Introduction. Récidive et récidivistes depuis deux siècles
p. 11-24
Texte intégral
« À présent monsieur Poirot, reprit-elle, vous connaissez toute l’histoire […]. J’aurais volontiers frappé moi-même ce monstre de douze coups ! Non seulement il a tué ma fille et la petite Daisy, et cet autre bébé qui aurait pu vivre, mais avant de nous enlever notre chère mignonne, il avait assassiné d’autres enfants et rien n’eût dit que, dans l’avenir, il n’eût pas récidivé. La société, sinon la légalité l’avait condamné, nous n’avons fait qu’exécuter la sentence. »
Agatha Christie, Le crime de l’Orient-Express,
Paris, Club des masques, 1992, p. 254.
1« Il ne faut jamais prendre les concepts de l’histoire qu’avec des pincettes historiques1. » Cette recommandation vaut bien évidemment aussi pour les concepts et catégories juridiques : la récidive et le récidiviste ne sauraient dès lors y échapper. Pour mieux comprendre les implications et les impensés de ces notions, il est nécessaire de les remettre dans leur contexte de création et de production. C’est là l’objectif premier de cet ouvrage qui se propose de replacer le problème public de la récidive et le traitement pénal des récidivistes dans une histoire au long court, en prenant pour point de départ la rupture révolutionnaire et consulaire. Comment ont-été perçus et traités la récidive et le récidiviste depuis 200 ans ? Y a-t-il eu, comme le soulignait Bernard Schnapper une obsession créatrice tout au long du XIXe siècle, poursuivie et entretenue depuis2 ? Ou, y a-t-il eu des ruptures, des évolutions dans les représentations, des réformations des politiques pénales ? Qui, à chaque moment clé de l’histoire des ces concepts, a mobilisé autour de ce « problème », qui a proposé une analyse, une lecture et a tenté de l’imposer ? Comment les différentes disciplines, juridiques, criminologiques et médicales, se sont-elles positionnées ? Comment le législateur s’est-il saisi de ces questions et les a-t-il validées ? Comment ces législations ont-elles été appliquées ? Qu’ont-elles donné « au concret » ? Autant de questions qui posent celle plus générale des ressorts des législations traitant la récidive et le récidiviste. Certes, cet ouvrage ne saurait valablement et durablement répondre à l’ensemble de ces questions, mais il offre un panorama actualisé de la recherche sur ces objets spécifiques et propose, en creux, des pistes pour poursuivre et étendre ces approches. En effet, la récidive, en histoire, en droit ou encore en sociologie et sociologie-politique ne semble pas un objet de recherche privilégié. Les approches relèvent le plus souvent du domaine de l’expertise criminologique ou psychologique voire médicale. Le but étant de répondre à une offre politique renouvelée, répétée et appuyée depuis une vingtaine d’années. La récidive est considérée comme un « problème » qu’il faut résoudre. Les questions de la création de ce « problème », des représentations qu’il véhicule et de l’effectivité des lois sur la récidive ne trouvent pas à se poser. Une lecture à court terme (s’ajuster à une offre politique immédiate) et experte (qui se saisit de la récidive et ne prend pas soin de le déconstruire) ne saurait prendre en compte ses déterminants et ses enjeux politiques et sociaux3. Depuis le début des années 2000 d’ailleurs, la multiplication des lois sur la récidive a pu laisser l’image d’un objet neuf, coupé d’une histoire dans laquelle pourtant il s’insère. Elle a surtout contribué à créer l’illusion d’une problématique neuve, propre à son temps. Il semblait nécessaire, à la suite de colloques tenus récemment, de poursuivre la réflexion sur la récidive, inscrite dans une perspective diachronique et dynamique, pour mieux comprendre le regard et le traitement actuel de la récidive et du récidiviste4. Pour cette raison, cet ouvrage n’entend pas séparer l’histoire du présent.
2Cet ouvrage est le résultat d’un colloque pluridisciplinaire tenu à la faculté de droit de Pau les 9 et 10 décembre 2009 et qui rassemblait des contributions de chercheurs de différentes disciplines. Certes, il ne s’agissait pas, comme le soulignait à propos Gérard Noiriel, de faire une pluridisciplinarité « naïve », qui fasse abstraction des relations de ces différentes disciplines et de leur propre histoire (institutionnalisation et cloisonnement disciplinaire), mais bien de multiplier les points de regards, les différentes approches méthodologiques pour cerner autant que faire se peut les objets « récidive » et « récidiviste5 ». Socio-historiens, juristes, sociologues, historiens et historiens du droit ont donc confronté leur regard sur un objet commun pour l’éclairer de différents angles et proposer une vision transversale. Au-delà des contributions essentiellement scientifiques, le colloque a reçu aussi des contributions d’acteurs du système judiciaire (magistrats) en prise directe avec l’application des mesures législatives emmêlées et embrouillées sur la récidive. Ils ont offert une analyse juridique et un témoignage des pratiques des tribunaux sommés de traiter la récidive et le récidiviste.
