1 Première attestation de la critique du rire, qui traverse tout le discours. Certains ont proposé un parallèle entre ce passage et le goût prononcé des Alexandrins pour l’humour, la satire et le grotesque dont on trouve une illustration dans des formes d’art typiquement alexandrines : terres cuites et jetons de jeux. Cf. Alföldi Rosenbaum, 1992, p. 390.
2 Les deux adjectifs se rencontrent dans un passage du Contre Timarque d’Eschine (126) dans lequel l’orateur dénonce la façon dont Démosthène parle de lui « sur le ton de la plaisanterie » (ἐν σκώμματος μέρει) – autre thème important du Discours aux Alexandrins – en se disant ἡδὺς καὶ γελοῖος. Le Contre Timarque était un discours particulièrement célèbre comme modèle de l’invective : Dion y fait allusion également en 78 (à propos du mythe de la jeune fille et du cheval).
3 Dion fait-il allusion à l’ensemble des citoyens ou au seul public réuni dans le théâtre ? La capacité d’accueil du grand théâtre d’Alexandrie est inconnue mais Dion insiste plusieurs fois sur l’importance de la foule devant laquelle il prononce son discours.
4 Le thème du discours utile apparaît à plusieurs reprises dans l’exorde du discours : l’utilité du philosophe est à opposer au plaisir que goûtent habituellement les Alexandrins (voir le commentaire sur ce point).
5 La prestation de choristes financés par un chorège (la chorégie) est encore une discipline fort populaire dans la partie grecque de l’Empire, surtout à Athènes. Dion parle à nouveau du chœur en 87. La comparaison est naturelle pour un peuple « mélomane » comme les Alexandrins. L’image du chœur est également utilisée par Dion dans le Discours XXXVI, 21 (une cité bien administrée est comparable à un chœur μουσικός) et dans le Discours XXXIX, 4 (une cité divisée est comparée à un chœur ἀσύμϕωνος, « sans harmonie »).
6 D’emblée, Dion établit une hiérarchie très nette : il est l’unique détenteur de la parole et le peuple d’Alexandrie a seulement le droit d’écouter.
7 L’anecdote, inconnue ailleurs, est peut-être inventée par Dion. Celui-ci se place sous le patronage d’Apollon, ce qui est justifié pour un discours consacré notamment à la musique.
8 Les boucles d’oreille sont considérées par les Grecs comme une marque de féminité et cet attribut est réservé aux peuples d’Orient décrits comme efféminés : Xénophon évoque dans l’Anabase (III, 1, 31) « un homme qui n’a rien de commun avec la Grèce [parce qu’il] a les deux oreilles percées ». Sur ce point, voir Wilmes 1970, p. 7-8.
9 Thème important, où l’on remarque en filigrane le rôle à la fois politique, social et moral de la paideia, qui forme et définit tout à la fois les citoyens d’élite, qui seront au service de leur cité. Ce n’est pas un hasard si le thème de l’éducation apparaît au moment où Dion oppose Grecs et Barbares : la paideia est constitutive de la définition de l’hellénisme à l’époque impériale (cf. Bowie, 1991, p. 195).
10 Le mot kroumata/κρoύματα figure dans le papyrus BGU, IV 1125 (époque d’Auguste) à propos du répertoire d’un joueur d’aulos formé à Alexandrie (cf. Bélis et Delattre, 1993, p. 155) : il désigne les airs instrumentaux par opposition aux mélodies vocales. Chez Dion, ce mot s’applique très certainement à la musique de pantomime (comme l’a montré L. Robert) plutôt qu’à celle du mime comme le pensait Z. Skulimowska qui y voyait les claquements des percussions (« Les instruments de musique dans le mime scénique grec en Égypte », Mélanges offerts à K. Michalowski, Varsovie, 1966, p. 175). Dans le traité Sur la danse (2) de Lucien, consacré à la pantomime, les mythes sont accompagnés ὑπὸ κρoύμασι.
11 Citation construite à partir de Iliade, XXIV, 261, Odyssée, XVIII, 263-264 et Iliade, XVI, 262. Ce centon, qui préfigure le long morceau placé à la fin du discours (82-85), introduit la critique des spectacles en altérant pour les actualiser les vers homériques, où il n’est question ni de mimes ni de spectateurs incultes. Dion établit un lien entre la passion des Alexandrins, leur manque d’éducation et la ruine qui les menace.
12 De fait, Dion souligne plus loin que l’intelligence, la sagesse et la justice ne font pas partie des qualités qu’il peut louer chez les Alexandrins (37).
13 Même idée en 45.
14 La franchise est caractéristique de la diatribe cynico-stoïcienne. Voir le commentaire, p. 169-170.
15 Ce sont les poètes de l’Ancienne Comédie du Ve siècle av. J.-C.
16 Ce rôle moral des poètes comiques est également évoqué dans le Premier Tarsique (XXXIII, 9), mais dans une perspective différente : les poètes insultaient les Athéniens, mais tempéraient leurs insultes par des flatteries, de sorte qu’« ils faisaient autant de mal que de bien » aux spectateurs « en remplissant la cité d’insolence, de sarcasmes et de bouffonneries ». C’est un reproche qui est précisément adressé aux Cyniques un peu plus loin dans notre discours (9).
17 Aristophane, Cavaliers, 42-43. La citation est doublement adaptée au contexte : d’une part, la définition du δῆμoς va occuper une partie du discours, d’autre part, Dion appelle les Alexandrins à écouter (ce qu’ils n’ont pas l’habitude de faire : cf. 7).
18 Eupolis, Les Cités, frg 234 K.-A. Cette comédie critiquait peut-être la politique impérialiste d’Athènes à l’égard des cités alliées, qui formaient le chœur ; voir I. C. Storey, Eupolis, Poet of Old Comedy, Oxford, 2003, p. 217-221.
19 À Athènes, les concours de comédie avaient lieu au cours de fêtes en l’honneur de Dionysos, notamment les Lénéennes (en janvier) et les Grandes Dionysies (en mars) ; voir Moretti, 2001, p. 69-88.
20 L’époque de l’hégémonie d’Athènes est une période de référence pour les auteurs impériaux même s’ils sont prompts à mettre en évidence la médiocrité de l’empire athénien par rapport à l’Empire romain : voir par exemple Aelius Aristide, En l’honneur de Rome, 40-58 (45-47 pour Athènes).
21 Première occurrence de la métaphore médicale (voir Billault, 2002, ainsi que le commentaire, p. 158-159). Elle est particulièrement adaptée à une cité abritant une école de médecine réputée, à laquelle Dion ne fait toutefois aucune allusion.
22 Cette image de la fête, employée par exemple pour désigner un moment de bonheur au moment de la réconciliation entre Nicée et Nicomédie (XXXVIII, 30), réapparaît au paragraphe 69, mais dans une version sombre : en passant leur vie à s’amuser, les Alexandrins vivent dans un état de fête permanent, mais une fête sauvage et destructrice.
23 Nous adoptons la traduction préconisée par L. Robert. Ici, cette apparition du « faiseur de tours » correspond sans doute aux intermèdes qui ponctuaient les spectacles. Ce mot, qui figure également dans l’Onirocriticon d’Artémidore (I, 42, p. 48), réapparaît tardivement dans la papyrologie (PSI VIII, 953, 94, du VIe siècle apr. J.-C. ; le mot est au pluriel) et désigne de façon générique les faiseurs de tours, les jongleurs et les acrobates : cf. Garelli, 2007, p. 131. Certaines terres cuites d’Égypte montrent des équilibristes (Perdrizet, 1921, p. 158-160), mais jamais des jongleurs ; en revanche la papyrologie signale plusieurs termes (akrobatès/ἀκροβατής, peteuristès/πετευριστής…) qui semblent désigner des acrobates, mais on ne connaît pas exactement la nature de leurs prestations : cf. Perpillou-Thomas, 1995, p. 228. À Delphes, un certain Aurelius Neikôn d’Égine, honoré par un décret à l’époque sévérienne, était à la fois orchèstès/ὀρχηστής (danseur) et thaumatopoios/θαυματοποιός, cf. L. Robert, OMS, I, p. 221-226 (avec définition précise de cette profession) et C. Van Liefferinge, « Auditions et conférences à Delphes », AC, 69, 2000, p. 161-162.
24 Début d’un développement, qui se poursuit jusqu’à 11, dans lequel Dion s’attaque aux orateurs et philosophes dont le devoir serait d’instruire la foule. Sur tout ce passage, voir le commentaire, p. 152-158. La critique des faux philosophes est très répandue dans la littérature de l’époque impériale : Lucien offre le même regard désabusé sur les prétendus philosophes (voir Le Banquet ou les Lapithes, 11 et 43, 36) ; Athénée (XIII, 611d) déclare à propos des Cyniques qu’il « n’y rien de plus contraire à la philosophie que ceux qui se font appeler philosophes ».
25 Même idée en 97, à propos du philosophe Théophilos.
26 Sur les auditoriums et autres odéons réservés aux conférences et aux auditions musicales à l’époque impériale, voir Balty, 1991 qui a montré que la plupart des odéons dans les provinces orientales étaient en fait des bouleuteria destinés au sénat local. Certains étaient parfois intégrés aux gymnases (cf. Korenjak, 2000, p. 31). Le mot akroatèrion/ἀκρoατήριν, au sens de salle d’audience ou de conférence, est utilisé dans les Actes des Apôtres, 25, 23 ; chez Philon, De Congressu eruditionis gratia, 64 et Plutarque, Comment écouter, 45F. Les akroaseis/ἀκρoατήριoν, désignent les prestations des artistes ou des conférenciers.
27 Ces « alliés dociles » sont les propres élèves des sophistes, qui servent de claque au moment où leur maître prononce un discours public.
28 C’est aussi la pauvreté qui poussa Homère, comme « les mendiants d’aujourd’hui », à mentir pour plaire à ceux qui lui donneraient quelque chose (Discours troyen, XI, 15-16). On retrouve le même genre de justification un peu sarcastique dans le Philopseudès de Lucien : les guides touristiques risquent de « mourir de faim » s’ils n’ont plus de fable à raconter au public, qui ne veut pas entendre la vérité (4). On a en outre ici un écho lointain du thème du cynique parasite : voir Athénée, IV, 163c-164a, à propos de Cyniques qui assistent à un repas sans y être invités. Sur le personnage du Cynique dans le banquet d’Athénée, présenté comme le souffre-douleur des convives, cf. Nadeau, 2010, p. 338 et p. 362-363 : on leur reproche leur inculture, leur gourmandise.
