Chapitre X. Les représentations : le regard des administrateurs
p. 209-229
Texte intégral
1Si l’on veut s’intéresser à l’intégration des Acadiens dans l’univers français, il convient de s’interroger maintenant sur la manière dont ils ont été perçus pendant leur séjour en métropole. L’abondante documentation conservée au sujet des rapatriés offre un éclairage unique à ce sujet. Aucune analyse de la perception des Acadiens ayant séjourné en France n’a jamais été réalisée, et ce, malgré l’abondance des études sur ces réfugiés. Nous avons voulu combler cette lacune par une analyse des termes se rapportant aux Acadiens dans les milliers de documents consultés. La perception des colons par les métropolitains n’est pas univoque. Plusieurs visions se confrontent : celle des administrateurs, celle des Acadiens, celle du droit et celle des populations locales, qui seront étudiées tour à tour.
2Nous examinerons donc tout d’abord dans ce chapitre les termes utilisés par les élites pour désigner les Acadiens, et nous verrons que bien peu de différences culturelles sont mises en avant par les observateurs. Nous nous interrogerons sur les spécificités acadiennes : en effet, « fondre » deux corps ensemble suppose qu’ils soient distincts et qu’ils ne s’amalgament pas facilement. Mais quelle était la nature de ces différences ? Pour répondre, nous envisagerons également le point de vue des Acadiens eux-mêmes, et nous observerons la tendance de ces derniers à se présenter, de manière croissante, comme un groupe un peu à part de la société française. Dans un chapitre ultérieur, nous analyserons l’utilisation, à diverses reprises, du terme « non-règnicole » pour désigner les Acadiens, ainsi que leur statut juridique. Enfin, dans un dernier temps nous évaluerons ce que pouvaient bien penser des Acadiens les populations locales dans les lieux de résidence des réfugiés et nous analyserons les taux de mariages acadiens pour déterminer leur volonté d’intégration en France1.
Les Acadiens dans le regard des administrateurs
Désignation des Acadiens
3Comment donc étaient perçus les Acadiens par les administrateurs – ou plus généralement par l’élite – qui les côtoyaient ? Peut-on déceler des constantes dans les représentations ? On remarque tout d’abord au contact des textes que la situation particulière des réfugiés était peu connue en dehors de l’administration de la Marine et des lieux d’accueil. Nombre de ceux qui parlent des Acadiens n’en ont qu’une connaissance indirecte ou limitée, et leur connaissance se fonde essentiellement sur des mémoires qui circulent en assez grand nombre à l’époque plutôt que sur des observations directes et personnelles. Certaines personnes moins bien informées ignorent apparemment qui sont les Acadiens : c’est le cas notamment d’un correspondant de Lemoyne, nommé La Borde2. Ce dernier, propriétaire terrien à qui Lemoyne a proposé dans une première lettre de faire venir des Acadiens pour défricher ses terres, ne sait pas de qui le commissaire lui parle, et Lemoyne est obligé de lui expliquer dans une seconde lettre qui sont les Acadiens et les circonstances de la déportation3. Les éclaircissements préliminaires au début de très nombreuses missives semblent avoir spécifiquement pour but d’informer plus précisément le destinataire. Il est possible qu’après 1770 les allusions faites à la déportation des Acadiens dans les ouvrages d’Edmund Burke et de l’abbé de Raynal aient contribué à faire connaître davantage la situation des déportés4.
4La manière la plus courante pour désigner les réfugiés en France est évidemment l’emploi des substantifs et des adjectifs « Acadiens » et « Acadiennes » ou des formes proches5. Le plus souvent, ce terme est associé avec les substantifs « individus », « familles » ou « réfugiés », ce dernier terme figurant dans plus d’une centaine de documents. Mais ce n’est qu’une des nombreuses dénominations. Il est à noter qu’« Acadien » n’est employé massivement qu’à partir des débarquements dans les ports de France : lors de leur séjour en Angleterre les Acadiens sont désignés le plus souvent par le terme « French neutrals ». « Français neutres » ne se retrouve plus, après 1758, que dans quelques documents qui sont tous des mémoires historiques6. Les expressions « habitants de l’île Saint-Jean, de l’Acadie », etc., sont plus courantes au début. On trouve également quelques plus rares occurrences d’« expatriés ». « Exilé » est très peu utilisé. Les habitants de l’île Saint-Jean et de l’île Royale sont parfois désignés également par le vocable « insulaires ». D’autres appellations témoignent de l’imprécision des termes et de l’ignorance : Berryer, ministre de la Marine, regrette à deux reprises de ne pouvoir faire davantage pour « nombre de personnes de cette espèce » qui viennent d’arriver à Boulogne7.
5Différents champs sémantiques sont utilisés par les administrateurs pour désigner les exilés dans le but d’apitoyer leurs correspondants afin d’obtenir des secours pour les Acadiens. Un premier faisceau d’adjectifs évoque la pitié : les adjectifs « pauvres » et « malheureux » sont retracés respectivement dans 180 et 150 documents. Le paternalisme de Lemoyne lui fait utiliser fréquemment le vocabulaire de l’ingénuité : « pureté », « enfance », « innocence ». Pour Lemoyne, très paternaliste comme la majorité des administrateurs vis-à-vis du « petit peuple », les Acadiens sont de « grands enfants gâtés8 ». Le commissaire emploie fréquemment tous ces termes et leurs dérivés. Les Acadiens se voient attribuer des qualités et surtout des défauts9 : s’ils sont parfois jugés « méritants », « exemplaires », de « bonnes gens » ayant de « bonnes mœurs », ils sont le plus souvent « paresseux », « insolents », parfois « méchants, odieux, corrompus », « révoltés », « en proie à la folie » ou « se prenant pour des Seigneurs10 ».
6Aux yeux des administrateurs, les Acadiens sont sans doute avant tout des sujets ayant un statut un peu particulier, qui n’est pas très bien défini. Les champs lexicaux renvoyant aux colonies sont nombreux. « Colon » ou « colonie » sont eux-mêmes utilisés à plusieurs reprises. Il est à noter qu’à l’époque le terme est employé dans deux sens différents qui se rejoignent fréquemment sous la plume des administrateurs. En effet, « colon » désigne à la fois simplement « celui qui cultive une terre », mais aussi les « habitants des colonies11 ». Le terme est employé à plusieurs reprises, en particulier lorsqu’on songe à faire des exilés des défricheurs en France. Ainsi Lemoyne parle-t-il de « sujets des colonies », et un autre interlocuteur de « respectable colonie » en parlant des Acadiens à établir à Belle-Île-en-Mer12. Le terme « peuplade » revient à plusieurs reprises également. Ce mot est alors employé dans son sens ancien de « multitude d’habitants qui passent d’un pays dans un autre pour le peupler », autrement dit, encore une fois, de « colons ». Ainsi Choiseul écrit-il que le roi « recevra avec plaisir cette nouvelle peuplade dans son royaume13 ». Les Acadiens sont encore désignés par Terray comme « naturels du pays [de l’île Royale]14 » et à plusieurs reprises comme « créoles15 ». Le terme est alors simplement le « nom qu’on donne à un Européen d’origine qui est né en Amérique16 ».
7Les Acadiens sont en fait perçus avant tout comme des migrants déracinés. C’est pour cela que l’État cherche à de multiples reprises à leur « procurer un établissement » en France ou encore à les « attacher à la glèbe ». On verra ci-dessous que les Acadiens étaient souvent opposés aux « domiciliés naturels17 ». Ils sont aussi parfois traités de « fugitifs18 » et sont considérés comme étant « en entrepôt19 ». Or on sait l’importance de l’aveu dans la société d’alors : avoir quelqu’un qui peut répondre de soi est le fondement du lien social de l’Ancien Régime. Si les Acadiens ne semblent avoir été considérés que rarement comme des « sans aveux20 » – parce qu’ils arrivent groupés et qu’ils ont donc toujours des prêtres, des administrateurs ou des personnes de leur famille qui peuvent les reconnaître –, les réfugiés sont menacés d’être considérés comme tels s’ils quittent l’établissement du Poitou : « il leur sera enjoint de ne pas quitter le lieu qu’ils auront choisi sous peine d’être traités comme vagabonds et gens sans aveux » précisent les « instructions pour faire connaître aux familles acadiennes les volontés du roi21 ».
Portrait physique
8Le physique des Acadiens n’est que peu évoqué, peut-être parce qu’on ne perçoit guère de différences. Tout au plus évoque-t-on à plusieurs reprises leur robustesse et leur grande taille, probablement due à une meilleure alimentation en Amérique du Nord. Cette grande taille des Acadiens est attestée par exemple par Pérusse : « Quant au physique, ce peuple est tel qu’on peut le désirer : tous les hommes sont en général forts, robustes et parfaitement bien constitués ; quelques-uns sont d’une assez grande taille, mais généralement de 5 pieds 3 à 4 pouces22. […] Les femmes leur sont presque égales en force et en industrie, elles sont dans le général toutes grandes, robustes, laborieuses et très fécondes23. » Un témoignage très ultérieur confirme cette impression : « Les Acadiens furent surnommés crabes ou araignée de mer à cause de la longueur de leurs bras et de leurs jambes. Ils étaient plus grands que les indigènes ; leurs descendants conservent ce caractère ainsi qu’un teint bronzé24. »
Portrait moral
La manière de travailler
9Les Acadiens attirent également sur eux une série de jugements de valeur, en fonction de leur docilité ou de l’objectif recherché par le correspondant. Deux domaines suscitent un grand nombre de commentaires : leur habileté et leur courage au travail, ainsi que plus généralement leurs « mœurs », mot le plus couramment employé.
10À une époque où une grande partie de l’opinion était convaincue que le pays se dépeuplait et où les théories physiocratiques connaissent un grand succès, les Acadiens sont perçus comme une population précieuse vouée à repeupler la France tout en stimulant l’agriculture25. Ils sont donc essentiellement considérés comme des « colons », c’est-à-dire, on l’a vu, comme des personnes destinées à repeupler les colonies ou à cultiver des terres en France. Ils se voient donc assigner une mission implicite et c’est à l’aune de cette mission qu’ils sont le plus souvent jugés. Les opinions sur le travail des Acadiens sont très partagées. On retrouve à peu près un nombre égal d’accusations de fainéantise26 et d’affirmations inverses27, qui empêchent toute conclusion. Ces affirmations péremptoires semblent souvent directement liées aux contextes dans lesquels sont émises les opinions, mais pas toujours. Elles sont parfois fondées sur une observation directe des Acadiens à la tâche, mais ces cas sont relativement rares et n’empêchent pas des préjugés antérieurs d’influer sur les jugements. La plupart du temps, il s’agit plutôt d’affirmations gratuites, fondées sur des « on-dit » ou sur des mémoires aussi divers que fantaisistes.
