« Transplanter » la République : la Nouvelle Genève, une utopie au contact des révolutions (1782-1784)
p. 93-102
Texte intégral
1Au mois de janvier 1768, Genève était la victime d’un blocus économique imposé par la France de Choiseul et en proie aux ultimes convulsions d’un conflit politique qui mettait aux prises depuis près de six ans l’oligarchie des Négatifs à la bourgeoisie des Représentants1. Ce conflit avait été occasionné à l’origine, en 1762, par la condamnation par le Petit Conseil de Genève d’Émile et Du Contrat Social. Pourtant, si Rousseau avait été aux origines et au cœur du conflit, il avait fini par s’en éloigner, proclamant à partir de 1765 son désintérêt pour les affaires genevoises2. Il continuait malgré tout à entretenir une correspondance avec l’un des chefs représentants, son ami François-Henri D’Ivernois, qui le tenait informé de la situation politique à Genève. Or à la fin de janvier 1768, D’Ivernois lui annonça que, craignant que le conflit ne connût une issue violente, il venait de prendre la précaution de mettre sa famille à l’abri à Lausanne3. Choqué par cette nouvelle, Rousseau lui donna alors, et à travers lui à tous les Représentants, un conseil qui allait se révéler prophétique :
« Puis donc que […] vous êtes prets à vous ensevelir sous les ruines de la patrie, faites plus ; osez vivre pour sa gloire au moment qu’elle n’existera plus. Oui, Messieurs, il vous reste dans le cas que je suppose un dernier parti à prendre, et c’est j’ose le dire, le seul qui soit digne de vous : c’est, au lieu de souiller vos mains dans le sang de vos compatriotes, de leur abandonner ces murs qui devoient être l’azile de la liberté et qui vont n’être plus qu’un repaire de tirans. C’est d’en sortir tous, tous ensemble, en plein jour, vos femmes et vos enfans au milieu de vous, et puisqu’il faut porter des fers, d’aller porter du moins ceux de quelque Grand Prince, et non pas l’insupportable et odieux joug de vos égaux. Et ne vous imaginez pas qu’en pareil cas vous resteriez sans azile : vous ne savez pas quelle estime et quel respect votre courage, votre moderation, votre sagesse ont inspiré pour vous dans toute l’Europe. Je n’imagine pas qu’il s’y trouve aucun souverain, je n’en excepte aucun, qui ne receut avec honneur, j’ose dire avec respect, cette colonie émigrante d’hommes trop vertueux pour ne savoir pas étre sujets aussi fidelles qu’ils furent zélés citoyens. Je comprens bien qu’en pareil cas plusieurs d’entre vous seroient ruinés, mais je pense que des gens qui savent sacrifier leur vie au devoir sauroient sacrifier leurs biens à l’honneur et s’applaudir de ce sacrifice, et qu’après tout, ceci n’est qu’un dernier expedient pour conserver sa vertu et son innocence quand tout le reste est perdu4. »
2En 1768, cette vision d’une émigration des Représentants accueillis à bras ouverts par tous les princes européens resta lettre morte. Au mois de mars de la même année, ils avaient en effet fini par triompher dans leur bras de fer contre l’oligarchie genevoise, arrachant un édit qui leur accordait un certain nombre des aménagements constitutionnels qu’ils exigeaient. Et c’est en fait quatorze ans plus tard, en 1782, alors que Rousseau était décédé depuis quatre ans, que cette lettre restée jusque-là lettre morte allait acquérir une nouvelle vie. D’une part, une vie imprimée, puisque c’est cette année-là que parurent les œuvres complètes de Rousseau dans l’édition dite de Genève dirigée par ses disciples Du Peyrou et Moultou5. D’autre part, c’est précisément au moment où cette vision était désormais accessible à un large public de lecteurs qu’elle allait s’incarner dans les faits. La même année 1782 en effet, les Représentants à nouveau en lutte contre les Négatifs furent cette fois-ci vaincus, car alors que Choiseul en 1768 s’en était tenu au blocus économique, Vergennes quant à lui mit sur pied une véritable expédition militaire de 6 000 hommes appuyés par 3 000 Bernois et 3 000 Piémontais. Fin juin, le siège fut mis devant Genève et un ultimatum adressé aux Représentants maîtres de la ville depuis la prise d’armes du 8 avril. Alors qu’ils avaient clamé haut et fort leur volonté de résister, c’est pourtant finalement le parti de la capitulation qui l’emporta, après deux tours de scrutin, au sein du conseil extraordinaire réuni dans la nuit du 1er au 2 juillet. Bien loin de la digne sortie imaginée par Rousseau, « tous ensemble, en plein jour, vos femmes et vos enfans au milieu de vous », c’est entre deux et trois heures du matin, par le lac et apparemment sous les coups de feu de quelques-uns de leurs propres partisans furieux de ce qu’ils considéraient comme une lâche défection, assez piteusement en somme, que les chefs représentants au nombre de vingt et un quittèrent Genève, leur départ précédant de quelques heures l’entrée des troupes coalisées dans la ville6. Parmi eux, citons notamment Étienne Clavière, futur ministre girondin des Finances, et François D’Ivernois, le fils de celui à qui Rousseau avait écrit quatorze ans plus tôt, promis à une importante carrière diplomatique au service de la Grande-Bretagne. Plus que d’une simple coïncidence, sans doute cette double actualisation de la lettre de Rousseau relève-t-elle plutôt de ce que le sociologue Robert Merton appelle une prophétie auto-réalisatrice : c’est la lettre de Rousseau dont le texte circulait parmi les Représentants qui, d’une certaine manière, provoqua leur décision de quitter la ville7. Du moins servit-elle, via la référence antique aux destins contrastés des habitants de Sagonte et de Messène, de justification aux partisans du départ, sur le moment lors de la discussion houleuse qui aboutit au choix de la capitulation, mais aussi a posteriori, pour essayer de transformer ce qui aurait pu apparaître comme une fuite peu glorieuse en exil volontaire et responsable8. Finalement, via Neuchâtel et Londres, la barque des Représentants les conduisit en Irlande, dans le comté de Waterford plus précisément, au sud de l’île, site de la « Nouvelle Genève » où ils s’efforcèrent de faire émigrer massivement la « Fabrique » genevoise. Le 4 avril 1783, le lord lieutenant d’Irlande attribuait une somme de 50 000 livres au projet pour les 1 000 premiers émigrants, une moitié devant servir à rembourser leurs frais de voyage, l’autre à commencer la construction de la ville. Mais si la pierre fondatrice fut bien posée en juillet 1784, le projet alors déjà mal en point s’effondra soudain dans les semaines suivantes9.
