Chapitre III. Les projets d’établissement : peupler l’Empire (c.1760-c.1765)
p. 70-86
Texte intégral
1Dans les précédents chapitres, nous nous sommes interrogés sur l’état d’esprit des Acadiens à leur débarquement en France, plus précisément sur leur libre choix de la France, donc, par ricochet, sur leur résistance à l’intégration-assimilation. Nous avons ensuite étudié l’organisation de l’administration et avons constaté que l’administration de la Marine était assez passive, peu préoccupée par le problème du reclassement des réfugiés. Nous avons également abordé la manière dont les Acadiens tentèrent de s’organiser politiquement, en se regroupant autour d’un noyau dans la région de Saint-Malo, puis de maintenir ce groupe compact et uni. Nous avions vu, enfin, que, pour Émile Lauvrière ou Ernest Martin, il ne faisait pas de doute que le gouvernement français avait souhaité intégrer-assimiler, du mieux qu’il l’avait pu, les Acadiens en France.
2Il convient maintenant d’examiner de plus près l’attitude du gouvernement, car cette dernière assertion ne me paraît pas exacte. Il s’agit de s’assurer de l’existence, de la part du gouvernement, d’une volonté d’intégrer les Acadiens, ou, de la part des Acadiens, d’être intégrés, avant de s’interroger sur les causes de l’échec. On peut en effet déceler une évolution sensible entre 1760 et 1785. Au début, il est difficile de parler d’une véritable politique gouvernementale : certes, la distribution de secours, abordée dans un chapitre ultérieur, peut être assimilée à une forme de politique d’intégration. Mais, plus qu’une véritable politique, il s’agit plutôt d’une série de mesures temporaires, peu réfléchies, et adaptées au coup par coup. Qui plus est, pendant et juste après la guerre de Sept Ans, le gouvernement ne souhaite en aucun cas intégrer les Acadiens puisqu’il envisage au contraire de les renvoyer dans les colonies. Même après cette première période, on pourra discerner un second moment au cours duquel les divers ministres ne songent, de loin en loin, qu’à attacher les Acadiens à la terre du royaume et non à les assimiler aux autres Français. Ce n’est qu’un peu plus tard qu’on peut constater l’émergence d’une réflexion sur l’intégration-assimilation au sein même de l’administration puis du gouvernement. Bref, le prochain chapitre s’efforcera de démontrer qu’il faut sérieusement nuancer la thèse d’un gouvernement ayant toujours voulu intégrer et assimiler les Acadiens, et contextualiser l’apparition d’une politique allant dans ce sens.
3Encore faudra-t-il constater que l’ébauche de réflexion sur la question de l’intégration-assimilation des Acadiens reste bien timide, et se limite à une volonté d’organisation spatiale des réfugiés sur le territoire : pour la quasi-totalité des interlocuteurs, la solution avancée au problème acadien se cristallise autour de la question de savoir s’il faut les laisser groupés ou les disperser. Autrement dit, s’intéresser à la question de l’intégration des Acadiens revient à peu de chose près à étudier le problème des discours et des pratiques autour de ce thème. On peut considérer, au choix, deux ou trois temps. En effet, les discours du gouvernement se transforment d’un refus d’intégrer les Acadiens à un désir graduel de les assimiler. Ce dernier désir peut à son tour être divisé en deux phases intermédiaires. Dans un premier temps, une politique minimaliste d’assimilation dont le but est alors de défricher la France en laissant les Acadiens groupés dans une « petite Acadie » ; dans un second temps, le projet de fixer les Acadiens en France, non appliqué.
4Si l’on veut véritablement observer les ressources mises en œuvre pour intégrer les Acadiens, il est important de ne pas s’en tenir aux discours des donneurs d’ordres, mais de prêter attention aux voix des exécutants, aux opinions des Acadiens, principaux concernés par les mesures, et dans une moindre mesure à celles des populations locales autochtones.
Les projets de renvoi dans les colonies (1758-1765, puis sporadiquement)
5Pour saisir convenablement la lenteur avec laquelle se met en place une action gouvernementale à long terme en faveur des Acadiens, il faut bien comprendre qu’à l’arrivée en France des réfugiés personne n’envisage sérieusement qu’ils vont rester. Berryer écrit en 1759, traduisant le sentiment général : « Leur séjour n’est actuellement que momentané ; ils sont destinés à repasser à l’Amérique1. » Cette opinion persistera pendant plusieurs années, et se renforcera même, dès la paix de 1763 signée. Le souci principal de Choiseul est alors de détourner l’attention de l’affaiblissement français en développant un nouvel empire. Chaque fois, les Acadiens sont les premiers pressentis pour participer au peuplement des colonies envisagées. Il faut dire que les volontaires « français » ne se pressent guère2 ; mais, quand bien même ils le feraient, Choiseul rappelle encore le vieux principe colbertiste selon lequel « l’intention du roi n’[est] point de peupler ses colonies aux dépens de la population de ses provinces3 ».
6La paix n’est pas encore signée – et les Acadiens rapatriés d’Angleterre – que déjà les modalités précises du passage dans les colonies sont expliquées par le ministre dans une lettre adressée à divers intendants4 :
[les familles acadiennes] qui voudront […] passer à Cayenne, à la Martinique, à Sainte-Lucie, à la Guadeloupe ou à Saint-Domingue continueront d’y jouir de la même grâce que sa majesté leur faisait en France [six sous par jour] et qu’on leur fera trouver les vivres au même prix indépendamment des petits secours et de la protection particulière que je leur ferai accorder ; […] Sa Majesté leur accorde de plus 50 livres en argent par famille composée du père, de la mère et d’un enfant, laquelle gratification sera augmentée de 10 livres par chaque tête d’enfant qu’il y aura de plus, afin de pouvoir les mettre en état d’acheter en France les petits habillements qui pourraient leur être nécessaires avant leur départ. Vous les préviendrez aussi qu’elles auront leur passage et leur nourriture à bord gratis, qu’à leur arrivée dans la colonie elles y seront logées et nourries pendant un mois aux dépens de sa majesté, sans qu’il leur soit fait aucune retenue sur les six sols qui leur sont accordés, afin de leur donner le temps de s’arranger dans les lieux que le gouverneur leur indiquera, lequel aura soin de leur procurer des travaux pour les mettre en état de vivre plus commodément. Sa Majesté espère qu’au moyen que vous ferez de cette instruction d’ici au premier avril, vous parviendrez à déterminer ces familles d’accepter les offres qui leur seront faites de votre part5.
La Guyane
7Même si Choiseul mentionne dans la lettre ci-dessus plusieurs colonies des Antilles, son idée est principalement de coloniser la Guyane. Les Acadiens ne sont d’ailleurs pas les seuls « étrangers » à être pressentis pour cette destination : Choiseul sollicite des familles allemandes, maltaises ou alsaciennes6. Pour augmenter les chances de convaincre ces familles, le ministre s’inquiète également de « prévenir [leur] mélancolie7 ! »
Cette colonie étant dénuée de tout objet de dissipation et ces familles étant dispersées et livrées à elles-mêmes surtout dans les moments où elles ne seront pas occupées, il m’a paru nécessaire pour prévenir la mélancolie dont elles pourraient être attaquées à la suite d’un travail pénible et des réflexions sur son éloignement de leur pays natal, ce qui pourrait occasionner beaucoup de maladies parmi ces nouveaux habitants, de leur procurer quelques joueurs de tambourin qui n’auraient d’autre occupation que de les divertir dans les moments où ils en voudraient faire usage8.
8L’histoire ne dit pas si les colons qui partirent coloniser la Guyane, et qui, pour la plupart, y laissèrent leur vie, étaient accompagnés de ces joueurs de tambourin. Quoi qu’il en soit, pour la période 1762-1765 de nombreux documents évoquent le passage d’Acadiens dans diverses parties de l’empire. L’une des destinations qui attire le plus les Acadiens est sans conteste Saint-Pierre et Miquelon, mais la faible superficie des îles oblige le gouvernement à limiter le nombre de ceux pouvant s’y rendre. Des Acadiens seront également engagés dans un autre projet – lui aussi voué à l’échec – de Choiseul : la colonisation des îles Malouines. L’expédition qui s’y rend, sous la conduite du bientôt célèbre Bougainville, comprend plusieurs familles acadiennes, qui reviendront ultérieurement pour la plupart en métropole9. Choiseul incite surtout les familles à passer dans les Antilles ou en Guyane. Celles-ci partent parfois volontairement10 parfois avec plus de réticence11, mais la grande majorité refusent de s’y rendre, jugeant notamment que le climat ne leur convient pas12. Le projet de Guyane est un désastre : près des deux tiers des quelque dix mille colons qui y sont envoyés, en majorité des Allemands et des Alsaciens, trouvent la mort au cours du voyage ou à l’arrivée, où rien n’a été prévu pour eux.