L’invention d’une catégorie pénale : la récidive
3Comme le notaient déjà en 2004 Françoise Briegel et Michel Porret, « sur le plan historique, la récidive reste mal connue, bien qu’elle constitue un sujet qui inquiète la société6 ». Leur ouvrage a d’ailleurs grandement contribué à mieux connaître cet objet d’histoire dans une perspective de très long terme, allant du Moyen Âge au XXe siècle. L’introduction du Criminel endurci rappelle utilement l’histoire du mot « récidiver », à l’origine un terme médical signifiant le fait de rechuter (réapparition d’une maladie après une guérison) et utilisé depuis le XVe siècle en droit pour nommer le fait de commettre un nouveau crime (il s’agit encore d’une rechute7). À partir de là, le verbe connait des déclinaisons : récidive (XVIe siècle), récidivité (XIXe siècle), récidiviste (XIXe siècle). Dans cette histoire du vocabulaire et du concept, le XIXe siècle est le moment de la fixation des définitions, concomitante de l’autonomisation d’une nouvelle catégorie pénale (la récidive) et d’une nouvelle catégorie de criminels (les récidivistes). C’est en effet à partir de ce siècle, comme le relevait Bernard Schnapper, que la récidive, en droit et dans les sciences proches du droit, devient « un problème à part et de gravité croissante8 ». Certes, à partir du XVIe siècle, « la récidive devient un facteur clé du système pénal ordinaire », mais il faut attendre le XIXe siècle et « la généralisation des pratiques de confinement » pour que la récidive prenne un sens qui est toujours le sien : l’objet des politiques pénales n’est plus seulement la prise en compte de la commission d’un même acte mais du comportement dangereux et incorrigible de celui qui vit du, ou dans, le crime9. La création de la prison pénale n’est pas étrangère à ce changement de paradigme : son but essentiel est de corriger le coupable, de l’amender pour le rendre meilleur. À la sortie de prison, il doit avoir payé son crime et avoir réformé son âme, interdisant toute récidive. Dès lors, prison et récidive sont obligatoirement et définitivement associées. Bonneville de Marsangy, inventeur et promoteur du casier judiciaire et qui a eu sa part dans l’autonomisation de la récidive en tant que problème politique particulier, distinguait déjà au milieu du XIXe siècle deux grandes phases historiques : celle de la punition de la récidive spéciale (commettre le même crime) propre à l’ancien droit de celle de la punition de la récidive absolue (commettre deux actes criminels et/ou délictuels) ouverte par la Révolution et poursuivie depuis10. Si l’analyse de Bonneville est située historiquement (il s’agit pour l’auteur d’appuyer sa création du casier judiciaire et de faire de la récidive un problème spécifique et d’une urgente importance), elle a le mérite, souvent oublié, de tenter une première mise en perspective diachronique d’un objet juridique jusque-là analysé en lui-même.
4L’autonomisation de la récidive et du récidiviste comme objets de politiques pénales ne peut se comprendre sans les conditions objectives qui l’ont favorisée : la facilitation de la circulation à travers le territoire qui a rendu le criminel anonyme dans le lieu où il commet de nouveaux crimes (impossible de le connaître et donc besoin de moyens permettant de retracer son passé et son identité comme le casier judiciaire), la peur des classes laborieuses assimilées à des classes dangereuses (besoin accentué chez les classes dominantes d’outils de contrôle social), premières analyses des effets de la prison (dont l’échec est précisément marqué par la récidive)11, développement de l’outil statistique qui reconstruit une certaine réalité criminelle et, en créant la catégorie récidive, contribue à porter le regard et l’attention du législateur sur ce fait pénal, devenu dès lors un véritable fait social. Le Compte général de 1882 retrace ainsi l’évolution de la récidive sur 50 ans et face à l’ampleur des chiffres pose directement la question de savoir « que faire pour arrêter le flot toujours montant de la criminalité12 » ? Les statistiques rendent visibles l’objet récidive et les criminels récidivistes par la catégorisation et leur donne vie par la succession annuelle des chiffres qui font se mouvoir dans le temps ces deux construits administratifs et mathématiques. L’autonomisation favorisée par les statistiques est ainsi consacrée par l’État qui, concentrant l’information, « la traite et la redistribue » et « opère une unification théorique » autour des notions de « récidive » et « récidivistes13 ». Cette entreprise est alors relayée par la doctrine juridique. Ainsi, le répertoire Dalloz, dans son supplément, à l’entrée « récidive-relégation » observe que « l’accroissement incessant et progressif de la récidive est un fait certain, attesté chaque année par les statistiques officielles […] il est évident qu’arrivée à un tel degré, la récidive constitue un péril social considérable14 ». D’une technique juridique (aggravation de la peine sous l’Ancien Régime et dans les codes de 1791 et 1810), la récidive est devenue un fait pénal (constaté par les statistiques) et un fait social (interprétation politique des statistiques). C’est peut-être là la clé de la réussite de l’autonomisation de la récidive dans le champ pénal : elle est devenue un fait social, validé à la fois par les discours des députés, les lois, les analyses « scientifiques » et criminologiques et les articles de la presse. La fait diversification, phénomène évoqué par Gérard Noiriel, a, en effet, promu et diffusé des figures criminelles extraordinaires, figures criminelles qui souvent avaient déjà un casier lourdement chargé15. Par exemple, l’affaire Soleilland a pesé dans l’échec de la tentative d’abolition de la peine de mort en 1908. La crainte de la récidive a été exploitée par les rétentionnistes à la tribune de l’Assemblée, ce qui a contribué à renforcer le refus de l’abolition de la peine de mort16. Tous ces facteurs expliquent « l’importance croissante de la matière » depuis le début du XIXe siècle et l’érection durable d’un problème social et politique autonome17. Dès lors, et les contributions de cet ouvrage le confirment, la récidive telle qu’elle apparaît aujourd’hui est datée. Sa genèse remonte à l’aube du XIXe siècle.