3Les émigrés genevois de 1782 sont, avec les loyalistes américains, parmi les premiers exilés produits par les bouleversements révolutionnaires de la fin du XVIIIe siècle, avant les émigrés français ou les exilés italiens de la révolution française10. Mais leur spécificité par rapport à ces autres diasporas de vaincus est qu’il s’agissait pour eux, dans un premier temps du moins, non seulement de fuir, mais aussi de fonder une nouvelle ville. « Ubi libertas, ibi patria » : là où est la liberté, là est la patrie, c’est-à-dire que la patrie, potentiellement, est partout, mais qu’elle doit en même temps être quelque part. La célèbre devise placée par D’Ivernois en épigraphe de la traduction en anglais de son Tableau historique et politique des révolutions de Genève11, désigne un double mouvement de délocalisation et de relocalisation de la patrie par rapport au lieu de naissance. C’est ce mouvement que les Représentants appelaient « transplantation12 ». L’exil politique, dans ce cas, se teintait donc d’une dimension régénératrice et utopique, dans la mesure où il s’agissait de faire table rase et de repartir de zéro. Fondée principalement sur le dépouillement des correspondances de D’Ivernois et de Clavière, cette communication ne saurait être qu’une ébauche, en attendant de pouvoir approfondir la question, notamment à partir des archives britanniques. On cherchera à mettre en valeur deux points principaux13. D’un côté, le voyage agit en l’espèce sur la République comme un véritable révélateur, puisque la fondation d’une Nouvelle Genève idéale induit une opération de sélection par rapport à l’ancienne Genève, entre aspects positifs à reproduire et aspects négatifs à éliminer. Dans le projet d’émigration tel qu’ils le formulèrent, on peut donc saisir le républicanisme des chefs représentants à l’état pur en quelque sorte, jusque dans ses aspects les plus matériels. Mais d’un autre côté, ce projet idéal se heurta immédiatement à la réalité, celle d’un monde bouleversé par ce que Godechot et Palmer avaient appelé en leur temps la « révolution atlantique14 ». À propos de ces Genevois échoués au beau milieu de l’océan au moment même où la guerre d’indépendance américaine, après Yorktown, touchait à sa fin, difficile en effet de ne pas évoquer cette notion, très décriée en son temps, mais qui a été redécouverte ces dernières années dans un climat politique apaisé. Mais si le paradigme de la « révolution atlantique » avait donné naissance à une histoire comparée des révolutions15, on plaidera plutôt ici à partir de l’exemple de la Nouvelle Genève pour une histoire « connectée » de ces révolutions, à l’instar de ce qu’ont proposé David Armitage et Sanjay Subrahmanyam dans un volume récent16. À l’image de la grande vague révolutionnaire se diffusant d’ouest en est, se substitue celle d’une multitude de courants, de force et de profondeur très variable, entrant en interférence les uns avec les autres.
Une utopie républicaine
4Rousseau avait prédit qu’au cas où ils choisiraient l’émigration, les Représentants ne resteraient pas sans asile. Il ne s’était pas trompé, quoiqu’il ne faille pas y voir comme lui un effet de l’admiration due aux vertus morales de ses compatriotes. Dans la perspective mercantiliste encore très prégnante à l’époque dans la pensée économique, c’est l’espoir d’attirer la « Fabrique » genevoise d’horlogerie, c’est-à-dire potentiellement 3 000 ouvriers environ, dont les produits très réputés s’écoulaient alors dans le monde entier, qui explique l’afflux de propositions de la part des princes européens17. Il y eut en effet des offres venant de l’électeur palatin, du landgrave de Hesse-Hombourg18, mais aussi de Frédéric II, de Joseph II ou encore de son frère le grand-duc de Toscane19. Les critères mis en avant par les Représentants pour le choix de leur destination peuvent paraître surprenants au premier abord mais témoignent de la cohérence de leur projet républicain. Ainsi, le grand-duc de Toscane ayant proposé aux Représentants de s’installer à Pise, cette destination se vit disqualifiée par Clavière eu égard au critère climatique. « L’Italie me paroit peu convenable à des républicains » écrivait-il, expliquant qu’il faut à ces derniers « des pays où on soit obligé de prendre de la peine », où « les cailles ne tombent pas toutes roties ». « Sans quoi, continuait-il, l’activité se perd : la parresse si naturelle à l’homme s’augmente dans les lieux où la douceur du climat & l’abondance des productions facilitent tout. En Italie il faudroit pour contrebalancer l’influence du climat une constitution politique qui nous tint continuellement en haleine. Nous l’accorderoit-on ? & dans ce cas saurions-nous la faire20 ? » Dans la perspective de Montesquieu, le climat détermine en partie les mœurs, même si ses effets peuvent être éventuellement corrigés par les lois. Dans ce cadre-là, dans la mesure où la République doit être fondée sur une éthique du travail, le climat italien inclinant à la paresse était à éviter. La République idéale devait être édifiée de préférence dans un climat rude.