29 Le verbe ἀγείρω pourrait aussi signifier qu’« ils rameutent » leur auditoire. Sur ce portrait topique des Cyniques, voir le commentaire, p. 154-155.
30 Sur le genre épidictique, voir Desbordes, 1996, p. 148-154 : « genre extrêmement diversifié », dont le trait commun, du point de vue des auditeurs, est qu’ils sont spectateurs du discours et ne jugent que le talent de l’orateur, sans avoir à se prononcer sur une situation (politique ou judiciaire).
31 De façon paradoxale, les « hommes cultivés » prononcent des discours qui se caractérisent par l’ἀμαθία, l’ignorance (et la stupidité), un des défauts dénoncés par Dion et la diatribe cynique en général.
32 À l’époque de Dion, on critique la mode fâcheuse qui consiste à déclamer en chantant (voir aussi la n. 211).
33 L’identité de ces orateurs est plus vague, parce qu’il s’agit moins ici de définir une catégorie précise que de mettre en évidence le mode d’intervention de Dion lui-même.
34 En automne et en hiver, la navigation est déconseillée dans cette partie de la Méditerranée ; les navires à destination de l’Italie devaient quitter Alexandrie en septembre. Sur les saisons de la navigation et en particulier pour les voyages depuis Alexandrie, voir G. Husson, Lucien. Le Navire ou les souhaits, II, Paris, 1970, p. 21 ; P. Arnaud, Les Routes de la navigation antique. Itinéraires en Méditerranée, Paris, 2005, p. 26-28.
35 De même, Dion s’adresse aux Nicomédiens par dévouement et non pas pour sa gloire personnelle ou pour y trouver son avantage (XXXVIII, 9).
36 Seule occurrence du thème de la liberté du sage dans le discours, dans un sens un peu restreint, à résonance platonicienne : les autres orateurs ne sont que des flatteurs et, à ce titre, esclaves des auditeurs à qui ils doivent plaire.
37 Le lien entre magie et sophistique remonte à l’Éloge d’Hélène de Gorgias (dans un sens positif) et à Platon (pour une vision négative) : voir J. de Romilly, Magic and Rhetoric in ancient Greece, Cambridge (M.) et Londres, 1975.
38 Même idée dans le Second tarsique, (XXXIV, 4) : Dion est complètement étranger à la cité de Tarse ; c’est donc κατὰ τò δαιμόνιoν, sur une impulsion divine, qu’il est venu parler et conseiller les citoyens.
39 Il s’agit d’un thème stoïcien : voir François, 1921, p. 79-80.
40 Ce sont les oracles rendus par Sérapis, la grande divinité alexandrine, à travers des songes. La croyance en l’oniromancie est très répandue, et défendue philosophiquement par les Stoïciens : d’après Cicéron, le fait que « la providence des dieux veille sur les choses humaines » est prouvé par la divination, notamment « les oracles, les prophéties, les songes » (De la Nature des dieux, II, 55 ; voir aussi De la divination, I, 6). On ne peut pas dire, malgré Desideri, 1978, p. 176, que Dion parle des songes avec défiance, même s’il y a peut-être une part d’ironie dans son propos.
41 L’adverbe a plusieurs sens, qu’il est difficile d’exprimer en français à l’aide d’un seul mot. D’une part, il peut signifier que les oracles du dieu sont « clairs » ; d’autre part, d’après Wilmes, 1970, p. 17, c’est l’influence du dieu qui est « clairement visible ». Sa remarque selon laquelle le mot ἐναργῶς correspond à ἐπιϕανής est juste : le mot est employé depuis Homère et Hérodote à propos des apparitions divines – notamment en songe –, si bien que Dion, qui, plus loin, parlera explicitement de « l’épiphanie du dieu » (41), suggère la présence visible du dieu aux moments importants. Comme le montre la suite, Dion devient non seulement le porte-parole du dieu, mais aussi son incarnation, puisque le dieu se manifeste à travers des individus qui transmettent sa parole.
42 Cet oracle rendu par le bœuf Apis était très célèbre à l’époque hellénistique et romaine et l’animal était abrité dans le Serapeum de Memphis. Suétone (Titus, 5, 4) raconte que Titus consacra à Memphis « le bœuf Apis » lors de sa marche vers Alexandrie.
43 Cf. Plutarque, Isis et Osiris, 14 : « les Égyptiens attribuent aux petits enfants un don de divination » ; Xénophon d’Éphèse, Les Éphésiaques, V, 4 : en jouant devant le temple d’Apis, des enfants prononcent spontanément une parole prophétique ; Pline l’Ancien, VIII, 71 : les enfants qui accompagnent le taureau « prédisent l’avenir en étant pris d’un délire soudain ».
44 On a là un des rares passages où Dion flatte son auditoire, en jouant ici sur la fibre nationale, pour exprimer une idée philosophico-religieuse. Il réactive la rivalité entre deux cités – un mal qu’il dénonce amplement dans d’autres discours – et lui superpose une opposition entre Grecs et indigènes (cf. Wilmes, 1970, p. 21).
45 Si les hommes sont les représentants d’un dieu « plus parfait », c’est que les enfants sont, dans la pensée grecque, des êtres encore imparfaits (cf. Golden, 1990, p. 5-7) – une idée ici utilisée de manière très sophistique.
46 Dans le Second tarsique (XXXIV, 5), Dion oppose également deux types de message oraculaire, celui qui est transmis par les aigles, dont le sens est conjectural (cf. εἰκάζειν), et celui que transmet la parole de Dion, qui est compréhensible (συνιέναι).
47 L’idée est d’origine à la fois platonicienne (cf. Platon, République, I, 380c : « le dieu n’est pas la cause de toutes choses, mais seulement des biens ») et stoïcienne (voir infra, n. 49).
48 Ces exemples, topiques, sont notamment d’origine platonicienne : voir Lois, XII, 963b (à propos de « l’intelligence du pilote, du médecin et du stratège ») ; cf. Quet, 1978, p. 62-63 et p. 99-100, n. 222-232.
49 L’idée que les biens viennent de dieux et les maux des hommes est stoïcienne, exprimée notamment par Cléanthe, Hymne à Zeus, 15-18.
50 Dion utilise ici le mot ochétos/ὀχετóς, qui est d’un emploi peu courant en Égypte pour désigner les canaux (cf. Bonneau, 1993, p. 30-31 : le mot est employé dans les papyrus de Zénon, mais ne s’est pas imposé). Le thème de la réparation et de l’entretien des canaux (digues et curage) revient sans cesse dans la documentation papyrologique à l’époque impériale. Dans le texte de Dion, il s’agit peut-être du canal qui reliait Alexandrie au Nil à partir du port de Schedia et qui permettait le ravitaillement en eau ; il n’est pratiquement jamais évoqué dans la littérature, si ce n’est chez Strabon (XVII, 1, 18). A. Bernand, Les Confins libyques, Paris, 1970, I, p. 330, présente un ensemble de cinq inscriptions grecques sur le canal, dont l’une, trouvée à Schedia, est datée de Titus (p. 333) ; elle évoque les travaux de creusement du canal, destinés à le remettre dans son état antérieur avec un habillage de pierres.
51 Odyssée, XI, 303-304.
52 Dans le Discours XXVII, 7, Dion critique ceux qui ne consultent le philosophe qu’en cas de difficulté, mais qui, habituellement, estiment qu’ils n’ont pas besoin d’eux (cf. Billault, 2002, p. 459)
53 Ménandre, « Le Collier », frg. 298, 6-7 K.-A.
54 Même idée dans l’Hymne à Zeus de Cléanthe, 22, où il est question de « cette raison que fuient et négligent ceux d’entre les mortels qui sont les méchants » (trad. P.-M. Schuhl).
55 L’image est celle du cautère et du scalpel et permet de donner aux auditeurs une idée de la gravité d’une situation : on y recourt dans les cas les plus graves, lorsque les remèdes sont inopérants (cf. Billault, 2002, p. 459). Il s’agit d’une médecine effrayante, d’autant plus que l’expression « brûler et couper » est attestée pour désigner des séances de torture (cf. Chariton, Chéréas et Callirhoé, I, 5, 2).
56 Cette image de la tumeur qu’il faut enlever du corps est à relier au thème politique de la purification de la cité.
57 La capacité à « sauver » est une vertu des bons rois au paragraphe 26.
58 Le mot, appliqué au philosophe agissant dans la cité, a naturellement une consonance platonicienne : dans la République, les gardiens désignent l’élite dirigeante, qui a poussé sa formation philosophique le plus loin ; mais le mot doit être aussi rapporté au pouvoir romain, qui « garde » ou « surveille » les Alexandrins qui ne se « surveillent » pas (cf. 32 ; 71).
59 À propos de la « douceur » sous l’Empire, voir Romilly, 1979, p. 257-307 ; Panagopoulos, 1977, p. 216-218. C’est une vertu du prince selon le premier discours Sur la royauté (I, 20, notamment).
60 La formule, piquante, prolonge et transforme l’idée stoïcienne selon laquelle les sages « ne sont pas pitoyables et n’accordent leur pardon à personne » ; alors que, pour Zénon d’Élée, les sages, seuls magistrats authentiques, « ne font pas remise des châtiments infligés par la loi, car l’indulgence, la pitié et la clémence même sont la faiblesse d’une âme qui affecte la bonté quand il s’agit de châtier » (Diogène Laërce, VII, 123), Dion oppose l’action des juges et des lois à l’action du philosophe, dont la sévérité ne s’exerce pas dans le domaine juridique, mais dans le domaine moral par le biais du discours.
61 Pour Sénèque, De la Constance du sage, 10-11, le mépris des insultes est la marque de la sagesse, et seule une âme médiocre sera sensible aux injures.
62 La retraite (thème du Discours XX) et le silence n’ont pas la même valeur négative que d’autres mots appliqués aux faux philosophes. À la fin du discours, par exemple, Théophilos n’est nullement blâmé pour son refus de s’exprimer.
63 Dion s’appuie sans le dire sur toute une tradition anti-démocratique, née dans la seconde moitié du Ve s. av. J.-C., selon laquelle la cité démocratique est aux mains des sycophantes et vit au rythme des procès.
