L’implantation des élus du PSA-PSU en France (1958-1981) : réseaux et prosopographie
p. 107-118
Texte intégral
1Cette communication sur l’implantation des élus du PSU en France prolonge les pistes esquissées lors d’une étude sur la Bretagne, un des principaux bastions électoraux et militants du PSU. Ce travail prend appui sur les diverses contributions des différentes sessions du colloque de Rennes en février 2007 et en septembre 2008, qui ont enrichi la connaissance des réseaux du PSU, vu d’en bas1. Nourri par des travaux de terrains sur la Bretagne, dans le cadre de nos recherches de thèse, ce texte s’appuie sur des sources multiples2.
2L’objectif est de partir de cette réalité du PSU, « parti paradoxal », en se penchant sur l’enracinement électoral, replacé dans la multiplicité des configurations militantes locales et en brossant le portrait collectif des élus du PSU, saisis au travers de leurs réseaux et filières. Ce travail tente aussi de mettre au jour les évolutions du second PSU des années 1967-1975, moins présent dans le renouvellement historiographique concernant le PSU3.
L’implantation des élus du premier PSU (1958-1968)
3Il s’agit de penser les réseaux partisans du PSU, parti charnière durant la période de relance de la gauche non communiste entre 1958 et 1968, au travers des différenciations de l’implantation électorale (scores, élus), l’enracinement militant (effectifs) et l’influence politique (idées) du PSU.
Crises et succès des premiers réseaux PSU (1958-1967)
4Lors des législatives de novembre 1958, la prépondérance des anciens cadres de la SFIO, parmi lesquels un nombre important d’anciens parlementaires entrés en politique en 1936 et élus à partir de 1945, se fait indéniablement sentir. C’est aussi le cas à l’échelle des secrétaires fédéraux, selon une fondation organisationnelle étalée dans le temps, comme le montrent les parcours de Henri Briffod en Haute-Savoie et de Joseph Chatagner dans l’Ain. Cette dimension du socialisme minoritaire et d’opposition depuis 1957 de la composante PSA, mise en lumière par la thèse de Gilles Morin4, apparaît nettement dans le portrait collectif des candidats aux élections législatives puis aux élections cantonales, à l’instar de Guy Desson (Ardennes), Antoine Mazier (Côtes-du-Nord) ou Robert Gourdon (Gard). Ce sont des groupes éparpillés qui rejoignent et forment le PSU selon un modèle matriciel d’une petite gauche ouverte à des réseaux pluriels5.
5Au moment de la fondation du PSU au début des années 1960, le parti, qui s’apparente à une refonte d’un parti socialiste et unitaire, revendique au moins 41 conseillers généraux : l’organisation dispose bien d’une colonne vertébrale d’élus, encore renforcée en 1961 où le groupe est porté à 49 conseillers généraux. Lors des élections législatives de novembre 1962, la structuration du parti au plan électoral se poursuit : les 120 candidats du PSU obtiennent 2,33 % des voix (427 400 voix), dont deux députés Tanguy Prigent et Raoul Bleuse (ce dernier évolue vers le centre droit à partir de 1963). Il existe une correspondance frappante entre les ancrages électoraux les plus forts et les trajectoires d’élus locaux du PSU, comme Guy Reymond dans les Basses-Alpes, Andrée Viénot dans les Ardennes, Aimé Huc dans l’Aude6, Jean Monteiller dans la Creuse7, ou Henri Mézière dans la Saône-et-Loire ou Alphonse Pheulpin en Haute-Saône… Lors des élections cantonales de 1964, le réseau d’élus locaux est à son apogée (55 conseillers généraux PSU). L’affirmation politique du PSU se prolonge lors des élections municipales de 1965, tissant un véritable réseau de maires PSU – au-delà du seul bastion politique de la Bretagne – à l’instar de René Foucart à Mainvilliers dans l’Eure-et-Loire.
Entre renouvellement des filières militantes et échecs électoraux (1967-1968)
6Le renouvellement des filières de recrutement militant et la transformation des cultures/pratiques politiques, consécutives à mai 19688, ouvrent une nouvelle phase de l’histoire de l’organisation politique, partagée entre la gauchisation du discours portée par les nouveaux militants et les aspirations des générations entrées au PSU sur des positions socialistes unitaires. L’ouverture du socle militant dans les années 1968 coïncide avec le retrait des générations entrées en politique en 1936 et 1945, venues au PSU dans l’opposition à la guerre d’Algérie et au pouvoir gaulliste. Le moment 1968 correspond à une nouvelle forme partisane et à une transformation de la culture politique du PSU, inscrite dans la séquence des mobilisations sociales de 1968.