11La plupart des documents dans lesquels on peut répertorier des allusions à la mauvaise qualité présumée du travail des Acadiens ou à leur difficulté à réaliser du travail qualifié sont des documents où il est par ailleurs fait allusion à une volonté gouvernementale de supprimer la solde. En d’autres mots, il s’agit principalement d’insister sur le fait que, de par leur maladresse, les Acadiens auront bien du mal à gagner de quoi vivre et qu’il ne faut pas leur couper les vivres à la légère. Ces documents cherchent donc moins à accabler les Acadiens qu’à les aider. C’est le cas par exemple de la lettre de Ladvocat de la Crochais évoquée plus haut. Les deux seules autres lettres qui mettent en cause directement la qualité du travail des Acadiens sont écrites également en réponse à une circulaire de Berryer demandant à rayer de la liste des bénéficiaires de l’assistance tous ceux qui pouvaient travailler28. L’intendant du Havre s’excuse alors de ce que le commerce est inactif et le négociant ne prend « que les meilleurs ouvriers qu’il peut avoir29 », donc pas d’Acadiens. Un autre invoque la « maladresse » des réfugiés « aux travaux qui sont en usage » dans le pays30. Les seules allusions à un manque d’habileté de ceux-ci sont donc toutes concentrées au début de notre période d’étude et s’expriment seulement lorsque l’assistance risque d’être supprimée. Ajoutons que, si les Acadiens travaillaient peut-être différemment des métropolitains à leur arrivée dans l’hexagone, ils ont dû s’adapter aux manières locales de travailler assez rapidement, ce qui peut expliquer également la fin des allusions à l’impéritie des Acadiens.
12D’autres correspondants, dans d’autres contextes, louent en revanche les capacités professionnelles des réfugiés. Le premier à le faire est le maire de Saint-Malo, le Fer de Chanteloup, qui insiste spécifiquement sur cet aspect, estimant que les réfugiés sont « presque tous bons laboureurs ou navigants ». Mais il s’agit là encore probablement d’une affirmation intéressée, puisque Chanteloup affirme aussitôt que les « paroisses circonvoisines ainsi que la Marine manquent de sujets31 », dévoilant ses intentions populationnistes : il a donc intérêt à minimiser les coûts de l’accueil des réfugiés en insistant sur leur capacité à être rapidement autonomes. Un autre observateur, qui semble avoir étudié personnellement les Acadiens, porte à son tour un jugement favorable sur le travail de ces derniers. Dans deux lettres successives, il s’enthousiasme : « ce sont des gens de tous métiers. […] Ils ont de très bons faucheurs32 », affirme-t-il tout d’abord, ajoutant qu’ils sont « très bons cultivateurs, laborieux, beaucoup de religion, la probité même en vénération et un respect infini pour leur chef de famille qui est le juge de tous leurs différends33 ». Enfin, de nombreux autres témoignages de l’habileté au travail des Acadiens se retrouvent à l’occasion de l’établissement des familles acadiennes à Belle-Île. C’est en raison de leur habileté qu’on préconise de les disperser pour susciter l’émulation des îliens34. L’inspecteur du domaine de Belle-Île exprime le sentiment de beaucoup de responsables locaux lorsqu’il écrit, en 1763 : « accoutumés à faire toute sorte de métiers, [les Acadiens] ne demandent que les matériaux, les ustensiles, et ils feront leur logement et ce qui est nécessaire à la culture. Les témoignages que M. le duc d’Aiguillon et M. le duc de Nivernais donnent, par des lettres que j’ai vues, de leur bonne volonté, intelligence et talent vous assurent de la bonne acquisition que vous ferez d’eux35 ». Le travail des Acadiens est en fait toujours présenté positivement dans les documents concernant Belle-Île-en-Mer. Quant à Lemoyne, s’il semble personnellement dubitatif à propos des talents des Acadiens, il n’hésite pas, quand il cherche à placer ses protégés, à dépeindre les réfugiés sous les jours les plus favorables. Ainsi, cherchant à convaincre un haut fonctionnaire d’aliéner les terres du domaine royal en faveur des réfugiés, il ne balance pas à écrire, outrepassant à coup sûr sa pensée : « Les Acadiens sont tous cultivateurs et très intelligents, ils sont honnêtes, des meilleures mœurs, ce sont des vassaux à désirer36. »
13Quelques autres textes évoquent également le courage des Acadiens. Par exemple, en 1763, l’intendant de Sainte-Lucie écrit à propos d’ouvriers de Louisbourg qu’ils « sont de très bons sujets, très disposés à cultiver la terre, prêts à faire tout ce qu’on leur commande et qui d’ailleurs ayant tous une famille nombreuse, seront de très bons colons37 ». La même année un subdélégué, estime qu’« on prétend que ces gens sont plus actifs et plus industrieux que nous autres règnicoles38 ». Enfin, plusieurs documents relatifs à Belle-Île font l’éloge de l’amour pour le travail des Acadiens.
14Si les Acadiens sont donc jugés, le plus souvent, relativement habiles et courageux travailleurs, d’assez nombreux autres documents font état de leur fainéantise supposée. Certains administrateurs déplorent la paresse des réfugiés, on l’a vu, pour éviter que les Acadiens ne soient rayés de la paye. C’est dans une lettre similaire que le commissaire aux classes de Saint-Malo, Isarn, dans la lettre déjà citée ci-dessus, déplore « l’indolence innée » des Acadiens39. Isarn est cependant le seul à sous-entendre que les Acadiens sont paresseux de naissance. Les autres commentateurs insistent généralement au contraire sur le caractère acquis de leur paresse, qui est alors presque toujours mise sur le compte des secours qu’on leur distribue. La première allusion à ce problème se retrouve sous la plume d’un intendant de Saint-Domingue, Cluny, avec qui les Acadiens eurent des relations conflictuelles40. Cluny fustige la fainéantise des familles acadiennes, canadiennes et alsaciennes qui « trouvent plus doux d’être nourries aux frais du roi, sans rien faire que de chercher à gagner leur vie par le travail41 ». Quelques semaines plus tard, c’est au tour de Choiseul de juger « indolents » les Acadiens42.
15Les Acadiens sont par la suite assez souvent accusés de fainéantise. Le baron de Warren a beau réfuter ce travers43, de Francy fustige la « cagnardise44 » des Acadiens et Choiseul, quelques années plus tard, est convaincu de la « paresse » et de la « débauche » de ceux qui sont domiciliés à Saint-Servan45. L’allusion, dans la même lettre, à la contrebande de tabac pratiquée par certains Acadiens incite à penser que Choiseul a eu de mauvais échos des Acadiens par ce biais-là46. Quelques années plus tard, Lemoyne remarque : « on a représenté [le peuple acadien au Contrôleur général] comme fainéant, et on lui en a donné pour preuve le peu d’utilité qu’il a tiré du secours que le roi lui accorde depuis 175847 ». L’assistance financière aux réfugiés est la principale des explications avancées pour expliquer cette « nonchalance ». Lemoyne s’efforce de dissiper ce reproche fait à la solde en montrant que six sols de secours par jour et par tête ne permettent pas de thésauriser et que les Acadiens n’ont jamais refusé de travailler48. Lemoyne ne semble toutefois pas avoir convaincu ses interlocuteurs, car les allusions à la paresse des Acadiens ne cessent pas dans les années qui suivent. On les retrouve sous la plume de Turgot et de Pérusse, par exemple, et à mots couverts sous celle de Necker. Il est toutefois important de remarquer encore une fois que l’indolence des Acadiens leur est pratiquement toujours reprochée lorsque ceux-ci refusent de se prêter à ce qu’on leur demande.
Les mœurs
16D’assez nombreux documents s’attardent également à encenser ou condamner les « mœurs49 » acadiennes. Là encore, les jugements à l’emporte-pièce prédominent, rarement nuancés ou étayés par des exemples précis, et ne sont souvent qu’un prétexte pour attirer la bienveillance des Acadiens ou fustiger leur résistance et leur rébellion. La première allusion à ce sujet se retrouve encore dans la lettre de Ladvocat de la Crochais déjà cité, dans laquelle il loue « la simplicité de leurs mœurs » et leur équité50. Jusque vers le milieu des années 1770, on ne trouve pratiquement que des éloges de ces mœurs, autant en Angleterre51, qu’à leur arrivée en France52 ou encore à l’occasion des établissements de Belle-Île-en-Mer et du Poitou53. On a vu, à ces deux dernières occasions, que la prétendue pureté des mœurs acadiennes était mise en avant soit pour conserver les Acadiens groupés, soit pour les disperser54. Certes, Choiseul et quelques agents des fermes de tabac de Saint-Malo déplorent vers la fin des années 1760 la débauche d’Acadiens, mais l’image globale qui domine est bien celle d’une peuplade aux mœurs pures. On retrouve cette vision d’une Acadie idyllique dans l’Histoire des Deux Indes de Raynal, dont la première édition est imprimée en 1770. Pour Raynal, les Acadiens, foncièrement patriotes, vivaient de l’agriculture loin de toute source de débauche. La simplicité des mœurs, la solidarité entre tous, faisait des Acadiens « la plus heureuse peuplade de l’Amérique55 ». S’il est peu probable que Raynal se soit informé au sujet des Acadiens auprès de réfugiés en France ou auprès d’administrateurs56, son discours est tout à fait en phase avec le discours dominant des administrateurs. Il serait intéressant de retracer avec précision l’origine de l’image idyllique de l’Acadie et de ses habitants, visiblement antérieure au récit de Raynal. Ces « mœurs pures » attribuées aux Acadiens contredisent en effet les idées véhiculées par les écrits philosophiques du XVIIIe siècle : un ouvrage comme L’Ami des Hommes de Mirabeau fustige les mauvaises mœurs dans les colonies en général57. L’image positive des Acadiens dans l’opinion de l’élite éclairée provient sans doute d’un faisceau de facteurs : tout d’abord, les idées populationnistes évoquées plus haut les font percevoir favorablement, puisqu’ils représentent une richesse potentielle pour l’État. Ensuite, on a insisté sur l’aspect galvaniseur de leur patriotisme. Enfin, et surtout, ces discours puisent sans conteste dans le registre rousseauiste : la nature généreuse et inviolée ne pouvait qu’engendrer des peuples simples et parfaits et, par ailleurs, le climat de l’Acadie, considéré comme extrêmement froid et sain, était considéré comme facteur d’amélioration de la race58.