64 Voir le paragraphe 8.
65 Sur la χειρoνoμία, voir le commentaire p. 173.
66 Sur l’image de l’athlète, voir le commentaire, p. 172-173. Si l’on excepte les discours sur Mélancomas (XXVIII et XXIX), Dion manifeste en général peu d’intérêt dans son œuvre pour les athlètes professionnels (voir König, 2005, p. 139-157). Il ne prend pas la peine non plus de mentionner ici la réputation des athlètes alexandrins.
67 Les conférences sont considérées à cette époque comme un spectacle : cf. Pernot, 2000, p. 258. Sur le stress des orateurs, cf. Korenjak, 2000, p. 100-105.
68 Le mot signifie que le peuple alexandrin est un animal venimeux.
69 La précision ὑμῶν est importante : il ne s’agit pas ici de parler du peuple en général (comme plus loin), mais de la situation spécifique d’Alexandrie.
70 Pline l’Ancien, XXVIII, 135-142.
71 Iliade, XVII, 177-178. L’ambiguïté du rôle du dieu suggère une incertitude de Dion quant à l’issue de sa mission.
72 Sur ce thème, voir le paragraphe 7.
73 Odyssée, V, 99-101. L’identification de Dion avec Hermès comme messager de Zeus pourrait signifier, comme le propose Jones, que Dion se considère comme l’émissaire de l’empereur.
74 C’est le manteau des philosophes (tribônion/τριβώνoν, nommé pallium en latin) : cf. Goulet-Cazé, 1990, p. 2739, à propos des Cyniques. Pour von Arnim, 1898, p. 435-436, ce manteau indique clairement que le discours date de la période postérieure à « l’exil » de Dion. Toutefois cet attribut du philosophe relève non pas d’une « conversion » à la philosophie, mais d’une pose philosophique qui doit contribuer à l’autorité de l’orateur. Dion utilise à plusieurs reprises l’adjectif ϕαῦλος en parlant de lui : il prétend n’avoir rien d’extraordinaire à offrir du point de vue de l’apparence extérieure – sur le plan physique ou rhétorique (autre forme d’apparence opposée à la réalité du contenu philosophique). Il s’oppose en cela aux sophistes, dont l’allure et l’éloquence se caractérisent par l’ostentation.
75 Jones, 1978, p. 41 note que cette forme d’auto-dépréciation de l’auteur est caractéristique de ce discours, tandis que Desideri, 1978, p. 158, n. 32 y voit une « pure formalité rhétorique », présente dans un grand nombre de discours. La beauté et la force de la voix sont un aspect non négligeable de la pratique rhétorique, comme le rappelle notamment Quintilien (cf. XI, 3, 1-65). Dans le Premier Tarsique (XXXIII, 1), Dion se demande si ses auditeurs écoutent « des gens tels que moi » parce qu’ils leur « prêt[ent] un bel organe » et pensent « qu’ils mettent des sonorités plus agréables que celles des autres hommes » ou parce qu’ils possèdent « une persuasion plus pénétrante », qu’on appelle la rhétorique.
76 Sur ce passage, et notamment sur cette habitude des Alexandrins de σκώπτειν et de λoιδoρεῖν, voir Dion Cassius, LXV, 8, 2.
77 Emploi ironique d’un verbe qui désigne à l’origine l’éloge d’un dieu sous une forme poétique ; voir Pernot, 1993, p. 217. Le verbe est utilisé plus loin à propos des éloges excessifs que « les autres » adressent à la cité (39).
78 Critique topique de l’hybris du peuple, avec un sens, à la fois concret et moral, de violence, d’insolence et d’excès.
79 Iliade, II, 144-146. Dion donne à l’image un sens péjoratif absent du texte homérique. Sur ce travail de resémantisation, voir Kindstrand, 1973, p. 37-38.
80 L’auteur et le genre auquel appartiennent ces vers ne sont pas connus. Ils sont inclus dans les Comicorum Atticorum Fragmenta de Kock (no 1324), mais Kock lui-même doute qu’il s’agisse de vers comiques et rappelle que ces vers ont aussi été attribués par les modernes à Solon, Archiloque ou Euripide. La comparaison entre le pouvoir de la foule et la mer déchaînée est topique, et effectivement ancienne ; on la rencontre par exemple chez Polybe, XI, 29, 9-13 : « la foule (ochlos) et la mer se comportent de la même façon » (cf. J. de Romilly, Problèmes de la démocratie grecque, Paris, 1975, p. 27-28) ; voir aussi le paragraphe 30.
81 La quête de la gloire est caractéristique des sophistes (cf. 10) et permet d’identifier les faux philosophes : voir Gangloff 2006, p. 104 (en particulier n. 16).
82 L’exorde se termine sur une exhortation qui met en place les conditions d’une relation « pédagogique » entre le peuple et Dion, représentant de l’élite cultivée – la fonction de l’exorde étant justement d’assurer la communication entre les deux parties. La fin du discours montre que Dion ne se fait toutefois guère d’illusion.
83 Pour la première fois, Dion indique le sujet de son discours, de façon d’ailleurs trompeuse : il s’agit encore d’un développement préalable à l’examen d’un fait plus précis, le comportement des Alexandrins au théâtre.
84 Philosophe moraliste et politique pour l’essentiel, Dion ne s’intéresse guère à la philosophie de la nature, ou plutôt, il adapte son propos à son auditoire, qui ne goûterait guère ce genre de spéculation. D’après la Souda, il était toutefois l’auteur d’un traité intitulé Le Cosmos est-il périssable ?, signe d’un intérêt de l’auteur pour la cosmologie stoïcienne, et il n’est pas sûr que l’on puisse parler de « mépris [de Dion] pour les conférences traitant de physique » (Bost-Pouderon, 2006 [1], p. 122, n. 9). Dans le premier discours Sur la royauté (I, 48), il regrette de ne pas faire d’exposé « sur Zeus et sur la nature de l’univers », un exposé qu’il fera « peut-être plus tard » (peut-être une annonce du Discours borysthénitique).
85 Le mot dynastès est volontairement vague, avant la division entre bons et mauvais souverains.
86 Dion fait peut-être allusion au culte impérial (contraSwain, 1996, p. 195, n. 36) ; il évoque de façon assez transparente l’apothéose des empereurs dans le troisième discours Sur la royauté, III, 54). Mais il fait aussi référence à l’idée assez courante, notamment chez lez Stoïciens, que le roi pourvu de toutes les qualités « est tout à fait l’égal d’un dieu » (Musonius, Diatribe VIII).
87 Pour Dion, le bon roi se caractérise par son évergétisme volontaire : voir le premier discours Sur la royauté, I, 23.
88 L’ordre dans les cités est un thème de l’idéologie impériale : voir Veyne, 2005, p. 239.
89 L’association entre tyrannie et flatterie remonte au moins à Xénophon, Hiéron, 14-15 : l’éloge adressé au tyran est forcément entaché du soupçon de flatterie.
90 Même expression à propos des centaures dans le quatrième discours Sur la royauté (IV, 130).
91 Gangloff, 2001, p. 464, note que cette description du peuple renvoie à une lecture platonicienne : Platon, République, IX, 588c-589b.
92 Dion s’identifie plaisamment à deux héros vainqueurs de monstres : comme le dit Gangloff, 2006, p. 247, « à quelques rares, mais savoureuses occasions, Dion exerce son sens de la dérision sur lui-même ».
93 C’est la première fois que le nom des Alexandrins apparaît dans le texte, à un moment crucial, en des termes solennels, mais teintés d’ironie : Dion se moque discrètement de ces épithètes qui semblent un passage obligé des éloges de cités (voir le commentaire, p. 166).
94 L’empereur ou le préfet d’Égypte ?
95 Sur le rire, évalué de façon négative, voir 99.
96 Dion introduit pour la première fois le thème principal du discours.
97 Iliade, IX, 4-7 : l’image de la vague sert alors à décrire la douleur des Achéens.
98 La traduction de plèthos par « plèbe » se justifie ici si le locuteur est romain, ce qui est certainement le cas derrière l’expression « ceux qui vous gouvernent ».
99 Pour le parallèle avec le panem et circenses de Juvénal, voir le commentaire, p. 87-88.
100 On rencontre le même type de transition dans le Premier Tarsique (XXXIII, 31) : « – Quelle faute commettons-nous donc ? – Sans parler du reste […], que je vous dise seulement ce que personne ne saurait nier. »
101 Thème important, et précision fondamentale ici : si quelqu’un fait cette objection, c’est qu’il n’a pas été attentif à tout ce qui précède, alors même qu’une des fonctions de l’exorde est de rendre attentif.
102 Dion utilise déjà cette comparaison au paragraphe 30, dans un passage que Fillon-Farizon, 1992, considère comme interpolé.
103 Iliade, II, 489-492 (légèrement modifié par Dion).
104 Comme l’indique Desideri, 1978, p. 453, n. 24, « Dion utilise assez souvent l’expression “Grecs et Barbares” pour désigner “le monde entier” ».
105 Début d’un faux éloge des Alexandrins : voir le commentaire, p. 160-164.
106 Flavius Josèphe, Guerre des Juifs, IV, 456, la classe également au second rang. Tous les auteurs vantent sa grandeur : cf. Philon, In Flaccum, 19. Voir aussi d’autres témoignages cités dans Delia, 1991, p. 1, n. 1.
107 Sur l’ancienneté légendaire des Égyptiens, voir Platon, Timée, 22a-23a ; Hérodote, II, 100.
108 Strabon (XVII, 1, 13) décrit Alexandrie comme « le plus grand entrepôt (emporion) du monde ».
109 Ce tableau économique est loin d’être exagéré car Alexandrie renforce à l’époque impériale sa position en tant que relais entre l’Inde, la mer Rouge et l’Occident. Le Périple de la Mer Erythrée rédigé par un Grec, marchand égyptien, entre 40 et 70 apr. J.-C., décrit l’itinéraire du cabotage le long des côtes de l’Océan indien occidental : Casson, 1989, p. 13-14. Un papyrus daté de Vespasien fait connaître un Égyptien du nome arsinoïte parti pour l’Inde (Greek Papyri in the British Museum, II, p. 48, no 260, col. 3, 1-42) : cf. J. Schwartz, « L’Empire romain, l’Égypte et le commerce oriental », Annales ESC, 15, 1960, p. 27.