9La crainte de subir des températures trop élevées, invoquée essentiellement pour refuser le passage en Guyane, est sans doute la principale explication à la réticence des Acadiens de s’embarquer pour cette colonie13. Cette appréhension, bien compréhensible, n’est pas une lubie passagère : certains réfugiés se préoccupent encore des chaleurs lorsqu’il s’agit de passer ultérieurement en Louisiane14. Cette peur se retrouve aussi chez plusieurs philosophes théorisant sur les effets dégénératifs du climat15. Il est toutefois également tout à fait possible d’interpréter la résistance des Acadiens à passer dans les colonies françaises méridionales, à l’instigation du gouvernement, comme un autre signe de leur volonté de rester groupés et de son corollaire, la crainte d’être dispersés sur la surface du globe.
Contraints et forcés ?
10Choiseul avait promis aux Acadiens en Angleterre de ne pas les contraindre à aller dans des colonies s’ils ne le souhaitaient pas. Il n’a que partiellement tenu ses promesses et les courriers envoyés à différents commissaires dans les ports attestent de son double discours : d’un côté, il déclare à l’ordonnateur du Havre qu’il ne faut pas obliger les Acadiens à aller à Cayenne16, d’un autre côté, plusieurs autres lettres attestent qu’il encourageait les moyens coercitifs pour enrôler des Acadiens. Ainsi, le 14 avril 1764 il encourage Mistral, commissaire de la Marine au Havre, à ne plus payer la « subsistance » aux Acadiens qui devaient aller en Guyane et qui refusent de s’y rendre17. Quelques semaines plus tard, il exprime son énervement face à la résistance des Acadiens de Boulogne pour des motifs similaires :
J’ai rendu compte au Roi de la répugnance que les Acadiens qui sont dans votre département témoignent pour passer à Cayenne. Sa Majesté a été fort surprise d’apprendre qu’ils persévèrent dans un refus si obstiné malgré qu’elle leur offre de les nourrir et vêtir pendant deux ans, de leur fournir tous les outils et ustensiles qui leur seront nécessaires pour la culture du terrain qui leur sera concédé en propriété et en proportion de ce qu’ils en pourront mettre en valeur. Sa Majesté vous charge de leur faire sentir de sa part combien cette obstination est déplacée puisque d’un côté le pays où on les envoie est excellent, que leurs concitoyens de Cherbourg, du Havre et de Morlaix n’ont fait aucune difficulté d’accepter des offres aussi avantageuses18, que de l’autre il n’y a pas de moyen de les placer ailleurs et qu’il sera impossible de leur continuer leur subsistance s’ils persistent à rester sans rien faire et sans prendre de parti. Sa Majesté espère qu’après avoir réfléchi sur ces objets ils se détermineront à lui donner de nouvelles preuves de leur obéissance en ce point et elle attend une réponse plus satisfaisante de leur part19.
11L’affirmation de Choiseul selon laquelle « il n’y a pas moyen de les placer ailleurs » révèle que ce n’est pas du tout dans ses intentions – à cette époque du moins – de placer les Acadiens en France. Mais, à la suite de la résistance acadienne et du désastreux échec de colonisation de la Guyane, le ministre abandonne progressivement son projet de renvoyer les Acadiens peupler les colonies. Cette idée resurgit toutefois sporadiquement au gré des évolutions internationales, notamment pendant la guerre de l’Indépendance américaine. Ces projets expliquent toutefois l’absence de plans d’intégration ou d’assimilation des Acadiens de la part du ministère, dans un premier temps, à l’exception du projet de Belle-Île-en-Mer.
12Au total, il est en tout cas bien difficile d’évaluer le nombre d’Acadiens qui ont répondu aux diverses propositions coloniales de Choiseul. Un document anonyme d’avril 1764 évalue à 500 le nombre de réfugiés ayant quitté la métropole pour se rendre à Saint-Domingue, à la Martinique, et à Saint-Pierre et Miquelon. Une centaine d’autres s’apprêtent en outre alors à partir pour Cayenne20. Une autre lettre d’un négociant français du Cap21, écrite un an plus tard, évalue à 3 000 le nombre d’Acadiens présents alors à Saint-Domingue22. Cependant, la plupart de ces Acadiens ne viennent pas de France, mais ont exfiltré des colonies anglo-américaines vers la grande île des Caraïbes23. La plupart repasseront peu après en Louisiane. D’autres Acadiens émigreront, sporadiquement, vers les colonies françaises, pendant toute la période entre 1763 et 178524.
Conséquences des projets d’établissement dans l’Empire
13Les projets de Choiseul de renvoyer les Acadiens dans l’Empire, et son corollaire, c’est-à-dire l’absence de volonté d’intégration des réfugiés en France, entraînent plusieurs conséquences, notamment le regroupement des Acadiens autour de Saint-Malo ainsi qu’un taux important d’intermariages. D’autres inconvénients engendrés par cette situation, notamment l’impossibilité pour les Acadiens de planifier des projets à long terme, de construire une maison, de chercher un travail stable, seront examinés plus loin.
Le regroupement des Acadiens autour de Saint-Malo
14Tout d’abord, nous avons vu que les réfugiés avaient débarqué, en 1758-1759, dans divers ports du pays, et qu’on observe un regroupement des Acadiens en métropole. Plusieurs allusions du ministre de la Marine laissent entendre que ces arrivées dispersées ne sont pas ce qui avait été prévu, et que des consignes, stipulant de débarquer les déportés à Saint-Malo ou La Rochelle, avaient été données25. Il apparaît donc tout d’abord que le ministre souhaite un regroupement des réfugiés à La Rochelle et Saint-Malo.
15Ce souhait du gouvernement de concentrer les Acadiens dans deux villes pose, à l’échelon local, quelques problèmes logistiques évidents de logement et de ravitaillement. C’est ce qui justifie officiellement les souhaits du secrétaire d’État de la Marine, Berryer, de « répandre » les Acadiens sur le territoire autour des ports, pour bien sûr, également, diminuer les dépenses qu’ils occasionnent :
Il conviendra de vous débarrasser [des habitants de l’île Saint-Jean] qui pourront travailler le plus tôt qu’il sera possible […]. Vous pouvez vous adresser à M. d’Invault intendant d’Amiens pour […] vous aider à placer ces familles dans les endroits de la généralité où elles pourront travailler plus utilement, soit dans les manufactures de la province, soit à la culture des terres26.
16Ce sont aussi probablement ces mêmes considérations qui amènent l’intendant de Bretagne à ordonner au maire de Saint-Malo de disperser les Acadiens à proximité de la ville27. Le magistrat se fait toutefois rapidement l’écho des résistances de ces derniers. En janvier 1759, Le Fer de Chanteloup écrit en effet à l’intendant qu’il a bien reçu sa lettre « au sujet des habitants de Louisbourg et de l’île Saint-Jean, arrivés en cette ville depuis peu de jours, dont vous jugez à propos de débarrasser ce pays28 ». Quelques jours plus tard, il fait passer les habitants en revue et rapporte :
Je leur demandais s’ils voulaient se retirer sur le terrain [ ?] ou se répandre aux environs de Saint-Malo. Il ne s’en est trouvé que vingt-deux29 qui aient consenti à aller dans les endroits qui leur sont indiqués, quelques autres ont répondu qu’ils ne pourraient quitter cette ville ou son faubourg qu’après le rétablissement de ceux de leurs familles qu’ils étaient occupés de soigner. […] Je puis vous assurer qu’ils inclinent beaucoup à demeurer aux environs de cette ville, et que les voitures que je leur promis avec les trois livres de gratification par personne pour se rendre aux lieux indiqués n’a point été pour eux un attrait pour se transplanter ailleurs.