7Distincte des aires traditionnelles de la SFIO et du PCF, l’attraction de l’idéologie PSU s’exerce sur de nouveaux groupes sociaux avec un rajeunissement, une féminisation et une tertiarisation des profils militants. Lieu de conversion et de passage politique, le PSU accélère et catalyse les dérives vers la gauche d’une frange du bloc conservateur. Ce bouleversement dans un temps très court est aussi marqué par une faible durée de militantisme et un fort taux de volatilité.
8En mars 1967, le PSU présente 103 candidats, recueillant 2,26 % des suffrages exprimés, soit 506 600 voix, restant donc une force mineure dans le système partisan français9. La stabilité est de mise par rapport aux législatives de novembre 1962, où les 120 candidats du PSU obtiennent 2,33 % des voix. En 1967, presque un tiers des candidats PSU obtiennent des scores supérieurs à 10 % des suffrages exprimés, profitant d’une dynamique unitaire de la gauche non communiste dans le cadre des accords passés au plan national avec la FGDS, qui soutient le PSU dans 34 circonscriptions.
9Encore en cours de traitement, la prosopographie des candidats du PSU aux élections législatives (1958-1973) souligne la faible proportion de femmes (moins de 20 candidates, à savoir 5 %), tendance qui contraste avec l’image de la féminisation de la base militante. La cartographie de l’absence de structuration du PSU10 (1967-1968-1973) incite aussi à prendre en compte la forte discontinuité des candidatures entre ces trois scrutins, une caractéristique des carences de l’organisation partisane.
10Ces élections mettent à jour l’ancrage du PSU dans certaines zones comme la Bretagne bien sûr, ou la Seine-Inférieure11. Bastion national du PSU, le Rhône met en avant des parcours représentatifs du rayonnement du PSU, avec des militants multipositionnés12. Localement, les élus PSU obtiennent des scores conséquents, qui dépassent largement l’audience du parti, très faible à l’ombre de la SFIO et du PCF. C’est le cas du leader de la petite fédération du PSU en Charente-Inférieure, le Dr Michel Boucher (1912-1982) à Saintes, ancien conseiller général SFIO de Saujon en 1945 et président de la puissante association de déportés et de prisonniers de guerre (FNDIRP). Cette implantation discontinue repose sur une notoriété personnelle, avec des relais et des ressources politiques antérieurs. Dans le Sud-Ouest, les relais électoraux du PSU étoffent le potentiel politique du parti, sur la base de leurs réseaux personnels : Achille Auban (ancien secrétaire d’État), voire Alexandre Montarriol, ancien dirigeant national de l’UGS, ou Raymond Badiou, leader de la tendance minoritaire de la SFIO et ancien maire de Toulouse de la Libération à 1959. Localement, les élus PSU obtiennent des scores conséquents comme François Étienne (maire de Montdidier en 1965), Alexandre Baurens (conseiller général dans le Gers) ou Vancraynest (premier adjoint à Reims). Ces législatives lancent les carrières politiques de syndicalistes CFDT, anciens jocistes ou jécistes aspirés par le PSU, dont Victor Madelaine en Moselle ou Michel Hérody dans l’Aisne. Au-delà de la faiblesse de cette nouvelle gauche, « petite gauche », certains leaders nationaux du PSU se distinguent au plan électoral, comme Gilles Martinet parachuté dans la Drôme, voire Harris Puisais, passé par les circuits des cabinets ministériels mendésistes, qui s’enracine dans l’Eure. Les accords passés avec la FGDS assurent de façon temporaire au PSU de faire le plein des voix de la gauche non communiste (Duchereux à Bourges), une courte parenthèse, avant le rattrapage et la relance des réseaux militants du PS en 1973, phénomène criant au plan national. L’hétérogénéité des courants qui traversent et clivent le PSU est xtrêmement frappante en région parisienne, espace fort au plan électoral avec une concentration des candidatures et des trajectoires très variées13.
11Lors du renouvellement cantonal en octobre 1967, le maillage des élus locaux du PSU perdure avec près de trente conseillers généraux, dont un tiers pour la seule région Bretagne : les Côtes-du-Nord ont huit élus (François Clec’h, Joseph Hillion, Léon Launay, Pierre Le Coquil, Yves Le Foll, Marcel Le Guyader, Louis Morel, Léon Sérandour), le Finistère dispose de trois conseillers généraux PSU (Albert Larher, Roger Prat, Tanguy Prigent). Il s’agit pourtant d’une rupture dans l’enracinement local du PSU, qui disposait de plus de quarante élus au milieu des années 1960. Le PSU gagne six sièges en 1966-1967 : Michel Boucher (Charente), Henri Martin (Gard), Abel Noreck (Ardennes), Victor Madelaine et Charles Metzlinger (Moselle), Pierre Jagoret (Côtes-du-Nord). Ancien responsable de la Confédération nationale paysanne (CNP) dans les années 1930 et député entre 1945 et 1958, le secrétaire fédéral du PSA-PSU du Gers, Alexandre Baurens (1900-1979), candidat des gauches, devient président du conseil général, tout en étant le seul élu PSU de premier plan du département.