17On observe cependant un certain revirement dans les années qui suivent. Plusieurs documents font allusion à des rumeurs circulant au sujet des Acadiens vers 1772-1773. Ainsi, Lemoyne écrit un mémoire historique au secrétaire du Contrôleur général, dont le but est de « dissiper les préjugés qu’on lui a inspirés contre les Acadiens ». L’abbé de l’Isle-Dieu informe aussi les exilés que des « préjugés défavorables » ont été donnés contre eux59. Cette mauvaise réputation faite aux Acadiens circule jusque dans les plus hautes instances de l’État. Le rôle de Lemoyne est assez ambigu : il colporte les rumeurs en même temps qu’il essaie de les détruire, avec assez peu de conviction à certains moments. S’il n’est donné pratiquement aucune information sur l’origine de ces bruits ou les personnes qui les véhiculent, les sujets de ces rumeurs sont parfois un peu plus détaillés.
18On relève ainsi spécifiquement dans un document des insinuations selon lesquelles les Acadiens auraient eu des « mœurs dérangées ». Plus précisément, il semble qu’on les ait accusés de s’être « opposés à la procréation », autrement dit d’utiliser des moyens contraceptifs pour restreindre le nombre de naissances, crime capital à l’époque. Lemoyne démontre le faux de ces rumeurs par le nombre élevé d’enfants : « sur 2 370 individus […], il existe 1 215 enfants procréés depuis 1758 […]. Cette procréation prouve-t-elle des gens qui se sont soustraits aux devoirs du mariage et des paresseux ? Non60 ! »
19Les réfugiés sont aussi accusés d’avoir mis à prix la tête d’Anglais, en Nouvelle-Écosse, avant la déportation. Lemoyne tente à nouveau de démontrer la fausseté de l’accusation, relevant qu’au contraire les Acadiens ont sauvé de nombreux Britanniques des mains des guerriers micmacs lorsqu’ils étaient dans la colonie61.
20Pérusse devient vers 1773-1774 le principal défenseur de la pureté des mœurs acadiennes. Quelques années plus tard, cependant, alors que ses projets de défrichement l’ont amené au bord de la ruine, Pérusse se mettra lui aussi à dénigrer la « corruption » qui s’est, selon lui, installée chez les Acadiens. Cependant cette corruption des mœurs lui semblera toujours causée par le contact avec les mauvaises habitudes françaises : « Ils ne nous ont apporté d’Acadie que leurs vertus et ils seraient fondés aujourd’hui à nous reprocher de leur avoir laissé contracter des défauts qui peuvent les ternir, mais qui ne sont ni assez considérables ni assez invétérés pour qu’on doive douter de les détruire lorsqu’on voudra en prendre les moyens », écrit-il62. Il ne fait en cela que reprendre plus ou moins l’argumentaire déjà ancien de Lemoyne selon lequel les Acadiens se sont gâtés en France, à cause du trop de soin qu’on a pris d’eux63. Pérusse, comme Lemoyne avant lui, juge surtout encore les Acadiens à l’aune de leur docilité : quand ils résistent, il les qualifie « d’enfants gâtés », « d’étrangers », etc. Quand il souhaite au contraire les « placer » auprès de propriétaires terriens, il les présente comme d’excellents sujets. Il y a ainsi plusieurs discours publics, en fonction des circonstances. Quant à l’opinion personnelle et profonde des administrateurs, elle est beaucoup plus difficile à percevoir64.
Comparaison avec les paysans locaux
Image des paysans locaux
21Il est également intéressant de comparer les opinions et les stéréotypes répandus au sujet des Acadiens à ceux qui circulent concernant le « peuple » en général. Les travaux sur la perception du peuple au sein des élites à l’époque moderne sont nombreux65. On constate toujours bien sûr « la situation inférieure et dévalorisée du peuple par rapport aux catégories relevées – les nobles, les clercs, les riches, les gens de bien, les savants – c’est-à-dire la frontière dominants-dominés, populaire-docte66 ». Le mot même de « travail » a sous l’Ancien Régime une connotation largement péjorative, même si une valorisation progressive du travail manuel est apparue au XVIIIe siècle ; par ricochet, l’image du « peuple » s’est améliorée, comme le reflète par exemple l’article homonyme de l’Encyclopédie, qui dépeint – précisément en réaction à cette image déplorable qui reste la plus répandue dans les élites – les classes laborieuses de manière très positive. Le laboureur et l’ouvrier « forment toujours la partie la plus nombreuse et la plus nécessaire de la nation » écrit le chevalier de Jaucourt, lequel fustige une maxime de l’époque conseillant que « de tels hommes ne doivent point être à leur aise, si l’on veut qu’ils soient industrieux et obéissants67 ». Toutefois, les textes où les paysans sont présentés de manière positive sont rares même dans la seconde moitié du siècle. Le peuple dont il est question dans les documents que nous avons consultés n’est que celui de la campagne. Il inspire la pitié mais semble réformable et n’est pas confondu avec la « populace ». Ces textes confirment les observations des historiens modernistes sur le paternalisme extrême des élites : « Le peuple ne peut être qu’un enfant, dont il présente tous les caractères, faiblesse, crédulité, sottise, crainte », écrit Daniel Roche68. Pour Lemoyne, en effet, le « paysan n’a pas de tenue69 » et il est généralement « méchant70 ». Le commissaire, qui se pique d’agronomie, est convaincu que la pauvreté des paysans est due à une mauvaise gestion des terres. Il juge bon de prodiguer par avance des conseils à l’usage de trois Acadiennes qu’il propose d’envoyer à son ami Saint-Victour comme métayères, « bonnes ménagères de campagne, intelligentes pour la basse-cour, le soin des bêtes de laine et la laiterie des vaches et des brebis » : « le métayer doit user avec la plus grande circonspection du laitage de peur d’affamer les jeunes bêtes ; le plus grand profit, on le répète, dépend de cette économie ». Il détaille alors les qualités du paysan local, lequel est « très sain et très vigoureux dans ce canton71 ». Lemoyne aurait pu écrire les lignes de l’abbé Coyer : « le peuple luimême questionne sur son état : sommes-nous des bêtes ? Peuple ! Cela se pourrait72 ». Pérusse partage la même condescendance pour ses métayers, « tableau vivant de la misère et de la paresse » selon lui, et possible source de corruption pour les Acadiens73.
Comparaison avec les Acadiens
22Par rapport à ces paysans bien mal considérés, les Acadiens sont jugés supérieurs, tant sur le plan des mœurs que sur celui de l’habileté au travail. Si, dans leurs études respectives sur les Acadiens, Oscar Winzerling et Naomi Griffiths affirment que ces derniers étaient considérés en France avec dédain, c’est tout le contraire qui ressort à la lecture des textes : les Acadiens sont, à une exception près, toujours présentés comme supérieurs aux populations locales, même si évidemment, ils restent une simple émanation du peuple qui doit savoir rester à la place qui lui a été assignée74. Nous avons déjà évoqué cette question, en montrant que cette vision plutôt positive des Acadiens n’avait pas incité le gouvernement à assimiler les réfugiés dans la masse des populations locales. Au contraire, les réfugiés sont souvent pressentis pour servir d’émulation aux autochtones qu’ils sont censés régénérer. Les commissaires des États de Bretagne écrivent ainsi désirer l’établissement des Acadiens car « leur industrie, leur amour pour le travail, pourraient inspirer de l’émulation aux anciens [habitants] de Belle-Île, qui sont naturellement lents et paresseux, qui négligent la culture de la plus grande partie de leurs terres pour […] faire la pêche à la sardine75 ».
23Chaque fois qu’un membre de l’élite compare les Acadiens avec les gens du lieu, la comparaison est flatteuse pour les premiers. C’est ainsi que Barbier Lescoët juge, à propos des réfugiés, que « deux de leurs gens font plus de besogne que les trois meilleurs de nos cantons76 ». Quant à Pérusse, il voit immédiatement « combien ils sont précieux à conserver : c’est une espèce d’hommes fort différents de tout ce qui habite nos provinces tant pour le physique que pour le moral77 ». Il peut constater de visu leur attachement au monarque à l’occasion de la mort de Louis XV : dans un mémoire adressé au nouveau roi, et réclamant sa protection, il rédige un nouveau catalogue des mœurs acadiennes et les compare avec celles des paysans poitevins :
J’ose vous assurer que nos paysans, quoique assurément très fidèles et très attachés à leur souverain, ne sont que des automates auprès de ces gens-là ; ils ont d’ailleurs les mœurs les plus pures, beaucoup de droiture et de probité, ce qui est le fruit d’un grand fond de religion encore bien existant chez eux et préservé jusqu’à présent de l’altération si commune dans ce siècle. Tel est le portrait des vrais Acadiens quant au moral. […] Quant au physique de ces gens-là, il est aussi fort supérieur au commun de nos paysans ; c’est une assez belle espèce d’hommes forts, robustes, actifs et industrieux ; leur population est très nombreuse puisque sur 1500 individus envoyés dans cette province pour y être établis, il y a environ moitié d’enfants nés depuis qu’ils sont en France et presque toutes les femmes nous sont arrivées grosses78.
24Le fort taux de natalité supposé des Acadiens est évidemment considéré comme une grande qualité. Lemoyne, malgré ses remarques sur « l’indocilité » et la « rébellion » des Acadiens, tient cependant lui aussi un discours très élogieux sur eux, et les compare toujours favorablement avec les peuples de France. Ainsi écrit-il que les Acadiens « peuvent tout différemment et infiniment plus que nos paysans européens ». Cette lettre est cependant écrite en réponse à une missive du Pérusse où celui-ci accuse à mots couverts le commissaire de dire du mal des Acadiens. Lemoyne se défend donc d’avoir critiqué les Acadiens, ce qui l’amène peut-être à exagérer sa description idyllique de l’Acadie et à pratiquer une sorte d’autocensure79.
25Bref, tous les correspondants qui prennent le temps de décrire les mœurs acadiennes et de les comparer avec celles des paysans locaux sont unanimes à trouver les premiers supérieurs aux seconds. On trouve cependant une lettre, adressée sous le sceau de la confidence, qui rompt avec le consensus officiel. Pour l’auteur de cette lettre, Guillot, chargé de superviser les secours pour les réfugiés de Saint-Malo, les Acadiens ne soutiennent cette fois clairement pas la comparaison avec les cultivateurs français :
Puisque vous voulez que je m’ouvre tout entier à vous sur leur chapitre, je crois qu’il ne faudrait pas les juger par comparaison avec nos cultivateurs de France, ce point de vue leur serait trop défavorable. Peut-être seraient-ils aussi capables qu’eux d’un coup de main, vif et prompt, mais je ne puis croire qu’ils missent autant de constance, d’assiduité et d’efforts multipliés que nos vaillants cultivateurs. Je crois qu’ils ne sont point accoutumés à la même frugalité pour la nourriture, ni à la même épargne pour le vêtement, que les paysans de nos campagnes. Je présume aussi qu’ils ignorent ou qu’ils ne savent que très imparfaitement les différentes façons qu’on donne à la terre, en France, pour forcer sa stérilité et la faire produire malgré son ingratitude, et, si on les établissait dans les landes, dont la majeure partie ne doit fournir que des terres médiocres, avec quelques bonnes veines et plusieurs de mauvaises, il faudrait nécessairement mettre à leur tête un cultivateur français qui eût assez de talents pour diriger leur culture, pour gagner leur confiance et soutenir leur courage, au moins pendant les trois ou quatre premières années80.