17Si le maire ne donne aucune indication sur les raisons qui poussent les Acadiens à rester ensemble, on devine aisément les motifs qui peuvent amener des réfugiés, fragilisés et meurtris après les épreuves de la déportation et de plusieurs semaines de mer, à ne pas vouloir se séparer. Quelques semaines plus tard, les Acadiens semblent avoir obtenu un certain compromis : s’ils se répandent dans les paroisses le long de l’estuaire de la Rance, ils restent tous aux environs de Saint-Malo, suffisamment proches les uns des autres pour communiquer et se réunir à l’occasion sans trop de difficultés30. De surcroît, comme nous l’avons vu, ils sont rejoints par un certain nombre de leurs compatriotes en provenance des autres ports.
18Il semble donc qu’il y ait eu une certaine convergence dans un premier temps entre le rassemblement spontané des Acadiens et les intentions du gouvernement : pour être en mesure de renvoyer plus facilement les réfugiés outre-mer au moment de la paix, il valait mieux qu’ils restent relativement groupés. Il faut bien sûr aussi considérer que, pour le ministère, les regroupements facilitent la distribution des secours, le comptage et la surveillance. Le gouvernement autorise cependant les habitants à se déplacer d’une ville à l’autre et ordonne que leur paye leur soit versée là où ils iront. Le secrétaire d’État recommande seulement qu’ils ne prennent pas « l’habitude d’une vie errante » et qu’ils ne reçoivent pas deux fois la paye31. Le gouvernement n’a pas à se faire de souci puisque les réfugiés eux-mêmes sont convaincus qu’ils vont repartir de France et n’envisagent donc à aucun moment de se disperser.
19Quelques années plus tard, lors du rapatriement des Acadiens initialement déportés vers l’Angleterre en 1763, le ministre de la Marine semble toujours convaincu du bien-fondé de concentrer les Acadiens dans une région bien délimitée. Même si les raisons du choix de Saint-Malo et de Morlaix pour débarquer les quelque 700 ou 80032 rapatriés ne sont pas connues de façon certaine33, il est probable que les recommandations du mémoire de Nivernais aient été suivies par le gouvernement. Le duc précise entre autres que les Acadiens demandent à rester groupés34 et propose trois régions susceptibles de les accueillir dans de bonnes conditions, dont la Bretagne, qu’il recommande particulièrement en raison de la dépopulation qu’elle a éprouvée pendant la guerre et « de la proximité de leurs frères35 ». Il est donc probable que le choix de Saint-Malo a été conditionné par la volonté de laisser les Acadiens ensemble, comme ces derniers le demandent, et par la conviction que la province pourrait leur fournir du travail. La participation aux activités de rapatriement du commissaire général de la Marine à Saint-Malo, Guillot – qui se rend en Angleterre sur les ordres de Choiseul – a certainement également joué un grand rôle36.
20Bref, même si certains intendants ont voulu, pour des raisons pratiques probablement, disperser les Acadiens sur le territoire de leur généralité ou dans les villages autour des grands ports comme Saint-Malo, il semble que, d’une manière générale, l’intention du gouvernement a été de conserver les Acadiens relativement groupés, en partie pour contenter les réfugiés, mais surtout parce que cela coïncide avec les objectifs du secrétaire d’État de renvoyer les Acadiens dans les colonies. Choiseul écrit ainsi à Nivernais : « Il serait à propos de tâcher que [les Acadiens] puissent être rassemblés tous dans un même port, pour […] les faire passer […] à Miquelon et à Saint-Pierre37. » Dans l’ensemble, la forte concentration d’Acadiens qui se crée de fait autour de Saint-Malo ne semble guère poser – pour le gouvernement ou pour les exécutants locaux – de problèmes particuliers à ce moment-là. Berryer, par exemple, ne s’en préoccupe aucunement ; quant à Choiseul, il l’encourage. Il n’y a donc aucun signe que l’État ait anticipé les problèmes que pouvait créer un tel regroupement à Saint-Malo38. Cette « politique » reste toutefois partielle, puisqu’il n’y a pas dans un premier temps de regroupement de tous les Acadiens dispersés dans les divers ports à un seul endroit. De leur côté, les Acadiens hors de la région de Saint-Malo ne cherchent pas à se regrouper de manière très tangible, même s’ils correspondent abondamment entre eux. De toute manière, les possibilités matérielles de se rassembler restent, pour eux, limitées, puisqu’ils dépendent des secours du roi et de la bonne volonté des paroisses dans lesquelles ils se réfugient. Le gouvernement se préoccupe de loin en loin de l’intégration économique des Acadiens en souhaitant qu’ils trouvent du travail, mais les projets de départ gênent cette intégration en empêchant les Acadiens de faire des projets à long terme. Il faut surtout noter que l’administration n’encourage aucunement l’assimilation des Acadiens dans les communautés locales à cette période-là.
Encouragement aux mariages endogames
21Le projet de renvoyer les Acadiens dans les colonies entraîne d’autres conséquences. Le gouvernement encourage en effet encore le regroupement des Acadiens en les incitant à se marier entre eux, notamment en appuyant les demandes de jeunes gens ayant besoin d’une dispense pour contracter des mariages consanguins. À ce moment-là encore, les souhaits du gouvernement rejoignent les désirs des exilés eux-mêmes.
22Cette volonté de rester « entre soi », qui est peut-être simplement la continuité d’une contrainte familière aux Acadiens depuis les débuts de la colonie, est clairement exprimée dans les demandes de dispenses « d’empêchement de consanguinité » faites par de nombreux exilés disséminés sur le territoire métropolitain39. Les premières demandes retrouvées ont été émises très peu de temps après l’arrivée des premiers Acadiens et remontent jusqu’au ministre de la Marine par l’intermédiaire de l’abbé de l’Isle-Dieu, vicaire général de l’évêque de Québec à Paris. Le ministre, en réponse à l’intercession de cet abbé écrit le 15 décembre 1759 :
[…] Sans doute il serait à souhaiter que ces habitants [Acadiens] se mariassent [pour] […] augmenter les habitants français [dans les colonies]. Mais comme ceux de l’Acadie se trouvent aujourd’hui réduits à un petit nombre, il leur serait difficile de s’allier entre eux si on leur tenait rigueur sur les degrés prohibés par les lois de l’Église. Au surplus, ces habitants ne doivent pas être regardés comme règnicoles40 en France ; ils n’y sont que passagèrement. S’ils étaient à l’Acadie et dans le petit nombre auquel ils sont réduits, on ne ferait pas de difficultés de leur accorder les dispenses dont ils peuvent avoir besoin. C’est sous ce point de vue qu’ils doivent être considérés. Leur séjour n’est actuellement que momentané ; ils sont destinés à repasser à l’Amérique. Si on leur refusait les alliances qu’ils se proposent de contracter, ce serait les engager à en faire avec d’autres habitants et les dégoûter peut-être de retourner dans leur patrie. Il est intéressant de prévenir cet inconvénient. Je pense donc qu’il conviendrait à tous égards de faciliter leurs mariages autant que cela se pourra sans blesser les règles41 […].
23Le 22 février 1760, Berryer, probablement sollicité de nouveau par l’abbé de l’Isle-Dieu, écrit à l’ambassadeur du roi au Vatican pour demander que les Acadiens soient exemptés des frais divers attachés à ces demandes42. Le problème principal des Acadiens pour obtenir les dispenses demandées est d’ordre financier. L’abbé de l’Isle-Dieu sollicite visiblement Berryer pour obtenir son soutien sur ce point précis, et non sur l’idée même de permettre aux Acadiens de « s’allier entre eux ».
24À la suite de l’intervention de Berryer, les premières dispenses générales sont accordées à l’évêque de Saint-Malo en avril ou mai. Ces dispenses sont accordées non seulement aux ex-habitants de l’île Royale, mais aussi à ceux de l’île Saint-Jean qui constituent la majorité du groupe43. De nouvelles « facultés » ou dispenses sont accordées aux évêques de Vannes et de Saint-Malo le 16 septembre 1767 – l’auteur de l’expédition précise que, si les Acadiens changent de diocèse, ils pourront obtenir de nouvelles dispenses en prévenant Rome44 – et enfin à celui de La Rochelle en juillet 176945. Il est difficile de savoir exactement à quoi servaient ces dispenses générales, puisque des exemptions particulières étaient accordées assez facilement ; par exemple pour les familles acadiennes de Cherbourg46. Peut-être visaient-elles à éviter les longues procédures47 et surtout les coûts liés à celles-ci : c’est l’objet principal de la lettre reproduite ci-dessus du 22 février 1760 et cette constante se retrouve dans tous les dossiers de Coutances48.