Le récidiviste incorrigible18
5Pour autant, si la récidive dans son acception contemporaine plonge indubitablement ses racines dans le XIXe siècle, elle repose également sur des notions pluriséculaires, actualisées et réformées. Le lien est flagrant entre récidiviste et incorrigible. Comme le souligne Claude Gauvard, la notion d’incorrigibilité apparaît dès le Moyen Âge, dans les plaidoiries du parlement de Paris à la fin du XIVe siècle19. L’incorrigible est une figure criminelle qui concentre les peurs sociales et qui sert de bouc-émissaire à l’État royal dans son entreprise de monopolisation de la violence légitime. L’incorrigible est (et restera tout au long de l’Ancien Régime), le vagabond, le larron de grands chemins, en fait ceux qui vivent du crime, les récidivistes. Cet être incorrigible, essentiellement mauvais, contre lequel la peine ne peut rien, est celui qui est promis à l’élimination. Pour prouver cette incorrigibilité, l’enquête se développe : « Menée au pays [elle] porte en particulier sur le comportement que ces hommes ont eu pendant leur enfance20. » La connaissance du criminel, de son passé, de sa personnalité, de sa fama, bref de sa biographie, fait apparaître au juge le caractère dangereux, car persistant dans le crime, de l’accusé qu’il doit juger. Cet impératif qui consiste à resituer le criminel dans un parcours, une histoire voire un réseau social et familial, se vérifie prioritairement, dans la France d’Ancien Régime à l’égard de ceux qui brisent les chaînes sociales et rendent difficile toute identification : gens sans aveu et vagabonds, mendiants et autre déserteurs. Ils sont en quelque sorte le laboratoire de ce qui se généralisera dès la Révolution et plus encore au XIXe siècle : la rationalisation des moyens d’identification et de recréation de parcours criminels, censés porter à la connaissance du juge l’être qu’il a à juger. Le danger réside moins dans leur oisiveté que dans l’impossibilité de les connaître dans leur essence. La logique est la même à partir du XIXe siècle : la multiplication des moyens de transports distend les liens sociaux et familiaux et désenclave les communautés. Le vagabond n’est plus le seul inconnu. L’appréhension sociale ne se focalise plus seulement sur quelques figures de la marginalité, mais touche plus largement ceux qui sont amenés à se déplacer, à devenir et rester étrangers aux endroits qu’ils fréquentent. Le passé criminel, l’état de récidiviste font alors apparaître le caractère socialement dangereux du criminel et la nécessité de le punir plus sévèrement voire de prendre à son égard des peines éliminatoires. Le danger vient de l’inconnu ou de l’usurpateur d’identité, qui peut être un vagabond, un voleur, un tueur, un faussaire, en fait un individu habitué au crime. Le récidiviste se cache alors dans chaque criminel, avec plus d’évidence encore dans celui qui n’est pas reconnaissable. Il pèse sur lui le soupçon d’un passé criminel que ne manquera pas de révéler le casier judiciaire ou l’anthropométrie. Tracer, suivre, retracer, poursuivre, contrôler à distance, toutes ces précautions se déclinent dans un appareil tout à la fois administratif, pénal et judiciaire fait pour débusquer efficacement les récidivistes, et contribuant dès lors à grossir les rangs de « l’armée du crime ».
6La notion d’incorrigible se trouve pourtant largement refondue tout au long du XIXe siècle, du fait de l’investissement croissant des disciplines médicales dans le champ pénal21. Elle ne repose plus seulement sur des notions morales ou philosophiques empruntées à Aristote ou saint Thomas, mais sur des diagnostics scientifiques et des analyses anthropométriques : le caractère incorrigible se détermine à partir de l’examen clinique et psychologique du criminel22. Il porte dans son être physique et psychique les traces de l’impossibilité de son amendement23. Lacassagne enseigne ainsi à ses étudiants : « À l’heure actuelle, ce seront encore des médecins qui montreront aux magistrats qu’il y a parmi les criminels des incorrigibles, des individus organiquement mauvais et défectueux, et obtiendront non seulement leur incarcération […], mais leur déportation dans un endroit isolé, loin de notre société actuelle trop avancée pour eux24. » Aux tribunes des Assemblées, on parle volontiers des « incurables du crime25 ». Rien ne saurait le rendre meilleur, ni la médecine, ni le système pénal, encore moins la prison. Sauvage parmi les civilisés, le récidiviste incorrigible, s’il échappe à la peine de mort, doit alors être relégué dans un espace lui-même regardé comme sauvage rappellant les peines réfléchissantes de l’ancien droit) : « La déportation dans des contrées demi-sauvages placera précisément du reste la plupart des criminels dans des milieux correspondant à leur intelligence et à leur moralité inférieure, et ils pourront même y prospérer26. » Face à cet être essentiellement mauvais et asocial, face à la menace qu’il fait peser sur la société, cette dernière doit engager un « combat ». La rhétorique guerrière est ainsi surinvestie dans les tribunes politiques mais aussi par les juristes et les médecins, et se mêle à une rhétorique médicale : dans les deux cas il s’agit d’extirper le mal contagieux et corrupteur27.