5La République idéale, c’était aussi une ville idéale, adaptée cependant à ces conditions climatiques. Les lettres de Clavière témoignent de son intérêt pour la question de la disposition des lieux, d’abord à l’échelle des maisons et de leur agencement intérieur. « Je crois en général, dit-il, que faisant des Rües larges et les Maisons ne pouvant pas être élevées à cause des ouragans qui arrivent quelquefois dans la plupart des Isles, il faut mettre les Cabinets de travail au rez de Chaussée en l’élevant suffisamment pour se préserver de l’humidité21. » Ces « cabinets de travail », c’est-à-dire les ateliers des ouvriers, devraient donner sur l’arrière, et pas sur la rue, car il fallait favoriser la concentration d’ouvriers qui sinon « se détournent aisément par le passage des objets qui occupent la vue22 ». Chaque maison devait avoir un jardin, « tant pour l’aisance que pour la salubrité23 ». Mais Clavière s’intéressait aussi au plan d’ensemble de la ville : « Il faut des rues pavées, des trottoirs, des fontaines, une boucherie une boullangerie, etc. », dit-il. Or à propos des trottoirs, il notait que dans la Nouvelle Genève, on sait « que sans les gens qui vont à pied, ceux qui vont en carosse, sont de pauvres haires24 ». Ainsi paradoxalement le trottoir, contre l’uniformité plate de la chaussée, avait une dimension égalitaire puisqu’il offrait un certain confort de déplacement à ceux qui vont à pied.
6Néanmoins, cet égalitarisme avait des limites. Le projet tel que le concevait Clavière avait en fait un aspect élitiste. Il souhaitait
« une Collonie composée uniquement de personnes recommandables par leurs bonnes mœurs, leur esprit d’ordre, leurs talens, et leur amour pour le travail. […] Ceux dont on ne peut espérer rien de bon, doivent absolument être laissés […]. Que serait-ce s’il fallait dès les commencements de l’établissement fonder un hôpital, ou exposer les honnêtes gens, les gens laborieux, à se voir assaillir et importuner par des compatriotes mendiants leur pain25 ? »
7Dans la République idéale, il n’y avait pas de pauvres, pas d’hôpital. Clavière justifiait cette sélection par l’argent par la nécessité de donner une bonne image de la colonie dans un premier temps, pour ensuite éventuellement dans un second temps accueillir des émigrants plus défavorisés. Mais dès lors, on a affaire au paradoxe d’une utopie anti-utopique. L’absence de pauvres dans la Nouvelle Genève ne viendrait pas du fait que la pauvreté aurait été éradiquée dans un pays de cocagne, mais d’une sélection rigoureuse des candidats à l’émigration. « Il ne faut effaroucher personne par des plans d’égalité chimérique26 », prévenait-il. Il refusait l’idée proposée par certains de créer une société unique qui regrouperait tous les ouvriers : « Autant vaudroit faire tout de suitte une République où tout seroit commun, beau rêve qu’il ne nous apartient pas de réaliser en Irlande27. »
8Au bout du compte, l’échec fut total. Non seulement à peine deux cents Genevois émigrèrent-ils, mais encore s’agissait-il plutôt, malgré les précautions de Clavière, d’ouvriers relativement modestes. Le pasteur Juventin donnait en 1784 une explication sans complaisance, liée à l’idée de la décadence des modernes :
« Nous ne sommes pas des Spartiates qui sacrifient tout à leur liberté, nous l’aimons sans doute, mais nous aimons aussi nos aises, les douceurs de la vie ; les avantages de l’opulence nous calment trop pour nous transplanter si loin et dans un pays où il faut tout créer28. »
9Il y avait bien d’autres raisons à l’échec, les changements ministériels en Grande-Bretagne, les divisions entre les chefs représentants, la tension entre émigration politique et émigration économique, le fait que la « Fabrique » n’était pas transplantable, parce qu’elle était trop intégrée au tissu économique de la région genevoise dans le cadre de la division du travail très poussée qui caractérisait la fabrication des montres29. Ce n’est pas le lieu de les développer ici. En revanche, on évoquera rapidement dans un second temps la manière dont la République, au cours de ce voyage même avorté, avait rencontré un monde en plein bouleversement.