25Les motifs invoqués pour demander ces indults sont extrêmement intéressants en ce qu’ils témoignent explicitement d’une volonté des Acadiens de ne pas se mélanger avec les « Français d’origine49 ». Il est maintenant intéressant de s’arrêter un peu plus longuement sur les dispenses d’empêchement de consanguinité, qui sont en effet parmi les documents les plus révélateurs de l’état d’esprit des Acadiens et qui éclairent grandement sur les raisons qui les amènent à se marier entre eux.
26Dans les procédures individuelles conservées à Coutances et concernant les Acadiens de Cherbourg50, ces derniers invoquent pratiquement toujours les mêmes motifs à l’appui de leurs demandes de dispenses. Les procès-verbaux sont établis suivant un schéma bien codifié : une première déclaration générale résume le problème de consanguinité ou d’affinité et présente la généalogie des requérants avec les liens de parenté jusqu’à la 3e ou 4e génération51. Suivent les auditions des solliciteurs, des futurs époux et de quatre témoins, généralement deux parents et deux non-parents, qui exposent notamment les raisons pour lesquelles les demandeurs souhaitent se marier.
27Les raisons invoquées par les Acadiens sont bien sûr à prendre avec beaucoup de précautions, puisque ceux-ci sont en position de demandeurs, et qu’il n’est jamais possible de savoir avec quelle bonne foi ils exposent leurs arguments. Il est notamment évident que les témoins se répètent les uns les autres, que la procédure et les propos des Acadiens sont uniformisés, interprétés et déformés. Le formatage des demandes provient sans doute aussi des Acadiens eux-mêmes à qui l’on a probablement indiqué une partie des arguments à avancer. Les Acadiens conservent cependant, évidemment, une part d’autonomie, d’improvisation ; les arguments avancés doivent rester dans l’ordre du crédible et dans les « horizons d’attente » du tribunal ecclésiastique. Même si ce qui est exposé ne traduit pas toujours le sentiment du demandeur, l’argumentaire devait au moins rester plausible et informe sur les sentiments des Acadiens.
28Les Acadiens domiciliés à Cherbourg doivent argumenter sur deux fronts. Ils doivent justifier de leur impossibilité de demander la dispense de consanguinité au Vatican52 qui les fait recourir à l’évêque du lieu et des raisons qui leur font demander l’autorisation de se marier à des degrés prohibés par l’Église. La rhétorique par rapport à ce deuxième point passe par plusieurs étapes. La première – développée ci-dessous, car elle touche directement au problème de la mixité des mariages – consiste à démontrer que les Acadiens ne peuvent pas facilement se marier avec des Français53. Cette difficulté résulte de deux raisons principales : le problème d’un départ prochain envisagé et celui de la suspension de la paie du roi.
29Lors de la seconde étape, il s’agit de démontrer – une fois le choix d’un conjoint local écarté – que, parmi les Acadiens, le conjoint envisagé est le seul approprié. Le plus souvent, cette seconde partie de la démonstration s’appuie sur le fait que le requérant est de toute façon allié avec tous les autres Acadiens de la ville ; quant aux autres conjoints potentiels parmi les Acadiens, ils sont écartés par le requérant pour diverses raisons qui vont de la charge d’enfants à l’âge des demandeurs.
30Les Acadiens cherchent donc dans un premier temps à justifier leur choix privilégié d’un conjoint acadien. Leur argument principal consiste à exposer leur crainte, dans l’hypothèse où ils se marieraient avec une personne de Cherbourg, de difficultés lors de leur départ pour retourner en Amérique. Cette double affirmation d’un passage nécessaire, parfois imminent, à l’étranger et de la réticence des Français à y aller est présente dans toutes les demandes, sauf trois54. Parfois, seul le passage en Amérique est mentionné, sans que le lien précis avec la réticence des habitants français soit cité comme empêchement de trouver un conjoint55. Les exemples de cette rhétorique peuvent être multipliés, mais celui de Joseph Lapierre est particulièrement éloquent :
Dans le dessein où est le suppliant de retourner aux îles du Canada après la paix faite, il a lieu d’appréhender comme l’expérience l’a prouvé dans le temps de la dernière guerre et le fait craindre dans celle-ci [qu’]une fille prise pour son épouse à Cherbourg ou lieux voisins ne voulût pas le suivre dans son retour comme refusent déjà de le faire plusieurs filles du lieu mariées à Cherbourg (dossier 2).
31Deux difficultés rebutent particulièrement les Françaises à s’expatrier : les fatigues du voyage et la difficile accoutumance au pays. Ainsi un témoin déclare-t-il que les filles de ce pays ne sont « ni en état de supporter la difficulté du trajet de la mer ou même de s’accoutumer à l’air d’un pays étranger… » (dossier 3). Un autre « appréhende qu’en épousant une fille du pays [de Cherbourg] elle n’eût aucun goût pour l’y suivre, ni assez de tempérament pour soutenir le trajet de la mer et s’accoutumer ensuite au pays ». Plusieurs mentionnent, comme Joseph Lapierre, une expérience similaire lors de la dernière guerre et une connaissance empirique de ce problème : « Une épouse prise dans ce pays ne serait peut-être pas du goût, comme l’expérience le prouve, de suivre son mari » (dossier 3). L’un ajoute « qu’on a même été obligé d’en forcer plusieurs de sa connaissance [des femmes non acadiennes qui ne voulaient pas suivre leurs maris] par le secours du militaire pour les faire embarquer » (dossier 3, p. 11). D’ailleurs, il suffit d’ouvrir les oreilles, certaines femmes de Cherbourg « annoncent dès aujourd’hui » (dossier 2) qu’elles ne repasseront pas avec leurs maris sur le continent américain. Un autre témoin explique :
Si le suppliant venait à épouser une fille de Cherbourg ou des lieux voisins, il aurait lieu de craindre que cette fille devenue son épouse ne voulût pas le suivre dans son retour aux îles du Canada après la paix faite, comme il est arrivé déjà que plusieurs filles de Cherbourg mariées à des Acadiens déclarent hautement qu’elles ne suivront pas leurs maris lors de leur embarquement pour être transportées dans leur ancien pays (dossier 3, p. 13).
32À quelques autres reprises il est fait mention du fait que les habitants du pays ne recherchent pas les Acadiens ou les Acadiennes pour les épouser, sans que des motifs particuliers soient avancés : il s’agit semble-t-il d’une constatation d’ordre général. Un témoin acadien déclare ainsi : « si [la suppliante] n’épousait point un autre Acadien il est très probable qu’un jeune homme de ce pays n’en ferait aucune recherche » (dossier 10, p. 9). Une future épouse déclare de son côté « que les gens de ce pays ne sont pas prompts de s’allier avec les Canadiens » (dossier 11). En aucun moment, cependant, ils n’insinuent que cette réticence à épouser des Acadiens puisse être une forme de discrimination56.
33Signe de l’époque, le problème du départ n’est pas envisagé de la même manière par les hommes et par les femmes. Tandis que les Acadiens redoutent que leurs éventuelles femmes françaises ne veuillent pas les suivre dans leur nouvelle habitation, les femmes originaires de Cap Sable redoutent, elles, que leurs maris les retiennent en France. Hommes et femmes évoquent surtout les problèmes envisagés par les maris, mais une Acadienne déclare cependant « qu’elle ne peut épouser une personne de Cherbourg qui la retiendrait contre l’inclination qu’elle a de retourner aux îles après la paix faite » (dossier 5).
