Épilogue et bilan
p. 273-301
Texte intégral
1Le récit a été interrompu après les injonctions de Necker de disperser les Acadiens sur le territoire métropolitain, injonctions non mises en œuvre. Nous avons vu ensuite que les espoirs des réfugiés de repasser en Acadie avaient été ravivés par la tournure que prenait la guerre de l’Indépendance américaine. Vers 1782-1783, il semble qu’un grand nombre d’Acadiens souhaitaient davantage émigrer ou retourner en Nouvelle-Écosse qu’aller en Louisiane. Comment donc expliquer l’émigration vers la seconde destination plutôt que vers la première ? Nombre d’auteurs présentent le départ vers le Mississippi comme inévitable, ou à tout le moins comme le résultat d’un lobbying constant des Acadiens dans ce sens. Pour en avoir le cœur net et comprendre comment l’option louisianaise a finalement été retenue, une étude détaillée des demandes acadiennes adressées à l’administration et visant à solliciter une nouvelle émigration de métropole a été effectuée1. Nous en reprenons ici les conclusions principales.
2L’impression dominante qui se dégage de cet examen est d’abord celle d’une grande division parmi les Acadiens sur le choix de la destination, division grandissante au cours de la période2. Lors d’une première époque correspondant à la signature du traité de paix en 1763, ceux-ci semblent en majorité vouloir retourner en Acadie, mais les incitations du gouvernement à passer dans les colonies méridionales paraissent toutefois avoir porté leurs fruits. La nette diminution des allusions à un passage en Acadie pour la période postérieure (1764-1772), partiellement compensée par une augmentation des demandes concernant Saint-Pierre et Miquelon, s’explique sans doute par plusieurs séries de facteurs. L’un de ces facteurs est certainement la multiplication des projets gouvernementaux d’établissement en France même, alliée à la censure des projets impliquant un passage à l’étranger. Dans le même temps, on recense les premières mentions de demandes de passage en Louisiane ; le nombre d’allusions à cette destination se maintient ensuite à un certain niveau quasiment jusqu’à la fin de la période, excepté bien entendu les années de la guerre de l’Indépendance américaine entre 1776 et 1781 où les Acadiens comme le gouvernement sont dans l’attente d’une issue qui modifierait considérablement les options disponibles. En effet, de nombreux Acadiens espèrent une reconquête de l’Acadie par les jeunes États-Unis, ce qui aurait pu leur permettre un retour plus facile dans leur ancienne patrie. Le calcul était que le gouvernement français n’aurait pas autant hésité à laisser partir les Acadiens chez des alliés que chez des ennemis. À l’issue de la guerre, le transfert de souveraineté sur l’Acadie – de Londres à Washington – aurait peut-être mis fin aux discordes entre les Acadiens. Telle, du moins, semble avoir été l’espérance d’une partie des exilés. Les événements en ayant décidé autrement, les dissensions furent à nouveau attisées après la paix. Jusqu’à l’intérieur d’une même ville de résidence, les réfugiés ont eu du mal à se mettre d’accord : ainsi, ceux de Nantes, de Morlaix, de Saint-Malo sont partagés entre ceux qui veulent aller en Louisiane et ceux qui sont réticents à s’y rendre, comme nous allons le voir plus en détail. Dans certaines villes semblent toutefois s’installer des majorités pour une destination : ceux de Saint-Malo désirent aller « à Boston », par exemple. Si les demandes pour passer dans les colonies méridionales ont alors complètement cessé, plusieurs réclament encore d’aller à Saint-Pierre et Miquelon. L’archipel vient d’être récupéré par la France après une nouvelle conquête et une nouvelle dévastation pendant la guerre de l’Indépendance américaine.
3Les destinations représentent finalement différentes échelles dans la rupture avec la France et avec l’Acadie. S’installer dans les colonies françaises méridionales, c’est rester sujets du roi de France, conserver certaines coutumes du pays, vivre au milieu d’une société parlant la même langue et pratiquant la même religion, mais c’est également, selon les convictions de l’époque, vivre sous un climat dangereux et dégradant progressivement les vertus de ces populations adaptées aux climats froids. Ce dernier aspect rebute particulièrement les Acadiens qui peuvent retrouver les conditions évoquées ci-dessus, moins l’inconvénient du climat, à Saint-Pierre et Miquelon, et avec sans doute en arrière-plan l’espoir de conserver des activités professionnelles favorisées comme la pêche, de retrouver une partie de leur famille et de conserver des liens avec l’Acadie, relativement proche et avec laquelle les contacts sont avérés. C’est ce qui explique sans aucun doute l’attrait de Saint-Pierre et Miquelon malgré l’insécurité, l’exiguïté et la surpopulation de cet archipel. La déportation des habitants des deux îles, pendant la guerre de l’Indépendance américaine, met un sérieux coup de frein à ces demandes3.
4Le retour dans la tant regrettée Acadie aurait constitué, sans doute, la rupture la plus fondamentale avec la France, car elle aurait signifié pour les Acadiens la perte de leur statut de sujets du roi très chrétien, ainsi que la coupure culturelle avec la France. Même avec l’obtention de la liberté d’exercice de la religion catholique, l’impossibilité de recevoir des prêtres de France et la vie au milieu de tant de protestants représentaient un danger d’isolation et d’assimilation certainement non négligeable. L’espérance de retourner « au pays » est probablement celle qui était la plus profondément ancrée dans le cœur des Acadiens, pour des raisons bien compréhensibles, mais elle est aussi certainement celle qui fit l’objet du plus d’autocensure de leur part, et du veto le plus ferme du gouvernement.
5En regard des autres destinations proposées, la Louisiane apparaît comme un compromis autant pour les Acadiens que pour le gouvernement français. Comme à Saint-Pierre et Miquelon, le gouvernement autorise le regroupement avec beaucoup d’autres familles acadiennes exfiltrées des colonies américaines. Il permet également de devenir sujets d’un prince allié et catholique, garantissant le libre exercice de la religion. Contrairement à l’exigu archipel miquelonnais, les vastes étendues louisianaises – au climat perçu sans doute comme plus tempéré et moins dangereux que celui de la Guyane – assurent l’obtention de terres pour l’établissement tant désiré. Enfin, le roi d’Espagne, désireux comme tous les princes d’Europe d’accroître le nombre de ses sujets, est également susceptible de payer le passage des Acadiens ainsi que les frais d’établissement. Cet argument est déterminant pour les réfugiés pour la plupart endettés et incapables de payer seuls leur transport, sans parler des frais de mise en route de cultures dans un pays étranger4. Le passage en Louisiane fut finalement agréé parce qu’il représentait un compromis entre les exigences acadiennes et celles du gouvernement.
6Il apparaît donc que les Acadiens furent, dès leur arrivée dans les ports de la Manche et de l’Atlantique, profondément divisés sur l’endroit où ils souhaitaient repartir. Les Acadiens désirent visiblement, tout au long de la période, davantage retourner à proximité de l’ancienne Acadie ou à Saint-Pierre et Miquelon qu’aller en Louisiane, cette dernière destination ne semblant attirer qu’un nombre limité de réfugiés, et cela jusqu’à la fin de leur séjour en métropole. Le départ vers la Louisiane, loin d’être inéluctable ou de constituer une idée fixe tardivement concrétisée, a été réalisé ironiquement, comme nous allons le voir maintenant, grâce à la médiation d’un non-Acadien, Peyroux de la Coudrenière, motivé par son profit personnel. Peyroux s’est probablement appuyé sur une série de facteurs favorables – notamment la fin de la guerre d’Amérique et l’amenuisement consécutif, chez les Acadiens, de l’espoir de retourner en Nouvelle-Écosse – pour convaincre un grand nombre d’exilés initialement réticents. Le désir de ces derniers de rester groupés a certainement également joué un grand rôle. Le parti de ceux qui souhaitaient aller en Louisiane a fini par avoir raison de l’inertie du groupe et a entraîné un réflexe collectif d’émigration.
Le départ vers la Louisiane
7Divers documents attestent en effet de la profonde division des Acadiens jusqu’à l’embarquement en 1785 et montrent que, si la solution de la Louisiane constitua finalement un compromis acceptable par les deux parties, ce compromis fut longtemps refusé tant par le gouvernement français que par les Acadiens.
8Pour une partie des Acadiens déportés dans les colonies américaines en 1755, la Louisiane représenta assez tôt l’espoir d’une nouvelle vie, certes loin des contrées de l’enfance, mais sur le subcontinent nord-américain et en territoire catholique. On a vu que des Acadiens arrivent dans le Mississippi directement depuis les Treize Colonies où ils ont été initialement déportés, ou via Saint-Domingue, dès 17635. Pour les Acadiens réfugiés en France, en revanche, il ne semble pas que l’idée d’émigrer à nouveau en Louisiane ait été sérieusement envisagée immédiatement après la guerre de Sept Ans. Il faut en effet attendre quelques années pour que s’établissent des contacts épistolaires entre les Acadiens s’étant transportés dans le Mississippi et ceux qui s’étaient réfugiés en France. Ce n’est qu’en avril 1766 qu’on recense une première lettre vantant les mérites de la colonie et dénigrant comparativement les conditions faites aux réfugiés en métropole. Jean-Baptiste Semer, passé en Louisiane, via Saint-Domingue, en 1765, écrit ainsi à son père réfugié au Havre :
On nous concède six arpents aux gens mariés et quatre et cinq aux jeunes gens, ainsi on a l’avantage, mon cher père, d’être sur sa terre, et de dire « j’ai un chez-moi ». Le bois y est très commun, on en fait un grand commerce, pour les constructions et pour les bâtiments des maisons au Cap [Français, à Saint-Domingue] et autres îles. Une personne qui veut s’adonner au bien et mettre sa peine sera à son aise en peu d’années. C’est un pays immense, vous pouvez y venir hardiment avec ma chère mère et toutes les autres familles acadiennes. Ils seront toujours mieux qu’en France. Il n’y a ni droits ni taxes à payer et plus on travaille et plus on gagne, sans faire tort à personne6.
9À la suite de cette lettre, le père de Jean-Baptiste Semer et plusieurs Acadiens du Havre demandent aux autorités de rejoindre la Louisiane. Mais, en réponse, le ministre de la Marine écrit à l’intendant du Havre qu’« il [serait] d’autant moins possible d’avoir égard à cette demande que, d’un côté, la colonie de la Louisiane n’appartenant plus à la France, les frais considérables qu’occasionnerait le transport de tant de personnes seraient en pure perte pour Sa Majesté et que, de l’autre, le gouvernement s’occupe actuellement des moyens de placer dans le royaume toutes les familles de l’Amérique septentrionale7 ». Les Acadiens se voyaient donc signifier d’une manière très claire l’interdiction d’aller vers cette destination. Cependant, il semble que les Acadiens réfugiés en Louisiane n’aient pas, eux, perdu l’espoir de faire venir leurs frères disséminés par la déportation. C’est ainsi que le gouverneur français à La Nouvelle-Orléans rend compte à son homologue espagnol de ce qu’il a autorisé les Acadiens de Louisiane à inciter leurs compatriotes réfugiés à Saint-Pierre et Miquelon à venir les rejoindre8. Effectivement, quelques semaines plus tard, le gouverneur de cet archipel témoigne de l’attrait du Mississippi pour plusieurs Acadiens, à qui Choiseul vient tout juste d’enjoindre de quitter Saint-Pierre et Miquelon : « plusieurs d’entre eux passeraient volontiers à la Louisiane, si on voulait les y faire transporter », écrit-il9.
10La situation en Louisiane n’allait cependant pas rester longtemps aussi idyllique que la décrit Jean-Baptiste Semer. En effet, dès novembre 1766, le commissaire ordonnateur à La Nouvelle-Orléans évoque la situation difficile dans laquelle se trouve la colonie, à cause de l’arrivée massive d’Acadiens qu’il faut secourir10. Surtout, la rébellion de 1768 contre le gouverneur espagnol et la répression qui s’ensuivit en 1769, où furent condamnés à mort plusieurs des révoltés, dont au moins un Acadien, mirent certainement un frein aux ardeurs de ceux qui voulaient émigrer dans la colonie. Dans les années qui suivent, en effet, on ne rencontre plus guère d’allusions à des projets d’Acadiens d’émigrer à La Nouvelle-Orléans11. Il faut attendre près de six ans pour qu’une nouvelle pétition acadienne réclamant un passage en Louisiane soit envoyée au gouvernement12. Cette pétition porte la signature de Jean-Jacques LeBlanc, au nom de « 110 chefs de famille du département de Saint-Malo ». LeBlanc, l’un des députés acadiens de la région malouine, milite à partir de cette date au moins, de manière constante, en faveur de l’option louisianaise. Comme on l’a déjà écrit plus haut, cette option était certainement la plus politiquement acceptable pour le gouvernement, donc la plus susceptible de faire mouche. C’est bien ce qui se passe. Alors qu’en 1766 le gouvernement pouvait se retrancher derrière le prétexte qu’il cherchait un établissement en France pour les réfugiés, et tandis que dans l’intervalle les demandes acadiennes de retourner en Acadie sont censurées, la pétition de LeBlanc en mars 1772 met visiblement le ministère dans l’embarras : puisque les projets d’établissement ont échoué les uns après les autres, le ministre de la Marine alors en poste, de Boynes, propose au Conseil du roi d’accepter la suggestion de l’Acadien. La demande de passer en Louisiane provoque une réunion du conseil en juillet ou septembre 1772 au cours de laquelle, selon plusieurs témoignages, le roi exprima sa surprise de ce que les Acadiens n’étaient pas encore établis et refusa toute idée d’émigration, suggérant au contraire de les « attacher à la glèbe ». C’est cette réunion et en particulier la volonté royale qui furent directement à l’origine de l’établissement du Poitou. La solution proposée par le gouvernement en réponse à la demande de LeBlanc ne convint cependant pas à ce dernier et il sera ensuite le principal instigateur de la résistance au projet de Pérusse, et le premier artisan de la ruine de l’établissement.
