Les « atours » de la science républicaine en voyage à la toute fin du XVIIIe siècle et les effets du retour
p. 311-330
Texte intégral
1Deux images (ill. 1 et 2), rarement commentées et à ma connaissance jamais juxtaposées, me permettent d’aborder sans trop de préliminaires le thème a priori extravagant du voyage quand on l’associe à la fois à la science et à la république. L’intérêt de ces deux images vient d’abord de ce que la science n’y sert pas seulement de décor ou de symbole, tout en n’étant pas seule en jeu. La première (ill. 1) date de 1679 : Sébastien Leclerc est un mathématicien, mais surtout un graveur de talent qui, pour une publication savante, représenta l’unique visite que Louis XIV fit à l’Académie des sciences, fondée un peu plus de dix années plus tôt à l’instigation de Colbert et dont la gestion intellectuelle fut confiée au protestant hollandais Christiaan Huygens, seul représentant en l’espèce de l’idée de voyage, autrefois si forte comme pérégrination universitaire. Il importe peu de la dater précisément dans la mesure où l’illustrateur inventa le lieu de la réunion académique : des fenêtres non appareillées de la prétendue salle du Louvre où l’académie devrait se tenir, on serait censé voir l’Observatoire de Paris, effectivement en construction bien plus au Sud, au grand plaisir de l’astronome Cassini venu d’Italie. L’image est chargée de montrer les dotations étatiques faites à la science. Si c’est Colbert en grand manteau qui fait les frais de la visite en tant que bailleur de fonds, une double indifférence est sensible. Celle du roi pour les savants dans la mesure où les courtisans sont ses seuls interlocuteurs ; celle plus surprenante des savants pour le roi, en position centrale pourtant. Car ces derniers, tous occupés à leurs travaux et pris par leurs conversations, ne jettent pas un seul regard vers la majesté que l’on disait solaire (ill. 1). Sur ce dernier point, la seconde image est tout autre, encore que dans un cadre formellement semblable (ill. 2) : elle fixe à l’extrême fin de 1797, dans une salle du Louvre que l’on reconnaît fort bien, une séance de l’lnstitut1. Un homme en tenue d’apparat militaire paraît recevoir en chef d’État. Ce n’est pourtant que le général Bonaparte, auréolé certes des victoires de la campagne d’Italie, qui inaugure son siège en section de mécanique de la classe des sciences. L’empressement des savants auprès de lui est chaleureux, mais ce sont eux qui le reçoivent comme en témoignent devant les quatre Caryatides du Louvre le président de séance debout et le secrétaire.
Une connivence qui oblige des deux côtés
2L’image ne dit pas que Bonaparte remplaçait à l’Institut un ancien chef d’État, le directeur Lazare Carnot, en exil en Suisse depuis quelques mois après les journées de Fructidor2. Comme nous ne disposons pas d’images de l’élection de Carnot en 1796, une fois l’Institut déjà formé, nous ne pouvons pas juger de l’accueil particulier d’un politique en charge de l’exécutif, qui fut une première dans les annales d’une académie des sciences et qui peut sans doute être considéré comme un signe de la « régénération » révolutionnaire ayant mis au premier rang la « classe des sciences ». Ne s’agissait-il pas de dire concrètement comment vivre la science en république ? Cette initiative se poursuivit avec l’élection de Bonaparte. Si, à la différence de Bonaparte, Carnot avait à son actif des travaux de recherche en mécanique mais fut exclu de l’Institut « scandaleusement », si l’on peut dire, et à l’ancienne façon car sous le prétexte de la résidence académique les raisons en furent politiques3, son remplacement par Bonaparte, dépourvu de publications en mathématiques mais parlant cette langue, suffit à établir la connivence intellectuelle, et pourquoi ne pas dire idéologique et politique, nouvellement établie avec les savants. C’est celle-ci que révèle la présente image jusque dans les attitudes familières des uns et des autres, aucun autre public n’étant par ailleurs représenté ou admis à la séance. L’image n’a plus besoin d’exhiber la munificence de l’État pour la science à la manière du Roi-Soleil, à ceci près que la scène se passe entièrement chez les scientifiques, dans un lieu, le Louvre, traditionnellement lié au pouvoir4. On peut parler d’un activisme savant, très loin de l’indifférence manifestée dans l’image de Sébastien Leclerc.
3De cette connivence nouvelle avec les savants qui a été instaurée par la République thermidorienne et qu’on ne précisera pas davantage, il convient de cerner les configurations mentales qu’elle a créées. Je ne reviens pas ici sur la mobilisation des savants de l’an ii et le « lobby » scientifique auprès du Comité de salut public ; je chercherai plutôt à déterminer le rôle d’un voyage très particulier en Italie. L’expédition militaire avait aussi été un « voyage républicain », cet adjectif étant amplement justifié par la création des républiques sœurs5, à commencer par la République cisalpine. On rencontre en outre ici une connotation, certes inattendue, du voyage : en ce sens que furent rapportés des « souvenirs ». C’étaient les œuvres d’art officiellement pillées en Italie, une munificence en quelque sorte gratuite pour le Directoire, avec en particulier des manuscrits dont celui des « Éléments d’Euclide » dans une version ne comportant pas les modifications de Théon d’Alexandrie du Ve siècle de notre ère, et qui allait donner lieu à une traduction française par le bibliothécaire de la nouvelle École polytechnique6. Dans le défilé au Champ de Mars dont il a été gardé trace imagée et où furent exhibés les « souvenirs » du voyage (ill. 3), les collections d’histoire naturelle vinrent en premier, puis les chariots où étaient annoncés par des pancartes les livres, les séries de caractères d’imprimerie de langues orientales ou les manuscrits, avant que ne fussent enfin exhibées les œuvres d’art. Ce sont les premières et les dernières que le dessinateur a préférées (par exemple les dromadaires et les sculptures des quatre chevaux de Saint Marc). Ces œuvres sont symboliquement reçues à Paris en 1798 pour fêter le quatrième anniversaire de la chute de Robespierre, qui était associé au vandalisme révolutionnaire destructeur de culture, manifestant d’autant plus la manne culturelle italienne et un tournant mental.
4Bonaparte avait été accompagné en Italie de deux savants, Monge et Berthollet, qui furent fort actifs dans cette quête culturelle qui était loin d’exclure le monde scientifique. Relevant de la propagande, l’idée était que grâce à « l’Italique » Bonaparte, la Péninsule transmettait effectivement à la France républicaine le flambeau du savoir et des arts, la République le débarrassant de l’éteignoir sous lequel la « superstition » l’avait tenu. Aussi bien, bénéfice immédiat du retour d’un voyage, ces deux savants facilitaient quelques mois plus tard l’entrée académique de Bonaparte. Le général avait pris contact avec le mathématicien Lagrange, le Nestor de la science française né à Turin et voyageur européen, mais aussi avec Laplace. Ce dernier est pourtant le premier savant français de grande envergure qui ne voyagea jamais à l’étranger. Mais du voyage scientifique Laplace faisait de façon originale une arme épistémologique, même si c’était par le voyage des autres : il organisait à Paris dès la fin de l’été 1798 le premier congrès international de savants. Cette réunion, ancêtre de tant d’autres et matrice d’un habitus savant d’aujourd’hui, visait la définition des mesures pour le système métrique officiellement qualifié de « républicain » par l’article 5 de la loi du 18 germinal an iii. Des représentants des républiques sœurs, et de quelques autres pays à l’exception majeure de la Grande-Bretagne, assurèrent le gros des membres du congrès dont la symbolique du progrès voulu par la république fut suffisamment forte pour faire inscrire les résultats dans la Constitution de l’an viii, proclamée alors que Laplace était précisément ministre de l’Intérieur7. L’essentiel du contenu scientifique, mais peut-être aussi de la thématique républicaine, résidait dans le fait que la communauté savante, indépendamment des frontières, se donnât à voir dans un travail effectif et collectif. Les historiens ont par ailleurs justement souligné l’activisme savant manifesté par la standardisation de la vie sociale (pensons à l’invention du « litre » de vin, au-delà même du calendrier supprimant la semaine), en connivence intellectuelle suffisamment forte avec le personnel politique pour rendre obligatoire la pratique décimale qui abolissait la spécificité des produits mesurés (un litre de vin se dit désormais comme un litre de lait et contient toujours dix décilitres).