34Cette évocation du départ, omniprésente dans les déclarations et qui témoigne des espoirs ou des peurs des Acadiens, est cependant rarement explicite : ainsi la destination envisagée n’est jamais bien précisée. Le substantif qui revient le plus souvent dans les dossiers est « île(s) » (au singulier ou au pluriel), souvent sans plus de détails, ce qui ne permet pas de savoir si le terme renvoie aux « îles du Canada », soit les îles Saint-Jean, Royale, Saint-Pierre et Miquelon, ou aux colonies méridionales57. Les premiers dossiers, de janvier 1761, sont les plus explicites, et font allusion aux « îles du Canada », à « l’Acadie », ou à « Louisbourg », témoignant sans doute d’un espoir de retour après la paix. Les dossiers suivants, datés de juin 1761 à juillet 1763 et avril 1772, vagues, ne mentionnent plus qu’un départ vers « les îles » et, de fait, les Acadiens précisent même « que d’ailleurs ils ne savent point dans quelles îles étrangères de l’Amérique le roi doit les faire transporter ». Si le dossier suivant, août 1771, ne mentionne plus de départ, le dossier de juin 1773 est le seul qui fasse allusion à un retour des Acadiens « dans leur pays ».
35L’imminence ou non du départ n’est pas ressentie non plus de la même manière suivant le moment. Ainsi les premiers dossiers évoquent tous un départ « après la paix », « une fois la paix faite ». Dans les dossiers de mars à juillet 1763, le départ est ressenti comme très proche et les allusions en ce sens se multiplient :
Elle [la suppliante] serait exposée au danger de ne plus trouver un parti aussi convenable […] vu le peu de temps suivant les apparences qu’elle a à rester ici, puisqu’on ne fait qu’attendre l’ordre pour que tous les Acadiens s’en retournent dans différentes îles, où peut-être la suppliante serait pour toujours séparée de celui qui semble lui convenir (dossier 6).
36Un suppliant précise même que les Acadiens « ne font qu’attendre l’ordre [de partir] de jour en jour vu qu’il y en a déjà plusieurs d’entre eux qui l’ont reçu ». Mais le départ se faisant toujours plus attendre, les derniers dossiers, plus prudents, s’ils font toujours allusion au départ – à l’exception du no 9 – ne se risquent plus à en préciser le moment.
37Enfin, l’envie initiale de repartir se mue progressivement en résignation ou plutôt, au regard d’autres documents, en une forme de résistance passive. Ainsi, tous les premiers dossiers évoquent la volonté, l’espérance et le désir des Acadiens. À partir de mars 1763, il n’est plus fait mention que de l’attente d’ordres et du « bon plaisir » légendaire du roi : « On ne fait qu’attendre l’ordre pour que tous les Acadiens s’en retournent dans différentes îles » (dossier 6). Cette passivité s’explique sans doute par l’expectative où ils sont de leur destination finale, qui dépend des ordres du roi. On voit évidemment que le désir de la première période porte sur le retour en Acadie, tandis que la résignation de la seconde période porte sur un passage dans les îles qui ne sont plus celles du Canada. Les Acadiens ont semble-t-il perdu espoir d’y retourner.
38Cette évocation récurrente d’un départ prochain dans les demandes des Acadiens témoigne de leur profonde incertitude par rapport à leur avenir. Cette incertitude sur leur situation constituerait, selon leurs dires, la principale raison de leur difficulté à trouver un conjoint en dehors du groupe58. Il est intéressant de constater ici que les réticences à se marier à l’extérieur de leur communauté affectent autant les Acadiens que les Cherbourgeois.
39L’analyse de cette première série d’arguments ne permet donc pas de trancher définitivement sur la question à l’étude et de conclure positivement que ces Acadiens ne voulaient pas se marier avec des Françaises. Mais le second argument employé pour écarter le choix d’un conjoint non acadien est moins ambigu : même s’il n’y avait pas le problème de cet hypothétique départ, plusieurs Acadiens ne veulent pas épouser de Françaises parce qu’ils risqueraient alors de perdre la paye du roi pour leur épouse. Eustache Parré déclare ainsi que, s’il épousait une Cherbourgeoise, « il perdrait la paye du roi pour sa nouvelle épouse comme il est arrivé à un nommé L’Anglois, originaire de l’île Saint-Jean59 ». Cet argument n’est cependant employé que dans quatre dossiers sur dix60, ce qui témoigne peut-être du sentiment qu’il était moins légitime que la crainte d’un départ et qu’il n’était que partiellement vrai61.
40À partir de ces allégations, il est donc bien difficile de déterminer la volonté réelle des Acadiens de Cherbourg de se marier avec des personnes du lieu, et il est bien hasardeux de chercher si l’une des deux communautés a voulu ostraciser l’autre. Il ne faut pas exclure la possibilité d’un désir réel des Acadiens de se marier avec des Cherbourgeois – et d’un refus de ces derniers de répondre à leurs avances –, mais il semble cependant que, outre l’intérêt manifeste de conserver la paye, « l’inclination » des Acadiens les ait souvent portés vers des membres de leur groupe, ce qui témoigne là encore d’une certaine volonté de repli sur soi.
41De fait, un autre argument récurrent dans tous les dossiers – sauf un62 – est celui d’une « inclination », d’une amitié antérieure, voire « d’amour » pour le conjoint, laquelle inclination remonte souvent à plusieurs années ou à des relations de voisinage en Acadie. Cette fréquentation préalable est importante aux yeux des réclamants, qui y voient la garantie d’un mariage solide grâce à la connaissance antérieure du caractère du futur conjoint. Ainsi Marie-Rose Daigle déclare-t-elle « qu’elle se ferait peine d’épouser une personne quoique d’un même pays [de l’Acadie] dont elle ne connaîtrait pas l’esprit et l’humeur » (dossier 5). Un autre écrit, très sûr de lui, mentionne que les autres Acadiennes sont trop jeunes pour lui et que :
D’ailleurs il appréhenderait qu’une jeune fille avec peu de tête et peu d’inclination à élever ses enfants ne troublât la paix de sa maison et qu’il aimerait mieux ne point se marier que de s’exposer à ce danger, lequel il ne craint point du côté de la dite Mélanson, qu’il connaît sage, douce et prudente et d’un âge mûr (dossier 3, p. 3).
42Les mariages entre Acadiens seraient donc aussi prépondérants du fait d’un « cercle vicieux » ou « vertueux » : ils s’expliquent également par les réseaux de relations plus étroits à l’intérieur du groupe qu’à l’extérieur.
43Pour la période couverte par les dossiers de dispenses de consanguinité qui ont été retrouvés, la majorité des Acadiens présents en France ne résident pas à Cherbourg mais dans la région de Saint-Malo. Le cas de Cherbourg est-il dès lors représentatif, ou constitue-t-il une exception ? Si l’on compare les statistiques concernant les mariages acadiens dans ces deux dernières villes63, on constate à peu de chose près les mêmes proportions de mariages mixtes (25 %) et de mariages acadiens (75 %) suivant l’évolution représentée ci-dessous (Figure 3). Il est donc probable que le cas de Cherbourg ne fut pas une exception et, puisque des dispenses générales furent accordées à l’évêque de Saint-Malo dès 1760, on peut estimer que le problème de consanguinité s’y posa de la même manière, et, au-delà, que le cas de Cherbourg est certainement représentatif sur le plan national.

figure 3
Évolution du nombre de mariages acadiens et mixtes à Cherbourg
44Au total, ces dispenses, qui sont toujours accordées, ne font qu’expliquer comment les taux de mariages endogames, relativement exceptionnels pour une si petite communauté, ont été légalement possibles64. Elles éclairent aussi les sentiments des Acadiens. Mais il est bien possible que ces exemptions mesurent plus le degré de rejet de la société française que le désir d’assimilation des Acadiens. Les motifs du rejet peuvent être extrêmement terre à terre : c’est ce dont témoigne par exemple une lettre de l’intendant de Caen à Necker, en 1781 :
Le projet d’un établissement pour la Dlle d’Entremont ne pourra vraisemblablement jamais s’effectuer. Son attachement pour ses parents auxquels ses soins deviennent de jour en jour plus nécessaires, ne lui permettra jamais de s’en séparer. La délicatesse de ses sentiments la rendrait difficile dans le choix de l’homme auquel elle pourrait unir son sexe. D’ailleurs peu de personnes sont disposées à se présenter pour épouser une demoiselle, d’une très bonne noblesse à la vérité, mais qui n’apporterait en dot que sa propre misère et celle de ses parents65.
