Une relation désenchantée : les Picto-Charentais et le gaullisme politique de 1958 à 1981
p. 73-81
Texte intégral
1C’est au cours du voyage présidentiel qu’il effectue dans les quatre départements du Centre-Ouest en juin 1963 que le général de Gaulle annonce à Poitiers que l’ensemble géographique ainsi constitué prendra à terme le nom de région « Poitou-Charentes », et non « Charentes-Poitou » ainsi qu’il était fréquent de l’écrire jusque-là. L’inversion des noms des deux entités géographiques fut loin de passer inaperçue des acteurs politiques locaux. En choisissant Poitiers contre La Rochelle pour devenir le siège de la capitale régionale, le général de Gaulle expose que cette évidence est dictée par l’Histoire de France, celle des deux célèbres batailles de Poitiers menées en 732 et 1356. Ce faisant, il renvoie aussi La Rochelle, ville protestante et rebelle à l’autorité royale, à l’épisode tragique de son siège conduit par le cardinal de Richelieu, un personnage dont de Gaulle pouvait en partie revendiquer le testament politique à trois siècles d’intervalle ! En 1963, Poitiers et La Rochelle sont des villes gaullistes, dirigées respectivement par le docteur Paul Guillon, compagnon de la Libération, et par Roger Salardaine. Les deux cités ne sont pas directement en compétition. La vieille capitale du Poitou vivait depuis le quinzième siècle sur sa réputation de ville savante, ayant abrité une faculté de théologie prestigieuse sous l’Ancien Régime dont le renom a été repris depuis lors par les facultés de droit et de lettres, en particulier dans le domaine des études médiévales. En 1963, la volonté modernisatrice du régime gaulliste compte bien sur la décentralisation industrielle depuis la région parisienne pour alimenter un nouveau démarrage économique dans l’axe Poitiers-Châtellerault-Tours, en partant de l’empreinte industrielle laissée par la manufacture d’armes de Châtellerault ou de l’essor de l’École nationale supérieure de mécanique appliquée (ENSMA) de Poitiers, nouvelle venue dans le paysage des écoles d’ingénieurs intégrées au sein des universités. De son côté, La Rochelle conserve une indéniable beauté architecturale qui semble rayonner depuis son célèbre vieux port ; l’heure n’est pas encore au développement des industries nautiques ou de la plaisance démocratisée, mais le littoral jusqu’à Royan et les îles d’Oléron, Aix et Ré constitue pour les Charentais les plus entreprenants un beau potentiel à exploiter dans la perspective d’un déferlement touristique de masse rendu imminent avec la société des loisirs en plein essor. En choisissant le Poitou-Charentes comme cadre du développement économique du Centre-Ouest Atlantique, Charles de Gaulle coupe par ailleurs définitivement l’ancien Bas-Poitou, le département de Vendée, du futur ensemble régional, alors que ce département faisait partie de l’ancienne région économique de Poitiers sous le régime de Vichy et que la célèbre association centrale des laiteries coopératives des Charentes et du Poitou inclut aussi les laiteries vendéennes, de même que la plupart des organisations professionnelles ou encore des directions régionales d’administrations ainsi que d’entreprises. Poitiers s’affirme enfin du fait de sa position privilégiée sur l’axe Paris-Bordeaux, tant par la RN 10, que par la voie ferrée reliant les gares de Paris-Austerlitz à Bordeaux Saint-Charles, ainsi que sur le futur tracé autoroutier prévu à un horizon encore de vingt ans. Ces considérations de politique d’aménagement du territoire à l’échelle régionale ont incontestablement joué dans la relation entre les habitants, leurs élus et le pouvoir parisien, sans doute bien au-delà de la période de la république gaullienne.
*
2En 1958, les conditions du retour aux responsabilités du général de Gaulle du fait de la situation insurrectionnelle à Alger ne soulèvent pas de critiques fortes au sein de la population picto-charentaise, si ce n’est peut-être à Niort, où les forces de gauche sont déjà en position dominante au sein de la municipalité du socialiste Émile Bêche, ancien instituteur et pionnier de la MAIF puis résistant durant la Seconde Guerre mondiale. Les résultats du référendum sur la nouvelle constitution organisé le 28 septembre 1958 traduisent un large ralliement à la République nouvelle avec quatre « oui » francs et massifs tant en Charentes qu’en Poitou. Toutefois, cette adhésion à la nouvelle donne politique n’est pas aussi perceptible en termes de sièges de députés lors des premières élections législatives de la Cinquième République de la fin de l’année 1958.