11Cependant, LeBlanc semble n’avoir jamais obtenu l’approbation de tous les Acadiens, et c’est ce qui expliqua son échec. Tout d’abord, on l’a vu, il prétend envoyer sa pétition de mars 1772 au nom de 110 chefs de familles, représentant 492 personnes, soit moins d’un tiers de ses compatriotes de la région comprenant environ à 1800 individus. Encore est-il le seul à signer la pétition. Aucun document ne nous renseigne précisément sur les raisons de la réticence des autres Acadiens à seconder sa demande. Plusieurs facteurs ont peut-être joué : la révolte des colons français de Louisiane et les difficultés avec les autorités espagnoles ont certainement freiné les ardeurs, si les Acadiens en avaient pris connaissance. Le climat chaud les rebutait sans doute également. Par ailleurs, la première interdiction officielle d’émigrer vers la Louisiane, faite par le ministre de la Marine en 1766, rendait toute nouvelle demande quelque peu osée, voire irrespectueuse. Peut-être certains Acadiens craignaient-ils des représailles ou des remontrances : c’est également pour cette raison, sans doute, que la pétition est envoyée « contre l’avis de l’abbé Le Loutre ». Par ailleurs, nombre d’Acadiens souhaitaient probablement ne plus bouger : ils craignaient que le départ de leurs compatriotes ne les prive de la solde et avaient certainement peur de prendre la mer au risque de leur vie.
12Cette division des Acadiens quant à leur destination est constamment attestée. Par exemple, en novembre 1772, soit quelques mois après la pétition de LeBlanc, le commissaire de la Marine de Saint-Malo écrit à Lemoyne que certains des Acadiens veulent passer en Corse, d’autres en Louisiane ou dans l’île de France (île Maurice), ou encore retourner au Canada, notamment en Acadie13. En juillet 1773, Lemoyne certifie lui aussi que les Acadiens de Saint-Malo hésitent entre la Louisiane et Saint-Pierre et Miquelon, tandis que leurs compatriotes de Cherbourg souhaitent retourner en Acadie14. D’autres documents attestent que cette division perdure : durant la période où le gros des réfugiés séjournent dans le Poitou, Pérusse fait à de nombreuses reprises allusion à l’idée fixe de Jean-Jacques LeBlanc d’aller en Louisiane, mais, selon ses dires, LeBlanc est prêt à passer ailleurs s’il le faut, même en Acadie ou en Angleterre15. Peu de temps après leur arrivée à Nantes, un mémoire du subdélégué de Nantes, Ballays, témoigne encore d’une profonde division16.
13Vers la fin de l’année 1777, cependant, le gouvernement hésite à nouveau à laisser partir les Acadiens vers la Louisiane. On voit en effet le ministre de la Marine s’enquérir auprès de l’ambassadeur d’Espagne de la possibilité d’envoyer deux familles en Louisiane17. Les autorités espagnoles sont prêtes à accepter : à peu près à la même période, peut-être à la suite de la visite d’une deuxième délégation acadienne à Versailles sollicitant une nouvelle émigration18, Necker avait approuvé l’idée d’un passage en Louisiane et avait contacté l’ambassadeur d’Espagne à ce sujet. Mais, précise ce mémoire, « la manière favorable dont M. d’Aranda l’a envisagée a fixé de nouveau l’attention du Conseil et on a reculé19 ». Comme cinq ans auparavant, donc, le Conseil du roi oppose son veto à toute idée d’émigration. C’est ce qui pousse Necker, à court d’idées, à former son projet de disperser les Acadiens en métropole.
14En juin 1778, si l’on en croit un mémoire assez détaillé, les Acadiens étaient toujours fortement divisés. Curieusement, le rédacteur du texte, sans doute un commis du contrôle général, ne donne pas tout à fait la même version que le subdélégué Ballays sur les désirs des Acadiens, six mois à peine après le rapport de ce dernier : en effet, il affirme que les réfugiés sont divisés entre ceux qui veulent retourner en Acadie, ceux qui veulent aller en Louisiane, retourner en Poitou, ou encore aller en Corse. Ballays, lui, n’évoque pas du tout les mêmes destinations et ne parle pas d’Acadien désirant revenir sur les terres de Pérusse, aller dans l’île de Beauté ou en Acadie20. On n’a ensuite que très peu d’indices sur ce que font les Acadiens entre juin 1778 et juillet 1783, à part ce qu’en dit un mémoire de 1782. Ce mémoire laisse entendre que le statu quo prévaut et qu’on attend en fait la fin de la guerre de l’Indépendance américaine pour prendre une décision concernant les Acadiens. Le mémoire précise simplement qu’on « a cessé d’insister [pour que les Acadiens se dispersent] du moment où les affaires de l’Amérique septentrionale prenant une tournure favorable, on a envisagé dans le retour de la paix une combinaison quelconque qui rendrait les Acadiens à leur ancienne patrie ou qui donnerait un résultat à peu près équivalent21 ». La guerre de l’Indépendance américaine est encore pour les Acadiens à Saint-Pierre et Miquelon l’occasion d’une nouvelle déportation, en octobre 1778. À la reprise de possession de l’archipel, après la signature du traité de Versailles en septembre 1783, une partie seulement des anciens habitants sont autorisés à y retourner22. Plusieurs des vieillards reçoivent en revanche interdiction de s’embarquer, de peur d’être à charge de l’administration coloniale.
Peyroux et Terriot
15Plusieurs Acadiens profitent de l’intervalle de cinq années offert par la guerre franco-anglaise entre 1778 et 1783 pour se stabiliser quelque peu à Nantes et faire fructifier quelques affaires. C’est ainsi qu’on retrouve la trace de Basile Henry, visiblement prospère en novembre 178223, tandis que quelques autres Acadiens ont réussi à ouvrir de petits commerces. C’est dans ce contexte qu’à l’approche de la signature de la paix, en 1783, eurent lieu les premières rencontres entre Peyroux de la Coudrenière et Olivier Terriot à Nantes, en vue d’obtenir l’autorisation d’émigrer en Louisiane pour tous les Acadiens réfugiés en France.
16Nous disposons de peu d’informations biographiques sur Henri-Marie Peyroux de la Coudrenière. Selon le mémoire d’Olivier Terriot, ce dernier était fils d’un apothicaire et originaire des environs de Nantes24. Son acte de mariage à Nantes avec Prudence Françoise Rodrigue le dit marchand droguiste. Il est à noter que ni Peyroux ni sa femme n’étaient Acadiens25. Si Peyroux apparaît au secrétaire de l’ambassade espagnole à Paris comme « un homme de retenue, judicieux et modéré » qui a vécu au Canada et en Louisiane où sa principale « inclination » avait été l’histoire naturelle et quelques publications dans le Journal de physique26, pour l’intendant de Bretagne l’individu « n’est qu’un ancien marchand épicier ayant fait banqueroute, et qui ne jouit d’aucune considération […] et qui selon toute apparence ne se met en mouvement dans cette affaire que par quelque intérêt particulier27 ». Ses liens avec la Louisiane sont anciens : selon le précis de Terriot, Peyroux y avait auparavant séjourné sept années et n’y « avait pas fait fortune ». Peyroux déclare effectivement avoir passé dans la colonie espagnole « les plus belles années de [s] a jeunesse28 ». Peyroux avait un frère établi en Louisiane, ainsi qu’un autre frère à Nantes qui se propose de transporter les Acadiens jusqu’à La Nouvelle-Orléans, moyennant bien sûr rétribution29. Terriot affirme que c’est pour prendre une revanche sur la fortune que Peyroux, revenant à Nantes en 1783 se transforma en agent recruteur pour le compte de l’Espagne et forma le projet de conduire les Acadiens près de leurs compatriotes. Quelques années auparavant, de la Coudrenière avait écrit un « mémoire sur l’utilité d’une école d’agriculture dans chaque province et colonie espagnole30 », envoyé aux autorités madrilènes, et mentionnant déjà l’utilité et les qualités des Acadiens pour la culture, ce qui prouve une accointance relativement ancienne avec les réfugiés.
17Les indications de Terriot susmentionnées et les insinuations de l’intendant selon lesquelles c’est par intérêt que Peyroux décida d’organiser l’émigration des réfugiés sont fondées. Peyroux lui-même affirme bien sûr avoir agi par philanthropie, pour aider les Acadiens vivant misérablement en France et prévenir leur inclination à émigrer furtivement dans les colonies anglaises. Il prétend en effet motiver les Acadiens pour son projet en leur expliquant « que puisqu’ils étaient dans la résolution de s’expatrier, l’honneur et la religion devaient les obliger de renoncer à retourner en Acadie, et de préférer une nation amie de la France et dont les rois étaient du même sang31 ». Toujours est-il qu’à son arrivée à Nantes, en 1783, il semble s’être mis à la recherche d’un intermédiaire pouvant l’aider à rassurer les Acadiens. Il contacte Olivier Terriot, le fils d’un Acadien dont nous avons déjà eu l’occasion de parler plus haut : Étienne Terriot dit « Le Gros Etienne », impliqué à plusieurs reprises dans des affaires de contrebande de tabac à Saint-Malo. Olivier Terriot, âgé de 28 ans, marié et père de deux enfants en 1785, aurait été alors maître cordonnier à Nantes, mais nous possédons peu d’informations sur lui avant les contacts qui le lient avec Peyroux de la Coudrenière et qui sont l’objet principal de son long mémoire rédigé bien après les faits, en 179832.
18D’après ce qu’on peut reconstituer des correspondances et des mémoires rédigés et relatifs à l’émigration des Acadiens de Louisiane, la première rencontre entre Peyroux et Terriot eut lieu en juin ou juillet 1783, c’est-à-dire très peu de temps avant la signature du traité de paix entre la France, les États-Unis et le Royaume-Uni. Si l’on en croit Terriot, notre seule source d’information à ce sujet, la rencontre se serait faite dans sa boutique de cordonnerie. C’est Peyroux qui aurait eu l’idée de faire passer les Acadiens en Louisiane, et qui aurait insisté pour que Terriot participe à l’opération. Ce dernier affirme n’avoir accepté l’offre de Peyroux qu’après beaucoup de réticence et après que le nantais lui eut promis de « partager son dernier morceau de pain avec lui ». La première action d’Olivier Terriot est de tenter péniblement de convaincre ses compatriotes de l’intérêt d’aller en Louisiane et que l’opération pouvait cette fois réussir33. Dans la première pétition envoyée à l’ambassadeur d’Espagne pour demander le passage en Louisiane et appuyer la demande officielle faite par Peyroux à Aranda, en effet, on constate que Terriot n’a réussi à réunir que trois signatures, outre la sienne et celle de son père34. Terriot écrit :
Sa Majesté très chrétienne […] a eu la bonté de nous accorder une très petite pension jusqu’à ce que nous puissions avoir des terres pour les cultiver. Mais jusqu’à présent on ne nous a offert que des terres stériles en France et des lieux malsains dans l’île de Corse, ce que nous n’avons pu accepter. Depuis plusieurs années nous supplions le roi et ses ministres de nous faire passer à la Louisiane où nous avons un grand nombre de nos parents et amis ; mais nos projets ont toujours été rejetés parce que la France ne possède plus rien dans ce pays35.
19Entretemps, Peyroux avait rencontré à Paris l’ambassadeur d’Espagne, et rassurait le cordonnier sur le fait que l’ambassadeur, coopératif, soutiendrait le projet, mais qu’il fallait attendre l’opinion définitive de Madrid36. Les tractations entre Peyroux, Terriot et Aranda ne passèrent cependant pas inaperçues : ainsi Vergennes, le secrétaire d’État aux Affaires étrangères, écrit-il quelques jours plus tard que des « émissaires secrets répandus en Bretagne […] travaillaient à faire émigrer les sujets du roi et qu’on lui désignait particulièrement le Sieur Peyroux de la [Coudrenière], qui travaillait à embaucher les Acadiens résidant à Nantes37 ». À la fin du mois d’août 1783, le subdélégué de Nantes faisait surveiller Peyroux, mais décidait de ne pas l’emprisonner faute de charges suffisantes38.
