logique de lecture et une curiosité dont la source n’est assurément pas classique, ni grecque, ni romaines. Le repérage des citations s’étendant sans limite grâce à la mémoire de Google, on finit par débusquer des similitudes qui signalent des sources auxquelles le chercheur n’aurait jamais songé. L’anecdote provient en effet d’un livre de Julius von Klaproth, les Tableaux historiques de l’Asie : depuis la monarchie de Cyrus jusqu’à nos jours34. Or, en 1828 au moment des négociations entre Russes et Perses, au début du « grand jeu », Barère repère et signale ainsi le recul de la Perse qui concède des territoires sur son Nord-Ouest, un fait d’actualité pour de rares milieux diplomatiques liés au rêve, toujours difficile, d’une alliance de revers cette fois-ci face aux Ottomans qui sont devenus des ennemis du fait du philhellénisme libéral. Darius et Alexandre donnent des images possibles d’un rapport de force fluctuant entre Grecs et Perses. Barère fait feu de tout bois et sort de la convention quand il s’agit de créer la tradition d’une position. Pour ce faire, il puise chez un inconnu, tel ce jeune linguiste féru de comparatisme. La renommée du jeune homme ne dépassait certainement pas le cercle des sinologues français (dont Rémusat) mais l’éventail de ses curiosités et son talent de cartographe le distinguaient néanmoins sans que l’on ne puisse imaginer l’ampleur de son futur travail de philologie en passe de classer la plupart des langues de l’Asie et de l’Afrique orientale. Dès lors, le maquillage antiquisant prend un sens particulier d’appropriation quand l’actualité politique commande à Barère de recourir aux voyageurs patentés et de leur faire confiance pour comprendre le monde.
31Plus proche de nous, l’Italie reste au centre de la réflexion de Barère, ce qu’a identifié Anna Maria Rao35. Les preuves en sont multiples, les notes infra-paginales sont des plus explicites :
« J’ai toujours pensé que la liberté de l’Italie était nécessaire à la liberté de la France ; que l’Italie divisée ne peut être que la proie de l’Autriche et de l’Angleterre ; que l’Italie indépendante est le boulevard du midi de l’Europe ; que l’Italie partagée ou possédée par une monarchie quelconque, rompait tout équilibre en Europe ; et que le sort de cette belle partie de notre continent, influera fortement sur la paix ou la guerre dans le monde36. »
32Pour l’Espagne et ses colonies ou l’Amérique des États-Unis d’Amérique, il souligne sa propre pensée d’un insistant : « de moi, an viii » en marge d’un manuscrit, comme chaque fois qu’il entend ne pas mélanger ses collectes d’anecdotes et divers écrits recopiés avec sa propre élaboration :
« L’alliance de l’Espagne et de la France, quelles que soient les formes de leurs gouvernements, est naturelle ; elle est fondée à l’union, à l’entr’aide et sur terre et sur mer. L’Espagne monarchique ne se soutiendra qu’autant qu’elle sera soutenue par le gouvernement de la France. L’Espagne, métropole des colonies, ne se maintiendra qu’étant appuyée par la marine française » (F 46,1 Cahiers de la Révolution).
33Sa déprise du monde et du pouvoir tint à sa réflexion de la chose politique à travers l’utopie du Voyage de Platon en Italie, traduit de Vincenzo Cuoco. Le Platone in Italia est un roman d’apprentissage pour sortie de crise et appel à l’unité italienne37. La ruse mac’phersonienne du manuscrit grec retrouvé par le grand-père de l’auteur en creusant les fondations de sa villa permet une modalité narrative consacrée. Le voyage est fictif, le décor néo-classique à l’instar de la vogue des « vases étrusques » de Campanie permet la projection du présent dans des temps lointains. Les codes du roman épistolaire, autre ficelle en vogue au XVIIIe siècle, renforcent le dispositif. Des voyageurs arrivent au petit matin sur des côtes hospitalières. Le héros principal est un jeune homme destiné à la vie politique par sa vertu comme par ses origines sociales. La séduction rhétorique fonde la dignité que l’on confère aux fondateurs de la philosophie et de la philosophie morale. Parangons de toutes les vertus, les noms de Platon et de Pythagore permettent la dialogie avec confrontations, ébauches et attentes si ce n’est un agrandissement épique du propos ou sa mise en suspens critique. Ce « grand tour » incarne la promesse d’un gouvernement sage. Est-ce à dire que la République en soit exclue ? Pas vraiment, Cuoco a su négocier les incertitudes de l’avenir par la polyphonie des temps et des personnages.