7L’incorrigible est celui dont le parcours est lu de manière linéaire (et donc consolidée comme tel) par la justice. Dans une illusion rétrospective, sa trajectoire passée, jusqu’au dernier crime commis et jusqu’au prononcé du jugement, est analysée comme un glissement ininterrompu et continu vers un état de récidiviste. Tarde, dans une de ses formules, synthétise ce déterminisme biographique appliqué aux « incorrigibles » et validé par la justice : « Peut-être on naît vicieux, mais à coup sûr on devient criminel. » Il poursuit : « Ainsi, de tous les actes de la vie passée, le crime est […] celui qui doit tendre avec le plus de force à se répéter en réalité. La pente qui pousse à la récidive criminelle est donc fatale28. » La force de l’État et du droit est donc d’imposer cette catégorie pénale, de l’éterniser et de la rendre « naturelle », de manière à ce qu’elle soit reprise, développée et appliquée. Dans ce travail d’imposition et d’éternisation, la justice, mais aussi l’administration et les travaux de recherches (comme ceux de Tarde, par exemple) tiennent une place importante. Ils contribuent à créer et à perpétuer le « problème social » récidive et à renouveler au rythme des évolutions politiques et sociales les figures dominantes des « incorrigibles », pour qui l’exclusion apparaît comme la seule solution. Le grand nombre de thèses juridiques et d’écrits médicaux sur la récidive en France entre 1885 et 1900 atteste à la fois de « la force symbolique de l’État » qui impose ce « problème » et de sa validation dans divers univers scientifiques29. Ainsi, le récidiviste incorrigible, celui qui doit être exclu, a une utilité sociale : il sert à l’État à justifier sa domination. En effet, sa punition permet de faire une distinction, de marquer une division, d’affirmer une différence entre ceux qui peuvent faire partie du groupe et ceux qui, le menaçant, doivent en être extirpés. La stigmatisation de l’« incorrigible » permet en creux de définir le groupe et participe finalement à ressouder ceux qui en sont : l’exclu, en disant qui est cet autre à part, permet de dire qui sont ceux qui se ressemblent. Comme le note Durkheim d’une manière plus générale pour le droit pénal :
« La force qui est choquée par le crime qui le refoule […] est un produit des similitudes sociales les plus essentielles, et elle a pour effet de maintenir la cohésion sociale, qui résulte de ces similitudes. C’est cette force que le droit pénal protège contre tout affaiblissement, à la fois en exigeant de chacun de nous un minimum de ressemblances sans lesquelles l’individu serait une menace pour l’unité du corps social, et en nous imposant le respect du symbole qui exprime et résume ces ressemblances en même temps qu’il les garantit30. »
La nécessité d’une histoire de la récidive
8La mise en perspective proposée par Jean-Pierre Allinne démontre s’il en été besoin l’urgente nécessité de prendre du recul historique pour regarder autrement la succession des politiques pénales actuelles sur la récidive et les récidivistes. Il met en évidence, à la suite de Bernard Schnapper, le formidable levier que constituent la récidive et l’exploitation de la peur sociale du récidiviste (dont la figure épouvantail a évolué au fil des siècles, passant de l’oisif vagabond au délinquant sexuel) pour l’État pour étendre et renforcer son contrôle social. Récidive et récidivistes, construits sociaux, rappelle-t-il à propos, deviennent des arguments sécuritaires autorisant la multiplication des moyens de surveillance et d’aggravation des peines, voire un retour implicite à des peines éliminatoires. La récidive et les récidivistes apparaissent dès lors sous un jour autre : ils sont l’objet d’enjeux politiques et sociaux. Ils ne sont donc pas des catégories juridiques sèches, objectives et efficientes, mais bien des concepts politiques, en fait polymorphes. Cette hybridation s’expliquant d’abord par leur genèse. Cet aspect fuyant du concept de récidive est souligné aussi par Renée Zauberman et Philippe Robert. Ils démontrent que, suivant les contextes, le terme change de sens, varie dans les représentations qui luis sont liées. La récidive n’est d’ailleurs pas uniformément mobilisée dans l’histoire : c’est à certaines périodes seulement qu’elle devient un problème public d’importance. Il n’y a pas de continuité, de progression linéaire et historique du concept. L’exploitation actuelle de faits divers pour justifier de nouvelles lois aggravant la répression de la récidive est symptomatique finalement d’une « humeur du temps » que le chercheur se doit de décrypter et d’analyser. Les auteurs rappellent utilement que le contexte politique, social et économique est déterminant dans l’appréciation et la définition de la récidive et du récidiviste. « La tétanisation obsessionnelle » sur la récidive serait particulièrement sensible dans des moments de l’histoire fortement marqués par deux éléments : « une angoisse sociale » et « une panique des responsables qui craignent de se voir reprocher l’inefficacité de leurs politiques de contrôle social ».
9La récidive et le récidiviste sont donc des notions qui véhiculent des impensés. Il revient à l’historien, au sociologue, au juriste et au politiste de les faire émerger pour remettre les politiques pénales sur la récidive dans leur contexte de production et faire apparaître leurs déterminants politiques et sociaux. Le récidiviste, ennemi social, être asocial par essence, car refusant d’apprendre de sa peine et transgressant sans cesse les lois y compris sociales, cristallise sur sa personne les peurs sociales. Suivant son identité criminelle, il fait dès lors apparaître les « états forts et définis » de la conscience collective, pour reprendre le mot de Durkheim, que ne manquent pas d’exploiter l’État et ses représentants à la fois pour répondre à une angoisse structurelle (l’insaisissable « sentiment » d’insécurité) et renforcer leur propre légitimité par la manifestation spectaculaire (au moyen de peines aggravées) de leur pouvoir d’agir. L’histoire de la récidive est une nécessité pour échapper au sens commun, à la définition dominante à un moment particulier des concepts de récidive et récidivistes.
