Introduction
Les partis politiques sont-ils solubles dans la démocratie délibérative ?
p. 11-35
Texte intégral
1Sur des terrains multiples et autour d’enjeux divers, des dispositifs sont aujourd’hui promus et expérimentés dans le but affiché de renforcer l’implication des citoyens dans l’espace public et de prendre en compte leur jugement politique : les sondages délibératifs visent à recueillir une opinion éclairée en fournissant des informations communes aux individus interrogés et en les invitant à débattre les uns avec les autres1 ; les conférences de consensus et les jurys citoyens mettent des profanes en rapport avec des experts et organisent des échanges d’arguments censés déboucher sur la formulation de propositions avisées2 ; les comités de quartiers sont supposés permettre aux « habitants » de confronter publiquement leurs points de vue sur les problèmes gérés à l’échelle locale et de prendre une part plus ou moins active à la prise de décision3…
2Les écrits foisonnants des théoriciens de la démocratie délibérative offrent des points d’appui aux pratiques développées dans ces dispositifs. Dans le modèle de référence qu’ils tendent à forger, « la décision légitime n’est pas la volonté de tous mais celle qui résulte de la délibération de tous. C’est le processus de formation des volontés qui confère sa légitimité au résultat, non la volonté déjà formée4 ». Les procédures délibératives sont conçues comme un moyen de promouvoir un échange public d’arguments entre des individus intéressés par une même question ; plutôt que de viser à un compromis entre des points de vue déjà arrêtés, l’interaction est supposée permettre une évolution – et éventuellement une convergence – des avis initialement formulés. L’accent est alors mis sur les principes d’argumentation (échange et évolution des points de vue) et d’inclusion (degré d’ouverture et de publicité du débat), dans le but de « fusionner l’opinion publique et la délibération ». Au lieu de faire de la délibération une dimension qui caractérise d’abord l’activité des représentants et qui est toujours susceptible d’être opposée à l’opinion publique « irrationnelle » de la masse ou du peuple, il s’agit de l’ancrer dans les discussions ordinaires des simples citoyens. « Le moment décisif, du coup, n’est plus l’élection mais la formation de l’opinion publique : l’élection ne représente qu’un moment particulier dans un débat ininterrompu5. » La représentation devrait, si la démarche était poussée jusqu’à son terme logique, « se dissoudre dans la délibération6 ». Le rôle des représentants se limiterait alors à avaliser et à traduire en mesures concrètes les propositions consensuelles qui auraient émergé des forums et espaces de discussion mis en place7.
3Ainsi conçu, le modèle délibératif ne saurait être confondu avec celui que cherchent à promouvoir les théoriciens américains du pluralisme8 : il appelle à un dialogue évolutif plutôt qu’à des marchandages et des compromis entre des intérêts intangibles ; l’échange d’arguments y prévaut sur le rapport de force. Un écart peut également être marqué avec le schéma de la démocratie participative dont les contours sont moins strictement délimités : la participation est appuyée sur divers dispositifs qui n’exigent pas tous une délibération à proprement parler9. Celle-ci peut néanmoins être conçue comme un moyen de favoriser celle-là : « la démocratie participative se doit d’être aussi une démocratie délibérative car l’efficacité et la légitimité de la participation dépendent pour une large part de la qualité des délibérations menées10 ».
4Les promoteurs du modèle délibératif forment le pari que les citoyens peuvent être éclairés par le débat. Il s’agit dès lors de créer les conditions théoriques et pratiques d’un échange ouvert et informé. Cette démarche se heurte néanmoins à plusieurs difficultés. Force est tout d’abord de constater que le concept de « délibération » relève davantage de la pensée politique que du discours et des pratiques des agents. Le risque est grand de céder à une forme d’idéalisme et de plaquer sur la réalité une problématique encore peu intégrée par les enquêtés en confondant – selon la formule de Marx – « la logique des choses » avec « les choses de la logique11 ». Les dispositifs mis en place sont très inégalement « délibératifs » ensuite, quand bien même ce label est-il revendiqué. Nombreuses sont les études empiriques qui évaluent leur fonctionnement concret et qui mesurent des écarts significatifs avec le schéma de référence.
5Si le modèle délibératif soulève de multiples interrogations, une faible attention a été accordée jusqu’alors au rapport qu’il peut entretenir avec les organisations partisanes12. Une injonction délibérative semble pourtant adressée à ces dernières dont les implications peuvent être significatives : dès lors que de nouvelles formes d’engagement apparaissent, une transformation des échanges entre élus et électeurs est à envisager ; des recompositions du militantisme sont également susceptibles d’être observées. Pour éviter toute erreur d’interprétation, il convient pourtant de préciser la nature de l’objet étudié et de prendre la mesure des pièges tendus par le sens commun. Un premier effort doit consister à dénaturaliser la montée en puissance des pratiques délibératives et à montrer qu’elle n’est pas dissociable de luttes symboliques et politiques pour la légitimation de certains agents. Sur cette base, nous pourrons localiser les entrées par lesquelles la thématique délibérative est introduite dans les partis politiques : nous identifierons les espaces dans lesquels leaders et militants s’en imprègnent et mettrons en évidence des logiques de circulation. Il s’agira alors de comprendre les effets que les procédures délibératives produisent une fois introduites dans la sphère des activités partisanes ainsi que les conditions de leur institutionnalisation et de leur légitimation.
Les contours problématiques de l’injonction délibérative adressée aux partis politiques
6Le modèle délibératif enclenche – selon l’expression de Jürgen Habermas – un processus de « dissémination discursive13 ». En première analyse, il affecte de deux manières les formations politiques : il érode leur légitimité et amène par réaction leurs dirigeants à imposer de nouveaux modes d’organisation. Un certain nombre d’hypothèses sont communément formulées sur ce double processus externe et interne. Il convient d’en restituer l’économie générale pour en discuter ensuite le bien-fondé et mettre en évidence les luttes de légitimité dont elles participent.
Les partis dans la démocratie délibérative
7Selon une analyse répandue, l’élection n’est plus la seule source de légitimité – quand bien même reste-t-elle le principal moyen d’organiser la dévolution du pouvoir. La vie démocratique s’élargit de plus en plus au-delà de la sphère électorale et des mécanismes de représentation. « L’élection a dorénavant une fonction plus réduite : elle ne fait que valider un mode de désignation des gouvernants. Elle n’implique plus une légitimation a priori des politiques qui seront ensuite menées14. » De nombreux acteurs sont appelés à contribuer continûment à l’élaboration des choix collectifs. De nouveaux modes d’expression débordent en conséquence les dispositifs traditionnels de représentation. Le modèle délibératif propose précisément une confrontation permanente et généralisée des intérêts sociaux. Il élargit le cercle des acteurs légitimes et crée de nouveaux espaces d’échange, tournés essentiellement vers la « société civile ».
8Parce que leur histoire est étroitement imbriquée dans celle du suffrage universel, les organisations partisanes sont liées à la sphère électorale et aux mécanismes de représentation15. Le modèle délibératif contribue dès lors à les affaiblir. Les fonctions de structuration des controverses publiques, d’animation du débat politique, de production de visions du monde discriminantes et de conceptions de l’intérêt général – traditionnellement dévolues aux formations politiques – sont remises en cause par le développement d’espaces de délibération qui débordent très largement le cadre partisan. Selon une représentation dominante, le développement de la démocratie délibérative traduirait alors l’affaiblissement des partis politiques et leur marginalisation croissante dans le processus de fabrication des opinions16. Ces derniers perdraient progressivement leur fonction « expressive » en raison de leur faible réceptivité sociale – elle-même liée au déclin de leur ancrage et à la diminution du nombre de leurs adhérents. Leur incapacité à assurer encore une fonction de médiation des intérêts sociaux justifierait la quête de nouveaux outils « démocratiques17 ». La délibération viendrait suppléer, dans ce contexte, des organisations devenues défaillantes ou les concurrencer très directement18. Les réflexions développées sur ce mode empruntent volontiers au registre de la biologie et du systémisme : après avoir connu leur âge d’or au cours du XXe siècle, en raison de leur lien organique à la démocratie représentative, les partis politiques seraient arrivés à un état d’épuisement naturel par le fait de leur inadaptation à un nouvel environnement. La « complexité », la « fragmentation », l’« individualisation » croissantes de la société, les « nouvelles attentes » d’un citoyen plus critique, éclairé et diplômé seraient à l’origine d’une « crise de la représentation » qui mettrait en cause le rôle des partis. Capable de développer une réflexion autonome et réfractaire désormais à toute forme d’encadrement politique, le « nouveau citoyen » réclamerait de prendre continûment et directement part à la prise de décision19. Les procédures délibératives permettraient de répondre à cette demande et à l’émergence de comportements « dialogiques ». Les médias et Internet deviendraient, en lieu et place des partis politiques, les espaces dans lesquels se structure le débat public. Les travaux que Bernard Manin a consacrés à la généalogie et aux transformations du gouvernement représentatif rendent assez bien compte de ce modèle d’analyse et de sa prétention à mettre au jour des évolutions inexorables. Une distinction y est opérée entre trois modèles successifs de rapport entre représentés et représentants. Âge d’or du parlementarisme, le XIXe siècle consacre la « démocratie des notables » en faisant reposer la représentation sur des liens locaux et personnels. La « démocratie des partis » s’impose ensuite : dépersonnalisée désormais, la relation politique est fondée sur la fidélité à une formation qui devient le principal support de la médiation. La liberté du représentant et celle du représenté sont encadrées par les partis, les programmes étant placés au cœur de la transaction électorale. La domination des organisations partisanes est finalement remise en cause par l’avènement d’une « démocratie du public », lié au déclin des identifications partisanes aussi bien qu’à l’emprise des médias et des sondages20. La relation politique se « re-personnalise », en appui sur le développement du marketing politique et la propension des journalistes à valoriser les propriétés individuelles des représentants. Selon cette analyse, la capacité des partis à définir l’agenda politique, à créer des loyautés chez les électeurs et à mobiliser des segments de la société s’affaiblit. Les médias se substituent aux organisations politiques dans le rôle d’intercession entre « l’opinion » et les gouvernants, ce qui contribue à dévaluer les espaces militants et partisans comme lieux de construction des alternatives politiques21.