5Un an plus tôt, un autre voyage encore, l’expédition d’Égypte, militaire à l’instar de la campagne d’Italie qui donnait à Bonaparte une gloire à la mesure de celle des Marius et Pompée, mettait également en cause des savants et leurs relations directes avec le politique. Le cadre cette fois-ci était une sorte de colonisation, assortie d’une entreprise intellectuelle d’envergure qui donnera lieu à la monumentale Description de l’Égypte et à la naissance d’une spécialité, l’égyptologie. C’est là un aspect scientifique à ne pas négliger. Peut-on pour autant attribuer un caractère républicain à ce voyage, alors que « pour la première fois peut-être, l’on voyait les sciences et la guerre voyager ensemble8 » ? La connotation républicaine passe-t-elle par l’exportation de l’idée de progrès, symbolisée par celle que la définition du mètre installait dans la nouvelle constitution française ? Il faut nuancer la qualification de ce progrès en parlant plutôt de gestion scientifique, et c’est ce que nous devons interroger en constatant que se dessinent des configurations nouvelles à l’issue de ces voyages.
6Car, dans un laps de temps de seulement quatre années, trois voyages il est vrai fort originaux permettent d’éclairer ce que peinent à établir les historiens tout comme les sociologues des sciences qui trop souvent adoptent des vues unilatérales. Il s’agit de la façon dont la science est intervenue non seulement comme ressource technique et comme arme définissant une politique, voire une gestion, mais aussi comme type de gouvernance collégiale dont les savants se sont emparés jusque dans les formes du jugement technique, outrepassant de très loin le rôle d’experts que leur avait conféré à l’époque des Lumières l’Académie des sciences. Ce n’est certes pas ce vaste sujet qui sera précisément traité ici. Dépassant une question par ailleurs fondamentale pour les études sur la science et autres « science studies9 », les trois « voyages » que je viens de citer – et qui lient la Convention thermidorienne au Directoire – peuvent parce qu’ils sont des allers-retours10 et s’ils sont convenablement interrogés, permettre de jauger en France la reconfiguration des mentalités sur l’enjeu des sciences pour le progrès, la régénération et la révolution. Cette reconfiguration n’aide-t-elle pas en outre à comprendre la réception si favorable aux réformes du Premier consul, qui n’oubliait pas de joindre à ce titre celui de membre de l’Institut ? Commençons donc l’enquête sur ces voyages et leurs conséquences par une question.
La science ne fut-elle qu’une propagande publicitaire dans la campagne d’Italie ?
7Sans éluder la volonté de pillage des richesses italiennes – « l’abondance est derrière une porte que vous devez enfoncer11 » –, Carnot avait théorisé le lien culturel et idéologique que le politique – en l’occurrence le général Bonaparte – devait entretenir avec les savants à l’occasion de la campagne d’Italie. En effet, il avait conseillé à Bonaparte entrant à Milan d’y favoriser les savants12. Bonaparte ira jusqu’à annoncer que ceux-ci seront traités comme des Français ! C’est qu’ils relevaient de la science universelle – universelle comme se voulait la République dont l’exportation était tentée avec la création de la République cisalpine et de la République ligurienne. Et il étendait la protection à tous les hommes de génie, ce qui témoigne d’un sens assez précis de l’accaparement :
« Les sciences, qui honorent l’esprit humain, les arts, qui embellissent la vie et transmettent les grandes actions à la postérité, doivent être spécialement honorés dans les gouvernements libres. Tous les hommes de génie, tous ceux qui ont obtenu un rang distingué dans la république des lettres, sont Français, quel que soit le pays qui les a vu naître13. »
8Afin de ne pas envoyer de mauvais signe, Carnot ne faisait pas allusion au geste du général Marcellus qui enjoignait à ses soldats, lors de la prise de Syracuse en 212 avant notre ère, de protéger Archimède (ill. 5). C’est du moins l’une des interprétations que donnait Plutarque, qui ajoutait toutefois que le célèbre savant fut tué, façon de dire que les Romains ne savaient pas protéger ni propager l’héritage grec. Cet exemple était pourtant dans toutes les têtes révolutionnaires, éprises comme l’on sait d’exemples antiques. Une autre allusion historique fut donc mobilisée puisque la conquête française au nom de la liberté (ill. 4) s’accompagnait d’une libération des esprits. Elle pouvait revendiquer la tutelle symbolique de Galilée, l’homme condamné par l’Inquisition en 1633, alors que le pape intellectuel Benoît XIV n’avait pas pu lever la condamnation dans les années 1750, même si l’héliocentrisme n’était plus interdit. En combattant le pouvoir du pontife romain, Bonaparte délivrait les savants de la tutelle du dogmatisme. Il l’écrivit d’abord à l’astronome Oriani, comme le lui demandait Carnot :
« Les savants, dans Milan, n’y jouissaient pas de la considération qu’ils doivent avoir. Retirés dans le fond de leur laboratoire, ils s’estimaient heureux que les rois et les prêtres voulussent bien ne pas leur faire de mal. Il n’en est pas de même aujourd’hui : la pensée est devenue libre dans l’Italie. Il n’y a plus ni inquisition, ni intolérance, ni despotes. J’invite les savants à se réunir et à me proposer leurs vues sur les moyens qu’il y aurait à prendre, ou les besoins qu’ils auraient, pour donner aux sciences et aux beaux-arts une nouvelle vie et une nouvelle existence14. »
9Le thème de la régénération est complété par celui du travail collectif qui dépasse la mention alors nouvelle du laboratoire : c’est en se concertant à la manière des académies que les savants peuvent aboutir à quelque résultat. C’est en étant politiques qu’ils auront l’oreille des politiques. Bonaparte ne parle pas d’utilité : il laisse l’initiative au corps savant. Mais il désigne un ennemi commun à l’idée républicaine et à la gent savante. Peu de temps après, lors de l’entrée dans Pavie, il y eut des émeutes, « crucifix et moines en avant » ; pour les contrecarrer, Bonaparte demanda que les cours reprennent aussitôt à l’université, car il voyait un appui possible chez les professeurs, malgré l’occupation militaire. Ce n’était pas gagné d’avance et toutes les difficultés de la guerre de conquête et de libération se profilaient. D’autant que l’anticléricalisme militant d’un Monge par exemple, si remarquablement souligné dans sa correspondance italienne avec sa femme Catherine Huart15, mais aussi l’athéisme peut-être tout aussi militant de Berthollet, qui était l’autre savant accompagnant Bonaparte, paraissaient à ces deux savants comme entés sur l’idée même de la République. Ils justifiaient donc sans état d’âme le pillage. À Paris toutefois, Carnot ne l’entendait pas ainsi, protégeant plutôt les intérêts politiques du pape, ce qui lui sera reproché. Bonaparte savait, après Fructidor et la mise à l’écart de Carnot, qu’il n’avait rien à craindre sur sa politique en faisant porter par Monge à Paris l’annonce de la paix. Le ministre des Relations extérieures, lors de la séance publique du Directoire exécutif, fut un peu ennuyé par ce choix de Monge, ancien ministre de la Marine déjà jacobin du premier gouvernement républicain, et il parle d’une renommée à défendre par ce savant :
« Monge fut choisi. Son ardent patriotisme, son amour religieux pour les arts, cette soif si légitime de renommée dans la carrière des sciences, dont il a reculé les limites, furent des titres sacrés aux yeux du gouvernement16. »
10Monge, fidèle à son image, s’avéra vindicatif, et il retourna sur le Directoire l’argument de la gloire qui s’attachait à une mission historique de déchristianisation :
« Alors, citoyens directeurs, le champ de la gloire ne sera pas encore entièrement moissonné pour vous. Vous aurez dans l’intérieur deux ennemis mortels à combattre, l’ignorance et la superstition ; vous aurez à détruire de tous les esclavages le plus humiliant et le plus fatal au genre humain17. »
11Une année et quelques mois plus tôt, lors de la première séance publique de l’Institut et en présence cette fois de Carnot, le président du Directoire exécutif avait manifesté que « ses collègues et lui regardaient comme une de leurs principales obligations celle de protéger les sciences et d’encourager le progrès des lumières18 » (ill. 6). Il entendait à sa façon éviter le retour des comportements de la Terreur, et comme le rapporte Le Moniteur avec un certain vague :
« Il a promis que des souvenirs douloureux, des parallèles avilissants, ne troubleraient plus les travaux des savants et des littérateurs. »
12Dans la séance publique du Directoire exécutif du 20 frimaire an vi, Bonaparte lui-même y alla d’un couplet à la portée historique plus militante, quoiqu’il le concluait par l’idée politique de la représentativité populaire. Or, les élections avaient montré un an plus tôt une poussée royaliste, dont Carnot voulut tenir compte, mais il fut balayé.