Des révolutions connectées
10Quoiqu’il eût été partisan de la résistance lors du siège, c’est D’Ivernois qui fut le véritable moteur du projet de la Nouvelle Genève. Dès le 7 juillet 1782, soit cinq jours après la fuite de Genève, il fit part pour la première fois à lord Mountstuart, ambassadeur britannique à Turin, de son projet de « transplanter en Angleterre la République30 ». Le choix de l’Angleterre peut paraître paradoxal à première vue. La destination évidente à cette date pour les Genevois n’était-elle pas plutôt la jeune République américaine ? « Sans doute l’Amérique unie eut mérité leur premier choix », concédera plus tard D’Ivernois, « mais outre que la guerre civile n’y avait point cessé, le congrès y était encore sous l’influence du même homme dont ils venaient d’être les victimes31 ». La connexion entre la révolution genevoise et la révolution américaine à ce stade était négative en quelque sorte, établie en creux par la politique de Vergennes, entre le soutien apporté par la France aux Insurgents d’un côté et la répression à l’encontre des Représentants de l’autre. Cette contradiction apparente fut fortement soulignée par Brissot, qui avait séjourné à Genève au mois de juin dans les jours précédant le siège avant de se lier d’amitié avec Clavière à Neuchâtel32. Dans Le Philadelphien à Genève ou Lettres d’un américain sur la dernière révolution de Genève, pamphlet favorable aux Représentants, il faisait mine de s’étonner du rôle joué par la France, « qui rétablit sur les bords de la Delaware la liberté qu’elle opprime sur les bords du lac Leman33 ! » Mais si le choix de la fiction du regard américain posé sur les événements genevois avait pour objectif de souligner toute la distance qui séparait les deux révolutions (« pourquoi le lac Léman est-il si éloigné de l’heureuse Philadelphie ? »), la comparaison opérait de facto une connexion, qui n’est donc pas ici le seul fait de l’historien. C’est Brissot l’électricien qui, en prenant la plume sous les traits du « Philadelphien », « connecte » les deux événements, les pensant ensemble dans leur contemporanéité34.
11En vérité, au-delà du contexte de la guerre d’indépendance, le choix initial de l’Angleterre s’explique par les contacts plus anciens qui s’étaient établis entre Londres et les Représentants. À défaut d’être des admirateurs inconditionnels du modèle politique anglais35, ces derniers considéraient en effet la Grande-Bretagne comme un contrepoids possible à l’emprise croissante de la France sur Genève. Lors de la crise des années 1760, certains Représentants avaient agité devant Shelburne, alors secrétaire d’État au Département du Sud, le spectre d’une annexion de Genève par la France, espérant ainsi pousser le gouvernement britannique à intervenir dans le règlement du conflit36. C’est également dans cette perspective que D’Ivernois avait été mandaté pour se rendre à Londres en mai 1782, alors que l’étau se resserrait autour de Genève. Ce voyage fut finalement annulé, mais dans ces conditions, on comprend que son réflexe après la perte de la ville ait été de se tourner vers Londres, d’autant plus que l’accession de Shelburne au poste de premier ministre semblait ouvrir des perspectives37. Néanmoins, arrivé en Angleterre à la fin du mois de juillet, D’Ivernois dut rapidement déchanter. Très vite, il comprit que le gouvernement n’était pas disposé à appuyer le projet. Aux raisons financières et économiques (l’horlogerie anglaise aurait vu d’un mauvais œil cet afflux de concurrents) s’en ajoutait une autre :
« Les Ministres sont persécutés par les Américains réfugiés qui ont tout sacrifié pour la cause de la Couronne, ils sollicitent avec acharnement des dédommagements, et n’auraient pas manqué de crier à l’injustice si l’on accordait à des étrangers des secours qui leur sont disent-ils si légitimement dus38. »
12Ainsi D’Ivernois se retrouvait-il nez à nez dans les antichambres ministérielles avec les « loyalistes », comme on désignait les Américains restés fidèles à la Grande-Bretagne lors de la guerre d’indépendance. Ayant commencé à affluer dès 1774, ils étaient alors un peu moins de 7 000 sur le sol britannique (sur un total de quelque 60 000 dispersés à travers le monde). Ils avaient bénéficié assez tôt de secours ponctuels versés par le Trésor en reconnaissance des difficultés matérielles auxquelles ils étaient confrontés. Au moment où D’Ivernois était arrivé à Londres cependant, vers la fin du mois de juillet 1782, le versement des pensions venait d’être suspendu momentanément en vue d’une refonte et d’une rationalisation du système39. Entre les milliers de loyalistes et la poignée de proscrits genevois, il n’y a certes pas de commune mesure d’un point de vue numérique, mais dans cette rencontre entre les vaincus de deux révolutions, il y a bien une connexion, effective celle-là, qui renvoie au rôle de plaque tournante joué par Londres et, au-delà, à l’attrait exercé par une appartenance impériale ouverte et protectrice. Voici en effet en quels termes D’Ivernois justifiait à Mountstuart le choix de l’Angleterre :
« Aujourd’hui qu’un lâche assassinat vient de priver les citoyens de leur patrie ; aujourd’hui qu’ils viennent d’apprendre par la plus triste expérience que la liberté ne peut plus se maintenir dans les petits États, il ne leur reste qu’à chercher un asile sous les ailes d’une Grande Monarchie, dans un Empire où les droits de l’homme sont respectés et où ils pourront défendre avec quelqu’espoir de succès l’indépendance de leur nouvelle patrie40. »
13Ainsi, paradoxalement, alors même que ce sont les Insurgents américains qui, en déclarant leur indépendance, avaient proclamé les droits de l’homme, c’est l’appartenance à l’Empire britannique qui, pour les Représentants (comme pour les loyalistes) en exil, était garante de leur liberté. C’est donc en toute logique que Clavière devint en 1783 citoyen britannique, tout comme un autre exilé représentant, Duroveray41.