9La lecture ainsi livrée tend à poser comme une évidence l’émergence d’une situation nouvelle. Elle amène à considérer sous un jour particulier les évolutions internes des partis politiques : pour s’ajuster à la « demande du public », les responsables qui sollicitent les suffrages des électeurs seraient amenés à développer une culture du débat et à introduire, au sein de leur formation, des procédures délibératives.
La démocratie délibérative dans les partis
10Suivant l’interprétation la plus commune, les dirigeants des partis s’adaptent à la « nouvelle donne » en organisant à leur tour des forums. Ils n’ont plus vocation à parler et agir au nom d’une catégorie de citoyens ni à défendre mécaniquement des intérêts sociaux ; leur tâche est désormais d’aménager et d’entretenir des espaces de délibération. L’exigence du débat découlerait ainsi de la « crise de l’identification partisane ». Dans un contexte d’affaiblissement des idéologies et des « grands récits », la « vérité » des institutions partisanes serait plus fragile, plus contingente, soumise à renégociation régulière et donc à discussion. Les partis seraient de moins en moins capables d’« administrer » un « sens » politique et tendraient à aménager plutôt des espaces ouverts dans lesquels leur identité même serait perpetuellement mise en débat22. Moins « représentatifs » que par le passé, ils seraient conduits à reconsidérer les modalités selon lesquelles la représentation politique est construite. La théorie du parti cartel prend appui sur ces clés de lecture. La « démocratisation » et l’individualisation des pratiques partisanes y sont envisagées comme des réponses à l’affaiblissement de l’ancrage social des partis23. Les formations politiques et leurs dirigeants compenseraient cette fragilité par la qualité des délibérations déployées en leur sein. Les partis politiques seraient confrontés à la concurrence de nouveaux mouvements sociaux et organisations qui valorisent le débat et les procédures démocratiques (la nébuleuse altermondialiste) et seraient contraints pour rester attractifs de proposer une nouvelle offre de pratiques militantes, plus participatives et délibératives24. En rupture avec le principe d’organisation pyramidal qui consiste à élaborer un programme directif et à le diffuser par des relais militants ou médiatiques auprès d’une base électorale visée, il s’agirait désormais d’organiser des échanges continus25 entre militants et avec la « société civile ». Cette transformation conduirait à un assouplissement et à une perméabilité accrue des structures : au lieu de limiter la délibération à des cénacles de militants, les partis seraient incités à associer à leurs activités des citoyens nombreux, sans condition d’adhésion ni autre formalité. De cette façon, il serait possible de mettre en contact des points de vue plus diversifiés – opération que ne peuvent réaliser les associations spécialisées ou les groupes d’intérêt, contraints qu’ils sont d’afficher une façade unitaire26. Les processus de « démocratisation27 » des organisations partisanes iraient ainsi de pair avec des tentatives d’élargissement de la base militante et d’« ouverture » sur la société.
11Construites à partir d’objets empiriques circonscrits, les communications ici rassemblées visent à discuter, nuancer et affiner les analyses livrées jusqu’alors sur les défis externes que les procédures délibératives posent aux partis politiques et sur les recompositions internes qui en résultent. Si séduisantes soient-elles, les hypothèses macrosociologiques dont nous venons de restituer l’articulation pèchent par leur degré de généralité comme par les présupposés systémiques qui les sous-tendent. Les dynamiques organisationnelles n’ayant pas la belle rationalité que l’on leur prête souvent, une lecture plus circonspecte nous semble nécessaire. Sur cette base, nous assignons un double objectif au présent ouvrage : préciser en premier lieu dans quelle mesure les nouveaux dispositifs délibératifs concurrencent, dévaluent, voire marginalisent les espaces partisans ; rendre compte en second lieu de la manière dont les formations politiques incorporent le modèle délibératif en développant de nouveaux dispositifs. L’accent sera mis sur les luttes de légitimité qui sous-tendent les évolutions observées. Sous cet éclairage, les procédures délibératives apparaissent à la fois comme un facteur d’affaiblissement des partis et comme un moyen de redéfinir les règles des jeux politiques auxquels participent leurs animateurs.
Luttes de légitimités
12La promotion de la démocratie délibérative s’adosse souvent à une entreprise de stigmatisation des partis. Elle participe de luttes politiques et symboliques dont il faut comprendre l’économie et qui ont pour enjeu la redéfinition de la « bonne » représentation démocratique. La légitimité des partis politiques est aujourd’hui fortement contestée par les discours qui construisent un « nouvel esprit de la démocratie ». Les propos sur l’avènement naturel de la démocratie délibérative et l’usure des mécanismes de représentation peuvent servir des agents qui ont un intérêt direct à dévitaliser les partis politiques en les présentant comme des organisations archaïques, appelées à être dépassées28. Tout laisse à penser qu’ils prolongent et réorientent une entreprise historique de démonétisation des joutes partisanes au nom de l’efficacité et de l’adaptation à la « modernité » : des agents qui ne peuvent se prévaloir d’une légitimité populaire ou qui occupent une place marginale dans le champ politique cherchent à frapper d’obsolescence les ressources dont ils sont dépourvus. Ils s’attachent à affirmer leur « représentativité » et renforcent leur propre position en universalisant les critères d’excellence qu’ils peuvent faire valoir (compétence technique et capacité à identifier les « vraies » questions ou les « meilleures » solutions29). La promotion des procédures délibératives imprime un nouveau cours à ces luttes symboliques engagées de longue date30. La représentation de l’électeur qui sous-tend de nombreuses analyses mérite alors d’être déconstruite. La demande sociale que postulent les promoteurs des procédures délibératives doit également être interrogée : les sympathisants ou adhérents ne manifestent souvent que de faibles dispositions (au sens de compétence et d’appétence) à la délibération31 et les dispositifs mis en place ne sont guère investis32. L’idée selon laquelle le développement de forums au sein des partis participerait nécessairement d’une « démocratisation » interne appelle enfin un examen circonspect.
13Les nouvelles procédures introduites dans les partis politiques font l’objet d’usages très diversifiés : elles sont appropriées, hybridées et instrumentalisées de multiples façons. Au lieu de les analyser comme l’effet d’une évolution mécanique ou d’un modèle qui s’imposerait par sa seule force conceptuelle, il convient de les replacer systématiquement dans les logiques spécifiques de l’organisation étudiée, d’identifier les agents qui les promeuvent et dont elles servent les desseins et de mesurer les investissements dont elles font l’objet. Pour avancer dans cette direction, il importe de localiser et de circonscrire avec précision les espaces dans lesquels la disqualification des ressources partisane est organisée : les formations politiques se ramifient à des échelles multiples qui offrent autant de points d’entrée à la thématique délibérative.
Les entrées multiples de la thématique délibérative dans les partis politiques
14Lancée sur un terrain national, la charge contre les mécanismes de représentation partisane est aussi menée à d’autres échelles – ce qui n’exclut pas des croisements avec des dynamiques antérieures, les ressources accumulées sur un plan pouvant le plus souvent abonder une entreprise engagée sur un autre. Promue pour répondre à des objectifs propres dans l’élaboration des politiques publiques locales ou européennes, la thématique délibérative impose un nouveau registre de légitimation auquel des responsables partisans sont sommés de se plier et qu’ils peuvent faire circuler ensuite dans différentes arènes. Les contributions ici réunies permettent d’éclairer ces processus multiformes.
Une affirmation progressive de la thématique délibérative dans les espaces politiques locaux
15Au niveau local, le développement d’une démocratie participative plus ou moins matinée de « délibération » permet de contourner des structures partisanes dont l’ancrage social apparaît affaibli et qui semblent parfois peiner à construire des liens avec la population locale. Les conseils de quartiers peuvent s’imposer comme des substituts fonctionnels à des réseaux partisans défaillants33. Loin de procéder d’un mouvement mécanique, cette situation est le produit indirect d’un travail ciblé livré par plusieurs catégories d’agents. À l’échelle locale, des « passeurs » s’attachent depuis les années 1980 à brouiller les frontières précédemment établies entre logiques techniques et logiques politiques. Peuvent être regroupés dans cette catégorie plusieurs « figures mixtes » d’agents « qui passent d’un monde à l’autre » : anciens leaders associatifs devenus maires ; techniciens et chefs de projets engagés dans la contractualisation des politiques publiques ; responsables des services développés autour des élus locaux ; spécialistes de la gestion du débat public. Une combinaison tend à s’opérer entre la figure de l’expert et celle du « développeur social », spécialiste du dialogue avec les « habitants34 ». Des « références d’action hybrides » sont mobilisées. Un écart est marqué avec le modèle de la « régulation croisée » qui permettait aux élus et aux fonctionnaires de se conforter mutuellement en usant de leurs ressources distinctes. Une « fusion des compétences » est désormais observée qui favorise le développement de « langages partagés35 ». Les élus ne s’affirment plus simplement par la légitimité tirée de l’élection ou de leur formation politique mais également par leur capacité à organiser un dialogue continu avec leurs administrés ou avec les associations locales sans passer par les relais partisans. Le processus est renforcé par la dépolitisation de l’action publique et « l’invisibilisation36 » des partis au niveau local. Il est à mettre en rapport avec le développement d’un « marché » spécifique, créé et entretenu par des entreprises de communication qui organisent une expertise de la participation et de la délibération. Les « professionnels » qui s’affirment dans ce nouveau registre contribuent à leur manière à la disqualification des ressources partisanes en technicisant les formes de la délibération locale. Leurs cursus permettent de les différencier et de comprendre les ressources qu’ils cherchent à valoriser : les uns sont d’anciens militants – engagés notamment dans les « luttes urbaines » des années 1970 – reconvertis dans la consultance ; les autres sont issus des entreprises de communication classiques et se sont adaptés à un nouveau marché37. Tous construisent un corpus de savoirs spécialisés ; ils s’attachent à démontrer que l’organisation de délibérations nécessite des compétences spécifiques et que les maires « modernes » se doivent de les maîtriser en s’entourant d’un personnel qualifié38. Les effets du registre de légitimation ainsi formé sont perceptibles dans les débats en ligne qu’aménagent les municipalités. Dans le présent ouvrage, Stéphanie Wojcik montre que les élus investissent peu les forums ; selon ses observations, ils préfèrent porter le débat dans des réunions publiques et dans des relations de face-à-face qui leur garantissent un quasi-monopole sur les réponses apportées aux citoyens. Cette mise en retrait formelle ne les empêche pas de se livrer à un fort encadrement thématique et éditorial : la municipalité fait obstacle à toute expression partisane et s’attache à « capter les participants aux forums en fonction de leur compétence sur les sujets débattus ». En faisant intervenir des citoyens ou des groupes informés et dûment sélectionnés, il est possible de donner le ton aux échanges postérieurs. En d’autres termes, le pouvoir des élus locaux reste entier, mais il ne s’exprime pas dans l’affrontement politique direct ni par la mise en avant d’une étiquette partisane. Il repose plutôt sur une maîtrise des recettes et tours de main qui permettent de contrôler et de cadrer les dispositifs délibératifs.