3Il convient tout d’abord de rappeler que lors des élections de 1951, seuls trois députés RPF avaient été élus dans les quatre départements étudiés. L’unique succès du mouvement gaulliste avait été obtenu par la liste RPF de Charente-Maritime emmenée par Max Brusset, sur laquelle avait également été élu Albert Bignon. Les deux députés RPF charentais étaient déjà connus et bien implantés dans leurs circonscriptions de Royan et de Rochefort-surmer. Issu d’une famille ayant compté dans le paysage politique de Haute-Saône puis de Haute-Marne sous la Troisième République, Max Brusset avait immédiatement intégré la filière des cabinets ministériels à l’issue de sa licence en droit. Résistant de la première heure au sein de Combat, passé par Londres avant d’être arrêté dans l’Yonne, délivré par ses camarades des griffes de la Gestapo à la prison d’Auxerre, Max Brusset n’était pas parvenu à s’enraciner à Paris en 1945 puis à reprendre le flambeau de son grand-père maternel en Haute-Marne en juin 1946. C’est à Christian Vieljeux, fils de l’illustre maire de La Rochelle Léonce Vieljeux, assassiné au camp de concentration alsacien du Struthof avec ses compagnons du réseau Alliance, que Max Brusset doit son arrivée en Charente-Maritime en 1946. Deuxième sur la liste de « concentration républicaine et paysanne » conduite par l’armateur rochelais, Max Brusset n’est élu député PRL qu’en 1947 lors d’une législative partielle consécutive à l’élection de Christian Vieljeux au Conseil de la République. Max Brusset ne gagne sa première élection législative qu’en juin 1951, en remportant 35,79 % des suffrages, ce qui permet également à son deuxième de liste, le jeune avocat Rochefortais et ancien résistant Albert Bignon, d’être également élu. En 1953, l’élection de Max Brusset à la tête de la municipalité de Royan semble sceller son implantation charentaise, la ville balnéaire est alors en plein chantier de reconstruction.
4Ce triomphe n’est qu’un trompe l’œil. En décembre 1958, Max Brusset est battu à l’issue d’une quadrangulaire par André Lacaze, maire et conseiller général de Cozes, où il possède une officine depuis 19401. Cet ancien compagnon du RPF, qui n’a pas appartenu à la Résistance, n’a pas supporté de n’avoir pas été désigné (en lieu et place de Max Brusset) par les instances nationales du mouvement gaulliste. Bien qu’ayant largement fait campagne sur son soutien à la politique conduite par le général de Gaulle depuis juin 1958, André Lacaze adhère au CNIP et va rapidement évoluer vers un soutien critique au nouveau gouvernement Debré, puis il s’oppose à la politique algérienne du chef de l’État avant de basculer dans le rejet du gaullisme politique. En 1962, il participe à la motion de défiance envers le gouvernement de Georges Pompidou.
5Ce n’est pas Max Brusset qui tirera partie de la situation politique créée par la dissolution prononcée par le chef de l’État, mais Jean-Noël de Lipkowski qui a des attaches à Royan où sa famille possède une propriété2. Ce jeune mousquetaire du gaullisme, ancien résistant3, bat sévèrement André Lacaze au second tour avec plus de 69 % des suffrages. Cette élection triomphale n’est pas sa première expérience du suffrage universel puisqu’il avait été brillamment élu en Seine-et-Oise en janvier 1956 sous la bannière du Front républicain des forces de gauche. En revanche, « Lip » avait été battu en décembre 1958 en se présentant sous l’étiquette ambiguë du CCR (Centre de la réforme républicaine), regroupant quelques gaullistes de gauche qui refusaient l’ancrage qu’ils jugeaient trop à droite de la nouvelle UNR4. À partir de 1962, la cinquième circonscription de Charente-Maritime devient le fief inexpugnable de Jean-Noël de Lipkowski jusqu’à sa disparition en 1997. Cette position dominante est renforcée par le mandat de maire de Royan que Jean-Noël de Lipkowski détient entre 1965 et 1977, puis de 1983 à 1989 et par les différents portefeuilles ministériels qui le mettent dans une position politique forte vis-à-vis d’éventuels challengers locaux5.