14À cette date, tous deux étaient installés en Irlande. De fait, devant les obstacles qui s’opposaient à une implantation de la Nouvelle Genève en Angleterre, D’Ivernois avait très vite décidé, dès la deuxième moitié du mois de septembre 1782, de se tourner vers l’Irlande,
« pays neuf, nouvellement libre, où tous les esprits sont maintenant tournés vers le commerce et vers les encouragements qu’il mérite, où le Gouvernement peut disposer à son gré de son argent et où il est pénétré des avantages de l’agrégation des étrangers. […] les vivres y sont à plus d’un tiers meilleur marché qu’en Angleterre, et […] tandis que cette dernière est accablée d’impôts, l’Irlande en est presque exempte42 ».
15Outre les avantages fiscaux et économiques qu’il espérait trouver en Irlande, D’Ivernois mettait ainsi en valeur la situation politique de l’île, « nouvellement libre ». Au début des années 1780 en effet, en écho aux événements qui secouaient les Treize colonies, les quelque 80 000 Irish Volunteers s’étaient mis à réclamer du gouvernement britannique la « liberté ». Ils s’étaient mis, à l’instar des Insurgents, à boycotter les marchandises anglaises et, sous l’impulsion du député Grattan, avaient obtenu en 1782 que le Parlement irlandais fût déclaré autonome, et que les deux royaumes de Grande-Bretagne et d’Irlande fussent proclamés égaux43. A posteriori, D’Ivernois évoquera la similitude entre ces événements irlandais et les événements genevois contemporains, mais aussi leurs issues contrastées :
« Dans le même tems où les Genevois avaient pris les armes pour défendre leur indépendance, l’Irlande s’était armée pour recouvrer la sienne. […] Combien la même cause avait eu un sort différent dans les deux contrées ! à Genève le Corps législatif s’était vû mutiler & dépouiller, tandis qu’on proclamait celui de l’Irlande indépendant, & ce dernier élevait un grand monument de reconnaissance à son libérateur Grattan, tandis que l’exil & l’outrage étaient la seule récompense des défenseurs de Genève44 ! »
16Mais la connexion dans ce cas n’est pas seulement de l’ordre du discours, produite par ce parallèle contrasté. Elle est bien réelle, telle que la matérialisent les adresses enthousiastes des corps de Volontaires irlandais aux émigrés genevois. Ainsi, le 3 octobre 1782, les Volontaires de Dublin rassemblés au Royal Exchange avaient proclamé que des « Irlandais ayant pris les armes pour la défense de leur constitution et de leurs libertés doivent naturellement être attachés à tout pays ou corps armé pour la défense d’une cause tout aussi glorieuse. […] C’est pourquoi il fallait accueillir les vertueux Genevois en frères et en amis45 ». S’esquissait ainsi une solidarité internationale des patriotes, au-delà des limites du monde atlantique britannique. Mais derrière cette solidarité se cachaient du côté du Conseil privé d’Irlande d’autres motifs. Si l’emplacement de la Nouvelle Genève avait été choisi au sud de l’île, c’est parce qu’il s’agissait pour les autorités d’en faire une véritable tête de pont en vue d’une opération de colonisation d’une région rurale, qui était non seulement complètement catholique, mais aussi troublée par des jacqueries perpétrées par les whiteboys46. Ultime connexion, donc : victimes de la répression de Vergennes, c’est en vue de la répression d’un mouvement contestataire d’un autre type que les Représentants avaient été installés à Waterford.
17Constatant en 1784 l’échec définitif de la « transplantation » de Genève, le pasteur Juventin en tirait une leçon amère : « Il ne faut plus penser à une patrie, on est réduit à jeter les yeux plus près de soi, à ne penser qu’à sa famille et à trouver la République dans sa maison47. » Le voyage avorté de la République semblait devoir ouvrir une ère de dépolitisation et de repli sur la sphère domestique. Quelques années plus tard, D’Ivernois, mettant en parallèle le sort des Genevois avec celui des patriotes bataves à la suite de la répression dont ils avaient fait l’objet en 1787, en tirait des conclusions plus générales quant aux « difficultés d’une transplantation » dans un monde moderne corrompu par l’« âpreté du gain et l’amour des commodités ». Alors que les Bataves auraient pu « fonder une nouvelle Utrecht sur quelque belle riviere de l’Amérique septentrionale », le fait qu’ils ne l’aient pas entrepris, alors qu’ils en avaient eu l’opportunité (« ils se trouvaient placés au bord de la mer ») et la possibilité matérielle (leurs richesses étant « portatives »), semblait confirmer une tendance générale : « Il faut bien que les émigrations si fréquentes dans l’antiquité, soient devenues impraticables pour les modernes48. » Au terme des années 1780, le modèle classique de la « transplantation » réactivé par Rousseau semblait caduc. Pourtant, malgré l’échec, loin d’inaugurer une ère de dépolitisation, l’épisode de la Nouvelle Genève, connecté à d’autres poussées révolutionnaires contemporaines (révolution américaine, révolte irlandaise, révolution batave), apparaît au contraire comme emblématique des intenses circulations politiques à l’échelle internationale qui marquent la décennie. Dès lors, bien connu grâce à l’ouvrage de Bénétruy, le rôle joué au cours de la Révolution française par les exilés genevois, véritables « passeurs » de révolution, invite aussi à situer l’épisode dans la perspective d’une histoire décentrée et globale des origines de la Révolution française49.