16De la même manière, les partis politiques apparaissent marginalisés par la mise en place de nouveaux dispositifs de débat public et supervisés par la Commission Nationale du Débat Public (CNDP)39. En étudiant ici les délibérations qui portent sur les projets d’aménagement et les grands équipements, Sandrine Rui met en évidence les difficultés des élus et des militants qui s’y trouvent impliqués à mettre en avant leur appartenance à une formation politique. Suivant les principes qui président implicitement aux échanges, les partis ont une vocation généraliste et ne peuvent se pencher sur des questions qui réclament un « point de vue territorialisé consistant ». L’ancrage partisan est par ailleurs synonyme de dogmatisme et de fermeture à l’évolution des jugements – au rebours des exigences introduites par la dynamique délibérative de l’échange. Si le débat vise idéalement à instaurer un régime de parole permettant de confronter les analyses en concurrence et de les faire évoluer par la délibération, les militants ou les élus qui se proclament mandatés par une formation politique campent souvent sur leurs positions et jouent marginalement le jeu du dialogue et de l’échange persuasif. Les membres revendiqués d’un parti sont enfin soupçonnés d’instrumentaliser le débat et d’y introduire des considérations externes qui nuisent à l’émergence de propositions constructives et consensuelles. Pour être entendus des autres participants, chaque protagoniste doit démontrer sa capacité à élaborer des « coalitions de projet » qui transcendent les divisions politiques. Les élus intériorisent en conséquence l’impossibilité de tenir un discours qui fasse référence à leur formation. Certains d’entre eux, très investis dans les procédures de débat public et aguerris à la prise de parole, en arrivent à dissimuler leur profil partisan et à se présenter comme des citoyens ordinaires plutôt qu’à se poser en représentants d’un groupe circonscrit.
17Les orientations observées à l’échelle locale obéissent à des contraintes spécifiques. Indirectement, et sans qu’une intention explicite puisse toujours être caractérisée, les professionnels de la participation et les élus locaux qui relaient la thématique délibérative contribuent à l’entreprise de délégitimation des partis historiquement engagée à l’échelle nationale. Ce résultat est redoublé par des dynamiques observées à l’échelle européenne.
Une utilisation contrôlée de la thématique délibérative dans le gouvernement de l’Union européenne
18Au niveau européen, la dépréciation des logiques partisanes obéit à une logique spécifique. Pour se légitimer et s’affirmer face aux élus qui peuvent exciper d’une légitimité populaire, obtenue sur la base d’un mandat représentatif, la Commission s’attache à redéfinir les modalités de l’engagement politique. Elle préconise une association des citoyens au processus de décision par l’aménagement de forums et l’échange d’arguments. Le débat prolongé doit permettre à tous de s’informer, d’entendre les arguments adverses et de converger vers des positions nuancées, les hauts fonctionnaires européens se chargeant de traduire dans des projets de directive les propositions consensuelles qui émergent au final40. De nouveaux vecteurs de participation sont dès lors appelés à s’affirmer en lieu et place de « la représentation élective ». Il s’agit de renoncer aux appareils centralisés et hiérarchisés pour aménager un système « horizontal » qui favorise la coopération et les processus d’apprentissage mutuel41. Un « nouvel âge de la participation » est défini dans lequel « la vision traditionnelle de la démocratie, fondée essentiellement sur la représentation élective, s’adapte à un contexte où la fonction de gouverner est partagée entre un nombre croissant d’acteurs et de niveaux de prise de décision42 ». Les groupes d’intérêt sont au cœur du dispositif, en tant qu’ils favorisent des délibérations externes et internes : adversaires et partenaires à la fois, leurs responsables échangent des points de vue évolutifs ; dans le même temps, chacun de leur repositionnement doit s’accompagner d’un dialogue avec les membres de leur organisation. L’Union européenne offre un support tout désigné à ces procédures délibératives : les politiques publiques y sont négociées avec souplesse, de sorte que des « innovations démocratiques assurant la participation des groupes d’intérêt aux processus décisionnels permettent à la démocratie de se transformer43 ».
19Les promoteurs de ce schéma jugeant acquis le principe du changement, ils s’attachent à circonscrire les problèmes pratiques qui en découlent et à y remédier. Quelques critères permettent d’évaluer la qualité des arènes délibératives. Il convient d’apprécier leur « capacité d’inclusion » (inclusiveness), c’est-à-dire « les proportions dans lesquelles les agents affectés par une politique peuvent avoir un mot à dire dans sa formulation ». La « contestation » doit ensuite être mesurée : elle désigne « la possibilité pour ceux qui sont affectés par une politique de la bloquer s’ils s’y opposent44 ». Il importe encore de favoriser l’expression de « publics consolidés » (strong publics) au détriment des « publics diffus » (general publics) : les forums délibératifs doivent reposer sur une organisation précise et non pas prêter à des débats informels et erratiques45. L’interrogation porte enfin sur la manière dont les groupes d’intérêt peuvent « combler au moins pour partie les déficits démocratiques multiples qui découlent d’une prise de décision éclatée sur plusieurs niveaux politiques46 ». Les deux registres de la délibération sont à considérer sous cet angle. La délibération externe peut être faussée par l’inégale puissance des organisations ; pour que les échanges s’établissent sur un pied d’égalité, il importe que soit observée une « structuration juridique des arènes de délibération » et que soit apporté un « soutien financier aux associations les plus faibles47 ». La délibération interne peut être viciée elle aussi dès lors qu’une professionnalisation est observée : au cours des échanges entre les membres du groupe, l’avis des experts tend à l’emporter sur celui des profanes48. Ce travers est irréductible, mais il n’est pas propre aux groupes d’intérêt : il n’y a pas lieu de s’en offusquer davantage que des orientations oligarchiques observées par le passé dans les partis politiques49. Forte de ces principes, la Commission peut tenter de légitimer son pouvoir et de s’affirmer face au Conseil européen – face aux gouvernements nationaux issus des urnes – mais aussi et surtout face à un Parlement européen dont les membres sont élus et organisés sur des critères partisans : si faiblement structurés soient-ils, les groupes parlementaires rassemblent les députés sur la base de leur engagement préalable dans une formation politique ; un député français siège par exemple dans le groupe du Parti socialiste européen (PSE) à Strasbourg et à Bruxelles en suivant l’orientation de la liste sur laquelle il a été élu et qui a été constituée par la direction nationale de sa formation. L’ancrage partisan offre aux parlementaires européens une source de légitimité que la Commission s’attache à contrebattre en présentant les élections et leur encadrement par les formations politiques comme dépassés. Les parlementaires – qui continuent d’occuper des fonctions dans leur parti national – sont continûment et insidieusement exposés à ce discours.
20Dans sa contribution au présent ouvrage, Sabine Saurugger montre que les pratiques développées et modélisées par la Commission provoquent un retour sur la définition même de la démocratie délibérative. Force est de constater que les transactions entre les groupes d’intérêt ne se conforment pas exactement aux critères énoncés par la plupart des théoriciens : elles ne permettent pas à chacun de s’exprimer et de prendre part à la décision. Pour ne pas abandonner la thématique de la délibération et pour conserver le bénéfice de ses effets légitimateurs, un distinguo est opéré entre plusieurs formes d’organisation : si les procédures mises en place par la Commission ne répondent pas au schéma idéal de la « délibération normative », elles peuvent être référées à la « délibération rationnelle ». Une inflexion est alors apportée au modèle pluraliste : des acteurs rationnels parviennent à un compromis sans modifier leurs préférences initiales, l’argumentation (assimilée à la délibération) facilitant simplement l’émergence d’un accord. Une « délibération fonctionnelle » est également caractérisée : elle désigne les échanges organisés entre hauts fonctionnaires et groupes d’experts dans le but d’élaborer les politiques publiques les plus efficaces, les seconds étant supposés former une « société civile organisée » et éclairer les premiers sur les préoccupations et les aspirations des citoyens européens. Le jeu sur les définitions permet d’opérer un raccord avec l’édifice doctrinal de la démocratie délibérative pour y puiser des arguments qui justifient la faible intégration des partis politiques dans le policy making de l’Union européenne. Les délégués du Parlement européen qui prennent une part active aux travaux de la Convention pour l’avenir de l’Europe renoncent ainsi à faire valoir leur appartenance partisane au nom de la libre confrontation des points de vue individuels.
21Les agents qui cherchent à délégitimer les partis trouvent en somme de puissants renforts dans une « nébuleuse réformatrice50 » alimentée aux échelles locale et européenne. Des dynamiques autonomes engagées dans des espaces de concurrence spécifiques en arrivent à s’entrecroiser pour ériger la délibération en nouvelle norme de la « modernité ». La thématique ainsi forgée peut alors circuler et pénétrer au sein des formations politiques elles-mêmes en suivant des trajectoires caractérisées.
La circulation de la thématique délibérative
22Pour complexes et multiformes qu’ils soient, les processus d’importation peuvent toujours être restitués et mis en rapport avec les activités d’agents particuliers. Les promoteurs des forums ouverts au sein des partis politiques ont la tâche d’autant plus aisée qu’ils peuvent s’inspirer de modèles extérieurs et légitimer leur entreprise par une référence à des pratiques développées dans d’autres cercles, sous l’étendard de la « modernité » et de la « nouveauté ». Un phénomène de circulation des procédures délibératives est ainsi à l’œuvre dont il importe de restituer la logique. La diffusion des modèles et des dispositifs peut s’opérer sur un mode vertical, d’un niveau de représentation à un autre, aussi bien que sur un mode horizontal, d’un parti à un autre. Au cours du processus, des glissements, des remodelages et des retraductions s’opèrent51.