20La réponse de la cour d’Espagne se fit quelque peu attendre : ce n’est qu’à la fin de janvier 1784 que Peyroux rapporte à son associé que le roi Charles III accepte de recevoir les Acadiens en Louisiane et de payer leur transport. Toutefois, l’acceptation est assortie d’une condition. L’ambassadeur d’Espagne veut en effet s’assurer, avant de solliciter Versailles, que les Acadiens ont bien été autorisés à émigrer vers les États-Unis : « dès qu’on pourra lui en donner quelque certitude, il se transportera chez M. de Castries pour lui demander que le roi consente à votre départ, ce qu’il ne pourra refuser s’il est vrai qu’il l’ait accordé à M. Franklin39 ». Terriot est donc chargé de vérifier l’assertion. On ignore où Peyroux a entendu dire qu’une semblable autorisation avait été donnée aux Acadiens. Tout juste un document ultérieur évoque-t-il des rumeurs, non fondées, circulant alors à Nantes40. Il est plausible que Peyroux se soit beaucoup avancé en affirmant que l’autorisation d’émigrer vers les États-Unis avait été donnée, dans le but de convaincre l’ambassadeur d’Espagne que les démarches pour obtenir les Acadiens ne seraient pas difficiles. L’affirmation reposait sur un fond de vérité : une pétition émanant d’Acadiens de Saint-Malo est effectivement envoyée le mois suivant au ministre de la Marine, sollicitant un passage à Boston41, mais il ne semble pas que le gouvernement français ait alors donné son autorisation pour un passage aux États-Unis. En effet, au mois de mars, après s’être transporté à Nantes, Peyroux est obligé d’avertir le secrétaire de l’ambassade d’Espagne, Hérédia, que la rumeur est fausse42. Le Nantais demande toutefois à ce que l’Espagne fasse tout de même les démarches pour réclamer les Acadiens. Ces derniers « vous prient de les demander au Ministère de France, écrit-il à Hérédia, et ils sont dans la persuasion que vous les obtiendrez facilement43 ».
21Comme on le voit, Peyroux manœuvre habilement pour forcer la main des uns et des autres : il laisse entendre aux Acadiens que l’Espagne est d’accord pour les recevoir en Louisiane, mais il fait mine d’oublier que l’acceptation de l’ambassade d’Espagne est conditionnelle et que la condition n’est pas remplie. Par ailleurs, dans ses rapports envoyés à l’ambassade d’Espagne, Peyroux minimise à tout le moins les problèmes posés par l’émigration : d’un côté, il laisse entendre que tous les Acadiens veulent se transporter en Louisiane et, d’un autre côté, il affirme que les autorités françaises sont disposées à laisser partir les Acadiens44. Aranda reste cependant fortement hésitant puisqu’à la fin de mars 1784 Peyroux demande une nouvelle fois à l’ambassade d’Espagne « de ne pas différer davantage à […] faire la démarche à la cour de France » pour obtenir les Acadiens45. Mettant une nouvelle fois Hérédia et Aranda devant le fait accompli, Peyroux explique qu’il y a maintenant urgence à prévenir Versailles :
Malgré tous mes soins pour tenir l’affaire des Acadiens dans une sorte d’assoupissement jusqu’à ce que vous ayez demandé et obtenu la permission de la cour de France, ceux qui étaient dans le secret n’ont pu s’empêcher d’en instruire leurs compatriotes ; et à ce moment j’apprends qu’un grand nombre de ces Acadiens ne pouvant résister au désir de savoir quelque chose de positif sur leur départ se sont transportés en corps chez le subdélégué pour apprendre et savoir si le ministère avait donné l’ordre de les laisser partir pour la Louisiane. Des lettres qui ont été écrites à Saint-Malo et à Morlaix ont occasionné la même fermentation parmi les Acadiens qui habitent ces deux villes. […] Il est hors de doute que M. le subdélégué va écrire en cour pour l’informer de tous ces mouvements ; et le ministère n’en ayant point été prévenu par d’autres voies il pourrait bien m’arriver quelque chose de désagréable46.
22S’il s’agissait d’une stratégie délibérée de Peyroux, elle s’avéra payante car, deux jours après seulement, l’ambassadeur d’Espagne informait enfin le ministre des Affaires étrangères français, le comte de Vergennes, que Madrid acceptait d’accueillir en Louisiane les réfugiés, à condition que « sa Majesté très chrétienne permet[te] aux Acadiens la liberté d’y aller47 ». Dans le même temps, Hérédia suggérait à ceux-ci de seconder sa demande48, ce qu’une partie d’entre eux firent quelques jours plus tard49. Une lettre à Vergennes, rédigée par Peyroux, protestait de leur fidélité et de leur patriotisme. Rappelant leur misère, les réfugiés demandaient à se rapprocher de leurs familles en Louisiane, « sous la puissance d’un roi qui est l’ami, le parent et l’allié de notre monarque », écrivaient-ils50. Il semble cependant que les Acadiens aient été très peu nombreux à souhaiter aller en Louisiane, ou du moins à signer ladite pétition. Peyroux, qui, rappelons-le, a laissé entendre à Aranda et Hérédia que tous les Acadiens souhaitaient émigrer en Louisiane, est visiblement embarrassé de ce qu’il n’est parvenu à recueillir qu’une trentaine de signatures sur le placet adressé à Vergennes, et il se sent obligé de justifier ce faible nombre et le délai avant que cette pétition soit envoyée, dû au fait que les réfugiés ont demandé des modifications à la pétition qu’il avait rédigée51. Peyroux ne s’étend pas sur les modifications demandées par les signataires, mais, à n’en pas douter, il a sans doute tenté de forcer quelque peu le trait. Quant au petit nombre de signataires, Peyroux explique candidement que 35 pères de familles ont signé52, en ajoutant « d’autres en plus grand nombre voulaient également la signer, mais comme la page était remplie, on leur dit que cela suffisait53 ! » Cette excuse, qui revêt toutes les apparences de la mauvaise foi, donne encore une fois à penser que Peyroux n’a pas obtenu l’assentiment de tous les Acadiens, loin s’en faut. Pour faire bonne mesure, Peyroux ajoute dans la même lettre que les exilés sont très satisfaits d’être « réclamés par l’Espagne » et que plusieurs ont pleuré de joie en lisant la lettre d’Hérédia54.
23De leur côté, les ministres français ne se précipitent pas pour demander au roi l’autorisation de laisser émigrer les Acadiens en Louisiane. Après avoir reçu la demande officielle d’Hérédia, datée du 24 mars 1784, Vergennes, aux Affaires étrangères, s’empresse de la faire suivre à de Castries, ministre de la Marine : « Je vous prie de mettre cette demande sous les yeux du roi et de me mettre ensuite en état d’instruire M. le chevalier de Hérédia de la décision de sa majesté », écrit-il55. Quelques jours plus tard, de Castries répond à Vergennes que c’est plutôt au Contrôleur général de demander au roi l’autorisation pour les Acadiens de passer en Louisiane56. Ces tergiversations témoignent clairement de la crainte des ministres d’aborder cette question devant le monarque. C’est finalement Calonne qui se charge de s’enquérir de la volonté de Louis XVI. Une décision est préparée le 25 avril 178457, et le 27 avril Calonne informe Vergennes que le roi a finalement approuvé l’émigration vers la Louisiane58. Pour sauver les apparences et obtenir plus facilement l’assentiment qu’il recherchait, Calonne, très diplomatiquement, présente au roi une version quelque peu divergente de ce qui avait toujours été affirmé auparavant à propos des Acadiens et qui rappelle les réflexions du renard à propos des raisins dans la fable de La Fontaine !
Je vous prie de vouloir bien observer que le départ des Acadiens ne sera point véritablement une émigration de sujets du roi, l’Acadie avait été cédée à l’Angleterre par le traité d’Utrecht, les Acadiens réfugiés en France ne seraient devenus sujets du roi que lorsqu’on aurait pu leur procurer les établissements en terres qu’on leur avait fait espérer.
24La décision du roi est communiquée le 11 mai par Vergennes à Hérédia59, et quelques jours plus tard Calonne prend diverses dispositions pour payer les arrérages de solde dus aux Acadiens s’apprêtant à passer en Louisiane60.
25L’autorisation accordée, les difficultés n’étaient cependant pas encore toutes aplanies, loin s’en faut. En effet, quelques jours avant que la décision ne soit communiquée à Hérédia, Peyroux informe l’ambassade d’Espagne que des Acadiens de Saint-Malo ont obtenu du roi l’autorisation de passer en Virginie. Selon Peyroux, ces Acadiens n’étaient soi-disant pas au courant du projet de Louisiane. Cela paraît bien peu plausible et révèle plutôt, une nouvelle fois, la profonde division des Acadiens que Peyroux cherche à minimiser tant qu’il peut :
Quelques Acadiens de Saint-Malo, ne sachant pas ce que ceux de Nantes demandaient à l’Espagne, envoyèrent deux députés en cour il y a quelques mois pour solliciter la permission de passer en Virginie. Des lettres de cette ville annoncent que ces députés sont de retour et qu’ils ont réussi mais que la plus grande partie de ceux qui demandaient de passer en Virginie ne veut point profiter de cette permission dans l’espoir d’aller bientôt à la Louisiane. S’il est vrai que la cour leur ait permis de s’établir dans cette république anglaise, elle permettra encore plus facilement leur établissement dans une monarchie qui est l’amie, et l’alliée de la France61.
26Cette information est une nouvelle fois curieuse. En effet, je n’ai retrouvé aucun autre document faisant allusion à une quelconque volonté acadienne de passer en Virginie. Il est difficile d’imaginer une raison ayant pu pousser Peyroux à inventer de toutes pièces un tel scénario, qui contredit ses lettres antérieures envoyées à Hérédia. L’histoire est donc probablement authentique, mais elle ne semble pas avoir eu de suite. Il est toutefois possible que Peyroux ait confondu la Virginie avec Boston.
27De nouvelles difficultés attendaient Peyroux. Le 25 mai 1784, ce dernier est arrêté par les cavaliers de la maréchaussée sur ordre du subdélégué, après avoir lu la lettre d’Hérédia du 11 mai à environ 150 Acadiens réunis. Terriot s’échappe lui-même furtivement et trouve refuge chez un magistrat de la ville, Bourgoin, d’où il écrit à Hérédia62. Le subdélégué prétend avoir agi dans l’ignorance des ordres de Vergennes de laisser partir les réfugiés, et en croyant sans doute que Peyroux agissait secrètement et de manière répréhensible. Après l’intervention de Hérédia et la clarification de la situation qui s’ensuit, Peyroux est rapidement libéré63. Ses difficultés ne prennent pas fin pour autant, puisque quelques jours plus tard un placet envoyé par « plusieurs familles acadiennes de Nantes […] réclam[a] nt […] contre l’exécution » du projet louisianais est envoyé au Contrôleur général, qui le fait rapidement suivre à l’intendant de Bretagne64. Le Contrôleur général donne peu de détails sur ce placet, si ce n’est qu’il est signé par « trente familles de cette nation réclamant contre le projet de passer sous la domination d’Espagne65 ». Saisi de doutes, il réclame une enquête approfondie sur les sentiments des Acadiens et sur leurs désirs véritables de passer en Louisiane66. L’intendant lui répondra quelques semaines plus tard qu’il ignore quels sont les sentiments des Acadiens à ce sujet et que son subdélégué mène actuellement une enquête67. Toutefois, le résultat de cette enquête ne nous est malheureusement pas parvenu. Même si elle avait révélé des sentiments majoritairement hostiles à l’émigration vers la Louisiane, il est peu probable que le gouvernement ait souhaité faire marche arrière alors que le roi avait été sollicité.
28Les difficultés de recrutement des Acadiens et les méthodes probablement douteuses employées par Peyroux et Terriot pour recruter des volontaires parviennent jusqu’aux oreilles du comte d’Aranda lui-même. En juillet 1784, de retour d’Espagne, l’ambassadeur recommande fort à Peyroux de se conduire « sans la moindre apparence de séduction ni de violence » pour convaincre les Acadiens68. En réponse, Peyroux adresse à Hérédia un grand nombre de questions posées par les réfugiés. Ces questions concernent essentiellement divers aspects financiers et les délais prévus jusqu’à l’embarquement pour la Louisiane69. Elles montrent une nouvelle fois clairement que tous les Acadiens ne sont pas acquis à l’option louisianaise. Quoi qu’il en soit, de la Coudrenière quitte Paris quelques jours plus tard pour se rendre à Nantes et recueillir les signatures des volontaires du projet d’émigration70. Une fois sur place, il transmet à Terriot les instructions d’Aranda selon lesquelles « l’intention des deux cours est de laisser les Acadiens parfaitement libres sur le choix de rester en France ou de passer à la Louisiane71 ».
29C’est à ce moment que Terriot vécut une nouvelle mésaventure. Il avait été chargé, comme on vient de le voir, de faire connaître à tous les Acadiens de la région de Nantes l’autorisation de passer en Louisiane. Cette tâche ne semble pas avoir été particulièrement facile. Terriot rapporte ainsi qu’il lui fallut « aller chez divers compatriotes dont quelques-uns ne se [réjouissaient] pas de sortir de France : ceux-ci craignaient qu’une fois partis, on n’en vint à supprimer le prêt72 de ceux qui rest[eraient] ». Un jour, donc, qu’il colportait cette nouvelle, il fut, selon ce qu’il raconte ultérieurement, attaqué dans une auberge par trois de ses compatriotes mécontents qui l’auraient assommé sans l’intervention d’autres Acadiens assistant à la scène. Terriot rapporte clairement l’hostilité que lui attirait son action : « à Nantes Olivier Terriot était maudit de celui-ci, insulté de celui-là, meurtri par cet autre, parce qu’il cherchait à procurer des sujets à sa majesté catholique73 ». Ces divers éléments accréditent encore le manque d’enthousiasme de nombreux Acadiens à l’idée de partir vers le Mississippi.