Notes de bas de page
1 Pour un récit détaillé des troubles genevois, Jean-Pierre Ferrier, « Le XVIIIe siècle », in Société d’histoire et d’archéologie de Genève (éd.), Histoire de Genève,t. I, Des origines à 1798, Genève, Jullien, 1951, p. 401-482.
2 « Je ne veux plus entendre parler de Genève ni de ce qui s’y passe » (Jean-Jacques Rousseau, Correspondance complète de Jean-Jacques Rousseau, éd. R. A. Leigh, t. 24, no 4059, Rousseau à Jean-André et Guillaume-Antoine Deluc, 24 février 1765).
3 Ibid., t. 35, no 6214, François-Henri D’Ivernois à Rousseau, 22 janvier 1768.
4 Ibid., no 6225, Rousseau à François-Henri D’Ivernois, 29 janvier 1768.
5 Jean-Jacques Rousseau, Œuvres, Genève, 1782, t. 24, p. 483-487.
6 Ce sont les généraux alliés qui dans leur ultimatum du 29 juin avaient exigé la retraite à vingt lieues de la ville de vingt et une personnes désignées comme les chefs du mouvement. Sur les circonstances exactes de la capitulation, voir le récit d’Otto Karmin, Sir Francis D’Ivernois (1757-1842), sa vie, son œuvre et son temps, Genève, Bader et Mongenet, 1920, p. 97 et suiv., qui donne la liste des 21 proscrits. Selon Marc Neuenschwander, « Les troubles de 1782 à Genève et le temps de l’émigration : en marge du bicentenaire de la naissance du général Guillaume-Henri Dufour », Bulletin de la Société d’histoire et d’archéologie de Genève, t. 19, 1989, p. 127-188, deux mille Genevois auraient quitté la ville le 2 juillet, mais l’immense majorité de ces fugitifs rentrent presque sur le champ, dans les heures, les jours ou au plus tard les semaines qui suivent (p. 149).
7 Le passage cité de la lettre de Rousseau à son père venait tout juste d’être publié par D’Ivernois dans une note de son Tableau historique et politique des révolutions de Genève dans le dix-huitième siècle, Genève, 1782, p. 393. La parution de l’ouvrage date en effet du mois de juin (voir Neuenschwander, art. cité, p. 138).
8 Dans la suite du Tableau publiée sept ans plus tard, D’Ivernois, qui y avait assisté, raconte en détail le déroulement de la séance. Alors que dans un premier temps, on s’était prononcé pour la résistance, la tirade enflammée d’un partisan d’une résistance « à outrance » aurait retourné l’assemblée vers le parti de la capitulation. À la crainte de la destruction dont était menacée la ville s’ajoutait la perspective « d’imiter l’exemple des intrépides habitans de Messene, de se réunir comme eux, non pour détruire l’ancienne patrie, mais pour aller jeter sous un autre ciel les fondemens d’une nouvelle, & y porter dans le cœur la liberté que la première paraissait avoir perdue sans retour », (François D’Ivernois, Tableau historique et politique des deux dernières révolutions de Genève, 2 vol. , Londres, 1789, II, p. 135). Voir également J. -P. Brissot de Warville, Le Philadelphien à Genève, ou Lettres d’un Américain sur la dernière révolution de Genève, Dublin, 1783. La justification de la conduite des chefs représentants passait par cette promotion du modèle de Messène (« Rappelés-vous ici la conduite de Messène dans la Grèce ; elle servira de modèle à nos républicains. […] Ses malheureux concitoyens qui survivent à la destruction de leur liberté, fuient leur patrie & vont fonder dans la Sicile une colonie devenue depuis très-brillante. Tel sera sans doute le sort de la nouvelle Genève… », ibid., p. 146), au détriment de l’héroïsme déplacé des habitants de Sagonte, dont les habitants avaient péri plutôt que de se rendre à Hannibal (« On cite encore l’histoire de Sagunte. Qui dit que les saguntins n’aient pas fait une folie ? qui dit que la bravoure est dans un acte de frénésie ? », ibid., p. 59).
9 Sur la Nouvelle Genève, la présentation la plus complète reste à ce jour celle de Karmin, op. cit., p. 113-158. Voir aussi Hubert Butler, « New Geneva in Waterford », The Journal of the Royal Society of Antiquaries of Ireland, 77, 2, 1947, p. 150-155 ; et les remarques très suggestives de Franco Venturi, « Ubi libertas, ibi patria. La Rivoluzione ginevrina del 1782 », Rivista storica italiana, 94, 1982, p. 395-434, qui à travers son étude de la réception de la révolution de 1782 dans les gazettes, l’inscrivait de fait dans un contexte international bien plus large. Sur la réception médiatique de l’événement, voir aussi Jean-Daniel Candaux, « Mouvements d’opinion et dérapages d’information : la révolution genevoise de 1782 dans la presse européenne », in Birgitta Berglund-nilsson (dir.), Nouvelles, gazettes, mémoires secrets (1775-1800), Karlstad, Karlstad University Press, 2000, p. 59-70. Sur l’émigration des Représentants plus généralement, Neuenschwander, art. cité, et Josef Feldmann, Die Genfer Emigranten von 1782-83. Ihre Koloniegründungen und ihre politischen und wirtschaftlichen Leistungen während der Revolutionsepoche, Affoltern am Albis, Weiss, 1952.