Deux moments clés
10Deux siècles d’histoire de la récidive font apparaître deux moments clés, deux moments d’intense activité législative, d’ébullition scientifique et juridique : le début de la troisième République et depuis les années 2000. La récidive n’a donc pas été une « obsession créatrice » tout au long du XIXe siècle et elle l’est redevenue aujourd’hui. C’est ce que souligne l’ensemble des contributions ici réunies. Emmanuel Berger montre ainsi les liens étroits entre la politique pénale révolutionnaire à l’égard de la récidive et celle de l’Ancien Régime. Le récidiviste qui continue à faire peur est le vagabond, le mendiant, cet être oisif et inconnu. Mais il montre surtout que la Révolution et le Consulat ont été un formidable laboratoire législatif dans lequel les régimes postérieurs ont pu puisés leurs idées pour traiter de la récidive et le récidiviste. C’est sous la Révolution qu’est créée, mais sans application réelle, la peine de la déportation, c’est sous le Consulat, qui ici encore renoue avec l’Ancien Régime, que le contrôle administratif des condamnés est envisagé et peu à peu mis en place. Véritable contrôle social en fait, justifié par la dangerosité des criminels incapables du moindre amendement et que le gouvernement doit pouvoir situer et suivre à la trace. François Seignalet Mauhourat constate la même persistance des anciens usages dans le domaine de la preuve et de la répression de la récidive. Il analyse la résurgence de la marque judiciaire en 1802 et son abolition en 1832. Pour autant, la reprise de la flétrissure ne veut pas dire qu’elle a les mêmes fonctions et qu’elle véhicule les mêmes représentations que dans l’ancien droit. François Seignalet Mauhourat montre qu’à partir du Consulat, la marque, à la différence de l’Ancien Régime, n’est plus envisagée uniquement comme l’aggravation d’une peine principale, mais devient un outil de politique pénale, le corps du condamné servant aussi de casier judiciaire personnel. Politique pénale s’inscrivant dans le corps et dans l’esprit, comme un rappel indélébile de la menace des prochaines sanctions et une manifestation physique du caractère dangereux, incorrigible, de celui qui la porte. L’analyse de cet auteur, qui va à contre-sens d’autres analyses, montre que « le lien entre flétrissure et détection des récidivistes reste encore relatif au XVIIIe siècle », mais qu’il est effectif à partir du Consulat. C’est bien à partir du XIXe siècle que la peur du récidiviste se cristallise et se généralise.
11Pour autant, il faut attendre la troisième République, premier moment clé, pour assister à la première grande loi d’exclusion des récidivistes. Peine de « débarras », la relégation, qui puise sa source dans la transportation du second Empire (Hinda Hedhili), est analysée dans ses déterminants sociaux et politiques dans les contributions de Jean-Lucien Sanchez et Martine Kaluszynski. Jean-Lucien Sanchez démontre l’habileté de Pierre Waldeck-Rousseau porteur de la loi de 1885 sur la relégation, véritable « entrepreneur de morale », selon le sens d’Howard Becker, qui a su mobiliser les républicains et leur faire adopter et valider son projet31. Il s’est appuyé sur des sciences naissantes ou confirmées, comme la statistique ou la criminologie, pour renforcer et légitimer sa mesure de défense sociale. Car c’est au nom de la défense des classes populaires que le ministre de l’Intérieur stigmatise par sa loi les membres « corrupteurs » des ces classes populaires et leur impose l’exil « purificateur ». Cette analyse est appuyée par Martine Kaluszynski qui rappelle que la récidive a permis à la République d’apparaître comme un régime d’ordre. Derrière la traque des récidivistes, la jeune et fragile République a pu se tailler une réputation de sévérité et de protection des classes bourgeoises et populaires. L’ennemi intérieur a servi de ferment à l’unité républicaine.
12C’est que, comme le souligne Jean-Lucien Sanchez, « la récidive connaît un véritable engouement » au début de la troisième République. Cet engouement tout à la fois est suscité et profite aux sciences juridiques et médicales qui voient là un moyen de répondre à une attente étatique. Le problème public de la récidive est donc aussi le fruit de la lutte ou plutôt de la concurrence livrée par différentes disciplines pour la définition dominante de la récidive, du récidiviste et du traitement à adopter. Dans cette intense activité scientifique, les juristes sont apparus divisés voire dépassés par les tenants de la criminologie. Jean-Louis Halpérin, analysant l’évolution de la position de la doctrine pénaliste sur la question de la récidive tout au long du XIXe siècle, met à jour l’effacement de cette doctrine. Il note que la récidive n’a retenu spécifiquement l’attention d’une partie des professeurs de droit que sous la troisième République, auparavant, ils se sont montrés critiques à l’égard de la sévérité du code pénal de 1810. C’est à partir du Précis de René Garraud (1881), note-t-il, que « la punition sévère des récidivistes [est] présentée comme […] un principe de sens commun ». Pour autant, la position de la doctrine pénaliste, divisée en son sein, n’est pas uniforme ou univoque. Effacée, concurrencée par d’autres sciences, elle s’autorise un recul critique à l’égard des différentes législations. Nicolas Derasse, en étudiant les Congrès internationaux pénitentiaires au XIXe siècle, rappelle qu’au-delà du droit, la science pénitentiaire, largement ouverte à la criminologie, a proposé une intense réflexion sur l’objet « récidive ». La question du traitement des récidivistes s’internationalise, les différents Congrès rivalisent pour trouver un moyen efficace d’empêcher la rechute du condamné et sa persistance dans le crime. Il n’est donc pas seulement question d’approches théoriques, mais bien de fournir aux différents gouvernements des moyens d’action. Ainsi, c’est en 1878, à Stockholm, que la transportation est débattue, et que certains pays, dont la France, la Russie et l’Espagne se laissent séduire par cette peine d’éloignement. Ces Congrès, à leur manière, participent à construire le problème de la récidive car, comme le rappelle Nicolas Derasse, en « diffusant [leurs] idées, ils éveillent les esprits à l’épineuse question de la récidive », tout autant qu’ils posent ou orientent les termes du problème.