34L’expérimentation de la « révolution passive » et du triennio sont mis à distance. L’intemporalité restitue au passé d’une illusion un poids didactique accru à travers un exercice de doute et de prudence. L’arsenal des références répète encore au final, et par simple note infra-paginale, ce qui en renforce l’autorité discrète, la fragilité de ces esquisses, mais il y a eu « douce rêverie » dès la seconde page38. Cuoco n’en glorifie que mieux la plus ancienne des nations, celle des Samnites, « nation barbare, née des troncs durs des arbres » face aux régimes qu’instaurent les armées françaises, mais seul l’esprit du lecteur et du traducteur a voyagé dans l’espace et dans le temps.
L’exil, la proscription et les montagnes bleues des Pyrénées
35Pour autant que les autorités belges aient été accueillantes, et le roi correct, lui qui refusa de voir autre chose en Barère qu’un anodin Monsieur de Roquefeuille alors que de façon fort peu protocolaire, un diplomate français le désignait, Barère souffre de l’exil. Son écriture n’est plus qu’un refuge contre le « naufrage39 » et les « tempêtes de la vie40 », une consolation à l’amertume soignante du souvenir. Quand l’écrit n’engage plus rien d’une action collective, on sort de la configuration qu’a étudiée Anna Maria Rao pour les exilés italiens du Triennio, tous engagés en 1800 dans une année « de la mémoire et de l’histoire41 ». Amedeo Ricciardi avait été alors sollicité à Paris par l’écrivain anglais Helen Maria Williams42 tandis que le jeune capitaine de la Garde nationale Giuseppe De Lorenzo rédigeait des notes qui serviront beaucoup plus tard à ses mémoires43. Vincenzo Cuoco commençait même à écrire son « petit ouvrage » sur la Révolution de Naples dès son embarquement pour Marseille. Tous ces exilés, « explorateurs malgré eux » et « touristes » involontaires des terres abordées restaient d’abord des acteurs politiques non moins d’ailleurs que l’émigration politique contre-révolutionnaire44.
36La nostalgie des « délicieuses collines » du Pausilipe45 qui permit à Cuoco d’écrire « Un malheureux qui n’a pas de patrie n’a plus d’amis, et sans amis, il n’a plus de joie sur la terre » à Milan en janvier 180246 devient chez Barère, à partir du fameux « Jamais » de Serre en 1820, un cri : « Ne soyez jamais exilés, gardez-vous d’être proscrit… » et il tint des propos contradictoires sur ses nouveaux concitoyens « belgiques » (le mot est d’époque) :
« Les Belges sont si empâtés, si flegmatiques, si froids observateurs, si tranquilles amis qu’il m’a paru impossible de remarquer sur leurs visages immobiles quelques traces du sentiment de l’opinion ou de la pensée. Ils sont méditatifs, tout se passe chez eux dans l’intérieur de l’âme, s’il s’y passe quelque chose. L’intérêt personnel, le calcul ou l’instinct le plus général et le mieux exercé chez les Belges. C’est un peuple arithmétique, mais du moins il n’est pas malfaisant. Il est constamment hospitalier quoiqu’il ne se lie jamais avec l’étranger, intimement. Il lui est utile, mais en l’observant. Il interroge et réfléchit ensuite sur le parti qu’il a à prendre avec l’étranger ou à ce qu’il peut en tirer et en profiter ; puis ils s’entendent entre eux sur leurs comptes [sic] sans rien plus changer à leurs opinions47. »
37L’absence de tout projet politique crédible ne laissa plus place qu’a un intérêt de substitution, ce qui ne veut aucunement dire dénué d’empathie, pour la cause nationale des Grecs quand l’attente de l’annonce de l’échec de Missolonghi sollicita tous les cœurs sensibles et les orateurs généreux.
38En effet, sous Metternich, la mort civile et l’absence d’identité empêche Barère de publier et donc d’exister, même lors du « moment 1823 » qui mit à la mode les mémoires des Conventionnels régicides, telles des curiosités. Il manquait pourtant cruellement de revenus, n’ayant même pas de tenue convenable qui lui eût permis d’aller au théâtre sur invitation. En effet, et c’est ce que n’a pas su identifier Sergio Luzzatto dans son ouvrage pionnier sur les régicides exilés, un tournant que nous connaissons bien aujourd’hui se produit trente ans après les faits48. Une avalanche de publications détermina la nouvelle façon de se livrer à la narration. Les acteurs et témoins jusque-là exclus de toute autorité s’en légitimèrent à frais neufs. Barère qui ne s’est livré qu’au silence de ses Senilia, du nom de ses pensées quasi diaristes selon le terme néo-latin, en reste à son statut qui implique de se taire.