23Une circulation verticale permet de transférer les procédures délibératives d’un niveau de pouvoir à un autre, soit que des élus multipositionnés les transportent avec eux, soit que des jeux d’influence s’exercent dans des arènes qui mettent en contact des agents de diverses provenances. Des liens peuvent s’établir de la sorte entre les fédérations européennes de partis – parfois désignées europartis – et les partis nationaux52. Le Parlement européen qui abrite les premières est lui-même engagé dans un conflit de légitimité avec la Commission ; soucieux d’affirmer sa capacité à relayer mieux que quiconque les attentes de la « société civile européenne », il s’engage sur le registre délibératif que les hauts fonctionnaires européens ont érigé en étalon démocratique. Sabine Saurugger met ainsi en lumière la propension des députés européens à organiser des « auditions publiques » qui se résument dans les faits à une consultation de groupes d’intérêt, du type même de celle que la Commission valorise. Des « intergroupes » sont également mis en place au Parlement européen ; leur activité consiste en l’organisation de colloques et de débats publics. Des élus peuvent s’inspirer des pratiques ainsi développées et les transférer à l’échelle nationale pour se poser en « modernisateurs » et réclamer une adaptation au « nouvel âge de la participation53 ». Une circulation verticale doit être observée par ailleurs entre les élus locaux et la direction du parti – à la condition néanmoins de ne pas réifier la distinction entre les deux niveaux54. Les registres de légitimation que Stéphanie Wojcik met au jour à l’échelle municipale (attachement à présenter une collectivité consensuelle ; sollicitation de citoyens informés) sont extensibles à d’autres cercles. Les professionnels de la participation peuvent être tentés de vendre leur compétence auprès des instances nationales. Imprégnés de la thématique délibérative, certains élus locaux cherchent à l’utiliser pour s’affirmer au sein du parti et renforcer leur assise à d’autres échelles55.
24Une circulation horizontale s’opère dans le même temps entre différentes formations, sur la base d’un « mimétisme organisationnel ». Laurent Olivier montre que le PS et l’UMP s’observent mutuellement pour ne pas être dépassés sur le terrain de l’innovation procédurale. Mais il convient aussi de caractériser une « circulation internationale des dispositifs56 » : ainsi que le souligne la contribution de Florence Faucher-King, le Parti travailliste britannique est influencé par ses homologues scandinaves ; il devient lui-même une référence pour la plupart des « modernisateurs » qui s’expriment dans les partis socialistes et sociaux-démocrates.
25Formée et consolidée dans des espaces de concurrence bien délimités, la thématique délibérative est appropriée par certains agents et importée dans les partis politiques pour lutter contre de nouveaux adversaires et se légitimer face à eux. Des combinaisons complexes en résultent. Une fois introduites, les procédures délibératives produisent du reste des effets croisés : elles peuvent encore être appropriées de diverses façons et prêter à des usages multiples57.
Les effets croisés des procédures délibératives dans les partis politiques
26Le recours aux procédures délibératives participe de stratégies organisationnelles plus ou moins articulées. Il ne produit pas toujours les effets attendus ou annoncés néanmoins. L’innovation proclamée peut être largement trompeuse : loin de provoquer une refonte complète des modes d’organisation internes, les outils de la délibération se coulent souvent dans des pratiques plus anciennes. Leur capacité à soumettre les dirigeants aux volontés de la « base » apparaît factice au demeurant. De nombreux éléments tendent à prouver que la prise de décision est plus fermée encore que par le passé. Les procédures délibératives offrent de nouveaux moyens de développer un contrôle vertical sur les adhérents et permettent une autonomisation accrue des dirigeants. Elles sont par ailleurs mises au service des stratégies horizontales que développent certains cadres partisans pour sortir de situations conflictuelles ou s’affirmer face à leurs adversaires. Il ne saurait être question pour autant de conclure à un simple renforcement de tendances qui étaient déjà à l’œuvre au sein des formations politiques considérées : la pratique étendue de la délibération contribue à redéfinir le militantisme et à en modifier profondément les formes.
Une innovation en trompe-l’œil
27Le développement des outils délibératifs participe d’un processus plus large de « démocratisation » des organisations58 qui se traduit par l’individualisation de la « base » militante, la multiplication des consultations internes et la sélection directe des dirigeants et des candidats par les adhérents59. Les démarches qui visent à un élargissement des consultations au sein des partis sont fondées sur l’idée que les militants traditionnels les plus actifs et anciens ne sont pas représentatifs de la masse des adhérents et moins encore des électeurs.
28L’ancrage procédural des débats organisés apparaît assez lâche néanmoins. Le chercheur doit éviter de plaquer une notion qui ne fait sens que pour lui-même (les animateurs des partis – dirigeants ou militants – ne se demandent guère si leurs pratiques de débat relèvent de la « démocratie délibérative60 »). Les principales formations politiques pratiquent de fait une délibération peu formalisée, appuyée sur un référentiel mou et faiblement prescriptif. Le degré de réflexivité et l’attachement à évaluer les pratiques apparaissent également limités. Il s’agit avant tout de produire du jugement et des opinions à travers des dispositifs de débat collectif contradictoire sans que les conditions pratiques et théoriques d’une délibération ouverte, inclusive et de qualité soient vraiment pensées. Il n’existe guère de « débat sur le débat ». La question de « l’empowerment » militant est très peu traitée. La mise en démocratie des partis reste au final très pauvre.
29La mobilisation de nouveaux outils délibératifs au cours des campagnes électorales laisse transparaître les limites de l’innovation invoquée. Les manières de construire le lien avec les électeurs semblent obéir à de nouvelles logiques61 et reposer sur l’adoption d’un style délibératif. La relation électorale n’est plus uniquement pensée, mise en scène ou construite dans les termes et les registres de la « promesse » ou de l’offre programmatique. Elle n’est plus mise en forme et donnée à voir comme un échange au terme duquel l’électeur se prononce sur une offre politique exogène, arbitre et tranche, mais comme une conjoncture dans laquelle chaque citoyen co-produit cette offre, participe en quelque sorte à sa définition. La campagne devient ainsi un moment d’interaction, de concertation, de participation, de dialogue, de délibération… qui vise moins à valider le ministère de la parole politique des professionnels qu’à produire la « parole citoyenne » des profanes62. L’élection présidentielle française de 2007 en offre de multiples exemples. Pendant les mois qui précèdent le scrutin, de nombreuses émissions télévisées donnent la parole à des citoyens ordinaires « panélisés » en valorisant leur témoignage ou leurs doléances. La campagne de Ségolène Royal illustre la manière dont le style délibératif tend à dévaluer les fonctions et les ressources partisanes. C’est sur la base du projet socialiste – voté en juin 2006 par les militants – que la primaire interne au PS s’engage, chacun des candidats se disant tenu par lui. Une fois investie, Ségolène Royal repose néanmoins la question de la définition du programme en ouvrant à la mi-décembre 2006 la phase « participative » de sa campagne. Par ce procédé, la candidate se soustrait à l’emprise du parti et de son projet. Les structures locales du PS mais surtout les réseaux Désirs d’avenir qu’elle contrôle sont invités à multiplier les forums participatifs. Les militants socialistes apparaissent marginalisés par le choix de cette méthode, le projet qu’ils avaient voté étant contourné. Ils se trouvent en quelque sorte dépossédés de leurs prérogatives programmatiques. La campagne « participative » de Ségolène Royal se déploie principalement sur et via Internet. Elle fait émerger « un régime de légitimité fondé sur la traçabilité hypertextuelle des arguments63 ». Comme le montre la contribution de Laurent Olivier, le processus délibératif s’accompagne d’un travail constant de sélection : la candidate ou son entourage indiquent sur le site Désirs d’avenir ce qu’ils conservent des échanges (rubrique « ce que je retiens »). Les « synthèses » citent les thèmes les plus marquants des contributions d’internautes et renvoient sur un mode hypertextuel au message originel, le « feed-back » permanent étant censé renforcer l’implication. Les fiches de recueil de pratiques constituées par les membres de l’association Désirs d’avenirs ont pour objectif de constituer à l’usage de la candidate un répertoire d’innovations de terrain et de modèles internationaux. Une équipe de 70 bénévoles « modérateurs-synthétisateurs » se relaie jour et nuit pour trier les messages sur le site de l’association. Des journées régionales de restitution des « débats participatifs » sont programmées par le PS, le 3 février 2007. La candidate reçoit plus de 135 000 contributions provenant de Désirs d’avenirs et des 5 000 « débats participatifs » organisés dans toute la France (estimation de la candidate). Une synthèse est livrée dans Les Cahiers d’espérance. 300 000 Français, selon la candidate, ont participé à l’ensemble des débats. Des interrogations peuvent néanmoins être formulées sur le caractère délibératif des échanges organisés et la fiabilité de la « synthèse » réalisée. Comment la parole citoyenne a-t-elle été recueillie ? Quel est son statut véritable ? Quelles ont été les règles adoptées ? Quelles propositions ont-elles été retenues in fine ? Ces questions sont maintenues à distance64.
30Dans la mesure où ils entretiennent une relation flottante avec le modèle délibératif, les outils de « démocratisation interne » doivent être examinés avec circonspection. Pour ne pas se laisser abuser par l’invocation de la « modernité » et par les prétentions affichées à l’innovation, il convient de rappeler que les partis politiques ont fonctionné dans le passé et à leur façon comme des espaces de délibération. Les militants et leur prise de parole constituent des sources de légitimité partisane et l’attention que les instances dirigeantes leur portent n’est en rien récente. L’appel à la base et l’invitation au débat sont inscrits historiquement dans le répertoire des leaders. Les partis de masse – les partis sociaux-démocrates au premier chef – ont longtemps pratiqué une démocratie de délégation, essentiellement centrée sur l’organisation de congrès souverains. Les délégués étaient sélectionnés par les membres des sections de base de l’organisation et mandatés pour participer aux délibérations et aux votes organisés lors de rassemblements dont la périodicité était établie avec plus ou moins de précision65. Les mécanismes nouvellement introduits rencontrent ainsi une pratique préexistante de la « démocratie » partisane. Les normes délibératives se heurtent aux formes héritées de la démocratie interne, de sorte que des appropriations et des retraductions sont opérées. Des utilisations détournées peuvent être observées : pris dans des logiques d’hybridation organisationnelle, les mécanismes délibératifs ne remplissent pas les fonctions qui leur étaient assignées. L’étude d’Éric Treille montre ainsi que les formes délibératives se combinent au PS avec les scrutins internes de désignation des candidats. Le vote des militants est précédé d’une délibération formelle. Le débat ne vise pas à exposer des différences programmatiques et à favoriser une convergence progressive des points de vue : les prétendants à l’investiture se refusent à exprimer des opinions distinctives et s’attachent au contraire à manifester leur dépendance envers le parti. La discussion ne sert pas à produire une décision ; elle joue avant un tout un rôle « d’inclusion politique » et « confère à l’assemblée délibérante un rôle essentiel d’intégration militante ». Les élus peuvent également tirer des profits détournés des nouvelles procédures. Engagés dans des forums, ils ne cherchent pas à y formuler des réponses ciblées aux arguments exposés par les autres participants et se contentent d’exprimer des avis intangibles. Ils cherchent à convaincre mais ne sont pas réceptifs aux autres points de vue et ne jouent donc pas le jeu délibératif. Ils font valoir une autorité qui préexiste au débat66.