13L’autre moment clé, mis en perspective dans les contributions de Jean-Pierre Allinne et Renée Zauberman et Philippe Robert, est l’époque actuelle. La récidive est redevenue une « obsession », ou plutôt un problème public d’importance. L’empilement des lois plus répressives (Jocelyne Castaignède sur la question des mineurs et Nicolas Delpierre sur l’évolution des peines) s’ajoutent à une redéfinition des rapports entre gouvernement et parquet. Jean-Paul Jean analyse tout autant qu’il témoigne de l’évolution du rapport entre le ministère et les parquetiers sur le sujet sensible de la récidive. Il parle de « préfectoralisation », et de fait met à jour un investissement manifeste du rapport hiérarchique visible dans des rappels à l’ordre symbolique et médiatique. La récidive concentre l’attention du gouvernement car il fait de sa réussite dans ce domaine un enjeu politique et électoral. Les magistrats du parquet, héritiers d’un savoir-faire et d’un savoir-être transmis par l’institution judiciaire (Jean-Paul Jean rappelle la mission essentielle du parquet de préserver les libertés individuelles), s’accommodent mal de la redéfinition du rapport hiérarchique à laquelle certains éprouvent des difficultés d’ajustement : ils prennent alors l’option de critiques publiques des politiques en matière de récidive ou d’une appropriation des nouvelles règles, leur permettant de jouer avec ces règles pour faire valoir leur propre vision de la récidive et des récidivistes. C’est ce qu’évoquent Jean-Paul Jean et Nicolas Delpierre quand ils relatent des phénomènes de « résistance » et de « contournement ». Ces contributions rappellent alors l’un des enjeux des lois sur la récidive : leur effectivité.
Des politiques pénales effectives ?
14Derrière le discours officiel sur la récidive, derrière l’image du récidiviste qui se dégage des lois et des analyses scientifiques, apparaît une réalité sociale et judiciaire complexe voire incertaine, presque insaisissable. Frédéric Chauvaud, se dégageant de ces discours normatifs, analyse les différentes figures prises par les récidivistes dans la littérature populaire et judiciaire. Il y voit des « escamoteurs », des êtres « insaisissables », « irrécupérables », des « seconds couteaux », des « hommes usés » ou encore des « déshérités de la vie ». Comme il le souligne « si pour nombre de publicistes et d’observateurs sociaux le traitement de la récidive s’apparente à une justice de débarras, pour le grand public, les journalistes et les romanciers, le récidiviste n’est pas un personnage grandiose et horrible, mais un être repoussant, grotesque et parfois désespéré ». Ce sont ces misérables, au parcours le plus souvent vagabond et incertain que le juge et les jurés voient devant eux dans la salle d’audience. L’incorrigible, le dangereux asocial, le membre corrompu laisse place à des destins brisés, en pointillés, repérables uniquement par le casier judiciaire, seule marque visible de leur essence. Leur vie, leur être, se confond alors avec leur biographie judiciaire (notre contribution). Jean-Claude Vimont montre les ajustements tentés pour réformer les lois répressives et les adapter à ceux qu’elles visent et sanctionnent. Il met à jour l’œuvre de Pierre Canat, à la libération, et les différents parcours judiciaires et pénitentiaires proposés pour empêcher toute récidive. L’application des lois actuelles sur la récidive pose les mêmes problèmes que celle de la relégation : les juges adaptent la répression à ceux qu’ils voient dans le tribunal et qui ne correspondent pas forcément à l’image dominante diffusée dans les discours et la médiatisation des faits divers. Jean-Pierre Royer, Nicolas Delpierre, et Jean-Paul Jean montrent que les juges développent des « arts de faire32 », selon le mot de Michel de Certeau, et ajustent leur regard et les exigences de la loi pour traiter un problème qui leur est imposé : la récidive.
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15Le présent ouvrage est divisé en quatre parties qui mettent dans une perspective diachronique le traitement de la récidive et des récidivistes. Dans un chapitre préliminaire, Jean-Pierre Allinne revient sur l’histoire longue de la récidive et des enjeux qui lui sont liés. Dans une première partie, Frédéric Chauvaud, Jean-Louis Halpérin et Nicolas Derasse analysent les représentations scientifiques, doctrinales ou romanesques des récidivistes au XIXe et XXe siècles. Une fois posée cette représentation, dans une deuxième partie, Emmanuel Berger, François Seignalet Mauhourat, Jean-Lucien Sanchez, Martine Kaluszynski, Hinda Hédhili, Mathieu Soula et Jean-Claude Vimont reviennent sur l’évolution du traitement législatif de la récidive et sur l’application des différentes lois aux XIXe et XXe siècles. Dans une troisième partie, Renée Zauberman et Philippe Robert, Jocelyne Castaignède, Jean-Pierre Royer, Nicolas Delpierre et Jean-Paul Jean se penchent plus spécifiquement sur les développements contemporains de la récidive. Enfin, en conclusion Denis Salas interroge les enjeux de la question de la récidive.