45Il est difficile de savoir si le soutien du gouvernement aux mariages endogames – dont témoignent la lettre de Berryer ci-dessus et le refus de verser la solde aux conjoints français d’Acadiens – a duré au-delà de la période pendant laquelle les réfugiés sont pressentis pour retourner aux colonies. On ne retrouve plus d’allusions ultérieures à celles qui sont mentionnées ci-dessus. Tout au plus peut-on noter, en 1767 encore, que le Contrôleur général, pour ne pas avoir à payer de dot sur les deniers publics, encourageait une jeune Acadienne à se marier avec un Acadien plutôt qu’à rentrer au couvent66. Nous avons donc tenté d’évaluer la répartition et l’évolution chronologique des mariages entre Acadiens ou mixtes au cours du séjour en France des réfugiés, notamment pour essayer de déceler un possible retournement de situation. Cette question est abordée dans le dernier chapitre.
Conclusion
46En résumé, on constate, dans les années qui suivent immédiatement l’arrivée des réfugiés en métropole, que le gouvernement ne souhaite aucunement les assimiler. Le but des ministres en place est plutôt alors de renvoyer ces colons peupler les colonies que l’on cherche au même moment à développer. Cela entraîne plusieurs conséquences : tout d’abord, on laisse les exilés se rassembler à leur convenance, ce qui se traduit tant sur le plan géographique que dans l’encouragement aux mariages endogames. Les Acadiens justifient leur réticence à se marier à l’extérieur de leur communauté par le fait qu’en cas de nouveau départ ils auront du mal à convaincre leur conjoint « français » de les suivre ; les femmes redoutent de devoir se séparer du groupe, les hommes de ne pouvoir emmener leurs épouses. Dans cette première période, la retenue avec laquelle les Acadiens tissent des liens en France est davantage liée à la volonté gouvernementale – qu’ils ont bien perçue – de les renvoyer dans les colonies qu’à un réflexe identitaire marqué. Si les réfugiés manifestent en effet le désir de ne pas se disperser, ils ne manifestent pas pour autant de volonté fortement marquée de se réunir tous en un même lieu. La question du regroupement ou de la dispersion des Acadiens va se cristalliser progressivement pendant la planification de l’établissement de Belle-Île-en-Mer, puis deviendra définitivement une question de premier plan au moment où Necker sera Contrôleur général.
Notes de bas de page
1 1759-12-15 ; AN Col B, vol. 110, fo 374/313. L’écrivain avait d’abord écrit « dans la colonie », qui est biffé et remplacé par « à l’Amérique ». Le ministre a sans doute jugé plus prudent de ne pas trop s’engager sur le lieu du retour.
2 Les colonies jouissent d’une image déplorable dans l’opinion publique de l’époque, tant chez les philosophes que parmi le peuple. Il suffit pour s’en convaincre de se rappeler les rumeurs qui circulent à Paris au milieu des années 1750 à propos des enfants enlevés et envoyés dans les colonies (cf. Arlette Farge et Jacques Revel, Logiques de la foule. L’affaire des enlèvements d’enfants, Paris, 1750, Paris, Hachette, 1988). Jacques-Louis Ménétra fait également allusion à ces enlèvements dans son journal (Journal de ma vie. Jacques-Louis Ménétra, Compagnon vitrier au 18e siècle, Paris, Montalba, 1982). Ce réflexe de la foule, associant colonies, peuplement et punition, n’est pas sans fondement. On sait que de nombreux faux sauniers, notamment, furent envoyés en Nouvelle-France aux XVIIe et XVIIIe siècles. Daniel Roche note également l’existence du quartier de Paris nommé « Nouvelle-France », qui devait son nom au fait que la police le raflait systématiquement pour peupler les colonies d’Amérique (Journal de ma vie, op. cit., note 173, p. 168). Après la guerre de Sept Ans, encore, selon une source, le conseil du roi songe à envoyer des paysans bretons révoltés dans les colonies pour les punir (1766-04-12 ; AD Ille-et-Vil. 5J 139). Voir aussi sur le même sujet les excellents articles de P. N. Moogk (« Reluctant Exiles : Emigrants from France in Canada before 1760 », The William and Mary Quarterly, XLVI, 1989, p. 463-505) et Yves Landry (« Les Français passés au Canada avant 1760 : le regard de l’émigrant », dans Jean-Pierre Bardet, Français et Québécois : le regard de l’autre, Paris, Centre de coopération interuniversitaire franco-québécoise, 2003) qui tous deux pointent du doigt la responsabilité de cette image déplorable pour expliquer la faiblesse de l’émigration vers la Nouvelle-France.
3 1763-03-01c; AN Col B, vol. 117, fo 69.
4 Concernant les Acadiens rapatriés d’Angleterre, Choiseul annonce tout de suite que le roi a des vues pour eux pour une nouvelle colonie, mais qu’ils pourront également rester en France s’ils le souhaitent (1763-03-11b ; AN Col B, vol. 117, fo 83). Toutefois, c’est principalement pour appâter et rassurer les Acadiens hésitants que Choiseul concède ce dernier point ; il ne semble pas envisager le moins du monde que les exilés résistent longtemps à ses projets et ses moyens coercitifs.
5 1762-12-26a; AN Col B, vol. 115, fo 333.
6 Allemandes: 1762-12-26b (AN Col B, vol. 115 fo 335); 1762-12-26d; Maltaises: 1762-12-26c (AN Col B, vol. 115); Alsaciennes: 1762-12-26e (AN Col B, vol. 115).
7 Voir aussi 1763-04-25 ; AN Col B, vol. 117.
8 1763-02-13a; AN Col B, vol. 117.
9 1763-06-07b; AN Col B, vol. 117, fo 229. Une liste aussi exhaustive que possible des Acadiens qui participèrent à cette expédition a été publiée par S. White, « Les Acadiens aux îles Malouines en 1764 », Société historique acadienne (Cahiers), 15, 2-3 (juin et septembre 1984), p. 100-105. Cependant, la liste publiée n’est pas très explicite et rend difficile le comptage des noms. On dénombre cependant environ une quarantaine d’Acadiens présents dans les Malouines en 1764-1765. Quant à Gérard Scavennec dans son article « Des Acadiens aux Malouines », Racines et rameaux français d’Acadie, nos 30, 31, 32, 33 (2004 et 2005), il compte seulement 19 Acadiens ou Canadiens ayant été envoyés dans les actuelles Falkland, sur un total de 157 personnes. Cet article ne comprend malheureusement aucune indication de sources. Cf. aussi Antoine Joseph Pernety, Journal historique d’un voyage fait aux îles Malouines en 1763 et 1764 pour les reconnoître et y former un établissement et de deux voyages au détroit de Magellan avec une relation sur les Patagons, Berlin, E. de Bourdeaux, 1769, p. 32-39.
10 1763-05-24a; AN Col B, vol. 117, fo 196. (Eugène Daubigny, Choiseul et la France d’outre-mer après le traité de Paris : étude sur la politique coloniale au XVIIIe siècle, avec un appendice sur les origines de la question de Terre-Neuve, Paris, Hachette, 1892, indique, p. 339 (note b) que le total des embarquements pour la Guyane du 16 mai 1763 au 1er juin 1764 s’élevait à 10 446 personnes dont 3 150 Acadiens et Canadiens embarqués à Rochefort et à Boulogne à des époques diverses, de mai 1763 à juin 1764). Voir aussi Robert Larin, Canadiens en Guyane, 1754-1805, Sillery, Septentrion, 2006.
11 1763-05-24b ; AN Col B, vol. 117, fo 206.
12 Voir par exemple l’argumentaire acadien dans l’échange de correspondance avec Perrault, agent du gouvernement français qui veut les convaincre d’aller à Cayenne dans RAPC 1905-II, p. 217s.
13 AN Col C11 D vol. 8 ; texte intégral reproduit dans RAPC 1905-II, p. 217.
14 Voir par exemple la lettre de Marguerite Landry du 11 mars 1784 (1784-03-11 ; lettre publiée également dans Mouhot, « Des Revenantes ? », op. cit.) qui mentionne la crainte de passer dans des îles « contagieuses ». Peyroux de la Coudrenière fait également allusion à des « contes absurdes » à propos de l’établissement de Louisiane, allusions à des rumeurs dont certaines avaient probablement trait au climat de la colonie (1784-08-16 ; AHN (Madrid), li 3885, no 3, expediente 13 de la section Estado, fo 25). Cf. aussi note ci-dessous.