110 Aristide (En l’honneur de Rome, 59) dit que Rome fait de « la part la plus distinguée » de la population des concitoyens et des parents (ὁμόϕυλoν).
111 Sur la problématique de l’éloge des cités, voir Pernot, 1993, p. 193-198.
112 L’eutaxia/εὐταξία fait partie des vertus dont les cités de l’Empire doivent faire preuve, notamment pour plaire à l’empereur (cf. 95) : voir aussi XLIV, 10-12 ; XXXIII, 48 ; XXXIV, 25.
113 Autre thème fondamental à l’époque : Dion le reprend dans le Discours aux Nicomédiens sur la concorde avec Nicée (XXXVIII, 6-7 en particulier). Cf. Desideri, 1978, p. 448.
114 On note le mélange de vertus publiques et privées, relevant du domaine politique et moral.
115 Pour les bateaux de grande taille à Alexandrie, voir Lucien, Le Navire, 5-6 : il y est question d’un de ces navires « qui transportent le blé d’Égypte en Italie » (1). Dion fait sans doute allusion aux gros navires chargés de convoyer le blé jusqu’à Rome dans le cadre de l’Annone. Il ne faut pas les confondre avec la flotte de guerre : cette flotte de navires de commerce était désignée comme ὁ πoρευτικòς Ἀλεξανδρεῖνoς στóλoς dans les inscriptions d’Ostie. Cf. Lesquier, 1918, p. 101, n. 1 : IG XIV, 917 (époque de Septime Sévère) ; 918 (Commode).
116 Cela n’empêchera pas Aelius Aristide d’évoquer à propos de Rome, capitale économique de l’Empire, « les arrivées et les départs de navires » (En l’honneur de Rome, 13). D’après Ménandros II, en épilogue d’un éloge de l’empereur, « on parlera de la prospérité et du bonheur des cités, en disant que les marchés (agorai) sont toujours pleins de marchandises, les cités pleines de fêtes et de panégyries » (p. 377, 10).
117 Pour un éloge, non dépourvu d’ironie, de l’eau du Nil, voir Achille Tatius, Leucippé et Clitophon, IV, 18, 3-6.
118 Sur l’importance des citernes à Alexandrie, voir G. Botti, « Les citernes d’Alexandrie », BSAA, 2, 1899, p. 15-26 et Hairy, 2010, p. 215-218 : à l’époque romaine, elles sont petites mais maçonnées ; on les trouve en nombre sur le plateau sur lequel était installé le temple de Sérapis.
119 Sur le topos du climat dans les éloges de cité, voir Pernot, 1993, p. 206-207.
120 Cette définition restrictive de l’éloge est censée tempérer l’enthousiasme des auditeurs et éviter une identification peu gratifiante avec les poissons. De même, dans le Premier Tarsique (XXXIII, 24), les habitants de Byzance n’ont pas à s’enorgueillir que la mer soit poissonneuse, à moins que les hommes ne se contentent du bonheur qui est celui des cormorans…
121 C’est le lac Maréotis qui borde la cité d’Alexandrie.
122 Les sources du Nil ne sont toujours pas connues à cette époque malgré l’expédition lancée par Néron vers la Haute-Égypte. L’Éthiopie passe pour être le berceau du Nil : Philostrate parle de l’« Éthiopie d’où vient le Nil » (Tableaux, I, 5).
123 Le mot grec est makares/μάκαρες, « bienheureux », désignant le bonheur absolu des dieux exempts des maux propres à l’humanité.
124 L’expression νῆσoς δενδρήεσσα apparaît dans Odyssée, I, 51, εῦβoτoς εῦμηλoς en XV, 406. Les autres expressions sont citées de façon plus libre : Homère n’emploie pas σκιερòς, mais σκιóεις, et διαυγής n’est pas homérique. Mais comme le dit Fillon-Farizon, 1992, p. 205, cela « est dû au fait que, comme toujours, Dion cite Homère de mémoire et cherche moins à lui être fidèle qu’à l’utiliser pour un plus grand effet ». L’usage d’épithètes homériques est certes flatteur, mais elles sont vides de sens du point de vue des qualités morales requises par une cité pour assurer son salut. De même, dans le Premier Tarsique (XXXIII, 22), Troie « aux vastes territoires » n’en fut pas moins dévastée par Ulysse, qui était un homme sage. On note le ton sarcastique de tout ce paragraphe.
125 Première occurrence du mot, qui apparaîtra ensuite seulement une fois (50) : c’est que les vices des Alexandrins l’emportent sur leurs vertus, qui ne sont qu’apparentes (par exemple leur sagesse et leur habileté, en 2).
126 Sur les sophistes comme magiciens, voir 11.
127 La « simplicité » est une caractéristique majeure du style de Dion.
128 Même idée en 13 et 35.
129 L’énumération de Dion fait penser au catalogue des peuples avec lesquels Cléopâtre, d’après Plutarque (Antoine, 27, 4-5), était capable de s’entretenir sans interprète. Sur le cosmopolitisme d’Alexandrie, voir la remarque de Philon (In Flaccum, 163) qui parle d’une « cité multiple » (polypolis/poluvpoli"). Voir aussi Burkhalter et Martin, 2000, p. 262 : c’est la carte des relations commerciales qui est ici dessinée. À Rome, le cosmopolitisme des spectateurs dans les édifices de spectacle est par ailleurs un trait souvent mis en valeur dans la littérature, par exemple chez Martial, Livre des spectacles, 3 (à propos du Colisée).
130 Après avoir introduit le thème général du comportement des Alexandrins au théâtre et au cirque (33), Dion précise ici pour la première fois les deux types de spectacle qu’il traitera prioritairement.
131 Sur ce jeu entre l’actif et le passif, entre l’acteur et le spectateur dans ce discours de Dion, voir la remarque de Bertrand, 1992, p. 86.
132 Dion attribue à un locuteur anonyme les reproches qu’il entend adresser lui-même à la cité. Comme l’orateur l’a fait plus haut (37-38), ce locuteur distingue les biens matériels d’Alexandrie et les caractéristiques morales de ses habitants.
133 Le romancier Achille Tatius, originaire d’Alexandrie, écrit à propos de sa ville natale : « Si je considérais la ville, je doutais qu’un peuple pût la remplir ; et si je regardais le peuple, je m’étonnais qu’une ville pût le contenir » (Leucippé et Clitophon, V, 1, 6).
134 Il s’agit de Sérapis. Ce dieu figure sur les monnaies romaines frappées à Alexandrie non seulement sous Vespasien, mais bien avant sous les Julio-Claudiens. Cf. R. S. Poole, Catalogue of the coins of Alexandria and the nomes, Londres, 1892, p. 29 et 31.
135 L’allusion est obscure. Fillon-Farizon, 1992, p. 215, renvoie à un passage du dialogue de Dion intitulé Achille (LVIII, 3), où le héros reproche au centaure Chiron de lui avoir fait « déterrer des racines comme les sorcières ». Les drogues enterrées à Alexandrie seraient donc des racines magiques « opérant comme un charme qui métamorphoserait les spectateurs dès leur entrée » (p. 216). Il faut cependant noter que dans les textes les racines ne sont qu’un ingrédient pour la fabrication des pharmaka, mais n’ont pas d’effet à l’état naturel.
136 Le mot τριóδoις est une correction (fondée sur l’occurrence du mot en 9) pour συνóδoις, non acceptée dans l’édition Loeb (où le mot est pourtant traduit par « street-corners ») et par Fillon-Farizon, 1992, qui traduit de manière vague par « les assemblées ».
137 Hérodote écrit que les Perses, dans leur enfance, « apprennent trois choses seulement : monter à cheval, tirer à l’arc et dire la vérité » (I, 136).
138 Une phrase comme celle-ci rappelle que, chez Dion, les Barbares sont loin d’être toujours décrits de manière négative (cf. Bowie, 1991, p. 200). D’après Swain, 1996, p. 202, on a peut-être dans le Discours olympique (XII, 20) une critique de l’impérialisme de Trajan à propos de la guerre entre Romains et Daces, les premiers « luttant pour l’empire et le pouvoir, les autres pour leur liberté et leur patrie ».
139 L’expression est très redondante et le second adjectif est athétisé par von Arnim, peut-être avec raison.
140 Allusion aux Sept Sages de la Grèce, hommes d’État, législateurs ou philosophes de l’époque archaïque, dont la liste a varié selon les auteurs.
141 Ce philosophe du VIe siècle est souvent invoqué pour évoquer le regard des autres sur les Grecs. Son étonnement devant les pratiques athlétiques des Grecs apparaît dans différents textes, mais Dion est le premier à l’évoquer : cf. Kindstrand 1981, p. 117.
142 Lucien raconte la même anecdote à propos de l’huile utilisée par les athlètes (Anacharsis, 1 et 5).
143 Idée exprimée au paragraphe 5 : en dépit de ses exigences sur le plan moral, Dion est réaliste.
144 L’εὐσχημoσύνη (liée à l’αἰδώς, la μετριóτης et la σωϕρoσύνη) est une des vertus du notable chez Plutarque et s’applique « de préférence à la réserve de la tenue (habillements, gestes, posture, conduite) et à la maîtrise des désirs » (Panagopoulos, 1977, p. 212)
145 En raison de la vitesse et de la fragilité des chars, les chutes étaient fréquentes.
146 Les formes verbales « jeté » et « rejetez » cherchent à rendre le jeu sur le mot ἐκπίπτειν.
147 Dans la théorie musicale, le tonos désigne le trope (tropos) qui correspond « à la hauteur relative où s’exécute une mélodie » ou plus précisément « le degré de l’échelle générale des sons » (Th. Reinach, La Musique grecque antique, Paris, 1926, p. 47). Il existe quinze tons ou tropes, du lydien à l’hyperdorien. Dans la citharôdie, les tons utilisés sont surtout l’hypolydien, l’iastien, le lydien et l’hyperiastien.
148 Athénée (IV, 176e) reproduit presque mot pour mot la même formule.
149 Sur le thème classique de l’harmonie musicale comme métaphore de l’harmonie sociale ou individuelle, voir Cicéron, République, II, 69 : « ce que l’on nomme harmonie dans la musique, dans l’État, c’est la concorde ».