« La religion, la féodalité et le royalisme ont successivement, depuis vingt siècles, gouverné l’Europe ; mais de la paix que vous venez de conclure, date l’ère des gouvernements représentatifs19. »
13Effet direct de retour de ce voyage, des professeurs de l’université de Pavie où il y avait eu des révoltes viendront pourtant à Paris, comme Lorenzo Mascheroni dans le cadre du congrès international déjà évoqué, puis à peine plus tard Alessandro Volta, muni de la fameuse pile. D’avance, Bonaparte se posait comme propagateur vers la France des idées de Mascheroni sur une géométrie n’utilisant que le compas, et en décembre 1797 Le Moniteur universel se faisait l’écho… de constructions pour la division du cercle. C’était reprendre de vieilles questions euclidiennes, loin pourtant de l’analytique qui faisait l’actualité mathématique parisienne20. Effet de retour encore, et d’une façon d’abord discrète, la formation différente des universitaires italiens, qui avaient été frottés de philosophie scolastique et qui connaissaient mieux Aristote que leurs collègues français21, ainsi que leur résistance à l’esprit destructeur de « superstitions » donnaient à réfléchir sur les dangers du dogmatisme antireligieux, si fort au temps de la Terreur, communément rejetée alors22. Ne doit-on pas imaginer que la politique du Concordat, celle de Bonaparte en 1801 à Paris, ait été un effet lointain du retour d’Italie, signe d’une reconfiguration qui avait atteint jusqu’aux plus militants des savants ? En fait, il est utile à ce propos de faire intervenir l’autre voyage, celui d’Égypte, également important sur la question religieuse, cette fois avec l’Islam.
14La science fut bien utilisée comme propagande publicitaire de type idéologique lors de ce que j’appelle ici le voyage d’Italie, mais le contact avec des savants italiens, y compris chez les durs comme Monge et Berthollet qui finirent par s’incliner, prépara en retour une politique où la religion n’était plus rejetée. Elle était directement instrumentalisée au service du pouvoir. Incidemment, mais non gratuitement, Fourier fera remarquer dans sa Préface historique à la Description de l’Égypte, publiée en 1810 (et antidatée à 1809 par ordre de Bonaparte), comment déjà les pharaons du temps de l’Égypte glorieuse et pacifique avaient eux aussi instrumentalisé la religion. C’était joliment inventé pour pouvoir évoquer dans l’empire napoléonien la question de la tolérance religieuse face aux Lumières militantes.
Le laboratoire d’Égypte et l’activisme savant
15Participant du même sujet que les deux premières images montrées, issue pourtant d’un voyage plus lointain encore que l’Italie, une image signée Vivant Denon (ill. 7) établit la nouvelle donne en représentant le général Bonaparte inaugurant au Caire le 6 fructidor l’Institut d’Égypte23. Il est accompagné du secrétaire que l’on n’ose pas dire « perpétuel » puisque l’Institut fut des plus éphémère au Caire : il s’agit de Fourier qui occupera le poste éponyme en 1822, à Paris cette fois. Il aura entre-temps été préfet de l’Isère à Grenoble, participera au lancement du jeune Champollion vers les hiéroglyphes par la langue copte et fera les expérimentations et les calculs qui donneront la Théorie analytique de la chaleur, un « poème newtonien » selon l’exclamation de Maxwell24. Si Bonaparte est chez lui à l’Institut du Caire, son attitude décidée est partagée par tous les savants présents, alors qu’il n’est nullement question de transformer l’Égypte en une république sœur, ni d’en faire une gigantesque école de savants. Pourtant, l’activisme est en quelque sorte montré comme devenant la norme : il résulte davantage d’une mentalité que d’un acte de science, mais il fallait donner une raison d’être à ces jeunes et moins jeunes débarqués à Alexandrie et retenus en Égypte du fait de la perte de la flotte25. Détail en contrepoint certes, une autre image de Vivant Denon, rendue publique en 1802 avec le fameux Voyage en Haute et Basse Égypte, montre le palais de l’Institut au Caire, côté jardin cette fois, avec un kiosque « où l’on peut reposer sa nullité » comme le dit si joliment et nonchalamment Denon. Cette expression traduit la vision désabusée d’un écrivain qui a connu la cour de Louis XV et qui s’interroge sur l’activisme de chercheurs savants de l’Institut, à l’instar de Fourier, Monge, Berthollet et de tant d’autres. Il les représentera d’ailleurs un rien ridicules lorsque, perchés au sommet d’une ruine, ils évoquent les hypothèses possibles sur l’Antiquité égyptienne ; la bande dessinée des Fenouillard reprendra la caricature en faisant chercher au sommet de la pyramide de Chéops les quarante siècles qui doivent « contempler » les visiteurs, selon le mot fameux de Bonaparte.
