Chapitre VIII. « Travaillez, prenez de la peine »
p. 162-186
Texte intégral
1L’assistance gouvernementale ne constituait qu’une partie du revenu des réfugiés. De nombreux Acadiens complétaient en effet les secours par les revenus de leur travail, non sans que cela pose problème d’ailleurs : nous avons vu que le gouvernement interdit à certains moments, et tolère à d’autres, le cumul des six sous avec les revenus d’un travail. Pour continuer d’évaluer l’intégration économique et sociale des Acadiens, il convient de s’arrêter un peu plus en détail sur les occupations quotidiennes des réfugiés. Le travail de ceux-ci est souvent fortement encouragé par les ministres qui se succèdent au gouvernement, cela pour permettre de leur supprimer la solde et ne pas les encourager à la paresse1. Si les secours sont si modiques, c’est, selon Berryer, précisément pour cette raison2. Ministres, intendants et commissaires reçoivent donc comme consigne expresse de trouver de l’occupation aux Acadiens3. « Il faut employer au service de la mer ou des ports tous les pêcheurs et gens de mer qui peuvent servir, et tous les ouvriers ou gens de journée qui sont en état de travailler », martèle sans cesse Berryer4. Mais, comme il n’est pas toujours possible d’employer les Acadiens dans les ports, les idées vont bon train, même si la plupart d’entre elles ne sont apparemment jamais mises en œuvre.
Enquêtes sur les « talents » des Acadiens
2Pour trouver à employer les Acadiens, il faut d’abord savoir de quoi ils sont capables. C’est pourquoi à plusieurs reprises les intendants ou les commissaires de la Marine enquêtent pour en savoir plus sur les « talents » des Acadiens. Quelquefois, les renseignements arrivent spontanément. Quelques mois après l’arrivée des premiers bateaux chargés d’Acadiens dans la région de Saint-Malo, un certain Ladvocat de la Crochais rend compte de « l’examen [qu’il a] fait des talents de ces gens et de leurs facultés pour gagner leur vie » :
Premièrement, ces peuples sont élevés dans un pays d’abondance, de terres à discrétion, par conséquent moins difficiles à cultiver que celles de ces cantons ici, et dont les usages étaient différents […]. Ils manient un peu la hache pour faire longuement et assez mal quelque chose à leurs usages, ce qu’on ne peut appeler que hacheur de bois. Les femmes filent aussi assez mal, c’est-à-dire de très gros fil et font un peu des bas. Voilà tous les talents que je leur connais5.
3Ce jugement, fortement teinté d’ethnocentrisme, insiste, il est vrai, sur les inaptitudes présumées des Acadiens – qui, de plus, « paraissent épuisés » – pour mieux réclamer la continuation de leur paye. L’auteur du mémoire, qui souhaite cette continuation, précise que la leur supprimer serait les exposer à l’indigence et précise : « Je serais bien fâché d’avoir à me reprocher qu’un malheureux mourut faute de secours à ma porte et si la solde du roi est supprimée, j’aurai un peu cette douleur. » Il ne faut donc pas prendre pour argent comptant les jugements à l’emporte-pièce de Ladvocat sur les habiletés des travailleurs. Quelques années plus tard, le commissaire chargé d’enquêter sur la situation des Acadiens et de trouver à les établir – et qui connaît assez bien leur situation générale – présente une version plus optimiste des compétences des colons réfugiés : « Les hommes sont communément cultivateurs et un peu charpentiers, c’est-à-dire capables de manier la hache assez pour faire la charpente grossière d’une maison. » D’autres sont « constructeurs de barques de pêche, savent faire les filets, beaucoup sont pêcheurs, navigateurs » ou encore saleurs, et « il en est de bons matelots, d’autres peuvent être menuisiers, forgerons, en état de faire les outils aratoires, etc.6 »
Travaux proposés aux Acadiens
4Comment mettre à profit ces compétences ? Le ministre est le premier à suggérer diverses idées, qui privilégient le travail peu qualifié, voire dangereux. L’essentiel pour lui est de réduire le coût de l’assistance aux réfugiés. Il préconise au commissaire des classes à Boulogne d’employer les réfugiés « soit dans les manufactures de la province soit à la culture des terres7 » ; des consignes similaires sont envoyées dans tous les lieux où ont débarqué des Acadiens. On fait des calculs pour voir s’il serait rentable d’utiliser les talents de certaines Acadiennes pour les métiers à étoffe, mais les profits espérés étant bien trop médiocres et les investissements à consentir trop lourds, on abandonne le projet8. On préconise alors qu’ils soient utilisés aux travaux du port, à Dunkerque, ou pour le travail de la terre9. On incite fortement et à de nombreuses reprises les habitants à naviguer : « rien n’empêche ces habitants de s’embarquer sur les corsaires ou frégates du roi : ils ne sont point prisonniers » précise Berryer. Il suggère même au commis des classes à Boulogne : « Quant aux jeunes gens qui sont propres à s’embarquer sur des corsaires ou des frégates armées à Dunkerque et qui refusent de prendre ce parti, il n’y a qu’à leur retrancher les secours que le roi leur donne10. » Plusieurs intendants suggèrent de les employer à l’entretien des chemins11. Rivalisant d’imagination, l’un des intendants suggère qu’on emploie les colons réfugiés à fabriquer des filets, et Bertin préconise même de les envoyer travailler dans les mines – comme on le proposera plus tard aux familles allemandes12. Choiseul fait toutefois remarquer à ce sujet que la proposition de Bertin « fut repoussée, car il eut été cruel pour des gens qui vivaient dans l’aisance et qui ont tout sacrifié par zèle et attachement à la France, de se soumettre à une telle déchéance13 ».
Les métiers de prédilection
Métiers masculins
5Les propositions ci-dessus ne sont que des idées et rien ne prouve que des Acadiens aient effectivement été employés à ces diverses activités. En revanche, on découvre au fil des documents des mentions de métiers exercés par des Acadiens.
6Une grande partie est simplement désignée comme exerçant l’activité de journaliers14. La précarité des conditions de vie de cette catégorie de travailleurs est transparente dans le témoignage donné par Anselme Boudereau, journalier à Saint-Servan. Sommé par les employés de la ferme de Saint-Malo de justifier son emploi du temps du 3 mars 1767, il déclare qu’il « sortit de Saint-Servan […] vers les 7 heures15 [du matin] pour passer à Saint-Malo en un bateau duquel dernier lieu [il] partit pour aller chercher sa vie et du travail à la campagne16 ». L’emploi de nombreux Acadiens comme simples journaliers s’explique certainement, comme nous l’avons vu plus haut, par le fait que ceux-ci sont convaincus qu’ils ne font que résider temporairement sur leur lieu de refuge. Cette incertitude ne facilite aucunement l’intégration économique et sociale des réfugiés qui – avant de pouvoir chercher un travail stable – souhaiteraient connaître leur situation future. Voilà à n’en pas douter l’une des raisons pour lesquelles un si grand nombre d’entre eux se replient sur des travaux au jour le jour. Il est difficile d’évaluer le nombre de jours qu’un Acadien pouvait travailler chaque année ; il est donc encore plus hasardeux d’extrapoler ce que pouvait représenter le salaire rapporté à la maison. Les Acadiens sont également employés à l’entretien des chemins, à Boulogne17. Il s’agit d’un travail fourni par le commis des classes – et cette fois la solde leur est suspendue pendant le temps des travaux et reprend à la fin du contrat. Dans la région de Saint-Malo, plusieurs Acadiens travaillent plusieurs mois à « réparer le moulin à marée de la Minotais, en Plouër18 ».
7Divers métiers du bois, avec une spécialisation courante dans la construction maritime, occupent aussi bon nombre d’Acadiens : plusieurs sont simplement désignés comme scieurs de bois ou charpentiers, tandis que d’autres sont spécifiquement employés à la construction des bateaux. En 1785, à Morlaix, il y a ainsi 14 charpentiers de mer. Parmi les professions plus rares, mais toujours liées au bois, on trouve au moins un savetier, apparemment installé à son compte car il a dû emprunter à des fournisseurs pour 200 livres de « matières propres à son travail de sabots19 ».
Navigation
8L’autre grande occupation des hommes, c’est la navigation, sous toutes ses formes. Un mémoire d’août 1760 mentionne déjà « les garçons [acadiens] de Pleudihen et de Plouër qui naviguent dans les bateaux20 ». Certains suivent les injonctions ministérielles et s’engagent sur des coursiers ou des négriers, comme Aimable Henry, qui déclare s’être embarqué sur un corsaire à Saint-Malo en 1759, et avoir été capturé. Libéré de sa détention en Angleterre, il s’embarque « pour la côte de Guinée ». À son retour en France, à la fin de 1764 ou au début de 1765, il demande à recevoir la solde du roi « pour le temps qu’il a été dans les prisons21 ». Alain Roman signale qu’on retrouve un nombre certain d’Acadiens embarqués : ainsi, les « rôles des navires corsaires » signalent cinq Acadiens sur un total de 30 marins à bord d’un vaisseau, L’Hercule22. Beaucoup d’autres Acadiens naviguent à bord de vaisseaux commerciaux : « quelques-uns font le métier de matelot et gagnent un peu plus et assez pour se passer eux personnellement des secours du roi », écrit le commissaire des classes de Cherbourg23. À la fin de la période, on note même à Morlaix un « homme de 36 ans capitaine de long cours » et à Nantes un « bon marin qui aura des lettres de capitaine de navire lorsqu’il aura encore fait un voyage pour le roi24 ».
Pêche
9De nombreux autres hommes s’adonnent à la pêche, notamment sur des navires à destination des bancs de pêche au large de Terre-Neuve. Certains en profitent pour retourner clandestinement en Acadie, comme c’est par exemple le cas de Basile Boudrot, dont l’histoire est narrée en filigrane dans plusieurs lettres de la famille d’Entremont. Il serait parti de Cherbourg et passé au Cap Sable, au sud de l’actuelle Nouvelle-Écosse, via Saint-Pierre et Miquelon selon toute vraisemblance. En 1761, Basile Boudrot, témoin requis pour l’instruction d’une dispense de consanguinité, âgé d’une vingtaine d’années, apparaît navigateur de profession, « étant à l’Acadie et à Cherbourg sans occasion de la continuer25 ». Dans un document postérieur, il est dit qu’il est « navigant et commerçant pour son compte », avec son père, et qu’il « va quelque fois à la pêche du poisson frais ». Un certain nombre des réfugiés pratiquent la pêche côtière, comme Jean et François Rambourg, « habitants de l’Amérique septentrionale » et « jeunes gens très laborieux qui vont à la pêche tous les jours, ce qui sans doute leur procure une subsistance raisonnable26 ». Il semble que dans certains cas les Acadiens aient emprunté sur place les sommes permettant l’achat des outils nécessaires à la pêche. Ainsi, un certain Jean Le Chaux emprunte des fonds à un négociant de Cherbourg, pour l’achat « d’une barque, d’agrès et de matériels de pêche27 ».
10Certains utilisent peut-être même des techniques exotiques comme la « pêche au Cormoran ». Le dialogue suivant est rapporté dans un réquisitoire, entre un gabelou nommé Guegot et deux Acadiens se réchauffant dans un cabaret à cinq kilomètres de Saint-Malo :
Le Sieur Guegot […] entra dans le cabaret, il s’enquit des deux Acadiens y restés, d’où ils venaient. « De la chasse au cormoran », répondirent-ils. « Avez-vous des fusils ? », répliqua l’employé. « Nous en avions deux, lui dirent-ils et nous étions cinq hommes dans un bateau qui est à l’anse des champs ». « Où est votre congé [permis] de pêche ? », continua l’employé. « Un coup de mer, dirent ces deux Acadiens, a emporté le paletot du maître où il était28 ».