150 Même type de raisonnement dans le Premier Tarsique (XXXIII, 29) : « Si par malheur votre fleuve change d’aspect et coule d’une eau plus trouble, vous vous lamentez […] ; en revanche, de voir les mœurs de votre cité changer et empirer, et se faire sans cesse plus désordonnées, vous ne vous en souciez pas. »
151 Chez les théoriciens de la musique, les Sirènes incarnent le caractère nuisible du chant : Aristide Quintilien, De la musique, II, 19, 30.
152 La localisation des Sirènes sur un rocher, et non dans une prairie comme le veut Homère (Od., XII, 45), renvoie à une tradition partagée par bien des auteurs de la fin de la République et de l’époque impériale. Cf. Bost-Pouderon, 2006 (1), p. 135, n. 72 à propos de l’emploi de cette image dans le Premier Tarsique (XXXIIII, 35). L’iconographie impériale a entériné cet aspect et se plaît à montrer les Sirènes établies sur un rocher.
153 Il s’agit d’Ulysse, que Dion ne va pas faire l’injure à ses auditeurs de nommer ; sur ce personnage « particulièrement polyvalent » chez Dion, voir Gangloff, 2006, p. 311-314 ; Kindstrand, 1973, p. 137.
154 Alexandrie était présentée plus haut comme la deuxième cité de l’Empire (35) ; on a maintenant une hyperbole qui permet d’accentuer l’opposition entre la situation des Alexandrins et l’isolement des Sirènes.
155 De la même façon, lorsqu’Alexandre le Grand bondit en écoutant Timothée jouer de l’aulos, ce n’est pas la « puissance de la musique » qui est en cause, mais « le tempérament » du roi (premier discours Sur la royauté, I, 2).
156 La corde désigne bien entendu par synecdoque le citharôde, mais on sait également que l’on attachait beaucoup d’importance à la possession de cordes ayant appartenu à des musiciens célèbres : Philostrate (Vie d’Apollonios, IV, 39) raconte l’histoire d’un musicien qui, à Rome, se vantait de conserver dans une boîte une corde de la cithare de Néron, acquise pour une somme astronomique.
157 Dion exploite ici le thème romanesque du « bon brigand » (voir Scarcella, 1995).
158 La pendaison est souvent liée à la passion : Lucien (Le Navire, 43 ; Le Coq, 14) évoque des gens qui seraient prêts à se pendre par dépit amoureux ; mais en principe ce sont des femmes.
159 Ψάλλειν veut dire jouer d’un instrument à cordes avec les doigts. Ici, le mot Ψλατρία (qui n’apparaît pas ailleurs dans l’œuvre de Dion) désigne vraisemblablement la joueuse de harpe (plutôt que la joueuse de cithare), qui était fort populaire dans l’Égypte ptolémaïque et romaine, et peut-être aussi une prostituée. Dans le Discours LXX, 9, Dion évoque simultanément la fréquentation des courtisanes et des joueuses d’aulos. Parmi les prostituées dont parle Lucien dans ses Dialogues des courtisanes (12, 1) figure une Ψλατρία, associée ensuite à une αὐλητρίς (voir aussi Bélis, 1999, p. 42-46 : « Petits talents, petites vertus »).
160 Dion fait-il référence à un événement qui se serait réellement passé à Alexandrie (la mort d’un admirateur) ? Comme à son habitude, il n’est guère explicite.
161 On trouve, dans un contexte différent, le même genre de reproche formulé par Plutarque critiquant les auditeurs des conférences qui couvrent les philosophes d’éloges incongrus : « Et certaines personnes introduisent aujourd’hui dans nos salles de conférences (ἀκρoατηρίoις) des mots qui y étaient étrangers, quand ils s’écrient “Divin !”, “Inspiré !”, “Inégalable !”, comme s’il était désormais insuffisant de déclarer “Bien dit !”… » (Comment écouter, 55F).
162 La comparaison est péjorative : cf. Golden, 1990, p. 6.
163 Le pédagogue est l’esclave qui s’occupe de l’enfant. Desideri, 1978, p. 447 pense que Dion fait ici allusion à la « classe dirigeante locale », également appelée τò ϕρoνιμώτατoν τῆς πάτριδoς dans le Discours L, 1 : Dion considère que les plus puissants de la cité ont une sagesse naturelle (qui, par un raisonnement un peu circulaire, les prédispose au pouvoir). Le problème de cette interprétation, dans le contexte du Discours aux Alexandrins, c’est que les élites politiques ne semblent pas avoir joué le rôle modérateur qu’on attend d’elles, qu’elles se confondent ou non avec les élites culturelles évoquées précisément au début du discours comme responsables de la situation en raison de leur incapacité à intervenir. Un peu plus loin, c’est dans leur rapport avec le préfet que les Alexandrins seront considérés comme des enfants, pendant l’émeute (72).
164 Nous maintenons la forme ὐμῖν des manuscrits (ἡμῖν dans l’édition Loeb).
165 La proximité est toute relative, Rhodes étant située à 600 km d’Alexandrie : il s’agit peut-être d’une allusion à leur proximité commerciale. Mais l’expression a surtout une valeur rhétorique, ce voisinage supposé facilitant la comparaison entre les deux cités.
166 Dans le discours Aux Rhodiens, peut-être assez proche chronologiquement, Dion présente les Rhodiens comme « les vrais seuls Grecs d’autrefois » (XXXI, 158) et parle de la liberté dont Rhodes bénéficie (112), c’est-à-dire de son statut de cité libre ; mais il est parfaitement conscient que cette liberté ne dépend que du bon vouloir de ceux qui sont au pouvoir, c’est-à-dire les Romains. Ainsi, dans l’Adresse d’amitié à sa patrie (XLIV, 12), il affirme qu’« il est parfois impossible d’acquérir ce qu’on appelle la liberté », qui n’est finalement qu’un « nom accordé par ceux qui possèdent la force et le pouvoir ».
167 L’association contradictoire du rire et de la colère révèle un caractère indiscipliné.
168 Nous adoptons ici le texte de von Arnim (καὶ παρoινoῦντες) accepté aussi par Fillon-Farizon, 1992 (Loeb : παρακαλoῦντες).
169 Selon toute une tradition, le banquet et la consommation de vin sont révélateurs de la moralité d’un individu : Hérodote (VI, 128-129) raconte ainsi que Clisthène de Sicyone décida de ne pas marier sa fille à Hippocleidès, qui s’était mis à danser au son de l’aulos « alors que la beuverie se prolongeait » (πρoϊoύσης της πóσιoς, expression qui rappelle ἐν τῷ πóτῳ πρoϊoντας en 55) ; voir aussi Platon, Lois, II, 649d-650a.
170 On raconte que les centaures se seraient enivrés lors d’un banquet donné pour le mariage de Pirithoos, roi des Lapithes, et d’Hippodamie, et qu’ils tentèrent de violer la reine et des femmes ; il s’ensuivit un combat avec les Lapithes.
171 Sur la marche comme signe de sagesse (σωϕρωσύνη), voir déjà Platon, Charmide, 159b. Dans le Premier Tarsique (XXXIII, 52), on retrouve également l’idée que l’attitude physique (voix, regard, démarche, gestes de la main) est un indice (ξύμβoλα) du caractère. Pour Cicéron, Des Devoirs, I, 131, une allure trop lente ou une trop grande hâte « veulent dire que nous manquons de stabilité ». Voir à ce propos, Gleason, 1995, p. 60-62.
172 La gloutonnerie est un signe d’hybris et cette forme d’excès alimentaire est fort mal vue : cf. Nadeau, 2010, p. 336-337. Sur la gloutonnerie, voir aussi 62.
173 Plus encore que la musique, c’est le chant, la voix du musicien qui exercent une fascination sur les spectateurs.
174 Une chanson à boire est conservée dans le P. Oxy. XV, 1795 (Ier siècle apr. J.-C.).
175 Apollon est un dieu à la fois musicien et médecin : Dion prépare ainsi la comparaison entre la musique qui apaise les chagrins et la médecine qui adoucit les douleurs (57).
176 Dion dit plus loin que les musiciens d’Alexandrie ont un effet exactement inverse. Aristide Quintilien, De la musique, II, 5, passe en revue les peuples incultes (les Lucaniens) ou barbares (les Garamantes, les Ibères, les Celtes), qui ignorent les bienfaits de la musique, pour mieux les opposer au peuple grec « qui s’est adonné à l’étude de la musique » et se « distingue entre tous par son humanité ». Dion dit toutefois au début du premier discours Sur la royauté (I, 8) que « la science et la pratique de la [bonne] musique ne sont pas capables de fournir une guérison complète et un secours total en matière de mœurs ».
177 Pythagore recommandait l’écoute de la lyre afin de se purifier (cf. Cicéron, République, VI, 18 ; Jamblique, Vie de Pythagore, 114).
178 En dehors d’un texte de Plutarque, Propos de table, II, 1, 632B il s’agit de l’une des rares justifications de la musique lors des sacrifices.
179 Il existait même des aulètes spécialisés dans la musique funéraire. Plutarque évoque les airs d’aulos joués pendant les funérailles dans ses Propos de table, III, 8, 657A.
180 Les corybantes désignent les participants à une cérémonie d’initiation dionysiaque, où la musique (auloi et tambourins) et la danse font entrer l’initié dans un état de transe. Le mot symbolise donc l’emprise démesurée de la musique sur les individus.
181 Dion fait ici allusion notamment aux Bacchantes d’Euripide, une des pièces « les plus en vue à l’époque romaine » (Gotteland, 2001, p. 102), dont il cite un vers peu après (cf. 59). Philon d’Alexandrie indique qu’Euripide était joué à Alexandrie : cf. Quod omnis probus liber sit, 141.
182 La nébride est une peau de bête servant de vêtement aux bacchantes ; le thyrse est un grand bâton entouré de lierre ou de vigne.
183 Le lion fait partie du cortège bacchique dans l’iconographie impériale.
184 Euripide, Bacchantes, 709.
185 Dion fait peut-être référence à la remise en état des digues et des canaux sous Auguste.
186 La μάζα est l’aliment de base. La traduction par « galette » est impropre puisqu’il s’agit d’une préparation sans cuisson (cf. M.-C. Amouretti, Le Pain et l’huile dans la Grèce antique, Paris, 1986, p. 122-125).