31L’effet d’innovation produit par la pratique de la délibération apparaît au final limité : aucun changement qualitatif n’est véritablement observé dans les relations entre leaders et adhérents ; les schémas anciens sont reconduits sous des formes accommodées. Ces observations invitent à déplacer l’angle de l’analyse et à considérer plus largement l’effet d’ouverture obtenu : introduites dans le but affiché de faire participer les adhérents à la prise de décision, les procédures délibératives facilitent dans les faits l’autonomisation des dirigeants.
Une soumission factice aux adhérents
32Pour déterminer si les procédures délibératives contribuent à une « démocratisation interne », Susan Scarrow articule trois concepts : « capacité d’inclusion » (inclusiveness), « centralisation » et « institutionnalisation67 ». Le premier caractérise le degré d’ouverture du processus de décision au sein de l’organisation. L’auteur émet l’hypothèse que plus le cercle est large, plus le système est « démocratique ». Le second concept sert à préciser le niveau auquel les décisions sont prises. L’exécutif partisan peut exercer directement l’autorité ou jouer un rôle de coordination des entités décentralisées. Cette dernière forme d’organisation n’implique pas la « démocratisation » ; elle peut être un moyen pour les dirigeants centraux d’affaiblir globalement les pouvoirs périphériques en les plaçant dans une situation de concurrence. Le dernier concept permet enfin d’évaluer le degré de formalisation des processus de décision. Les relations entre les trois niveaux d’analyse peuvent être établies de façon systématique. Selon Susan Scarrow, un parti dont l’organisation est à la fois inclusive et décentralisée affiche un fort degré de démocratie interne ; il tend dans le même temps à l’institutionnalisation, dans la mesure où les échanges doivent y être encadrés de façon précise : des règles strictes offrent une garantie de stabilité politique et un moyen de résoudre des conflits internes. Un rapport mécanique ne peut en revanche être observé en sens inverse : une forte institutionnalisation ne s’accompagne pas nécessairement d’un degré élevé de démocratie interne ; si strictement formalisées soient-elles, les règles qui encadrent les débats ne suffisent pas à garantir que le processus de décision est inclusif et décentralisé.
33Cette analyse attire l’attention sur le fait que le caractère délibératif des échanges suscités est inégalement marqué. Il apparaît notablement faible dans le processus d’élaboration des programmes et la définition des projets, quand bien même des dispositifs sont-ils formellement aménagés. En Allemagne, « les débats programmatiques demeurent limités et orientés principalement par la recherche du compromis » ; les échanges ne permettent pas une convergence des points de vue mais servent plutôt à accommoder des exigences contradictoires68. L’analyse du Parti travailliste anglais conduit à conclure que « les débats au congrès portent désormais essentiellement sur des documents d’orientation générale (policy documents) qui doivent être adoptés ou rejetés d’un bloc puisqu’il n’est pas possible d’en isoler un élément pour le soumettre au débat69 ». Le renforcement du contrôle sur l’organisation interne est souvent un objectif explicite. Florence Faucher-King montre ainsi que l’équipe réunie autour de Tony Blair utilise les procédures délibératives pour discipliner les militants. Si des forums sont bien ouverts, les choix sont arrêtés à l’avance par l’appareil et les discussions servent seulement à convaincre le plus grand nombre de leur bien-fondé. « Contrairement à la recherche du consensus qui implique un travail sur soi de tous les participants, une écoute des arguments des autres et une modification de ses propres positions, les élites néo-travaillistes ne doutent guère de la supériorité de leurs propositions, éclairées par des connaissances techniques et un savoir-faire managérial ». Le parti travailliste met en place et formalise de nouvelles procédures délibératives mais la volonté des dirigeants de contrôler l’ensemble du processus tend à « vid[er] l’exercice de sa substance70 ». Le National Policy Forum (NPF) est chargé d’examiner le programme par cycle de deux ans71. Il vise à dessiner un cadre fluide qui doit permettre une communication entre les différents niveaux du parti, faciliter l’émergence d’innovations programmatiques et éviter le blocage par des minorités. Le mode de sélection de ses membres est certes plus ouvert que celui du National Executive Commitee qui se chargeait précédemment de cette tâche, mais il demeure somme toute assez fermé. Disposant de bien plus de ressources que les militants isolés, le gouvernement continue à jouer un rôle décisif dans la fabrication du programme. Une enquête réalisée en 2000 montre que seulement 11 % des adhérents ont participé aux travaux du NPF ; la conviction de posséder une influence sur la décision finale n’est enregistrée que chez un tiers d’entre eux72. Sous des formes plus diffuses, un processus du même type peut être observé au sein du Parti socialiste français. Mise à part la formule des « états généraux » conduits sous la responsabilité de Michel Rocard en 1993 et au cours desquels a pu être observée une expression libre des militants (non contrainte par la discussion sur des textes préalablement rédigés), cette formation privilégie des consultations dans le cadre de conventions thématiques pour préparer le programme. Les textes sont élaborés dans les instances centrales du parti puis approuvés par les adhérents avec un droit d’amendement restreint73.
34De façon générale, le débat interne permet souvent moins de mesurer la qualité intrinsèque des arguments, leur consistance et leur résistance à la critique que d’évaluer la force des positions institutionnelles de ceux qui les mobilisent et les asymétries de ressources. L’érosion du principe de délégation – l’un des traits caractéristiques identifiés par la théorie du parti cartel – constitue un moyen d’augmenter l’autonomie politique aussi bien que le poids des élus et des dirigeants74. Ces derniers n’ont plus à convaincre les délégués lors des congrès ou du travail en commission et peuvent contourner les structures partisanes traditionnelles en faisant appel directement aux adhérents individuels. Les consultations internes s’apparentent souvent à de véritables plébiscites, les adhérents peu actifs ayant tendance à adopter plus docilement la ligne officielle. L’introduction de procédures de démocratie directe à l’intérieur des partis conduit à la marginalisation des membres les plus investis en faisant appel à des adhérents isolés75. La « démocratisation » du parti se résume alors à « donner plus de pouvoir à la base tout en la décapitant76 ». Le principe électif et le mécanisme de la désignation directe procèdent d’une conception atomiste de participation, finalement opposée aux exigences de la délibération. Le scrutin interne n’est pas nécessairement précédé de débats contradictoires, comme le montre ici Éric Treille. Le vote n’est plus le résultat de discussions et de délibérations réunissant l’ensemble des adhérents de base mais le produit d’un choix personnel, opéré dans un certain isolement. Les militants peuvent ainsi perdre de leur pouvoir sous couvert de « démocratisation ».
35Si le recours aux dispositifs délibératifs sert par des voies détournées à renforcer le contrôle sur les adhérents, il permet aussi de réguler les transactions entre dirigeants sans que la « base » soit appelée à trancher directement. Ouvrir le débat peut ainsi s’apparenter à une stratégie de « sortie de crise », de gestion et de domestication d’une phase de défaites. En France, la « démocratisation » de l’organisation socialiste est inscrite sur l’agenda partisan à partir du Congrès de Rennes de 1993 : elle est alors investie comme une manière de sortir d’une situation de blocage, de moderniser l’organisation et d’affaiblir les courants qui ne parviennent plus à réguler et encadrer les luttes intra-partisanes77. Dans l’étude ici proposée, Rémi Lefebvre observe que certains courants du PS promeuvent et valorisent des « nouveaux répertoires d’action militante » pour mieux s’affirmer au sein de l’appareil. L’appel à l’ouverture de forums délibératifs est souvent le fait d’outsiders qui aspirent à des positions plus importantes. L’ouverture et la démocratisation des structures partisanes obéissent alors à des considérations instrumentales : les dirigeants utilisent les procédures délibératives pour mieux contrôler l’appareil et s’affirmer contre leurs adversaires. Dans sa contribution à l’ouvrage, Anne-Sophie Petitfils met au jour des logiques proches, au sein de l’Union pour une Majorité Populaire. La promotion d’outils délibératifs est dans ce cas inséparable de la stratégie présidentielle du leader, Nicolas Sarkozy : il s’agit à la fois d’attirer de nouveaux militants, de les mobiliser, de prendre en main l’organisation pour en faire un outil performant dans la perspective de l’élection présidentielle et donc de concilier ouverture et efficacité électorale. De la même façon, les « modernisateurs » du Parti travailliste britannique légitiment de nouvelles mesures en mettant en avant les dysfonctionnements du « vieux parti », jugé peu démocratique – le principe de la délégation favorisant une élite de militants aguerris. Par contraste, leur objectif affiché est d’instaurer un nouveau modèle fondé sur l’ouverture du processus de décision à tous les adhérents, par le biais des forums politiques (policy forums)78.
36Sur la base des observations qui précèdent, il serait tentant de conclure à une simple consolidation des tendances historiquement observées dans les partis : en faisant un usage détourné des procédures délibératives, les dirigeants contrôlent plus efficacement les adhérents et développent leurs stratégies d’affirmation en toute autonomie. Il convient pourtant de dépasser ce constat et de montrer que les nouveaux dispositifs introduits influent sur les militants mêmes et redéfinissent les formes de leur engagement.
Une redéfinition profonde du militantisme partisan
37Par-delà les registres jusqu’alors envisagés, et comme le montre ici Anne-Sophie Petitfils, l’introduction des procédures délibératives peut répondre à l’objectif de renforcer l’attractivité de l’engagement en développant la communication externe de l’organisation et en mettant en place un nouvel « événementiel » partisan79. La formation d’espaces de débat est pensée comme une manière de réenchanter le militantisme ; elle vise aussi à le rétribuer symboliquement dans des organisations caractérisées par un marché électif souvent fermé et un renouvellement limité des élites. Il s’agit en somme de réévaluer les profits de l’engagement partisan pour conjurer les risques d’exit. Les formations politiques s’ajustent à ce qu’elles pensent être une attente généralisée de nouvelles formes de militantisme, plus distanciées, plus critiques, moins fondées sur la remise de soi à l’organisation. La « demande » de délibération anticipée ne peut pourtant être développée de façon universelle par les agents qui s’investissent dans une activité partisane, de sorte que les procédures introduites engendrent des effets inégaux.