12Mais le PSU perd une vingtaine de sièges de conseillers généraux avec une vague de départs des notables socialistes du PSU vers la FGDS durant la période 1966-1968. Rendant compte en creux de l’implantation du « premier PSU (1958-1967) », ce phénomène est repéré en Savoie (Henri Briffod), dans le Gard dès 1966 dans le sillage de Robert Gourdon et Jean Bastide, dans la Creuse (Pierre Ferrand, Marcel Maginier, Serge Cléret, Jean Monteiller en octobre 1967), dans le Lot-et-Garonne et le Lot (Roger Roques en avril 1967, Pierre Landoyer14 en décembre 1967), dans les Landes (Robert Labeyrie15), dans les Ardennes (Guy Desson en décembre 1967) et dans l’Eure (Albert Forcinal). Ancré autour des filières dissidentes de la SFIO, ce PSU notabiliaire, dans les espaces ruraux favorables aux socialistes, connaît un étiolement rapide, en raison du décalage croissant entre le type de rayonnement de ces parcours personnels (dont plusieurs anciens parlementaires SFIO) et les mutations idéologiques du PSU, qui s’éloigne de son profil originel de 1960. Ce groupe d’élus se désagrège et retourne dans le giron de la mouvance socialiste FGDS en 1966-196816. La même tendance est identifiée au niveau des cadres partisans du PSU, y compris parmi les secrétaires fédéraux comme André Lejeune dans la Creuse17. L’histoire du PSU est rythmée par ces vagues successives de départs politiques18.
13En juin 1968, la progression électorale aux élections législatives, sensible avec 3,94 % des suffrages exprimés (874 200 voix), maintient néanmoins le PSU aux périphéries du système partisan, loin des espoirs d’un parti dont certaines figures sont des acteurs politiques majeurs de Mai 1968 (Alain Geismar, Jacques Sauvageot). Cette logique correspond à la culture militante des nouveaux arrivants, pour qui la priorité politique n’est pas la conquête des mandats, des positions politiques. Paradoxalement, la stratégie de renforcement de la structuration partisane, avec 316 candidats sur l’ensemble du territoire, surtout en milieu urbain, est concomitante de la disparition de la représentation parlementaire, dans un contexte de reflux de la gauche : parti du PSU en décembre 1967, après l’exclusion de Poperen, Guy Desson est aussi battu à Sedan, avec le soutien communiste. L’enracinement se concentre dans l’Ouest19 avec en Loire-Atlantique les candidatures de Serge Mallet, Jacques Sallois, Jean Aubry, Maurice Milpied ou le tandem Louis Duboscq/René Philippot à Châteaubriant. Il en va de même dans les espaces ouvriers et urbains de l’Est (Roger Grégoire, Victor Madelaine, Claude Brixhe, les candidats en Lorraine) et dans certaines circonscriptions en Rhône-Alpes (Lyon, Grenoble, Savoie…). Sur les 228 candidats présentés hors de la région parisienne, 26 recueillent plus de 10 %, 59 obtiennent plus de 5 %. Près de la moitié des candidats se situent en dessous de 5 % : 82 se situent entre 3 et 5 % et 61 recueillent moins de 3 %. La généralisation des candidatures, notamment dans les départements très urbanisés, n’a pas toujours l’effet escompté comme dans les Bouches-du-Rhône, où le PSU est présent dans les 11 circonscriptions, sans obtenir un score supérieur à 3,3 % des voix.