187 Le mot est ambigu : il désigne d’une part « les meilleurs de la cité », les notables (cf. Desideri, 1978, p. 178, n. 25) qui effectivement, dans les cités grecques, se livraient parfois à des distributions de blé. Mais le mot semble aussi désigner les Romains, responsables de l’Annone.
188 Les effets immédiats de la sonnerie de la trompe guerrière (salpinx/tuba) sur le comportement des auditeurs est un motif souvent usité dans la littérature : voir le début du premier discours Sur la royauté.
189 Cette pratique de l’aulos à la guerre était perçue comme une spécificité des Spartiates. Parmi les nombreux témoignages, voir Plutarque, Lycurgue, 21, 4 ; pseudo-Plutarque, De la musique, 26 ; Lucien, Sur la danse, 10.
190 Cf. 25-28.
191 Σπoυδή désigne normalement le zèle, l’effort et le sérieux avec lequel on se consacre à une chose. Mais dans le cas de Néron, il s’agit d’un zèle dévoyé, portant sur un objet indigne ; de la même façon, les Alexandrins, dépourvus de « sérieux », c’est-à-dire de la σπoυδή positive qui pousse vers les belles choses (1-2), font preuve d’un zèle inopportun pour des passions blâmables (cf. 68 ; 75).
192 Von Arnim, 1898, p. 436, estime que Dion parle ici de Trajan, mais reconnaît que ce compliment semble peu adapté à un empereur « étranger aux choses de la littérature » : il considère donc que l’expression fait référence à l’attention que Trajan porte à Dion en tant que philosophe, ce qui n’est pas très convaincant. S’il est question de Vespasien, on notera que, d’après Suétone, celui-ci est le premier à avoir institué une pension pour les orateurs grecs et romains. Suétone signale également sa libéralité pour le citharôde Terpnus et le tragédien Diodore (Vespasien, 18-19).
193 Dion prend pour modèle deux musiciens fameux : l’aulète Isménias de Thèbes, contemporain de Philippe de Macédoine et d’Alexandre, et Timothée l’Ancien qui est Timothée de Milet, compositeur d’airs de citharôdie, qui vivait dans les années 420-400 et dont les dithyrambes étaient encore célèbres à l’époque impériale (à ne pas confondre avec Timothée de Thèbes qui était aulète et qui apparaît dans le premier discours Sur la royauté, I, 1-8).
194 Voir Hérodote, I, 23-25. Ce mythe est largement diffusé dans l’iconographie à l’époque impériale mais à Alexandrie, seul le motif de l’Amour cithariste chevauchant le dauphin est connu dans la coroplathie (une lampe d’Alexandrie montre un Éros à la cithare sur un dauphin : Musée grécoromain d’Alexandrie, inv. 8573).
195 La musique qui accompagnait les pantomimes, ici clairement dénigrée, est assez mal connue ; selon Lucien (Sur la Danse, 68), plusieurs instruments étaient mobilisés (aulos, cymbales, syrinx, kroupezai), mais nous manquons d’informations sur la nature même de cette musique. Il faut attendre le IIe siècle pour que la pantomime devienne une discipline de concours en Orient.
196 Par leur chant, ces deux oiseaux incarnent pour les Anciens la perfection de l’art musical. L’expression est difficile à traduire : d’une part, le mot zèlos suggère que les musiciens rivalisent avec des animaux, d’autre part, Dion dit que ce zèlos, qui correspond à leur pratique musicale, tire son nom d’animaux.
197 Le jeu de mot est transparent : κύων désigne le chien et les philosophes cyniques reçoivent cette appellation parce que le premier d’entre eux, Diogène, comparait ses discours aux aboiements et aux morsures des chiens, une image qui s’est ensuite banalisée : cf. Lucien, Fugitifs, 14. Dion est le seul à peindre le portrait de « citharôdes cyniques ». Il établit ainsi une relation entre les musiciens et les philosophes de la cité, dont il dénonce la mauvaise qualité.
198 Le mythe d’Amphion qui bâtit les murs de Thèbes au son de la lyre est souvent évoqué dans la littérature impériale, par exemple chez Lucien, Sur la Danse, 41 (Amphion n’est pas cité) ; pseudo-Apollodore, III, 5 ; Pausanias, IX, 5, 7-8.
199 Ésope passe dans la tradition pour être originaire de Phrygie. Dans le Second Tarsique, XXXIV, 5, Dion raconte également une fable (Le Phrygien, le mulet et la corneille) qui met en scène un « Phrygien », renvoyant probablement à la figure d’Ésope : cf. Adrados, 2003, p. 829.
200 Sur le thème du voyage, voir Gangloff, 2006, p. 93-96 et Gangloff, 2008. Le voyage de ce Phrygien préfigure celui que Dion a dû faire pour s’adresser aux Alexandrins. C’est une manière pour lui de s’identifier aux voix hétérogènes qu’il mobilise pour blâmer les Alexandrins.
201 Le ton de Dion semble ironique ici : la « foule énorme », précision hyperbolique et totalement inutile, renvoie à la foule du peuple d’Alexandrie rassemblé pour écouter ses musiciens.
202 L’auteur insiste sur les oiseaux et les moutons et ce choix n’est pas anodin : les premiers sont connus pour leur bavardage, les seconds pour leur stupidité, deux défauts qui illustrent les travers alexandrins. Curieusement, Dion ne retient que des animaux par nature sensibles à la musique (les oiseaux chanteurs et les moutons habitués à obéir à la musique du berger), si bien que la musique d’Orphée perd son caractère extraordinaire.
203 Ce détail semble une invention de Dion et contredit l’image d’un Orphée capable de charmer tous les animaux sauvages et même les arbres et les pierres. À l’inverse, les textes (qui ne dressent jamais la liste canonique des animaux charmés par Orphée) et l’iconographie semblent n’exclure aucune espèce, même si naturellement toutes ne peuvent être représentées. Ce thème d’Orphée charmant les animaux prend véritablement son essor dans l’iconographie au IIe siècle, en particulier dans la mosaïque.
204 Sur la musicalité des oiseaux, voir Arbo, 2006.
205 Ce passage est une allusion humoristique à l’épisode de Circé dans le chant X de l’Odyssée.
206 C’est la première mention du fondateur de la cité.
207 Il s’agit du citharôde Timothée. Cette histoire, très célèbre dans les écrits des Anciens, est reprise par Dion dans le Discours XXXIII, 57. Sur l’importance de ce personnage dans ce discours, voir Jouanno, 2010.
208 Sur l’oreille comme canal de corruption morale, voir XXXIII, 49.
209 Le mot oikèma/oἴκημα est à rapprocher de oikos/oἶκoς qui désigne la salle décrite par Lucien et dans laquelle il fait une déclamation (Lucien, La Salle, 1).
210 Philostrate (De la gymnastique, 55) explique que l’aulos servait à rythmer les mouvements des athlètes pour l’épreuve du saut, mais ici Dion pense au chant et à la cithare.
211 Cette tendance à discourir en chantant est dénoncée par certains contemporains comme une mode ridicule : d’après Quintilien, il s’agit d’un « vice » qui se répand « dans tous les procès et les écoles » (XI, 3, 57). Dans les Vies des Sophistes de Philostrate (513), Dionysios de Milet réprimande son élève Isée en lui disant qu’il ne lui a pas appris à chanter (voir aussi 491 à propos de Favorinus, qui était un élève de Dion). Sur les conférences des iatrosophistes, que Dion critique dans le Premier Tarsique (XXXIII, 7), voir Bost-Pouderon, 2006 (1), p. 123, n. 14. Naturellement, Dion force le trait : non seulement les sophistes chantent, ce qui en soi est blâmable, mais même les iatrosophistes s’y mettent.
212 Le verbe τερετίζειν signifie « gazouiller », d’où les sens de « résonner », « fredonner » ou « dire des futilités ». Le contexte est clairement péjoratif. Fillon-Farizon traduit par « les pinceurs de corde », Bost-Pouderon par « entonner quelque refrain » (pour une occurrence en XXXIII, 9).
213 L’expression est ambiguë : Desideri 1978, p. 149, n. 18 considère que Dion ne parle pas ici des Romains, mais des chefs locaux. Il s’appuie notamment sur le fait que l’expression oἱ πρoεστῶτες, dans le Second tarsique (XXXIV, 28) et dans le Borysthénitique (XXXVI, 21), désigne clairement les chefs de la cité ; mais on notera que Dion vient d’utiliser le verbe πρoίστημι à propos des Lacédémoniens, « à la tête des Grecs pendant de nombreuses années » : le mot désigne ainsi l’hégémonie d’une cité, et donc, par analogie, l’Empire romain. En outre, dans les paragraphes qui suivent, présentés comme la « preuve » de ce qui vient d’être dit, c’est bien la modération des Romains qui est évoquée.
214 On se rapproche de l’actualité la plus récente, mais Dion restera allusif jusqu’au bout. Sur tout ce développement, qui clôt la partie du discours consacrée plus précisément à la musique, voir le commentaire, p. 106-109 et 128-130.
215 Il s’agit de Ptolémée XII Aulète, qui régna de 80 à 51. Voir Strabon, XVII, 1, 11 : « Celui-ci, outre ses mœurs dissolues, accompagnait les chœurs à l’aulos et en tirait un tel orgueil qu’il n’hésitait pas à organiser des concours dans le palais royal » (trad. P. Charvet). La mauvaise réputation du père de Cléopâtre est largement partagée par les Anciens : Lucien raconte qu’il obligea un philosophe platonicien à danser en habit tarentin tout en buvant du vin et en jouant des cymbales (Qu’il ne faut pas croire à la légère à la calomnie, 16).
216 Ce mot (Simaristeioi) dérive du nom de familles aristocratiques. Sur ces groupes politiques hostiles à Rome, cf. Fraser, 1972, p. 90 et 125.
217 Pour Dion, l’existence de factions est le signe d’une situation dégradée dans les cités : voir Desideri, 1978, p. 149.
218 Ptolémée, qui fut accueilli à Rome par Pompée lors de son exil, a été rétabli sur le trône d’Égypte grâce à l’intervention des troupes armées du gouverneur de Syrie : sur ces épisodes troublés, voir Chauveau, 1997, p. 23-29.