26Pour Guillot, les raisons de cette infériorité des réfugiés sont à rechercher dans les conditions favorables de culture en Nouvelle-Écosse, conditions qui n’auraient pas habitué les colons à la persévérance et à l’effort. Guillot entoure cependant prudemment ses remarques d’autres réflexions sur la bonté et la pureté des mœurs des « Français neutres » avant leur arrivée en métropole. Il ne s’agit peut-être pas que de précautions oratoires : ces éloges d’une Acadie déjà quasi mythifiée témoignent plutôt de la forte pénétration d’un préjugé positif sur les réfugiés, au sein de l’administration. Les administrateurs ne parviennent pas à résoudre la contradiction apparente entre, d’un côté, ce qu’on leur colporte à leur sujet, et d’un autre côté ce qu’ils observent sur le terrain. Les réfugiés qu’ils ont sous les yeux ne paraissent pas être les mêmes que ceux dont ils ont entendu parler, « tant vantés » pour leurs mérites. Il est toutefois également possible que le commissaire de Saint-Malo n’ait pas osé exprimer pleinement ses sentiments réels à l’égard des Acadiens. En d’autres mots, il est possible que les remarques concernant les Acadiens aient été davantage la traduction d’une sorte de rectitude politique ou de discours politiquement correct avant l’heure, plutôt que le reflet de l’opinion véritable des correspondants.
Une « culture » différente ?
27Nous avons évoqué dans la partie précédente la perception, par les élites, des mœurs acadiennes, ainsi que les jugements relatifs à leur attitude devant le travail. Il est maintenant opportun de s’arrêter quelques moments sur la perception, par ces mêmes élites, d’autres traits « culturels81 » soi-disant plus spécifiquement acadiens ou nord-américains. L’observation de cet aspect paraît particulièrement importante à une époque où il n’existe pratiquement pas un ouvrage consacré à l’Amérique qui n’aborde le thème des transferts ou des métissages culturels dans le Nouveau Monde.
Des problèmes culturels ignorés
28Si les Acadiens sont progressivement présentés comme un groupe à part, comme nous le verrons ci-dessous, il est rare que les correspondants s’attardent sur ce qui peut différencier, à leurs yeux, les Acadiens des « Français » de France. Jusqu’à une date avancée, les administrateurs louent au contraire l’attachement des réfugiés au roi et à la religion et le caractère français de ces derniers. Les points communs avec les métropolitains sont ainsi souvent soulignés. En réalité, les aspects culturels comme l’alimentation, la manière d’éduquer les enfants, l’habillement ou le mode de vie, intéressent peu les observateurs de l’époque, ou du moins ne suscitent que rarement des descriptions précises et détaillées. Encore ne faut-il guère s’en étonner, sans doute : ceux qui ont fourni l’essentiel de nos sources, pratiquement tous issus des classes supérieures de la société et nobles, éprouvent beaucoup de condescendance pour ces « gens du peuple et de basse condition », mais peu d’intérêt réel. On pourrait s’attendre à trouver davantage d’allusions à ces questions dans les dossiers de dispense d’empêchement de consanguinité. Or, les Acadiens ne mentionnent pas non plus de problèmes de ce type pour justifier leur souhait d’épouser des « compatriotes ». Un seul passage dans l’un des dossiers pourrait conduire à estimer que l’aspect culturel est important : Marie Rose Daigle déclare « qu’elle se ferait peine d’épouser une personne quoique d’un même pays [de l’Acadie] dont elle ne connaîtrait pas l’esprit et l’humeur » pour justifier son choix exclusif du conjoint qu’elle envisage d’épouser, parmi ses compatriotes82. Les autres sources provenant des Acadiens eux-mêmes n’évoquent pas plus ces questions. Bref, si les administrateurs pensent que les Acadiens sont très différents des Français, ils ne le disent pas ; si les Acadiens se sentent différents des métropolitains, ils ne le revendiquent pas plus.
29Les observateurs de l’époque ne décèlent pas chez les Acadiens, à leur arrivée en France, ce que nous appellerions de nos jours un profond « choc culturel ». Est-ce par manque de sensibilité de la part des élites ? C’est possible, mais il faut toutefois se rappeler qu’à l’époque il n’y avait aucune homogénéité culturelle dans le royaume : les coutumes et traditions populaires des provinces, et même les langues, étaient le plus souvent fort panachées. Les administrateurs étaient habitués à entretenir leur correspondance en français avec leurs collègues et à communiquer dans les langues locales avec leurs administrés83. Autant dire qu’ils étaient habitués aux différences « folkloriques84 » entre les régions et qu’ils n’y trouvaient rien de bien original ; sans doute cela explique-t-il la rareté de témoignages sur la façon de parler des Acadiens ou sur leurs vêtements.
La langue
30Même les difficultés linguistiques, qui ont été bien réelles dans le cas par exemple des Acadiens « habitués » à Morlaix, sont passées entièrement sous silence dans les sources. Le seul moment où ce sujet est abordé, c’est lors du projet d’établissement à Belle-Île-en-Mer ; à cette occasion, à au moins une reprise, ce qui est tout de même fort peu, les Acadiens demandent à « n’être pas confondus avec les Bellilois dont le langage leur est ou inconnu ou étranger85 ». Cette demande est retransmise ensuite par diverses personnes mais n’est pas prise en compte puisque les Acadiens francophones sont finalement dispersés parmi les autres habitants de l’île, bretonnants86. L’interprétation du silence des sources sur ce thème est difficile. Il est probable que ces problèmes étant courants au quotidien, les administrateurs n’y prêtaient peut-être guère attention. La plupart d’entre eux étaient bilingues et servaient souvent d’intermédiaires entre les administrés et le pouvoir royal – les prêtres, notamment, jouaient constamment ce rôle. On retrouve certes bien quelques mentions de problèmes de compréhension entre des personnes de langues différentes dans nos sources87, mais ce faisceau d’éléments confirme de façon convaincante que « la langue n’est, entre le XVIe et le XVIIIe siècle, guère perçue comme un argument d’identité ou d’assignation territoriale. […] Jusqu’à la Révolution, il n’inscrit pas de différence essentielle entre ceux qui sont règnicoles et ceux qui ne le sont pas88 ».
Des difficultés d’adaptation en France ?
31Les problèmes d’adaptation ne sont pas toujours là où nous les cherchons a priori. Les contemporains perçoivent davantage un problème dans l’adaptation « climatique » des Acadiens en métropole. Dès les premières semaines de l’arrivée des déportés, Ladvocat de la Crochais évoque leur sensibilité aux premières « chaleurs89 ». Cette remarque fait sourire : on peut douter de la réalité d’une chaleur torride un début du mois de mai dans la région de Saint-Malo. Mais la remarque de Ladvocat s’explique bien plutôt par la prégnance d’un cliché déjà bien enraciné selon lequel les Acadiens viennent d’un pays froid. Cette remarque est la seule concernant une adaptation prétendument difficile des Acadiens au climat breton. En revanche, ces anciens habitants de contrées septentrionales sont souvent jugés inadaptés pour peupler les colonies méridionales. Cette idée se retrouve déjà dans le rapport de Nivernais de 176390, puis sera réutilisée à de nombreuses reprises par les Acadiens eux-mêmes. En 1763 les familles acadiennes « représentent qu’étant nées dans un climat froid, elles ne sauraient supporter les chaleurs de l’Amérique méridionale91 ». En revanche, à plusieurs reprises, les Acadiens mettent en avant l’aspect climatique, cette fois en adéquation avec leurs habitudes, pour demander un passage vers Saint-Pierre et Miquelon92.
32Ces discussions sur le climat n’impliquent pas qu’un problème de « chaleurs » dont il ne faut pas, du reste, sous-estimer l’importance93. Changer de climat induisait plus ou moins mécaniquement, selon les représentations d’alors, une altération des mœurs. Les philosophes, étaient convaincus que l’action des climats chauds entraînait une dégénérescence des hommes tandis que les climats froids les raffermissaient au contraire94. À n’en pas douter, l’a priori positif qu’ont sur les réfugiés plusieurs des observateurs de l’époque est renforcé par cette croyance fort répandue alors.
Adaptés au Canada et à la vie facile
33Pour les administrateurs de l’époque, donc, les Acadiens sont parfaitement adaptés aux conditions de vie en Amérique du Nord95. Pendant la guerre de Sept Ans, alors que des missions militaires sont envisagées au Canada, l’adéquation des réfugiés au milieu et aux moyens de transport américains est immédiatement perçue comme un atout. C’est ainsi que, lors de l’armement d’une Corvette devant déposer des hommes à l’embouchure de la rivière Saint-Jean pour porter des dépêches à Montréal, Berryer suggère immédiatement de recruter des Acadiens et de les envoyer « munis de raquettes, de souliers sauvages et de traînes96 ».
34Les observateurs s’accordent également à plusieurs reprises pour estimer que les Acadiens avaient des « habitudes de vie » particulières au Canada. Le maire de Cherbourg écrit ainsi, en 1785, que les Acadiens souhaitent aller à Saint-Pierre et Miquelon car ils sont « accoutumés à ce climat et au genre de vie qu’on mène dans ces contrées. On y vit de pêche et de chasse, et ce sont des pêcheurs et des chasseurs97 ». De Ruis évoque très tôt, à propos des Acadiens, leurs « habitudes [et] leur façon d’être changées » à leur arrivée en France, à cause du fait qu’ils ont été chassés de leurs terres et des pertes qu’ils ont subies98. Lemoyne, également, estime que – en matière de tutelle d’enfants – les Acadiens « opéraient entre eux suivant l’usage de leur pays99 ». Toutefois, il faut remarquer que ces allusions sont exceptionnelles et qu’elles sortent rarement des généralités.