6Le second fief gaulliste de Charente-Maritime correspond à la deuxième circonscription, celle de Rochefort-sur-mer, ville d’élection d’Albert Bignon. Second député élu sur la liste RPF de Max Brusset en 1951, maître Albert Bignon peut afficher un passé de grand résistant ayant eu le triste privilège de connaître la torture de la Gestapo avant de participer aux combats contre l’Allemagne nazie avec les Alliés en 1944-1945. Maire de Rochefort à la Libération, Albert Bignon choisit en effet de démissionner pour s’engager comme officier jusqu’au printemps 1945. Il redevient conseiller municipal de Rochefort en 1947, puis conseiller général du canton de Rochefort-sud en 1949. Battu du fait de la poussée poujadiste en Charente-Maritime en janvier 1956, Albert Bignon prépare sa revanche tout en se consacrant à son cabinet d’avocat. Membre du barreau de Rochefort-La Rochelle depuis 1933, il en sera le bâtonnier à six reprises au cours de sa carrière. Le retour au pouvoir du général de Gaulle en 1958 lui permet de retourner au Palais Bourbon sous l’étiquette UNR. Dès lors, il sera indéfectiblement réélu par ses électeurs jusqu’à son décès en cours de mandat en 1977. Cette figure du gaullisme historique choisit comme suppléant Jean-Guy Brangier, qui lui succède à sa mort. Cet « adoubement » lui permet d’être élu en 1978 et réélu en 19816. En 1978, le professeur à l’école laitière de Surgères qu’est Jean-Guy Brangier bat sans appel François Heillbronner, inspecteur des finances de 42 ans parachuté par le RPR parisien et ancien directeur-adjoint de cabinet de Jacques Chirac à Matignon. Il ne recueille en effet que 14,25 % des suffrages. Dans cette circonscription, les électeurs préfèrent manifestement les enfants du pays à un parachuté avec l’étiquette « gaulliste » rebaptisée RPR.
7La première circonscription de Charente-Maritime, celle de La Rochelle, est la seule autre circonscription du département à avoir eu des députés gaullistes durant la période 1958-1981. Toutefois, l’ancrage gaulliste de l’électorat y est nettement moins puissant. En 1958, c’est Alain Lacoste-Lareymondie du CNIP qui en est élu député entre autres face à Michel Noël le candidat UNR qui ne recueille que 23 % et 34 % aux deux tours du scrutin. Le virulent opposant au gaullisme qu’est Alain Lacoste-Lareymondie impose à l’UNR de lui opposer un candidat capable de le battre. C’est chose faite lors des élections législatives de 1962 avec André Salardaine. Cet ancien capitaine de gendarmerie, né dans le village de boucholeurs de Charron au nord de La Rochelle dans l’anse de l’Aiguillon, est un adhérent récent de l’UNR lorsqu’il est élu maire de La Rochelle en mars 1959. Pour la bataille des législatives, il forme un tandem avec l’infortuné Michel Noël qui a encore été battu lors d’élections partielles en 1959. André Salardaine obtient respectivement 47,7 % et 65,5 % des voix lors des élections de novembre 1962. Réélu lors des législatives de 1967, il ne se représente pas en juin 1968, laissant la victoire à Philippe Dechartre. La rupture avec le gaullisme dans l’Aunis et à La Rochelle est consommée à partir des législatives de 1973 avec le début de l’ère de Michel Crépeau qui représentera cette circonscription au Palais Bourbon jusqu’à son malaise cardiaque en plein hémicycle en 1999.
8Le gaullisme politique n’a en revanche pas pu s’imposer dans deux autres circonscriptions de la Charente-Maritime, celle de Saint-Jean d’Angély (troisième) et celle de Saintes-Jonzac (quatrième). À Saint-Jean d’Angély, le candidat UNR de 1958, Vinet, n’obtient que 8 % des voix. Ce score marginal est amélioré en 1962 par Jean-François Chabasse avec 23 % aux deux tours, puis par Chanu de Limur en 1978 qui atteint 39 % au premier tour et près de 48 % au second tour face à André Brugerolle, député du centre démocrate, sortant depuis 1958. Dans cette circonscription, l’alternance politique se produira en 1978 avec la victoire du socialiste Roland Beix, réélu en juin 1981, les candidats gaullistes n’ont jamais été réellement en mesure de s’imposer. Dans la circonscription de Saintes-Jonzac où l’électorat est moins enclin à la fidélité politique, seul Louis Joanne se fait élire lors du raz-de-marée gaulliste de juin 1968 sous l’étiquette UDR. Louis Joanne préfère se rallier à l’étendard des Républicains-indépendants du ministre des Finances Valéry Giscard d’Estaing lors de son second combat victorieux de 1973. Il semble que le vrai poids politique du gaullisme dans cette circonscription oscille entre les 15 % de R. Bas en 1958 et les 10 % de Fayol en 1978.