15 B. Cherubini, « L’odyssée des Acadiens dans la Caraïbe ou les théories humorales de la créolisation », Les cahiers : Société historique acadienne, vol. 26, no 1 (janvier-mars 1995), p. 5-22 ; Jean Meyer, Histoire de la France coloniale, op. cit., vol. 1, p. 18-20. Un ouvrage posthume de Boulainvilliers paru en 1756, Les Intérêts de la France mal entendus dans les branches de l’agriculture, de la population, des Finances, du commerce, de la Marine et de l’industrie, montre bien la peur des contemporains vis-à-vis des effets dégénératifs des pays chauds.
16 1764-03-30; AN Col B, vol. 120, fo 110.
17 1764-04-14; AN Col B, vol. 120, fo 129.
18 Cela est une contre-vérité flagrante, puisqu’on vient de voir qu’au Havre au moins les Acadiens font de la résistance. Quelques mois plus tard, Choiseul se défend très hypocritement auprès de Le Loutre qu’on ait usé de contraintes contre ceux de Boulogne (1764-09-19 ; AN Col B, vol. 120, fo 306).
19 1764-05-04; AN Col B, vol. 120, fo 153.
20 1764-04-16b ; RAPC 1905-II, p. 215.
21 Le Cap-Haïtien, au nord de l’actuel État d’Haïti, anciennement Cap-Français, à Saint-Domingue.
22 1765-04-02 ; AD Gironde C 4328.
23 Voir à ce sujet Christopher Hodson, Refugees : Acadians and the Social History of Empire, op. cit., chapitre III.
24 Par exemple, 80 anciens habitants de Louisbourg émigrent collectivement de Rochefort à Sainte-Lucie en 1763 (1763-08-24a ; Gabriel Debien, « Les Acadiens réfugiés aux Petites Antilles, 1761-1791 », Cahiers de la Société historique acadienne, 15, 2-3, juin et septembre 1984, p. 57-99).
25 1758-12-26 ; AN Col B, vol. 108, fo 348 ; 1759-01-12a ; AN Col B, vol. 110 ; 1759-01-07 ; id. ; 1759-01-17 ; ANC MG6 – C2 (transc., Mi C 4619 – Arch. du Port de Saint-Servan, C 8, Li 7).
26 1759-01-12b; AN Col B, vol. 110. Voir également 1759-04-30 ; SHM Brest 1 P 1/8 1759, pièce 68.
27 1759-01-29 ; AM Saint-Malo, BB 45. Malgré des recherches approfondies au Service historique de la Marine de Brest dans les papiers du commissariat de la Marine à Saint-Malo et dans ceux de l’intendance de Bretagne, je n’ai pas réussi à retrouver l’origine de cet ordre, ni sa formulation exacte ni a fortiori son objectif.
28 Cet extrait ainsi que ceux qui suivent sont tous tirés de plusieurs lettres du registre de correspondance du maire de Saint-Malo (AM Saint-Malo, BB 45).
29 Il s’agit peut-être des 22 Acadiens mentionnés dans la lettre ultérieure de Ladvocat de la Crochais (1759-05-10 ; SHM Brest 1 P1/23, pièce 7). Dans ce cas, la destination proposée était les fermes du manoir de la Crochais, près de Ploubalay, à une quinzaine de kilomètres de Saint-Malo, de l’autre côté de la Rance.
30 Les Acadiens sont en fait surtout concentrés à Saint-Servan, Saint-Enogat (de l’autre côté de la Rance, à côté de Dinard) et Saint-Suliac et dans plusieurs paroisses des faubourgs de Saint-Malo. Voir carte, p. 65.
31 1759-08-10 ; SHM Brest 1 P 1/8 1759, pièce 123.
32 Le Mémoire de la Rochette compte 866 Acadiens (1763-02-17a ; MAE, Corresp. Pol., Angleterre, vol. 449, fo 340ss.) ; d’autres documents évoquent 753 (lettre de Choiseul : 1763-04-06b) ou 786 individus (1763-02-17d).
33 Il est bien difficile de s’y repérer dans les ordres et les contrordres : dans un premier mémoire cité ci-dessous (1763-03-01a ; MAE, Corresp. Pol., Angleterre, vol. 450, fo 2-3), Choiseul recommande de regrouper tous les habitants de l’île Saint-Jean qui veulent aller à Miquelon dans un seul et même port ; trois semaines plus tard (1763-03-17 ; AN Col B, vol. 117), il parle cette fois de disperser les Acadiens ; le 28 mars 1763, il autorise les Acadiens de Liverpool à se rendre à Boulogne (1763-03-28b ; AN Col B, vol. 117, fo 107) ; le 6 avril, il ordonne cette fois le débarquement des Acadiens à Saint-Malo et Morlaix (1763-04-06b ; Roy, Rapport¸ p. 614) ; le 30 juin, il approuve le logement dans des casernes d’Acadiens initialement destinés à aller dans un autre endroit non spécifié (1763-06-30b ; AN Col B, vol. 117, fo 278).
34 Les Acadiens font en effet explicitement part à Nivernais de leur crainte d’être séparés (1763-02-17a ; Mémoire de Nivernais).
35 1763-02-17a (Mémoire de Nivernais).
36 1763-02-18a et b ; MAE, Corresp. Pol., Angleterre, vol. 449, fo 353 et 355.
37 1763-03-01a; MAE, Corresp. Pol., Angleterre, vol. 450, fo 2-5.
38 L’injonction de l’intendant de disperser les Acadiens autour de Saint-Malo ne permet pas de conclure. Quant à celle de Choiseul, elle est contradictoire avec d’autres ordres antérieurs ou postérieurs et n’est pas mise en œuvre (1763-03-17 ; AN Col B, vol. 117).
39 Des dispenses matrimoniales similaires à celles qui étaient accordées en France furent aussi octroyées aux Acadiens de Nouvelle-Angleterre (cf. Mattéo Sanfilippo, « Les sources documentaires du Vatican pour l’histoire des Acadiens (1632-1922) », Études canadiennes/Canadian Studies, 37, 1994, p. 95 à 114). Les réalités de la société acadienne, isolée et numériquement faible, avaient de tout temps contraint les Acadiens à formuler ce type de demande auprès de leurs missionnaires. Ces demandes se poursuivront d’ailleurs tout au long de la période de ré-établissement aux Maritimes durant la première moitié du XIXe siècle. Je remercie l’évaluateur anonyme du PAES pour ce complément d’information.
40 « RÈGNICOLE. Terme de Jurisprudence & de Chancellerie, qui se dit De tous les habitants naturels d’un Royaume, par rapport aux privilèges dont ils sont en droit de jouir, & qui s’emploie par extension, en parlant Des étrangers à qui le Roi accorde les mêmes privilèges. L’aubaine n’a lieu qu’à l’égard de ceux qui ne sont pas règnicoles. Les Suisses sont réputés règnicoles, ont les mêmes privilèges que les règnicoles » (Dictionnaire de l’Académie française, 4e édition, 1762).
41 1759-12-15 ; AN Col B, vol. 110, fo 374/313. Malgré des recherches approfondies, je n’ai malheureusement pas retrouvé la demande de l’abbé de l’Isle-Dieu à laquelle la lettre ci-dessus répond.
42 1760-02-22b ; AN Col B, vol. 112.
43 L’évêque de Saint-Malo à la Sacrée Congrégation de la Propagande (1760-05-01 ; ANC, MG 17 – A 25 (Vatican, Arch. de la PF, Mi des orig. : K – 235, fo 568, vol. 1 – Series Congressi, America Antille, 6).
44 1767-09-16 ; ANC, MG 17 – A 25, PF, Mi des orig. : K – 245, fo 288, vol. 210 (Series Lettere, 5).
45 1769-07-01; id., fo 175-176, vol. 214 (Series Lettere, 5).
46 Voir les 11 dossiers de dispenses de consentement parental, de consanguinité et d’affinité d’Acadiens de la région de Cherbourg (Arch. diocésaines de Coutances Mis aux AD Manche, Saint-Lô, 6 Mi 252 à 257 – dates extrêmes : 18 septembre 1759-3 juin 1773). Des photocopies de ces dossiers m’ont été aimablement transmises par madame Michèle Godret, que je remercie. Ces dossiers ont été partiellement transcrits et résumés par Michèle Godret dans « Mariages acadiens à Cherbourg », Racines et rameaux français d’Acadie, vol. 26 (2e semestre 2002), p. 9 à 17.