39Le retour de Barère à Tarbes se fit en pleine invention des Pyrénées romantiques. Lui qui savait signaler les fondateurs du pyrénéisme passa ses vieux jours à penser en administrateur toutes les formes de mise en valeur du pays. Il se préoccupa de canaux locaux comme il avait surveillé dès l’an ii le projet national49. En 1835, une vision comparatiste et ethnologisante accompagne un volume de Variétés pyrénéennes50. La vedette incombe désormais aux jeunes filles à capulet avec enterrements dans la montagne et les offices du 15 août en plein air, ce que je qualifie de « Lourdes avant Lourdes ». « Jamais la montagne n’a été aussi bleue », s’écrie Barère qui s’appesantit aussi sur une curiosité, la chasse « aux pendères », soit à la palombe, mais sans palombière, les hommes s’accrochant à de hauts mâts, qui ne sont que de simples pieux fichés en terre, et agrippés à ces poteaux, ils attendent les passages et jettent leurs filets51.
40En guise de conclusion, on peut alors dire que l’intérêt porté au particularisme représente un déclassement : les élites montantes regardaient le vaste monde, l’État, la centralité. Le romantisme rendit chacun à son canton, et fit le succès du local en tous ses états. On retrouva sur place l’autre, le peuple infériorisé et folklorisé tel que les années 1830 l’inventent dans le sillage des enquêtes qualitatives de l’Empire. Le retour au pays de ceux qui avaient quitté l’espace national par nécessité et que « l’on tenait pour morts parce qu’ils embarrassaient les vivants », pour reprendre la célèbre formule de Quinet, est synchrone d’une nouvelle pensée de la nation dans la dialectique du local et du national. Dès lors l’expérience du voyage nécessaire à qui veut gouverner le monde se banalisa pour en revenir à un fort trivial : « les voyages forment la jeunesse » qui n’excluait pas l’envoi des armées à la conquête coloniale. L’exotisme subsumait ce qui se tricote d’alliances entre des élites nouvelles ou anciennes et « le peuple » – toujours au singulier en tant qu’objet politique des constructions d’État – mais un peuple soldat.
Notes de bas de page
1 Voir « Le dialogue entre l’Homme aux As et le Chercheur de Falbalas » de Valère Novarina, Vous qui habitez le temps, Paris, POL, 1989, p. 39. V. Novarina évoque un reclus, des semonces, du silence et Oléron dans un désordre foisonnant. Cette voix actuelle du théâtre peut figurer l’époque et un personnage tel que B. Barère. Cf. Maïté Bouyssy, Trente ans après. Bertrand Barère sous la Restauration ou la rhétorique du Ténare, université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 1992, microfiches, Lille, PUL, 1993, p. 19.
2 Michel Taillefer, « La jeunesse toulousaine de Barère, 1772-1788 », in Maïté Bouyssy, José Cubero et Robert Vié (dir.), Bertrand Barère (1755-1841), de Tarbes à Paris… et retour, Tarbes, Éd. Guillaume Mauran, 2012, p. 23-44.
3 Pour les détails biographiques je reprends soit Jean-Pierre Thomas, Bertrand Barère, la voix de la Révolution, Desjonquères, 1989, soit parfois Robert Launay, Bertrand Barère, L’Anacréon de la guillotine, Paris, Taillandier, 1929, rééd., 1989.
4 Barère traduisit Vincenzo Cuoco sous l’intitulé de l’Histoire de la Révolution de Naples (voir la Ristampa anastatica della traduzione di Bertrand Barère (1807), éd. Anna Maria Rao, Maïté Bouyssy, Naples, Vivarium, 2001, Istituto italiano per gli studi filosofici). Voir particulièrement la fin du récit, lorsque l’examen des circonstances se fait plus lapidaire et qu’à chaque chapitre ne correspond plus qu’un rétrécissement du champ de l’action des révolutionnaires acculés par la situation.
5 Maïté Bouyssy, « L’éloquence ou l’impossible fuite dans l’encre », in Éric Négrel, Jean-Paul Sermain (dir.), Une expérience rhétorique : l’éloquence de la Révolution, Oxford, Voltaire Foundation, 2002 (coll. « Studies on Voltaire and the eighteenth Century », 2002-2), p. 277-296.