11On se demande ce que pouvait bien être cette chasse au cormoran. Il est possible que les Acadiens aient employé cette technique. Ce qui est sûr c’est qu’elle leur sert dans ce cas précis à couvrir le transport de « faux tabac » et de fusils29.
12La pêche – activité commune en Acadie – est ainsi pratiquée en dilettante par de nombreux Acadiens, à en croire un administrateur de la Marine qui préférerait les voir accepter ses offres de s’établir sur des terres30. Si l’on examine les professions exercées par les témoins lors des procédures de dispenses de consanguinité de la région de Cherbourg, on s’aperçoit que les activités déclarées sont le plus souvent en rapport avec la mer31. Bien que l’échantillon ne soit nullement représentatif, il donne toutefois quelques indications : sur les 54 hommes témoins recensés dans les 11 procédures, on compte 25 poissonniers pêcheurs, ainsi que 7 individus, navigateurs, mariniers ou matelots. Il est intéressant de noter l’évolution : dans les dossiers antérieurs à 1764 tous les Acadiens ou presque se déclarent poissonniers pêcheurs, ce qui correspond peut-être davantage à leur profession en Acadie ou à l’île Saint-Jean qu’à leur situation actuelle. La diversification vient ensuite. Dans les dossiers datant de 1771 à 1773 on trouve quelques autres professions : charpentier, calfateur, tonnelier, manœuvre et journalier.
13Lemoyne note que plusieurs Acadiens sont « forgerons, en état de faire les outils aratoires » mais cette profession est rarement mentionnée32. De même, si pour nombre d’administrateurs les Acadiens sont naturellement cultivateurs, très peu se livrent à cette activité – sauf en tant que journaliers. Il est bien sûr difficile de savoir si c’est par manque d’occasions, par découragement face à la pauvreté relative des terres qu’on leur propose et à la lourdeur des impositions. Il est probable que ce dernier point ait été particulièrement important pour ces paysans habitués à cultiver des terres exemptes de toute imposition autre que symbolique. C’est notamment ce dont témoignent les injonctions contenues dans la lettre de Jean-Baptiste Semer, évoquant la Louisiane où « il n’y a ni droits ni taxes à payer33 ». Cette lettre ne vient que conforter les pétitions acadiennes ou les nombreuses questions sur les impositions qui sont systématiquement posées lors de l’étude des projets d’établissement. Bref, le métier de paysan en France, « mode de vie plutôt que profession ou métier » sous l’Ancien Régime, ne semble guère susciter de vocations chez nos Acadiens pour des raisons qu’il conviendra d’analyser plus en détail ultérieurement34.
14En revanche, on retrouve encore les Acadiens dans une autre activité, commune parmi les migrants et les déracinés en France sous l’Ancien Régime : l’armée. Ceux-là sont plus difficiles à retracer dans les archives. Lemoyne signale qu’« il se trouve plusieurs jeunes gens acadiens engagés dans les troupes du roi et tous y jouissent d’une bonne réputation35 ». Ce n’est visiblement pas le cas de tous, puisque Le Loutre écrit en 1771 qu’il a obtenu la grâce d’un malheureux « condamné aux galères perpétuelles pour avoir déserté du régiment de Foix36 ».
15On trouve mention aussi, quoique de manière plus anecdotique, d’autres exilés engagés dans les activités les plus diverses, comme le nommé Saint-Paoul engagé par un comte pour veiller sur ses chevaux. Ce comte écrit : « J’ai ici un Acadien qui est arrivé depuis peu d’Angleterre qui se propose pour palefrenier et que j’ai pris à l’essai pendant huit jours. Il est de plus très bon maréchal et ferre bien les chevaux sans avoir un second pour tenir le pied du cheval37. » Un certain Jacques Daigle, « natif de l’Acadie, évêché de Québec, âgé de 45 ans, chirurgien de sa profession » demande et obtient d’être « admis au nombre des habitants et citoyens de cette ville [de Saint-Malo] pour jouir des mêmes privilèges dont jouissent les autres habitants et être sujet aux mêmes charges38 ». À Morlaix, en 1786, on trouve également un Acadien « sous-brigadier des fermes », c’est-à-dire un employé par la ferme générale, qui, dans les régions maritimes, était principalement chargée de contrôler les entrées de marchandises taxées, comme le tabac ou les tissus. À Brest, un autre Acadien est « garçon perruquier39 ». Enfin, cas semble-t-il relativement exceptionnel, Jean Thibaudeau exerce le métier de cabaretier à Pleudihen40.
16D’autres encore, plus favorisés, ont mis à profit leur séjour en France pour apprendre un métier qualifié. À Cherbourg en 1767, Michel Bellefontaine « [ex-] officier dans les milices [de la rivière Saint-Jean] et courrier pour le Roy dans le Canada […] âgé de 34 ans, a fait en ce port son cours d’hydrographie et y navigue dans les bâtiments qui vont faire la pêche de la morue à la côte du Petit Nord de Terre-Neuve » ainsi qu’un certain « Laurent Paré […] âgé de 13 ans, [qui] va aux Écoles et quelquefois à la pêche avec son père41 ». À noter que ces deux personnes sont fils d’anciens officiers de milice, et il est possible qu’à ce titre ils aient bénéficié d’une instruction gratuite.
17Parmi ceux ayant bénéficié d’une instruction, il faut encore noter le cas particulier de quatre, puis six jeunes Acadiens que l’abbé de l’Isle-Dieu fait former, dès 1766 pour devenir prêtres42. En 1766, l’abbé de l’Isle-Dieu, apprenant que le gouvernement anglais avait décidé d’interdire l’entrée au Canada de prêtres venus d’Europe « à moins qu’ils ne soient originaires ou du Canada ou de quelques-unes des colonies qui composent le territoire de son diocèse », décide d’encourager les vocations vers le sacerdoce de quatre jeunes Acadiens réfugiés en France. L’abbé de l’Isle-Dieu compte bien jouer sur leurs origines nord-américaines pour les faire admettre ensuite au Canada après une solide formation en métropole43. Il les fait donc instruire, d’abord dans des collèges à Saint-Servan et à Saint-Méen, puis dans la région de Paris au Séminaire du Saint-Esprit44. Ces Acadiens suivent le cursus d’étude traditionnel du clergé : humanités, philosophie, puis théologie, et sont secourus tout au long de leur scolarité par l’abbé de l’Isle-Dieu, les six sous par jour distribués par le roi étant insuffisants. Il envoie finalement vers le Canada, au printemps 1772, les deux premiers prêtres ayant fini leur formation45 :
J’ai risqué les deux jeunes Acadiens [Joseph Mathurin Bourg et Jean-Baptiste Brault] que j’avais à Paris au séminaire du Saint-Esprit et qui venaient d’y finir leur troisième année de théologie en m’appuyant sur ce qu’étant Acadiens d’origine ils étaient en conséquence Canadiens et libres de repasser dans leur pays d’origine et de s’y rejoindre à ce qui y restait encore de leurs familles, malgré le traitement qu’ont essuyé ceux qui en ont été enlevés et dépouillés de tout ce qu’ils y possédaient. […] Mais pour les autres qui me restent, on me fait entendre qu’il n’y a pas lieu de les risquer et que s’ils venaient à être renvoyés [du Canada] ils pourraient faire tort aux deux premiers à qui, quoique prêtres, on ferait peut-être subir le même sort46.
18La documentation au sujet de ceux de ces prêtres acadiens qui restèrent en France s’interrompt ensuite, mais il y a tout lieu de penser qu’ils sont probablement demeurés en métropole.
Professions féminines
19Qu’en est-il maintenant des professions exercées par les femmes ? L’activité principale de beaucoup d’entre elles – mère de famille – n’est jamais spécifiée, ce qui n’étonnera guère. Tout juste retrouve-t-on dans les dossiers de dispense de consanguinité évoqués plus haut quelques mentions de femmes occupées au travail domestique, telle que cette Madeleine Landry « occupée journellement chez elle au travail du ménage47 ».Assez rarement, il est précisé qu’une femme est « sans profession48 ». Par conséquent, les références à des métiers exercés par « le sexe » sont beaucoup moins nombreuses que pour leurs homologues masculins. Il ne fait pas de doute que beaucoup de mères de familles nombreuses ne pouvaient pas travailler à l’extérieur.
20On retrouve toutefois assez fréquemment mention de femmes dans les documents que nous avons consultés. Plusieurs d’entre elles exercent des activités du petit commerce. Nous avons déjà évoqué plus haut rapidement le cas de l’épouse d’un certain Gilbert qui, en plus du soin de ses cinq enfants, « tient une forte boutique de friperie ». Dans le même document, la femme d’un certain Julien Le Lièvre « tient boutique ». Une certaine Guyonne Poirier, témoin lors d’un procès intenté à Anselme Boudereau pour fraude de tabac, déclare exercer le métier de « marchande débitante49 ». Mari et femme exercent parfois leur activité ensemble : ainsi « Philippe Nicolas d’Arme » et sa femme « tiennent une auberge assez accréditée et paraissent faire assez bien leurs affaires ». Il n’est nulle part fait mention, dans le document duquel nous extrayons les trois cas ci-dessus, de l’origine des capitaux ayant permis l’achat de ces fonds de commerce50.
21Plus communément, les femmes sont reléguées dans des professions moins qualifiées. Selon Lemoyne, les « talents » des Acadiennes sont assez circonscrits. « Les femmes peuvent être couturières, fileuse au rouet ou au fuseau, peuvent savoir tricoter51 » sans que l’on sache bien si cette énumération reflète les observations qu’il a pu faire sur le terrain ou qu’au contraire il ne fait qu’imprimer sur le papier ses propres horizons d’attente, relativement limités, par rapport aux capacités de femmes « du menu peuple ». Le métier de couturière a attiré un certain nombre d’Acadiennes, peut-être davantage par nécessité que par vocation. C’est ainsi que Lemoyne intercède au Havre pour « deux filles bonnes couturières ». D’autres couturières exercent leurs activités de manière relativement anodine. C’est le cas notamment de Suzanne Richard52 à Morlaix ou encore Marie-Rose Daigle « fileuse et faiseuse de bas » à Cherbourg53. Notons que quelques autres femmes deviennent religieuses, comme cette « religieuse carmélite » présente à Morlaix en 178554. Plusieurs autres femmes tentent de réunir les fonds nécessaires pour pouvoir rentrer au couvent55.
22Femme de chambre est une autre activité traditionnelle pour les femmes célibataires. C’est ainsi qu’en 1774 Lemoyne reçoit la visite d’une Acadienne exerçant cette profession56. On doit aussi noter un cas tout à fait exceptionnel, celui de Marie-Madeleine de Billy, née Buot57. Baptisée en Acadie, à Beaubassin, en 1734, elle épouse un officier français en garnison à Louisbourg. Cet officier, de Billy, doit démissionner de l’armée car le mariage est considéré comme une mésalliance par ses supérieurs. En 1762, Marie-Madeleine de Billy, veuve, est en France. Elle est aidée par son beau-père « premier commis au contrôle général de la maison du roi ». Marie-Madeleine obtient grâce à lui une pension de 500 livres « en considération des services rendus par son mari tant au Canada qu’à l’Acadie ». Surtout, elle occupe les postes de femme de chambre, auprès de la sœur du roi, puis de sa fille, et finalement auprès du Dauphin. La fille de Marie-Madeleine de Billy deviendra première femme de chambre de Louis XVI. Elle accompagnera notamment le roi dans sa fuite à Varennes58.