219 D’après Desideri, 1978, p. 149, le mot ἡγέμων désigne chez Dion le « gouverneur » seulement dans les écrits postérieurs à l’exil ; ici, il désigne les dirigeants romains de manière générale (cf. aussi Discours rhodien, XXXI, 26), mais sans doute pas les chefs locaux (contra Desideri, ibid.). Robert 1960, p. 329, note que oἱ ἡγoύμενoι, dans les inscriptions, renvoie aux « “autorités romaines” dans leur variété ».
220 Aristide parle lui aussi de la présence des autorités romaines dans les cités instables par un euphémisme : « Si quelque part une cité, en raison de sa taille excessive, a perdu la capacité de se modérer (σωϕρoνεῖν) par elle-même, vous ne lui refusez pas les hommes pour assumer la direction et faire bonne garde (διαϕυλάττειν) » (En l’honneur de Rome, 67, trad. L. Pernot). Von Arnim, 1898, p. 438 pense qu’un détachement de la légion était présent au théâtre.
221 Il y a visiblement une allusion à une émeute récente : Jones, 1973, p. 305-307, considère cet incident comme l’expression d’un sentiment anti-romain et le relie à un incident (une stasis) évoqué par Eusèbe sous le règne de Vespasien (Chronique de Jérôme, 188, éd. Helm) ; Barry, 1993, p. 22 préfère y voir des troubles au théâtre.
222 Dion s’efforce de limiter la gravité des faits : la plupart des émeutiers se contentent de plaisanter, d’autres, peu nombreux, jettent ce qui leur tombe sous la main – et non pas des pierres qu’ils auraient préparées à l’avance –, les autres participent à l’événement comme à une fête. Naturellement, cette présentation est une stratégie rhétorique de Dion, qui n’ignore certainement pas la valeur politique des actes des Alexandrins.
223 Ils sont « allongés » comme à un banquet, lieu à la fois de chant et de plaisanterie.
224 Ὅρμoς a le sens de « port » dans le Discours LXXIV, 24. C’est le lieu populaire par excellence dans une cité et il semble adapté au contexte des troubles. Ce sens est peut-être préférable à celui de « guirlande », qui n’est cependant pas tout à fait incongru dans un contexte de banquet (même métaphorique) : la guirlande est un attribut associé à la fête et nombre de terres cuites d’Égypte d’époque impériale montrent des personnages coiffés d’une guirlande. Il est probable que Dion ait voulu jouer sur le double sens du mot.
225 Correction pour le mot Kóνων présent dans les manuscrits, nom d’un célèbre amiral athénien de la fin de la guerre du Péloponnèse, ce qui a pu entraîner une confusion facile de la part du copiste. Il s’agirait du préfet Colonus : voir le commentaire, p. 81.
226 C’est-à-dire laisser la place aux Romains.
227 Sur la comparaison avec les enfants, voir notamment 9, 13 et 51. Les Alexandrins passent leur vie à s’amuser, sans faire la distinction entre ce qui demande du sérieux et les activités ludiques. Le préfet entretient lui aussi la confusion et mâte la rébellion de façon plaisante, ce qui n’exclut pas la répression, comme le montre la fin du paragraphe. Tout devient matière à plaisanterie, mais Dion dira plus loin que le rire peut conduire l’homme à sa perte (99).
228 En précisant que les Alexandrins sont désarmés, Dion souligne à la fois la clémence du préfet et le caractère spontané de l’émeute.
229 Le mot est choisi à dessein : tout en atténuant la gravité de l’émeute, Dion indique que ses chefs ont une influence réelle sur les émeutiers, les poussant à un affrontement violent avec les troupes.
230 Dion rappelle l’association, établie au tout début du discours, entre contrôle de soi et pensée correcte (2).
231 Idée fondamentale : un sujet apparemment anecdotique est en fait emblématique d’une situation, d’un comportement plus grave.
232 Référence assez vague au fouet des Érinyes ? de Lyssa ?
233 Ixion, coupable d’avoir voulu s’unir à Héra, est cité à trois reprises dans les discours de Dion, en particulier dans le quatrième discours Sur la royauté (I, 130-131). Ici, le personnage attaché à sa roue symbolise la dépendance des Alexandrins pour les courses de char.
234 Odyssée, XVIII, 406-407. Il s’agit d’un reproche de Télémaque aux prétendants qui cherchent querelle à Ulysse pendant le repas.
235 Le pseudo-Apollodore résume l’histoire de Pélops en ces termes : « Le roi de Pise, Œnomaos, avait une fille, Hippodamie, et soit qu’il en fût amoureux, comme le disent certains, soit qu’un oracle l’eût averti qu’il mourrait de la main de celui qui épouserait sa fille, aucun homme n’arrivait à l’obtenir pour femme. […] Il faisait de la main de sa fille l’enjeu d’une épreuve pour ses prétendants. Le postulant devait prendre Hippodamie sur son propre char et fuir jusqu’à l’Isthme de Corinthe ; Œnomaos, tout armé, le poursuivait aussitôt ; s’il le rattrapait, il le tuait ; si le fuyard n’était pas rejoint, Hippodamie devait être à lui […]. Pélops se présenta donc, lui aussi, pour faire sa demande. Mais lorsqu’Hippodamie vit sa beauté, elle tomba amoureuse de lui. Elle persuada Myrtile, le fils d’Hermès, de l’aider (Myrtile était l’écuyer ou le cocher d’Œnomaos). Myrtile, donc, qui était amoureux d’elle et voulait lui faire plaisir, ne mit pas les clavettes d’essieu aux moyeux des roues et fit qu’Œnomaos perdit la course et la vie, empêtré dans les rênes et traîné à mort […]. Pélops épousa donc Hippodamie » (Bibliothèque, Épitomé II, 4-7).
236 Les cochers à cette époque sont en effet rétribués. Voir le commentaire, p. 102.
237 Cette remarque prépare la conclusion pessimiste du discours.
238 C’est-à-dire Zeus.
239 L’autel « trouble-chevaux » (taraxippos) est évoqué par Pausanias dans sa description de l’hippodrome d’Olympie (VI, 20, 15). Voir Vigneron, 1968, p. 205 : on pense que cet autel se trouvait très près de la borne, ce qui rendait le virage dangereux. Dion renverse alors la fonction de cet autel qui, d’après lui, est censé mettre fin aux accidents.
240 C’est le mythe de Pasiphaé, raconté à l’époque impériale par Hygin, Fables, 40 ou Plutarque, Agis, 9. Tombée amoureuse d’un taureau, Pasiphaé fit fabriquer par Dédale une vache de bois afin de séduire l’animal et se cacha à l’intérieur : de leur union naquit le Minotaure. L’histoire étant connue, Dion, comme à son habitude, ne nomme pas les personnages.
241 Sur cette légende, voir Ghiron-Bistagne, 1985.
242 Il ne s’agit pas seulement d’une image poétique : les chars très légers faisaient des bonds et décollaient du sol (cf. Vigneron, 1968, p. 192).
243 C’est la position habituelle des auriges.
244 Iliade, XXIII, 368-372.
245 Allusion au comportement d’Ajax lors des jeux donnés pour les funérailles de Patrocle : Iliade, XXIII, 473-491.
246 L’histoire d’Ajax, fils d’Oilée, était à l’origine racontée dans les poèmes du Cycle épique. D’après la Prise d’Ilion d’Arctinos de Milet, Ajax voulut violer Cassandre et l’arracha à une statue d’Athéna qu’il fit tomber. Sa mort était racontée dans les Retours d’Agias de Trézène, qui établissaient un lien entre l’impiété d’Ajax et le retour catastrophique des Grecs, dû à la colère d’Athéna. Dans le chant III de l’Odyssée, Nestor évoque la colère de la déesse et raconte le naufrage des Grecs, mais sans l’associer au crime d’Ajax.
247 Voir 73-74.
248 Les personnages mythologiques ont en effet une fonction rhétorique d’exemple, soit qu’ils constituent un modèle à suivre, soit qu’ils servent de contre-modèle. Sur ce point, voir Gotteland, 2001 pour la période classique.
249 Sans excuser son comportement, Dion reconnaît des qualités militaires à Ajax ; en revanche, il ne décèle chez les Alexandrins aucune vertu susceptible de les racheter.
250 Le chant XXIII de l’Iliade, très célèbre, est détourné à des fins de parodie, car les vers ne s’appliquent plus désormais à la course des auriges mais aux spectateurs : cf. Thuillier, 1985, p. 641-643. Sur ce passage, voir le commentaire p. 137-138 et Kasprzyk [à paraître].
251 Dion remplace le mot homérique « cochers » par le mot « spectateurs » qui s’applique à son auditoire. À plusieurs reprises, il transforme les vers pour introduire des mots, parfois dévalorisants, qui rappellent le thème général du discours : ainsi, en 82, l’image grandiose de la migration des grues « vers les flots de l’Océan » est remplacée par le vol des Alexandrins « sur le chemin du cirque » ; en 83, les « petits oiseaux » homériques deviennent des « hommes sans cervelle ». Pour d’autres exemples, voir Kasprzyk [à paraître].
252 C’est une spécialité égyptienne : cf. Jones, 1978, p. 43 et n. 76.
253 La correction de Reiske (αὐλάς, « les demeures » pour αὐγάς), acceptée par Crosby, ne se justifie pas.
254 Là encore, Crosby adopte une correction d’Emperius (κναϕθείς, « foulé au pied », littéralement « cardé », pour καμϕθείς), qui ne semble pas justifiée. Il est vrai que l’expression est un peu difficile ; mais Dion utilise en 49 le mot καμπή, « inflexion » (au sens musical), qui désigne au sens propre la courbure et, dans un sens plus technique, la borne autour de laquelle tournent les chevaux qui concourent.
255 Ou « drôles ».
256 À nouveau, Dion établit une distinction entre la cité et les hommes qui l’habitent (cf. 37).
257 Le vers est d’Euripide à l’origine (Hécube, 607), mais il a peut-être été adapté par un poète comique et connu de Dion par ce biais seulement. Sur ce passage et les allusions comiques en général, voir le commentaire, p. 136-139.
258 Allusion topique au percement du mont Athos par Xerxès, preuve d’hybris d’un homme incapable par ailleurs de vaincre les Grecs, et caractérisé par son intempérance tout orientale. Le thème apparaît déjà à l’époque classique : cf. Nouhaud, 1982, p. 180-181, qui cite Lysias, Oraison funèbre, 29 ; Isocrate, Panégyrique, 89.