47 Des demandes de dispenses ont été émises par les Acadiens des diocèses de Saint-Malo, La Rochelle et Vannes – et sans doute par des Acadiens d’autres diocèses – comme le prouvent les facultés envoyées en 1760 et 1767. Mais je n’ai pas pu retrouver de dossiers de dispense ni aux Archives départementales de Charente-Maritime ni à celles d’Ille-et-Vilaine.
48 Les Acadiens réclament à plusieurs reprises l’exemption des coûts de procédure en alléguant qu’ils ne sont pas règnicoles en France, mais les banquiers de Rome refusent de leur faire crédit. Certains évêques semblent avoir été réticents à accorder ces dispenses générales peut-être précisément parce que cela diminuait leur revenu habituel. (1769-08-14 ; ANC, MG 17 – A 25, PF, Mi des orig. : K – 234, fo 254, séries Congressi : America Settentrionale, 6).
49 1769-03-14 ; ANC, MG 17 – A 25, PF, Mi des orig. : K – 234, fo 243 rv, séries Congressi : America Settentrionale, 6.
50 Pour plus de facilité, dans la partie qui suit, les extraits de ces dossiers ne seront repérés que par leur numéro. La pagination est indiquée quand elle existe sur l’original. Les dossiers sont les suivants : 1. 18 septembre 1759 : Jean-Baptiste Galherme – Cécile Aucoin (ce dossier est à part car il s’agit d’une dispense de consentement parental, les parents de J.-B. Galherme ayant été déportés dans les colonies américaines et ne pouvant donner leur accord à une union) ; 2. 14 janvier 1761 : Joseph Lapierre et Rosalie Hébert ; 3. 14 janvier 1761 : Eustache Parré et Anne Mélanson ; 4. 14 janvier 1761 : Léonard Circaud et Anne Lacroix ; 5. 25 juin 1761 : Guillot La Borde et Marie-Rose Daigle ; 6. 25 mars 1763 : Jean Granger et Anne Landry ; 7. 15 mai 1763 : Joseph de Mius d’Entremont et Anne Landry ; 7bis : 19 mai 1762 : Accord pour le mariage du dossier no 7 (15 mai 1763 : Mius d’Entremont et Landry) ; 8. 3 juillet 1763 : Ambroise Bourk et Modeste Moulaison ; 9. 24 août 1771 : Joseph Landry et Madeleine Landry ; 10. 17 avril 1772 : Basile Chiasson et Monique Comeau ; 11. 3 juin 1773 : Jean Broussard et Marguerite Comeau.
51 Ces généalogies sont d’ailleurs souvent erronées. Un correctif a été publié dans la revue Racines et rameaux français d’Amérique (no 27, année 2002-2003).
52 Cette procédure était relativement habituelle et les Acadiens sont loin d’être les seuls à ne pas aller plaider à Rome. Ainsi les fonds de l’évêché de Coutances contiennent environ 9000 demandes similaires à celles des Acadiens mentionnées ci-dessus pour la période allant du début du XVIe siècle à la Révolution. Mais il semble qu’il ait tout de même fallu justifier la difficulté de recourir au pape. Le motif invoqué dans ce cas est toujours celui de leur grande pauvreté. Plusieurs dossiers évoquent aussi le fait qu’en Acadie il n’y avait pas besoin de recourir au pape pour ce type de dispense, l’évêque du lieu pouvant la leur accorder. Stephen A. White, Dictionnaire généalogique des familles acadiennes (1636-1714), Centre d’études acadiennes, Université de Moncton, 1999, note que les dispenses aux troisième et quatrième degrés (3e degré = arrière-grands-parents communs) étaient accordées par les missionnaires qui avaient reçu le pouvoir pour cela. L’évêque de Québec avait quant à lui le pouvoir pour des dispenses au second degré, dans le cas de quelqu’un voulant par exemple épouser la sœur de sa première épouse. Je remercie également Luca Codignola pour les clarifications dont il a bien voulu me faire bénéficier. Voir également les explications de Jacques Vanderlinden (Se marier en Acadie française. XVIIe et XVIIIe siècles, Moncton, Chaire d’études acadiennes, Université de Moncton et Éditions d’Acadie, 1998) qui ne concernent toutefois que la période antérieure à 1713. Cette étude est basée sur l’analyse de 16 contrats de mariages antérieurs à la période anglaise. L’article de N. Griffiths, « Mating and Marriage in Early Acadia », Renaissance and Modern Studies, 35 (1992), p. 109-122, porte principalement sur les mariages entre Acadiens et Micmacs.
53 L’un des Acadiens, après avoir évoqué une série de motifs, déclare en guise de conclusion à sa tirade : « Le suppliant se trouve donc borné à rechercher une femme dans le nombre des Canadiennes qui sont dans cette dite ville » (dossier 7). Un autre conclut également « qu’il ne peut guère en épouser d’autre qu’une Acadienne parce que si elle n’était pas Acadienne il perdrait pour elle la paye que le Roi leur donne et qui est leur unique ressource » (dossier 10).
54 Dossiers 7, 8 et 9. Il est à noter que les dossiers 7 et 9 concernent des empêchements de consanguinité au second degré (les requérants ont un grand-parent en commun). Ces dispenses, contrairement aux dispenses de 3 ou 4e degré qui étaient habituellement plaidées sur place devant un représentant de l’évêque, devaient normalement être faites à Rome (communication de l’abbé Couppey, conservateur des Archives diocésaines de Coutances, janvier 2004). Pour ces deux dossiers donc, l’argumentaire porte plus sur la demande de ne pas plaider à Rome que sur le choix du conjoint.
55 Dossiers 7 et 8. Le dossier 9 (24 août 1771) est le seul qui ne mentionne aucunement un départ prochain. La date correspond effectivement à une période de « creux » dans les projets d’établissement des Acadiens.
56 Les raisons sont plutôt à chercher dans la grande difficulté des Acadiens à doter leurs filles.
57 Les connaissances géographiques des Acadiens semblent très limitées. Il est probable que la Guyane ait été considérée également comme une île par nombre d’entre eux.
58 Rappelons qu’à Cherbourg, pour la période 1759-1781, sur 45 mariages impliquant des Acadiens, seuls 10 furent mixtes, soit moins d’un sur quatre.
59 Un autre témoin dit même craindre la perte de sa propre paye à lui. Langlois et Parré semblent bien se connaître car ils figurent ensemble dans de nombreux documents.
60 L’argument est avancé dans les dossiers 2, 3, 4 et 10, donc surtout au début de la période.
61 Plusieurs « non-Acadiens » touchent des secours du fait de leur mariage avec des Acadiens. Cf. 1765-11-24a (AN Col B, vol. 122, fo 380).
62 L’inclination, l’amitié ou l’amour entre les deux futurs époux ne sont pas mentionnés dans le dossier 7 et seulement dans celui-là.
63 Une étude des proportions relatives de mariages mixtes (entre un Français et un Acadien) ou entre Acadiens figure ci-dessous.
64 Parmi le volumineux dossier transmis par madame Michèle Godret figure une seule décision, positive. En revanche, j’ai pu collationner les demandes de dispenses avec une liste des mariages acadiens à Cherbourg élaborée par Patrice Berton et James P. Henry qui m’a été transmise par G.-M. Braud. On retrouve trace de tous les mariages pour lesquels il est fait une demande de dispense, sauf le mariage de Jean Broussard avec Marguerite Comeau alors même qu’ils ont fait une demande de dispense le 3 juin 1773. Il est probable que ce mariage ait toutefois eu lieu puisqu’ils figurent tous les deux sur un même acte dans le Poitou (Robichaux, The Acadian Exiles in Châtellerault, 1773-1785, p. 25, index). Les mariages ont lieu en général entre quinze jours et un mois après la demande de dispense, sauf dans le cas de Joseph de Mius d’Entremont et d’Anne Landry où le mariage a lieu neuf mois après la demande.
65 1781-03-08 ; ANC, MG6 A15, série C [Mi F 849] – AD Calvados, C 1022.
66 1767-08-01-1767-10-10 ; ANC, MG6 C3 [Mi 12881, 3e reg., p. 9-10] – Arch. du port de Cherbourg.
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