38La valorisation d’une dimension délibérative du militantisme contribue à modifier la hiérarchie des formes d’engagement. Dans le présent ouvrage, Rémi Lefebvre observe au PS une « redéfinition du militantisme légitime qui valorise l’autonomie individuelle de l’adhérent et sa capacité à opiner et non plus à se plier à une discipline ou à une ligne prédéfinie80 ». Les pratiques anciennes (tractage, affichage) se trouvent ainsi disqualifiées. Cette évolution produit des effets différenciés : « ce qui permet de maintenir le militantisme des uns provoque la mise à l’écart ou la mise en retrait des autres ». Dans les nouvelles pratiques, l’« intellectualisation » importe plus que « le témoignage sur la souffrance sociale vécue » ; le « faire-valoir de soi » l’emporte sur l’« entre soi ». De la sorte, « chaque militant est sommé de bricoler “son” socialisme ». Les ressources mobilisées dans cet exercice sont inégalement partagées : les nouvelles modalités de l’engagement partisan impliquent « une activité de mise en cohérence permanente qui apparaît épuisante pour certains ». Les militants les plus démunis peuvent adopter en conséquence un comportement de désertion ou de repli. Sur un mode circulaire, cette fragilisation de la structure partisane est le plus souvent interprétée comme le signe d’une inadaptation au « nouvel âge de la participation » et comme une invitation à pousser plus loin la réforme des modes d’organisation internes.
39Au Parti communiste français, la promotion d’une culture du débat s’inscrit dans la stratégie de « mutation » de l’organisation ; elle traduit son incapacité à fixer une identité stable et à aligner les cadres cognitifs de ses membres. Nathalie Ethuin montre ici que les espaces de formation communiste, de moins en moins nombreux, ne constituent plus des lieux d’inculcation de la « vérité » de l’institution partisane mais des espaces de débat et d’échanges qui fonctionnent comme des exutoires aux frustrations et au désarroi militants81.
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40L’introduction des procédures délibératives dans les partis politiques est en somme le produit d’une dynamique complexe. À des échelles variées et autour d’enjeux divers, des discours sont articulés qui contribuent à l’émergence d’une injonction délibérative. Détachés des luttes symboliques et politiques qui ont présidé à leur formation, ils apparaissent comme le prolongement d’une « demande » exprimée par un « nouveau citoyen ». Ils sont dans les faits consolidés et utilisés par des agents qui cherchent à délégitimer les partis politiques pour faire valoir leurs propres ressources. La thématique délibérative est dans le même temps intégrée par des responsables politiques qui, en circulant d’un espace à l’autre, assurent sa diffusion et contribuent à son adoption par leur propre formation. Une fois mises en place dans les structures partisanes, les procédures délibératives produisent des effets croisés qui affectent encore leur lisibilité et brouillent un peu plus les constructions qui en sont l’origine.
41Les contributions qui suivent apportent des éclairages sur les différentes facettes du processus et contribuent à le dénaturaliser. La dynamique délibérative n’affecte pas tous les partis de la même manière. Elle est une composante d’une rhétorique modernisatrice plus large, et répond au discrédit qui pèse sur les partis. Une individualisation du militantisme en résulte qui se heurte souvent aux logiques plus anciennes du pluralisme organisationnel. L’ouverture « démocratique » et l’offre de pratiques délibératives correspondent à des moments particuliers et à des états de la configuration partisane qu’il faut précisément resituer et analyser. Les textes ici réunis posent les premiers jalons d’un programme de recherche : les pistes ouvertes invitent à une étude systématique et comparée des espaces dans lesquels les ressources partisanes sont dévaluées, des modes de circulation de la thématique délibérative et des appropriations observées à l’intérieur des partis politiques. Des travaux pourraient également être menés sur les influences extérieures et sur les effets de légitimation qui en procèdent : il s’agirait ainsi de comprendre comment, d’un parti à l’autre, des dirigeants se référèrent à des expériences menées dans des pays voisins pour renforcer l’impératif délibératif et se poser en agents de « rénovation » ; il conviendrait alors d’étudier les traductions successives de la rhétorique modernisatrice et son adaptation à de nouveaux enjeux. Des recherches empiriques devraient enfin être poursuivies sur les modalités selon lesquelles les outils de la délibération sont combinés avec des pratiques établies de longue date et sur les façons dont les militants appréhendent les changements enregistrés dans les formes légitimes d’engagement. La seule présentation de ces axes de travail permet de conclure que les organisations partisanes ne sont pas solubles dans la démocratie délibérative mais l’absorbent au contraire et en révèlent certaines propriétés.
Notes de bas de page
1 Fishkin J., « Vers une démocratie délibérative : l’expérimentation d’un idéal », Hermès, n° 31, 2001.
2 Sintomer Y., Le pouvoir au peuple. Jurys citoyens, tirage au sort et démocratie participative, Paris, La Découverte, 2007.
3 Bacqué M.-H., Rey H., Sintomer Y., « La démocratie participative : un nouveau paradigme de l’action publique ? » dans Bacqué M. -H., Rey H., Sintomer Y. (dir.), Gestion de proximité et démocratie participative. Une perspective comparative, Paris, La Découverte, 2005.
4 Manin B., « Esquisse d’une théorie de la délibération politique », Le Débat, n° 33, 1985 ; Habermas J., Droit et démocratie. Entre faits et normes, Paris, Gallimard, 1997.
5 Bacqué M.-H., Rey H., Sintomer Y. (dir.), Gestion de proximité et démocratie participative. Une perspective comparative, Paris, La Découverte, 2005.
6 Blondiaux L., Le nouvel esprit de la démocratie. Actualité de la démocratie participative, Paris, Le Seuil, 2008, p. 23 ; voir aussi Blondiaux L., Sintomer Y., « L’impératif délibératif », Politix, n° 57, 2002, p. 17-35.
7 Blondiaux L., « Prendre au sérieux l’idéal délibératif », Revue suisse de science politique, 10 (4), 2004, p. 158-168 ; Dryzek J.-S., Deliberative Democracy and Beyond. Liberals, Critics, Contestations, Oxford, Oxford University Press, 2000.
8 Bentley A. F., The Process of Government. A Study of Social Pressures, New Brunswick, Transaction Publishers, 1995 (1908) ; Truman D. B., The Governmental Process. Political Interests and Public Opinion, New York, Alfred A. Knopf, 2e édition, 1971 (1951) ; Dahl R., Pluralist Democracy in the United States : Conflict and Consent, Chicago, Rand-McNally, 1967.
9 La distinction entre délibération et participation est souvent noyée dans un brouillard sémantique. « Alors qu’une utilisation plus précise du terme obligerait à cerner les points controversés et susciterait par contrecoup des rejets, conserver le flou permet que des acteurs s’en revendiquent dans des perspectives très différentes et que des consensus faciles et superficiels puissent ainsi s’établir », Blondiaux L., Le nouvel esprit…, op. cit., p. 27-28. La démocratie participative bénéficie d’une « légitimation par le flou ». « Son succès social actuel tient dans une large mesure à l’indétermination de sa nature et de ses objectifs ainsi qu’à l’hétérogénéité et à la plasticité des univers de sens qu’elle mobilise », Lefebvre R., « Non-dits et points aveugles de la démocratie participative » dans Robbe F. (dir.), La démocratie participative, Paris, L’Harmattan, 2007, p. 37.
10 Bacqué M. -H., Rey H., Sintomer Y. (dir.) Gestion de proximité et démocratie participative. Une perspective comparative, op. cit.
11 En étudiant les conseils de quartier parisiens, Loïc Blondiaux en arrive à relever un paradoxe : la démocratie délibérative n’est désirée « ni par le pouvoir politique (qui s’en réclame pourtant) ni par les citoyens (qui souhaiteraient au contraire que le pouvoir fasse son travail) ». Au final, elle pourrait devenir un enjeu pour le seul observateur ou analyste « qui en chercherait toujours vainement les traces dans le réel », Blondiaux L., « La démocratie par le bas », Hermès, 26-27, 2000, p. 334. Le risque d’une imposition de problématique est ici caractérisé.
12 Johnson J., « Political parties and deliberative democracy » dans Katz R., Crotty W. (dir.), Handbook of Party Politics, Londres, Sage, 2006, p. 47-50.
13 Habermas J., Droit et démocratie…, op. cit., 1997.
14 Rosanvallon P., La légitimité démocratique. Impartialité, réflexivité, proximité, Paris, Le Seuil, 2008, p. 14. La légitimité partisane semble mal s’accommoder des modèles émergents qu’analyse l’auteur : légitimités fondées sur l’impartialité, la réflexivité, la proximité.
15 Nombre de partis tendent à se transformer en machines électorales professionnalisées. Sur le PS, voir Lefebvre R., Sawicki F., La société des socialistes. Le PS aujourd’hui, Bellecombe-en-Bauge, Éditions du croquant, 2006.
16 Chevallier J., L’État post-moderne, Paris, LGDJ, 2003, p. 171-173 et p. 178-181.
17 Sintomer Y., Le pouvoir au peuple. Jurys citoyens, tirage au sort et démocratie participative, Paris, La Découverte, 2007.
18 Dans la conclusion de la quatrième édition de son « Que sais-je ? » sur les partis politiques, publiée en 2002, Michel Offerlé tente de faire le point sur ce sens commun du « déclin » des partis et s’interroge : « les partis vont-ils disparaître comme instruments historiquement situés de la compétition politique ? ». Il formule une réponse en forme de constat : « ce qui est patent, c’est la réduction du périmètre d’action des partis : dépendants des médias pour leur communication (le discours sur la libération des militants par Internet ou sur le retour à une production autonome partisane devant être pris ici comme ailleurs avec beaucoup de précautions) ; dépendants aussi des réseaux de politique publique pour l’application de leurs programmes ; concurencés voire minorisés, pour la production d’une offre politique, pratiquant l’autorestriction dans le domaine des répertoires d’action limités qu’ils utilisent : les partis sont-ils toujours ces “affleurements de réalités profondes et ramifiées” dont parlait Lavau en 1953 ou seulement des partis politiques ? » (souligné par l’auteur), Offerle M., Les partis politiques, Paris, PUF, 2002, p. 119 et p. 125.