30De fait, il semble que Peyroux ait eu un certain mal à enrôler les Acadiens. Dans un premier temps, il n’aurait pas eu trop de difficultés à recruter des personnes de la région de Nantes. Dès le 10 août 1784, il rapporte en effet à Aranda avoir enregistré près de 1325 individus de ce port et de Paimbœuf et il dit s’apprêter à partir pour Morlaix, Saint-Malo et d’autres villes pour inscrire d’autres volontaires74. À peu près au même moment, quatre chefs de familles acadiennes initialement restées dans le Poitou mais récemment passées à Nantes à cause de la mauvaise qualité des terres de la Grand-Ligne demandent au ministre des Affaires étrangères à passer également en Louisiane75.
31Il est toutefois probable que Peyroux ait une nouvelle fois gonflé le nombre des volontaires car, selon un rapport ultérieur, seulement 1 160 personnes de Nantes passeront effectivement en Louisiane76. Selon Terriot, une des conditions pour que l’embarquement se fasse était qu’il y ait au moins 1 600 personnes enregistrées77. Le fait qu’il y eut précisément 1 600 Acadiens qui passèrent à la Louisiane en 1785 contribue à accréditer l’idée selon laquelle il y avait un quota prédéterminé qui dut être rempli, et que donc une partie des réfugiés fut probablement contraints de quitter la France. On soupçonne que l’une des méthodes utilisée pour faire pression sur les réfugiés a consisté à menacer les Acadiens ou à leur faire croire qu’après le départ de leurs compatriotes ils ne toucheraient plus la paye du roi78. En effet, lorsque Terriot rapporte l’agression dont il a été victime, il laisse entendre que ses assaillants lui en voulaient parce que certains, souhaitant rester en France, craignaient de perdre la solde après l’émigration. Par ailleurs Peyroux rapporte que seules « les familles assez riches pour se passer des bienfaits du roi » ne se sont pas fait enregistrer pour le départ79. Cette nouvelle indication, si elle ne permet pas d’affirmer positivement que des menaces ont effectivement été proférées aux Acadiens, donne cependant clairement l’impression que le départ a été subi plutôt que choisi, et qu’il a été dicté par la suppression annoncée de la solde.
32Peyroux rapporte également que divers Acadiens doutaient des promesses qui leur étaient faites :
Les contes absurdes que certaines personnes débitaient à Nantes pour détourner les Acadiens du dessein qu’ils avaient de passer en Louisiane m’ont occasionné beaucoup de questions, principalement sur l’établissement futur de ces derniers. Mais après leur avoir fait sentir l’absurdité de ces contes, je leur ai dit que la cour d’Espagne ayant accueilli leur requête, ils auront sans doute le traitement qu’ils ont demandé, et j’ai assuré qu’ils doivent avoir la plus grande confiance dans la bienfaisance d’une cour qui s’est toujours montrée généreuse et magnanime. Cette réponse a paru les satisfaire80.
33Malheureusement, Peyroux est visiblement peu désireux de s’étendre sur le contenu de ces « contes absurdes ». Faut-il y voir des craintes relatives au climat louisianais dont on a déjà parlé plus haut ? S’agit-il d’une peur que l’opération ne vise en réalité à envoyer les Acadiens non pas en Louisiane mais en Guyane ? Cette dernière inquiétude, entièrement infondée cette fois, semble-t-il, est rapportée par un certain Louis Judice au gouverneur de Louisiane : « Beaucoup d’habitants d’ici craignent que ces familles [acadiennes] aient véritablement été embarquées à Nantes, mais conduites à Cayenne81 ». L’origine de cette crainte que les bateaux aient été détournés vers Cayenne n’est pas connue. Peut-être l’appréhension de Marguerite Landry, évoquée plus haut, qu’on l’envoie vers des « îles contagieuses » n’estelle pas en fait une crainte d’être envoyée en Louisiane, mais plutôt la peur que les bateaux soient destinés à aller en Guyane ? Ce qui est certain, c’est que les réfugiés se défiaient du gouvernement français, et qu’ils n’étaient pas prêts à émigrer à n’importe quelle condition82.
34Au contrôle général, la conviction est que les Acadiens sont minoritaires à vouloir émigrer. La personne en charge des réfugiés au sein de ce ministère écrit ainsi qu’un « grand nombre de ceux de Nantes réclament aujourd’hui contre ce prétendu projet d’aller à la Louisiane. Ils offrent de s’établir à Nantes et de renoncer à la solde moyennant un léger secours qui leur serait une fois payé83 ». Peyroux finit par avouer lui aussi franchement les hésitations des Acadiens, quoiqu’il ne soit jamais très explicite sur les raisons de leur réticence. Dans une lettre adressée au comte d’Aranda et visiblement destinée à justifier la difficulté à recruter le « quota » fixé, il explique que les Acadiens sont divisés et que plusieurs résidents de Saint-Malo sont en « négociation avec la cour de France » et demandent un délai avant de donner leur réponse84. Peyroux évite soigneusement de préciser le sujet des pourparlers, mais il ne fait pas de doute, par recoupement avec d’autres sources, qu’il s’agit de tractations visant à obtenir l’autorisation d’émigrer aux États-Unis, vers Boston ou la Virginie. À Morlaix, à Cherbourg et au Havre, les Acadiens attendent la réponse de ceux de Saint-Malo avant de se décider, « ayant promis de les suivre où ils iront ». Peyroux affirme toutefois que si ces Acadiens « n’obtiennent pas ce qu’ils ont demandé ils disent qu’ils préféreront la Louisiane à tout autre chose ».
35Peyroux est donc visiblement ennuyé dans ce document, car il ne peut alors présenter que 1 500 volontaires, c’est-à-dire en dessous de la limite que l’ambassade d’Espagne semble s’être fixée. Il espère toutefois pouvoir encore recruter une centaine d’individus dans les autres régions où se trouvent des Acadiens : Bordeaux, La Rochelle, Belle-Île-en-Mer et Brest85. Il précise que les Acadiens enregistrés à Nantes demandent à ce que le délai exigé par ceux de Saint-Malo ne nuise pas à leur départ car ils ont du mal à se loger et les marins sont au chômage en attendant le départ. Enfin, il évoque pour la première fois le problème des familles mixtes, espérant qu’on n’empêchera pas les femmes de suivre leurs maris, et vice-versa, craignant que cela n’occasionne des divorces.
36Deux questions principales semblent avoir particulièrement fait hésiter les Acadiens. On peut avoir quelques idées des motifs de défiance grâce à plusieurs lettres que Peyroux écrit à Terriot à cette période, en réponse à des demandes de ce dernier, demandes faites visiblement au nom de ses compatriotes. Le point qui revient le plus souvent dans cette correspondance est la question de la solde. Les Acadiens sont de toute évidence inquiets à ce sujet et à trois reprises Peyroux tente de les rassurer. Le 29 septembre 1784, il leur garantit que « Sa M [ajesté] C [atholique] accorde aux Acadiens jusqu’à leur embarquement la solde qu’ils reçoivent de S [a] M [ajesté] T [rès] C [hrétienne] à commencer du jour que la cour de France cessera de la leur donner. Cette solde sera fournie par les banquiers de la cour d’Espagne à Paris86 ». Mais les réfugiés veulent également s’assurer qu’ils toucheront bien les arrérages de solde qui leur sont dus par Versailles, et souhaitent des garanties de l’Espagne à ce sujet aussi. Peyroux s’irrite de cette insistance : « C’est une chose étonnante que les Acadiens fassent toujours des instances pour que M. l’ambassadeur d’Espagne se mêle des arrérages de la solde que le roi de France leur accorde. C’est une affaire qui ne le regarde pas et il se compromettrait s’il s’en mêlait87 ». Mais Peyroux a beau vouloir balayer ce problème, la question est intimement liée à celle de leur départ puisque selon plusieurs sources convergentes les Acadiens endettés ne pouvaient pas partir en Louisiane avant d’avoir réglé leurs dettes, ce qu’ils ne pouvaient faire qu’après avoir été eux-mêmes payés.
37Ce problème faillit empêcher le départ des Acadiens vers la Louisiane. En effet, selon Terriot, la question n’avait toujours pas été résolue à la veille de l’embarquement. « D’un côté, écrit Terriot, la cour d’Espagne, dans son accord avec la France, était convenue qu’aucun Acadien ne partirait sans avoir payé ses dettes, et d’un autre côté la France nous devait […] six mois de notre prêt ; arrérage énorme pour des indigents. Les Acadiens, se voyant donc si durement serrés entre un débiteur inattaquable et des créanciers autorisés prirent tout d’un coup le parti de ne point partir. » Selon son propre témoignage, Terriot est donc chargé d’annoncer la nouvelle au consul d’Espagne responsable de l’organisation du départ des réfugiés, d’Asprès. Après diverses tractations, et après qu’Aranda eut écrit à Vergennes pour l’informer du problème et demander à la France de payer les arrérages88, Terriot explique que les autorités françaises ont fini par payer, et il ajoute malicieusement « quoiqu’il n’y eut point d’argent, [comme] disait toujours le subdélégué89 ».
38Il est probable que ce problème a aussi servi de prétexte à certains des Acadiens pour faire pression sur le gouvernement espagnol et en obtenir des garanties. On a vu précédemment que les Acadiens étaient inquiets de ce qui allait advenir d’eux en Louisiane et qu’ils n’avaient guère confiance dans les promesses qu’on leur faisait. En menaçant de ne pas partir si les arrérages n’étaient pas réglés, les réfugiés demandent dans la foulée des garanties écrites, qui leur sont données peu après par d’Asprès90. Ces conditions stipulaient que les Acadiens seraient transportés à la Louisiane « sans qu’il leur en coûte rien » et que par ailleurs, une fois sur place, le roi d’Espagne offrirait de leur donner « des terres et logements en proportion au nombre de chaque famille de même les outils propres et nécessaires au défrichement et à la culture des dites terres, et en outre de les nourrir jusqu’à ce que chaque famille soit en état de se nourrir elle-même91 ». Ces promesses témoignent une nouvelle fois que les Acadiens ne se laissent pas facilement convaincre d’aller en Louisiane.
39Outre ces aspects matériels, le deuxième problème qui agite au moins une partie des Acadiens est celui de l’autorisation pour les conjoints non acadiens de suivre la « nation » en Louisiane. Cette question revient dans un grand nombre de courriers adressés par Peyroux à Terriot. Le premier annonce tout d’abord au second que les « étrangers catholiques qui prouveront qu’ils ne sont pas sujets de la France » pourront aller à la Louisiane, à condition de donner des informations sur leur origine et profession92. Mais la majorité des conjoints d’Acadiens étaient non pas étrangers, mais Français, et Terriot s’enquiert visiblement des démarches à faire pour ceux qui souhaiteraient suivre leurs conjoints acadiens. Peyroux répond de manière peu encourageante : « L’Espagne recevra tous les Français qui ont épousé des Acadiennes à condition qu’ils aient la permission de la cour de France de quitter le royaume. C’est à eux de la demander et M. l’ambassadeur ne s’en mêlera pas93 ». Cette question nourrit alors une correspondance importante. On a vu que la proportion de mariages mixtes était assez importante et le sujet devait évidemment préoccuper un grand nombre de ces couples. Conformément aux recommandations de Peyroux, plusieurs conjoints d’Acadiens sollicitent alors directement auprès du ministre l’autorisation de sortir de France94. Le Contrôleur général Calonne suggère tout d’abord au ministre des Affaires étrangères de laisser partir les Françaises mariées à des Acadiens : les femmes, selon les critères de l’époque, prenaient la « naturalité » de leurs époux et obtenaient donc automatiquement le statut « d’Acadiennes ». Concernant les Français de sexe masculin mariés avec des Acadiennes, Calonne préconise également de les laisser partir. Certes, écrit-il, « le principe général qui interdit les émigrations des sujets du roi s’opposerait à ce qu’ils s’expatriassent ». Mais Calonne estime qu’il s’agit, pour la majeure partie des demandeurs, de gens âgés, « peu en état d’être utiles », de surcroît souvent pauvres et dépendants de leurs familles d’adoption, qu’une interdiction d’émigrer laisserait peut-être sans ressource « s’ils se trouvaient abandonnés seuls à leurs propres forces ». Il préconise donc de laisser partir tous ceux qui en font la demande95.
40Les propositions de Calonne semblent avoir paru judicieuses à Vergennes puisque le 5 mai 1785, soit quelques jours seulement avant le départ vers la Louisiane du Bon Papa, Blondel écrit à l’intendant de Bretagne que « M. le Contrôleur général et M. le comte de Vergennes sont convenus d’accorder aux Français qui ont épousé des Acadiennes la permission d’aller à la Louisiane96 ». Pour une raison inconnue, toutefois, quelques jours après le départ de ce premier navire pour la Louisiane, Blondel écrit que les deux ministres se sont ravisés et qu’ils ont convenu plutôt de prendre les « ordres du roi » à ce sujet97. Une semaine plus tard il infirme catégoriquement ses ordres précédents, et signifie au même intendant que, finalement, « il a été jugé que des Français mariés à des [Acadiennes] donnent à leurs enfants la qualité de sujets du roi [et] que ces femmes doivent suivre le sort de leurs maris » ; par conséquent ces couples n’ont plus l’autorisation de passer à la Louisiane. Blondel ajoute qu’il sera inutile que les demandeurs réitèrent leurs suppliques98. De fait, les réclamations, quelques jours plus tard, de Français souhaitant émigrer en Louisiane resteront inutiles. En vain ces Français sollicitent-ils l’aide de l’évêque de Nantes : l’intendant de Bretagne se montre inflexible99. L’interdiction d’émigrer pour les couples mixtes arrivait très tard pour un certain nombre de personnes prêtes à partir. Cela a probablement contraint une partie des réfugiés à renoncer à leur projet de s’embarquer avec leurs familles sur les navires après le Bon Papa100. Mais on sait également par ailleurs que plusieurs passagers clandestins furent signalés à l’arrivée à La Nouvelle-Orléans. Il s’agissait parfois de fiancés ayant réussi par ce moyen à rester avec la famille de leurs promises acadiennes101.