14Une rapide typologie permet de faire apparaître différentes catégories de candidats en juin 1968. Le groupe des élus locaux (Michel Boucher, Achille Auban, Alexandre Baurens, Vancraynest20), ainsi que la sélection et la mise en avant des filières syndicales enseignantes et étudiantes (Michel Mousel, François Borella, Charles Pietri, Pierre Antonini, Michel De La Fournière) démontre les multiples facettes des réseaux politiques du PSU. L’organisation partisane fournit l’armature principale des candidats, notamment au travers des secrétaires fédéraux dans les zones de relative faiblesse électorale du PSU (Henri Taponard, S. Javelaud, Jean Poms, Georges Minazzi, Paul Arnassan, Jean Hureau, Charles Blineau), voire des cadres partisans (Jacques Compère-Roussey, Robert Petite, Robert Bourdon, Jacques Desmoulins, Michel Hollard, Jean-Pierre Martein). Le renouvellement militant est profond au niveau des candidats, parmi lesquels Brice Lalonde qui se présente dans l’Ain. Toutefois, la vitalité militante du PSU au début de l’année 1968 contraste avec la faiblesse des scores en juin 1968. Avec la diversité des tendances PSU incarnées par les leaders parisiens21, s’entremêlent les différents âges et visages du PSU.
L’implantation des élus du second PSU (1968-1981)
15Lors des élections présidentielles de juin 1969, la percée du vote Rocard22 est limitée. Avec 3,61 % (816 470 voix), le PSU talonne le Parti socialiste, à son étiage, tandis que Jacques Duclos démontre le retour en force du PCF. Signe d’une nationalisation des résultats, un faible écart quantitatif sépare les zones réfractaires23 (9 départements en deçà de 2,5 %) des régions de plus forte emprise PSU24 (18 départements compris entre 4 et 5 %). Le maintien du groupe d’élus PSU lors des cantonales de mars 1970, 840 176 voix et 22 élus, dont 11 dès le 1er tour, masque une vraie cassure générationnelle avec des retraits massifs parmi les notables PSU (trois pertes : Alexandre Baurens, Joseph Hillion, Albert Larher), à peine compensés par les cinq nouveaux élus : il y a trois successions réussies (Yves Moal après Tanguy Prigent à Lanmeur, Claude Guillou après François Clec’h à Bégard, René Petit après Andrée Viénot à Rocroi) et deux gains atypiques dans le Centre-Bretagne (Jean Bourgès à Bourbriac25, Guy Caro à Plouguenast).
16Refusant les négociations entre les appareils, qui voient l’émergence de logiques unitaires précédant le programme commun (1966-1972), le PSU reste à l’extérieur de la stratégie d’union de la gauche, mettant au jour des contradictions idéologiques et stratégiques. Les élections municipales de mars 1971 témoignent des tensions internes du PSU. Après l’échec, en décembre 1970, des négociations nationales avec le PCF, le PSU présente des listes à géométrie variable en fonction des configurations locales : listes autonomes (Saint-Nazaire, Montpellier, Chambéry), association avec le PCF (Béziers, Toulouse) et le PS (Rennes, Valence). Le PSU conserve les municipalités de Grenoble et Saint-Brieuc. À Bouguenais, François Autain prend la tête d’une liste d’union de la gauche. À partir de 1972, les références idéologiques du PSU se consolident : autogestion, écologie, féminisme, régionalisme26. La relance politique du PS en 1973, et celle du PCF dans une moindre mesure, avec les dynamiques de l’union de la gauche27, sont des causes externes à l’affaissement du PSU. Composante à part de la gauche, le PSU est réduit à sa plus simple expression, en raison de la normalisation de la mouvance socialiste, qui se reconfigure autour du PS dans les années 1970.
17En mars 1973, l’effritement électoral se poursuit : les 215 candidats PSU obtiennent 3,3 % des suffrages (810 640 voix). Yves Le Foll est le seul député PSU, jusqu’à son ralliement au PS lors des Assises du Socialisme. Le PSU ne présente aucun candidat dans 34 départements, formant quatre ensembles géopolitiques bien distincts. La présence du PSU est relativement solide dans les grandes villes, à l’exception de l’aire métropolitaine de Marseille. Le PSU présente systématiquement des candidats dans le Rhône, la Loire-Atlantique et la Seine-Inférieure, voire à un degré moindre la Gironde, la Haute-Garonne, ou le Nord et Nord-Pas-de-Calais (16 candidats sur les 50 circonscriptions que comptent ces espaces). En Bretagne, le PSU s’appuie sur son tissu de conseillers généraux dans les Côtes-du-Nord, mais le capital électoral s’amenuise avec une inversion du rapport de force qui profite au PS, à l’image de Roger Prat, devancé à Morlaix par Marie Jacq, issue du PSU. Les responsables syndicaux forment une part importante des candidats PSU, à l’instar de Lino Ottogali (syndicaliste paysan en Dordogne), Bernard Huissoud ou André Garnier (secrétaires départementaux de la CFDT dans le Rhône et la Loire). Précédant le départ d’une frange du parti vers le PS, ces élections achèvent de lancer les carrières de futurs parlementaires dans les années 1980 : Michel Destot à Grenoble, Pierre Bourguignon en Seine-Maritime, Huguette Bouchardeau dans la Loire, Umberto Battist à Maubeuge, François Autain à Rezé28… La ventilation des scores du PSU éclaire le déclassement électoral de la Nouvelle Gauche. À Paris, le PSU, présent dans toutes les circonscriptions, recueille des scores très homogènes et supérieurs à la moyenne nationale. Dans le reste du pays, trois candidats seulement franchissent le seuil des 10 % (15 se situant au-dessus de la barre des 5 %) alors que 48 font moins de 3 % et 63 obtiennent entre 3 et 5 %.