19 Ion Jacques, « L’évolution des formes de l’engagement public » dans Perrineau P. (dir.), L’engagement politique. Déclin ou mutation ?, Paris, Presses de Sciences Po, 1994 ; Norris P., Democratic Phoenix : reinventing political activism, Cambridge, Cambridge University Press, 2002. Pour une analyse de la construction du discours sur la crise de la démocratie représentative, voir Lacroix B., « La “crise de la démocratie représentative” en France », Scalpel, n o 1, 1994 ; Neveu E., « La dynamique des médias dans la construction sociale de la crise de la représentation », L’Aquarium, 10, 1992, p. 5-23 ; Fretel J., « Quand la crise de la droite débouche sur la victoire de l’UMP » dans Matonti F. (dir.), La démobilisation politique, Paris, La dispute, 2005.
20 Il convient de distinguer clairement la « démocratie du public » (ou démocratie d’opinion) de la démocratie délibérative. Comment articuler ces différents registres ? La prise en compte de « l’opinion » peut-elle contribuer à l’essor et à la consolidation d’une démocratie délibérative ? La difficulté est que les notions sont peu stabilisées, à la fois descriptives et prescriptives, analytiques et normatives. La démocratie d’opinion est dominée par les sondages censés la mesurer et les médias qui sans cesse la font parler, la dissèquent, la mobilisent et donc la fabriquent. Les électeurs – ou les citoyens plus largement – apparaissent comme un « public » réactif aux propositions qui lui sont ouvertement et explicitement adressées. En tant qu’elles visent l’une et l’autre à dépasser les limites proclamées de la démocratie représentative, démocratie d’opinion et démocratie délibérative s’appuient sur un socle commun : leurs promoteurs considèrent que la légitimité politique ne s’épuise pas dans la procédure électorale. Selon deux modalités distinctes, ils entendent tous donner « voix » aux citoyens entre les élections. En prétendant renforcer l’autonomie des acteurs, la « capacitation » citoyenne et la dimension dialogique de l’échange politique, la démocratie délibérative se situe néanmoins aux antipodes de la démocratie d’opinion, avant tout arrimée à des principes d’immédiateté et de réactivité. La première est fondée sur une dynamique processuelle de confrontation des points de vue tandis que la seconde apparaît faiblement formalisée et évanescente. Les tenants de la démocratie délibérative estiment que la démocratie d’opinion interdit la formation d’un jugement public éclairé.
21 En France, la démocratie représentative repose sur une hybridation de ces trois types. Même si médias et sondages jouent un rôle de plus en plus central, la politique reste structurée par les partis. Les notables n’ont pas disparu par ailleurs (cf. le poids constant des élus locaux) et cherchent à maintenir leur fonction de médiation.
22 Hastings M., « Partis politiques et administration de sens » dans Andolfatto D., Greffet F., Olivier L. (dir.), Les partis politiques : quelles perspectives ?, L’Harmattan, 2002.
23 Katz R., Mair P., « Changing models of party organization and party democracy. The emergence of the cartel party », Party Politics, 1(1), 1995, p. 5-28.
24 Mouchard D., « “Politique délibérative” et logiques de mobilisation. Le cas d’Agir ensemble contre le chômage », Politix, 57, 2002 et Della Porta D., « Démocratie en mouvement. Les manifestants du Forum social européen. Des liens en réseaux », Politix, 68, 2004.
25 Rousseau D., « La démocratie continue », Le débat, n° 96, 1997.
26 Teorell J., « A Deliberative Defence of Intra-Party Democracy », Party Politics, 5 (3), 1999, p. 363-382 ; Budge I., « Deliberative democracy, direct democracy and political parties » dans Saward M. (dir.), Democratic Innovation : Deliberation, representation and assosiation, Londres, Routledge, 2000, p. 195-212.
27 Olivier L., « Ambiguïtés de la démocratisation partisane en France (PS, RPR, UMP) », Revue française de science politique, 53 (5), 2003.
28 Collovald A., « Pour une sociologie des carrières morales et des dévouements militants » dans Collovald A., Lechien M. -H., Rozier S., Willemez L. (dir.), L’humanitaire ou le management des dévouements ; Enquête sur un militantisme de « solidarité internationale » en faveur du Tiers-Monde, Rennes, PUR, 2002.
29 Dulong D., Moderniser la politique. Aux origines de la Ve République, Paris, L’Harmattan, 1997. Pour délégitimer les partis, le procédé le plus commun a longtemps consisté à construire et à durcir une opposition entre contact aves les électeurs et efficacité gestionnaire. Les dispositifs aujourd’hui mis en place fusionnent les deux registres ; ils sont présentés comme un moyen d’arriver à des solutions optimales en impliquant directement les citoyens dans la prise de décision.
30 Le credo de « la gouvernance » constitue une autre manière de délégitimer les partis. Cf. Prud’Homme J. -F., « Les partis politiques et la gouvernance » dans Hermet G., Kazancigil A., Prud’Homme J. -F. (dir.), La gouvernance. Un concept et ses applications, Paris, Karthala, 2005, p. 97.
31 Saglie J. & Heidar K., « Democracy within Norwegian Political Parties : Complacency or Pressure for Change ? », Party Politics, 10 (4), 2004, p. 385-405.
32 Zielonka-Goei M. L., « Members Marginalising Themselves ? Intra-Party Participation in the Netherlands », West-European Politics, 15 (2), 1992, p. 93-106.
33 À Lille, au début du premier mandat de maire de Martine Aubry, le développement de nouveaux dispositifs témoigne d’une volonté de court-circuiter des réseaux présentés comme défaillants et peu transparents et de s’émanciper des cercles d’influence socialistes, jugés peu représentatifs. Lefebvre R., « La difficile notabilisation de Martine Aubry à Lille. Entre prescriptions de rôles et contraintes d’identité », Politix, 2004. Dans un contexte de faible renouvellement des mandats électifs, les postes de conseillers de quartier peuvent également offrir une ouverture aux militants. Voir : Biland E., « La “démocratie participative” en “banlieue rouge”. Les sociabilités politiques à l’épreuve d’un nouveau mode d’action publique », Politix, n o 75, 2006, p. 53-74 ; « La “démocratie participative” comme entreprise de (re) mobilisation des habitants : l’exemple d’une municipalité de l’ancienne banlieue rouge » dans Anquetin V., Freyermuth A. (dir.), La figure de « l’habitant ». Sociologie politique de la « demande sociale », Rennes, PUR, 2008.
34 Gaudin J. -P., La démocratie participative, Paris, Armand Colin, 2007, p. 94-98.
35 Idem, p. 100-101. Voir aussi : Gourgues G., « Ce que les régions font de la démocratie participative. Éléments sur les moteurs territoriaux de l’impératif délibératif », PACTE, Séminaire de recherche : Les recompositions territoriales et les transformations de l’action publique Trois énigmes sur la construction des intérêts territorialisés, Grenoble, 20 au 21 décembre 2007, [http://www.pacte.cnrs.fr/IMG/html_controverse_GOURGUES.html].
36 Lefebvre R., « Qu’est le socialisme municipal devenu ? Politisation, dépolitisation, neutralisation de la question municipale au Parti socialiste (des années 1970 à nos jours) » dans Arnaud L., Le Bart C., Pasquier R. (dir.), Idéologies et action publique territoriale, Rennes, PUR, 2006.
37 Nonjon M., Quand la démocratie se professionnalise. Enquête sur les experts de la participation, thèse pour l’obtention du doctorat de science politique, Université Lille II, 2006.
38 Nonjon M., « Professionnels de la participation : savoir gérer son image militante », Politix, 70, 2005, p. 89-112.
39 Revel M., Blatrix C., Blondiaux L., Fourniau J.-M., Herard Dubreuil B., Lefebvre R. (dir.), Le débat public. Une expérience française de démocratie participative, Paris, La Découverte, 2007.
40 Neyer J., « The deliberative turn in integration theory », Journal of European Public Policy, 13 (5), 2006, p. 779-791.
41 Saurugger S., « L’expertise : un mode de participation des groupes d’intérêt au processus décisionnel communautaire », Revue française de science politique, 52 (4), 2002 ; « Les groupes d’intérêt entre démocratie associative et mécanismes de contrôle », Raisons Politiques, n° 10, 2003, p. 151-169 ; Thomassen J., Schmitt H., « Introduction : Political Representation and Legitimacy in the European Union » dans Thomassen J., Schmitt H. (dir.), Political Representation and Legitimacy in the European Union, Oxford, Oxford University Press, 1999 ; Göhring R., « Interest Representation and Legitimacy in the European Union : The New Quest for Civil Society Formation » dans Warleigh A., Fairbrass J. (dir.), Influence and Interests in the European Union : The New Politics of Persuasion and Advocacy, Londres, Taylor & Francis, 2002, p. 118-137.
42 Saurugger S., Grossman E., « Les groupes d’intérêt au secours de la démocratie ? », Revue française de science politique, 56(2), 2006, p. 304.
43 Idem, p. 307, voir aussi : Kohler-Koch B., « Changing Patterns of Interest Intermediation in the European Union », Government and Opposition, 1994, n° 29, p. 167-180 ; Gustavsson R., « The European Union and the Erosion of Parliamentary Democracy. A Study of Post-parliamentary Governance » dans Andersen S., Eliassen K. (dir.), The European Union. How Democratic Is It?, Londres, Sage, 1996, p. 226-251.
44 Neyer J., « The deliberative turn… », art. cit., p. 780 ; Neyer J., « Justifying comitology : the promise of deliberation » dans Neunreither K., Wiener A. (dir.), European Intergration After Amsterdam, Oxford, Oxford University Press, 2000.
45 Eriksen E. O., Fossum J. E., « Democracy through strong publics in the European Union », Journal of Common Market Studies, 40(3), 2002, p. 401-424 ; « Europe in Search of Legitimacy : Strategies of Legitimation Assessed », International Political Science Review, 25(4), 2004, p. 435-459.