41Winzerling laisse entendre que le gouvernement français était « chagriné » par les départs de 1785 et que d’Asprès affrétait les navires plus ou moins en secret. Winzerling ajoute que le ministère français interdit tout nouveau départ des Acadiens vers la Louisiane lorsqu’il apprit le succès des établissements dans les bayous102. Le même auteur affirme également que de nombreux autres Acadiens souhaitaient émigrer en Louisiane et que d’Asprès ne put permettre à tout le monde de s’embarquer. Ces affirmations me paraissent erronées, tant en ce qui concerne l’interdiction d’émigrer qu’en ce qui a trait à l’empressement des Acadiens103. De nombreux documents montrent au contraire l’hésitation des Acadiens jusqu’à la dernière minute, ou leur détermination à passer dans d’autres lieux. Ainsi, une lettre du subdélégué de Saint-Malo, écrite le jour même du départ du Bon Papa, le 10 mai 1785, évoque ces Acadiens qui « changent d’avis tous les jours : tantôt ils disent d’une manière et puis d’une autre104 ». Par ailleurs, peu de temps après l’embarquement général de tous les Acadiens devant émigrer vers la Louisiane, on recense diverses requêtes, provenant d’autres réfugiés, sollicitant un passage non pas en Louisiane mais dans l’Amérique septentrionale, aux États-Unis ou à Boston. Le 4 septembre 1785, l’intendant de Bretagne informe Blondel que « la plupart de ceux qui restent [à Morlaix] demandent à s’en retourner dans l’Amérique septentrionale105 ». C’est très probablement à cette requête que fait allusion l’Acadienne Anne-Suzanne Richard dans une lettre écrite à cette époque106. Cette demande semble avoir été prise en compte tardivement par l’administration française. Ainsi, ce n’est qu’en mai de l’année suivante que Blondel y répond en précisant qu’elle « n’est point facile à accueillir », car, en supposant que le ministre donne l’autorisation aux réfugiés de passer en Louisiane, il n’en reste pas moins que « les Américains ne les demandent point et ne proposent pas de les emmener chez eux comme les Espagnols ont demandé les Acadiens et les ont transportés à leurs frais à la Louisiane107 ». Le mois suivant, le Contrôleur général suggère au ministre des Affaires étrangères d’autoriser les Acadiens à émigrer à leurs frais vers les États-Unis108, ce que Vergennes accepte à la fin de juillet 1786109. La permission demandée par plusieurs autres Acadiens restés en France de retourner vers Saint-Pierre et Miquelon sera également acceptée quelque temps plus tard110. De fait, un certain nombre de réfugiés migrèrent après 1785 vers d’autres destinations que la Louisiane : c’est ainsi qu’on recense par exemple le passage de plusieurs familles acadiennes de Pleudihen, à proximité de Saint-Malo, pour rejoindre leur parenté à Pomquet, en Nouvelle-Écosse, au printemps 1788111. Plusieurs rejoignent également ultérieurement la Louisiane112.
42Le nombre exact d’Acadiens partis vers la Louisiane varie légèrement en fonction des sources, selon que l’on prend les listes d’embarquement ou celles de débarquement en Louisiane, si l’on compte les passagers clandestins ou non, morts durant le voyage, et les quelques passagers non acadiens. Au total, cependant, ce sont près de 1 600 Acadiens qui passent en Louisiane en 1785, sur sept navires qui lèvent l’ancre des ports français entre le 10 mai et le 15 octobre 1785113. S’il ne semble pas que la plupart de ces Acadiens aient finalement trop rechigné à s’embarquer, il n’en reste pas moins évident qu’un grand nombre d’entre eux sont restés défiants vis-à-vis du projet jusqu’au départ et que plusieurs souhaitaient avant tout retourner en Acadie ou à proximité plutôt que de s’expatrier sous des climats jugés dangereux. Pour ces Acadiens, une nouvelle vie allait commencer. Une fois dans la colonie, ils furent conduits sur des terres à défricher, on leur accorda une paye et des outils pour cultiver et se construire des maisons. Mais cela est bien sûr une autre histoire114.
La Révolution
43Après le départ de 1785, le gouvernement français continue à se préoccuper, de loin en loin, des réfugiés. Nous avons évoqué, plus haut, quelques mesures prises en leur faveur vers 1786. Certains continuent également à toucher des secours. Les rescapés du « Grand Dérangement » sont cependant alors dispersés dans l’ouest de la France et cessent d’exister en tant que groupe. Le gouvernement ne répond donc plus qu’à des requêtes individuelles, mais cesse dès lors de se préoccuper de l’intégration de ces individus. Il est toutefois intéressant de noter que, sous la Révolution, les « habitants de l’Amérique septentrionale » ne sont pas oubliés. À la suite des pétitions d’Acadiens et de Canadiens dès le 10 septembre 1790, la décision est prise de leur continuer les secours115. Leur situation est débattue au sein du comité des pensions et une loi est votée en leur faveur116. Cette loi officialise la situation des réfugiés et prévoit également le recensement, dans tous les départements de France, de l’ensemble des « habitants de l’Amérique septentrionale » qui désigne dorénavant les Canadiens et les Acadiens ensemble. Des listes sont renvoyées par les préfets de tout l’hexagone117. Il est difficile d’évaluer si ces secours ont été effectivement distribués, et pendant combien de temps. Martin estime que la loi n’est probablement suivie « d’aucun effet », mais de nombreuses lettres de réclamations d’arriérés témoignent que des secours furent probablement versés, même très irrégulièrement118.
44Les secours sont continués sous la Convention qui s’intéresse à plusieurs reprises au sort des réfugiés de diverses colonies et vote au moins deux lois en leur faveur119. À la suite d’une nouvelle pétition, l’Assemblée accorde aux Acadiens et Canadiens de cumuler les pensions des fonds de la Marine et celles qui leur sont versées à titre de réfugiés des colonies120. E. Martin a retrouvé plusieurs autres décrets de l’Assemblée législative, de la Convention et du Directoire relatifs au même objet121.
45Sous le Directoire, on retrouve dans les procès-verbaux du Conseil des Cinq Cents plusieurs textes concernant les secours aux « réfugiés des colonies », même s’il n’est pas toujours possible de savoir si les Acadiens sont concernés ou non par ces mesures : tout indique qu’ils devaient être concernés, mais, chaque fois que leur cas est évoqué, ils semblent être traités à part. Ainsi, en septembre 1797, le Directoire déclare « que diverses difficultés survenues à propos du mode de paiement des secours dus aux Acadiens et Canadiens en ont, jusqu’à ce jour, différé le paiement, mais qu’il est temps de rassurer les bénéficiaires122 ». Ces mesures ne font pourtant pas cesser les pétitions. Ainsi, le 9 Floréal, an VII : « Un membre, au nom d’une commission spéciale, rend compte d’une pétition que les Acadiens et Canadiens réfugiés ont présentée, par laquelle ils demandent que les secours qui leur ont été assurés par la loi du 25 février 1791 leur soient payés ». La commission recommande de remettre à jour un tableau des Acadiens et Canadiens bénéficiant ou devant bénéficier de ces secours. En fait, la politique des assemblées révolutionnaires s’inscrit dans la continuité de celle du gouvernement précédent. Les secours prennent force de loi, mais ils sont toujours aussi irrégulièrement concrétisés123. Le versement des aides continue en tout cas bien au-delà de la période révolutionnaire, comme en témoignent des mesures prises sous le consulat124, sous la Restauration125, des lettres de réclamation écrites sous Louis-Philippe et même un projet de loi, déjà évoqué plus haut, en 1884126.
Bilan
46L’objectif de ce travail était d’analyser trois aspects de l’intégration des Acadiens en France au siècle des Lumières : l’attitude du gouvernement, celle des réfugiés eux-mêmes, et enfin ce qu’on peut appréhender de la réalité de leur (ré)insertion dans la société d’Ancien Régime.
47Quelle fut l’attitude du gouvernement devant cette situation inédite à l’époque ? Il convient de noter en premier lieu la volonté tardive et limitée d’intégrer et d’assimiler les colons rapatriés en France. Dans les préconceptions de l’époque, les colons sont des citoyens de l’outre-mer habitués aux grands espaces et destinés à y retourner. Choiseul pense avoir trouvé des colons parfaits pour ses nouveaux projets : dociles, patriotes et de surcroît parlant français ; une véritable aubaine à une époque où il y a pénurie de volontaires à l’expatriation vers des horizons lointains, redoutés et honnis par les peuples de France. Les Acadiens sont jugés parfaitement adaptés à la mission civilisatrice qui leur est dévolue : le peuplement des restes de l’Empire par des Européens d’origine. Versailles était donc initialement déterminé à renvoyer les Acadiens hors de métropole, et par conséquent n’envisageait aucunement de les assimiler en Bretagne ou dans d’autres provinces. « Assimiler » est d’ailleurs clairement anachronique pour l’époque. On constate dès lors que le gouvernement favorise le regroupement des Acadiens : si l’on veut les renvoyer hors de la métropole, il faut éviter qu’ils tissent des liens avec les populations des régions du refuge, liens qui pourraient les empêcher de se rendre là où le gouvernement a besoin d’eux. Les ministres successifs favorisent donc les mariages entre réfugiés et laissent les familles éparses reconstituer progressivement une communauté.
48Après la paix de 1763, cependant, les exilés rechignent à repartir dans les lieux où Choiseul veut les envoyer, au grand dam de ce dernier. Après l’échec de la désastreuse tentative de peuplement de la Guyane, qui met fin aux ardeurs colonisatrices du principal ministre de Louis XV, les ministères en charge des réfugiés continuent à former de grands projets pour les Acadiens, toujours perçus de manière positive en raison des conceptions populationnistes de l’époque. On leur assigne donc une nouvelle mission, conforme à l’horizon indépassable déterminé par leur statut de colons et les idées physiocratiques en vogue dans la seconde moitié du siècle qui compte la richesse au nombre d’hommes : celle de défricher une France ayant toujours besoin de sang neuf. Ce sang neuf doit être apporté par ce peuple pieux et courageux, venu d’un pays où le climat tempéré et la nature généreuse – selon les idées rousseauistes – avaient profondément adouci les mœurs et réformé le cœur des hommes. Le roi forme donc le dessein d’attacher les Acadiens à la terre du royaume, en les laissant toujours groupés : à ce moment-là non plus, en effet, on ne décèle pas de volonté d’assimilation des réfugiés au sein des populations locales. Il ne s’agit pas de les mélanger aux paysans français qui risquent de corrompre leurs mœurs pures apportées d’Amérique. Par ailleurs, plus généralement, la France était constituée à l’époque d’une mosaïque de peuples vivant selon des coutumes diverses, portant des costumes variés, vivant dans des habitations dissemblables, parlant même des langues différentes. « Assimiler » les réfugiés aurait donc signifié non pas les transformer en « Français », mais plutôt en Bretons ou Poitevins. On ne retrouve guère, pour cette époque et pour les Acadiens, de volonté d’uniformisation comme on en retrouvera par la suite pendant la période révolutionnaire. Par ailleurs, les Acadiens étaient apparemment considérés comme authentiquement « Français » : ils parlaient la langue officielle du royaume mieux que beaucoup de métropolitains ; ils pratiquaient tous la religion catholique quand une minorité d’habitants du pays s’obstinaient à rester protestants ; enfin, ils paraissaient plus patriotes que les authentiques originaires français à un moment où la France, prise d’anxiété après la guerre de Sept Ans, se considère en déclin127. Bref, assimiler les Acadiens ne figura pas parmi les projets de Versailles avant une époque tardive.
49En revanche on note progressivement la résistance et l’irritation de quelques administrateurs à l’organisation des Acadiens en un « corps de nation », sorte de syndicat créé par ces derniers à l’imitation des corps de marchands des villes portuaires où ils séjournent et empruntant peut-être la rhétorique des opposants à la réforme de Maupeou. Ces administrateurs, Lemoyne en tête, suggèrent fortement le démembrement du corps, soit la dispersion des Acadiens, comme solution afin de mettre un terme à la résistance aux ordres venus de Versailles. Ce que préconisent ces fonctionnaires trouve un écho particulier au moment où Turgot s’efforce de bannir les corporations, en 1776. Necker rebondit en effet sur les propositions de Lemoyne à partir de 1778, et reprend à son compte l’argument selon lequel l’organisation des Acadiens en corps de nation contribue à leur donner de l’assurance et à les rendre impertinents. Necker espère que les réfugiés, dispersés, noyés dans la masse, cesseront de poser problème et de réclamer un établissement ou des secours. C’est à cela que se limiteront les directives gouvernementales en matière d’assimilation, si l’on ose utiliser ce terme ; le programme de Necker restera de surcroît lettre morte, faute d’une volonté politique suffisante face à la résistance des Acadiens et à quelques obstacles mineurs.