18En octobre 1973, le renouvellement cantonal confirme le décrochage du PSU. Si Jean Verlhac, adjoint chargé de l’urbanisme dans la municipalité Hubert Dubedout, est élu à Grenoble, le PSU subit une perte de six sièges avec les retraits de Michel Boucher (futur président du conseil régional de Poitou-Charentes en 1981, avant son décès en 1982) et Achille Auban, élu à Saint-Béat. Une nouvelle série de transferts politiques touche les conseillers généraux PSU avec des départs vers le PS (René Petit, Marcel Le Guyader, Marcel Launay), voire vers d’autres cieux (l’autonomisme breton en ce qui concerne Guy Caro). La relève militante ne compense pas la disparition des premières générations du PSU. Réduit de moitié, le groupe des élus se limite à quatorze unités.
19La « vague d’insubordination ouvrière », mise en exergue par les travaux de Xavier Vigna, à laquelle les militants PSU participent activement, ne se traduit pas politiquement par l’émergence d’une autre gauche, se démarquant des milieux communistes et socialistes. L’échec des élections de mars 1973 se traduit par une double fuite des militants vers l’extrême gauche et le PS. Le nouveau secrétaire national est Robert Chapuis (né en 1933), professeur, dirigeant de la JEC et de l’UNEF à la fin des années 1950.
20L’année 1974 correspond au moment décisif de déclin du PSU. Traversé par des divergences internes, miné par des oppositions stratégiques et de vifs débats, le PSU ne présente pas de candidat aux élections présidentielles, avec la levée de l’hypothèse Charles Piaget et le soutien à la candidature unique de la gauche. Cette réalité s’explique aussi par l’impréparation du scrutin en raison de la mort brutale de Georges Pompidou et par les perspectives d’alternance politique. Depuis le début de l’année, les différents états major préparent les échéances de 1976-1978, où doivent se succéder dans une séquence politique rapprochée des élections présidentielles, cantonales, municipales et législatives. L’éclatement du milieu partisan est visible lors des élections présidentielles anticipées de mai 1974 puisque René Dumont, candidat PSU aux élections législatives de 1973 en Seine-et-Marne, se présente comme candidat écologiste29 (1,3 % des voix), tout comme Arlette Laguiller, issue du PSU, pour Lutte ouvrière (2,3 % des voix).
21La fin de la structuration partisane à visée de conquête du pouvoir attise le délitement des réseaux militants du PSU, avec le départ de composantes dynamiques (élus, responsables CFDT), absorbées par le PS lors des Assises du Socialisme en octobre 1974. La confrontation entre les courants du PSU aboutit à la séparation douloureuse, échelonnée entre septembre 1974 (conseil national d’Orléans) et janvier 1975 (officialisation de l’adhésion au PS d’une grande partie des cadres historiques et de la quasi-totalité des élus). Ce mouvement achève d’assécher le groupe des élus PSU, comme en Bretagne, avec de fortes turbulences de l’organisation partisane : le PSU maintenu conforte la ligne autogestionnaire.
Jalons pour une prosopographie des conseillers généraux PSU30 (1960-1975)
22Il s’agit d’une première esquisse d’un travail en cours, nécessitant l’élaboration de notices biographiques sur les conseillers généraux PSU pour le Maitron. Un travail similaire et parallèle, en vue d’une approche comparative des cercles dirigeants et élites partisanes du PSU à l’échelle locale, a été engagé pour brosser un portrait collectif des membres de la CPN, des secrétaires fédéraux et des candidats aux élections législatives.
23Ce décompte, incertain en raison de la complexité des affiliations au PSU des élus, incorpore uniquement les conseillers généraux élus sous l’étiquette PSU (45 départements concernés, dont 30 cas d’élus isolés).