46 Saurugger S., Grossman E., « Les groupes d’intérêt… », art. cit., p. 307.
47 Idem, p. 312.
48 Saurugger S., « The professionalisation of interest representation : a problem for the participation of civil society in EU governance ? » dans Smismans S. (dir.), European Governance and Civil Society, Cheltenham, Edward Elgar, 2006, p. 260-276.
49 Mayntz R., « Organizations, Agents and Representatives » dans Egeberg M., Laegreid P. (dir.), Organizing Political Institutions, Oslo, Scandinavian University Press, 1999.
50 Blondiaux L., Le nouvel esprit…, op. cit., p. 24. La « nébuleuse réformatrice » comporte de nombreux universitaires. Elle donne ainsi une onction scientifique et délivre un brevet définitif de naturalité à la distinction entre des pratiques jugées obsolètes et des formes « modernes » de décision.
51 Bourdieu Pierre, « Les conditions sociales de la circulation internationale des idées », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 145, 2002, p 3-8.
52 Les fédérations européennes de partis politiques peuvent conditionner l’adhésion des formations nationales au respect de « critères démocratiques » définis avec plus ou moins de précision. Créée en 1997, la branche « jeunes » du Parti Populaire Européen exige ainsi des organisations qui souhaitent l’intégrer une élection de leur président par les militants. Bargel L., Aux avant-postes. La socialisation au métier politique dans deux organisations de jeunesse de parti, thèse pour l’obtention du doctorat de science politique, Université Paris 1, 2008, p. 234. Des initiatives communes peuvent également concourir à une uniformisation des pratiques : les 1er et 2 décembre 2008, les 27 représentants des partis socialistes, sociaux-démocrates et travaillistes des pays membres de l’Union européenne ont adopté à Madrid leur programme commun pour les élections européennes de juin 2009, le Manifesto. Le texte est issu d’une démarche délibérative inédite menée à l’échelle européenne une année durant – en appui notamment sur les outils offerts par Internet – dans le but d’impliquer les adhérents. Le site Web dédié à la rédaction du programme a été consulté par 300 000 internautes qui y ont déposé plus de 600 contributions.
53 Voir par exemple Roger A., « Se positionner face à l’Union européenne. Le Parti social-démocrate roumain comme espace de lutte », Revue d’études comparatives Est-Ouest, 40 (2), 2009, p. 157-185.
54 Lagroye J., « De “l’objet local” à l’horizon local des pratiques » dans Mabileau A. (dir.), À la recherche du « local », Paris, L’Harmattan, 1993, p. 166-182.
55 La capacité de certains agents à recycler et à monnayer des compétences acquises à l’échelle locale peut expliquer en partie la façon dont Ségolène Royal et son entourage usent des thématiques participatives et délibératives – à l’intérieur du Parti socialiste aussi bien qu’à l’extérieur. Pour un exemple de circulation des procédures délibératives entre plusieurs espaces de compétition, voir Roger A., « Faire parler les viticulteurs. La construction d’un “électorat” dans le département de l’Aude » dans Anquetin V. et Freyermuth A., La figure de l’habitant. Sociologie politique de la « demande sociale », Rennes, PUR, 2008, p. 95-114.
56 Blondiaux L., Le nouvel esprit…, op. cit., p. 18.
57 Un parallèle peut être dressé avec le recours aux outils « managériaux ». Voir sur ce point Robert C., « Les transformations managériales des activités politiques », Politix, n° 79, 2008, p. 7-23.
58 « Démocratisation » : ce terme indigène est piégé. Les nouvelles procédures n’ont guère atténué les logiques d’oligarchie partisane. De ce point de vue, un retour aux analyses classiques de Roberto Michels pourrait être pertinent.
59 Detterbeck K., « Le cartel des partis et les partis cartellisés dans les démocraties occidentales » dans Aucante Y., Deze A., Les systèmes de partis dans les démocraties occidentales. Le modèle du parti-cartel en question, Paris, Presses de Sciences Po, 2008. Les procédures qui font appel aux adhérents semblent mises en place pour consolider l’image externe des partis plus que pour modifier leur fonctionnement interne.
60 Les expressions « démocratie participative » et « démocratie délibérative » ne sont pas véritablement mobilisées ni intériorisés dans l’espace partisan ; les problématiques qu’elles structurent ne le sont pas davantage.
61 Lefebvre R., « S’ouvrir les portes de la ville. Une approche ethnographique des porte à porte de Martine Aubry à Lille » dans Lagroye J., Lehingue P., Sawicki F., La mobilisation électorale municipale, Paris, PUF/CURAPP, 2005.
62 Il n’est pas question bien sûr de se laisser abuser par ces redéfinitions, avant tout symboliques, de la division des rôles politiques.
63 Beauvallet G., « Partie de campagne : militer en ligne au sein de “désirs d’avenir” », Hermès, n° 47, 2007.
64 Lefebvre R., « L’opinion et la participation. La campagne présidentielle de Ségolène Royal », Hermès, n° 52, 2008.
65 Le tropisme délibératif est plus marqué dans certaines organisations. Les partis écologistes développent une forte pratique du débat (voire de la non-décision). Ils peinent à concilier ce mode d’organisation avec la recherche d’une efficacité dans la compétition politique. Notons par ailleurs que la valorisation des délibérations s’accompagne dans ce cas d’une méfiance envers les procédures de démocratie directe (pour la sélection des candidats notamment). Faucher-King F., « Les Verts et la démocratie interne » dans Haegel F. (dir.), Partis politiques et système partisan en France, Paris, Presses de Sciences Po, 2007.
66 Toutes choses restant égales par ailleurs, d’autres formations donnent à voir des processus d’hybridation et des formes d’inertie. Bernard Pudal analyse ainsi les intenses débats internes provoqués par le faible score de la candidate du Parti communiste français (PCF) au premier tour de l’élection présidentielle de 2007 (1,9 % des suffrages exprimés). Un dispositif complexe est mis en place dans le but de « dépasser les expressions des seules différentes sensibilités » et de permettre « la participation de tous et de toutes ». Le quotidien l’Humanité évalue alors à 35 000 le nombre de participants aux échanges organisés sur ce mode. Bernard Pudal s’interroge pourtant sur la portée de l’innovation : « L’inflation de démocratie interne que connaît le PCF ne remplit-elle pas une fonction homologue à celle du centralisme bureaucratique antérieur, celle de préserver l’inertie de l’appareil en rendant inopérante toute critique, hier par le jeu de la marginalisation, de l’exclusion, de la disqualification, aujourd’hui par une sorte de démagogie d’organisation où l’on promeut chaque communiste au statut de théoricien ? », Pudal B., « PCF : un parti peut-il en cacher un autre ? » dans Geay B. , Willemez (dir.), Pour une gauche de gauche, Bellecombe-en-Bauge, Éditions du Croquant, 2008, p. 251. Voir aussi la contribution de Nathalie Ethuin au présent ouvrage.
67 Scarrow S., Parties and Their Members : Organizing for Victory in Britain and Germany, Oxford, Oxford University Press, 1996. Le schéma d’analyse est repris dans l’ouvrage : Political parties and democracy in theoretical and practical perspectives : implementing intra-party democracy, Washington DC, National Democratic Institute for International Affairs, 2005.
68 Detterbeck K., « Le cartel des partis… », art. cit., p. 140.
69 Avril E., Du Labour au New Labour de Tony Blair. Le changement vu de l’intérieur, Lille, Septentrion, 2007, p. 93.
70 Idem, p. 114.
71 Voir Faucher-King F., « La “modernisation” du Parti travailliste, 1994-2007 », Politix, 81, 2008, p. 146-147.
72 Loin d’avoir des effets univoques, les réformes ont parfois des conséquences opposées à celles qui étaient anticipées. La gauche du Parti travailliste est ainsi parvenue à réorienter à son avantage le nouveau système – pourtant conçu contre elle dans une large mesure – en remportant un certain nombre de luttes internes.
73 Bachelot C., « Parti socialiste français et Parti travailliste britannique. Le cas des groupes dirigeants », Vingtième siècle, n° 96, 2007, p. 114.
74 Katz R., Mair P., « The Ascendancy of the Party in Public Office. Party Organizational Change in Twenteeth-Century Democracies » dans Gunther R., Montero J. -R., Linz J. -J. (dir.), Political Parties. Old Concepts and New Challenges, Oxford, Oxford University press, 2002.
75 Scarrow S., « Parties and the expansion of direct democracy : who benefits ? », Party politics, 5 (3), 1999.
76 Katz R., « The problem of candidate selection and models of Party democracy », Party politics, 7 (3), 2001.
77 Barboni T., Les changements d’une organisation. Le parti socialiste, entre configuration partisane et cartellisation (1971-2007), thèse pour l’obtention du doctorat de science politique, Université Paris 1, 2008.
78 Avril E., Du Labour au New Labour…, op. cit.
79 Faucher-king F., Treille E., « Managing Intra-party Democracy : Comparing the French Socialist and British Labour Party Conferences », French Politics, 1(1), 2003, p. 61-82. La « démocratisation » peut constituer un « produit d’appel » et être couplée avec des campagnes d’enrôlement. Le principe de l’adhésion à vingt euros retenu par le PS en 2006 était assorti de la possibilité offerte aux nouveaux militants de participer à l’élaboration du projet et de désigner le candidat à l’élection présidentielle.
80 La tendance à l’autonomisation des adhérents n’est pas propre au PS. Les activités militantes à forte composante intellectuelle se développent notamment dans le mouvement altermondialiste, ce qui constitue une manière de reconvertir un capital scolaire élevé. En étudiant les militants d’ATTAC, Claude Poliak montre ainsi que « la prolongation des scolarités et le décalage fréquent entre les titres scolaires et les postes occupés ont suscité et suscitent un sentiment de déclassement et corrélativement l’aspiration à utiliser et à faire reconnaître ce capital scolaire mal employé et/ou sous-rétribué (matériellement, hiérarchiquement, symboliquement) ». Poliak C., « ATTAC. Aux frontières du champ politique » dans Geay B., Willemez (dir.), Pour une gauche de gauche, Bellecombe-en-Bauge, Éditions du Croquant, 2008, p. 81.
81 Voir aussi Leclercq C., « La crise de connivence entre le PCF et les mondes ouvriers. Retour sur les réceptions du “changement” partisan dans le bassin minier du Pas-de-Calais », Espace Marx, n° 21, 2005 ; Mischi J., « La recomposition identitaire du PCF : modernisation du parti et dépolitisation du lien partisan », Communisme, nos 72-73, 2003, p. 71-99.
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