23Les exemples ci-dessus n’ont aucune prétention à l’exhaustivité ni même à une quelconque représentativité. Pour avoir une idée précise des métiers exercés par les Acadiens, il faudrait se livrer à des dépouillements systématiques de rôles, d’actes notariés ou de baptêmes, mariages et sépultures. De plus, les professions mentionnées sur ces documents ne sont pas toujours mentionnées, ou les informations nécessairement fiables. À n’en pas douter, un certain nombre d’Acadiens tendent à valoriser leur profession. Si, lors d’un mariage, ils se déclarent laboureurs alors qu’ils sont en réalité journaliers, l’enjolivement ne sera pas nécessairement dénoncé par le prêtre officiant la cérémonie ou par les témoins. L’interprétation de ces documents est malaisée. Néanmoins, certains chercheurs amateurs et éclairés se sont livrés à de tels comptages pour des lieux, des périodes ou des types de documents bien précis et limités.
24C’est ainsi que Guy Bugeon et Monique Le Faucheux ont réalisé un dépouillement exhaustif des listes d’embarquement des Acadiens vers la Louisiane en 1785, ainsi que de quelques autres rôles supplémentaires et de recherches antérieures dans la région de Saint-Malo59. À partir de ces dépouillements ils se sont livrés à des comptages forts intéressants dont il est important de rendre compte ici.
Professions à l’embarquement en Louisiane
25Nous ne faisons donc ici que résumer les résultats exposés dans l’introduction de la publication de Bugeon et Le Faucheux. Ce sont eux qui ont effectué les calculs que je ne fais ici que reproduire en ajoutant quelques commentaires et statistiques supplémentaires. Sauf indication contraire, tous les extraits entre guillemets ci-dessous proviennent de leur étude.
26Les comptages effectués concernent deux lieux et deux temps forts du séjour acadien en France et tout d’abord la région de Saint-Malo, dans les années qui ont suivi les débarquements. Lors des premiers recensements des Acadiens à Saint-Malo en 1758-1759, « les professions répertoriées sont relativement peu nombreuses : laboureur, charpentier, marin, cordonnier, et c’est à peu près tout. Parfois la compétence déclarée est double : laboureur et charpentier, par exemple. Curieusement, les femmes ne sont créditées d’aucun métier ». Les résultats présentés pour Saint-Malo ne sont pas fondés sur des dépouillements exhaustifs60, mais Le Faucheux observe au fil des années une augmentation du nombre de marins déclarés qui pratiquent trois types d’activités : la pêche côtière, la grande pêche – jusque sur les bancs de morue de Terre-Neuve – ou encore la guerre de course. Les Acadiens se spécialisent dans les métiers offerts par les activités portuaires de la cité corsaire au détriment des activités de laboureur, moins faciles à exercer dans la région. Quant aux femmes, quand elles figurent dans les documents, elles sont fileuses, tisserandes, tricoteuses, servantes ou sages-femmes.
27Après Saint-Malo, G. Bugeon et M. Le Faucheux se sont livrés à des comptages des activités exercées par les Acadiens à Nantes juste avant les départs de 1785, à partir de listes aussi exhaustives que possible. Tous les hommes présents sur les listes déclarent alors exercer une profession, ce qui ne veut cependant pas dire qu’il n’y a pas de chômage : d’une part, les administrateurs évoquent à plusieurs reprises les difficultés des Acadiens à trouver du travail dans les lieux où ils séjournent ; par ailleurs, les Acadiens déclarent à de nombreuses reprises être laboureurs ou marins sans qu’ils exercent cette activité au moment même où ils la déclarent. C’est ainsi que beaucoup d’Acadiens se déclarent marins dans le Poitou61 ! Certes, quelques-uns des Acadiens font des allers-retours du Poitou à Saint-Malo pour s’embarquer pendant l’hiver et gagner ainsi quelque argent. Mais on conçoit aisément que tous les Acadiens se déclarant marins dans le Poitou ne sont pas en activité. Il faut donc davantage comprendre les mentions de professions données dans ces documents comme le métier pratiqué le plus couramment par le déclarant, qui peut exercer plusieurs métiers ou être au chômage.
28Les professions indiquées montrent la grande diversité des professions exercées. Les métiers féminins sont rarement mentionnés. On relève toutefois, parmi les Acadiennes de Nantes en 1785, les mentions de domestique, femme de chambre, journalière, fileuse, lingère, couturière, tailleuse, voilière62 ou encore de personnes travaillant « aux indiennes63 ».
29Les métiers masculins sont, eux, systématiquement indiqués dans les listes d’embarquement ; ils sont donc beaucoup plus nombreux et au total 46 professions sont répertoriées. Nous reproduisons le tableau présenté par Bugeon et Le Faucheux en ajoutant une colonne reflétant l’importance respective de chaque profession :
tableau 1. Professions déclarées des Acadiens au moment de l’embarquement pour la Louisiane ou sur « l’État des Acadiens qui restent en France » (1785)
Métiers | Partent de Nantes vers la Louisiane | Restent en France | Total | % |
Arquebusier64 | 1 | 1 | 0,2 | |
11,1 | 11 | 2,4 | ||
Capitaine de Navire [M] | 1 | 1 | 0,2 | |
Catenier67 [M] | 1 | 1 | 0,2 | |
Charpentier68 [B] | 107 | 8 | 115 | 25,0 |
Chirurgien | 1 | 1 | 0,2 | |
Coloriste69 [T] | 1 | 1 | 2 | 0,4 |
Commis | 1 | 1 | 0,2 | |
Constructeur de navires [B] [M] | 2 | 2 | 0,4 | |
Contremaître | 2 | 2 | 0,4 | |
Cordier70 [M] | 5 | 1 | 6 | 1,3 |
Cordonnier71 | 7 | 2 | 9 | 2,0 |
Cuisinier | 1 | 1 | 0,2 | |
Domestique | 2 | 1 | 3 | 0,7 |
Employé | 1 | 1 | 0,2 | |
Entrepreneur | 1 | 1 | 0,2 | |
Épicier | 1 | 1 | 0,2 | |
Fabricant de mouchoirs [T] | 1 | 1 | 0,2 | |
Forgeron | 1 | 1 | 0,2 | |
Garçon boulanger | 1 | 1 | 0,2 | |
Graveur72 [T] | 3 | 3 | 0,7 | |
Greyeur73 [B] | 4 | 4 | 0,9 | |
Imprimeur74 [T] | 11 | 11 | 2,4 | |
Indienneur75 [T] | 1 | 1 | 0,2 | |
Jardinier | 1 | 1 | 0,2 | |
Journalier | 58 | 4 | 62 | 13,5 |
Laboureur | 43 | 4 | 47 | 10,2 |
Lieutenant de navire [M] | 1 | 1 | 0,2 | |
Maçon | 3 | 3 | 0,7 | |
Manœuvre | 3 | 4 | 7 | 1,5 |
Marin [M] | 81 | 28 | 109 | 23,7 |
Menuisier [B] | 10 | 5 | 15 | 3,3 |
Ouvrier | 1 | 1 | 0,2 | |
Pareteur76 [B] | 4 | 4 | 0,9 | |
Peintre en faïence | 1 | 1 | 0,2 | |
Perceur77 [B] | 2 | 2 | 4 | 0,9 |
Perreyeur78 | 1 | 1 | 0,2 | |
Poulieur79 [M] | 2 | 2 | 0,4 | |
Scieur de long [B] | 5 | 5 | 1,1 | |
Tailleur | 2 | 2 | 0,4 | |
Tailleur de pierre | 1 | 1 | 0,2 | |
Tanneur | 1 | 1 | 0,2 | |
Tisserand [T] | 1 | 1 | 0,2 | |
Tonnelier [B] | 6 | 2 | 8 | 1,7 |
Tourneur en faïences | 1 | 1 | 0,2 | |
Voilier80 [M] | 2 | 2 | 0,4 | |
métiers du bois [B] | 145 | 23 | 168 | 36,5 |
métiers de la mer [M] | 99 | 36 | 135 | 29,3 |
métiers du textile [T] | 16 | 3 | 19 | 4,1 |
TOTAL | 372 | 88 | 460 | 100 |
% | 80,9 | 19,1 | 100 | 100 |
Source : Guy Bugeon et Monique Hivert-Le Faucheux, Les Acadiens partis de France en 1785 pour la Louisiane : listes d’embarquement, Poitiers-Rennes (tapuscrit), 1988.
30Il est difficile d’interpréter ce tableau tant les données permettant de l’expliquer sont lacunaires. G. Bugeon et M. Le Faucheux se demandent si l’éventail des professions reflète des « choix délibérés » des Acadiens ou si, au contraire, il renvoie l’image inversée du marché du travail à Nantes. Nous n’avons aucun moyen de le savoir, mais il est probable que pour les Acadiens la question ne se posait pas en ces termes à une époque où, dans les classes populaires au moins, l’idée contemporaine d’épanouissement individuel passait certainement très loin derrière les nécessités de la vie quotidienne.
31Le tableau ci-dessus permet une appréciation des types de métiers que pratiquaient les Acadiens vers 1785 à Nantes ; on peut constater deux domaines de prédilection : les métiers du bois et ceux de la mer. On remarque une interconnexion assez forte entre les deux activités. Dernière caractéristique : l’importance des métiers, parfois hautement qualifiés, du textile. Cela s’explique sans aucun doute par l’intense activité de Nantes dans ce secteur. Les textiles servaient pour la fabrication des voiles des bateaux, et aussi de monnaie d’échange pour l’achat d’esclaves du commerce négrier dit triangulaire.
32On peut comparer ce tableau avec les chiffres fournis par Gérard-Marc Braud dans son étude sur les Acadiens de la région de Nantes. Ces chiffres proviennent cette fois non plus de l’étude des listes d’embarquement pour la Louisiane ou de rôles d’Acadiens restés en France, mais d’un comptage effectué à partir d’un corpus d’environ 1 300 actes de baptêmes, mariages et sépultures. Les mentions de professions dans ces actes sont plus sûres que celles qu’on peut retrouver dans de longues listes d’embarquement ou de distribution de secours : en effet, dans la plupart des cas, les prêtres qui enregistrent les actes connaissent les personnes, donc les risques d’erreurs ou de fausses déclarations sont moins importants dans ce type d’actes que dans des listes élaborées par des administrateurs, le plus souvent ignorants de la situation particulière de chaque personne.
33Il est en tout cas intéressant de confronter ces deux sources de données. Pour faciliter la comparaison, j’ai transcris les données sous forme de tableau :
tableau 2. Métiers déclarés par les Acadiens aux prêtres à l’occasion d’un événement familial dans la région de Nantes, entre 1775 et 1785
Métiers | Nombres déclarés | Proportion |
Charpentiers de navire | 72 | 33,33 % |
Marins | 68 | 31,48 % |
Journaliers | 27 | 12,50 % |
Laboureurs | 22 | 10,19 % |
Menuisiers | 6 | 2,78 % |
Perreyeurs | 5 | 2,31 % |
Scieurs de long | 5 | 2,31 % |
Cordonniers | 6 | 2,78 % |
Manœuvres | 5 | 2,32 % |
Imprimeurs d’indiennes | « quelques » | |
Total81 | 216 | 100 % |
Source : Gérard-Marc Braud, Les Acadiens en France, Nantes et Paimbœuf, 1775-1785. Approche généalogique, Ouest Édition, 1999.