50L’autre facette de la politique du gouvernement consiste en la distribution de secours aux réfugiés. Ceux-ci furent conçus initialement comme une mesure d’urgence, puis comme une aide destinée à leur permettre d’attendre un renvoi dans les colonies ou sur des terres du royaume. Il ne s’agit donc pas là encore à proprement parler d’une politique d’intégration. Cependant, au-delà des raisons communément avancées par l’administration pour justifier la solde, il ne fait pas de doute que les distributions de subsides furent également progressivement conçues comme devant permettre aux Acadiens de s’insérer économiquement et socialement. Vers le milieu des années 1770, en effet, on reproche à ces derniers de manière feutrée, au sein des ministères, de n’avoir pas mis à profit la solde de six sous pour devenir autonomes et cesser de réclamer toujours davantage d’aides, bien qu’à cette date certains réfugiés étaient sans doute relativement bien insérés dans le tissu économique de leur lieu de résidence. Ces reproches traduisent en fait surtout l’irritation croissante des administrateurs face au problème soulevé par ces réfugiés et l’espérance désabusée de voir la difficulté se résorber d’elle-même grâce au modeste effort financier consenti. En outre, ils n’adressent pas ni ne remettent en cause une directive de Berryer ayant certainement contribué, plus que la solde à proprement parler, à « l’indolence » supposée des réfugiés : l’interdiction de cumuler les six sous par jour avec un emploi rémunéré. Cette mesure contre-productive coûte fort cher à long terme. Dans ce domaine comme dans celui de l’organisation spatiale des Acadiens, Necker fut encore une fois celui qui agit avec le plus de détermination : il réduisit la solde de six à trois sous et s’insurgea contre le fait que des gens valides et en état de travailler continuent à réclamer des secours. Son action traduit une évolution perceptible des consciences : alors que la solde est conçue en grande partie, sous le règne de Louis le Bien-Aimé, comme une « charité » qu’il y aurait « inhumanité » à supprimer, le mot même de « charité » deviendra progressivement « infâme », pour reprendre une formule de Voltaire. Necker se situe sur un autre registre : il reconnaît aux Acadiens un droit à l’assistance, mais ne peut accepter que ce qu’il est le premier à définir comme de l’argent public, « fruit de la sueur des Français », soit distribué à des hommes valides en état de travailler. Il suggère donc, à l’instar des Ateliers de charité, un autre modèle d’assistance et d’intégration, par le travail, sans toutefois donner aux réfugiés en difficulté les moyens de réaliser ce louable dessein.
51Bref, si le gouvernement s’est préoccupé, de loin en loin, de l’intégration économique des Acadiens, il apparaît clairement qu’il n’a jamais été soucieux de promouvoir la mixité sociale et culturelle dans le royaume, les velléités de Necker s’apparentant davantage à des mesures coercitives qu’à un projet politique élaboré. En revanche, en raison notamment de considérations populationnistes très marquées, l’État a souhaité conserver les réfugiés en France ou dans les extensions de la métropole que sont les colonies. De ce point de vue, l’émigration vers la Louisiane marque effectivement un revers indubitable pour Versailles.
52Les déportés du Grand Dérangement ont-ils, pour leur part, voulu s’intégrer en France ? L’arrivée en France a été subie plutôt que choisie par les Acadiens. Il est ensuite difficile de reconstituer les désirs de ces derniers. Voulaient-ils rester en métropole ou repartir ? De nos recherches se dégage l’impression qu’ils envisagent tous, au moins dans un premier temps, de s’expatrier pour la destination qu’on leur aurait indiquée ou qu’on leur aurait imposée. En d’autres termes, les Acadiens semblent alors avoir été relativement résignés sur leur sort. On observe toutefois dès le début du séjour en France des résistances à chaque velléité du gouvernement de les déplacer, ce qui pourrait impliquer un désir de rester en métropole. Il s’agit plus probablement d’une réaction aisément compréhensible : ayant été déplacés de force et dans des conditions extrêmement pénibles occasionnant souvent la mort, la plupart des réfugiés souhaitaient avant tout ne pas être à nouveau transportés, souvent au péril de leur vie, hors de leur ville de refuge, si ce n’est, peut-être, pour retourner sur les lieux de leur enfance, ce qui ne leur fut jamais proposé. Probablement pour les mêmes raisons, on observe parmi les réfugiés et tout au long de la période 1758-1785 des divisions profondes sur la destination envisagée pour la nouvelle émigration. En effet, alors que la majorité paraît avoir souhaité retourner en Acadie ou à défaut aux îles Saint-Pierre et Miquelon, cela jusqu’au moment même de l’embarquement vers la Louisiane (la plupart des réfugiés se sont sans doute décidés au dernier moment, par pragmatisme), d’autres ayant sans doute davantage de flair politique militaient depuis le début des années 1770 en faveur du Mississippi.
53Il est également tentant d’interpréter le regroupement des Acadiens, par exemple dans la région de Saint-Malo ou au moyen de mariages endogames, comme un refus de s’intégrer. Ces regroupements sont indubitablement le fait d’une volonté délibérée des réfugiés. Pour les proscrits de 1755-1758, la douleur de l’éloignement fut accentuée par la dispersion des familles élargies, mettant un terme aux solidarités d’avant la déportation et isolant parfois des individus loin de toute leur parenté. Les Acadiens ont donc cherché à renouer des liens en priorité avec des membres de cette famille élargie se trouvant en exil au même endroit qu’eux, ou à défaut avec des compatriotes susceptibles de les accompagner lors d’un retour espéré en Acadie. Mais comment isoler les liens familiaux des sentiments d’appartenance ou des affinités communautaires ? Quelle fut également l’importance relative des facteurs externes pour expliquer les regroupements ? Quand bien même les Acadiens auraient ardemment souhaité vivre entre eux, cela signifierait-il pour autant un refus de s’intégrer ou de se mélanger aux autochtones bretons ? Rien n’est moins sûr. Si le rassemblement favorise indubitablement les solidarités internes et la défense des intérêts communs, il n’empêche pas les contacts avec le monde extérieur et, à terme, l’assimilation.
54Finalement, le refus de s’intégrer des Acadiens ne me paraît pas démontré, ni, en l’état actuel des recherches, démontrable. « Assurons-nous bien du fait avant de nous inquiéter de la cause », mettait en garde Fontenelle à la fin du XVIIe siècle. Chercher à comprendre pourquoi les Acadiens n’ont pas voulu s’intégrer en France expose au risque de « chercher la cause de ce qui n’est point ». Plusieurs auteurs sont convaincus de l’absence de volonté d’intégration des Acadiens en raison du départ vers la Louisiane, tendant à démontrer que les réfugiés n’ont pas voulu rester en France. Mais ce départ ne prouve pas de manière indiscutable le souhait des Acadiens d’émigrer. Comme nous avons pu l’établir à partir de documents inédits, il n’était pas écrit d’avance : la perspective de passer dans le Mississippi divise profondément les exilés, n’emporte l’adhésion que d’une partie d’entre eux ; il est d’ailleurs possible que les Acadiens aient été menacés de mesures de rétorsion s’ils ne s’embarquaient pas. Sans les manœuvres plus ou moins honnêtes de Peyroux de la Coudrenière, rien ne permet d’affirmer que le départ aurait eu lieu.
55Certains interprètent en outre le départ vers la Louisiane comme la preuve que les Acadiens étaient animés de sentiments « identitaires » très marqués, qui les auraient conduits à rejeter la France et ses habitants en raison d’une prétendue incompatibilité culturelle. Comme on l’a vu ci-dessus, des différences que notre époque contemporaine qualifie de « culturelles » entre les Acadiens et les populations locales existaient inévitablement, mais étaient-elles importantes à leurs yeux et n’apparaissaient-elles pas comme des éléments de second plan ? La revendication d’une « acadianité » avant l’arrivée en France ne me paraît pas démontrée. Sans doute un tel sentiment se forme-t-il ou prend-il de l’importance au cours du séjour en France : l’organisation de la communauté en un « corps de nation », à partir des années 1770, témoigne certainement de la prise de conscience d’intérêts communs et du fait de former un groupe « étranger » en France. Le fait d’avoir partagé la même expérience traumatisante de la déportation contribue à souder le groupe. Mais, dans un même temps, il ne faudrait pas négliger d’autres aspects qui revêtaient une importance au moins aussi grande que ces aspects. La religion catholique notamment semble avoir été particulièrement importante pour les Acadiens et contribue indéniablement à les rapprocher des habitants des lieux où ils trouvent refuge. La satisfaction de pouvoir continuer à pratiquer leur religion est évoquée dans pratiquement toutes les pétitions acadiennes de l’époque, mais cet aspect est écarté par bon nombre d’historiens qui préfèrent insister sur l’identité culturelle ou « nationale » mal définie et qui n’apparaît, même en filigrane, que très rarement. « Prenons donc le parti de notre religion », écrivent des Acadiens en Angleterre à leurs frères dispersés dans les colonies américaines128. Dans plusieurs autres lettres privées, la possibilité de pratiquer la religion romaine est évoquée comme un facteur positif, ce qui n’empêche certes pas de regretter le pays natal129. Affirmer que le départ vers la Louisiane fut principalement dû à une incompatibilité culturelle me paraît donc devoir être rangé au rang des opinions non démontrées. En réalité les Acadiens furent largement réticents à l’idée d’émigrer vers la colonie espagnole, et doivent leur départ aux agissements louches du Français Peyroux de la Coudrenière.
56Que penser, maintenant, de l’intégration sociale et économique des Acadiens dans les villes où ils trouvèrent refuge ? En raison de l’incertitude concernant la durée de leur séjour en France, d’un chômage endémique, et peut-être de la défiance de certains patrons locaux, il semble que beaucoup d’Acadiens aient été en partie exclus ou marginalisés sur le marché du travail, dans un premier temps au moins. Plusieurs paraissent en effet avoir exercé des métiers précaires et peu rémunérés, situation attribuable à l’absence d’organisation corporative en Acadie qui handicape certainement les réfugiés, lesquels ont beaucoup de difficulté à accéder au compagnonnage ou à la maîtrise. La déchéance sociale contribua indubitablement au mécontentement d’au moins une partie des Acadiens, notamment ceux ayant eu l’habitude d’un statut reconnu et valorisé et de meilleures conditions de vie dans l’ancienne Acadie. Les sources, principalement administratives, que nous avons compulsées introduisent cependant un biais dans la représentation que l’on peut se faire des conditions de vie et de travail des réfugiés, puisque les catégories les plus en difficulté sont surreprésentées. À la fin de la période, cependant, plusieurs Acadiens ont réussi à tirer leur épingle du jeu : c’est ce dont témoigne par exemple la certaine aisance à laquelle Basile Henry et Olivier Terriot, à Nantes, et peut-être Joseph Devau, à Paris, sont parvenus vers 1780.
57D’autre part, du point de vue de la répartition géographique, il est quasiment impossible de savoir si les Acadiens se mélangeaient au reste de la population. Certes, nous avons pu constater qu’ils restaient groupés dans des zones relativement restreintes aux alentours de la Rance, dans le Poitou, puis à Nantes. Mais, si l’on prend comme exemple Saint-Servan, ville de la région où se trouvaient sans doute le plus grand nombre d’Acadiens, il ne semble pas que les réfugiés vivaient regroupés à l’intérieur d’un seul et même quartier. Ils étaient sans doute dispersés parmi d’autres habitants du lieu et n’avaient d’ailleurs certainement pas ou peu le choix de l’endroit où loger. À Nantes aussi ils sont clairement répartis dans diverses parties de la ville, même s’ils sont plus concentrés dans certains quartiers et il ne semble pas y avoir eu de ségrégation particulière. En revanche, les Acadiens furent logés de manière le plus souvent précaire et insalubre. Très peu possèdent leur propre maison et la plupart sont contraints de cohabiter avec les propriétaires ou avec plusieurs autres familles dans un même appartement.
58Quels étaient les rapports des Acadiens avec les populations locales ? Pratiquement tout ce qu’on peut appréhender à ce sujet provient de l’étude des dossiers de contrebande de tabac, et c’est très maigre. Le peu qu’il est possible d’entrapercevoir par ce biais donne cependant l’impression que les contacts devaient être relativement fréquents et nombreux et qu’il n’y a pas eu d’ostracisme particulier à leur encontre. À ce sujet, il est probable que le fait de fréquenter les mêmes églises que les gens de la localité et d’être connus et recommandés par les prêtres sur place ait puissamment contribué à l’intégration des Acadiens dans le tissu social local. Rien ne permet d’affirmer, en tout cas, qu’ils furent victimes de l’hostilité des populations, sauf dans le cas très particulier de Belle-Île-en-Mer, où l’animosité n’a d’ailleurs pas persisté. Au final, si l’intégration des Acadiens les plus durement touchés par la déportation fut certainement très incomplète, plusieurs de ceux de la génération née en France notamment, ont réussi vers le début des années 1780 à acquérir une certaine aisance. Vers cette date, un grand nombre d’Acadiens semblent relativement bien intégrés et sur la voie de l’assimilation.