Évolution du nombre de conseillers généraux PSU en France
24On distingue clairement trois périodes au plan quantitatif. Jusqu’au milieu des années 1960, le PSU revendique entre 40 et 55 conseillers généraux, avec un maximum à l’issue du renouvellement de 1964. Un cycle de départs des principaux dirigeants locaux du PSU, dont l’enracinement électoral dépasse le seul cadre des cercles partisans, s’échelonne entre 1966 et 1968, le PSU passant de plus de 50 élus à une grosse trentaine de conseillers généraux. Enfin, le déclin électoral du PSU est visible dans les années 1970 avec encore 28 conseillers généraux après 1970, mais seulement 14 en 1973 et 2 en 1976.
25Au plan des espaces politiques du PSU, il est possible d’établir une typologie de ses zones de forces. Les Côtes-du-Nord (14 élus) et le Gard (8 élus) possèdent une spécificité locale d’un réseau de conseillers généraux socialistes PSU. Le second ensemble, assez proche dans le profil militant des élus, même si le phénomène est moins marqué est constitué des départements qui ont élu plus de trois conseillers généraux PSU : la Creuse et l’Eure (5 élus), les Ardennes et le Finistère (4 élus), l’Isère et le Lot-et-Garonne (3 élus) ont au moins 3 élus PSU. Enfin, 7 départements disposent d’au moins deux conseillers généraux PSU (Aube, Eure-et-Loir, Haute-Garonne, Deux-Sèvres, Seine, Vosges, Belfort). Dans près d’un tiers des cas, le conseiller général identifié est le seul élu PSU dans l’assemblée départementale31 (30 départements).
26Le regard global sur les indicateurs traditionnels (âge à la première élection, catégories socioprofessionnelles) conforte l’idée d’un profil politique décalé des conseillers généraux PSU par rapport à la base militante (notamment pour la génération principale, élue avant 1968). Ainsi, les conseillers généraux PSU sont âgés de 50 ans et demi lors de la première élection. La notabilisation de ces élus, ainsi que la personnalisation des réseaux militants qui dépassent la seule aire d’influence du PSU, expriment un décalage entre les conseillers généraux dont le profil est proche de celui des élus socialistes (venant de la SFIO, convergeant vers la FGDS ou le PS) et une minorité d’élus au profil hétérogène (milieux radicaux, maintien dans les filières PSU après les Assises du socialisme). La sociologie des élus PSU porte exclusivement sur la moitié du corpus (52 élus), qui milite clairement au PSU et affiche cette étiquette politique lors des élections. Environ un quart de ces élus sont des enseignants, à parts égales des professeurs du secondaire (7) et des instituteurs ou directeurs d’écoles (6). Un autre profil militant, en direct avec les filières partisanes locales, rappelle la dimension politique du PSU, comme le prolongement d’un socialisme laïque et rural. Dans ces territoires où la culture PSU s’inscrit dans la continuité de la SFIO, les conseillers généraux PSU sont sélectionnés parmi les notables et professions libérales (dont 9 docteurs et 3 avocats), tout en étant ancrés socialement dans les espaces ruraux (9 agriculteurs, 4 petits commerçants ou artisans, deux entrepreneurs, un officier de la marine militaire). Parmi les petits paysans, on note une translation des engagements dans les filières militantes, de la CNP ou de la Confédération générale de l’agriculture – CGA – (Roland Viel32) au Centre départemental des jeunes agriculteurs (CDJA), révélant un passage du socialisme laïque traditionnel à l’insertion dans les « filières des chrétiens de gauche ». Un quart du corpus renvoie à d’autres catégories sociales, en lien notamment avec le nouveau visage du PSU dans la deuxième moitié des années 1960 (7 cadres). Dans les années 1960, le groupe PSU au conseil général du Gard33, comme en Bretagne, procède des dissidences du milieu socialiste (Jean Bastide, Paul Blanc, Robert Bompard, Charles Bouet, Robert Gourdon, Georges Martin, Henri Martin, Jules Ozil34, Marcel Rouquette).
27Dans une période de recompositions et de restructurations de la gauche, le PSU, tramé par des tendances politiques complexes et éclatées, est une force politique atypique, en position charnière, alternant la gauche contestataire et la gauche gestionnaire. Lieu de débats et de transferts militants, caractérisé par une forte mobilité interne, le PSU s’apparente à un laboratoire politique, tout en reprenant une frange de l’enracinement militant de la SFIO autour de ses réseaux d’élus locaux (notamment le groupe des conseillers généraux).
Notes de bas de page
1 Tudi Kernalegenn, François Prigent, Gilles Richard, Jacqueline Sainclivier (dir.), Le PSU vu d’en bas. Réseaux sociaux, mouvement politique, laboratoire d’idées (années 1950-années 1980), Rennes, PUR, 2010.