9La situation politique du département voisin de la Charente, parfois surnommée « intérieure », montre une assez remarquable stabilité des positions politiques au fil des scrutins législatifs. Les trois députés charentais restent invariablement les mêmes en 1958, 1962 et 1967. Dans la première circonscription, celle d’Angoulême, Raymond Réthoré retrouve en 1958 avec l’investiture UNR un siège de député qu’il avait occupé entre 1936-40 sous l’étiquette Radical-socialiste en soutenant le Front populaire. Raymond Réthoré, homme cultivé et passionné d’architecture, ancre sa carrière à Magnac dont il est le premier magistrat depuis 1935. Il s’appuie sur une clientèle électorale fidèle qui lui renouvellera sa confiance jusqu’en 1978, année où la circonscription bascule en faveur du PS. Jean-Michel Boucheron est élu et fera également parler de lui pour sa personnalité « hors normes. » Raymond Réthoré est élu donc au second tour en 1958 avec 39 %, il passe à 63 % en 1962, atteint encore 54 % en 1973 mais voit son capital électoral s’évanouir en 1978 avec seulement 23,8 %.
10La deuxième circonscription de Charente, celle de Cognac, est tout d’abord le fief de l’ancien président du conseil Félix Gaillard jusqu’à son décès accidentel en mer au large de Jersey durant l’été 1970. Félix Gaillard ne permet guère aux candidats gaullistes qui se présentent contre lui de le mettre en danger. En 1958, Castillon du Perron recueille 34,7 % des voix, l’UDT Soyer de Bossemelet 27,5 % en 1962. La donne électorale change après la disparition de Félix Gaillard. En effet, aux élections législatives de 1973, c’est un gaulliste, le négociant en cognac Francis Hardy, qui s’empare de la circonscription et qui est confortablement réélu en 1978 avec 53,7 %, dans un contexte national difficile pour les partis de droite. Dans la troisième circonscription qui correspond en partie à la Charente limousine de Confolens où la résistance communiste fut puissante durant la guerre, le candidat gaulliste de 1958, Pierre Chabanne ne totalise que 11 % des suffrages, là où son père André Chabanne, l’illustre colonel « Blanqui » dans le maquis local dit de « Bir Hacheim », avait été élu lors de la constituante de 1945. De 1958 à 1968, la circonscription est représentée à l’Assemblée par Jean Valentin qui siège tour à tour sous les étiquettes du CNIP, des non-inscrits et du PDM (Progrès et démocratie moderne). Lors des législatives de l’automne 1962, le docteur Michel Alloncle, issu d’une modeste famille paysanne charentaise, a déjà amorcé sa méticuleuse conquête de cette terre de mission pour le mouvement gaulliste en recueillant 20,42 % des suffrages. À cette date, Michel Alloncle, qui a quitté son cabinet de médecin généraliste pour devenir praticien à l’hôpital de proximité de Ruffec, est déjà membre du conseil municipal de la ville depuis trois ans. En 1967, il est élu conseiller général de Ruffec, mandat qui lui sert de tremplin pour briguer la députation. C’est en profitant de la conjoncture du raz-de-marée gaulliste de juin 1968 que Michel Alloncle parvient à battre Jean Valentin. Il est réélu en 1973 mais est battu en 1978 par André Soury, ancien député communiste de la circonscription durant toute la Quatrième République puis éternel candidat malheureux à partir de 1958.