59Comment, alors, expliquer le départ des Acadiens vers la Louisiane ? Il semble en grande partie fortuit : après la mort de Jean-Jacques LeBlanc à Nantes en 1781, il apparaît que la destination louisianaise rassemblait encore moins de candidats parmi les Acadiens que du vivant de ce dernier, principal promoteur de cette émigration. La plupart des réfugiés sont à cette date relativement peu enclins à reprendre la mer pour une traversée périlleuse et vers des rivages inconnus. Certains souhaitent, eux, retourner en Amérique septentrionale, à Boston ou en Acadie. Sans Peyroux, il est très peu probable qu’autant d’Acadiens auraient choisi de repartir vers La Nouvelle-Orléans en 1785. Le but n’était évidemment pas ici de faire de l’histoire fiction mais de remettre en cause la doxa suivant laquelle l’émigration vers la Louisiane était écrite d’avance, et l’intégration des Acadiens, nécessairement vouée à l’échec.
Notes de bas de page
1 Les résultats de cette étude sont présentés dans l’annexe 5 du tome II de ma thèse.
2 Ainsi voit-on à un moment ceux parmi les Acadiens de Nantes qui veulent repartir, en Acadie ou en Louisiane, s’allier contre ceux qui souhaitent accepter l’établissement de Corse (selon un mémoire de juin 1778 déjà évoqué : 1778-06-00 ; MAE, Mém. et doc., Angleterre, 47, fo 18-28, pièce 7).
3 La plus grande partie des Acadiens étaient déjà rembarqués de Saint-Pierre en octobre 1767, sur ordre de Choiseul, à cause d’une prétendue surpopulation de l’île. Une partie d’entre eux repassèrent alors en Acadie, tandis qu’une majorité allaient grossir les rangs des réfugiés des ports du royaume. Environ 300 Acadiens retournèrent dans l’archipel dès l’année suivante, mais furent à nouveau déportés en 1778 à l’occasion de la nouvelle guerre franco-anglaise. Sur l’histoire tourmentée de cet archipel, voir Michel Poirier, Les Acadiens aux îles Saint-Pierre et Miquelon, op. cit.
4 Les Acadiens de Saint-Malo obtinrent finalement eux aussi l’accord du roi de France de passer à Boston en 1786 (1786-07-28 ; AD Ille-et-Vil. C 2453). Mais, le gouvernement français se refusant à payer les frais de transport, il semble qu’un nombre limité d’Acadiens soient alors passés en Amérique. Paul Delaney, « Chronologie des déportations et migrations des Acadiens (1755-1816) », Cahiers de la Société historique acadienne, 36, 2-3, été 2005, p. 51-136.
5 C. Hodson, Refugees, op. cit. ; Émile Lauvrière, La Tragédie d’un peuple, op. cit. ; M.A. Menier, E. Taillemite, G. de Forges, Inventaire des Archives coloniales. Correspondance à l’arrivée en provenance de la Louisiane, tome II, Paris, Archives nationales, 1983 ; 1765-02-25, 1765-04-30a, 1765-04-30b ; 1766-04-20 (AN Marine B3, vol. 568, fo 319ss) ; 1766-08-12a (AN Marine B3, vol. 568, fo 317).
6 1766-04-20; AN Marine B3, vol. 568, fo 319ss.
7 1766-09-13; AN Col B, vol. 125, fo 450 vo.
8 Carl A. Brasseaux, « Phantom Letters : Acadian Correspondence, 1776-1784 », op. cit.
9 Émile Lauvrière, La Tragédie d’un peuple, op. cit., 1924, tome II, p. 209.
10 M.A. Menier et autres, Inventaire des Archives coloniales. Correspondance à l’arrivée en provenance de la Louisiane, tome II, op. cit., p. 593.
11 Juste avant la révolte de 1768, Le Loutre fait une allusion à ses démarches auprès du ministre de la Marine et du Contrôleur général pour obtenir soit un établissement en France, soit l’autorisation de laisser partir les Acadiens pour se donner à l’Espagne, allusion probable à la Louisiane (Joseph-Marie Lanco, « Les Acadiens à Belle-Île-en-Mer », op. cit.). Le Loutre explique ultérieurement que le ministre a toujours refusé aux Acadiens l’autorisation sollicitée (1771-05-00a ; BM Bordeaux, Ms 1480, fo 36-44).
12 1772-03-24; BM Bordeaux, Ms 1480, fo 89-90.
13 1772-11-22; id., fo 217-219.
14 1773-07-22a; id., fo 383-394. Un mois plus tard, Lemoyne écrit que des Acadiens veulent aller en grand nombre à Saint-Domingue, à Miquelon, au Mississippi (1773-08-16a ; id., fo 423-425).
15 1775-08-30b; AD Vienne 2 J dép. 22, art. 124-1; 1775-11-26b; AD Vienne 2 J dép. 22, art. 124-1. Pérusse cherche surtout à créer des problèmes à l’Acadien.
16 1778-01-04 ; AD Ille-et-Vil. C 6176. Les instructions de Necker sont alors de disperser les Acadiens dans le royaume. LeBlanc et une vingtaine de familles s’opposent au projet et demandent à aller en Louisiane ; 90 familles (450 individus) veulent rester à Nantes, 40 familles (200 individus), à Saint-Pierre et Miquelon, 35 familles (160 personnes) veulent retourner à Saint-Malo, 90 familles souhaitent aller en Guyane, et enfin quelques familles demandent à aller au Havre, rester à Paimbœuf, ou attendent le retour d’un conjoint parti en mer pour se décider.
17 1777-10-17; AN Col B, vol. 161, fo 429.
18 1778-01-00 ; MAE, Mém. et doc, Angleterre, 47, fo 18-28, pièce 7.
19 1782-04-05 ; AN F15 3495.
20 1778-06-00 ; MAE, Mém. et doc, Angleterre, 47, fo 18-28, pièce 7.
21 1782-04-05 ; AN F15 3495.
22 Poirier, Les Acadiens aux îles Saint-Pierre et Miquelon, 1758-1828, Éditions d’Acadie, 1984.
23 1782-11-30 ; AM Nantes, BB 107 (registres de délibération du conseil municipal de Nantes, fo 177 vo).
24 1798-03-17 ; Mémoire d’Olivier Terriot, AGI.
25 Acte de mariage du 22 juillet 1777, retrouvé par G. M. Braud à Nantes (communication personnelle). Dans cet acte Peyroux déclare être âgé de 34 ans, et son origine noble est affirmée. L’acte atteste que Peyroux est né à Mortagne sur Sèvre. L’intendant de Bretagne déclare au Contrôleur général que Peyroux « n’est point Acadien » (1784-07-05 ; MAE Corresp. Pol., Espagne, vol. 613, fo 232) et que son épouse, Prudence Rodrigue, est native de Nantes.
26 Fabrice Abbad, « Des Nantais au service du roi d’Espagne : l’émigration acadienne en Louisiane en 1785 », Le Canada atlantique. Actes du Colloque de Nantes, 15-16 octobre 1982, Nantes, Association française d’études canadiennes, 1982, p. 95-104.
27 1784-07-05 ; MAE Corresp. Pol., Espagne, vol. 613, fo 232.
28 1784-03-07b ; id.
29 1784-07-05 ; MAE Corresp. Pol., Espagne, vol. 613, fo 232 ; 1784-09-13 ; AHN (Madrid), li 3885, no 3, expediente 13 de la section Estado, fo 34.
30 1782-00-00 ; AHN (Madrid), li 3885, no 3, expediente 13 de la section Estado.
31 1800-09-27; AGI, PPC, legajo 217B, fo 112-113.
32 1784-07-18 ; AGI, PPC, legajo 197, fo 958 ; Olivier Terriot et Marie Aucoin se marient après avoir obtenu une dispense de consanguinité donnée par l’évêque de Nantes en 1777 (Robichaux, The Acadian Exiles in Nantes 1775-1785, Harvey, Louisiana, chez l’auteur, 1978) ; 1798-03-17 ; Mémoire d’Olivier Terriot, AGI. Selon une information de G. M. Braud, il est possible qu’Olivier Terriot ait été formé en partie dans un séminaire breton, ce qui expliquerait sans doute le fait qu’il soit lettré et d’un statut social plus élevé que la moyenne de ses compatriotes.
33 1798-03-17 ; Mémoire d’Olivier Terriot, AGI.
34 1783-07-12 ; MAE, Corresp. Pol., Espagne, vol. 611, fo 34.
35 1783-07-12 ; id.
36 1783-08-08 ; AGI, PPC, legajo 197, fo 952.
37 1783-08-11 ; MAE Corresp. Pol., Espagne, vol. 613, fo 232.
38 1783-08-22 ; id.
39 1784-01-24; AGI, PPC, legajo 197, fo 953. Il s’agit selon toute vraisemblance d’une allusion à Benjamin Franklin, qui était alors en mission ambassadrice en France. Cette lettre est le seul document qui fasse allusion à des tractations entre les Acadiens et Franklin.
40 1784-03-07b ; AHN (Madrid), li 3885, no 3, expediente 13 de la section Estado, fo 11.
41 RAPC 1905-II, p. 227-228. Cette pétition est très curieuse car les Acadiens laissent entendre que le gouvernement leur a offert d’aller au choix en Louisiane, dans le Mississippi, dans la Floride espagnole, ou « une contrée du continent de Boston ». Si l’authenticité de cette pétition ne semble pas douteuse, il n’en reste pas moins très improbable que le gouvernement français ait proposé aux Acadiens d’aller à Boston, à moins que les Acadiens aient ajouté foi à des rumeurs semblables à celles qui circulent à Nantes, dont nous avons dit que nous n’en connaissons pas l’origine mais qu’elles se révélaient être fausses (cf. la lettre de Peyroux à Hérédia du 1784-03-07b ; AHN (Madrid), li 3885, no 3, expediente 13 de la section Estado, fo 11). La demande des Acadiens de Saint-Malo de passer à Boston ou en Acadie est également attestée dans une lettre privée de Marguerite Landry.
42 1784-03-07b ; AHN (Madrid), li 3885, no 3, expediente 13 de la section Estado, fo 11.
43 1784-03-07b ; id.
44 1784-03-07b ; id.
45 1784-03-22 ; MAE, Corresp. Pol., Espagne, vol. 612, fo 240.
46 1784-03-22 ; id.
47 1784-03-24 et 1784-03-26c.
48 1784-03-26c ; AHN (Madrid), li 3885, no 3, expediente 13 de la section Estado, fo 11.
49 1784-04-04 ; MAE, Corresp. Pol., Espagne, vol. 612, fo 287.
50 1784-04-04 ; id.
51 1784-04-08 ; AHN (Madrid), li 3885, no 3, expediente 13 de la section Estado, fo 13.
52 En fait, seulement 31 si l’on compte les noms sur la pétition.
53 1784-04-08 ; AHN (Madrid), li 3885, no 3, expediente 13 de la section Estado, fo 13.
54 1784-04-08 ; id.
55 1784-03-31b ; MAE, Corresp. Pol., Espagne, vol. 612, fo 270.
56 1784-04-04a et b (RAPC 1905-II, p. 228 et MAE, Corresp. Pol., Espagne, vol. 612, fo 286).
57 1784-04-25 ; AN F15 3495. Cette décision autorise également le paiement des arrérages de solde pour un montant de 300 000 livres, dont 180 000 livres pour les seuls Acadiens de Nantes.
58 1784-04-27 ; MAE Corresp. Pol. Espagne vol. 612 (1784), fo 367.
59 1784-05-11 ; id., fo 21.
60 1784-05-16 ; AN F15 3495.
61 1784-04-27b ; AHN (Madrid), li 3885, no 3, expediente 13 de la section Estado, fo 16.
62 1784-05-27 ; MAE Corresp. Pol. Espagne vol. 613 (1784), fo 88 et 1784-05-27b ; AGI, PPC, legajo 197, fo 956 (lettres de Mme de la Coudrenière et d’Olivier Terriot).
63 Peyroux accuse violemment le subdélégué dans une lettre subséquente (1784-06-01 ; MAE Corresp. Pol. Espagne vol. 613 (1784), fo 107). L’intendant de Bretagne, mis en cause, prend la défense de Ballays dans une lettre au Contrôleur général (1784-07-05 ; MAE Corresp. Pol., Espagne, vol. 613, fo 232).
64 1784-06-26c ; MAE Corresp. Pol., Espagne, vol. 613, fo 109.
65 Cette pétition elle-même n’a pas été retrouvée.
66 1784-06-26a; id., fo 108.
67 1784-07-05; id., fo 232.
68 1784-07-08; AGI, PPC, legajo 197, fo 957.
69 1784-07-17 ; AHN (Madrid), li 3885, no 3, expediente 13 de la section Estado, fo 21.
70 1784-07-18; AGI, PPC, legajo 197, fo 958.
71 1784-08-01; id., fo 959.
72 C’est-à-dire la solde de 3 ou 6 sous par jour.
73 1784-08-00 (extrait du mémoire d’Olivier Terriot). L’époque exacte de cette mésaventure n’est pas connue. Deux documents évoquent cet épisode (1798-03-17 ; Mémoire d’Olivier Terriot, AGI et 1792-04-02 ; AGI, PPC, legajo 197, fo 968). Les faits remontent probablement à l’été 1784, après le 1er août.
74 1784-08-10 ; AHN (Madrid), li 3885, no 3, expediente 13 de la section Estado, fo 23.
