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p. 37-39
Texte intégral
1Les directeurs de cet ouvrage n’ont pas souhaité reprendre l’ordre des communications données lors du colloque qui se tint à Vizille au mois de septembre 2010. Ce que le lecteur lira ne correspond pas strictement aux actes d’un colloque mais constitue un choix délibéré de proposer une lecture reconstruite qui doit aboutir dans la forme à un livre nouveau sur le thème du voyage républicain.
2Il nous est apparu en effet, tirant les leçons des discussions, des débats, et au fil de l’élaboration de l’ouvrage, qu’il fallait imaginer un plan rigoureux afin de poser la spécificité de notre propos et d’éclairer avec le plus de précision possible cette hypothèse de la naissance d’un voyage républicain, point seulement comme facilité langagière mais comme réalité historique et vécue comme telle par ses protagonistes. Comment le définir, l’individualiser, l’illustrer, le mettre en perspective avec d’autres voyages et l’inscrire de façon chronologique dans l’époque mouvementée des révolutions entre 1770 et 1830 ?
3Débusquer, repérer, délimiter et démontrer l’existence d’un voyage républicain, tout cela repose sur une intuition scientifique selon laquelle l’édification d’un monde globalisé dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, au sortir de la guerre de Sept Ans (1756-1763), s’est accompagnée de profondes mutations qui ont bouleversé les modes de représentation et d’appropriation des espaces continentaux, voire océaniques. Économiquement, diplomatiquement, culturellement, le monde sortait différent de cette conflagration mondiale qui allait provoquer l’étincelle des Révolutions en chaîne à venir. Dans cette dynamique nouvelle, les voyages intègrent une dimension politique. Ils portent les nouveaux régimes, la soif de mobilités inventant de nouvelles matrices institutionnelles, entrevues et espérées par la fin de la guerre et la nouvelle donne diplomatique après le traité de Paris en 1763.
4Un cadre chronologique précis constitue le socle de cette hypothèse que les différents thèmes, regroupant toutes les interventions mais réorganisées, doivent illustrer, depuis les années 1780 et les allées et venues en tous sens d’une jeunesse avide de connaissances, jusqu’aux récits de ces mêmes jeunes hommes et femmes, vieux voyageurs devenus immobiles, et le plus souvent perclus de douleurs, interdisant tout déplacement, dans les années 1820.
5Le voyage est respiration, le voyage est cycle comme tout phénomène historique étudié sur une période qui dépasse quarante ans et requiert tout d’abord un séquençage préliminaire qui, à défaut d’imposer un cadre temporel intangible, exprime des réalités que les contemporains ont pu ressentir. Certes les voyages ont une longue histoire comme le montre l’introduction de Gilles Bertrand. Cependant la conjoncture les transforme et les politise.
6Jusqu’en 1789, l’Europe est traversée en tous sens, avec des voyageurs sensibles aux frémissements et changements politiques. Puis surviennent en 1787, 1788 et 1789 de fortes secousses révolutionnaires des Provinces-Unies aux provinces Belgiques, comme l’on disait alors, jusqu’à la France. Exils, errances, fuites en tout genre font se croiser des populations demeurant aux frontières dans l’espoir d’un retour rapide, arrivant dans les grandes villes et stimulant les discussions politiques et les éditions de textes enflammés pour la cause de la liberté et d’un cosmopolitisme de plus en plus revendiqué. Les voyages inventent un système de référents communs, font prendre conscience d’un destin politique partagé sur l’idée de liberté à défendre ou à conquérir. Ailleurs on se bat pour les mêmes raisons qu’ici, et seul le voyage peut le donner à comprendre.
7Un deuxième temps, celui des explosions révolutionnaires, explique que l’actualité des voyages passe au second rang. Les déplacements demeurent certes, mais semblent moins au cœur de l’actualité politique. Désormais ce sont les centres, les Assemblées des représentants qui concentrent l’attention des voyageurs. Il ne s’agit plus de voyager mais de se fixer, d’être là où se passe, où naît l’Histoire. Le retour en grande vitesse de Brissot des États-Unis vers l’Europe à l’annonce des événements révolutionnaires en France en est l’illustration. Il ne s’agit plus de vagabonder, mais de s’enraciner là où l’avenir constitutionnel des peuples se construit.