16J’avais donc, il y a plus de vingt ans, proposé l’expression de « laboratoire d’Égypte » pour rendre compte d’un double façonnement entre savoir et pouvoir26. On a d’abord eu celui d’une science et des techniques des Lumières qui en rencontrant un passé inconnu apprirent à dire les conditions d’avenir de l’Égypte dans une sorte d’aménagement projeté du territoire : cela donnera la Description de l’Égypte terminée sous la Restauration27 seulement et l’égyptologie comme science encyclopédique, mais aussi comme « science d’application » à l’Égypte moderne, ancêtre véritable d’une gouvernance positive qui excite tant d’esprits aujourd’hui. Il y eut aussi bien l’établissement des relations entre connaissance et pouvoir, justement dans les conditions discutées d’une monarchie absolue – celle des pharaons vue comme une théocratie appuyée sur le mensonge religieux – face à la république incarnée au Caire par la cohorte des polytechniciens, fruits du système méritocratique républicain, positivistes avant la lettre jusque dans leur état de « fonctionnaires du savoir ». L’activisme savant devenait ainsi une fonction citoyenne. Deux images explicitent aisément cet état d’esprit. L’une est un portrait de Fourier par André Dutertre qui a si bien portraituré les membres de l’expédition : il décrit une scène d’enseignement (ill. 8) et c’est sans doute une première dans l’iconographie puisque Fourier écrit des formules mathématiques au tableau avec l’allure décidée de Bonaparte, qui avait d’ailleurs à un an près son âge. L’autre image est le portrait d’un élève de Fourier qui passera au Caire les examens de sortie de l’École polytechnique et qui est représenté dans un travail particulièrement actif de prise de notes sur le terrain, arborant pourtant un cimeterre des mamelouks ennemis (ill. 9). Dans ses mémoires, Édouard de Villiers du Terrage raconte comment sur les rives du Nil il reprit avec fermeté son étude des mathématiques, une fois seulement les pyramides visitées et après quelques morceaux d’éloquence que je ne reprends pas ici, annonciateurs de la prose romantique sur les grandioses ruines témoins de la chute de toutes les civilisations :
« Je me trouvais au Caire sans occupation spéciale. Je repris alors mes études en mathématiques, aidé de quelques livres et des manuscrits que j’avais emportés28 […]. J’avais fait encore un extrait de l’ouvrage de Lacroix, en correspondance avec les leçons d’analyse de Fourier29. Mes notes, prises aux leçons, allaient jusqu’au 24 Prairial, c’est-à-dire six jours avant mon départ pour l’Égypte. À ce moment-là, M. Fourier me faisait travailler en vue de notre absence, en me demandant des copies de mémoires imprimés dans les collections académiques qu’il ne pouvait emporter ; mémoires dont il prévoyait avoir besoin, tels la théorie de la figure de la Terre par Clairaut30 […] Bien m’en prit de m’être remis à ces études, car il fut décidé que les élèves de l’École polytechnique attachés à l’expédition subiraient des examens d’admission dans les services publics […] Je fus examiné par Monge le 15 Vendémiaire an vii31. »
17Quelques jours plus tard, le 30 Vendémiaire, l’insurrection du Caire débutait, et cependant le 12 Brumaire le jeune homme était nommé « ingénieur des Ponts et Chaussées par le général Bonaparte ».
18Du côté des mentalités, on aurait donc tort de tenir pour négligeable l’étonnante rencontre dont témoignent tant de mémoires, qui se fit sur quelques courtes années entre un certain nombre des 27 000 soldats de l’armée de la République, en majorité des officiers, et la centaine ou plus de savants et ingénieurs qui manifestèrent une activité dépassant de loin les requis professionnels très réglementés des corps techniques, civils ou militaires : j’en veux pour preuve le qualificatif goguenard de « savants » donné d’abord par la troupe aux ânes chargés de les transporter, les soldats devant quant à eux marcher à pied. Et les savants devinrent également des soldats, devant faire le coup de feu, notamment lors de l’insurrection du Caire dont tous parlent avec étonnement. Ainsi lorsque furent détruits des instruments scientifiques. Cette présence de la gent savante et technocratique au sein même de la troupe correspond, mutatis mutandis, au coup de force qu’exercèrent les savants sur la Nation en imposant le système métrique décimal républicain. Parallèlement en effet à la campagne d’Égypte et à la virée palestinienne, à Paris quelques voyageurs savants venus des républiques sœurs ou associées et de quelques rares royaumes se réunissaient pour mener un long travail de vérification des mesures de la longueur de l’arc de méridien par Delambre et Méchain en vue de définir l’étalon du mètre, mais aussi le kilogramme, ce qui devait donner une base calculée au système général. Si l’on reconnaît que le système métrique participait d’une laïcisation forcée de la société française – par la suppression de la semaine, du calendrier grégorien et des fêtes ou vigiles de fêtes de saints –, on oublie trop que ses bases scientifiques – l’aplatissement de la Terre au pôle selon l’intuition newtonienne notamment calculée par Legendre et Laplace à partir du modèle d’une planète liquide tournant autour d’un axe encore en 1790, la précession des équinoxes explicitée plus tôt par le calcul par Jean d’Alembert en 1746 – travaillèrent un imaginaire français assez préparé. Ne voit-on pas en 1791 Jean-Paul Marat prétendre, dans son pamphlet Les Charlatans modernes, que les académiciens en charge d’un système de mesure à mettre en place copiaient en fait les anciens Égyptiens et n’avaient donc aucun mérite, ni bien sûr aucun salaire à recevoir de l’État ? Marat est pourtant l’un des premiers à employer le substantif « scientifique » en restreignant ainsi la signification aux seules activités de l’Académie des sciences afin de désigner ce que l’on appelait généralement et que l’on continuera pendant de nombreuses décennies encore à appeler un « savant » :
« Il y a quelques mois qu’un député à l’Assemblée nationale, soufflé par un auteur, proposa de décréter l’égalité des poids et mesures pour tout le royaume. La proposition fut accueillie et renvoyée à l’Académie des sciences, pour déterminer les moyens d’exécution. Aussitôt, MM. les scientifiques de se rengorger, puis de mettre leurs scribes à l’œuvre, et d’accourir au sénat, pour annoncer que l’Académie avait trouvé que la meilleure méthode de remplir les vues de l’assemblée était de déduire toutes les mesures de celle de la circonférence du globe terrestre ; méthode que des plumes vénales ont aussitôt annoncée comme une superbe découverte de nos docteurs. Mais d’où croyez-vous que vienne cette méthode sublime ? Des Égyptiens. C’était pour la transmettre aux siècles à venir que furent élevées ces fameuses pyramides que tant d’ignares voyageurs ont prises pour des monuments éternels de la grossièreté de ces peuples. Et d’où croyez-vous que nos académiciens ont tiré ce magnifique système ? Ils l’ont tiré mot à mot du traité sur les poids et mesures des Anciens, publié par Romé de l’Isle, savant distingué, dont ils ont eu soin de taire le nom, pour le piller impunément depuis sa mort, après l’avoir persécuté toute sa vie. Mais le beau du jeu, c’est que, sous prétexte de mesurer un degré de méridien (si bien déterminé par les Anciens, et dont il serait impossible d’altérer aujourd’hui la mesure, sans renverser cet admirable système), ils se sont fait accorder par le ministre cent mille écus pour les frais de l’opération ; petit gâteau qu’ils se partageront en frères32. »
19En 1803, n’oubliant sans doute pas les différents éléments de la diatribe de Marat, Jean-Baptiste Biot qui devenait très jeune professeur de mathématiques au Collège de France cette année-là parlera de « l’atelier obscur » des savants33. Où aurait été préparée la réforme décimale dont on ne dira jamais assez à quel point elle transforma l’esprit de ceux qui l’employèrent, même s’ils y furent contraints. Par cette image, Biot voulait sans doute dégager l’action scientifique de son contexte éminemment politique, en l’occurrence jacobin, de laïcisation. En contrepartie, il retournait l’argument de Marat et manifestait une politique propre aux savants, lesquels, sous le prétexte de mise au point des étalons de mesure, se devaient de cacher leur travail de vérification pratique des équations de la mécanique céleste en s’intéressant à l’ellipsoïde aplati qu’était la Terre. Biot parlait donc d’une politique en quelque sorte mensongère parce qu’on n’avait pas pu assumer publiquement l’activité des scientifiques dans la Nation pendant la Terreur, en dehors de la fabrication d’armes et de munition. Il y avait même eu un effet de « sans-culottisation » de la science, c’est-à-dire une contrainte de l’utilité immédiatement visible de la pratique scientifique. La politique radicalement autonome des savants s’inscrivait après Thermidor dans un cadre républicain, au seul sens où il en était rendu publiquement compte devant les représentants politiques : l’argent dépensé l’avait été à bon escient puisque rien n’était caché. La première séance publique de l’Institut en 1796 (ill. 6) ne paraissait à Biot qu’une continuation de la forme culturelle d’Ancien Régime, alors qu’était effectivement nouvelle la présentation des travaux scientifiques par Laplace à la fin de l’an iv au corps législatif (Conseil des Cinq-Cents et Conseil des Anciens). La Décade philosophique ne manquait pas de diffuser les discours des uns et des autres, mais en offrant aux savants une tribune où il n’était pas nécessaire de transiger avec une publicité démagogique. Plus encore, le dépôt public à la fin de 1799 de tout ce qui avait été le travail de la Commission des poids et mesures, un temps épurée, puis devenue Agence, justifiait à la fois le coût de l’opération et la confiance qu’on pouvait lui accorder, d’autant que les savants en congrès avaient refait les calculs et tout vérifié. Loin d’être obscur, l’atelier s’internationalisait34 avec le congrès du système métrique voulu à Paris dont les résultats sont scientifiquement décrits dans la Base du système métrique de Delambre, repris un siècle plus tard de façon historique et critique par Bigourdan35.