75 François Daigle, Nicolas Albert, François Arebout, Charles Naquin (1784-07-27 ; MAE Corresp. Pol., Espagne, vol. 613, fo 334).
76 1785-09-04b ; AD Ille-et-Vil. C 2453.
77 1798-03-17 ; Mémoire d’Olivier Terriot, AGI. Le nombre officiel d’Acadiens passés en Louisiane est évalué dans des documents espagnols à 1574 puis 1596 (1785-10-06 ; AHN (Madrid), li 3885, no 3, expediente 13 de la section Estado, fo 63). Le nombre réel de personnes embarquées est faussé par quelques passagers clandestins.
78 Voir par exemple l’autorisation d’émigration du 1784-05-11b ; AGI, PPC, legajo 197, fo 955. Par ailleurs, Calonne, Contrôleur général, écrit explicitement après les premiers départs d’Acadiens que « les Acadiens restant en Bretagne […] continuent à jouir de la solde de trois sols » (1785-06-01b ; AD Ille-et-Vil. C 2453).
79 1784-08-16 ; AHN (Madrid), li 3885, no 3, expediente 13 de la section Estado, fo 25.
80 1784-08-16; id.
81 1784-12-19; AGI, PPC, legajo 197, fo 359-360.
82 Des rumeurs circulent selon lesquelles les rations alimentaires en Louisiane sont insuffisantes, les pluies et ouragans locaux ont rendu de nombreuses personnes malades, et plusieurs réfugiés ont été vendus comme esclaves. Les Acadiens voulaient également savoir si la solde leur serait continuée en Louisiane, et s’il serait possible de partir plutôt en été qu’au cœur de l’hiver (Winzerling, op. cit., p. 122).
83 On lit plus loin dans le même mémoire : « ceux de Nantes, […] paraissent divisés en deux partis, dont l’un a encore confiance dans les vues du gouvernement, et l’autre est toujours fort indécis dans ses résolutions » (Ernest Martin, Les Exilés acadiens, op. cit., p. 278).
84 1784-09-13 ; AHN (Madrid), li 3885, no 3, expediente 13 de la section Estado, fo 34. Voir également la lettre écrite trois jours après à Olivier Terriot, et qui contient des informations similaires (1784-09-16 ; AGI, PPC, legajo 197, fo 963). Peyroux commence par expliquer qu’il n’y a en France que 2 300 Acadiens au lieu de 3 000 et que plusieurs sont passés à Saint-Pierre et Miquelon ou « ont quitté furtivement ce Royaume ».
85 Effectivement, quelques jours plus tard, Peyroux fait suivre un « rôle des familles acadiennes du département de Bel-Isle [sic] », listant cinq familles (35 personnes) de l’île souhaitant émigrer en Louisiane (1784-09-17 ; AHN (Madrid), li 3885, no 3, expediente 13 de la section Estado, fo 36).
86 1784-09-27; AGI, PPC, legajo 197, fo 961.
87 1784-10-09; id., fo 962.
88 1785-04-05a ; MAE Corresp. Pol. Espagne vol. 616, fo 363.
89 1798-03-17 ; Mémoire d’Olivier Terriot, AGI.
90 1785-03-23; AGI, PPC, legajo 197, fo 965.
91 1785-03-23; id.
92 1784-09-27; id., fo 961.
93 1784-10-09; id., fo 962.
94 1785-04-19b; MAE Corresp. Pol. Espagne vol. 616, fo 403 et 1785-04-19c ; id., fo 407.
95 1785-04-19a ; MAE Corresp. Pol. Espagne vol. 616, fo 403.
96 1785-05-03 ; AD Ille-et-Vil. C 2453.
97 1785-05-12 ; id.
98 1785-05-20 ; id., C 2453.
99 1785-06-05 ; id., C 6176.
100 C’est notamment le cas d’une réfugiée de Morlaix dont la triste histoire est résumée sur un document ultérieur : « Magdeleine Granger, 50 ans, fille. Cette fille était du nombre des Acadiens destinés à passer à la Louisiane avec sa sœur, femme d’un homme fort pauvre de cette ville et trois enfants. Cette dernière ayant été débarquée avec sa famille par ordre du gouvernement motivé sur ce que son mari étant Français ne pouvait avoir part aux établissements qu’accordait l’Espagne, Magdeleine Granger revint avec elle ne pouvant à son âge envisager aucune ressource seule et isolée dans un pays étranger. Aujourd’hui qu’elle a perdu cette sœur elle se trouve chargée des trois enfants auxquels le père est hors d’état de donner les secours nécessaires. Elle demande avec instance la solde de 3 [ ?] s. n’ayant pour elle et ses trois pupilles que son travail et ne pouvant les abandonner pour reprendre l’état de femme de chambre qu’elle avait auparavant » (1786-08-04 ; AD Ille-et-Vil. C 2453).
101 Maurice Caillebeau, Les secours aux Acadiens pendant la Révolution française et leur intérêt pour la recherche généalogique (Ms non publié, CEA, Moncton, 588 – 1 – 1, 1978).
102 Oscar William Winzerling, Acadian Odyssey, op. cit., chapitre X, p. 152.
103 Concernant l’interdiction d’émigrer, Winzerling ne justifie son affirmation que par une lettre de d’Asprès du 24 décembre 1785 (d’Asprès à Aranda, Paris, 24 décembre 1785, Estado-Legajo 3885 [13], carta 70, AHN). Dans cette lettre le consul d’Espagne à Saint-Malo assure que, parmi près de 250 Acadiens revenus peu de temps auparavant de Miquelon, tous voudraient aller en Louisiane, mais que la cour de France leur aurait refusé la permission. Dans l’extrait cité par Winzerling, cependant, d’Asprès n’évoque que 70 Acadiens ayant effectué des démarches pour émigrer, démarches qui se heurtent à un refus. Je n’ai pour ma part retrouvé aucune mention de cette interdiction d’embarquer vers la Louisiane faite par Versailles à cette époque, et cela paraît d’autant plus curieux que plusieurs groupes d’Acadiens reçoivent l’autorisation, à peu près au même moment, d’émigrer vers les États-Unis, à leurs frais. En revanche, il est possible qu’il se soit agi d’une interdiction locale faite par le commissaire de Marine de la Rochelle, peut-être ignorant des ordres officiels.
104 1785-05-10b ; AD Ille-et-Vil. C 6176.
105 1785-09-04b ; id., C 2453.
106 1785-09-16 ; J. Baudry, Étude historique et biographique sur la Bretagne à la veille de la Révolution, à propos d’une correspondance inédite (1782-1790), Paris, H. Champion, 1905.
107 1786-05-06 ; AD Ille-et-Vil. C 2453.
108 1786-06-13 ; MAE Corresp. Pol., Espagne, vol. 620, fo 57.
109 1786-07-28 ; AD Ille-et-Vil. C 2453.
110 Dans le même dossier (AD Ille-et-Vil. C 2453), on trouve mention, en 1787, d’Acadiens demandant à passer aux frais du roi à Saint-Pierre et Miquelon. L’autorisation de passer à leurs frais leur est accordée, mais le passage gratuit leur est refusé, d’autant plus qu’il n’y a plus de place dans cette île pour des personnes supplémentaires. La permission de passer dans cet archipel, sollicitée à plusieurs reprises à cette période par divers Acadiens, fut dans un premier temps refusée à ceux de Cherbourg sous le prétexte qu’il n’y avait pas de travail pour eux (1785-08-13 ; AN Col B, vol. 189, fo 421). On constate que cette demande fut formulée au moment même des embarquements vers la Louisiane. On retrouve d’autres sollicitations de passages vers Saint-Pierre et Miquelon au cours de ces années (1785-07-13 ; 1787-02-14).
111 Paul Delaney, « Chronologie des déportations et migrations des Acadiens (1755-1816) », Cahiers de la Société historique acadienne, 36, 2-3 (septembre 2005), p. 51-136.
112 Delaney signale ainsi l’arrivée d’une quarantaine d’Acadiens en Louisiane en provenance de France en 1788, ainsi que l’autorisation accordée, la même année, à une vingtaine d’Acadiens habitant à Saint-Pierre et Miquelon, de se rendre dans la colonie espagnole.
113 Selon le recensement fait par l’intendant de Bretagne, le nombre exact d’Acadiens émigrés monte à 1599 personnes, dont il donne le détail comme suit, selon les « départements » : Nantes (1160), Paimbœuf (55), Morlaix (52), Belle-Île-en-Mer (16), Saint-Malo (316) (1785-09-04b ; AD Ille-et-Vil. C 2453). Selon les autorités espagnoles, le chiffre montait à 1 574 ou 1 596 personnes (1785-10-06 ; AHN (Madrid), li 3885, no 3, expediente 13 de la section Estado, fo 63).
114 Au sujet de l’arrivée des Acadiens en Louisiane, voir C. A. Brasseaux, The Founding of New Acadia, op. cit.
115 Ernest Martin note : « le 10 janvier 1790, les 23 Acadiens indigents de Cherbourg portèrent leurs doléances à la section locale de “la Société des Amis de la Constitution”, qui comptait parmi ses adhérents Le Tourneur, le futur membre du Directoire. Ces doléances furent transmises à l’Assemblée nationale. À la suite d’une intervention de La Révellière-Lépeaux, autre futur Directeur, alors rapporteur du Comité des pensions, l’Assemblée nationale décréta, le 10 septembre 1790, “que les secours, jusque-là accordés aux Acadiens, leur seraient continués, et qu’il serait pris les moyens les plus efficaces et les plus prompts pour leur assurer du travail et de la subsistance” » (1936, p. 259). De nombreuses pétitions, mémoires et autres réclamations ont été conservées aux Archives nationales dans la série F15 ; voir en particulier F15 3492-3494 : Secours aux Acadiens, aux Canadiens et aux Mayençais. 1789-an VI et Table des matières (index) des noms de lieux et des noms de personnes contenus dans les Procès-verbaux des séances de l’Assemblée constituante, depuis le 5 mai 1789 jusqu’au 3 septembre 1791 inclusivement.
116 1791-02-21 (AN Archives imprimées, AD XVIII B/52 et divers autres endroits).
117 Ces listes sont parfois accompagnées de commentaires intéressants. Par exemple cette lettre de la série F15 (3494) émanant du directoire du département de l’Ariège et datée de Foix, le 17 octobre 1792, an premier de la république française : « Aucun Acadien ni Canadien n’est venu […] demander le secours que la loi du 25 février 1791 accorde à cette classe précieuse d’individus, devenus Français. »
118 Martin, op. cit., p. 260.
119 1795-04-04 ; AN archives imprimées, AD XVIII B/138 & 139 et 1794-12-27 ; id.
120 Des Acadiens et Canadiens de la Rochelle envoient une pétition qui est renvoyée au comité des secours (1795-02-23 ; id.) ; 1795-04-04 ; id.
121 Notamment ceux des 26 novembre 1792 (6 Frimaire an I), 28 novembre 1793 (8 frimaire an II), 18 octobre 1794 (27 Vendémiaire an III), 16 novembre 1794 (26 Brumaire an III), 8 octobre 1796 (17 Vendémiaire an V), 7 décembre 1796 (17 frimaire an V) (Martin, op. cit., p. 260).
122 Cité par Martin, op. cit., p. 260. Selon Martin : « le 2 nivôse an VI (22 décembre 1797), les Acadiens reçoivent un acompte de 12 000 francs, et le 26 thermidor suivant (13 août 1798), un crédit de 900 000 livres est ouvert à titre de “secours aux réfugiés et déportés des colonies”, dont les Acadiens doivent être les premiers à bénéficier. Enfin, la loi du 28 germinal an VII (17 avril 1799) attribue, à compter du 1er Vendémiaire de cette année, un secours de 30 fr. “aux réfugiés ou déportés des colonies” des deux sexes âgés de plus de 21 ans [… etc.], sur production d’un certificat d’indigence renouvelable chaque semestre » (p. 261).
123 En 1797, la majeure partie des Canadiens ne recevaient plus d’aides depuis trois ou quatre ans (Maurice Caillebeau, Les secours aux Acadiens pendant la Révolution française, Poitiers, 1978).
124 Section AF IV, vol. 1330-1332.
125 « En 1822 et 1823, près de 70 ans après l’affaire de Grand-Pré, le gouvernement de la Restauration s’inquiète encore de savoir si parmi les descendants des exilés acadiens rapatriés en France, au XVIIIe siècle, il en est qui sont dans le besoin ! » (Martin, op. cit., p. 261).
126 1884-00-00 ; BNF 4-LE 95-3 ; 1884, EXTR, 163 et 1884-12-18a et b (id.).
127 David A. Bell, « The Unbearable Lightness of Being French », op. cit. p. 1232-1235; Bell, The Cult of the Nation, op. cit.; E. Dziembowski, Un nouveau patriotisme, op. cit.
128 RAPC 1905-II, appendice F, p. 196.
129 1775-03-02b. Joseph Landry, réfugié en France, écrit à son cousin Joseph d’Entremont retourné en Nouvelle-Écosse. Dans cette lettre, Landry estime qu’en théorie leur situation est plus enviable que celle de ses cousins, mais qu’en pratique, à cause de l’irréligiosité de la France, elle n’est finalement pas meilleure. Cette missive témoigne de l’importance que revêt la religion pour certains Acadiens.
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