6 Pierre-Simon Ballanche édita L’Homme sans nom à Paris, Didot l’aîné, 1820.
7 Fonds Barère des Archives départementales des Hautes-Pyrénées (soit désormais ADHP), F 77, liasse de 450 feuillets.
8 Ramond de Carbonnières fut le secrétaire du cardinal de Rohan. La disgrâce de l’évêque de Strasbourg les envoya à la Chaise-Dieu puis dans les Pyrénées à Barèges afin d’herboriser et d’inventorier les richesses de cette autre Suisse.
9 Voir Robert Vié, « Retour à Tarbes, Barère et le département sous Louis-Philippe », in Bouyssy, Cubero, Vié (dir.), Bertrand Barère, op. cit., p. 102-118.
10 Voir Maïté Bouyssy, « Un philosophe moral dans le parc de Betz : la promenade de Bertrand Barère en 1788 », suivi de la publication d’un texte inédit de Bertrand Barère, « Promenades pittoresques dans le parc et jardin de Betz – rédigées en forme de lettres par Bertrand Barère », Polia, Revue de l’art des Jardins, no 6, 2007, p. 89-99, et p. 101-139. Ces lettres constituent une liasse de 50 feuillets ADHP, F 116 (210 × 170). La succession du brouillon et de la forme aboutie permet d’observer les modalités de travail et le travail de l’écriture chez Barère avant 1789, cf. Maïté Bouyssy, « Stratégie d’écriture et préromantisme, Bertrand Barère en 1788 », Annales du Midi, t. 105, no 202, avril 1993, p. 247-261.
11 La vallée de Campan a été magnifiée dès l’époque par Jean-Paul Richter (1763-1825) : cf. Jean Paul, La vallée de Campan ou l’immortalité de l’âme, Tusson, Du Lérot, 1991 (s.d. pour la publication initiale en allemand). Ce haut lieu pyrénéen fut étudié par Henri Lefebvre, La Vallée de Campan, étude de sociologie rurale, Paris, PUF, 1963. Voir aussi la bibliographie qu’en donne Édouard Lynch, Entre la commune et la nation : identité communautaire et pratique politique en vallée de Campan (Hautes-Pyrénées) au XIXe siècle, Tarbes, Association Guillaume Mauran, 1992.
12 Bertrand Barère, Mémoires de Bertrand Barère, Paris, J. Labitte, 1842, t. 1, p. 186.
13 Ibid., t. 1, p. 256-259. Il cite alors des extraits qu’elle inséra dans « une brochure portant le titre d’Exposé de la conduite de madame de Genlis pendant la révolution » [sic], soit son Précis de la conduite de Madame de Genlis depuis la révolution, Hambourg, Hoffmann, 1796 (Paris, Cerioux) qui affiche tout de même 335 pages.
14 Ce carnet porte la cote ADHP, F 112. 2. Sur ce Salon imaginaire, voir Maïté Bouyssy, « Barère : le Salon imaginaire ou le XXe siècle », Annales historiques de la Révolution française, no 2, 1993, p. 213-236. Le corpus lui-même est entièrement transcrit en annexe de ma thèse Trente ans après…, op. cit., La phobie des espaces vides apparaît dans les notices no 205 et 57.
15 Il mentionne une gravure de 1825 que Fortier aurait sortie chez M. Janet, rue des Saints-Pères, no 10 ; les notices évoquées portent les nos 11, 47, et 100 pour les Suisses.
16 Bibliothèque municipale de Tarbes, ce manuscrit réunit divers mémoires et plaidoiries de Barère antérieurs à 1789.
17 Voir ADHP, F 69, F 70 et F 71, soit des Études sur les Pyrénées, des Notes sur la Bigorre, notes, citations et réflexions, en 740 feuillets, Tarbes en l’an 2000, 9 feuillets sans doute distraits de la précédente liasse et Les Deux Vasconies : études historiques sur les provinces et le peuple basque, de 647 feuillets qui traitent d’un peu tout sur les Pyrénées depuis l’Antiquité et dans un espace bien plus vaste que le Pays basque actuel.
18 Cette thèse de 1925, soutenue en section de sciences politiques à l’Université de New York, devint Leo Gershoy, Barère, the Mediator of the Revolution, Ithaca, NY, Cornell University Libraries, 1990.