10 Sur la diaspora « globale » des loyalistes américains, Maya Jasanoff, Liberty’s Exiles : The Loss of America and the Remaking of the British Empire, Londres, Harper Press, 2011. Sur les exilés italiens de la période révolutionnaire, Anna Maria Rao, Esuli : l’emigrazione politica italiana in Francia (1792-1802), Naples, Guida, 1992. Sur les émigrés français et plus généralement les exilés politiques français au XIXe siècle, Sylvie Aprile, Le Siècle des exilés : bannis et proscrits de 1789 à la Commune, Paris, CNRS Éditions, 2010.
11 An historical and political view of the constitution and revolutions of Geneva in the eighteenth century, written originally in French, by Francis D’Ivernois Esq. LL. D. (late citizen of Geneva), and translated by John Farell, A.M., Londres, Cadell, 1784.
12 Cet usage est attesté par les dictionnaires, s’appliquant à une « colonie » : « se dit d’une colonie que l’on fait passer d’un pays dans un autre » (Le Dictionnaire de l’Académie françoise, Paris, Coignard, 1694).
13 Il s’agit respectivement des lettres de D’Ivernois adressées à lord Mountstuart, ambassadeur anglais à Turin (Bibliothèque de Genève, Ms. Suppl. 32, « Intelligence from Geneva », 1779-1783), déjà publiées en partie par Karmin, art. cité, et des lettres adressées par Clavière à différents correspondants genevois et irlandais (Archives nationales, T*646/1).
14 Robert R. Palmer, The Age of the Democratic Revolution. A Political History of Europe and America, 1760-1800, Princeton, Princeton University Press, 2 vol. , 1959-1964 ; Jacques Godechot, Les Révolutions : 1770-1799, Paris, PUF, 1963.
15 Palmer considérait son livre comme une somme d’histoires nationales formant une « histoire constitutionnelle comparée de la civilisation occidentale à l’époque des révolutions française et américaine » (Palmer, op. cit., I, The Challenge, p. V [ma traduction]). Si la structure de l’ouvrage tend en effet à simplement juxtaposer les épisodes révolutionnaires, on notera cependant l’attention portée aux « voies de communication » (« channels of communication ») entre révolution américaine et révolution française (ibid., chap. IX, « Europe and the American Revolution », p. 242-253).
16 David Armitage, Sanjay Subrahmanyam, « Introduction : The Age of Revolutions, c. 1760-1840 – Global Causation, Connection, and Comparison », in id., (dir.), The Age of Revolutions in Global Context, C. 1760-1840, Farnham, Palgrave Macmillan, 2010, p. XII-XXXII. L’approche connectée se définit par une double critique de l’« euro-tropisme » et du diffusionnisme de Palmer. Dans la mesure où la Nouvelle Genève n’est pas un phénomène global au sens strict, elle ne remplit qu’à moitié le cahier des charges.
17 Sur la Fabrique genevoise, ses effectifs et ses débouchés, Anne-Marie Piuz, Liliane Mottu-Weber, L’Économie genevoise, de la Réforme à la fin de l’Ancien Régime XVIe-XVIIIe siècles, Genève, Georg, 1990, p. 485-497.
18 Ce dernier néanmoins, se présentant comme un prince à l’« âme Républicaine », met en avant le critère politique : « J’avoue que c’est une idée délicieuse pour moi que d’entrevoir la possibilité d’une nouvelle Genève qui se formerait ici, où vous habiteriez ensemble, où vous formeriez une petite République, & où vous retrouveriez la liberté que vous avez perdue dans votre patrie » (Frédéric-Louis de Hesse-Hombourg à Vernes, citée par D’Ivernois, Tableau historique et politique des deux dernières révolutions de Genève, op. cit., II, p. 193-195).
19 Voir le mémoire à ce sujet en date du 8 octobre 1782 adressé par Mirabeau à Vergennes, cité par Karmin, art. cité, p. 118-120.
20 AN, T*646/1, Clavière à Amy Melly, 6 décembre 1782.
21 Ibid., Clavière à Roman l’aîné, 26 novembre 1782.
22 Ibid.
23 Ibid., Clavière à un destinataire non identifié, 1er août 1783.
24 Ibid., Clavière à Roman l’aîné, 26 novembre 1782.
25 Ibid.
26 Ibid.
27 Ibid., Clavière à Amy Melly, 6 décembre 1782.
28 Archives d’État de Genève ( = AEG), Archives Vernes, I, Jean-Jacques Juventin à Jacob Vernes, 28 février 1784, citée par Neuenschwander, art. cité, p. 147-148.
29 Voir l’analyse des raisons de l’échec par D’Ivernois lui-même (D’Ivernois, Tableau historique et politique des deux dernières révolutions de Genève, op. cit., II, p. 197 et suiv).
30 Bibliothèque de Genève, Ms. Suppl. 32, « Intelligence from Geneva », 1779-1783, D’Ivernois à Mountstuart, 7 juillet 1782.
31 D’Ivernois, Tableau historique et politique des deux dernières révolutions de Genève, op. cit., II, p. 188.
32 Sur les liens entre Brissot et Clavière et leurs conséquences à plus long terme, Richard Whatmore, James Livesey, « Étienne Clavière, Jacques-Pierre Brissot et les fondations intellectuelles de la politique des girondins », Annales historiques de la Révolution française [En ligne], 321 | juillet-septembre 2000, mis en ligne le 21 février 2006, consulté le 9 juillet 2012. URL : http://ahrf.revues.org/175.