11S’il est un département paradoxal pour les candidats gaullistes aux élections législatives dans la région Poitou-Charentes, c’est bien celui des Deux-Sèvres. En effet, alors que le corps électoral accorde très largement sa confiance au général de Gaulle de 1958 à 1969 lors des référendums ou lors de l’élection présidentielle, le gaullisme politique départemental reste globalement fragile. Aux élections de 1958, aucun des candidats se réclamant ouvertement du nouveau régime n’est élu. Sans doute faut-il y voir le poids de l’influence des notables traditionnels sur des « hommes nouveaux ». Dans la première circonscription, celle du Niort, l’UNR Caillet n’obtient que 11,7 % loin derrière Marie-Magdeleine Aymé de la Chevreilière, candidate MRP, qui se présente, elle aussi, pour la première fois à la députation. Dans la deuxième circonscription, comprenant Parthenay et Saint-Maixent-l’Ecole, l’ancien député RPF de 1951 Pierre Lebon est battu par Jacques Fouchier (IPAS puis CNI) avec 10 points de différence : cet échec sévère pour le fils de l’ancien ministre des Colonies André Lebon, s’explique sans doute par une personnalité mal perçue par les électeurs. Enfin, dans la troisième circonscription, englobant Bressuire, le bocage et Thouars, Simonet ne recueille que 19 % et 27 % aux deux tours, loin derrière André Salliard du Rivault, avocat incarnant la droite agrarienne traditionnelle élu sous l’étiquette IPAS. La situation évolue peu en 1962, Marie-Magdeleine Aymé de la Chevrelière retrouve son siège dans la première circonscription. Dans la deuxième circonscription, Jacques Fouchier, qui a voté la censure contre le gouvernement de Georges Pompidou, fait franchement figure d’opposant au régime gaulliste, surtout depuis le règlement de la question algérienne. Il bat Henri Ingrand, originaire du village d’Echiré situé près de Niort, médecin, compagnon de la Libération, ancien secrétaire général pour les affaires algériennes en 1959, avant de devenir diplomate. Dans la circonscription du nord du département, c’est Augustin Bordage, un négociant en grains, gaulliste au franc-parler, qui s’empare de la circonscription de Bressuire-Thouars. Lors des élections législatives de 1967, les trois députés sortants sont réélus, de même qu’en juin 1968. Le seul changement notable est le ralliement de Marie-Magdeleine Aymé de la Chevrelière à l’UDR à partir de 1967. En 1973, Albert Brochard, un réformateur démocrate social, futur UDF, succède à Augustin Bordage dans la troisième circonscription ; c’est surtout la victoire du maire socialiste de Niort, René Gaillard, dans la première circonscription qui marque la vraie première rupture politique dans le paysage politique départemental depuis 1958. Les positions gaullistes dans les Deux-Sèvres s’affaiblissent définitivement avec la victoire de Valéry Giscard d’Estaing en 1974 à l’élection présidentielle. En 1978, dans la deuxième circonscription, Jacques Fouchier est réélu au second tour avec le soutien du RPR. Laderrière par contre ne recueille que 9 % face à Albert Brochard à Bressuire-Thouars, tandis que le mouvement gaulliste ne pèse plus que de façon négligeable dans le sud du département. La situation ne variera pas en juin 1981.
12L’évolution de la représentation gaulliste à l’Assemblée nationale dans le département de la Vienne entre 1958 et 1981 suit également l’érosion observée dans les trois autres départements de la région. En 1958, on peut dire que les trois circonscriptions de la Vienne sont remportées par des candidats gaullistes, même si le docteur Paul Guillon, compagnon de la Libération, est élu sans étiquette et en battant un candidat gaulliste « officiel », P. Bonnet, qui n’obtient que 12,9 %. Le symbole de la victoire de la nouvelle donne politique instaurée par le retour au pouvoir du général de Gaulle est l’élection du garagiste Eugène Bouchet à Châtellerault face à Pierre Abelin, dont la notabilité tire autant sa force de son aisance relationnelle avec les électeurs que de ses liens dans le monde des affaires à Paris. Dans un registre un peu différent, l’élection du docteur Claude Peyret dans la troisième circonscription de Montmorillon au sud du département incarne également la victoire de ces hommes entrés en politique pour faire triompher les idées chères au Général. La confiance des électeurs de la Vienne envers les députés gaullistes reflue toutefois dès les élections de la fin 1962 avec la revanche de Pierre Abelin qui retrouve son siège à