19 Voir Pierre Serna, « Barère penseur et acteur d’un premier opportunisme républicain face au Directoire exécutif », in Michel Biard, Pierre Serna (dir.), Une révolution du pouvoir exécutif ?, AHRF, 2003-2, p. 109. Pierre Serna parle des multiples productions de Barère sur le pouvoir exécutif qui révèlent une préoccupation explicite dans son livre majeur De la pensée du gouvernement républicain, s.l., floréal an V.
20 Jan Philipp Reemstma, Confiance et violence. Essai sur une configuration particulière de la modernité, Paris, Gallimard, coll. « NRF-essais », 2011 (1re éd. Hambourg, 2008).
21 Non seulement Barère fut reçu dès Toulouse dans le salon de Madame Cambon, mais Cambon n’a pas accablé Barère en l’an iii. En retour Barère n’a jamais dit avant ses Mémoires qu’une phrase qu’on lui imputait à tort sur le gouvernement qui battrait monnaie place de la Révolution (en comptant sur les saisies de gens condamnés et exécutés) était de Cambon. Barère respecte les circuits financiers indispensables au fonctionnement de l’État et plus encore à la menée de la guerre ; lui-même logeait 350 rue Saint-Honoré dans l’hôtel de Savalette de Lange, « gardien du Trésor national » sous la Révolution comme précédemment sa famille puis lui-même occupaient la fonction de « gardiens du Trésor royal » sous Louis XV et sous Louis XVI.
22 Michel Taillefer (art. cité) a identifié ces appartenances : le musée de Toulouse dès 1784, l’Académie royale des sciences, inscriptions et belles-lettres de Toulouse (en 1787) et l’Académie des jeux floraux en 1788 (laquelle oublia bien de l’inviter lorsqu’elle reprit ses travaux sous l’Empire, au moment où, discret appel, il republie ses éloges). Il fut également membre correspondant de l’Académie des belles-lettres de Montauban (1787).
23 ADHP, F 97, Le Tartare à Paris, inBouyssy, Trente ans après…, op. cit., p. 692-950.
24 On pense alors au titre et au choix de couleur de Robert Groborne dans son exposition le « Voyageur immobile » (galerie Alain Margaron, 5 rue du Perche, Paris 3e, 14 octobre-20 novembre 2010).
25 Lettres politiques, commerciales et littéraires sur l’Inde ou vues et intérêts de l’Angleterre relativement à la Russie, à l’Indostan et à l’Égypte ; dédiées à M. Dundas, ministre de la Guerre à Londres par le lieutenant-colonel Taylor, auteur des Voyages dans l’Inde et de plusieurs écrits politiques, traduit de l’anglais. À Paris, de l’imprimerie de Marchant, an IX-1801 (XXXII-427 p., 215 × 125).
26 Walter Moyle, Essais sur le gouvernement de Rome, traduit de l’anglais. Ouvrage utile aux hommes d’État et aux philosophes. À Paris, chez Léger, libraire, quai des Augustins, no 44. De l’imprimerie de Marchant l’aîné, an X-1801 (VIII-112 p., 210 × 125).
27 Eschassériaux, aîné, Tableau politique de l’Europe au commencement du XIXe siècle et moyens d’assurer la durée de la paix générale, Paris, Baudouin, imprimeur de l’Institut national, rue de Grenelle-Saint-Germain, no 1131, pluviôse an X, (92 p., 210 × 135 ADHP, J 30).
28 Eschassériaux, Degli interessi della repubblica francese e di tutte le potenze d’Europa. Dissertazione del Citadano [sic] Echasseriaux il maggiore, Vicence, Vendramini Mosca, 1797.
29 François Barthélemy, Mémoires historiques et diplomatiques depuis le 14 juillet jusqu’au 30 prairial an 7, s.l. n.d., 223 p. (cote ADHP, 31 J24).
30 ADHP, Carnet manuscrit F 47-3, p. 2-3 et p. 5.
31 Voir Alessandra Di Ricco, L’inutile e maraviglioso mestiere. Poeti improvvisatori di fine Settecento, Milan, Franco Angeli, 1990.
32 Voir Bouyssy, Trente ans après…, op. cit., « La cause des Grecs est la cause de l’humanité », p. 566-691.
33 Voir Chantal Grell, L’École des princes ou Alexandre disgracié : essai sur la mythologie monarchique de la France absolutiste, Paris, Les Belles Lettres, 1988.
34 Julius Von Klaproth, Tableaux historiques de l’Asie : depuis la monarchie de Cyrus jusqu’à nos jours, publié en 1826 à Paris, Scubart (éd.), librairie de Pontheu, Palais Royal, Galerie de Bois, mais aussi à Londres et Stuttgart, soit chez Treuttel et Wurtz, et chez Cotta.