35Pour de nombreux observateurs, les Acadiens sont surtout habitués à une vie facile dans un paradis américain où la nature est généreuse et où l’on devient riche sans beaucoup d’efforts, en comparaison du moins avec l’Europe. Les administrateurs baignent bien évidemment dans une ambiance intellectuelle exaltant la nature et les habitants des contrées à l’abri de la société et de la civilisation corruptrice, et ne font souvent que colporter les préconceptions de l’époque. De toute évidence, les observateurs assimilent peu ou prou l’Arcadie100 des Acadiens à la « Nouvelle Cythère » (Tahiti) longuement décrite par Bougainville et dont Diderot chante les louanges. Le cliché est encore renforcé par les propos de certains administrateurs qui cherchent dans la généreuse nature américaine une explication à la prétendue « paresse » des Acadiens.
36Le point de vue de Guillot illustre bien ces schémas mentaux. Pour lui, les facilités de l’agriculture en Amérique du Nord expliquent en grande partie les différences de culture chez les Acadiens.
Il faut […] considérer [les Acadiens] comme un peuple sorti d’une terre de bénédiction, comme des propriétaires qui avaient chacun une, deux, trois ou quatre lieues de terrain fertile. Leurs possessions étaient couvertes de bois, de gras pâturages et de bestiaux. Un travail modéré, peu de labours et d’engrais leur donnaient d’abondantes récoltes. La dépouille des animaux, façonnée par leur industrie, leur fournissait des vêtements. Le lin croissait plus abondamment sur leurs terres que sur les nôtres. La chasse, la pêche, les produits de leurs troupeaux, mettaient autant d’agrément dans leur vie que d’abondance et de variété sur leur table. Contents d’une honnête subsistance, qui remplissait tous leurs besoins, ils ne pensaient point à amasser. La soif de l’or n’avait point corrompu leur cœur : ils ne fermaient point leur porte ; le zèle et la bonne conduite des missionnaires les entretenaient dans l’esprit de modération, de justice et de désintéressement. Rien n’excitait leur émulation, rien n’exigeait un travail forcé. L’agriculture ne demandait point une industrie particulière et des connaissances profondes. Ils n’avaient garde de faire des recherches, inutiles dans leur position, quoique nécessaires à ceux qui sont placés dans un sol moins fertile. Leur agriculture était donc naissante, mais la fécondité de leur sol les dispensait de la perfectionner. Quand il s’agissait de marier leurs enfants, ils bâtissaient des cases à une moyenne distance. Ils y portaient des provisions, ils y conduisaient des bestiaux. Ils cédaient à leurs enfants une partie de leurs immenses domaines, et les envoyaient ainsi à leur ménage. Ils passaient leurs soirées les uns chez les autres. Quelques pipes de tabac faisaient leur délassement et leurs délices. On ne pouvait pas leur faire un crime de ne pas embrasser plus de travaux que ceux qui leur étaient nécessaires : ils n’en ont point contracté l’habitude. Leurs mœurs étaient irréprochables. Leur éducation et leur vie, quoique molles en comparaison de celles de nos paysans, n’étaient point vicieuses. Elles étaient analogues à leur position. Leur fidélité à la France les a sevrés d’une aisance qu’ils ne retrouveront plus. Elle fait leur éloge, mais elle est cause de leur misère. Pourrait-on leur faire un crime d’avoir apporté en France les mœurs et les habitudes qui sont en suite de leur éducation ? S’ils ne sont pas aussi laborieux, aussi constants et aussi infatigables dans le travail que ceux qui ont été forcés d’en contracter l’habitude dès leur naissance, c’est qu’ils ont été élevés au Canada et qu’ils ne sont pas nés en France. Les hommes ne se réforment pas dans un jour ; ils ne changent point d’habitudes et de principes quand ils n’ont rien à se reprocher et surtout quand ils n’ont point eu l’occasion d’en sentir la nécessité101.
37Devant cette inadaptation aux méthodes de culture des terres en France, Guillot recommande d’« éduquer » les Acadiens. Il est à remarquer également que ce commissaire ne précise à aucune reprise qu’il tient cette longue description des manières de vivre acadiennes de la bouche des Acadiens eux-mêmes.
38Il arrive également aux Acadiens, quoiqu’assez rarement, de demander à conserver leurs coutumes particulières. Toutefois, là encore, ils ne s’étendent guère sur cette question et se contentent la plupart du temps de demander à ne pas être mélangés aux gens du lieu. Cela est particulièrement vrai à Belle-Île où nous avons déjà cité plusieurs documents allant dans ce sens. Quelques années plus tard, les Acadiens de Saint-Malo revendiquent la même autonomie que celle dont ils se prévalaient en Amérique en matière de tutelle pour les orphelins102 : « depuis leur sortie de l’Acadie, ils ont été considérés au milieu de la France comme une nation à part, qu’on a laissée se gouverner selon ses usages, sans les astreindre aux lois lourdes sous lesquelles ils ne sont pas nés ; et cela dans tous les lieux où ils ont passé et séjourné ». Ils prétendent remplir l’esprit de la loi et protègent les mineurs, « le tout sans frais et avec équité, ainsi qu’ils avaient coutume de le pratiquer en Acadie103 ». On a vu que l’administration ne reste pas sans rien faire face à la prétention des Acadiens d’agir selon leurs habitudes. Dans le cas de Belle-Île, certains administrateurs pensent qu’il est préférable que les différences culturelles disparaissent entre Acadiens et Bellilois pour que, selon les termes de Warren, « tous les habitants ne fassent qu’un seul esprit et un même peuple104 ». On rejoint ici bien évidemment le problème du rassemblement et de la dispersion des Acadiens, évoqué ailleurs plus en détail.
39Un autre thème revient dans plusieurs documents : celui – devenu un sujet de prédilection pour l’historiographie canadienne – de l’imitation des sauvages par les Acadiens105. Cette prétendue imitation repose rarement sur des bases autres qu’imaginaires, cependant. La première allusion à ce type de transfert culturel se trouve dans une lettre de la Rochette. Ce dernier remarque sur un ton amusé l’emploi que les Acadiens font du mot « butin » : « c’est le mot dont ils se servent à l’imitation des sauvages pour désigner leurs effets en général », écrit-il106. Mais la Rochette, sans doute trop féru de récits de voyages et peut-être par là même désireux de voir un terme exotique et sauvage là où il n’y en a pas, se trompe entièrement sur l’étymologie de « butin ». Ce substantif est parfaitement connu des dictionnaires de l’Académie et de Trévoux qui ne mentionnent aucunement une quelconque origine amérindienne de ce terme ; il s’agit en fait d’un emprunt germanique attesté en français dès 1350107.
40Les quelques autres allusions sur ce sujet restent fort rares et proviennent toutes de Lemoyne. La réalité de l’imitation est souvent moins tangible que le procédé rhétorique sous-jacent. L’utilisation du tabac « comme les sauvages », également évoquée dans un autre document, peut ainsi prêter à discussion108. Rien ne prouve que les Acadiens étaient de plus gros ou plus précoces consommateurs que la population métropolitaine et surtout qu’ils l’étaient par imitation des sauvages. Idem pour la « harangue à la sauvage » de Jean-Jacques LeBlanc : l’utilisation de cette expression sert surtout à fustiger la fourberie du chef acadien109. Enfin, l’imitation des sauvages est à l’origine d’une assez longue tirade de Lemoyne qu’il est intéressant de reproduire :
[Les Acadiens étant] élevés à la sauvage, mille commodités indispensables à des Européens sont pour eux fort inutiles, je suis même certain que les deux tiers eussent été plus flattés d’avoir été mis en plein champ sur leurs propriétés avec les moyens de s’établir eux-mêmes que de toutes les douceurs dont on les a fait jouir. Comment se sont établis nos Européens dans le Canada, dans le Mississippi, je ne cite point les pays chauds ? Ils ont fait comme ils ont vu faire aux sauvages. Jetés sur une rive déserte au milieu des bois avec des outils et des vivres ils ont fait usage de tout ce que la nature toute brute leur offrait, ils se sont d’abord mis à l’abri soit sous des feuillages, soit sous des huttes, formées de terre et de gazon et ensuite ont travaillé à le faire solidement. Sans prendre cela à la lettre, qu’on affaiblisse cette idée mais qu’on l’approche des possibilités en France qui lui sont analogues et l’on jugera du parti qu’on pourrait prendre au début et qui certainement eut procuré un succès et plus prompt et plus avantageux110.
41En fait, là encore, outre la reproduction de nombreux clichés puisés dans les récits de voyage, ce discours vise un but particulier : celui d’inciter Pérusse à faire des Acadiens des propriétaires le plus rapidement possible, afin de les laisser libres d’entreprendre, sur leurs terrains, les travaux qu’ils souhaitent faire de la manière qui leur conviendra. Cette façon de décrire des Acadiens habitués à prendre des initiatives et autonomes est une attaque déguisée contre l’attentisme précautionneux de Pérusse. Lemoyne ne semble du reste pas totalement croire au discours qu’il professe. Finalement, les réflexions très générales de Lemoyne concernant l’influence des Amérindiens sur les Acadiens ne s’appuient pas sur des observations directes et restent extrêmement marginales parmi la masse de documents dépouillés.
Des « gourmands » habitués à la « grande vie »
42Lorsqu’on recherche des allusions à des traits de caractère acadiens différents de ceux des « Français de France », les documents se font rarissimes. On possède bien quelques évocations des habitudes culinaires acadiennes. Ladvocat de la Crochais, observateur déjà évoqué à maintes reprises plus haut, note que les Acadiens, au moment de leur débarquement, consomment beaucoup de laitages et de pain et sont habitués à manger abondamment. Par nécessité, ils sont obligés de réduire leur consommation en arrivant en France111. Guillot estime, quelques années plus tard, que les Acadiens « ne sont point accoutumés à la même frugalité pour la nourriture […] que les paysans de nos campagnes112 ». Quant à Pérusse, il parle de « gourmandise singulière » à propos de certains des Acadiens113. Enfin, un témoignage largement postérieur note que les Acadiens étaient habitués, en Nouvelle-Écosse, à consommer beaucoup de viande, « plus de viande que de pain114 ». Au total donc, ces allusions ne soulignent pas de différences qualitatives avec la métropole, mais seulement quantitatives. Un seul document évoque une différence dans les produits consommés : dans un mémoire proposant d’établir les Acadiens en Lorraine, un maréchal de la cour du roi Stanislas – qui n’a probablement jamais rencontré d’Acadiens de sa vie – insiste sur le fait que ces « Canadiens » n’étant soidisant pas habitués à manger du pain de froment, ils s’adapteront mieux à un pays stérile qui ne produit que du maïs, nourriture à laquelle ils sont censés être déjà habitués115.