2 Archives Marc Heurgon, conservées par les ATS, fonds d’archives privées et enquête par questionnaire menée auprès d’anciens militants. Archives du Centre d’histoire du travail (CHT) de Nantes (fonds PSU mais aussi fonds Lambert, Poperen, Tanguy Prigent). Dossiers relatifs aux élections législatives et cantonales, dépouillement de la presse nationale (congrès, élections), entretiens oraux, notices du nouveau corpus PSU du Maitron, animé conjointement avec Gilles Morin. Les trajectoires évoquées ont fait l’objet de notices biographiques. Claude Pennetier (dir.), Le Maitron. Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier et du mouvement social, 12 t., Paris, éd. de l’Atelier, 2006-2012.
3 François Prigent, « État des lieux des recherches sur le PSU en France », communication au séminaire du Comité d’histoire politique et parlementaire, L’Histoire politique en renouveau, hommage à René Rémond, Paris, 16 avril 2010. Tudi Kernalegenn et François Prigent, « La marginalisation du PSU dans le système partisan français (1967-1975) », dans Gilles Richard et Jacqueline Sainclivier (dir.), Les Partis à l’épreuve de 68. L’émergence d’un nouveau clivage (1971-1974), Rennes, PUR, 2012.
4 Gilles Morin, De l’opposition socialiste à la guerre d’Algérie au PSA (1954-1960), un courant socialiste de la SFIO au PSU, thèse, Paris 1, 1992.
5 Symbole de la continuité des réseaux socialistes, les municipales de 1959 sont l’occasion de nouvelles formes d’alliances (UFD) avec une volonté de se différencier de la SFIO et de se rapprocher du PCF, comme en témoignent les configurations de Nantes ou Lorient.
6 Instituteur, Aimé Huc (1911-1987) est conseiller général SFIO puis PSU de Narbonne (1945-1964).
7 Médecin, Jean Monteiller (1920-1991) est conseiller général PSU (1961-1967), FGDS-PS (1967-1985) de Châtelus-Malvaleix.
8 Sur les réseaux Étudiants socialistes unifiés (ESU), cf. Jean-Claude Gillet et Roger Barralis, Au cœur des luttes des années 1960. Les étudiants du PSU, une utopie porteuse d’avenir ?, Paris, Ed. Publisud, 2010.
9 Une légère progression s’observe par rapport à 1962 : toujours ultra-minoritaire, le PSU s’implante au Parlement avec quatre élus, dans les fédérations les plus fortes : la Bretagne (Roger Prat à Morlaix et Yves Le Foll à Saint-Brieuc), l’Isère (Pierre Mendès France à Grenoble), les Ardennes (Guy Desson à Sedan).
10 Dans dix-sept départements, le PSU présente au maximum un seul candidat en 1967, 1968 et 1973 (Allier, Hautes-Alpes, Ariège, Corse, Haute-Loire, Lozère, Mayenne, Hautes-Pyrénées, Pyrénées-Orientales, Var). Il faut souligner les sept départements où le PSU était de sensibilité socialiste, avec des conseillers généraux dans les années 1960 (Aveyron, Cantal, Creuse, Landes, Meuse, Nièvre, Deux-Sèvres). Si le PSU s’est construit sur des positions anticolonialistes, il ne présente aucun candidat dans les 13 circonscriptions d’outre-mer.
11 Avec les figures de Louis Pontier au Havre et Michel Bérégovoy (né en 1931, responsable national de FO et futur député PS de Rouen en 1981 et 1988). Sans oublier l’influence mendésiste dans l’Eure.
12 Citons ainsi Suzanne Gerbe (luttes anticoloniales), André Barthélémy (secrétaire fédéral) ou Élie Depardon (imbrication de filières militantes JOC-CFDT-ACO).
13 Robert Verdier ou Colette Audry, venus de la SFIO (en passant par la Nouvelle gauche l’UGS pour elle) mais qui rejoignent la FGDS dès la fin de l’année 1967, Marc Heurgon, Yves Jouffa ou des intellectuels tournés vers l’extrême gauche (Manuel Bridier, Jacques Kergoat ou Pierre Naville).
14 Enseignant, Pierre Landoyer est conseiller général SFIO (1945-1949), divers gauche (1949-1961), PSU (1961-1967) puis FGDS (1967-1973) de Damazan.
15 Artisan, Robert Labeyrie (1907-1989), maire de Pontonx-sur-Adour (1944-1983), est conseiller général SFIO puis PSU de Tartas-Ouest (1945-1970).