35 Anna Maria Rao, Esuli. L’emigrazione politica italiana in Francia (1792-1802), Naples, Guida, 1992, p. 497.
36 Barère, Lettre d’un citoyen français en réponse à Lord Grenville, 1799, en note, p. 21.
37 Barère traduisit l’ouvrage en 1807 ; voir Maïté Bouyssy, « Platone in Italia », in id. (dir.), Vincenzo Cuoco. Des origines politiques du XIXe siècle, Paris, Publications de la Sorbonne, 2009, p. 53-72. Pour le roman en trois volumes, voir Vincenzo Cuoco, Platone in Italia, a cura di Antonino De Francesco, Annalisa Andreoni, Rome, Laterza, 2006.
38 On pourrait à ce propos user du concept émergeant de coping dans ses différentes modalités de mise à distance des faits et de re-légitimation des vaincus par le discours.
39 Voir Hans Blumenberg, Naufragio con spettatore. Paradigma di una metafora dell’esistenza, Bologne, Il Mulino, 1985. Voir aussi Emma Giammattei, « Retorica, immaginario letterario e mitografia del ‘ 99 », in Anna Maria Rao (dir.), Napoli 1799. Tra storia e storiografia, Naples, Vivarium, 2002, p. 815-838.
40 Mariasilvia Tatti, Le tempeste della vita. La letteratura degli esuli italiani in Francia nel 1799, Paris, Honoré Champion, 1999 ; sur les rapports entre exil et production littéraire, Randolph Starn, Contrary Commonwealth. The Theme of Exile in Medieval and Renaissance Italy, Berkeley/Los Angeles/Londres, University of California Press, 1982 ; et Jacques Heers et Christian Bec (dir.), Exil et civilisation en Italie (XIIe -XVIe siècles), Nancy, PU de Nancy, 1990.
41 Rao, Esuli, op. cit., p. 425-426, et notons-le, Barère avait fréquenté son salon.
42 Voir l’Aperçu de l’état des mœurs et des opinions dans la République française, vers la fin du XVIIIe siècle, par Hélène-Maria Williams, traduit de l’anglais par Madame [Sophie] Grandchamp, Paris, chez les frères Levrault, quai Malaquais, Strasbourg, chez les mêmes, an IX (1801) ; voir aussi Amedeo Ricciardi, Napoli 1799. Memoria sugli avvenimenti, éd. Silvana Musella, Naples, Franco Di Mauro, 1994. Sur les rapports entre Ricciardi et Helen Williams, cf. Rao, Esuli, op. cit., p. 441 et suiv.
43 Ses mémoires manuscrits, partiellement édités par Benedetto Croce, Nel furore della reazione del 1799. Dalle memorie inedite di una guardia nazionale della Repubblica napoletana (Giuseppe De Lorenzo), in Archivio storico per le provincie napoletane, XXIV, 1899, p. 245-302, ont été récemment publiés intégralement : G. De Lorenzo, Memorie, éd. Paola Russo, « Introduzione » de Anna Maria Rao, Naples, Vivarium, 1999.
44 Cf. Fernand Baldensperger, Le mouvement des idées dans l’émigration française (1789-1815), Paris, Plon/Nourrit et Cie, 1924, p. 44 et 47.
45 Cf. Vincenzo Cuoco, Scritti vari, éd. Nino Cortese, Fausto Nicolini, Bari, Laterza, 1924, p. 296-299.
46 Ibid., p. 300.
47 ADHP, F35-12, 1820. Voir Trente ans après…, op. cit., p. 221 et suiv.
48 Sergio Luzzatto, Mémoire de la Terreur, vieux Montagnards et jeunes républicains au XIXe siècle, Lyon, PUL, 1991.
49 En polytechnicien, Hippolyte Carnot, le fils de Lazare Carnot, en qui Barère eut suffisamment confiance pour lui confier la publication post mortem de ses Mémoires, accorda le plus vif intérêt à ce que Barère dit quand il déplore qu’on ne lui eût jamais attribué le mérite d’un plan que reprirent les bureaux selon des projets qu’il avait lui-même surveillés.
50 Voir les fonds F69, F70 et F71 des ADHP déjà cités et le travail de Robert Vié, « Retour à Tarbes », art. cité.
51 Voir Maïté Bouyssy, « Code romantique et pays natal chez Barère », L’Occitanie romantique. Annales de littérature occitane, 3, 1997, p. 143-160.
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