43Si l’on écarte ce dernier document anecdotique, les témoignages se rejoignent tous sur un point : celui de la grande quantité de nourriture consommée par les Acadiens. Cet aspect est également une autre facette d’un même trait de caractère souvent accolé – et reproché – aux Acadiens : leur prodigalité. Ainsi, les remarques de Ladvocat de la Crochais s’inscrivent dans son appréciation générale de ces Acadiens : s’ils mangent beaucoup, c’est parce qu’ils « paraissent de grande vie116 ». Idem pour Guillot qui estime qu’en Acadie les habitants étaient « contents d’une honnête subsistance, qui remplissait tous leurs besoins, [et] ne pensaient point à amasser. La soif de l’or n’avait point corrompu leur cœur : ils ne fermaient point leur porte ; le zèle et la bonne conduite des missionnaires les entretenaient dans l’esprit de modération, de justice et de désintéressement117 ». Au total, il ne faut sans doute guère chercher, derrière ces discours, autre chose que les poncifs habituels de l’époque sur la facilité avec laquelle la nature nourrit l’homme dans les contrées exotiques et vierges.
Un « attachement singulier » pour les enfants
44La manière d’être avec les enfants, thème abordé à de nombreuses reprises par l’historiographie relative à la Nouvelle-France, suscite un seul commentaire, celui de Pérusse, qui remarque que « ces gens-là sont fort attachés à leurs enfants118 ». Cette phrase constitue le seul témoignage semblant corroborer le stéréotype selon lequel les Français d’Amérique du Nord aimaient trop leurs enfants qui ne les aimaient pas assez119. Un autre texte rapporte toutefois également « l’attachement singulier » que les Acadiens ont les uns pour les autres, et plus particulièrement cette fois l’amour des enfants envers leurs parents120. S’agit-il de la preuve de la pénétration d’un lieu commun véhiculé par de nombreux administrateurs français du Canada ou des récits de voyages de l’époque ou au contraire d’une réflexion personnelle des deux observateurs ? Il est malheureusement impossible de le savoir.
Conclusion
45Si les côtés « exotiques » des Acadiens sont très rarement évoqués, il est difficile d’expliquer cette rareté. Est-ce parce que les Acadiens étaient finalement culturellement peu différents des métropolitains ? Serait-ce que les administrateurs ne remarquaient pas ou ne s’intéressaient pas aux modes de vie du menu peuple ? Nous ne sommes probablement pas à la veille de pouvoir répondre à ces questions, malgré l’énorme intérêt qu’elles suscitent tant chez les historiens que dans le grand public. Au demeurant, il est facile d’extraire de la masse documentaire consultée quelques phrases comme celles que nous avons mises en exergue ci-dessus. Mais ne nous y trompons pas : ces phrases ne constituent qu’un épiphénomène, reposant rarement sur des observations directes, et dont il ne faudrait pas tirer de conclusions hâtives sur la « réalité » des mœurs, des coutumes acadiennes de l’époque. Les administrateurs ne perçoivent les réalités qu’à travers le filtre des récits de voyages écrits à la même époque. Ces réalités restent en grande partie imperméables à nos regards. De surcroît, même si cela paraît moins exotique, la mise en avant, concernant les Acadiens, de caractères bien « français », les allusions à leur patriotisme, à leur catholicisme, etc. – qui sont beaucoup plus fréquentes que les allusions aux caractères particuliers des Acadiens – ne doivent pas être ignorées. Même si cette mise en scène peut prêter le flanc à la critique, même si l’on peut accuser ces discours de refléter un parti pris ou d’être des résidus de la propagande française, il paraît difficile de penser qu’ils ne reposent que sur du vent. En d’autres termes, on est en droit d’imaginer que les réfugiés se sentaient sujets du roi de France comme les autres sujets du royaume, et tout autant peut-être qu’ils se sentaient « Acadiens », les deux sentiments n’étant pas contradictoires.
Notes de bas de page
1 Pour plus de détails sur cette partie, se reporter à mon article : « L’invention de la nation ? (Re) présentations des Acadiens réfugiés en France (1758-1785) », Études canadiennes – Canadian Studies, no 58, automne 2005.
2 1772-12-20b ; BM Bordeaux, Ms 1480, fo 228-231.
3 1772-12-24 ; BM Bordeaux, Ms 1480, fo 239-245.
4 Edmund and William Burke, An Account of the European Settlements in America in Six Parts, 1757 et abbé Raynal, Histoire politique et philosophique des établissements et du commerce des Européens dans les Deux Indes, 1770. Les deux ouvrages font allusion à la déportation des Acadiens et la condamnent. À ce sujet, voir J. M. Faragher, A Great and Noble Scheme: The Tragic Story of the Expulsion of the French Acadians from their American Homeland, New York et Londres, W. W. Norton et Cie, 2005, p. 450s. L’ouvrage de Raynal en particulier connut une très grande diffusion en France. Lemoyne possédait dans sa bibliothèque une traduction de l’ouvrage de Burke (1793-12-18 ; BM Bordeaux, Ms 860 et Ms 840, fo 225).
5 Le terme, très souvent orthographié « Accadien », est parfois déformé par les administrateurs peu éduqués, comme les employés des fermes de Saint-Malo qui lui substituent souvent le terme « Cadien ». L’orthographe du mot est aléatoire. On rencontre ainsi à Nantes dans les registres de catholicité des « Acadÿens », « Achaïens », « Arcadiens ».
6 Voir la partie « Des Acadiens avant tout », p. 231s.
7 1759-01-20 et 1759-01-26d. La même expression est également utilisée par un subdélégué (1776-03-21 ; ANC, MG6 A15, série C [Mi F 849] – AD Calvados, C 1021).
8 1772-12-28a ; BM Bordeaux, MS 1480, fo 246-247).
9 « Ils se sont corrompus petit à petit, ils sont aussi méchants (« Mauvais, qui n’est pas bon, qui ne vaut rien dans son genre » Dict. Acad.) aujourd’hui que les gens du pays » (1773-04-27c).
10 1773-01-19 ; BM Bordeaux, Ms 1480, fo 251-252. Les exemples ci-dessus ne sont donnés qu’à titre indicatif.
11 Dictionnaire de l’Académie.
12 1763-11-20 ; AD Ille-et-Vil. C 5156.
13 1763-03-17 ; 1765-02-11 ; 1785-04-25.
14 1774-05-08° ; ANC, MG6 A15, série C [Mi F 849] – AD Calvados, C 1019.
15 Le mot est employé par de Ruis, 1759-12-06 ; Berryer 1759-12-14 qui reprend le terme de Ruis ; Choiseul, mais il n’est pas sûr dans ce cas que le terme s’applique aux Acadiens, 1763-06-02 ; enfin par Lemoyne (1773-10-26).
16 Dictionnaire de l’Académie.
17 Voir p. 245 ; les administrateurs parlent d’Acadiens « domiciliés » dans une ville ou une région particulière.
18 « Fugitifs » : 1767-01-12 ; MAE, Mémoires et documents, Angleterre, vol. 47, 13. Ce terme est utilisé, significativement, par les États de Bretagne au moment de la reconstitution de l’état civil des Acadiens.
19 Praslin écrit que les Acadiens sont « non domiciliés » et « en entrepôt » à Saint-Malo et qu’à ce titre ils ne doivent point être assujettis à la garde bourgeoise (1767-07-21b ; AN Col B, vol. 127, fo 289).
20 Lemoyne rapporte : « ce qui arrête plusieurs gentilshommes est la crainte de confier leurs biens à des étrangers […] et le peu de sûreté [de ?] ces gens n’ayant rien pour répondre » (1772-07-10 ; BM Bordeaux, Ms 1480, fo 97-102).
21 1773-02-00 ; AN H1 14992, fo 649.
22 Entre 1,57 m et 1,87 m, le pied variant entre 30 et 35 cm selon les lieux et un pied valant douze pouces.
23 1774-05-20b ; BN, Joly de Fleury no 1722, Commerce et Colonies, fo 187-191. Voir également un extrait où le physique des Acadiens est comparé à celui des Poitevins, p. 219.
24 1901-09-17 ; AD Ille-et-Vil. 5J 138. Propos du père Le Gallen recueilli par Henri Bourde de la Rogerie à Belle-Île.
25 Sur la question de la dépopulation, outre la partie ci-dessus, voir Carol Blum, Strength in Numbers : Population, Reproduction and Power in Eighteenth Century France, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 2002.
26 Les documents suivants, notamment, affirment que les Acadiens ne sont pas très bons travailleurs ou pas très habiles : 1759-05-10 ; 1760-08-17 ; 1760-08-19b. Les documents suivants les disent paresseux : 1760-08-19b ; 1763-08-22 ; 1763-09-12 ; 1767-05-22 ; 1767-06-05 ; 1767-10-11c ; 1775-04-21 ; 1776-00-00 ; 1776-03-09.
27 Les documents suivants affirment que les Acadiens sont au contraire courageux : 1763-08-24a ; 1763-07-25 ; 1763-07-11a ; habiles : 1759-02-04 ; habiles et courageux à la fois : 1763-10-31b ; 1763-07-04. Il faudrait ajouter à cette liste de nombreuses allusions à « l’industrie » et à « l’adresse » des Acadiens lors de l’établissement de Belle-Île-en-Mer, ainsi que les nombreux cas, où les Acadiens sont comparés très favorablement avec les populations locales.
28 1760-08-12 ; SHM Brest 1 P 1/8 1760 pièce 129 et SHM Rochefort, 1 E 168, fo 595.
29 1760-08-17; AN Marine B3, vol. 547, fo 131.
30 1760-08-19b; SHM Brest 1 P 1/8 1760 pièce 128.
31 1759-02-04; AM Saint-Malo, BB 45.
32 Lettre du comte François Claude Barbier de Lescoët (1763-07-04 ; Louis Le Guennec, Les Barbier de Lescoët : une famille de la noblesse bretonne, Quimper, 1991 [1935 ?], p. 538).
33 1763-10-31b ; AD Ille-et-Vil. C 5156.
34 Voir la partie consacrée à Belle-Île-en-Mer, p. 88s.
35 1763-07-31 ; AD Ille-et-Vil. C 5139. On remarque que l’inspecteur fonde son jugement sur les lettres de Nivernais et du duc d’Aiguillon et non sur ses observations.
36 1772-08-15a ; BM Bordeaux, Ms 1480, fo 136.
37 1763-08-24a ; Gabriel Debien, « Les Acadiens réfugiés aux Petites Antilles (1761-1791) », Cahiers de la Société historique acadienne, 15, 2-3, juin et septembre 1984, p. 57-99.
38 1763-07-11a ; ANC, MG6 A15, série C [Mi F 849] – AD Calvados, C 1019.
39 1760-08-19b ; SHM Brest 1 P 1/8 1760 pièce 128.