Notes de bas de page
1 Bourdieu P., « Sur les rapports entre la sociologie et l’histoire en Allemagne et en France », Actes de la recherche en sciences sociales, a. 1995, vol. 106, no 1, p. 116.
2 Schnapper B., « La récidive, une obsession créatrice au XIXe siècle », XXIe Congrès de l’Association française de criminologie : le récidivisme, Paris, PUF, 1983, p. 25-64 ; repris dans Schnapper B., Voies nouvelles en Histoire du droit, Paris, PUF, 1991, p. 313-351. Il est utile ici de rappeler les apports fondamentaux de la recherche de Bernard Schnapper sur la récidive. Différentes contributions de cet ouvrage, à commencer par cette introduction, souligneront d’ailleurs leur dette scientifique à l’égard de Bernard Schnapper et contribueront aussi à discuter certains acquis et certaines thèses de sa recherche.
3 Philippe Robert soulignait déjà, en 1983, l’écart entre les approches immédiates et celles qui tentent de comprendre la complexité de l’objet « récidive ». Pour les premières, il s’agit de trouver la solution à la question de la répétition des crimes : « Ils recommencent ; pourquoi donc ; et comment les en empêcher ? » (cf. Robert P., « Allocution d’ouverture », Le récidivisme, op. cit., p. 9).
4 Voir : Le récidivisme, op. cit. et Briegel F., Porret M. (dir.), Le criminel endurci, récidive et récidivistes du Moyen Âge au XXe siècle, Genève, Droz, 2006.
5 Noiriel G., « Pour une approche subjectiviste du social », Annales ESC, novembre-décembre 1989, no 6, p. 1444 : il évoque le « mirage interdisciplinaire ».
6 Briegel F., Porret M., « Récidive, récidivistes et droit de punir », in Briegel F., Porret M. (dir.), op. cit., p. 14. Outre les articles présentés dans cet ouvrage et ceux déjà cités, voir récemment : Vimont J.-C., « Des corps usés et maltraités. Les multirécidivistes relégués de 1938 à 1970 », in Chauvaud F. (dir.), Corps saccagés. Une histoire des violences corporelles du siècle des Lumières à nos jours, Rennes, PUR, coll. « Histoire », 2009, p. 163-174 ; Vimont J.-C., « La haine des récidivistes après 1945 », in Chauvaud F., Gaussot L. (dir.), La haine, histoire et actualité, Rennes, PUR, 2008, p. 255-264 ; Nicolleau L., La récidive au XIXe siècle. Définition, mesures et traitement. L’exemple de l’Aube, thèse de doctorat, Histoire du droit, Dijon, 2007, 2 vol. , dact. ; Sanchez J.-L., « Identifier, exclure, régénérer. La relégation des récidivistes en Guyane (1885-1938) », in Porret M., Cicchini M. (dir.), Les sphères du pénal avec Michel Foucault. Histoire et sociologie du droit de punir, Lausanne, Éd. Antipodes, 2007, p. 139-153 ; Dubos B., Le traitement de la récidive au XIXe siècle, mémoire de DEA, histoire du droit et des institutions, Toulouse 1, 2001, dact. ; Bertin S., « Récidive et récidivistes à Pontarlier 1885-1900 », in Stora-Lamarre A. (dir.), Archives de la Peur. Les « populations à risque » dans la Franche-Comté au XIXe siècle, Annales littéraires de l’université de Franche-Comté, Besançon, Presses universitaires franc-comtoises, vol. 705, 2000, p. 145-165 ; Renaut M.-H. « Une technique juridique appliquée à un problème de société, la récidive. De la notion de consuetudo deliquendi au concept de dangerosité », Revue de science criminelle et de droit pénal comparé, 2000, no 2, avril-juin, p. 319-334 ; Darbon V., Les récidivistes au bagne. Un choix républicain : la loi du 27 mai 1885, mémoire IEP, science politique, Grenoble, 1994, dact. ; Philibert D., La relégation des récidivistes : la loi du 27 mai 1885, une loi républicaine d’exception, mémoire, IEP, Grenoble, 1993, dact.
7 Ibid., p. 10.
8 Schnapper B., op. cit., p. 26.
9 Rousseaux X., « La récidive : invention médiévale ou symptôme de modernité ? », in Briegel F., Porret M. (dir.), op. cit., p. 80.
10 Bonneville de Marsangy A., De la récidive, ou des moyens les plus efficaces pour constater, rechercher et réprimer les rechutes dans toutes les infractions pénales, Paris, Cotillon, 1844.
11 Pour un exemple parmi d’autres : Chauveau A., Hélie F., Théorie du code pénal, Paris, Cosse et Co., 1872, p. 426 : « Les récidives dans lesquelles tombent annuellement plus du tiers des condamnés qui sortent de nos maisons centrales n’accusent que très hautement le mode de l’application (de cette peine). »
12 Compte général de l’administration de la justice criminelle, 1882, p. xcii. Ce compte est publié par un juriste et statisticien, directeur de la statistique judiciaire au ministère de la justice et proche de Gambetta, Émile Yvernés (Waldeck-Rousseau, porteur du projet de relégation adopté en 1885, est lui aussi un proche de Gambetta, il y a donc tout un réseau de républicains, soutenu par des médecins de renom, comme Lacassagne, qui oriente la débat sur la récidive au début des années 1880 et qui tente d’imposer le « remède » de la relégation).