34Dans l’ensemble, on ne sera pas étonné de retrouver des résultats tout à fait concordants avec ceux de G. Bugeon et M. Le Faucheux : les métiers du bois occupent, dans le premier tableau, 36 % des individus ; ici, exactement un tiers (33,3 %) sont désignés comme « charpentiers de navire ». Les métiers de la mer dans le premier tableau occupent un peu moins de 30 % des hommes, ici c’est un peu plus de 30 % qui se déclarent marins. Les mêmes proportions de journaliers se retrouvent également à peu de chose près. Par ailleurs, G.-M. Braud ne donne aucune indication quantitative sur les professions féminines, mais, dans une publication antérieure, il dressait la liste suivante des activités relevées dans les actes de baptêmes, mariages et sépulture : domestique, journalière, femme de chambre, fileuse, couturière, lingère, tailleuse, tricoteuse, tisserande, servante, voilière82.
Les lettres de maîtrise
35Enfin, il est à noter que, sur les transcriptions des listes établies par Bugeon et Le Faucheux, la profession mentionnée ne désigne toujours que le corps de métier, et non pas la hiérarchie occupée au sein de ce corps. On sait que les professions artisanales – « privilège distinctif » du Tiers-État – étaient organisées selon une structure très hiérarchisée. L’essentiel de l’artisanat était dit corporé, c’est-à-dire organisé en corps et, à l’intérieur de ce cadre, se côtoyaient trois types de professionnels. Au sommet, les maîtres, titulaires de lettres de maîtrises et propriétaires de leur commerce, dominent socialement et économiquement. Les compagnons, ouvriers qualifiés mais dont seulement une faible minorité accèdent un jour à la maîtrise, ont réussi une sorte d’examen professionnel et reçu une quittance d’apprentissage. Enfin, les alloués sont « des ouvriers salariés [qui] ne comptent pas parmi les compagnons : n’ayant satisfait à aucun apprentissage, ils sont chargés des tâches pénibles, requérant peu de capacités, et restent rivés à leur condition, sans possibilité, même théorique, d’accéder à la maîtrise ». Il faut enfin ajouter, pour compléter le tableau, les apprentis, c’est-à-dire des jeunes en cours de formation83.
36Il est probable, en l’absence d’indications sur les rôles, que les Acadiens aient pratiquement tous été des alloués, exerçant sans lettres de maîtrise ou sans avoir effectué de compagnonnage, à l’exception de Joseph Devau, examiné ci-après84. La possession de lettres de maîtrise aurait sans doute été mentionnée si les individus en avaient détenues : les mentions de maître charpentier ou compagnon charpentier auraient été spécifiées85. Ces lettres de maîtrise seront promises par l’administration à de nombreux réfugiés acadiens, et réclamées par nombre de ceux qui résidaient en France. Elles n’ont cependant été accordées que très rarement.
37À leur arrivée en France aucun Acadien n’avait de lettres de maîtrise, puisqu’elles n’étaient pas en vigueur dans les colonies. Par ce simple fait, les réfugiés étaient relégués à exercer leurs professions de manière peu valorisante et n’avaient pour seule perspective qu’un travail faiblement rémunéré à la journée ou à la tâche. Comme la plupart des réfugiés pensaient que leur séjour en France allait être de courte durée, il est vraisemblable qu’ils n’aient pas tenté de remédier tout de suite à la situation86. Ce n’est qu’en 1773 qu’on voit apparaître les premières réclamations concernant l’obtention gratuite de lettres de maîtrise, qui coûtaient à l’époque 800 livres pour un brevet de maître charpentier à Paris, par exemple87.
38L’idée de proposer des lettres de maîtrise pour les Acadiens fut peut-être due à Lemoyne. Ce dernier avait déjà constaté les obstacles à l’intégration économique engendrés par la difficulté à obtenir de tels brevets pour des Allemands dont il avait eu la charge88. Il semble que l’idée des lettres de maîtrise soit une interprétation par Lemoyne des instructions qu’il avait reçues pour sa tournée de 177389. Dès le début de celle-ci, Lemoyne sollicite l’intendant de la généralité de Rouen pour deux couturières « qui comptent sur [les] bontés [de l’intendant] pour obtenir des lettres de maîtrise90 ». Lemoyne obtient une réponse positive pour ces femmes puisqu’il écrit le mois suivant : « J’observe qu’au Havre il n’a été fait aucune difficulté sur les lettres de maîtrise pour les gens qui sont retenus », c’est-à-dire ceux qui ne peuvent partir dans le Poitou à cause des « professions qu’ils ont embrassées et qui assujettissent aux jurandes. Il leur en a été promis des suffisantes pour la leur laisser exercer91 ». On peut noter la petite nuance introduite au passage par Lemoyne : il ne s’agit plus de lettres de maîtrise, mais de lettres « suffisantes pour exercer ». Un mois plus tard, dans un autre mémoire, Lemoyne ne promet plus en effet que des lettres de maîtrise ou des « grâces ayant le même effet92 ». Ce ne sont plus d’authentiques lettres qui sont promises, mais des brevets « équivalents » et à partir de ce moment-là, en effet, c’est tout ce à quoi Lemoyne s’engagera par écrit. Ainsi, dans un compte rendu au Contrôleur général à l’issue de sa tournée de l’été 1773, Lemoyne ne parle plus que de « privilèges » et de « protection », ce qui reste beaucoup plus vague et moins engageant que d’authentiques lettres93.
39Le ministère endosse en tout cas par la suite la promesse de Lemoyne puisque le Contrôleur général écrit ultérieurement à l’intendant de Caen, Fontette : « le roi m’autorise à accorder gratuitement des brevets de maîtrise à ceux qui le désireraient et qui en auront besoin pour tirer de leur industrie un secours qui remplace celui que les charges de l’État ne permettent pas de leur continuer94 ».
40Cependant dans le maquis juridique et corporatiste de l’Ancien Régime, les choses n’allaient pas être aussi simples. Cette promesse, faite sans tenir compte des résistances locales très fortes, n’est pas tenue. Dans l’année qui suit ces engagements, on retrouve bien quelques allusions à la volonté du gouvernement de donner des lettres à des Acadiens : l’intendant de Caen réaffirme ainsi sa détermination à donner des brevets de maîtrise et, pour ce faire, il demande à son subdélégué de lui dresser une liste des Acadiens restant à Cherbourg et qui souhaiteraient les solliciter95. En mars de l’année suivante, le Contrôleur général Terray fait à nouveau une déclaration d’intention en ce sens à l’intendant de Rouen96. Cependant, dans les années qui suivent, les seuls documents qui font mention de ces lettres de maîtrise sont les pétitions adressées en ce sens par divers Acadiens. L’exemple de Joseph Devau est particulièrement intéressant. D’après les divers documents le concernant conservés dans un dossier des Archives nationales97, il est né vers 1745 en Acadie française entre les villages actuels de Shédiac et Bouctouche, en face de l’île du Prince-Édouard. Ces détails sont donnés dans une copie de son acte de sépulture de « l’église paroissiale de Saint-Sulpice de Paris98 ». Il arrive ensuite, on ne sait trop ni quand ni comment, à Rochefort, d’où il repart cependant en 1763 pour rejoindre Paris « et s’approcher, écrit-il, de M. l’abbé de l’Isle-Dieu, grand vicaire de Québec, ainsi que de M. l’abbé Le Loutre desquels il est connu particulièrement et qui sont résidents aux missions étrangères, qui lui ont fait connaître sa religion étant encore au bas âge et lui ont fait apprendre le métier de charpentier qu’il continue aujourd’hui99 ». Il est probable que la fréquentation de ces deux abbés, eux-mêmes en contact relativement régulier avec les ministres, ait singulièrement facilité les relations de Devau avec l’administration. Il bénéficie d’une formation professionnelle plus avancée que la plupart des autres Acadiens puisqu’il est le seul réfugié à être qualifié de compagnon charpentier100. De surcroît Joseph Devau paraît avoir été « fait gentilhomme » par Louis XV. C’est en tout cas ce que prétend sa femme quelques années plus tard sans qu’il ait été possible de vérifier cette assertion douteuse101. Que cette dernière prétention soit vraie ou fausse, elle reste suffisamment plausible pour que Joseph Devau et sa femme puissent s’en targuer, et donne une idée de la position avantageuse dans laquelle se trouve placé ce charpentier.
41Pourtant, malgré cette position stratégique dans les réseaux de soutien aux Acadiens et sa proximité géographique du pouvoir, Joseph Devau a le plus grand mal à obtenir les lettres de maîtrise qu’on lui a pourtant promises et qu’il réclame à partir de 1776. Joseph prétend en effet avoir « traité avec le Contrôleur général » cette année-là pour obtenir son établissement. Selon ses dires, on lui aurait alors « accordé la somme de 524 livres pour lui avoir les outils nécessaires pour son état » et on lui aurait promis « une lettre de maîtrise gratis », qu’il n’a toutefois toujours pas obtenue. « J’ai toujours réclamé ma lettre de maîtrise, écrit-il, quoique cela m’a toujours été remis. Je demande actuellement qu’on veuille bien avoir la bonté de m’accorder la somme de 800 livres que la maîtrise vaut à Paris ou les années de solde de 6s depuis 1776 jusqu’à présent102 ». Trois ans plus tard Joseph renouvelle sa demande, répétant qu’il n’a touché aucune gratification depuis 1775 « malgré qu’on lui avait promis la maîtrise de son état de charpentier ». Au haut de sa lettre, placée en exergue, figure une note manuscrite autographe et signée de Pérusse : « Je certifie avoir pleine connaissance de la promesse que M. Turgot a fait au nommé Joseph Devau Acadien de lui faire accorder par le roi des lettres de maîtrise de charpentier ». Cette annotation montre encore une fois que Joseph Devau bénéficie d’un réseau de relations important et d’une réputation certaine. Toujours est-il que Joseph n’obtient à nouveau aucune réponse. Ce n’est que plusieurs mois après sa mort, survenue en octobre 1783103, après une année « d’une longue maladie de langueur » que sa veuve, Marie Michelle Théfruit (ou Tefruit) obtient du Contrôleur général une somme de 800 livres104.