8Puis la radicalité du processus révolutionnaire et l’émigration des contre-révolutionnaires inventant, forcés et contraints, l’anti-voyage républicain vont initier une nouvelle période. La guerre ensuite, à partir de 1792, embrase l’Europe et favorise de nouveaux déplacements. Le mouvement des troupes, voyages politiques à leurs manières, rend pourtant moins visibles les échanges d’expériences politiques entre 1792 et 1795. Les exilés de la veille se reforment dans des légions de Bataves, d’Allobroges, de Liégeois. Le voyage républicain prend alors un aspect martial.
9Il faut attendre les premiers traités de paix en 1795 avec la Prusse, l’Espagne, puis l’établissement du projet civilisationnel de la République des savants, de la République de la raison qu’a voulu édifier le Directoire, pour constater le regain des voyages dans leur spécificité républicaine. Plus tard, l’Empire et la Restauration verront tout autant de va-et-vient mais alors, c’est chacun qui portera la république avec lui, non plus comme une expérience commune à partager, de façon militante ou fort d’un mandat officiel, mais tel un patrimoine individuel et invisible à transmettre ou à protéger.
10Afin de rendre compte de ces scansions différentes il a été décidé de construire cinq temps, de respiration et d’intensité variables.
- La mise en place d’un voyage républicain.
- Révolution, conflits et voyages mouvementés.
- La république traduite, la république en transfert.
- Le voyage, fabrique des savoirs républicains.
- Au bout du voyage, héritage d’une génération.
11La première partie pose les prolégomènes d’un voyage républicain ancien notamment vers et dans les premières républiques de l’époque moderne jusqu’à la veille de la Révolution, lorsque les exilés des révoltes manquées aux Provinces-Unies, en Suisse, en Belgique, en Pologne traversent une partie de l’Europe et convergent vers la France où de grands bouleversements sont annoncés.
12Le second moment, une fois la révolution commencée, montre un temps d’adversité. La révolution perturbe, contrarie les voyages et ce n’est pas le temps le plus propice aux déplacements sereins. Les affrontements guerriers, fratricides, mettent sur les routes de l’errance et de l’exil des populations hétéroclites, militantes de la cause républicaine, violemment opposées, toutes confrontées aux regards des sédentaires qui se posent la question de savoir qui est qui ? Quel est ce voyageur qui dit être républicain mais qui n’est pas reconnu en tant que tel ? Qui est celui-là ou celle-là qui se disent contre-révolutionnaires mais que les autochtones soupçonnent du contraire ?
13Après 1795, le voyage républicain s’élabore avec davantage de précision, autour de notions plus clairement définies. Savoir, culture, expériences de sciences politiques et de sciences exactes dessinent les contours de mobilités et leurs légitimités qui se construisent en vue de renforcer le modèle républicain par l’apport des connaissances, par l’échange des savoirs, par les transferts parfois discutés et critiqués des objets, des œuvres, dans le but de faire de Paris une capitale des connaissances réunies par les voyages et partagées entre tous les citoyens de tous les pays. Le voyage devient constitutif d’un projet républicain directorial qui fait de Paris le centre d’où partent et arrivent les lumières d’une Europe sœur, et point seulement dominée.
14Las, les militaires, grands voyageurs s’il en est, ne tardent pas à accaparer l’expérience pour eux, et retransforment l’espace européen en espace conquis par la force, vidant le voyage républicain de sa dimension de construction d’une république cosmopolite des savoirs.
15Le voyage des républicains est surveillé désormais par une police consulaire et impériale de plus en plus liberticide. Le voyage républicain devient un exil intérieur. Il se transforme en une somme d’expériences personnelles qui sont racontées, qui sont écrites, qui redonnent sens à ce que fut un voyage républicain, à l’espoir de reconstruire des voyages où l’on reformera, sous de meilleurs auspices, le territoire d’une république cosmopolite, utopie bien réelle des républicains du XIXe siècle, de nouveau sur les routes.
16Alors, la littérature racontera et inventera ces voyages républicains, en mythifiant ces pérégrinations républicaines autant vécues réellement que rêvées nostalgiquement.
Auteurs
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