13 Sur la concentration du « capital informationnel » par l’État et son rôle : Bourdieu P., « Esprits d’État. Genèse et structure du champ bureaucratique », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 96-97, 1993, p. 54.
14 Supplément au répertoire méthodique et alphabétique de législation, de doctrine et de jurisprudence en matière de droit civil, commercial, criminel, administratif, de droit des gens et de droit public de MM. Dalloz, Paris, 1895, t. 15, p. 77.
15 Sur les figures du monstre asocial, voir Chauvaud F., Justice et déviance à l’époque contemporaine : l’imaginaire, l’enquête et le scandale, Rennes, PUR, 2007.
16 Le Quang Sang J., La loi et le bourreau : la peine de mort en débats (1870-1985), Paris, L’Harmattan, 2001.
17 Supplément au répertoire…, op. cit., p. 76.
18 Depuis le Moyen Âge, le récidiviste est assimilé à l’incorrigible, celui qui ne sait pas apprendre de sa peine. Mais, à partir de la troisième République, dans la littérature juridique, le récidiviste incorrigible forme une catégorie particulière de criminels, celle contre qui la République peut et doit prendre des mesures éliminatoires. Le déterminisme sociologique et biologique alors dominant rapproche ces récidivistes incorrigibles des asociaux, des monstres sociaux qu’il faut éliminer. Voir : Mucchielli L., « Criminologie, hygiénisme et eugénisme en France (1870-1914) : débats médicaux sur l’élimination des criminels réputés “incorrigibles” », Revue d’histoire des sciences humaines, 2000, no 3, p. 57-88. Exemples d’emploi de la catégorie : Bénac C., Des délinquants d’habitude, dits incorrigibles et des mesures à prendre à leur égard, thèse de doctorat, droit, Toulouse, Rivière, 1903 ; Bertheau C., De la transportation des récidivistes incorrigibles, Paris, A. Chevalier-Marescq, 1886 ; Bessière G., La loi pénale et les délinquants d’habitude incorrigibles, thèse de doctorat, droit, Paris, A. Rousseau, 1898.
19 Gauvard C., Violence et ordre public au Moyen Âge, Paris, Picard, 2005, p. 64.
20 Ibid.
21 Dans le premier numéro des Archives d’anthropologie criminelle, Lacassagne souligne l’investissement croissant de la médecine dans le champ pénal : « Tout travail humain est nécessairement modifiable et perfectible et il n’est pas possible que, dans cette fermentation de la pensée humaine, si remarquable à notre époque, la Science, c’est-à-dire la connaissance des lois nécessaires inéluctables, s’attaque à tout et laisse seulement de côté le Droit » (Lacassagne A., « Avant-propos », Archives d’anthropologie criminelle et des sciences pénales, 1886, t. 1, p. 6).
22 Pour un aperçu de l’influence des médecins dans l’analyse des criminels : Renneville M., « Le criminel-né : imposture ou réalité ? », Criminocorpus, revue hypermédia, Autour des Archives d’anthropologie criminelle, 2, janvier 2005. Voir aussi plus largement sur l’histoire de la criminologie : Mucchielli L. (dir.), Histoire de la criminologie française, Paris, L’Harmattan, 1995.
23 Sur ce point : Mucchielli L., op. cit. Pour une analyse de la doctrine de l’ancien droit relative à « l’homme criminel » : Laingui A., « L’homme criminel dans l’Ancien Droit », Revue de sciences criminelle et de droit pénal comparé, janvier-mars 1983, p. 15-35. L’incorrigible dans l’ancien droit peut être aussi, suivant saint Thomas, le pervers, celui qui est atteint d’une maladie de l’âme, voire d’un dysfonctionnement des « humeurs ».
24 Lacassagne A., « Marche de la criminalité en France de 1825 à 1880. Du criminel devant la science contemporaine », Revue scientifique, 1, 1881, p. 684.
25 Journal officiel, chambre des députés, 1883, t. 1, séance du 1er mai 1883, intervention du commissaire du gouvernement, Herbette, p. 811.
26 Le Bon G., « La question des criminels », Revue philosophique, 1881, p. 538.
27 Quelques exemples de titres de thèses de droit et d’ouvrages sur la récidive, entre 1880 et 1900 : De Montvalon G.-B., La récidive, sa répression et ses remèdes, thèse de doctorat, Droit, Aix-en-Provence, Paris, L. Larose, 1897 ; Delvincourt A., Des mesures prises par les législations modernes pour combattre la récidive et favoriser le relèvement des coupables en droit français, thèse de doctorat, Droit, Caen, Paris, Chevalier-Marescq, 1896 ; Michel G., « La récidive et les moyens de la combattre », L’Économiste français, 1891, vol. 1, 4 avril, p. 422-423 ; Réguis L., La lutte contre la récidive, discours de rentrée à l’audience solennelle de la Cour d’appel de Rouen, 16 octobre 1891, Rouen, Julien Lecerf, 1891.
28 Tarde G., La philosophie pénale, Paris, Cujas, 1972, chapitre 1, viii.
29 L’expression est empruntée à Suaud C., « La force symbolique de l’État, la production politique d’une culture réfractaire en Vendée », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 116-117, mars 1997, p. 3.
30 Durkheim É., La division du travail social, Paris, PUF, livre I, chapitre 2, IV.
31 Becker H.-S., Outsiders, études de sociologie de la déviance, Paris, Métailié, 1985, p. 171 sq.
32 De Certeau M., L’invention du quotidien, t. 1, Les arts de faire, Paris, Gallimard, 1990.
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