33 Brissot, op. cit., p. 193. La contradiction potentielle avait déjà été soulignée par les Représentants avant l’intervention française, lorsqu’ils s’efforçaient de l’empêcher : « le défenseur de la liberté américaine ne voudra pas toucher à la nôtre », avait lancé D’Ivernois à Vergennes (D’Ivernois, Lettre d’un citoyen de Genève à M. ***, Genève, 1779, cité par Venturi, art. cité, p. 398).
34 Pour la métaphore de l’électricien, voir Armitage, Subrahmanyam, op. cit., p. XXXI. Ils distinguent deux formes de connexions : celles qui existaient et étaient connues des acteurs, mais qui ont été occultées et qu’il revient à l’historien de redécouvrir ; celles que les historiens, tels des « électriciens », peuvent créer par « reconstitution imaginative ». Cette dernière catégorie, qui n’est pas véritablement illustrée par un exemple, apparaissant problématique, on distinguera plutôt dans ce qui suit deux degrés de connexions : d’une part, les connexions matérielles ; d’autre part les connexions discursives, opérées par les acteurs notamment par le biais de la comparaison, à l’image de l’ouvrage de Brissot.
35 Voir à ce sujet la mise au point de Richard Whatmore, « The role of Britain in the political thought of the Genevan exiles of 1782 », in Valérie Cossy, Béla Kapossy et Richard Whatmore (dir.), Genève, lieu d’Angleterre : 1725-1814, Genève, Slatkine, 2009, p. 185-197, qui contredit sur ce point Karmin, op. cit., p. 120.
36 Eugène-E. Rovillain, « L’Angleterre et les troubles de Genève en 1766-1767 d’après les papiers du comte de Shelburne », Zeitschrift für Schweizerische Geschichte, 7, 1927, p. 164-203.
37 Shelburne, qui avait auparavant occupé le poste de Home and Colonial Secretary dans le gouvernement Rockingham, devint premier ministre à la mort de ce dernier le 1er juillet 1782. Selon D’Ivernois, il « était connu pour avoir voulu engager son pays à défendre la liberté des Corses, & à ne point attenter à celle des Américains. Genève semblait donc avoir des droits sur lui… » (D’Ivernois, Tableau historique et politique des deux dernières révolutions de Genève, op. cit., II, p. 188). Pour une synthèse sur Shelburne, connu pour ses convictions fluctuantes, Hamish M. Scott, British Foreign Policy in the Age of the American Revolution, Oxford, Clarendon Press, 1990, p. 323 et suiv.
38 Bibliothèque de Genève, Ms. Suppl. 32, « Intelligence from Geneva », 1779-1783, D’Ivernois à Mountstuart, 30 septembre 1782.
39 Sur les loyalistes en Grande-Bretagne, Mary Beth Norton, The British-Americans : the Loyalist Exiles in England 1774-1789, Boston, Little Brown, 1972, en particulier p. 111 et suiv. sur les secours et les résultats de la commission d’enquête dirigée par Coke et Wilmot.
40 Bibliothèque de Genève, Ms. Suppl. 32, « Intelligence from Geneva », 1779-1783, D’Ivernois à Mountstuart, 7 juillet 1782.
41 Richard Whatmore, « Clavière, Étienne (1735-1793) » et « Duroveray, Jacques-Antoine (1747-1814) », Oxford Dictionary of National Biography, Oxford University Press, 2009 [http://0-www-oxforddnb-com.catalogue.libraries.london.ac.uk/view/article/98252 et http://0-www-oxforddnb-com.catalogue.libraries.london.ac.uk/view/article/98253, consulté le 11 juillet 2012].
42 Bibliothèque de Genève, Ms. Suppl. 32, « Intelligence from Geneva », 1779-1783, D’Ivernois à Mountstuart, 30 septembre 1782.
43 Sur les événements irlandais, Theodore W. Moody, William E. Vaughan (dir.), Eighteenth-Century Ireland : 1691-1800,t. IV, A New History of Ireland, Oxford, Clarendon Press, 1986. Sur l’impact, somme toute relativement limité, de la révolution américaine sur l’Irlande, voir la mise au point de Maurice Joseph Bric, « The American Revolution and Ireland », in Jack P. Greene, Jack Richon Pole (dir.), The Blackwell Encyclopedia of the American Revolution, Cambridge (Mass.), Blackwell reference, 1991, p. 504-507.
44 D’Ivernois, Tableau historique et politique des deux dernières révolutions de Genève, op. cit., II, p. 190.
45 Cité par Butler, art. cité, p. 152.
46 Ibid.
47 AEG, Archives Vernes, I, Jean-Jacques Juventin à Jacob Vernes, 28 février 1784, citée par Neuenschwander, art. cité, p. 150.
48 D’Ivernois, Tableau historique et politique des deux dernières révolutions de Genève, op. cit., II, p. 198-199.
49 Joseph Bénétruy, L’atelier de Mirabeau : quatre proscrits genevois dans la tourmente révolutionnaire, Genève, Jullien, 1962. Pour une discussion de l’hypothèse selon laquelle la révolution française pourrait avoir des origines globales, Lynn Hunt, « The French Revolution in Global Context », in Armitage, Subrahmanyam, op. cit., p. 20-36.
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