259 Même opposition entre Troie et Ithaque dans le Premier Tarsique (XXXIII, 19-22), avec la même allusion transparente à Ulysse désigné comme « l’habitant d’Ithaque ».
260 Il y a ici un jeu entre la prise de Troie, à cause d’un cheval, et la ruine morale de la cité d’Alexandrie à cause des chevaux, bien réels ceux là : cf. Saïd, 2000, p. 171. Comme le reconnaît Dion, la référence est topique (de même que l’allusion à Xerxès), ce qui n’empêche pas Philostrate de la reprendre dans un passage de la Vie d’Apollonios de Tyane (V, 26) manifestement inspiré par Dion : « Troie, apparemment, fut prise par un seul cheval, qui servit alors de machine de guerre aux Troyens, mais c’est pour votre perte que l’on attelle chars et chevaux, qui vous empêchent de vivre en obéissant aux rênes de la loi » (trad. P. Grimal).
261 Le thème de l’impiété, quoique discret, apparaît à plusieurs reprises dans la deuxième moitié du discours : cf. 74, 75, 80.
262 τὰς ὀθόνας est une correction (pour τὰ ὄντα) proposée par Borthwick, 1972, p. 1-3 : il explique que le jet de la tunique semble être une manifestation des spectateurs lors de la victoire et qu’il est connu par ailleurs dans le monde grec : voir par exemple Philostrate, Tableaux, II, 6 (lors de la victoire de l’athlète Arrhichion aux concours d’Olympie, les spectateurs « secouent leurs vêtements »).
263 Exagération plaisante.
264 De la même façon, dans son discours Sur la liberté (LXXX, 8-14), Dion passe en revue les « chaînes », au sens propre et au sens figuré, qui rendent les hommes esclaves. L’âme vicieuse esclave de ses passions est un topos philosophique.
265 Dion parle déjà des « chants pour femmes » en 62.
266 Encore une réflexion sur la façon de dire, de nommer les choses, avec à nouveau une métaphore médicale (même si λoιμός signifie aussi le « fléau »).
267 Cf. Strabon XIV, 2, 3, à propos du climat insalubre de Caunos, cité de Carie. Sur le raisonnement de Dion, voir le commentaire, p. 124.
268 Chez Dion comme chez d’autres auteurs, la philotimia/ϕιλoτιμία signifie d’abord « l’amour des honneurs », « l’ambition », en général de façon péjorative (cf. 5 ; 15 ; 60). Mais il a aussi un sens positif et, notamment à l’époque de Démosthène, il est lié aux récompenses « accordées par les Athéniens à ceux qui ont déployé pour eux leur philotimia… si bien que s’amenuise de plus en plus la différence entre timè et philotimia » (Frazier, 1988, p. 116).
269 L’idée selon laquelle Athènes s’est distinguée sur le plan artistique et culturel est courante : lorsque Plutarque, dans son discours sur La Gloire des Athéniens, dit qu’ils se sont plus illustrés à la guerre, son discours ressortit au genre paradoxal, « tant [sa] position paraît iconoclaste » (Sirinelli, 2000, p. 84-85).
270 Même type de réticence dans le Premier Tarsique (XXXIII, 48), également à propos de la gloire perdue de la cité : « Autrefois, donc, votre cité était réputée pour l’ordre et pour la tempérance qui y régnaient et produisait des hommes de cette trempe ; mais, aujourd’hui, je crains qu’elle ne prenne un rang tout opposé, au point de s’entendre nommer avec telle ou telle. »
271 Comme l’explique Veyne, 1999, le mot désigne à l’époque impériale des adaptations de pièces de théâtre, des remaniements de sujets comiques à thème mythologique.
272 Ce sont des noms d’esclaves fréquemment utilisés dans la comédie : Daos apparaît par exemple dans Le Bouclier et Carion dans L’Arbitrage, deux pièces de Ménandre.
273 L’ivresse d’Héraclès est un sujet répandu dans la comédie ou le drame satyrique.
274 La crocote est une tunique couleur safran, comme l’indique son nom. Comme il s’agit d’un vêtement typiquement féminin, il est attribué par dérision aux hommes efféminés, ce pourquoi un grand nombre d’auteurs et de peintres en revêtent Héraclès esclave d’Omphale, un épisode auquel Dion fait certainement allusion ici (voir Losfeld, 1991, p. 263-267).
275 L’expression a une consonance platonicienne : dans la République, Socrate explique que celui qui « passe sa vie à fredonner » ramollit son âme et perd tout courage, toute énergie (III, 411a-b). Sur le verbe μινυρίζειν, voir Bost-Pouderon, 2008, p. 119.
276 Euripide, Héraclès, 947-949. Dion aime à citer Euripide dans ses discours et on sait que cet auteur était encore très en vogue à l’époque impériale, cf. Gotteland, 1999, p. 102 et 106. Le long aiguillon (kentron) est l’attribut des cochers grecs homériques, alors que l’aurige romain utilise le fouet.
277 Cette prétention du roi de Macédoine est critiquée de façon ambiguë par Diogène dans le quatrième discours Sur la royauté (IV, 18-23).
278 Wilmes, 1970, p. 107 et Musurillo, 1979, p. 165, pensent qu’il s’agit de la munificence (epimeleia/ἐπιμέλεια) de Trajan, mais cet argument n’est pas pertinent si l’on retient le règne de Vespasien pour l’écriture de ce discours. Quet, 1978, p. 109, n. 393, note que « dans les discours aux villes, Dion ne nomme pas, par son nom, le princeps régnant ».
279 En un sens, Aelius Aristide dira exactement le contraire dans son discours En l’honneur de Rome, 97 : « Toutes les querelles ont déserté les cités, à l’exception d’une seule rivalité qui les tient toutes : celle de paraître chacune la plus belle et la plus agréable possible. Tout est plein de gymnases, de fontaines, de propylées, de temples, d’ateliers, d’écoles… » (trad. L. Pernot). Mais sans doute Dion classerait-il Aristide parmi les « sophistes et magiciens ». Portes monumentales et fontaines font partie des évergésies classiques en Asie mineure à l’époque impériale : cf. Gros, 1996, p. 52-54 pour les portes et p. 424-431, pour les fontaines, cf. aussi Pont, 2010.
280 Dion fait référence à l’émeute évoquée en 71-72.
281 On note la prudence avec laquelle Dion formule cette hypothèse, à l’optatif et, de façon redondante, avec l’adverbe ἴσως, « peut-être » : manière de suggérer à l’avance qu’il n’y a en fait aucune chance pour que l’empereur (re) vienne ? De fait, Vespasien, s’il s’agit bien de lui, ne retournera pas en Égypte. Von Arnim, 1998, p. 437, pense que, sans avoir l’autorisation de faire une déclaration officielle, Dion annonce officieusement la venue de Trajan.
282 Il est possible que les agents de l’empereur (les frumentarii) aient été particulièrement actifs à l’époque à Alexandrie : leur présence est en tout cas attestée à Nicopolis dans les faubourgs d’Alexandrie, à l’époque de Domitien, par le papyrus P. Gen. Lat. I (cité par W. G. Sinnigen, « The Origins of the Frumentarii », MAAR, 27, 1962, p. 218).
283 Jones 1978, p. 37 pense qu’il pourrait s’agir d’un membre du Mouseion.
284 Comparaison particulièrement adaptée à une cité comme Alexandrie, dans laquelle le commerce joue un rôle économique essentiel.
285 Iliade, II, 215-216 (mais l’expression oὐ κατὰ κόσμoν, hors mètre, vient du v. 214). Thersite est le personnage ridicule de l’Iliade : « Son cœur connaît des mots malséants, à foison, et, pour s’en prendre aux rois, à tort et à travers, tout lui est bon, pourvu qu’il fasse rire les Argiens. C’est l’homme le plus laid qui soit venu sous Ilion. Bancroche et boiteux d’un pied, il a de plus les épaules voûtées, ramassées en dedans. Sur son crâne pointu s’étale un poil rare » (Iliade, II, 213-219).
286 Pour les Stoïciens, la joie (χαρά) est liée à la vertu ; elle est en outre une « bonne affection », opposée au plaisir en ce qu’elle est raisonnable (cf. Diogène Laërce, VII, 94 et 116, résumé de la doctrine de Zénon).
287 Voir Odyssée, XX, 302, sur la plante sardonique.
288 Toute une tradition, remontant au moins à Aristote, oppose le rire du bouffon, caractérisé par la grossièreté, au rire reposant sur le tact et la bienséance (voir notamment Aristote, Éthique à Nicomaque, 1128a).
289 Euripide, Héraclès, 673-675 (citation légèrement modifiée). Le mot συζυγία, désignant littéralement le joug ou l’attelage, est particulièrement adapté au thème général du discours, tout comme la citation de 94.
290 Le Mouseion a été fondé par le premier des Ptolémées en 288 av. J.-C. Il n’est absolument pas évoqué dans le reste du discours, comme s’il ne faisait pas partie des monuments dont les Alexandrins étaient fiers, ou comme si, par ce silence, Dion mettait en exergue le rejet de la paideia et des Muses par les habitants.
291 Vraisemblablement Antiochos IV Épiphane, roi séleucide, qui s’empara de l’Égypte en 168 av. J.-C. : cf. Lewis, 1949, p. 32-33.
292 Sur cette anecdote, voir le commentaire, p. 113-114. C. Bost-Pouderon se demande si l’âne ne désigne pas ici le philosophe cynique (cf. Lucien, Fugitifs, 14, parle des philosophes qui « braient »), ce qui serait une façon de ranger les Cyniques parmi les gens incultes. Sur l’image de l’âne comme symbole de bêtise et d’inculture musicale, voir Vendries, 2010. L’anecdote rapportée par Dion ressemble à une histoire contée par Plutarque dans La Fortune d’Alexandre, 334B-C : « Atéas, roi des Scythes, ayant fait prisonnier l’aulète Isménias, le produisit au cours d’un banquet. Tous les convives s’extasièrent et applaudirent. Mais le roi, lui, protesta qu’il avait plus de plaisir à entendre les hennissements de son cheval. Ses oreilles avaient planté leur tente si loin des Muses que son âme même était dans les mangeoires. Il était fait pour écouter, non pas même hennir les chevaux, mais braire les ânes ».
293 Il y eut en effet une guerre entre Antiochos et les Égyptiens : les soldats d’Antiochos ravagèrent le nome arsinoïte.