16 Arch. de l’OURS, 2 APO 6.
17 Véritable vivier de futurs élus PS dans les années 1970-1980, ce passage par le PSU mériterait d’être quantifié dans le groupe parlementaire socialiste des années Mitterrand.
18 Le cas des cadres partisans et des élus a déjà été évoqué, ouvrant la voie à des carrières politiques socialistes, dont il faudrait mesurer la force à tous les échelons politiques. Rappelons aussi celui des intellectuels comme Jean Maitron, suppléant en 1962, qui rompent avec le PSU après mai 1968. Le départ des syndicalistes, concentré entre 1973 et 1975, est plus tardif en général que celui des élus PSU (1967-1972).
19 Les scores sont très hétérogènes d’une circonscription à l’autre, avec des pics pour Yves Le Foll Roger Prat, Guy Caro et Charles Foulon.
20 Parmi les suppléants, on retrouve plusieurs maires PSU, dont Jean-Pierre Viale en Ardèche ou le Dr Poms en Dordogne.
21 Outre Marc Heurgon, Claude Bourdet, Robert Chapuis, Manuel Bridier, Édouard Depreux, Michel Rocard, on retrouve ainsi André Barjonet (cadre national de la CGT, nouvel adhérent en 1968), Bernard Ravenel, Jean Le Garrec (secrétaire national adjoint), Bernard Langlois (journaliste fondateur de Politis), Jacques Salvator (futur maire PS d’Aubervilliers), François Soulage (proche de Michel Rocard).
22 En octobre 1969, l’élection législative partielle remportée par Michel Rocard dans les Yvelines contre Maurice Couve de Murville (54 % des voix au second tour) s’inscrit dans un contexte de mise en cause du gaullisme et de mobilisation de la gauche, absente du second tour des élections présidentielles.
23 Allier, Alpes-Maritimes, Cantal, Corse, Creuse, Indre, Morbihan, Bas-Rhin, Haut-Rhin.
24 Côtes-du-Nord, Doubs, Drôme, Finistère, Haute-Garonne, Gers, Isère, Loire, Haute-Loire, Maine-et-Loire, Haute-Marne, Meurthe-et-Moselle, Puy-de-Dôme, Rhône, Savoie, Haute-Savoie, Seine-Inférieure, Territoire de Belfort.
25 Chef de bureau, Jean Bourgès, né en 1926, adjoint centriste de Guingamp (1961-1967), est conseiller général (1967-1979), évoluant de l’Action travailliste vers le PSU.
26 En décembre 1972, le congrès de Toulouse renforce la direction politique (Michel Rocard, Jean Le Garrec, Robert Chapuis), qui élabore une alternative cohérente au programme commun de gouvernement. Affaibli dans son audience militante et électorale, l’encadrement partisan se détourne de l’extrême gauche et se rapproche du PS, jusqu’aux Assises du Socialisme, tandis que ses militants s’engagent dans les mouvements sociaux (régionalisme breton, Larzac, Lip autour de Charles Piaget, candidat PSU en 1973 dans le Doubs), mobilisant autour de l’identité politique de l’autogestion.
27 Colloque de l’OURS et de la Fondation Jean-Jaurès (FJJ), « L’union sans l’unité. Le programme commun de la gauche (1963-1978) », Pantin, 19-20 mai 2010.
28 Écarté par Jean-Pierre Sueur à la mairie d’Orléans en 1983, Michel de La Fournière est seulement conseiller général. Arch. de l’OURS, fonds La Fournière.
29 Militant SFIO à Montargis dans les années 1930, René Dumont (1904-2001), expert agronome à la FAO, est un des fondateurs de l’écologie politique en France.
30 Nous remercions Gilles Morin pour l’aide fournie dans la collecte de ces données.
31 Aude, Aveyron, Basse-Alpes, Calvados, Cantal, Charente-Inférieure, Cher, Corrèze, Côte d’Or, Gers, Gironde, Indre, Indre-et-Loire, Jura, Landes, Loire, Loiret, Lot, Marne, Nièvre, Oise, Orne, Puy-de-Dôme, Pyrénées-Atlantiques, Saône-et-Loire, Haute-Saône, Savoie, Haute-Savoie, Seine-et-Marne, Yvelines.
32 Fondateur du comité de Guéret et président de la Chambre d’agriculture du Puy-de-Dôme, Roland Viel (1918) est conseiller général de Saint-Amant-de-Tallende et maire d’Aydat (1953-1983).
33 Arch. départementales du Gard.
34 Entrepreneur, Jules Ozil (1889-1964), résistant, est maire (1944-1964) et conseiller général (1949-1964) de Saint-André-de-Valborgne, évoluant de la SFIO au PSU.
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