Après 1785 : sollicitations d’emplois subalternes ou de lettres de maîtrise
42L’exemple de Joseph Devau, exceptionnel par bien des points, donne une idée, a contrario, des difficultés certainement encore bien plus grandes que devaient affronter les Acadiens ordinaires souhaitant obtenir une lettre de maîtrise. De fait, il n’existe pas de preuve que ces lettres aient bien été octroyées. Ce n’est pourtant pas que les demandes aient manqué. On en retrouve un certain nombre dans la documentation, notamment après le départ d’une grande partie des Acadiens vers la Louisiane, ce qui laisse penser que les engagements faits à ces derniers ont probablement été renouvelés à ce moment-là. Il est probable qu’après les promesses initiales de Lemoyne, qui ne furent de toute évidence suivies d’aucun effet, le gouvernement ait décidé de se pencher à nouveau sur la question en 1785, dans l’optique de régler définitivement le problème acadien. Il s’agit en effet de s’occuper sérieusement de la situation de ceux qui ne souhaitent pas aller en Louisiane, et notamment de séparer ceux qui doivent encore toucher des secours de ceux qui peuvent vivre par leurs propres moyens. Cependant, pour solde de tout compte avec ces derniers, les membres du gouvernement leur proposent d’échanger la « renonciation à la solde » contre des lettres de maîtrise ou quelques revenus réguliers105. Les déclarations d’intentions se succèdent à cette période : « Je fais rechercher ce qui conviendrait le mieux à ceux qui restent ou de quelques terrains ou de lettres de maîtrise, ou de quelques emplois subalternes106 », écrit par exemple Calonne, Contrôleur général, à l’intendant de Caen. L’année suivante, le même renchérit : « Je tâcherai de procurer à tous ceux qui en seront susceptibles des emplois ou des lettres de maîtrise, puisqu’il a été prouvé bien des fois qu’on ne pouvait leur procurer des terres107. »
43C’est donc à partir de 1785 qu’on rencontre le plus de documents relatifs aux réclamations de brevets de maîtrise. Dans un long texte récapitulatif des individus restant en Bretagne après 1785, il est fait allusion à plusieurs reprises à des Acadiens qui en demandent : ainsi, à Nantes, un état mentionne 14 individus « au secours desquels on pourrait venir une fois pour toutes en leur accordant suivant l’offre du ministre, des lettres de maîtrise du métier auquel ils se sont appliqués, et auquel on les dit très formés ». Ces 14 individus sont en fait trois Acadiens et onze « Français mariés à des Acadiennes ». Pour les « Français » il faudrait « une maîtrise de boulanger, trois de menuisier, deux de cordonnier, une de tourneur, une de chirurgien, une de tisserand, une de teinturier, et une de tanneur, et au moyen de ces lettres leurs femmes renonceraient à leur droit à la paye ». Quant aux trois Acadiens, il s’agit d’un « bon marin qui aura des lettres de capitaine de navire lorsqu’il aura encore fait un voyage pour le roi » et de deux menuisiers.
44À Brest aussi, on trouve trace d’une semblable requête. Le mémoire précise : « Un [des] Acadiens [de Brest] n’a pas touché de solde depuis très longtemps, parce qu’il courait le pays en qualité de garçon perruquier. Il demande les arrérages et des lettres de maîtrise de perruquier. M. l’intendant estime qu’il serait convenable de lui accorder cette dernière faveur, et il paraît penser qu’on peut refuser l’autre108. » Ailleurs, voilà cet « Eloi Thibaudeau, Acadien de nation, âgé de 41 ans », qui en 1784, après 22 ans de service « sur les vaisseaux du roi » demande un brevet de maître d’équipage sur les bâtiments du roi ou ceux de la Compagnie des Indes109. Il semble que l’intendant soit intervenu en faveur de cet individu, puisque le 26 décembre 1784 le commissaire de la Marine à Lorient s’excuse auprès de l’intendant de ce qu’il n’a pas pu faire employer Thibaudeau110. Eloi est à nouveau mentionné en 1786 dans le rapport cité précédemment, dans la partie concernant Lorient : « Il faudrait à Eloi Thibaudeau un brevet de maître d’équipage sur les vaisseaux du roi. Il paraît que M. l’intendant l’a demandé au ministre de la Marine111 ». Cela sous-entend évidemment que Thibaudeau n’a pas encore reçu le brevet requis à cette date.
45Parfois, ce ne sont pas à proprement parler des lettres de maîtrise qui sont demandées en tant que telles, mais seulement l’autorisation d’exercer légalement une activité réglementée par les corporations et les jurandes. Un rapport du subdélégué de l’intendance de Morlaix daté d’août 1786, donne plusieurs détails au sujet de trois sœurs : Marguerite Rosalie, Anne Suzanne et Marie Esther Richard (20 ans) qui sont tailleuses et lingères. Le rapport précise à leur sujet : « Comme elles sont assez occupées, elles ne réclament point de solde. Mais craignant d’être inquiétées par la communauté des tailleurs, elles demandent qu’on veuille bien leur accorder toute franchise pour exercer leur profession112. » Dans certains cas, ces lettres étaient peut-être inutiles, comme l’affirme par exemple le maire de Cherbourg : « Il n’y a point de communautés dans notre ville, et tout y est libre, il ne faut donc pas penser à leur [aux Acadiens] donner des lettres de maîtrise113. »
46En bref, depuis 1773, les déclarations d’intention des administrateurs et des ministres et les sollicitations des Acadiens à propos de l’obtention de lettres de maîtrise ne semblent pas suivies d’effets. La constante répétition des demandes émanant des réfugiés et l’exemple de Joseph Devau laissent penser que les lettres ne furent jamais distribuées et que les promesses à ce sujet ne furent pas tenues. Il n’est pas exclu cependant, même si rien ne le prouve, que dans quelques cas particuliers des lettres aient pu être obtenues par certains individus après 1785, ou qu’une compensation financière ait pu être versée, comme c’est le cas pour Joseph Devau par exemple. À n’en pas douter, les obstacles à l’obtention de ces brevets étaient nombreux et, quand bien même des lettres auraient été délivrées à des réfugiés, il ne fait guère de doutes que des mécontentements, de la jalousie ou de l’hostilité se sont fait sentir du côté des jurandes et des communautés de métiers locales. Par ailleurs, ces lettres n’auraient probablement pas eu, aux yeux des clients locaux qui n’auraient pas manqué d’en connaître la provenance, la même valeur que de « vrais » brevets de maîtrise.
Le chômage
47Nous venons donc de dresser un bilan des professions déclarées par les Acadiens et du statut qu’ils occupaient. Cependant, tous les réfugiés n’étaient pas employés en permanence, en particulier au début de leur séjour en France, car ils débarquent en Bretagne dans un contexte de chômage endémique qui frappe une bonne partie de la population, en raison certainement de la guerre et du blocus anglais des côtes françaises, commencé dès janvier 1758114, qui rendent très difficiles les activités maritimes traditionnelles de pêche et de commerce115. C’est du moins ce qui ressort d’un faisceau de témoignages variés mais concordants. Comme à l’accoutumée, ce sont les éléments faibles de la société qui pâtissent le plus du chômage. À en croire Ladvocat de la Crochais, dans la région malouine, fortement éprouvée après le raid anglais le 18 juin 1758 sur Cancale et Paramé, la « moitié de l’année les pauvres du pays manquent d’ouvrage », ce qui lui fait douter de la capacité des Acadiens à trouver du travail116. Cela d’autant plus que cet auteur, ayant observé les Acadiens à l’ouvrage, les juge peu habiles. Quelque temps après, un document confirme que dans la région de Saint-Malo « le temps ni le lieu ne leur sont guère propres pour gagner [du bien]117 ». La fin de la guerre ne semble pas avoir résolu le problème, ou du moins pas immédiatement. Plusieurs mois après la signature du traité de Paris en février 1763, le maire de Saint-Malo écrit que les Acadiens « ne trouvent aucune occupation, soit à la culture des terres, soit dans nos ports, parce que les habitants du pays en manquent eux-mêmes fréquemment, et que nos journaliers ne trouvent que rarement du travail tant à la campagne qu’à la ville118 ». En Normandie, la situation n’apparaît pas plus favorable. L’intendant de Marine au Havre explique que les Acadiens « n’ont trouvé jusqu’à présent à travailler que pour le roi, le commerce étant totalement ici dans l’inaction mais quand même il reprendrait vigueur par la suite ce ne serait pas pour eux une ressource, le négociant qui a besoin d’ouvriers étant intéressé à ne prendre que les meilleurs qu’il peut avoir ». On remarquera au passage le sous-entendu implicite sur la prétendument mauvaise qualité du travail des Acadiens qui ne ferait pas d’eux une main-d’œuvre compétitive sur le marché du travail local. Quant à la situation à Dieppe et à Cherbourg elle est pire encore que dans le grand port de l’embouchure de la Seine. Il y a moins « d’occasion encore qu’au Havre de s’en servir [des Acadiens] pour des ouvrages auxquels ils puissent être propres119 ». À Cherbourg, dans les procédures de dispenses de consanguinité, plusieurs Acadiens déclarent simplement « vivre de la paye du Roy120 ».
48En juin 1763, une grande enquête est lancée auprès de tous les intendants pour essayer de trouver des emplois aux Acadiens121. Plusieurs intendants relayent la demande du ministre auprès de leurs subdélégués122. Les réponses sont toutes identiques : le subdélégué de Périgueux répond qu’il n’y a pas de travail dans sa circonscription123 ; celui de Saint-Lô que « la réforme des troupes », c’est-à-dire le licenciement des soldats à l’issue de la guerre, « donne aujourd’hui dans ce département plus d’ouvriers qu’on n’en peut employer. Le temps est si malheureux que personne ne fait travailler ». Le subdélégué ajoute que selon lui « l’unique moyen serait de les employer dans les travaux des chemins » et qu’il « conviendrait de leur accorder pendant 10 ans l’exemption de toute imposition ce qui contribuerait à les attacher au pays et leur faire oublier le Canada124 ». On notera en passant l’expression « attacher au pays » qui révèle des velléités d’intégration par le travail suffisamment rares à cette époque pour être soulignées. Le subdélégué de Viré répond à peu près la même chose125. À Avranches non plus il n’est pas possible d’employer les « Canadiens ». Si le problème particulier du chômage n’est pas mentionné, le subdélégué note qu’il n’y a ni commerce ni manufactures qui puissent employer ces derniers126. Enfin, dans la subdélégation de Coutances, le représentant de l’intendant n’envisage pas non plus de moyen d’occuper les réfugiés : « La misère générale, écrit-il, occasionnée par la surcharge des impôts et la cessation du commerce qui ne se rétablit que très lentement […] empêche qu’on n’occupe les pauvres journaliers et artisans qu’on voit mendier en foule dans les villes et dans les campagnes. C’est pourquoi les Canadiens ne trouvent point d’occupation127. » Quelques années plus tard, Lemoyne témoignera des difficultés que rencontrèrent les Acadiens pour trouver du travail dans les années qui suivirent leur arrivée en France. Le commissaire affirme que les Acadiens ont ardemment souhaité travailler, et rejette la responsabilité de leur situation actuelle sur le chômage endémique allié à leur attente d’un établissement qu’on leur promettait et qui les empêchait de s’engager dans des activités de longue haleine, « les lieux où ces familles ont été déposées ne pouvant qu’à peine fournir du travail aux gens du lieu même et aux anciens habitués128 ».
49Il est possible toutefois que la situation se soit améliorée par la suite dans les régions d’accueil des Acadiens car on ne retrouve plus que d’assez rares mentions par la suite de ce problème en Bretagne, sauf quelques exceptions. Par exemple un rapport du subdélégué de Saint-Malo en juillet 1775 attire l’attention sur la situation catastrophique des réfugiés du lieu, causée entre autres par le manque de travail : « Ces pauvres gens […] ne trouvent rien à gagner dans cette saison où il n’y a point de travaux dans le port, où il n’y en a que peu à la campagne à quoi il faut ajouter que comme le blé est cher, les laboureurs ne prennent presque point d’ouvriers129. » Par ailleurs, au moment de l’arrivée des Acadiens, le subdélégué à Poitiers déconseille d’installer les Acadiens dans la ville car, écrit-il, « la fabrique des bas et des bonnets et les ouvrages de laine sont si touchés depuis quelques années que beaucoup de pauvres gens de la ville même y manquent de cette besogne, à plus forte raison les étrangers130 ». Quelques mois plus tard, effectivement, les Acadiens arrivés sur place sollicitent déjà du travail pendant l’hiver par l’intermédiaire de Lemoyne, lequel écrit qu’ils l’ont prié « de leur procurer de l’occupation pendant l’hiver, six sols étant bien court pour faire subsister leur famille et les entretenir131 », ce qui montre que les réfugiés ne trouvent pas aisément du travail par eux-mêmes. Cette demande est la seule demande de travail de la part des Acadiens que j’ai retrouvée.