20Un an plus tôt, en Égypte, l’« atelier savant » avait été public, du moins au sens que l’occupant donnait à ce terme puisque seule la langue française était utilisée pour décrire ; il était autonome à cette nuance près que le généralissime Bonaparte, certes en tant que membre de l’Institut, y ordonnait les travaux à effectuer en priorité, laissant cependant aux autres membres une réelle latitude (ill. 7). Ces travaux rencontrèrent-ils l’accueil attendu de la part des Égyptiens ? La révolte du Caire survenue au tout début de la présence française signale une sorte d’échec a priori. L’exemple toujours repris par les nombreux historiens de l’expédition d’Égypte est celui d’une montgolfière s’envolant dans le ciel du Caire, sans émouvoir pour autant les habitants, alors que ces spectacles avaient suscité une intense émotion une quinzaine d’années plus tôt en Europe. On montre une image qui manifesterait cette prétendue indifférence (ill. 11). Un important témoin local, Al-Jabartî, décrit au contraire avec soin l’appareil et s’explique à sa manière, d’ailleurs aristotélicienne, l’effet d’envol :
« La fumée montait dans l’étoffe, mais ne trouvant pas l’issue, elle la tirait vers le haut. On tendit les cordes pour faciliter l’ascension de la sphère, puis on les coupa. Alors la sphère monta en l’air, se déplaçant lentement suivant le vent ; puis, le cercle portant la mèche s’étant détaché, l’enveloppe en étoffe tomba, répandant quantité de papiers imprimés36. »
21Ces papiers étaient de la propagande pour l’« ingéniosité » française, mais al-Jabartî souligne au contraire que les gens ne tarissaient pas en réflexions. Et André Dutertre pousse le jeu assez loin en représentant al-Jabartî, ou un cheik proche, dans la même attitude de prise de notes que de Villiers (ill. 10). Lorsque l’expérience aérostatique est à nouveau tentée en janvier (ill. 11), il indique :
« Les gens se rassemblèrent donc l’après-midi. L’aérostat s’éleva dans le ciel, dépassa les collines d’al-Barqiyya, puis tomba. Si le vent avait été favorable, il aurait disparu du regard et, le tour étant joué, les Français auraient raconté que le ballon était parti pour de lointains pays37. »
22Le témoignage d’un militaire français permet de mieux situer la remarque précédente, qui est loin d’être négative :
« On fit aussi partir un superbe ballon qui plana sur la ville près de deux heures. Pour ce coup-là, les Turcs crièrent au sortilège, et nous eûmes toutes les peines du monde à pouvoir les persuader que ce n’était que le gaz qui produisait cet effet38. »
23Précisément, il s’agit pour les Français de ne pas permettre la confusion de leurs démonstrations avec de la sorcellerie. Et de la même façon, un uléma amène le chimiste Berthollet qui fait une démonstration à préciser qu’il n’a pas pour autant le don d’ubiquité. Comme celui-ci répond qu’en effet il ne le possède pas, la conclusion est effectivement qu’il n’y a pas « sorcellerie ». N’est-ce pas cela qui donne le ton républicain de la science en voyage ? Se focalisant sur l’indifférence des Égyptiens posée en axiome, d’autres historiens veulent y voir la preuve anthropologique que la connaissance scientifique n’est possible que dans une société apte à la porter. Telle était la façon de voir dans la plupart des colonisations antérieures, en particulier dans la colonisation hollandaise en Insulinde où les autochtones n’avaient aucun accès à une éducation autre que celle léguée par leur tradition39. S’il n’y a pas eu reprise de cette attitude dans la très courte expérience égyptienne de la France, néanmoins l’irrépressible sentiment de supériorité dont les voyageurs européens faisaient preuve depuis le XVIe siècle s’appuya ouvertement en Égypte sur la connaissance scientifique et technique. Cela est certainement passé par les Polytechniciens – l’école est encore civile – et leur encadrement professoral savant. S’agit-il d’un effet direct du voyage ? C’est par cette question que je voudrais terminer l’enquête.