40 Cluny de Nuis, intendant de Saint-Domingue en 1763, puis de Bretagne en 1765, sera Contrôleur général des Finances de mai à octobre 1776. Selon Pérusse, il eut des démêlés avec les Acadiens pendant son séjour à Saint-Domingue. Cluny « contre qui 12 ou 15 familles acadiennes qui relâchèrent à Saint-Domingue lorsqu’il y était intendant portèrent des plaintes graves à leur arrivée en France, prétendant en avoir reçu les traitements les plus durs, ne pouvait entendre parler des Acadiens sans émotion et colère » (1777-02-00 ; AD Vienne 2 J dép. 22, art. 97). Dans une lettre ultérieure, le marquis n’hésite pas à qualifier Cluny de « plus cruel ennemi qu’aient peut-être eu les Acadiens » (1777-03-15 ; id.). Sur les tentatives d’établissement d’Acadiens à Saint-Domingue, voir le chapitre 3 de la thèse de Christopher Hodson, Refugees, op. cit.
41 1763-08-22 ; SHM Rochefort, 1 E 593.
42 1763-09-12 ; AN Col B, vol. 117, fo 405 : Choiseul concède toutefois dans la même lettre que les Acadiens sont forts industrieux, c’est-à-dire habiles, selon le Dict. Acad.
43 1765-10-22 ; J.-M. Fonteneau, Les Acadiens citoyens de l’Atlantique, op. cit.
44 1767-06-05 ; ANC, MG6 C3 [Mi 12881, 3e reg., p. 8] – Archives du port de Cherbourg (lettres de Defrancy, du 1er mars 1763 au 2 avril 1768).
45 1767-10-11c ; AN Marine B3, vol. 576, fo 42.
46 Quelques mois auparavant, dans un réquisitoire contre un Acadien accusé de fraude de tabac, le « Procureur de l’adjudicataire général des fermes du roi ayant monopole de la vente de tabac » s’insurgeait déjà à ce propos (1767-05-22, AD Ille-et-Vil. 7 B 25 – 1767).
47 1773-04-26 ; BM Bordeaux, Ms 1480, fo 312-318. Lemoyne à l’Isle-Dieu.
48 1773-05-13a ; BM Bordeaux, Ms 1480, fo 319-326 (« Mémoire historique », Lemoyne à Terray).
49 Le Dictionnaire de l’Académie définit ainsi « mœurs » : « 1. Habitudes naturelles ou acquises pour le bien ou pour le mal, dans tout ce qui regarde la conduite de la vie […]. 2. se prend aussi pour la manière de vivre, pour les inclinations, les coutumes, les façons de faire, & les lois particulières de chaque nation », ce qui correspond encore aux deux acceptions contemporaines du terme.
50 1759-05-10 ; SHM Brest 1 P1/23 pièce 7.
51 Le chevalier d’Éon écrit : « Nos prisonniers français […] ont marqué beaucoup moins de fidélité à la France […] que les malheureux Acadiens qui viennent de s’embarquer pour la France, après avoir étonné toute l’Angleterre par leur probité, leurs mœurs et leur attachement inviolable à la religion et au roi, malgré leur dispersion cruelle et la misère effrayante qu’ils ont supportée jusqu’à la fin avec un courage héroïque que tous les Français devraient avoir encore » (1763-06-13a ; Roy, Rapport, p. 615-617 – MAE, Corresp. Pol., Angleterre, vol. 450, p. 404-407). Voir aussi le mémoire de Nivernais évoqué à de nombreuses reprises (1763-02-17a).
52 L’évêque de Saint-Malo juge ainsi que les Acadiens sont empreints de la meilleure catholicité : « Posso bensì parlare più precisamente sopra la cattolicità di questi abitanti : ella è si perfetta quanto possarle fide » (1760-05-01 ; Vatican Archives de la Sacrée Congrégation de la Propagande – ANC, MG 17 – A 25 – Mi [orig.] K – 235).
53 On a déjà eu l’occasion d’évoquer, plus haut, la « pureté » des mœurs acadiennes aux yeux des observateurs, qui en font des « vassaux à désirer » (1772-08-15a ; BM Bordeaux, Ms 1480, fo 136). Les exemples sont abondants. Ainsi, en 1763, un certain Daumesnil écrit : « Ceux qui sont dans notre ville, désirent surtout de n’être point séparés. […] Ils avouent qu’ils succomberaient au chagrin de cette dispersion, en grande partie par la crainte de l’altération de leurs mœurs dont M. le duc de Nivernais rend le compte le plus flatteur » (1763-07-20b ; AD Ille-et-Vil. C 5156). On retrouve de nombreuses autres allusions semblables. Voir par exemple : 1774-05-20b ; BN, Joly de Fleury no 1722, Commerce et Colonies, fo 187-191 ; « [les Acadiens] seraient infiniment meilleurs si la contagion de nos mœurs n’avait pas répandu quelques nuages sur l’innocence de celles qu’ils avaient apportées du Canada » (1772-11-17 ; BM Bordeaux, Ms 1480, fo 219-223).
54 Voir à ce sujet la partie : « Émigration vers le Poitou », p. 102, dans lequel sont reproduits plusieurs mémoires de Pérusse expliquant qu’il veut garder groupés les Acadiens pour conserver leurs mœurs pures (notamment).
55 1770-00-00b ; Abbé de Raynal, Histoire politique et philosophique des établissements et du commerce des Européens dans les Deux Indes, 1770.
56 Il semble en fait avoir puisé la plus grande partie de ses informations dans l’ouvrage de Burke, An Account of the European Settlements in America in Six Parts, 1757.
57 Voir Jean Meyer, Jean Tarrade, Annie Rey-Goldzeiguer et Jacques Thobie, Histoire de la France coloniale, vol. I, La conquête, des origines à 1870, Paris, Armand Colin, 1991, note 464.
58 Concernant la croyance que le climat forme le caractère des peuples, voir notamment David A. Bell, « The Unbearable Lightness of Being French », op. cit., p. 1226-1228.
59 1773-06-17 ; BM Bordeaux, Ms 1480, Annexes, 1er dossier. L’Isle-Dieu aux Acadiens.
60 1773-04-26 ; BM Bordeaux, Ms 1480, fo 312-318 (Lemoyne à l’Isle-Dieu) ; Pérusse s’efforce lui aussi et sur les mêmes bases de défendre la réputation des Acadiens sur ce point (1774-03-23b, AN H1 14992, pièces 606 et 655).
61 1773-05-13a ; BM Bordeaux, Ms 1480, fo 319-326.
62 1777-02-00 ; AD Vienne 2 J dép. 22, art. 97 ; voir aussi 1775-10-23, 1776-03-09, 1777-03-04.
63 Cf. 1772-10-29 ; BM Bordeaux, Ms 1480, fo 157-161 et 1772-09-05 ; id. fo 120-124.
64 Elle transparaît dans certaines lettres échangées par des administrateurs amis, lorsqu’ils se laissent aller à quelques confidences. Ces lettres sortent peu cependant du cadre convenu et des généralités sur les Acadiens, en fonction de l’humeur du moment. Voir par exemple les lettres de Guillot à Lemoyne ou de Pérusse à Blossac.
65 Daniel Roche, France des Lumières, partie « La Fin des Révoltes ».
66 Daniel Roche, France des Lumières, p. 290.
67 On retrouve une telle conception par exemple dans les ordres de Berryer stipulant que la solde distribuée aux Acadiens est modique pour qu’ils soient industrieux.
68 Ibid., p. 294.
69 1772-05-14 ; BM Bordeaux, Ms 1480, fo 83.
70 1773-04-27c ; BM Bordeaux, Ms 1480, Annexes, 1er dossier, fo 22s.
71 1772-07-18 ; BM Bordeaux, Ms 1480, fo 102-109.
72 Abbé Coyer, extrait de la Dissertation sur la nature du peuple, cité par D. Roche, France des Lumières, p. 292.
73 1773-07-24; AD Vienne 2 J dép. 22, art. 124-1.
74 « En France, le sentiment était que socialement les Acadiens étaient inférieurs aux natifs Français » (Winzerling, op. cit., p. 3, note 1). « Commentateurs après commentateurs évoquent leur stupidité » (Naomi Griffiths, The Acadian Deportation : Causes and development, thèse de doctorat, University of London, 1969, p. 240). Pourtant les textes ne font pas la moindre allusion à une quelconque stupidité ou idiotie attribuée aux Acadiens. Ce mot ou des synonymes proches ne figurent à aucune reprise dans les textes.
75 1763-07-25 ; la commission des domaines au duc d’Aiguillon, juillet 1763, AD Ille-et-Vil., C 5127, cité par Christophe Cérino, dans « Les Acadiens à Belle-Île-en-Mer : une expérience originale d’intégration en milieu insulaire à la fin du XVIIIe siècle », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 110, 1 (2003), p. 115-124.
76 1763-07-04 ; Louis Le Guennec, Les Barbier de Lescoët, op. cit., p. 538.
77 1774-03-26a; AD Vienne 2 J dép. 22, art. 124-1.
78 1774-05-18a; AD Vienne 2 J dép. 22, art. 97.
79 1774-05-06 ; BM Bordeaux, Ms 1480, fo 591-595. Lemoyne à Pérusse.
80 1772-11-17 ; BM Bordeaux, Ms 1480, fo 219-223.
81 Il est à noter que j’emploie dans ces pages le terme « culturel » volontairement dans son acception contemporaine de « qui est relatif à la culture », soit « l’ensemble des aspects intellectuels propres à une civilisation, une nation » (Petit Robert). L’adjectif « culturel » lui-même ne date que de 1907 selon Alain Rey, Dictionnaire historique de la langue française, Paris, Le Robert, 1998 (1992). Par souci de ne pas surcharger le texte, j’ai enlevé ci-après les guillemets qui devraient encadrer ce mot.
82 1759-09-18a ; AD Manche, Saint-Lô, 6 Mi 252 à 257, dossier no 5.
83 « L’unification linguistique de la France est loin d’être achevée à la fin de l’Ancien Régime » (Jacques Revel, « Langues et Patois » dans Lucien Bély, Dictionnaire de l’Ancien Régime). L’Encyclopédie souligne en outre que le patois « se parle presque dans toutes les provinces […]. On ne parle la langue que dans la capitale ». Le lecteur pourra se reporter à la carte des langues parlées en France en 1789 dans D. Bell, The Cult of the Nation, p. 16.
84 Au sens propre de « science des traditions, des usages et de l’art populaires d’un pays, d’une région, d’un groupe humain », de l’anglais folk-lore (1846) « science (lore) du peuple (folk) » (Petit Robert). La naissance du terme, au XIXe siècle, est contemporaine de l’intérêt porté à ces questions, qui suscitent peu de commentaires au XVIIIe siècle.
85 1764-02-03 ; AD Ille-et-Vil. C 5156.
86 1764-02-21 ; AD Ille-et-Vil. C 5140.