Ses causes
50On vient de voir que les problèmes de chômage n’étaient pas propres aux Acadiens et touchaient les autres segments de la population. Cependant, il est probable que les exilés aient été partiellement handicapés à l’embauche en raison de leur non-appartenance à la communauté locale. Lemoyne estime que les Acadiens ont de la difficulté à travailler à cause de la préférence donnée « aux domiciliés naturels qui en cette qualité doivent avoir la préférence et l’ont en effet132 ». On oppose fréquemment les « gens du lieu » et les « anciens habitués » aux Acadiens, comme pour montrer que, s’il n’y a pas assez de travail pour les premiers, à plus forte raison n’y en a-t-il pas pour les seconds arrivés. Sans parler nécessairement de discrimination, mot inconnu avant la fin du XIXe siècle, il est probable que les Acadiens ont eu plus de mal que les autochtones à trouver du travail parce qu’ils étaient en dehors des réseaux traditionnels de relations. Cette « préférence locale » ne témoigne pas nécessairement d’une hostilité envers ceux qui sont souvent désignés comme des « étrangers » à la communauté, mais d’une tendance compréhensible à employer d’abord ceux que l’on connaît et avec qui on a l’habitude de travailler. En outre, dans un premier temps – comme le montrent par exemple les commentaires de Ladvocat de La Crochais reproduits plus haut –, les Acadiens sont jugés incompétents dans plusieurs domaines, à cause de préjugés et de manières de faire peut-être différentes de celles de France. Il n’est pas exclu d’ailleurs que le phénomène inverse se soit également produit et que certains particuliers – à l’instar de plusieurs intendants dont on a parlé plus haut – aient employé en priorité des Acadiens parce qu’ils connaissaient leur situation de détresse. Mais, dans ce cas, les Acadiens ont peut-être suscité la jalousie des autres habitants, dont certains n’étaient sans doute guère plus favorisés qu’eux.
51Il est toutefois possible qu’une discrimination ait aussi existé envers les Acadiens du fait d’un sentiment d’injustice par rapport aux faveurs qu’ils recevaient du gouvernement. Nous étudions ailleurs l’hostilité éventuelle des populations à l’encontre des Acadiens. Plus spécifiquement par rapport à leur travail, un mémorandum écrit par Lemoyne pointe un problème important que notre époque contemporaine qualifie de « dumping social » :
Le peuple croit que [les Acadiens] qui travaillent leur volent son pain ; ils sont persuadés qu’ils donnent leur peine à meilleur marché que lui vu qu’ils le peuvent à l’appui d’une grâce dont ils jouissent. Lorsqu’ils se sont débarqués à Saint-Malo […] le pays était dépeuplé par la quantité d’hommes surtout de la jeunesse qui avait ou péri pendant la guerre ou qui était encore dans les prisons, il y avait infiniment plus de travail que d’hommes. Loin d’être une charge ils étaient utiles. […] Le pays s’est repeuplé, ils sont devenus à charge133.
52En somme, les autochtones accusent les Acadiens d’accepter des salaires inférieurs – grâce au complément de revenus qu’ils reçoivent de la Marine –, donc d’occasionner de la concurrence déloyale à la main-d’œuvre locale. Ce témoignage – provenant d’un observateur extérieur – est cependant suffisamment rare pour qu’il soit nécessaire de le prendre avec précaution. Le seul autre indice tangible d’une quelconque hostilité au sujet du travail des Acadiens est une liste de requêtes de ces derniers, rédigée et transmise par Lemoyne à Blossac en novembre de la même année et déjà évoquée plus haut. Cette liste sollicite des embauches pour compléter la solde de six sous. Mais pas à n’importe quel prix : les Acadiens font bien attention à demander du travail « qui ne retranche rien aux gens du pays, s’il est possible ». « La jalousie est un obstacle que la haine augmentera s’ils se donnent à meilleur marché que celui d’usage. […] Ayez la bonté de faire attention que les habitants de Châtellerault regardent les Acadiens […] comme une augmentation de bras qui rendra les leurs bien moins précieux », ajoute Lemoyne134.
53Bref, les Acadiens se sont probablement trouvés pris entre deux contraintes difficilement conciliables : travailler pour compléter leur solde, au risque de passer pour des profiteurs ou des voleurs de travail, ou alors refuser les salaires – peut-être inférieurs aux tarifs habituels – qui leur étaient proposés, et passer pour des fainéants. Il n’est guère étonnant dans ce contexte que certains aient également emprunté une troisième voie : la contrebande. Les Acadiens tentent en fait de cumuler tous les revenus, légaux ou illégaux, qu’ils peuvent.
Revenus de ce travail
54Comment évaluer à présent les revenus que pouvait procurer ce travail ? La question est ardue et il est difficile d’y répondre, et a fortiori de donner des indications générales. Les quelques informations qu’on peut glaner au fil des textes ne donnent aucune indication chiffrée ou un tant soit peu précise, à part celles qui ont été exploitées plus haut lors de la discussion sur le travail d’un journalier. On ne peut pas exploiter les commentaires, par exemple, de cet administrateur qui fustige « un travail qui produit si peu et qui dure aussi peu » et qui ne peut fournir à lui seul de quoi vivre aux grandes familles acadiennes135. Mistral n’est pas plus précis lorsqu’il indique, en 1767, que « quelques Acadiens font le métier de matelot et gagnent un peu plus et assez pour se passer eux personnellement des secours du roi136 ».
Conclusion
Exploitation des Acadiens ?
55Il est probable que certains Acadiens furent victimes d’abus de la part d’employeurs qui cherchèrent à exploiter leur faiblesse. Les proscrits pouvaient-ils réellement, comme le prétendent certains textes cités ci-dessus, être exigeants sur les salaires et les travaux qui leur étaient proposés ? On ne peut faire à ce sujet que quelques spéculations, mais il ressort de certaines mises en garde de Lemoyne que plusieurs personnes tentèrent peut-être d’abuser de la situation. Ainsi, à l’arrivée des réfugiés dans le Poitou, Lemoyne prétend que certaines personnes ont « proposé aux femmes du filage mais à un prix qui démontre l’abus que l’on veut faire de leurs besoins ». Il demande alors à l’intendant s’il ne serait pas possible « de leur procurer [du filage] au même prix que les manufactures en donnent137 ». Les mêmes mésaventures étaient déjà survenues aux Allemands dont le commissaire avait eu la charge à Saint-Jean-d’Angély : « Je ne fus pas longtemps sans m’apercevoir que la cupidité du moment dictait les engagements et que loin de songer à les établir, on ne cherchait qu’à jouir à très bas prix de leur travail, sans leur assurer un état certain138. »
56Nous avons essayé, dans les pages qui précèdent, d’approcher au plus près les activités quotidiennes des Acadiens. Au-delà d’une liste de professions et de quelques aperçus de leur vie quotidienne, il est bien difficile d’évaluer quelles pouvaient être les conditions de vie et de travail des réfugiés. Pour aller plus loin, il faudrait examiner localement et en profondeur les documents produits par les jurandes, par exemple. En travaillant à partir des archives administratives, l’intégration sociale des Acadiens ne peut être appréhendée qu’indirectement. Si l’on constate que des Acadiens exerçaient des professions variées, il est plus difficile de savoir quel était leur statut au sein de ces professions ; il semble toutefois que, dans des corps de métiers fortement réglementés, les réfugiés n’aient pu occuper, en majorité, que des postes précaires, peu valorisants et peu rémunérateurs. Les réclamations visant à obtenir des lettres de maîtrise témoignent éloquemment de la difficulté à se faire accepter par les jurandes locales, ce qui ne facilitait pas l’intégration.
Notes de bas de page
1 Voir par exemple 1758-11-30 ; SHM Rochefort 1 E 160, fo 749.
2 1759-03-10b; AN Col B, vol. 110.
3 Voir par exemple 1758-12-30a ; SHM Rochefort 1 E 160, fo 749.
4 1759-01-07 ; AN Col B, vol. 110.
5 1759-05-10 ; SHM Brest 1 P1/23 pièce 7.
6 1772-04-10b ; BM Bordeaux, Ms 1480, fo 56. Le saleur était un « pêcheur de morue, chargé de saler le poisson sur les lieux de pêche » (Le Petit Robert). L’évocation du métier de saleur revient dans au moins deux mémoires de Lemoyne (1772-02-08a ; 1772-11-18b).
7 1759-01-12b; AN Col B, vol. 110.
8 1759-03-10c ; AN Col B, vol. 110 ; 1759-03-10d (id.) et 1759-03-23 (id.).
9 1759-05-04a ; AN Col B, vol. 110 ; 1767-06-05 ; ANC, MG6 C3 [Mi 12881, 3e reg., p. 8] – Arch. du port de Cherbourg (minute des lettres du comm. des classes).
10 1759-03-10c; AN Col B, vol. 110; 1759-03-23 (id.). Les matelots servant sur la Marine royale, pendant la guerre de Sept Ans, et qui étaient pris pouvaient souvent retourner chez eux, mais à condition de donner leur parole qu’ils ne reserviraient pas sur des vaisseaux français pendant le reste de la guerre.
11 ANC, MG6 A15, série C [Mi F 849] – AD Calvados, C 1019.
12 1763-12-09; AN Col B, vol. 117; 1766-12-00; BM Bordeaux, Ms 1480, fo 264-266.
13 1764-06-10; AN Col B, vol. 120, fo 195.
14 Nous excluons ici le cas particulier de ceux des Acadiens qui furent établis comme agriculteurs à Belle-Île-en-Mer et dans le Poitou.
15 Anselme Boudereau cherche en fait ici à prouver qu’il n’était pas ailleurs à sept heures du matin.
16 1767-05-16 ; AD Ille-et-Vil. 7 B 5.
17 1759-11-16 ; AN Col B, vol. 110.
18 Gilles Foucqueron, Saint-Malo, 2000 ans d’histoire, 2001, entrée « Acadiens » ; cf. J. L. Boithias et A. de La Vernhe, Les Moulins à mer et les anciens meuniers du Littoral, Mouleurs, Piqueurs, Porteurs et Moulagers, Éditions Créer, 1990. Les auteurs écrivent : « à la digue des “moulins de Plouër” alias La Minotais (Côtes du Nord) au XVIIIe siècle […] des Acadiens travaillèrent plusieurs mois de suite à la réparer ».
19 1767-05-16 ; AD Ille-et-Vil. 7 B 5 ; 1759-03-02 (AN Col B, vol. 110) ; 1760-08-19a (Arch. de la Marine, Brest, sous-série 1 P – ANC, MG6 C4 (Mi des orig., F-2101 et F-2102)) ; 1759-11-16 ; AN Col B, vol. 110 ; 1786-05-19b ; AN F15 3495 ; 1773-04-27a ; BM Bordeaux, Ms 1480, fo 307-312, fo 165-167 et AN H1 14992.
20 1760-08-19c ; SHM Brest 1 P 1/8 1760 pièce 129.
21 1765-05-24 ; ANC, MG6 C3 [Mi 12881, 2e reg., p. 10] – Arch. du port de Cherbourg (minute des lettres du comm. des classes).