Le regard froid du fonctionnaire savant confronté à deux passions : la connaissance analytique et le militantisme antireligieux
24Comme Biot le constatait, dans son registre et quelque peu au-delà, la science révolutionnaire agissait comme une république (dans son fonctionnement académique, ses élections et ses votes), mais sans se soumettre aux politiques de la République. La toute nouvelle société républicaine issue de Thermidor jouait sur l’organisation de la communauté savante. Ici encore le regard des voyageurs est particulièrement utile40, et je privilégie celui de Thomas Bugge qui vint à Paris en 1798. C’est un Danois, responsable de l’observatoire de Copenhague : il a écrit en danois, mais son texte fut aussitôt traduit en allemand et en anglais sous un titre qui tombe remarquablement bien pour le présent colloque : Voyage dans la République française41. Le livre ne sera jamais traduit en français. Parce que s’il plaçait son sujet dans une distance objective qui caractérise souvent le genre des récits de voyage de type savant, il adoptait pour l’expérience vécue par la communauté scientifique française le regard froid de l’entomologiste qui sait que le papillon qu’il observe n’a que peu de temps à vivre. Même s’il admirait quelques personnalités comme Laplace ou Lagrange, quoiqu’il les trouvât trop mathématiciens pour son goût d’astronome passionné d’instruments, Bugge réprouvait à la fois ce qu’il percevait comme une mainmise administrative de l’État sur la science, et l’organisation de cette communauté qui semblait accepter que sa production appartînt d’abord à la Nation avant d’être une propriété intellectuelle propre ; il réprouvait un système et son insertion dans le système républicain. On l’accusera même d’avoir voulu ridiculiser l’Institut national, ce dont il se défendit dans son ouvrage même42. Le témoignage d’un autre voyageur permet de préciser en fait ses objections. Wilhelm von Humboldt fréquenta assidûment les séances de l’Institut pendant ses trois années de séjour à Paris auprès de son frère Alexander à partir de 1797, même s’il ne comprenait pas les explications mathématiques, mais il reconnaissait la valeur pour tous de l’Exposition du système du monde de Laplace, datant de 1796. Il théorisait son regret de voir la philosophie critique kantienne rejetée à Paris, et s’il manifestait un engouement scientifique sans précédent de la société française, un aspect républicain le concernait particulièrement. Il s’agissait de la religion, lorsqu’on l’entendait comme formes de croyance à éliminer pour qu’émerge un véritable citoyen. Wilhelm von Humboldt pointa non sans perfidie l’« aristocratie de la raison » dans son journal parisien, après une visite en août 1798 chez Dupuis et après avoir écouté quelques savants et républicains qui se trouvaient chez lui :
« Ils refusèrent absolument d’admettre qu’il fallût encore se demander si l’État devait prendre en compte la religion, s’il pouvait l’utiliser et de quelle manière. Ils furent convaincus que le système de Dupuis était un moyen sûr d’ébranler la superstition chrétienne et qu’il devait être enseigné dans toutes les écoles […] je vis qu’ils ne possédaient absolument aucune notion et encore moins d’intuition de la religiosité chez autrui […] qu’ils n’avaient aucune connaissance du cœur humain et moins encore d’égards généreux vis-à-vis de ses sentiments ; qu’ils ne demandaient point : Comment est l’homme ? Comment est notre nation ? Et ne s’y entendaient pas dans l’art de faire éclore chaque germe ; qu’ils arrêtaient une norme avec une raison froide et exclusive afin de la laisser dominer ; que l’aristocratie de la raison était peut-être plus grande que jamais43. »
25Le refus de la religion allait créer une splendide erreur scientifique, qui toucha largement la communauté savante et dura longtemps chez quelqu’un comme Jean-Baptiste Biot. Tout débuta avec la découverte d’un zodiaque dans le vestibule d’entrée du temple de Dendérah et l’interprétation par la précession des équinoxes en fonction de signes en liaison avec la moisson à une autre date que celle alors en vigueur. La croyance toute scientiste d’une possible datation du temple s’installa. Elle fut d’autant plus acceptée, avec ses 2 400 ans calculés, qu’elle remettait radicalement en cause la chronologie biblique. Mais aussi les effets de manche d’Hérodote sur l’ancienneté des pyramides. L’égyptologie se bâtit effectivement contre la doxa catholique, et aussi bien juive, de la Bible. Les savants du « voyage » d’Égypte convainquirent les militaires que les ingénieurs des pharaons, tel le divin Imhotep préfigurant Archimède, avaient calculé les hauteurs et ouvertures des monuments pour répondre à des levers de Sirius. Ainsi la pyramide devenait un « observatoire », et également un mémorial de la science égyptienne antique, transposant dans le monument les mesures de la Terre, à la façon même dont les savants de la République transposaient dans le mètre officiel la nouvelle géodésie des méridiens elliptiques terrestres. Paradoxalement, l’ancien mythe isiaque bâti sur l’idée d’une science pure des commencements rencontrait momentanément une justification de type scientiste. L’extravagante procession « inventée » dans le temple d’Isis à Dendérah par les nouveaux archéologues, et qui figure dans la Description de l’Égypte, se nourrit du zodiaque découvert dans le même temple et ainsi daté. L’helléniste Letronne et l’égyptologue Champollion montrèrent, par des arguments bien différents dans les années 1820, que ce zodiaque ne datait que de l’Égypte romaine, peut-être déjà christianisée ! Cette Égypte chrétienne échappe presque totalement à la Description, même si l’Islam est rendu responsable de la longue stagnation.
26C’est un érudit romain, membre de l’administration vaticane, qui dès 1802, l’année du Génie du Christianisme de Chateaubriand, attaquait la datation de Dendérah. Preuve en particulier que la diffusion du voyage égyptien par la presse européenne avait été bonne. Il le fit au nom de l’érudition classique, alors que ceux qui n’étaient pas des « antiquaires », tel Jomard dont la formation était largement scientifique et qui n’avait pas été soumis au joug ancien des lettres grecques et latines, peinent encore à trier leurs notes et préparent difficilement le monument qu’est la Description. S’ils deviennent ainsi des « égyptologues », leur méfiance à l’égard de la philologie, dont ils apprennent pourtant vite à se servir, se retrouve encore lorsque Jomard contestera Champollion. Le zodiaque, rapporté par effraction rocambolesque de Dendérah, et vendu par contrainte à Louis XVIII avec installation au Louvre, ranima la publication de livres le plus souvent polémiques, et Biot, dans les trois Académies dont il sera membre, celle des sciences, celle des inscriptions et belles-lettres et l’Académie française, n’abandonnera jamais la voie « scientiste » d’un zodiaque donnant, bien malgré lui, la date de construction du temple. Au fond, il paraissait impossible que le zodiaque fût un élément religieux, avec connotation d’astrologie banale : il fallait y voir un marqueur scientifique.
27Assurément l’Islam paraissait être le problème qui empêcha toute discussion des savants français avec les lettrés égyptiens. On observait dans le corps savant de l’expédition d’Égypte, autant que dans la troupe, le maintien d’un fort militantisme antireligieux, comme un regard actif de la république que les exhortations de Bonaparte à se présenter comme garant de l’islam ne désarmaient pas. On le voit dans les dessins de Denon, moquant aussi bien les pratiques musulmanes que chrétiennes, ainsi que les « santons » nus (ill. 12). On décriait aussi le double jeu de Bonaparte, général de la république jouant à l’uléma (ill. 13). Et il n’est pas sûr que la majorité ait soutenu sa politique de grâce face aux insurgés (ill. 14).
28Ce mépris du religieux – Humboldt parlait cette année-là de « raison froide » – joue sans aucun doute dans ce que l’on peut appeler le « regard froid », ou encore « scientifique », jeté sur l’Égypte et ses habitants d’alors, et qui n’échappe pas à qui parcourt les planches de la Description, surtout si on le compare avec la passion à représenter l’Égypte antique. La dureté de ce regard, qui est celle du scalpel, est paradoxalement le témoin de l’intérêt considérable porté à l’Égypte. Un des effets du voyage d’Égypte, d’autant qu’il y eut échec militaire, fut la tentative de mettre en laboratoire cette terre millénaire pour en faire un témoin du pouvoir conjugué des Lumières et de la République, devenu une véritable technocratie.
29Il importe alors de mesurer la réaction de Joseph Fourier, républicain irréprochable sur le plan des principes : chargé de rédiger la préface historique à la Description de l’Égypte, et précisément parce qu’il avait été responsable d’une des deux missions en Haute Égypte, celle qui devait cartographier Dendérah, il tenait à encadrer la recherche sur les documents égyptiens en tenant compte de l’absence de lecture des hiéroglyphes. Il le faisait contre les thèses « romantiques » qui touchaient si fortement bien des ingénieurs du voyage égyptien, et notamment le « couple des jeunes », Prosper Jollois et Édouard Duvilliers, comme on écrivait alors en éliminant les signes de noblesse. En outre Fourier en profitait pour donner des leçons à l’Empereur lui-même. Non certes pour lui reprocher d’avoir abandonné son armée sur les rives du Nil et de ne pas avoir assumé la défaite finale face aux troupes turques, il est vrai épaulées par la flotte britannique, mais pour le mettre en garde sur sa gouvernance de l’Empire. L’Égypte n’avait été grande que sous les pharaons qui avaient évité les guerres et qui savaient utiliser les « mensonges » des prêtres dans un but d’éducation équilibrée et sous forme de fictions utiles à la société. Fourier ne pouvait écrire ainsi qu’au nom même de sa notoriété scientifique qu’il tenait alors seulement du titre de professeur d’analyse à l’École polytechnique, un poste qu’il n’avait pourtant guère occupé.