87 Lors d’un procès les témoins sont assistés d’interprètes qui traduisent leurs déclarations. Plusieurs disent ne pas savoir parler français (1764-05-03 ; AD Finistère [Quimper] 6 B 789, 6 B 191, 6 B 2). Au cours d’un différend à Belle-Île entre Acadiens et îliens, un curé joue le rôle du médiateur « en breton et en français » (1767-03-07 ; Jean-Marie Fonteneau, Les Acadiens citoyens de l’Atlantique, op. cit., p. 370s). Enfin, lors de son interrogatoire Françoise Huere, femme de Jean Thibaudeau, explique qu’un de ses co-accusés, le soir des faits, « parlai[t] un langage à elle inconnu » (1767-11-02b ; AD Ille-et-Vil. 7 B 44).
88 Jacques Revel, « Langue et patois » dans Lucien Bély, Dictionnaire de l’Ancien Régime, citant une étude de D. Norman.
89 « Ces hommes qui paraissent des plus vigoureux ressentent déjà les chaleurs quoi que point encore sensibles pour nous » (1759-05-10 ; SHM Brest 1 P1/23, pièce 7).
90 1763-02-17a; MAE, Corresp. Pol., Angleterre, vol. 449, fo 340ss.
91 1763-04-04; AN Col B, vol. 117, fo 117. Voir aussi, parmi d’autres exemples, les mêmes arguments repris dans une réponse des Acadiens de Saint-Pierre et Miquelon à Perrault dans laquelle ils évoquent le climat trop chaud de la Guyane (1764-09-16a ; AN Col C11 D, vol. 8).
92 De Francy écrit à propos des d’Entremont qui demandent à passer à Saint-Pierre et Miquelon que le climat de cette colonie leur convient mieux que Cayenne (1764-03-16a ; ANC, MG6 C3 [Mi 12881, 2e reg., P. 1]) – Archives du port de Cherbourg (lettres de Defrancy, du 1er mars 1763 au 2 avril 1768). Choiseul estime que les Acadiens qui vont à Saint-Pierre et Miquelon, contrairement à ceux qui partent pour Cayenne, ne doivent pas toucher de gratification car « ils retournent dans le climat d’où ils sont sortis » (1763-06-13d ; SHM, Rochefort 1 E 172, fo 479-480).
93 Les voyages tropicaux, avant l’arrivée de la médecine moderne, étaient souvent mortels. Les Acadiens risquaient leur vie en allant en Guyane et ils en étaient conscients. La tentative de colonisation de la Guyane, entreprise par Choiseul, fut plus meurtrière que la déportation des Acadiens elle-même. Par exemple, sur près de 15 000 Européens envoyés à Kourou, près de 9 000 colons moururent en quelques mois (Luca Codignola et Luigi Bruti Liberati, Storia del Canada dalle origini ai giorni nostri, Milano, Bompiani, 1999, p. 227).
94 Voir à ce sujet l’article de Bernard Cherubini, « L’odyssée des Acadiens dans la Caraïbe ou les théories humorales de la créolisation », Cahiers de la Société historique acadienne, 26, 1 (janvier-mars 1995), p. 5-22.
95 Du moins au début de leur séjour en France, car certains correspondants estiment par la suite qu’un certain nombre de réfugiés se sont parfaitement bien acclimatés. Ainsi, Pérusse estime que les Acadiens sont plus ou moins devenus Bretons lorsqu’il préconise de faire partir quelques individus qui « nous ont porté en Poitou tout le mauvais de l’esprit breton » (1774-12-13 ; AD Vienne 2 J dép. 22, art. 97). Selon un autre témoin, les Acadiens se sont acculturés à Caen. Un administrateur demande à ce qu’ils puissent finir leurs jours « dans un pays au climat duquel ils sont familiarisés et aux usages duquel ils sont habitués » (1774-01-15a ; ANC, MG6 A15, série C [Mi F 849] – AD Calvados, C 1020).
96 1760-01-10 ; SHM Rochefort 1 E 164, fo 341 et 347. La guerre de Sept Ans bat alors son plein et les Anglais tentent d’intercepter toute communication à l’intérieur du camp français. Pour parer à ce problème, pendant que des lettres étaient envoyées par la voie maritime traditionnelle du golfe du Saint-Laurent, Berryer imagine de faire passer des doubles par la rivière Saint-Jean pour maximiser les chances qu’une des deux copies arrive à bon port. Une corvette, le Storck, est armée pour cette mission, et plusieurs Acadiens sont recrutés pour y participer. En raison de la saison trop avancée, la mission sera annulée au dernier moment. Au sujet de l’armement du Storck, voir la série 1E au Service historique de la marine à Rochefort.
97 1785-07-13 ; ANC, MG6 A15, série C [Mi F 849] – AD Calvados, C 1022.
98 De Ruis à Berryer : 1759-12-06 ; SHM Rochefort, 1 E 415, no 726.
99 1773-04-27b ; BM Bordeaux, Ms 1480, fo 318-319.
100 L’Acadie doit son nom à l’Arcadie grecque.
101 1772-11-17 ; BM Bordeaux, Ms 1480, fo 219-223. Dans une lettre antérieure adressée à Pérusse, Guillot écrivait déjà : « élevés dans un pays gras et fertile, nos meilleures terres en France sont pour eux à peine comparées à leur terrain médiocre de l’Acadie. Aussi les verra-t-on toujours difficiles et ne faire aucun choix » (1772-10-19 ; AN H1 14992).
102 Un jeune Acadien, devenu orphelin, ayant besoin d’un tuteur, le procureur fiscal du lieu veut les obliger à passer par les formalités légales d’usage. Pour diverses raisons qui sont expliquées dans ce mémoire, et dont les extraits ci-dessus donnent un premier aperçu, les Acadiens souhaitent être exemptés de ces formalités légales. Ces demandes ne leur seront pas accordées.
103 1773-04-27a ; BM Bordeaux, Ms 1480, fo 307-312.
104 Warren à Le Loutre : 1764-03-20 ; Lanco, « Les Acadiens à Belle-Île-en-Mer », op. cit.
105 Jean-François Mouhot, « L’influence amérindienne sur la société en Nouvelle-France : une exploration de l’historiographie canadienne de François-Xavier Garneau à Allan Greer (1845-1997) », Globe. Revue internationale d’études québécoises, 5, 1 (octobre 2002), p. 123-157. Ce thème revient dans cinq documents : 1763-05-18 ; 1773-12-00a ; 1773-07-22a ; 1774-02-00a ; 1774-05-06, qui proviennent tous, à l’exception du premier, de Lemoyne. Les Acadiens avaient des contacts étroits avec les Micmacs avant la déportation. En 1758, des Acadiens échangent même des prisonniers anglais contre des alliés Micmacs emprisonnés par les Britanniques (Faragher, A Great and Noble Scheme, op. cit., p. 400-401). Les réfugiés en France gardent la mémoire de ces contacts. En témoignent par exemple le récit de Benjamin Boudrot (1860-03-03 ; cité dans Damien Rouet, « Les Acadiens dans le Poitou : permanence d’une identité », Études canadiennes : Acadiens, mythes et réalité, 37, (1994), p. 145-157) et surtout la lettre de Marguerite d’Entremont qu’elle termine par ces termes : « Nos compliments à tous les sauvages nos connaissances » (1773-01-25). Plusieurs de ces « sauvages » vinrent en France avec des Acadiens ou des Canadiens. Quelques-uns ont touché des secours eux aussi. Ainsi retrouve-t-on sur une liste de secours une certaine « Sannesic », âgée de 39 ans et domiciliée à Rochefort. L’administrateur note que « sa qualité de sauvagesse la rend susceptible des grâces du Roi, elle s’est réfugiée en France avec la famille Beaubassin. On propose de lui accorder à vie 6 s. par jour » (1774-03-23a ; RAPC 1905-II, p. 220).
106 1763-05-18 ; ANC, MG18 – F14 (Fonds Papiers de La Rochette), vol. 1, p. 388.
107 Dictionnaire historique de la langue française ; « BUTIN. Argent, hardes, bestiaux, & c. qu’on prend sur les ennemis […]. Quand on parle des guerres d’à présent, butin ne se dit guère que de ce que les soldats pillent sur les ennemis » (Dictionnaire de l’Académie).
108 1773-12-00a ; BM Bordeaux, Ms 1480, fo 536. Lemoyne à Terray : « Ces hommes, dès l’enfance, ont usé du tabac comme les sauvages avec lesquels ils vivaient. » Dans un autre document, Le Loutre évoque également l’utilisation du tabac dès la prime enfance (Le Loutre à Praslin : 1769-03-31 ; AN Col C11 A, vol. 125, fo 578).
109 1773-07-22a ; BM Bordeaux, Ms 1480, fo 383-394.
110 1774-05-06 ; Lemoyne à Pérusse, BM Bordeaux, Ms 1480, fo 591-595.
111 1759-05-10 ; SHM, Brest 1 P1/23, pièce 7.
112 1772-11-17 ; BM Bordeaux, Ms 1480, fo 219-223.
113 1776-03-09 ; AD Vienne 2 J Dép. 22 art. 124-2 : Pérusse à Blossac.
114 Transcription du témoignage de Mme Papuchon, née Daigle, fille d’Acadiens restés dans le Poitou, âgée de 40 ans environ, relevé par Rameau de Saint-Père sur la ligne acadienne, en 1860 (1860-03-03 ; cité dans Damien Rouet, « Les Acadiens dans le Poitou », op. cit., CEA Moncton, Fonds Rameau de Saint-Père, Acadiens du Poitou, 2.12-4 [feuillets]).
115 1763-07-20a ; Mémoire de Louis de la Vergne de Tressan, 20 juillet 1763, AN Col C11 D, vol. 8.
116 1759-05-10 ; SHM Brest 1 P1/23, pièce 7.
117 1772-11-17; BM Bordeaux, Ms 1480, fo 219-223.
118 1775-08-12c; AD Vienne 2 J dép. 22, art. 124-1.
119 Pour un bon aperçu de ces clichés, voir par exemple : Jacques Mathieu, La Nouvelle-France. Les Français en Amérique du Nord, XVIe-XVIIIe siècle, Paris, Sainte-Foy, Presses de l’Université Laval, 2001 (1991), en particulier le chapitre VII.
120 « Je suis informé que l’attachement singulier que ces gens ont les uns pour les autres permettra difficilement leur séparation et que les enfants verraient avec peine leurs pères et mères dispersés dans des hospices de charité » (1779-10-06a ; ANC, MG6 A15, série C [Mi F 849] – AD Calvados, C 1021 : Sivard de Beaulieu (subdélégué de Valognes) à l’intendant de Caen (Esmangart).
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