22 Alain Roman, Saint-Malo et les Amériques au XVIIIe siècle, collection « Documents pour l’histoire de Saint-Malo », dossier no 8, Saint-Malo, Arch. municipales, 1999. L’abbé F. Robidou signale : « Plusieurs parmi les capitaines [corsaires] sont les descendants directs des familles acadiennes déportées par les Anglais en 1755 sur la côte bretonne. Par exemple, René Rosse, Auguste Blanchard, Th. LeBlanc, Pierre Cormier. Les De Bon sont originaires de Saint-Pierre et Miquelon » (Les derniers corsaires malouins. La course sous la République et l’Empire 1793-1814, Rennes, Oberthür, 1919, p. 19). Merci à Gilles Foucqueron de m’avoir aimablement communiqué cette dernière information.
23 1767-06-05 ; ANC, MG6 C3 [Mi 12881, 3e reg., p. 8] – Arch. du port de Cherbourg (minute des lettres du comm. des classes).
24 1774-03-23°; AN Col C11 D vol. 8.
25 1761-01-14c ; Arch. diocésaines de Coutances – AD Manche, Saint-Lô, 6 Mi 252 à 257.
26 1760-08-19a (Arch. de la Marine, Brest, sous-série 1 P – ANC, MG6 C4 [Mi des orig., F-2101 et F-2102]). Ces deux hommes ne sont pas Acadiens à proprement parler mais ils sont proches de ceux-ci. Jean Rambourg, né en 1725 à Granville, est résidant sur le Bras d’Or, vaste lac intérieur du Cap-Breton, lors du recensement de la Roque en 1752 (cf. Racines et rameaux français d’Acadie, bulletin no 33, avril 2005, p. 4). Il exerce en France la profession de batelier, et témoigne en faveur de l’Acadien Anselme Boudereau accusé de fraude de tabac, le 16 mai 1767 (1767-05-16 ; AD Ille-et-Vil. 7 B 5). Paul Adam souligne à l’inverse la grande précarité des pêcheurs au XVIIIe siècle : « les pêcheurs, qui ne peuvent, comme les agriculteurs, être propriétaires des terrains qu’ils exploitent, restaient des pauvres, parfois à la limite de la survie et dépendant des autorités ». Les rivages, à l’époque, restaient très inhospitaliers et la pêche était pratiquée essentiellement pour la vente, et non pas pour la consommation personnelle (« Pêche », Lucien Bély, Dictionnaire de l’Ancien Régime).
27 Guillaume Eckendorff, « Les Acadiens à Cherbourg », dans Les Normands et l’Outre-Mer. Congrès des Sociétés historiques et archéologiques de Normandie, Caen, Annales de Normandie, 2001, p. 21-33 (p. 27).
28 1767-05-22 ; AD Ille-et-Vil. 7 B 25 – 1767.
29 Le Dictionnaire de Trévoux précise qu’on se sert du cormoran pour pêcher, selon une technique qui est encore utilisée de nos jours en Asie et consistant à « mettre un anneau de fer au bas du cou [du cormoran], par le moyen duquel on lui fait rendre le poisson qui est demeuré dans son œsophage qui est fort large ». Le dictionnaire n’est pas clair sur la répartition géographique de cette pêche. L’article que l’Encyclopédie consacre au cormoran ne dit rien de sa pratique en France, ce qui pourrait vouloir dire qu’elle était inconnue sur nos côtes. Dans son Traité des Pesches, section III, chapitre I, p. 17 (1767), Duhamel du Monceau évoque la « Pêche avec le Cormoran » sans évoquer d’emplacement précis. Tout au plus il mentionne : « Quand cet oiseau est dressé, on s’en sert pour la Pêche, & voici comme nous l’avons vu pratiquer sur le canal de Fontainebleau ».
30 1767-06-05 ; ANC, MG6 C3 [Mi 12881, 3e reg., p. 8] – Arch. du port de Cherbourg (minute des lettres du comm. des classes).
31 C’est aussi la constatation de G. Eckendorff (« Les Acadiens à Cherbourg », dans Les Normands et l’Outre-Mer. Congrès des Sociétés historiques et archéologiques de Normandie, Caen, Annales de Normandie, 2001, p. 21-33, p. 28).
32 1772-04-10b ; BM Bordeaux, Ms 1480, fo 56.
33 1766-04-20; AN Marine B3, vol. 568, fo 319ss.
34 Abel Poitrineau, « Métiers », Lucien Bély, Dictionnaire de l’Ancien Régime.
35 1773-12-01a ; BM Bordeaux, Ms 1480, fo 534-535.
36 1771-08-20 ; Archives du Séminaire des Missions étrangères.
37 1763-07-04 ; Louis Le Guennec, Les Barbier de Lescoët : une famille de la noblesse bretonne, Quimper, 1991. Saint-Paoul, probablement un surnom, est désigné comme Acadien, mais ce nom ne figure dans aucune autre source primaire ou secondaire.
38 1759-04-20b; AM Saint-Malo, BB 35. Jacques Daigle, qu’on ne retrouve plus mentionné dans des documents ultérieurs, est le seul Acadien reçu citoyen de la ville. J’ignore les raisons précises qui lui ont fait demander l’admission à la citoyenneté ou celles qui font que les autres Acadiens ne l’ont pas demandée. Le métier de Daigle l’a peut-être contraint à demander l’admission à la citoyenneté, sans quoi il n’aurait probablement pas pu exercer.
39 1786-05-19b ; AN F15 3495.
40 1767-11-02a ; AD Ille-et-Vil. 7 B 44. Jean Thibaudeau fait partie de la minorité des Acadiens ayant pris une épouse du lieu. Le 28 février 1764, il se marie avec Françoise Huere, native de Pleudihen (Albert J. Robichaux, The Acadian Exiles in Saint-Malo, 1758-1785, Eunice, Louisiana, Hebert Publications, 1981, tome III, p. 837). Il est probable que ce soit Françoise Huere et non Jean Thibaudeau qui ait possédé le cabaret. Voir la biographie reconstituée de Jean Thibaudeau dans l’appendice, p. 313-314.
41 1767-03-13b ; RAPC 1905-II, p. 197-198, 200 ; G. Eckendorff signale que les enfants acadiens sont scolarisés, en « écolage » (« Les Acadiens à Cherbourg » dans Les Normands et l’Outre-Mer. Congrès des Sociétés historiques et archéologiques de Normandie, Caen, Annales de Normandie, 2001, p. 28).
42 Jean-Baptiste Brault [ou Bro], Isaac Hébert, Joseph Mathurin Bourg, Pierre (ou Jean-Pierre) Bourg.
43 1766-12-22 ; AN Col F3, vol. 16 et 1767-06-04 ; H. R. Casgrain, « Lettres et mémoires de l’abbé de l’Isle-Dieu (1742-1774) », Rapport des archives de la province de Québec, 16, 17, 18 (1935-1938), p. 273-410 ; 331-459 ; 147-253.
44 1767-02-19 (H. R. Casgrain, « Lettres et mémoires », op. cit.).
45 1772-07-14 ; Vatican Arch. de la PF – ANC, MG 17 – A 25 – Mi (orig.) K – 235. Il s’agit de deux demi-frères, Joseph Mathurin Bourg et Jean-Baptiste Brault [Bro]. Les biographies de ces deux prêtres se trouvent dans le Dictionnaire biographique du Canada. Les deux articles contiennent une abondante bibliographie sur ces deux Acadiens repartis en Amérique du Nord.
46 1772-12-28b ; id., K – 234.
47 1771-08-24 ; Arch. diocésaines de Coutances. La même expression, ou une expression équivalente, revient à plusieurs reprises. Ainsi Modeste Moulaison, « occupée journellement chez son père à ce qui regarde le ménage » (1763-07-03b ; id.).
48 1767-05-16 ; AD Ille-et-Vil. 7 B 5. Marie LeBlanc, « sans profession », témoigne au procès d’Anselme Boudereau.
49 1767-05-16 ; AD Ille-et-Vil. 7 B 5.
50 1760-08-19a ; Arch. de la Marine, Brest, sous-série 1 P – ANC, MG6 C4 (Mi des orig., F-2101 et F-2102). Il est probable qu’il s’agit en fait de familles réfugiées de l’île Royale qui avaient dû rapatrier des fonds. Cependant, des Acadiens exerçaient aussi la profession d’aubergiste.
51 1772-04-10b ; BM Bordeaux, Ms 1480, fo 56.
52 Nous aurons l’occasion de reparler d’elle. Suzanne Richard est particulièrement connue grâce à quelques lettres qu’elle écrivit à l’une de ses clientes, Madame du Laz, et qui ont été conservées et publiées dans J. Baudry, Étude historique et biographique sur la Bretagne à la veille de la Révolution, à propos d’une correspondance inédite (1782-1790), Paris, H. Champion, 1905.
53 1761-06-25 ; Arch. diocésaines de Coutances.
54 1786-05-19b ; AN F15 3495.
55 1767-08-01 ; 1774-06-29 ; 1774-03-23a, etc.
56 1774-02-04b ; BM Bordeaux, Ms 1480, fo 556.
57 Cf. Robert Piart, « Une Acadienne et sa fille à la maison du roi Louis XVI », Cahiers de la Société historique acadienne, 34, 1 (mars 2003), p. 33-41. « L’inventeur » de cette histoire est Aegidius Fauteux ; cf. « Les carnets d’un curieux », La Patrie, 23 décembre 1933.
58 Il est possible que la présence de Marie-Madeleine auprès de Marie-Antoinette ait favorisé les pétitions que les Acadiens écrivent à cette dernière en 1774, ou au moins qu’elle ait servi d’intermédiaire (1774-07-00b ; AD Vienne 2 J dép. 22, art. 97).
59 Guy Bugeon et Monique Hivert-Le Faucheux, Les Acadiens partis de France en 1785 pour la Louisiane : listes d’embarquement, Poitiers-Rennes (tapuscrit), 1988. Monique Le Faucheux a effectué des dépouillements importants à Saint-Suliac notamment. Cf. Monique Le Faucheux, « Mes ancêtres d’Acadie : les “hors-venus” à Saint-Suliac (Ille-et-Vilaine), 1764-74 », Les Amitiés acadiennes, nos 36 et 37, (1986). Cet article est également paru dans le Cercle généalogique d’Ille-et-Vilaine, 1, 1 (1er trimestre 1987). Cette étude de la région de Saint-Malo permet aussi un peu de recul et un certain « suivi » du devenir d’individus. Les deux auteurs notent des changements dans les professions déclarées par certains. Par exemple, Pierre Landry en 1763 à Saint-Malo, répertorié comme charpentier et laboureur, est désigné comme coloriste en 1785.
60 Monique Le Faucheux, « Mes ancêtres d’Acadie », op. cit.
61 Guy-Charles Bugeon, Les Fermes acadiennes du Poitou et leurs occupants de 1774 à 1793, Archigny, 1996. Près d’un quart des Acadiens se déclarent marins même s’ils sont à 150 ou 200 kilomètres de l’océan.
62 Fabricante de voile ; Trévoux : « Voilier. Se dit aussi sur mer de celui qui a soin des voiles, qui est chargé de les faire, de les tailler, les coudre, et les mettre en état de servir. On l’appelle autrement Trévier ».
63 « Indienne. Toile peinte aux Indes. Ce nom est devenu appellatif, & se dit de toutes sortes de toiles peintes » (Dict. Acad. 1762).
64 « Ouvrier qui fait des arquebuses, & toutes sortes d’armes à feu portatives » (Dict. Acad.).