Châtellerault. En revanche, Paul Guillon conserve son siège en revendiquant l’étiquette gaulliste dès le premier tour, de même que Claude Peyret à Montmorillon qui rallie plus de 63 % des suffrages au second tour. La physionomie électorale ne varie pas entre 1967 et 1973. Dans la première circonscription, Pierre Vertadier devient le nouveau député et maire de Poitiers en succédant à Paul Guillon qui s’est suicidé en 1965. La deuxième circonscription continue d’être le fief inexpugnable de Pierre Abelin, qui passe de l’opposition sous le général de Gaulle au ralliement des centristes sous Georges Pompidou, avant d’être totalement en phase avec l’action de Valéry Giscard d’Estaing à la présidence de la République. La situation se complique en mars 1978 avec les déchirements de la droite à Poitiers. Le nouveau maire socialiste de la capitale régionale, Jacques Santrot, qui a succédé à Pierre Vertadier en 1977, bat l’ancien ministre André Fanton qui échoue dans sa tentative de parachutage dans la première circonscription. Dans la deuxième circonscription, le RPR Montenay ne rassemble que 13,3 % des voix, loin derrière Pierre Abelin. Seul Arnaud Lepercq sauve le siège de Montmorillon pour le RPR en remportant la circonscription au second tour avec 51,5 % des voix, mais avec une assise électorale plus fragile que celle du défunt docteur Peyret. Le raz-de-marée rose de juin 1981 achève d’emporter le dernier siège gaulliste dans le département avec la victoire du maire socialiste de Civray, Raoul Cartraud, sur Arnaud Lepercq.
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13Bien que les quatre départements picto-charentais ne présentent pas une tradition électorale commune depuis la Révolution et l’avènement du suffrage universel en 1848, ils n’en ont pas moins partagé un commun attrait pour le nouveau régime institutionnel proposé et incarné par le général de Gaulle en 1958. Pour les candidats se réclamant du gaullisme, le plus difficile pas à franchir pour faire une longue carrière au Palais Bourbon a bien souvent été celui de la première élection, la fidélité semblant caractériser l’électorat à quelques notables exceptions près où d’autres candidats présentaient un charisme supérieur au leur (Félix Gaillard en Charente ou Pierre Abelin dans la Vienne). L’accord entre l’électorat et les objectifs politiques du général de Gaulle n’a toutefois pas survécu au fondateur de la Cinquième République. Le visage plus libéral du pompidolisme a commencé à susciter de la méfiance dans les marges les plus fragiles (victoire de René Gaillard à Niort ou de Michel Crépeau à La Rochelle en 1973). La séduction exercée par Valéry Giscard d’Estaing en 1974 s’étiole rapidement avec les conséquences sociales de la crise économique et renforce la force d’alternance incarnée par « le fils de la Charente » qu’est François Mitterrand, premier secrétaire du Parti socialiste. Les candidats élus sous l’étiquette du chiraquien RPR le doivent davantage à leur personnalité propre, comme Jean de Lipkowski à Royan, ou à la fidélité envers une figure disparue comme pour Arnaud Lepercq successeur du docteur Claude Peyret à Montmorillon qu’aux mots d’ordre de la rue de Lille. Il est donc logique qu’une décennie après le départ de l’Élysée de Charles de Gaulle, le gaullisme picto-charentais soit presque oublié et que le corps électoral se sente délié d’un sentiment de fidélité devenu en grande partie factice.
Notes de bas de page
1 Max Brusset 24,3 % des voix contre 37,6 % à André Lacaze.
2 C’est d’ailleurs à Royan que le jeune Jean-Noël de Lipkowski entend l’appel du général de Gaulle le 18 juin 1940, auquel il va répondre immédiatement en parvenant à Londres via le réseau mis sur pied par son père qui le fait transiter par l’Espagne après plusieurs échecs.
3 Issu d’une illustre famille de résistants, alliant la prestance paternelle du diplomate, à des idées progressistes héritées du radicalisme social de sa mère Irène.
4 Le CRR rassemble en 1958 Henri Frenay, Roger Barberot, Geneviève de Gaulle et Philippe Dechartre
5 On observe toutefois un passage à vide en 1977, lorsqu’il laisse son fauteuil de maire à un UDF qui sera lui-même remplacé par un maire de transition en 1979.
6 Jean-Guy Brangier siège tout d’abord chez les non inscrits avant de rejoindre le groupe parlementaire UDF. Il sera constamment réélu à l’Assemblée jusqu’en 1997 avant de rejoindre le Sénat où il a siégé jusqu’en 2008.
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