30Malgré des réalisations indéniables, la colonisation à la française débutait bien mal en terre africaine en ce sens qu’elle préfigurait sur le long terme les mentalités de la colonisation républicaine. Elle donnait à des ingénieurs la liberté de réaliser des constructions bien plus audacieuses qu’en métropole, toute corsetée par le poids des traditions des Ponts et Chaussées, une absence de considération pour les traditions locales et la ferme conviction que l’essor colonial viendrait précisément de la libération des esprits par la République. L’expression idiote des avantages objectifs de la présence coloniale française, prononcée par quelques républicains sincères, provient de ce fonds, moins idéologique qu’utopique sur le progrès, qui est peut-être né en Égypte avec l’expédition de Bonaparte.
Conclusion
31Je n’ai bien sûr pas pu répondre d’une façon complète à la question que je posais en introduction sur les nouvelles configurations des mentalités, et c’est bien pour cela que dans le titre même je parlais seulement des « atours » de la science républicaine en voyage, mais sans oublier de donner à voir le jeu des allers-retours. Que ce soit entre l’Italie et la France, entre l’Europe non anglaise et la France dans le cas du congrès international sur les poids et mesures de Paris, ou avec l’expérience de l’expédition d’Égypte, qui sur le court terme marqua sans doute bien plus la France que l’Égypte elle-même, bien au-delà de la mode des sphinges dans l’ameublement de quelques salons. Je n’ai certes pas envisagé le récit des historiens sur ces voyages scientifiques, ni dégagé les structures des récits souvent autobiographiques des voyageurs eux-mêmes. Un genre s’est créé, par exemple celui de la Description d’Égypte, qui a été analysé pour son contenu, mais dont il faudrait aujourd’hui mieux décrypter les variantes. On aurait de même intérêt à mieux relier entre eux les récits des voyages « scientifiques » à Paris, non pour en savoir plus sur ce qui se passait dans les milieux scientifiques français comme on l’a déjà trop fait, mais pour saisir les différences d’appréciation sur la manière de faire de la science, et ainsi prendre en compte ce changement majeur que provoqua la Révolution française.
32Si parmi ces « atours », ou ces études de mentalités, j’ai omis bien des aspects, je ne peux pas oublier l’apprentissage par des scientifiques du travail collégial – celui que Bonaparte demandait aux savants de Milan – et la nécessité d’une équipe, dotée d’un programme intellectuel comme en concevait Lagrange. Par exemple lorsqu’il lançait plusieurs savants sur le principe des vitesses virtuelles auquel Fourier s’était exercé. L’exemple de Jollois et de Villiers est significatif, en ce que les deux jeunes gens échappent en Égypte à la tutelle normale des Ponts et Chaussées, se passionnent pour l’Égypte comme mystère d’un grand passé, et pourtant, sous la direction donnée à leurs recherches par leur professeur Fourier, aboutissent à la « sévère égyptologie » au fort caractère encyclopédique. Cet esprit d’autonomie intellectuelle et de critique méfiante est assumé collégialement – l’organisation même de la Description de l’Égypte le prouve –, mais on doit se garder de négliger un esprit de jeunesse, symbolisé par l’habillement assez recherché de ces « enfants du siècle », et sans aucun doute fortement lié à la non moins jeune République. J’ai tenté de montrer que la vie scientifique ne devait pas, à cette époque, être radicalement dissociée des mentalités républicaines, ni réduite à un rôle trop théorisé sous le nom de « progrès » dans les manuels scolaires : elle est aussi une aventure et le biais des voyages permet d’en rendre compte.
Notes de bas de page
1 Sur rapport de Daunou, l’Institut national des arts et des sciences fut créé le 25 octobre 1795 pour remplacer les Académies supprimées en août 1793 et les sciences occupèrent la première des trois classes créées, un choix révélateur chez des Conventionnels pour lesquels l’éloquence et la rhétorique étaient tant prisées.
2 4-5 septembre 1797. Carnot avait été nommé directeur, en remplacement de Sieyès, le 4 novembre 1795.
3 Carnot entra à la Première classe de l’Institut le 24 juillet 1796, occupant le siège du mathématicien, économiste, voire homme politique, Vandermonde, récemment décédé. Voir, par exemple, Jean et Nicole Dhombres, Lazare Carnot, Paris, Fayard, 1998.
4 L’Académie des sciences d’Ancien Régime tenait ses séances au Louvre, ce qui établit certes une certaine continuité recherchée par le Directoire, mais pas dans une salle aussi prestigieuse que celle adoptée pour la séance de la classe des sciences, ou plus généralement pour les séances publiques de l’Institut, comme on le verra.
5 La première république sœur, on le sait, ne fut pas italienne, mais Batave (le 3 février 1795, suivi du traité de paix de La Haye le 16 mai 1795). En Italie, une Confédération cispadane fut proclamée le 16 octobre 1796, devenue République cispadane en janvier 1797 et dont la constitution fut promulguée à Bologne le 27 mars. La bataille de Lodi sur les Autrichiens (10 mai 1796) avait ouvert la Lombardie à l’armée d’Italie et permis l’entrée des Français à Milan le 15 mai 1796. Les républiques sœurs qui suivirent furent la République ligurienne (14 juin 1797) et la République cisalpine (29 juin 1797), la seconde étant issue de la Cispadane et ayant conclu un traité d’alliance avec la France le 22 février 1798. La République romaine fut proclamée le 15 février 1798, puis la République helvétique le 21 avril 1798. Le 24 janvier 1799, c’était au tour de la République parthénopéenne de voir le jour à Naples.
6 Le nom d’École polytechnique fut adopté le 1er septembre 1795, cette école ayant été préparée dès mars 1794. Le traducteur d’Euclide, François Peyrard, lui fut très tôt associé et en devint le bibliothécaire. Voir Ambroise Fourcy, Histoire de l’École polytechnique (1828), éd. Jean Dhombres, Paris, Belin, 1989.
7 La Constitution de l’an viii fut établie en décembre 1799, peu après le coup d’État de Brumaire, et le fugace ministre de l’Intérieur était Laplace qui en profita aussi pour stabiliser le statut de l’École polytechnique, avant sa militarisation par Napoléon. Voir Jean Dhombres (éd.), Pierre-Simon de Laplace (1749-1827), le parcours d’un savant, Paris, Hermann, 2012.
8 La jolie expression est de Vivant Denon, citée dans Jean et Nicole Dhombres, Naissance d’un pouvoir : sciences et savants en France 1793-1824, Paris, Payot, 1989, chap. III.
9 Les évolutions terminologiques conformant l’histoire des sciences révèlent un terrain chaotique et épistémologiquement polémique, mais passionnant. Sans parler des nombreux intermédiaires du genre « nouveaux regards sur… », on a vu en France se succéder dans les années 1980 les études sur « Sciences et Sociétés », les « science studies » des années 1990 puis, pour la période présente, les « études sur les savoirs », le mot « science » paraissant trop réducteur, sinon vilainement positiviste. Quelle que soit l’appellation donnée au propos tenu ici, je m’efforce de conjuguer les trois mots « voyage », « république » et « science ».
10 Le voyage scientifique est un des thèmes les plus anciens de l’histoire des sciences, et non seulement de l’histoire naturelle, comme le montre l’exemple des expéditions académiques des Lumières pour la mesure du degré du méridien. L’historiographie générale s’est récemment enrichie d’études sur les voyages dont je retiens l’idée d’un aller-retour, avec la modification qu’elle implique pour le regard des voyageurs sur leur pays d’origine.