65 Ouvrier chargé de calfater un navire, c’est-à-dire de « boucher avec de l’étoupe goudronnée les interstices de la coque d’un navire » (Petit Robert).
66 Les lettres entre crochets renvoient à trois grandes catégories – définies assez arbitrairement – et comptabilisées ci-dessous : B = métiers du bois ; M = métiers de la marine ; T = métiers du textile. Certaines professions ont été comptabilisées dans plusieurs catégories.
67 Ce terme ne figure pas dans les dictionnaires anciens que nous avons consultés. Il s’agit probablement d’un fabricant de « CATÉNIÈRE : Terme de pêche. Chaînes portant plusieurs crocs et servant à retrouver des filets au fond de la mer » (Littré).
68 Le métier de charpentier est « l’un des plus considérés de la hiérarchie professionnelle, d’autant que des charpentes des grands édifices faites d’assemblages complexes de poutres, solives, voliges et autres chevrons dépend la fiabilité de la construction » (Abel Poitrineau, « Métiers », Lucien Bély, Dictionnaire de l’Ancien Régime).
69 Dans l’industrie textile, notamment pour la fabrication des indiennes (cf. notes 63, 72, 74 et 75).
70 Fabricant de cordes
71 Au XVIIIe siècle, les cordonniers étaient principalement fabricants de chaussures neuves, à la différence des savetiers, en principe confinés dans le raccommodage des souliers usagés (Poitrineau, « Métiers », Lucien Bély, Dictionnaire de l’Ancien Régime)
72 Il s’agit probablement d’ouvriers travaillant à la fabrication des « indiennes ». Selon G. Bugeon, « Le graveur exécute les “blocs” (en bois) ou les “planches plates” (en cuivre) gravées soit en creux, soit en relief, qui permettent de reproduire sur le tissu les dessins désirés ».
73 Ce terme avec cette orthographe n’a pas été retrouvé dans les dictionnaires (Littré, Académie française, Petit Robert, Trévoux). Il est classé par Bugeon et Le Faucheux parmi les métiers du bois. Il pourrait éventuellement s’agir d’une mauvaise transcription du terme : « Grayer. Dans quelques provinces, on appelle Grayers ceux qui ont charge de prendre garde aux eaux, aux étangs » (Trévoux). Il peut également s’agir d’un mot formé sur le verbe « gréer ».
74 « L’imprimeur manipule les “blocs” ou les “planches plates”, les appliques sur le tissu après les avoirs imprégnées de mordant ou de matières colorantes, suivant le résultat final désiré » (notes de Bugeon et Le Faucheux).
75 Fabricant d’indiennes.
76 « Le pareteur polit le bois pour le rendre bien lisse » [note de Bugeon et Le Faucheux].
77 Il perce les trous où sont insérées les chevilles pour l’assemblage de pièces de bois.
78 « Ouvrier travaillant à l’exploitation des ardoisières d’Angers » (Littré).
79 « Ouvrier qui fabrique des poulies ; marchand qui en vend » (Littré).
80 « Celui qui coupe, coud, garnit, répare les voiles » (Littré).
81 Ce total est fictif, puisque, contrairement à G. Bugeon et M. Le Faucheux, G.-M. Braud ne donne pas une liste complète de tous les métiers déclarés par les Acadiens, et ne donne pas non plus le nombre total d’actes dans lesquels figurent des mentions de professions. Au total, G.-M. Braud affirme avoir compulsé 1 300 actes provenant de toutes les paroisses de Nantes, Chantenay, Rezé, Saint-Sébastien-sur-Loire et Paimbœuf, pendant la période de 1775 à 1785 inclusivement.
82 Dans ce même ouvrage (De Nantes à la Louisiane, l’histoire de l’Acadie, l’odyssée d’un peuple exilé, Ouest éditions, 1994).
83 Abel Poitrineau, « Métiers », Lucien Bély, Dictionnaire de l’Ancien Régime.
84 Certains Acadiens étaient sans doute ouvriers dans des manufactures qui ont « pour caractéristique de se situer hors du cadre juridique des métiers statués » ou « communautés de métiers » (Poitrineau, ibid.). Par ailleurs, comme le rappelle Poitrineau dans un autre article (« corporation ou jurande », dans Lucien Bély, Dictionnaire de l’Ancien Régime), il est possible que l’appartenance à un « corps » de métier ait été difficilement compatible avec l’appartenance revendiquée parfois au « corps de nation » acadien. Quelques acadiens ont cependant pu obtenir des lettres de maîtrise ultérieurement. Ainsi Olivier Terriot est signalé dans un acte comme maître cordonnier à Nantes. G. Eckendorff signale également le cas de Jean Régnault reçu maître et patron pour le petit cabotage en 1771 à Cherbourg. Régnault n’est toutefois pas un patronyme acadien et cet individu était peut-être plutôt originaire de l’île Royale (« Les Acadiens à Cherbourg », dans Les Normands et l’Outre-Mer. Congrès des Sociétés historiques et archéologiques de Normandie, Caen, Annales de Normandie, 2001, p. 21-33).
85 Il est parfois explicitement spécifié que les Acadiens n’ont pas de lettres de maîtrise (1786-07-07 ; AD Ille-et-Vil. C 6176).
86 Il est à remarquer qu’ils eurent probablement le même problème lors de leur séjour en Angleterre, puisqu’un rapport français de février 1763 « touchant les prisonniers français en Angleterre » parmi lesquels se trouvent des Acadiens, précise : « Les gens à métier ne peuvent s’établir dans aucune ville d’Angleterre sans avoir payé la maîtrise, et quant aux colonies, l’avantage est égal pour eux s’ils passent dans les nôtres. Il est vrai qu’il en pourra venir beaucoup à Londres […] où dans une moitié de la ville il n’y a point de corporation ni de maîtrise » (1763-02-17b ; MAE, Corresp. Pol., Angleterre, vol. 449, fo 333).
87 Sur le prix des maîtrises à Paris ainsi que plus généralement sur les conditions pour devenir maître artisan, voir Daniel Roche (Journal de ma vie. Jacques-Louis Ménétra, Compagnon vitrier au 18e siècle, Paris, Montalba, 1982, partie V, « Le Monde social »).
88 À ce sujet voir 1766-12-13 ; SHM Rochefort 1 R 11 no 482 et 1772-02-08a ; BM Bordeaux, Ms 1480, fo 1/fo 8.
89 1773-08-19; id., fo 439-446.
90 1773-06-22a; id., fo 363-365.
91 1773-07-04; id., fo 369-373.
92 1773-09-16; id., fo 446-455.
93 1773-12-14°; id., fo 529-534.
94 1773-09-06c; ANC, MG6 A15, série C [Mi F 849] – AD Calvados, C 1019.
95 1773-11-12; id.
96 1774-03-17b; AD Vienne 2 J dép. 22, art. 124-1.
97 Série F15 3495 ; ce carton contient les papiers concernant les Acadiens conservés par les bureaux du Contrôle général à partir de 1773, notamment les papiers des commis Coster et Blondel.
98 1783-10-07; AN F15 3495.
99 1773-00-00d; AN F15 3495.
100 1784-03-07; AN F15 3495; 1773-00-00d; AN F15 3495; 1784-05-10; AN F15 3495.
101 1784-03-07 (AN F15 3495). Elle écrit à propos de son mari : « Le nommé Joseph Devau compagnon charpentier acadien […] à qui le feu roi a bien voulu accorder le titre de gentilhomme ». Lui-même se présentait antérieurement comme « Joseph Deveau, Acadien, gentilhomme » (1779-03-09b ; AN F15 3495).
102 1779-03-09b ; id.
103 1783-10-07 ; id.
104 1784-03-25 (id.) ; 1784-05-28 (id.). Cette veuve n’est probablement pas d’origine acadienne. Son patronyme n’est pas acadien et ne figure dans aucun document ni dans la littérature secondaire.
105 1786-05-19a; id.
106 1785-06-01; ANC, MG6 A15, série C [Mi F 849] – AD Calvados, C 1022.
107 1786-06-13 ; MAE Corresp. Pol., Espagne, vol. 620, fo 57.
108 1786-05-19b ; AN F15 3495.
109 1784-00-00b ; AD Ille-et-Vil. C 2453.
110 1784-12-22 ; AD Ille-et-Vil. C 6176.
111 1786-05-19b ; AN F15 3495.
112 1786-08-04 ; AD Ille-et-Vil. C 2453.
113 1785-07-13 ; ANC, MG6 A15, série C [Mi F 849] – AD Calvados, C 1022.
114 Zysberg, La monarchie des Lumières, op. cit., p. 509.
115 Si on ne trouve pas le mot « chômage » en tant que tel dans les documents, on le retrouve déjà dans le Dictionnaire de l’Académie de 1762 avec une signification proche du sens actuel.
116 1759-05-10 ; SHM Brest 1 P1/23 pièce 7. Jacques-Louis Ménétra, de passage dans la région de Saint-Malo en 1758, ne rapporte pas avoir eu de difficultés pour trouver à s’employer. Il travaille pendant quelque temps comme garde-côte puis s’embarque sur un corsaire (Journal de ma vie, op. cit., p. 60). Mais sans doute son statut de compagnon et le fait qu’il savait lire et écrire rendait plus facile sa recherche d’emploi.
117 1760-08-19c ; SHM Brest 1 P 1/8 1760, pièce 129.
118 1763-07-08a; AM Saint-Malo, BB 49, fo 12-13.
119 1760-08-17 ; AN Marine B3, vol. 547, fo 131.
120 Ambroise Bourk, 31 ans, se déclare ainsi « vivant de la paye du Roy » (1763-07-03b ; Arch. diocésaines de Coutances).
121 1763-04-04; AN Col B, vol. 117, fo 117.
122 1763-06-23; ANC, MG6 A15, série C [Mi F 849] – AD Calvados, C 1019.
123 1763-07-05; AD Gironde, Bordeaux, C 425.
124 1763-07-02; ANC, MG6 A15, série C [Mi F 849] – AD Calvados, C 1019.
125 1763-07-03a; id.
126 1763-07-08b; id.
127 1763-07-17; id.
128 1773-04-26; BM Bordeaux, Ms 1480, fo 312-318.
129 1775-07-04 ; AD Ille-et-Vil. C 6176.
130 1773-10-03; AD Vienne 2 J dép. 22, art. 124-1.
131 1773-11-30 ; BM Bordeaux, Ms 1480, fo 526-529.
132 Lemoyne – 1772-05-09b ; BM Bordeaux, Ms 1480, fo 77-78.
133 1773-04-27c ; BM Bordeaux, Ms 1480, Annexes, 1er dossier, fo 22s. Les Acadiens touchant déjà une solde de six sous par jour, ils paraissent aux yeux des populations locales être en mesure d’accepter de travailler pour un salaire moindre. On remarquera que l’affirmation selon laquelle lors de l’arrivée des Acadiens il y avait « plus de travail que d’hommes » contredit les témoignages de l’époque, plus sûrs, qui indiquent tous un chômage endémique lors de l’arrivée des Acadiens en 1758-1759.
134 1773-11-30 ; BM Bordeaux, Ms 1480, fo 526-529.
135 1760-08-19c ; SHM Brest 1 P 1/8 1760 pièce 129.
136 1767-06-05 ; ANC, MG6 C3 [Mi 12881, 3e reg., p. 5] – Arch. du port de Cherbourg (minute des lettres du comm. des classes).
137 1773-11-30 ; BM Bordeaux, Ms 1480, fo 526-529.
138 1772-02-08a ; BM Bordeaux, Ms 1480, fo 1.
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