11 Indication d’une lettre de Carnot à Bonaparte, citée par Hippolyte Carnot, Mémoires sur Carnot par son fils, nouvelle édition (1re éd. 1861-1863), Paris, Charavay/Mantoux/Martin éditeurs, 1893, t. 2, p. 51.
12 Au nom du Directoire, une lettre de Carnot, directeur et chargé des affaires de la guerre, enjoignait effectivement au général commandant l’armée d’Italie « d’accueillir et de visiter les savants et les artistes fameux des pays où vous êtes ; et lorsque vous vous serez emparé de Milan, d’honorer et de protéger particulièrement l’astronome Oriani, si connu par les services qu’il ne cesse de rendre aux sciences » (lettre du 15 mai).
13 Lettre du 24 mai 1796 de Bonaparte à Oriani, astronome, Correspondance générale de Napoléon Bonaparte, t. 1 sous la dir. de Thierry Lentz, Paris, Fayard, 2004, p. 415.
14 Lettre du 24 mai 1796 de Bonaparte à Oriani, op. cit.
15 Une édition française de ces lettres doit accompagner la thèse de Marie Dupond, faisant suite à son DEA soutenu à l’EHESS. On dispose pour l’instant de l’édition italienne de Sandro Cardinali et Luigi Pepe : Gaspard Monge, Dall’Italia (1796-1798), Palerme, Sellerio editore, 1993.
16 D’après Le Moniteur universel, duodi 12 brumaire (2 novembre 1797).
17 Ibid.
18 D’après Le Moniteur universel, tridi 23 germinal an iv (12 avril 1796).
19 Gazette nationale ou Le Moniteur universel, duodi 22 frimaire an vi (12 décembre 1797).
20 Cette histoire véridique, tout à fait à tort, entraînera l’idée bien ultérieure qu’existerait un théorème dû à Napoléon en géométrie du triangle. Ce qui n’empêche pas de dédier un tel théorème à l’empereur.
21 Formé à Turin, Lagrange détenait ce savoir, et c’est certainement grâce à lui que Fourier cite Aristote (en bien), dans son premier article publié au Journal de l’École polytechnique en 1798, article écrit juste avant le départ pour l’Égypte.
22 Voir Jean Dhombres, « Une république des sciences à la française ou l’actualité scientifique de la campagne d’Italie », in Jean-Paul Barbe, Roland Bernecker (éd.), Les intellectuels européens et la campagne d’Italie, 1796-1798, Münster, Nodus Publikationen, 1999, p. 161-196.
23 Bonaparte entra avec son armée au Caire le 22 juillet 1798, et le 22 août annonçait déjà la création d’un Institut pour les sciences et les arts.
24 Jean Dhombres, Jean-Bernard Robert, Joseph Fourier, créateur de la physique mathématique, Paris, Belin, 1998.
25 Jean-Édouard Goby, « Premier Institut d’Égypte. Restitution des comptes rendus des séances », Mémoires de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, nouv. série VII, Paris, Imprimerie nationale, 1987.
26 Jean et Nicole Dhombres, Naissance d’un pouvoir : sciences et savants en France 1793-1824, Paris, Payot, 1989, chap. III, « Le laboratoire d’Égypte (1798-1801) ».
27 Avec le même parti pris culturel, le gouvernement de Charles X imaginera l’expédition de Morée en Grèce pour faire un pendant à celle d’Égypte.
28 Il donne la liste de cours, dont ceux de Fourier sur les vitesses virtuelles (qui est le titre de l’article publié de Fourier en 1798) et les machines.
29 Sylvestre François Lacroix sera professeur d’analyse à l’École polytechnique en 1799, auteur ayant terminé cette année une série de manuels couvrant tout le nouveau savoir mathématique enseigné jusqu’au plus haut niveau ; Fourier avait un poste semblable d’instituteur adjoint.
30 Datant de plus de cinquante ans, le livre de Clairaut, issu du voyage pour la mesure de l’arc de méridien en Laponie, était certes dépassé par les articles de recherche de d’Alembert, Lagrange, Legendre et Laplace : mais c’était un bon lieu pour commencer un travail tel que le voulait Fourier, qui n’avait pas de culture en mécanique céleste.
31 Édouard de Villiers du Terrage, L’Expédition d’Égypte : journal d’un jeune savant engagé dans l’état-major de Bonaparte (1798-1801), présenté par Alain Pigeard, Paris, Cosmopole, 2001, p. 84. Il est juste d’associer le document laissé par l’ami de Villiers, Jollois, Journal d’un ingénieur attaché à l’expédition d’Égypte, 1798-1802, publié par Pierre Lefèvre-Pontalis, Paris, E. Leroux, 1904.
32 Jean-Paul Marat, Les Charlatans modernes ou Lettre sur le charlatanisme académique, Paris, impr. de Marat, 1791.
33 Jean-Baptiste Biot, Essai sur l’histoire générale des sciences pendant la Révolution française, Paris, Duprat, an xi-1803. Ce témoignage d’un acteur dément de nombreux historiens des sciences qui veulent que la « science », entendue comme déroulement du long terme, n’ait pas pu être modifiée dans sa pratique par l’expérience révolutionnaire.
34 C’est le Hollandais van Swinden qui faisait rapport le 29 prairial an vii au nom de la classe des sciences mathématiques.
35 Guillaume Bigourdan, Le système métrique des poids et mesures. Son établissement et sa propagation graduelle, avec l’histoire des opérations qui ont servi à déterminer le mètre et le kilogramme, Paris, Gauthier-Villars, 1901.
36 ‘Abd al-Rahmân al-Jabartî, Journal d’un notable du Caire durant l’expédition française, 1798-1801, trad. fr. J. Cuoq, Paris, Albin Michel, 1979, p. 87.
37 Ibid., p. 105.
38 Journal de Joseph Laporte, feuillet 224.
39 Maria Luisa Ortega, « La “régénération” de l’Égypte : le discours confronté au terrain », in Patrice Bret (dir.), L’expédition d’Égypte, une entreprise des Lumières, 1798-1801, Cachan, Technique & documentation, 1999, p. 93-102, ici p. 97.
40 Il serait intéressant d’ajouter, dans un volume comparatif, les récits de ces voyageurs savants étrangers vers Paris, depuis van Swinden, le Hollandais qui fut chargé de lire un des rapports fondamentaux à Mascheroni de Milan, jusqu’à Multedo de la République ligurienne, ou de Tralles le Suisse à Don Gabriel Ciscar l’Espagnol. On aurait un effet perspectif sur le Paris des années 1798 et 1799, avec la science comme objet, assurément plus riche que les mièvreries et autres racontars des frères Goncourt. Ce sont des sources largement non utilisées pour ce thème toujours difficile à saisir de l’évolution des rapports entre science, politique et société, où joue de façon si compliquée l’opinion publique.
41 Thomas Bugge, Reise til Paris i Aarene 1798 og 1799, Copenhagen, F. Brummer, 1800 ; trad. allemande, F. Brummer, 1801 ; traduction anglaise partielle reproduite et commentée par Maurice Crosland, Science in France in the Revolutionary Era, Cambridge (Mass.)/Londres, MIT Press, 1969.
42 Jean Dhombres, « Le regard étranger sur la vie scientifique française vers 1800 », in Suzanne Debarbat, Antonio E. Ten (dir.), Mètre et système métrique, Paris/Valence, Observatoire de Paris/Instituto de estudos documentales et históricos sobre la ciencia, 1993, p. 41-61.
43 Wilhelm von Humboldt, Journal parisien : 1797-1799, trad. franç., Arles, Solin/Actes Sud, 2001, août 1798, § 321.
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La République en voyage
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